La spontanéité de l`émeute ou du mouvement
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La spontanéité de l`émeute ou du mouvement
1307 LA SEMAINE DU DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE ➜ Actualités 1307-1309 ➜ Note 1310 Actualités ASSURANCES TERRESTRES 1307 La spontanéité de l’émeute ou du mouvement populaire n’est pas de mise pour exclure l’assurance Cass. 2e civ., 17 nov. 2016, n° 15-24.116, P+B : JurisData n° 2016-024092 Louis Perdrix, maître de conférences à l’université Paris-Est Créteil Val de Marne U ne nouvelle fois, les émeutes qui ont frappé les banlieues françaises en novembre 2005, sont l’occasion pour la Cour de cassation de préciser les contours de l’exclusion des risques d’émeutes et de mouvements populaires de l’article L. 121-8 du Code des assurances. En l’espèce, le 7 novembre 2005, deux majeurs et un mineur ont incendié deux véhicules stationnés dans l’enceinte d’un lycée, dont les bâtiments ont été endommagés à la suite de l’incendie. L’assureur de la mère du mineur responsable a indemnisé le conseil général du département et il s’en est suivi une série de recours subrogatoires contre les autres responsables et leurs assureurs. Par un arrêt du 4 juin 2005, la cour d’appel de Pau (CA Pau, 4 juin 2015, n° 15/02312), a retenu la garantie de l’un des assureurs en estimant que la clause des conditions générales, excluant de la garantie les dommages occasionnés par les émeutes ou les mouvements populaires, ne pouvait s’appliquer en l’absence de spontanéité. Mais, la Cour de cassation a censuré cette analyse en affirmant que « l’absence de caractère spontané ne suffit pas à écarter la qualification d’émeute ou de mouvement populaire » au sens de l’article L. 121-8 du Code des assurances auquel se référait le contrat. Par sa décision, la Cour de cassation refuse donc de réserver la qualification d’émeute ou de mouvement populaire du droit des assurances aux actions spontanées et de l’écarter pour les actes programmés et planifiés. De prime abord, une telle solution ne s’imposait pas nécessairement puisque, dans le langage courant, l’émeute est définie comme « un soulèvement populaire généralement spontané et non organisé » (Le nouveau petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française : Dictionnaire Le Robert, 2003) ou comme le « trouble qui se forme dans la rue, commence par un rassemblement, et n’a d’abord ni chef ni dessein concerté » (P.-E. Littré, Dictionnaire de la langue française : Encyclopaedia Universalis, 2007). La spontanéité semble pouvoir être attachée à la notion d’émeute. Toutefois, l’idée d’une organisation n’est pas totalement exclue. Or, le langage juridique peut donner à un terme un sens différent ou plus précis que celui couramment retenu. Illustrant cette idée, la Cour de cassation affirme qu’une émeute au sens de l’article L. 121-8 du Code des assurances peut être spontanée ou, comme en l’espèce, organisée et planifiée. Outre le fait que la distinction entre le caractère spontané ou non d’un trouble intérieur pourrait donner lieu à de subtiles discussions et distinctions, cette solution peut paraître conforme à la conception législative et jurisprudentielle conférant un large domaine d’application à l’exclusion légale de l’article L. 121-8 du Code des assurances. D’un point de vue législatif, il est en effet manifeste que le légis- Page 2264 lateur a voulu saisir les différentes formes de troubles à l’ordre interne, quelle que soit leur gravité, en incluant, dans l’exclusion de garantie, les émeutes et mouvements populaires en plus de la guerre civile. Traditionnellement en droit des assurances (A. FavreRochex, G. Courtieu, Le droit du contrat d’assurance terrestre : LGDJ, coll. Droit des affaires, 1998, p. 258), une émeute est perçue comme le mouvement tumultueux d’une foule, avec des manifestations de violence, dirigé contre l’autorité et accompagné de revendications économiques, sociales ou politiques. Plus difficile à définir, la notion de mouvement populaire regrouperait toutes les manifestations violentes, concertées ou non, sans qu’il y ait nécessairement révolte contre l’ordre établi. Ainsi, une grève peut se transformer en mouvement populaire si elle donne lieu à des violences ou à des occupations d’usine (Cass. civ., 11 déc. 1942 : RGAT 1943, p. 161). En somme, il suffit que l’ordre public ne soit plus respecté pour que l’exclusion de garantie s’applique. Cette conception large des troubles intérieurs exclus de la garantie, sauf clause contraire, peut se justifier par les difficultés pour l’assureur d’appréhender ces risques dans leurs probabilités et leur ampleur et, partant, de déterminer le montant de la prime. Toute distinction entre les émeutes spontanées exclues de la garantie et les actions organisées couvertes par la garantie ne pourrait donc que contrarier cette analyse et susciter d’importantes difficultés techniques. D’un point de vue jurisprudentiel, la Cour de cassation a déjà pu conforter cette exclusion légale en refusant, dans plusieurs décisions relatives aux émeutes de novembre 2005, de l’écarter lorsque la garantie de l’assureur de responsabilité est recherchée sur le fondement de l’article L. 121-2 du Code des assurances, c’est-à-dire de la garantie du fait d’autrui (Cass. 2e civ., 22 nov. 2012, n° 1119.523. - Cass. 2e civ., 22 nov. 2013, n° 11-19.524 : JurisData n° 2012-026765 ; Resp. civ. et assur. 2013, comm. 73, H. Groutel ; RGDA 2013, p. 418, note L. Mayaux). En d’autres termes, la jurisprudence refuse de distinguer, pour la mise en œuvre de l’exclusion de l’article L. 121-8 du Code des assurances, entre la garantie du fait personnel et la garantie du fait d’autrui. L’inassurabilité technique de ces risques peut là encore justifier cette solution. S’inscrivant dans cette logique, l’arrêt du 17 novembre 2016 renforce une nouvelle fois cette exclusion de garantie. Cela étant, si l’exclusion légale des risques d’émeutes et de mouvements populaires a un large domaine d’application, il appartient à l’assureur de démontrer que l’acte dommageable se rattache bien à l’émeute. En l’espèce, ce lien de causalité semblait établi par des considérations tant matérielles qu’intentionnelles. Par leurs actes, concomitants aux émeutes dans les banlieues, les incendiaires paraissaient vouloir prendre part à ces troubles. LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 49 - 5 DÉCEMBRE 2016