Le jeu de rôle : une situation - problème en didactique des

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Le jeu de rôle : une situation - problème en didactique des
Le jeu de rôles : une situation - problème en didactique des mathématiques pour le
développement de compétences professionnelles
Caroline Lajoie et Richard Pallascio, professeurs
Département de mathématiques, UQAM
RESUME
Nous présentons une approche que nous avons développée pour un cours de didactique de
l’arithmétique au primaire et que nous avons expérimentée auprès de six groupes d’étudiant-e-s au
cours de la session d’automne 2000. Il s’agit de jeux de rôles, c’est-à-dire de mises en scène de
situations problématiques impliquant des personnages ayant un rôle donné. Les situations-problèmes
proposées étaient toutes réalistes, car susceptibles d’être rencontrées dans une classe du primaire.
Divers indicateurs ont été utilisés pour évaluer les apprentissages réalisés spécifiquement dans le
contexte des jeux de rôles.
INTRODUCTION
Le système scolaire québécois vit actuellement des changements importants. D’une approche par
objectifs, le curriculum de l’école primaire québécoise est passé récemment à une approche par
compétences et celui du secondaire suivra le pas sous peu. Ainsi, les élèves québécois seront
dorénavant appelés à développer leurs compétences transversales, comme par exemple « exercer son
jugement critique, étique et esthétique », « travailler en coopération » et « exploiter les TIC pour faire
des apprentissages », de même que leurs compétences mathématiques, comme par exemple « résoudre
une situation-problème », « déployer un raisonnement mathématique à l’aide d’un réseau de concepts
et de processus », « communiquer à l’aide du langage mathématique » et « apprécier la contribution de
la mathématique aux différentes sphères de l’activité humaine ». Les programmes de formation des
maîtres dans les universités québécoises vivent, eux aussi, des transformations importantes. En effet,
même si ceux-ci ont subi des transformations majeures au cours des dernières années, ils doivent être à
nouveau modifiés pour ternir compte des transformations en cours actuellement dans tout le système
scolaire. Un de ces changements importants auxquels les universités devront vraisemblablement
s'ajuster au cours des prochaines années est l’introduction dans la formation des maîtres d’une
approche favorisant le développement de compétences professionnelles, didactiques, pédagogiques et
disciplinaires.
Toutes ces modifications qui s’annoncent nous ont amenés à repenser la formation mathématique et
didactique que nous offrons aux étudiant-e-s du baccalauréat en éducation préscolaire et enseignement
primaire de l’UQAM. Nous présentons ici une approche que nous avons développée pour un cours de
didactique de l’arithmétique au primaire et que nous avons expérimentée auprès de six groupes d’une
quarantaine de personnes au cours de la session d’automne 2000. Les observations des étudiant-e-s ont
été recueillies grâce à un questionnaire écrit.
Lajoie, Caroline et Richard Pallascio (2001), Actes du colloque GDM (Groupe de didactique des
mathématiques du Québec), pp. 120 à 132.
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COMMENT DÉVELOPPER DES COMPÉTENCES PROFESSIONNELLES DANS UN
COURS DE DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES ?
Suivant un document ministériel sur la formation à l'enseignement (MEQ, 2001, pp. 50-53), une
compétence professionnelle se déploie en contexte professionnel réel, elle se situe sur un continuum
qui va du simple au complexe, elle se fonde sur un ensemble de ressources, elle se situe dans l’ordre
du savoir-mobiliser en contexte d’action professionnelle, elle se manifeste par un savoir-agir réussi,
efficace, efficient, récurrent, elle est liée à une pratique intentionnelle et elle est un projet, une finalité
sans fin.
Ainsi, quelques-unes des compétences professionnelles attendues des futurs enseignants sont :
concevoir et piloter des situations d’enseignement-apprentissage pour les contenus enseignés et ce, en
fonction de la clientèle concernée et en vue du développement des compétences visées par les
programmes de formation, évaluer la progression des apprentissages et le degré de maîtrise des
compétences des élèves pour les contenus enseignés, adapter ses interventions aux besoins et aux
caractéristiques des clientèles présentant des difficultés d’apprentissage, de comportement ou un
handicap.
Le nouveau curriculum de l’école québécoise, de même que les modifications qui s’annoncent dans
les programmes de formation des maîtres, nous ont forcés à amorcer une réflexion en profondeur sur
les apprentissages que devront réaliser nos étudiant-e-s dans les cours de didactique des
mathématiques. En particulier, nous nous sommes demandé comment les étudiant-e-s pourraient être
amenés à développer leurs compétences professionnelles dans nos cours de didactique des
mathématiques, et en particulier dans quels contextes ils devraient être placés pour développer ces
compétences. Nous avons retenu différents contextes: un contexte « réel » d’intervention auprès
d’élèves (par le biais de deux expérimentations auprès d’enfants), un contexte « virtuel »
d’intervention (par le biais d’un forum de discussion avec des élèves sur Internet), et un contexte
« réaliste » d’intervention par le biais de simulations, c’est-à-dire par les jeux de rôles.
LE JEU DE RÔLES: UNE SITUATION-PROBLÈME EN DIDACTIQUE DES
MATHÉMATIQUES
Le jeu de rôles est la mise en scène d’une situation problématique impliquant des personnages ayant
un rôle donné. Le jeu de rôles peut être utilisé à des fins thérapeutiques, de formation personnelle, de
formation professionnelle, ou encore comme méthode pédagogique (Mucchiellli, 1983, p. 3). L’idée
derrière le jeu de rôles est que des personnes, par exemple des étudiant-e-s, doivent se glisser dans la
peau de personnages plongés dans une situation donnée et agir exactement comme ils croient que ces
personnages pourraient agir. L’objectif du jeu de rôles, lorsque utilisé dans l’enseignement, est
d’amener les étudiants-acteurs, de même que tout le reste de la classe, à apprendre quelque chose à
propos des personnages eux-mêmes et/ou de la situation (van Ments, 1989, p. 16).
Notre cours de didactique de l’arithmétique s’articule autour de douze jeux de rôles différents.
Chaque jeu de rôles est structuré de la même manière. En tout premier lieu, les étudiant-e-s, placés en
équipes de quatre, sont informés des principaux objectifs du jeu de rôles. Puis, une mise en situation
est posée, laquelle présente une situation-problème qui implique généralement des élèves et un-e
enseignant-e du primaire et qui appelle une solution. Une fois la situation posée, toutes les équipes se
préparent pour le jeu de rôles, en ne sachant pas à l’avance si un de ses membres devra jouer le rôle
d’un élève ou d’un-e enseignant-e devant toute la classe. Des activités préalables sont parfois
proposées aux équipes en guise de préparation. De plus, des consignes didactiques sont généralement
données (par écrit ou oralement) aux équipes pour les aider à résoudre la situation-problème. Aussi, il
arrive que les étudiant-e-s aient un article de recherche (portant sur un ou des concepts mathématiques,
sur des conceptions d’élèves, sur des erreurs, etc.) à lire avant la rencontre. Par la suite, le professeur
Lajoie, Caroline et Richard Pallascio (2001), Actes du colloque GDM (Groupe de didactique des
mathématiques du Québec), pp. 120 à 132.
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ou la professeure choisit les équipes qui devront envoyer une personne pour jouer le rôle d’un-e
enseignant-e ou d’un élève, et fait en sorte que les différents acteurs proviennent d’équipes différentes,
de manière à éviter que le jeu devienne un sketch où tous les acteurs sont arrangés entre eux (ce qui ne
reflèterait aucunement le contexte d’une classe du primaire). Enfin, le jeu a lieu et un retour est fait sur
la prestation de chacun, sur la situation, de même que sur les apprentissages réalisés par tous les
étudiant-e-s grâce au jeu de rôles en question.
Globalement, les jeux de rôles ont été préparés dans le but d'amener les étudiants et étudiantes à :
réfléchir aux contenus arithmétiques à être enseignés au primaire et aux compétences à être
développées chez les élèves ; réfléchir sur leur propre compréhension des concepts mathématiques et à
leur propre maîtrise de certaines compétences; analyser des raisonnements à partir de productions
d'élèves et élaborer des stratégies d'intervention visant à amener les élèves à raffiner leur
compréhension; juger de la pertinence d’une situation d’enseignement-apprentissage face au
développement d’une compétence (transversale ou disciplinaire) donnée et/ou à l’enseignement d’un
sujet mathématique donné et proposer des améliorations s’il y a lieu; juger de la pertinence de
certaines approches pédagogiques et de certains matériels didactiques face au développement d’une
compétence (transversale ou disciplinaire) donnée et/ou à l’enseignement d’un sujet mathématique
donné et proposer des améliorations s’il y a lieu; anticiper des réactions d’élèves dans une situation
donnée et intervenir en respectant ces réactions, etc. Aussi, les étudiant-e-s sont amenés à travailler en
coopération, à prendre des décisions, à développer une certaine autonomie, à débattre leurs idées dans
leurs équipes et devant toute la classe, à communiquer mathématiquement, à faire face à l’imprévu,
etc.
Au cours de cette première année d’expérimentation des jeux de rôles, divers moyens d’évaluation
ont été utilisés pour évaluer les apprentissages réalisés spécifiquement dans le contexte des jeux de
rôles : une évaluation par les pairs de l’ensemble des apprentissages réalisés dans le contexte des jeux
de rôles; une évaluation par le ou la professeur-e de la prestation de chaque étudiant-e dans le rôle
d’un-e enseignant-e; une auto-évaluation par chaque étudiant-e de l’ensemble des apprentissages
réalisés dans le contexte des jeux de rôles; une évaluation plus traditionnelle réalisée à l’aide d’un
examen écrit.
Premier exemple de jeu de rôles
Ce premier exemple de jeu de rôles vise à entraîner les futurs maîtres à recourir au questionnement
pour amener des élèves à répondre à diverses questions qu’ils se posent en mathématiques ou sur les
mathématiques. Dans un premier temps, des questions d’enfants sont présentées aux futurs maîtres.
Les questions suivantes en sont des exemples: « Est-ce qu’on peut inventer un nouveau nombre? » (6-8
ans) ; « Pourquoi la division de 5 par 0 donne-t-elle l’infini? » (10-12 ans). Dans un deuxième temps,
les équipes examinent ces questions, tentent d’y répondre, discutent des questions à poser pour amener
des élèves à y répondre, etc. Pour ce faire, elles ont accès à des exemples de questions visant à:
demander une clarification, éveiller la réflexion ou l’esprit critique, inciter à la recherche d’une
solution et favoriser une pensée divergente. Dans un troisième temps, le jeu de rôles proprement dit a
lieu. Chaque « enseignant-e » désigné-e a quelques minutes pour faire progresser un « élève » désigné
sur une des questions.
La confrontation des conceptions des élèves est à notre avis un moyen à privilégier dans
l'enseignement des mathématiques. Or pour être en mesure de confronter les conceptions de ses élèves,
l’enseignant-e doit connaître ces conceptions. Aussi, il ou elle doit être conscient-e de ses propres
conceptions ! Le jeu de rôles décrit précédemment permet justement aux futurs maîtres de clarifier
leurs propres conceptions, puis de discuter de celles que peuvent avoir les élèves du primaire. Par la
première question, par exemple, différentes conceptions des mathématiques sont susceptibles de se
manifester et d’être examinées, comme par exemple une à l’effet que les mathématiques sont
Lajoie, Caroline et Richard Pallascio (2001), Actes du colloque GDM (Groupe de didactique des
mathématiques du Québec), pp. 120 à 132.
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prédéterminées à l’être humain, qu’elles n’ont qu’à être apprises par cœur, ou encore une autre à l’effet
que les mathématiques sont une construction de l’esprit humain à travers les siècles et que tous et
toutes peuvent participer à cette construction. La deuxième question permet quant à elle aux futurs
maîtres de prendre conscience de leurs propres conceptions de l’opération de division, du nombre
« zéro » et du concept d’infini, et de comparer ces conceptions avec celles que peuvent avoir des
élèves du primaire.
Les mathématiques offrent de multiples possibilités de développer des compétences transversales,
comme par exemple la pensée critique, la pensée créative, l’argumentation et la communication. Une
discussion comme celle qui s’engage entre un-e enseignant-e et ses élèves autour d’une question
ouverte que se posent un ou des élèves est une occasion pour tous les élèves de développer de telles
compétences. Bien entendu, l’enseignant-e doit être en mesure de saisir au vol les questions de ses
élèves et il ou elle doit se sentir suffisamment en confiance pour en discuter avec eux et pour les
amener à donner un sens aux mathématiques et à leurs apprentissages.
Deuxième exemple de jeu de rôles
Les difficultés rencontrées par les élèves du primaire alors qu’ils s’approprient la notion de fraction
sont bien connues. Elles ont d’ailleurs été abondamment traitées dans la littérature (par exemple,
Boulet, 1998). Ce deuxième exemple de jeu de rôles a pour but d’amener les futurs maîtres à
distinguer différents types d’erreurs commises en contexte d’utilisation des fractions et à intervenir
auprès d’élèves qui auraient pu commettre ces erreurs. Les consignes sont claires: les étudiant-e-s
doivent se concentrer sur des interventions qui partent des erreurs des enfants et de leurs
raisonnements pour les amener à élaborer des solutions appropriées.
Dans un premier temps, des problèmes accompagnés de solutions erronées sont proposés aux
équipes. Par exemple, le problème suivant, qui comporte en fait deux parties, est proposé. La première
partie va comme suit: « Parmi les deux mélanges suivants, quel est celui qui goûtera le plus le jus
d’oranges: le mélange 1 (1 verre de jus et 2 verres d’eau) ou le mélange 2 (2 verres de jus et 4 verres
d’eau)? »1. La seconde va comme suit: « Quel mélange va-t-on obtenir si on verse les deux mélanges
dans un grand contenant ? ». La solution proposée à la partie 1 est: « Dans le mélange 1 j’ai 1 verre
d’eau de plus. Dans le mélange 2 j’ai 2 verres d’eau de plus. C’est donc le mélange 1 qui va goûter
plus le jus ». Celle proposée à la seconde est: « 1/3 + 2/6 = 2/6 + 2/6 = 4/6 ». Dans un deuxième temps,
les équipes se préparent. Il est à remarquer que ce jeu de rôles est susceptible de déstabiliser dès le
départ les étudiant-e-s puisque, en apparence très simple, il risque fort de les heurter à leurs propres
limites dans la compréhension de la proportionnalité et des fractions. Ce déséquilibre est voulu. Il vise
à les inciter à s’investir le plus possible dans la préparation du jeu. Dans un troisième temps, le jeu de
rôles a lieu. Chaque « enseignant-e » désigné-e doit amener un « élève » désigné à résoudre
correctement le problème en suivant un certain nombre de consignes didactiques.
Les erreurs fournissent généralement des indices du parcours privilégié par l’élève qui apprend.
Elles peuvent aussi permettre de mieux saisir la nature du ou des concepts mathématiques à l’étude
(Borasi, 1987, p. 43). La situation décrite précédemment fait intervenir ces deux « fonctions » de
l’erreur. D’une part, cette situation amène l’étudiant-e à prendre conscience d’un type de raisonnement
courant qui peut faire obstacle à la compréhension de la proportionnalité chez les élèves  le
raisonnement additif  et elle le place devant une tendance qu’ont les élèves du primaire à réagir
machinalement devant un problème impliquant les fractions (tendance abondamment décrite, par
exemple par Hart, 1981 et Ohlsson, 1988). D’autre part, elle amène l’étudiant-e à examiner la fraction
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Cette première partie du problème s'inspire d'une expérience relatée par Côté et Noëlting (1971).
Lajoie, Caroline et Richard Pallascio (2001), Actes du colloque GDM (Groupe de didactique des
mathématiques du Québec), pp. 120 à 132.
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prise dans le sens de rapport et à examiner l’addition de fractions dans un tel contexte (pour une
analyse approfondie de l’addition des rapports, le lecteur pourra consulter Mochon, 1993).
DISCUSSION
Les jeux de rôles nous ont semblé être un excellent moyen de susciter la réflexion chez les étudiante-s, tant sur les concepts mathématiques, sur l’enseignement de ceux-ci que sur leur apprentissage. Le
mode de fonctionnement adopté pour la préparation des jeux de rôles en équipes a permis aux
professeurs d’observer les étudiant-e-s - leurs apprentissages, leur progression -, d’intervenir au
besoin, soit auprès d’une équipe en particulier ou de tout le groupe, de répondre aux questions,
d’apporter des ajustements, etc. Les prestations orales aussi ont permis d’observer une certaine
progression chez les futurs maîtres, en particulier en ce qui a trait à leurs capacités à analyser un
raisonnement d’enfant à partir de ses réponses, à accepter l’erreur comme étant une étape normale du
processus d’apprentissage, et à intervenir en tenant compte des conceptions initiales de l’élève.
Les jeux de rôles ont amené les futurs enseignant-e-s à travailler dans un contexte professionnel
simulé mais tout de même réaliste. Les situations-problèmes proposées étaient toutes réalistes en ce
sens qu’elles pourraient être rencontrées dans une classe du primaire. Plusieurs étudiant-e-s ont
d’ailleurs souligné que ce réalisme avait été pour eux une grande source de motivation. Cependant, du
fait que les personnages d’élèves ont été joués par des adultes, plusieurs personnes ont émis des
réserves à savoir si les réactions des acteurs étaient elles-mêmes vraiment réalistes. D’ailleurs,
plusieurs personnes ont admis avoir du mal à se glisser dans la peau d’élèves du primaire. Or les rôles
d’élèves sont presque aussi importants que ceux des enseignant-e-s puisque le jeu dépend dans son
déroulement des gestes et des réactions de tous les acteurs.
Le travail de préparation en équipes restreintes a fait en sorte qu’en général les étudiant-e-s se sont
impliqués davantage qu’ils ne l’auraient fait dans un environnement plus traditionnel d’enseignement
universitaire. D’ailleurs, chaque équipe se sentait responsable de bien préparer chacun des jeux de
rôles puisque d’une fois à l’autre, elle ne savait pas si elle serait choisie pour envoyer un acteur devant
la classe.
Les jeux de rôles ont forcé les futurs enseignants, lorsqu’ils devaient jouer le rôle d’un-e enseignante ou celui d’un élève, à négocier avec l’imprévu, ce que doit faire tous les jours un enseignant du
primaire dans sa classe. En effet, comme les acteurs ne se préparaient ensemble, il est arrivé à
plusieurs reprises que les réactions des « élèves » lors du jeu devant la classe ne soient pas celles qui
avaient été prévues par les « enseignant-e-s » lors de leur préparation en équipe. Les professeur-e-s ont
donc pu observer la capacité de chaque personne à tenir en compte les réactions des autres acteurs,
même si celles-ci n’avaient pas été anticipées. Souvent cela donnait aussi l’occasion au professeur ou à
la professeure de voir avec quelle aisance les étudiant-e-s maîtrisent le contenu mathématique à
enseigner au primaire. Certains étudiant-e-s de leur côté ont eu du mal à intervenir dans un tel
contexte. Plusieurs se sont dit d’ailleurs déçus de leur prestation. Le sentiment de ne pas être tout à
fait maîtres de la situation a été vécu par plusieurs comme un sentiment de frustration. Certaines
personnes ont même avoué qu’elles auraient préféré que les acteurs d’un jeu de rôles se préparent tous
ensemble, de manière à éviter les imprévus.
Avant l’expérimentation, le jeu de rôles nous apparaissait être un moyen d’évaluation intéressant
puisqu’il allait nous permettre d’observer certaines manifestions de compétences professionnelles,
lesquelles nous seraient inaccessibles autrement. Nous avons constaté assez tôt que l’évaluation de la
prestation par le ou la professeur-e engendrait un stress dont nous avions mal mesuré l’ampleur. Ce
stress, ajouté à celui inhérent à une prestation devant les pairs, a fait en sorte que plusieurs étudiant-e-s
ont eu une appréciation globale des jeux de rôles peut-être moins favorable qu’elle ne l’aurait été
autrement. D’ailleurs, le principal point négatif soulevé par les étudiant-e-s concerne l’évaluation des
Lajoie, Caroline et Richard Pallascio (2001), Actes du colloque GDM (Groupe de didactique des
mathématiques du Québec), pp. 120 à 132.
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prestations individuelles par le ou la professeur-e. Les étudiant-e-s auraient préféré que la prestation
individuelle ne soit pas utilisée comme moyen d’évaluation.
CONCLUSION ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE
La citation suivante provient du document du MEQ sur la formation à l'enseignement (MEQ, 2001) :
« Cette contrainte du contexte d’action professionnelle exige que, dans le vif de l’action, la personne
compétente sache interpréter les exigences et les contraintes de la situation, sache identifier les
ressources disponibles et sache faire une action en intégrant, en combinant, en orchestrant ces
ressources de manière pertinente et efficace par rapport à la situation donnée. La compétence n’est pas
de l’ordre de l’application mais de celui de la construction. Cette décision d’action sur le vif exige du
jugement, un sens de l’à propos et de la sagacité. L’enseignante ou l’enseignant peut alors être vu
comme un interprète au sens où il lit la situation d’une certaine manière, lui donne une signification,
et, au besoin, s’adapte, invente ou improvise pour y faire face (MEQ, 2001, p. 52) ».
Ce qui précède semble aller à l’encontre des commentaires que font les personnes qui veulent se
préparer à l’avance, qui veulent que le situation soit encore plus contrôlée pour que, entre autres, les
« élèves » et les « enseignant-e-s » se préparent ensemble pour leur présentation.
Cela va à l’encontre d’un autre commentaire des étudiant-e-s à l’effet qu’ils voudraient qu’on leur
« montre » davantage comment enseigner, qu’on laisse davantage de place à des présentations
magistrales où on leur dirait comment enseigner. Plusieurs ont en effet l’impression d’être restés avec
des « doutes », des « incertitudes » et ils reconnaissent qu’ils auraient souhaité que leur professeur-e
leur présente les « bonnes » façons de faire, comme si les situations-problèmes didactiques proposées
admettaient de « bonnes » réponses. D’autres sont même allés plus loin en proposant de laisser moins
de place aux jeux de rôles pour « donner » plus de théorie et « montrer » davantage comment
enseigner les mathématiques au primaire. Ces remarques pourraient être représentatives d’une
conception suivant laquelle la didactique des mathématiques doit fournir des recettes, qu’elle doit
apporter des solutions toutes faites à des problèmes en quelque sorte prévisibles. Les jeux de rôles
vont bien entendu à l’encontre de cette conception mais il semble que cette dernière ait persisté chez
certaines personnes.
En formation des maîtres, nous avons le double défi de tenir compte dans notre enseignement des
différentes conceptions de nos étudiant-e-s, non seulement leurs conceptions des mathématiques et de
leur apprentissage mais aussi leurs conceptions de l’enseignement, et de les amener à modifier ces
conceptions si elles sont inadéquates. Ce double défi apparaît énorme, d’autant plus que certaines
études récentes (en particulier Kagan, 1992) suggèrent que les croyances des futurs enseignant-e-s et
leurs conceptions antérieures à leur formation initiale demeurent généralement inchangées suite à leur
formation, et même qu’elles persistent lors de leur pratique en classe. En ce qui nous concerne, nous
avons l’impression que les jeux de rôles permettent une certaine évolution des conceptions chez nos
étudiants et étudiantes, du moins chez plusieurs d’entre eux. Nous souhaitons examiner de plus près ce
phénomène dans les années à venir.
REFERENCES
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Concept. Focus on Learning Problems in Mathematics, 20(4), p. 19-34.
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