L`unité d`ortho-gériatrie
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L`unité d`ortho-gériatrie
perspective L’unité d’ortho-gériatrie : mariage de raison entre orthopédiste et gériatre ? Quand elle survient chez le patient âgé, la fracture de hanche peut avoir des conséquences dramatiques, souvent synonyme de décès à une année ou de grave handicap amenant à une institutionnalisation. L’instauration d’une collaboration étroite entre orthopédiste et gériatre se concrétise dans la création d’une unité dite d’orthogériatrie, où les rôles de chacun sont précisément définis de l’admission à la sortie, avec la mise en place de protocoles de soins standardisés et d’échanges interdisciplinaires réguliers pour chaque patient. Après revue de la littérature, les bénéfices de cette prise en charge sont mis en lumière dans cet article sous la forme d’une amélioration du score fonctionnel à trois mois, d’une diminution de la mortalité intrahospitalière et des complications médicales postopératoires. Rev Med Suisse 2010 ; 6 : 2094-9 M. Coutaz J. Morisod Drs Martial Coutaz et Jérôme Morisod Centre Hospitalier du Chablais Département de gériatrie Réseau Santé Valais 1890 St-Maurice Orthogeriatric unit : a marriage of convenience between orthopaedic surgeon and geriatrician ? Hip fracture in the elderly can be associated with dramatic issues like death in the year or severe handicap requiring admission in a nursing home. Implementation of a close cooperation be tween orthopaedic surgeon and geriatrician materialize in the creation of unit, known as orthogeriatric unit where the roles of each member are precisely defined from admission to discharge, with coordinated care protocols and standardized orders. Benefits of the orthogeriatric ward are clarified in this paper, referring to literature, with description of an improvement of functional score after 3 months, reduction of in-hospital mortality and post-operative complications. 2094 introduction En dépit de l’évolution et des progrès de la médecine, en particulier liés à la chirurgie orthopédique et à l’anesthésie, la survenue d’une fracture, notamment de l’extrémité proximale du fémur, s’accompagne d’une augmentation importante de la morbidité et de la mortalité chez le sujet âgé.1 Durant ces trente dernières années, différents modèles de prise en charge du patient âgé, victime d’une fracture, ont été imaginés, généralement basés sur les interventions combinées des équipes d’orthopédie et de gériatrie, tentant de définir la meilleure stratégie de prise en charge. Après revue de la littérature, il en ressort qu’une unité intégrant les soins orthopédiques et gériatriques, unité de type «ortho-gériatrique» semble être la plus prometteuse pour les personnes âgées présentant une fracture de hanche, en termes d’amélioration du score fonctionnel à trois mois, de réduction de la mortalité intrahospitalière et de survenue de complications médicales post-chirurgie.2-6 l’unité d’ortho-gériatrie L’unité d’ortho-gériatrie doit être perçue comme un modèle de soins intégrés dans une approche multidisciplinaire à l’aide d’une équipe pluridisciplinaire regroupant le médecin-gériatre, le chirurgien-orthopédiste, l’infirmière responsa ble des malades, le physiothérapeute, l’ergothérapeute, la diététicienne et l’infirmière de liaison. Les objectifs principaux de cette équipe sont la réduction de la mortalité précoce et tardive, la restauration et le maintien du niveau antérieur de mobilité dans les activités de la vie quotidienne (AVQ) et l’indépendance à domicile. Les objectifs secondaires visent la diminution de la durée du séjour et du nombre de complications post-fracture. Le mode de travail et d’intervention de cette équipe pluridisciplinaire se base sur un protocole de soins et d’ordres standardisés incorporant des programmes favorisant la récupération rapide et la diminution de la mortalité en s’appuyant Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 3 novembre 2010 essentiellement sur quelques facteurs-clés :1-3,5-7 • Chirurgie précoce (au cours des premières 24 heures après la fracture : diminution des thromboses veineuses profon des et des ulcères de pression, augmentation du score fonctionnel à trois mois).1 • Mobilisation précoce le premier jour après l’opération.8 • Prévention et prise en charge du delirium.9-11 • Dépistage et traitement de la malnutrition.4,10 • Analyse du traitement médicamenteux.10,12-14 • Prévention et prise en charge systématique de la douleur.3,15,16 Une approche multidisciplinaire assimilant les différen tes évaluations propres à chaque membre de l’équipe permet, d’une part, de mieux cibler les objectifs à attein dre, et d’autre part d’identifier au plus vite les sujets âgés fragilisés afin de rétablir leur indépendance le plus tôt possible (récupération du score fonctionnel présent avant la fracture).1,5,7,17,18 les modèles d’unité d’ortho-gériatrie Différents modèles ont été développés, basés principalement sur une approche globale et multidisciplinaire Préopératoire Postopératoire dans laquelle le gériatre joue un rôle central (figure 1). La prise en charge d’un patient âgé présentant une fracture de hanche se divise essentiellement en quatre éta pes : la phase préopératoire, la phase postopératoire immé diate, la phase initiale de rééducation et la phase tardive de rééducation.2,3 La plupart des unités de prise en charge du sujet âgé, victime d’une fracture, qui sont décrites dans la littérature sont limitées à l’une ou l’autre de ces phases, le gold standard (une seule unité intégrant les quatre phases) ne pouvant que rarement être mis en pratique en raison de contraintes administratives et économiques : quel remboursement assécurologique de l’intervention chirurgicale peut-on envisager par exemple, s’il y a transfert immédiat des urgences dans le service de gériatrie ? En outre, il n’existe pas de modèle type «evidence based medicine» sur ce thème, car à ce jour les études randomisées sont très rares, les modèles trop hétérogènes avec très peu d’études cas-contrôles. Dans un modèle enrôlant la collaboration (à raison de 2x/semaine) d’une équipe interdisciplinaire (telle que décrite plus haut) dès le postopératoire, Naglie 17 ne dépeint aucun bénéfice significatif (en termes de score fonctionnel et de maintien dans le lieu de vie antérieur) comparé à Rééducation initiale Rééducation tardive Unité d’orthopédie Unité de réhabilitation – Consultant de médecine Unité d’orthopédie Unité de réhabilitation – Consultation quotidienne de l’équipe gériatrique Unité d’orthopédie Unité de réhabilitation ortho-gériatrique – Soins coordonnés orthopédiques et gériatriques – Consultant d’orthopédie Unité d’orthopédie Unité gériatrique – Consultant de gériatrie – Consultant d’orthopédie Unité de gériatrie et de réhabilitation – Consultant d’orthopédie Figure 1. Modèles d’unités de prise en charge du patient avec fracture de hanche (Adapté de réf.3). 2096 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 3 novembre 2010 Unité de réhabilitation une prise en charge habituelle (service d’orthopédie avec consultation de médecine interne sur appel) après trois et six mois d’observation (étude randomisée). Avec le même type d’approche, Khasraghi 6 présente de meilleurs résultats puisque l’intervention d’une équipe interdisciplinaire permet une diminution du délai opératoire et de l’incidence des complications médicales, ainsi que de la durée de séjour (étude observationnelle). Adunsky 19 compare un modèle assimilant la prise en charge des quatre étapes dans une seule unité de gériatrie à un modèle ortho-gériatrique (service d’orthopédie, trans fert rapide après l’opération dans un service de gériatrie avec équipe interdisciplinaire) ; les patients sont traités avec l’appoint d’un consultant d’orthopédie sur un seul site comprenant le préopératoire, le postopératoire et la réhabilitation. La prise en charge est effectuée durant tout le séjour par le team gériatrique, complétée par la visite quotidienne du chirurgien jusqu’à la cicatrisation de la plaie. Même s’il s’agissait d’une étude non randomisée (distribution dans les unités en fonction des places disponibles) et s’il n’y a pas eu d’évaluation du coût du système, cette étude est prometteuse puisqu’elle démontre la diminution du taux de complications majeures et de la mortalité intrahospitalière, le succès de la réhabilitation (basé sur le score fonctionnel moteur) multiplié par 2, et une réduction du séjour hospitalier de cinq jours. La consultation occasionnelle (ou sur demande) du gériatre dans le service d’orthopédie est remplacée dans de très nombreuses études par un modèle de soins rapprochant l’intervention conjointe du chirurgien et du gériatre (responsables respectivement des soins chirurgicaux et des soins médicaux, et prenant en charge mutuellement le patient).2,3,5,7,20,21 Les gains de ce type de prise en charge sont réels puisqu’on note une réduction significative de la mortalité précoce et tardive. Dès l’admission du patient, cette prise en charge implique une approche coordonnée entre l’orthopédiste et le gériatre, avec attribution précise des responsabilités, ce qui impose des échanges et des colloques multidisciplinaires réguliers. Selon Incalzi,2 il s’agit plus d’un «thinking process more than a working model», c’est-à-dire que la réflexion précède et inspire l’action, chaque soin entrepris devant contribuer à rendre le patient le plus indépendant possible. En conclusion, une unité d’ortho-gériatrie implantée géographiquement dans le service d’orthopédie, où sont prodigués des soins gériatriques de l’admission jusqu’à la sortie, paraît être le modèle d’unité le plus efficace et le plus facilement réalisable un peu partout dans le monde, avec un bon rapport coût-bénéfice.2 l’unité d’ortho-gériatrie de pointe : quelques outils d’intervention Les principes de soins doivent s’appuyer sur des protocoles standardisés connus pour réduire l’incidence et améliorer la prise en charge à la fois des complications majeures intrahospitalières et des syndromes gériatriques présentés par les patients avec fracture de hanche.3 Ces protocoles de soins doivent être coordonnés dès l’entrée du patient jusqu’à son départ, également après le transfert dans un autre service (tableaux 1 et 2).2 La prévention et le traitement du delirium représentent une importante part de cette démarche, puisqu’il survient fréquemment en phase postopératoire (15 à 53% des patients) chez les sujets hospitalisés de plus de 65 ans, entraînant une mortalité intrahospitalière associée comprise entre 22 et 76%.11 La prévention du delirium conduit à des résultats parti culièrement favorables chez les patients atteints de troubles cognitifs. Plusieurs études randomisées l’ont démontré chez des patients opérés d’une fracture de hanche avec l’intervention d’une consultation gériatrique proactive prenant en compte les facteurs de risque du delirium pré- ou postopératoire.9-12 Signalons que la mise en route prophylacti que d’une médication à base d’halopéridol ne permet certes pas une réduction significative de l’incidence du delirium postopératoire, mais diminue sa durée et sa sévérité et raccourcit le séjour hospitalier.22 Une douleur méconnue est également une cause fréquente de delirium ; ainsi une antalgie systématique devrait être administrée en postopératoire, avec l’utilisation standardisée des échelles d’évaluation de la douleur par l’équipe infirmière.2,15,16 La revue systématique du traitement médicamenteux est aussi une mesure tout à fait efficace de prévention du delirium ; dans la mesure du possible toute médication à effet anticholinergique, antihistaminique ou hypnotique sera évitée, Tableau 1. Etapes-clés pour la prise en charge du sujet âgé avec fracture de hanche (Adapté de réf.3). ProcessusObjectifs Prise en charge •Pour la majorité (réduire le pourcentage de chirurgicale traitement conservateur à moins de 4%) Délai opératoire •Opération dans les 24-48 h (sauf contre-indications médicales) Mobilisation •Début au premier jour postopératoire •En charge pour la plupart des patients Modèle de soins •Offrir une approche coordonnée dès l’admission intégrés jusqu’au départ •Différencier les responsabilités parmi les professionnels •Organiser des colloques multidisciplinaires réguliers Soins hospitaliers •Mise en place de procédures médicales type «evidence-based medicine» : thromboprophylaxie, prévention des ulcères de pression, antibiothérapie prophylactique •Evaluation gériatrique multidimensionnelle •Développement d’un protocole de prévention et de traitement du delirium •Evaluation (échelles) et traitement systématique des douleurs •Stratégies de prévention de l’incontinence •Evaluation du status nutritionnel et apport complé mentaire en protéines •Contrôle de l’hémoglobine et de la saturation en oxygène Projet •Planification du projet (retour à domicile ?) tôt après l’admission Rééducation •Garantir un programme de réhabilitation à tous les patients, en incluant les patients avec des troubles cognitifs •Approche par un travail d’équipe multidisciplinaire Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 3 novembre 2010 2097 Tableau 2. Interventions médicales de routine dans une unité aiguë d’ortho-gériatrie (Adapté de réf.2). Interventions médicales Gazométrie Objectifs/Problèmes liés Mise en évidence : hypoxémie méconnue, désordre acido-basique, embolie pulmonaire Dépistage des Sélectionner avec l’anesthésiste et l’orthopédiste le troubles cognitifs type d’anesthésie diminuant le risque de détérioration cognitive postopératoire Correction de la La déshydratation (hyperazotémie ou hypotension déshydratation et orthostatique) est associée à une prolongation de la des troubles durée de séjour électrolytiques Inspection quotidienne des membres inférieurs Recherche des signes précoces de thrombophlébite Evaluation de la fonction rénale Estimer le taux de filtration glomérulaire par les formules MDRD ou de Cockroft-Gault et ajuster la prescription des médicaments en fonction des résultats Prévention de la constipation et du météorisme Eviter toute compression du diaphragme favorisant l’atélectasie et les infections pulmonaires Dépistage des Prévention de l’agitation et du delirium effets médicamenteux indésirables voire stoppée. On s’attachera également à rechercher les interactions médicamenteuses en raison de la polymédica tion fréquente dans la population âgée, et on adaptera tou jours le traitement médicamenteux à la fonction rénale.12-14 Pour chaque patient, le dépistage d’une éventuelle anémie sera entrepris et on s’attachera à la corriger par d’éventuelles transfusions, en visant une hémoglobine de 8 à 10 g/100 ml en fonction des différentes comorbidités (cardiopathie ischémique et maladies cardiovasculaires).3,12 La prescription systématique d’oxygène est également recommandée dans les six heures postopératoires ainsi que durant les deux premières nuits qui suivent l’opération.2,3 On s’intéressera aussi à traiter la déshydratation ou la surcharge liquidienne postopératoire en essayant de maintenir une tension artérielle systolique à plus de 90 mmHg, tout en corrigeant les désordres électrolytiques (hyponatrémie, hypokaliémie).2 La régularisation du transit intestinal et urinaire, ainsi qu’une prise nutritionnelle adéquate sont autant de facteurs permettant une évolution favorable, notamment dans la récupération fonctionnelle.2,3,6,18 Une supplémentation méthodique en protéines, en calcium et en vitamine D sera entreprise ainsi que l’initiation d’un traitement antirésorption osseuse.23-26 L’évaluation gériatrique multidimensionnelle permettra également de réduire le risque de chute ultérieure en intervenant si possible sur plusieurs facteurs, comme par exemple les médicaments hypotenseurs ou psycho-actifs, l’utilisation correcte des moyens auxiliaires de marche, la prescription de lunettes adaptées, l’encouragement à la pratique d’une activité physique.14 conclusion Si le rapprochement des orthopédistes et des gériatres ne débouche pas forcément sur un mariage, les avantages d’une collaboration plus étroite basée sur une interaction définie de leurs responsabilités dans la prise en charge du patient âgé fracturé apparaissent multiples. Cela a conduit nos collègues britanniques à publier un livre commun de bonne pratique clinique basée sur des recommandations de type «evidence based medicine» pour la prise en charge du patient âgé avec fracture de hanche : «The Blue Book».27 Grâce à la standardisation des processus de soins, la mise en place d’une unité d’ortho-gériatrie peut clairement amener à une réduction de la morbidité et de la mortalité postopératoire, précoce et tardive. Implications pratiques > Dès l’admission du patient, l’unité d’ortho-gériatrie s’appuie sur l’approche coordonnée d’une équipe multidisciplinaire comprenant le gériatre, l’orthopédiste, l’équipe de soins infirmiers, le physiothérapeute, l’ergothérapeute, la diététicien ne et l’infirmière de liaison > Les processus-clés du bon fonctionnement d’une unité d’or- tho-gériatrie sont : la chirurgie précoce, la mobilisation en charge au premier jour postopératoire, la prévention et la prise en charge du delirium, le dépistage et le traitement de la malnutrition, l’analyse du traitement médicamenteux, la prévention et la prise en charge systématique de la douleur > La prise en charge du sujet âgé présentant une fracture de hanche dans une unité d’ortho-gériatrie améliore le score fonctionnel à trois mois, réduit les complications et la mortalité intrahospitalière Bibliographie 1 Abrahamsen B, et al. Excess mortality following hip fracture : A systematic epidemiological review. 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