- Dōjō Zen de Garches- Evreux – Caen Sesshin des 10 et 11

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- Dōjō Zen de Garches- Evreux – Caen Sesshin des 10 et 11
 Dōjō Zen de Garches- Evreux – Caen
Sesshin des 10 et 11 novembre 2013 à Soligny La Trappe
– Gōdō : Luc Sōjō Bordes
Premier Kusen :
Pour zazen, la posture est à la fois une pyramide forte et droite et un roseau souple et
délicat ; le socle de la posture, très stable, appuyé sur les deux genoux et le zafu, la colonne
est tirée et pousse le ciel, les épaules relâchées, comme effacées. Relâchez bien l’abdomen
au niveau des mains de façon à laisser la respiration se faire à la fois librement et
amplement, permettant ainsi à l’expiration de s’allonger ; quand Kodo Sawaki parlait de la
respiration, il disait que la sensation de la respiration, c’est un peu comme ouvrir un
parapluie vers le bas : on la sent dans les hanches, dans le dos, dans l’abdomen. La pointe de
la langue contre le palais, les paupières détendues, le regard déposé simplement, les mains
sont ouvertes, les pouces sont en contact délicat c’est hokkai jo in, le mudra cosmique du
Bouddha.
La concentration sur le corps et la respiration permet au mental-singe de s’apaiser,
permet la quiétude. Cette concentration permet samatha : en sanskrit, cela signifie
littéralement « quiétude durable de l’esprit », en sino japonais c’est shi. Samatha, —shi — est
la base, la condition première pour toute réalisation parce qu’en induisant le calme, elle
permet l’observation, vipassana en sanskrit, qui permet à son tour l’approfondissement de
shi. Et quand ce cercle se résume à son centre, c’est samadhi, zanmai. Au cours d’une sesshin
— sesshin qui signifie toucher l’Esprit (avec un grand E) — zanmai s’installe grâce à l’union de
shi et de kan, concentration et observation.
Pendant une sesshin, ça ne se limite pas au temps de zazen. Tous les aspects du temps
de la sesshin sont une opportunité de pratique : le dojo bien sûr, la façon d’entrer, de faire
gassho, de s’aligner, de prendre la posture, les cérémonies, les chants — Maître Deshimaru
parlait de chanter avec ses oreilles — le samu, les repas, les temps de détente, la toilette, les
toilettes. On n’oublie pas shikan, seulement. Autant que possible, nous ne parlons pas
inutilement pendant le samu, c'est-à-dire nous ne bavardons pas. Nous restons silencieux
pendant les repas, les temps de repos. Les moments du café sont des moments d’échanges
mais même là nous exerçons kan, l’observation, de façon à pratiquer la parole juste ; même
l’humour et le rire peuvent être justes, frais, paisibles, dans la simple joie de partager et
d’exister. Quels que soient les états de conscience que nous traversons, et bien nous les
traversons justement. Petit à petit, une sorte de purification s’opère et l’esprit du Grand Sage
de l’Inde comme dit Sekito dans le Sandokai se réveille, comme le jour qui s’éveille peu à
peu.
Laissez venir, laissez partir, installez-vous dans le surgissement permanent.
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Second Kusen :
Restez bien en contact avec la posture et la respiration jusqu’à ce que zazen fasse
zazen, alors nous nous oublions nous-mêmes ; et quand zazen ne fait plus zazen, nous
revenons, tout simplement, nous revenons à la pointe de l’instant en prenant appui sur le
corps et le souffle et, finalement, sur tout le paysage de l’instant.
Le Sandokai de Maitre Sekito que nous avons chanté tout à l’heure à la cérémonie
commence par ces mots :
L’esprit du Grand Sage de l’Inde s’est intimement transmis d’ouest en Est.
Cet esprit, ce n’est pas celui du petit moi fût-il celui de Siddharta Gautama mais
l’esprit vaste, daishin, l’esprit de Bouddha. Cet esprit vaste a toujours été là et inclus dans
tout : ce corps-esprit, nos désirs, fabrications mentales, catégories, espoirs, craintes, toutes
ces choses auxquelles nous nous identifions quand nous n’avons pas conscience de l’esprit
vaste. Daishin est comme l’espace, les plantes, les animaux, les pierres et donc nous tous,
pauvres et riches, bienfaiteurs et criminels, instruits et illettrés, Normands et Parisiens.
Chaque chose, chaque être dans sa particularité, sa spécificité, non seulement appartient à
ce grand Esprit mais est l’expression de cet esprit vaste, est l’image de cette « énergie
cosmique », comme disait Maitre Deshimaru ; elle est ce que nous partageons tous, ce qui
n’est pas limité par notre peau ni même par la durée de notre vie.
San signifie particularité, do dans Sandokai est l’esprit vaste. Kai c’est l’harmonie, c’est
voir les deux aspects. Si je me trouve face à un moine trappiste avec seulement l’esprit de
san, lui c’est un moine chrétien, catholique, qui prie Dieu et moi c’est moi, pratiquant
bouddhiste ou moine zen qui n’a pas de dieu et qui étudie l’impermanence, le non soi etc.…
Si je me place seulement du côté de do, l’esprit vaste, je vais lui dire : « Toi c’est moi et moi
c’est toi parce que nous sommes Bouddha» au lieu de lui dire « Aimons les autres comme
nous-mêmes dans l’esprit du Christ » et je ne suis pas sûr qu’il comprenne. Ne pas se tenir
d’un seul côté, c’est hannya ou prajna, la sagesse, évidemment liée à la compassion. Le
Maître Shunryu Suzuki qui a également commenté le Sandokai dit que presque tous les gens
portent une grosse planche, ainsi ils ne peuvent pas voir l’autre côté. Ils pensent qu’ils sont
juste l’esprit ordinaire mais s’ils enlevaient la planche, ils comprendraient : « Oh je suis aussi
Bouddha. Comment puis-je être à la fois Bouddha et l’esprit ordinaire ? C’est étonnant ! »
Cette prise de conscience, cet éveil c’est kai, l’union, l’harmonie de la différence et de
l’identité, prendre en compte le multiple et l’un, embrasser les contradictions apparentes du
petit moi et du Soi.
Quand on laisse tomber l’ego, nos bonnos (nos illusions) deviennent le carburant de
l’éveil et cessent d’être des bonnos car ils sont vus à partir du courant profond.
Troisième Kusen
Dans le samadhi de zazen, nous voyons ce qui change tout le temps à partir de ce qui
ne bouge pas ; c’est ce qu’on appelle jijuyu zanmai, « la joie de l’instant », « la joie du
samadhi », « la plénitude de l’instant » comme dit Gérard Chinrei.
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Sandokai, union de l’un et du multiple, union des pensées et de l’esprit vaste ; si les
pensées dérangent l’esprit vaste au point de le masquer durablement ce n’est plus Sandokai.
Le dojo, au début d’une sesshin ou d’une simple séance de zazen quotidienne a un
aspect d’auberge espagnole : chacun vient avec ses caractéristiques karmiques et se retrouve
face au mur : c’est san. En même temps il y a interdépendance complète entre les
pratiquants, que ce soit dans le silence ou dans l’action pendant les cérémonies : c’est do. Et
petit à petit, nos caractéristiques individuelles s’harmonisent avec la dimension collective de
la pratique, c’est kai. On peut le repérer à la fluidité générale dans les formes, dans notre za
zen, les cérémonies, les samus. Par la répétition de la pratique dans le dojo, en sesshin et,
plus difficile, dans la vie sociale, nous pouvons peu à peu arriver à un certain désarmement
intérieur comme dit le Dalaï Lama, en arrêtant le tir en nous-mêmes et dans nos relations ;
pas par calcul ou auto-contrainte mais parce que nous voyons bouddha en nous et en chaque
personne, chaque être, chaque chose. Comme dit encore Gérard Chinrei, « l’illusion de la
séparation s’est estompée comme des nuages qui s’effilochent », tout cela pratiquement à
notre insu, à l’insu de l’ego. Kodo Sawaki disait : « Zazen est comme un train de nuit, même si
vous dormez, vous arrivez à destination. » Ça ne veut pas dire dormir pendant zazen, ça veut
dire inconsciemment, naturellement, automatiquement, bien que cela demande foi et
persévérance.
Dans un temple japonais, il y avait un disciple qui s’appelait Taka Parate. Il voulait un
entretien avec son maître et vint frapper à sa porte. « Qui c’est ? » demande le maître
- C’est Taka » répond le disciple.
- Connais pas. » dit le maître.
Le disciple retourne à son samu et le soir, il frappe à nouveau à la porte de son
maître :
« Qui c’est ? », demande le maître.
- C’est Taka.
- Connais pas, va-t-en !»,
La tête du disciple n’est qu’un point d’interrogation, alors comme la nuit porte
conseil, il réfléchit profondément et se dit que le maître lui a peut être donné un koan. Le
lendemain, il retourne frapper à la porte de son maître :
« Qui c’est ? demande le maitre.
- C’est personne.
- Ah ! C’est toi Taka ! Entre donc ».
Le maître avait dépouillé le disciple de son ego puis l’avait remis à sa place juste.
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Mondo
Question : j’aurais aimé que tu détailles ce que tu as dit ce matin à propos des bonnos
et de l’Éveil et que le fait d’avoir beaucoup de bonnos rend fort. Je l’ai déjà entendu dans
d’autres traditions aussi, mais je n’arrive pas à voir, même si c’est porteur d’espoir, pourquoi
ça va ensemble.
Réponse : Parce que l’esprit vaste existe. Les bonnos c’est naturel à l’être humain :
bonno signifie « ce qui dérange notre nature profonde », mais en fait, ça fait partie de la
condition humaine d’avoir des bonnos, déjà comme de se croire un ego fixe, comme quelque
chose de substantiel. Le satori, c’est quand on réalise tout d’un coup qu’on était dans
l’illusion. C’est pour ça qu’on dit que les bonnos sont le satori — bonno soku bodai —, c'est-àdire que c’est en réalisant qu’on est dans l’illusion, qu’on se limite nous-mêmes, que notre
vision n’est pas forcément la réalité telle qu’elle est que — tac ! — il y a réalisation. Ça peut
être des petites choses, ça peut se réaliser souvent.
C’est la pratique qui permet cette érosion des illusions. Sans illusions il n’y a pas de
pratique, tu vois ? Ça ne veut pas dire qu’il faut cultiver ses bonnos. Nous sommes tous plus
ou moins dans le samsara, c'est-à-dire dans le cycle infernal des morts et des renaissances,
pas seulement de vie en vie mais aussi dans cette vie-même : on crée du mauvais karma qui,
à son tour, va en créer encore plus en réaction en soi, chez les autres et ainsi de suite, alors
que voir les bonnos désamorce les mauvais karmas, permet de devenir libre et d’aider les
autres. Il ne faut pas avoir peur de nos illusions, de nos bonnos, c’est justement le carburant
de l’Éveil. Est-ce que tu vois ce que je veux dire ?
Question : Oui mais c’est quelque chose qui s’intellectualise ?
R : Non
Q : Comme on ne peut pas provoquer, on peut avoir des tas de bonnos qui nous
bouffent la vie et qu’on ne voit jamais puisqu’on ne peut pas provoquer le fait de voir.
R : La pratique permet de voir, par l’observation de ce qu’on croyait la réalité qui est
en fait illusoire ; en plus la pratique permet de découvrir notre nature profonde qui est
impermanence et interdépendance : vipassana, kan.
Q : Donc la foi automatiquement, naturellement ?
R : Oui, la confiance, la foi est synonyme de confiance : quelquefois, ça passe tout
seul, zazen, samu, sanpai. Quelque fois c’est plus dur : il y a des phénomènes dans notre vie
qui nous font douter, où l’énergie et le courage diminuent. Dans ces moments-là, il est
important de se rappeler ce qu’on a touché dans une sesshin. Là, il y a un élément de foi,
d’avoir confiance dans la pratique, dans les enseignements, même quand c’est lent, loin,
voilé. Il y a une phrase que disait souvent Maître Deshimaru et que cite Gérard : « Bouddha
est comme un chat, si on essaie de l’attraper, il se sauve et puis quand on n’attend rien, il
vient s’asseoir sur nos genoux. » Ce n’est pas une métaphore gratuite ce que je dis, je le sais,
je l’ai expérimenté. D’accord ?
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Q : D’accord
Quatrième Kusen
L’Esprit du grand sage de l’Inde s’est intimement transmis d’est en ouest, à partir de
l’Inde jusqu’en Chine puis au Japon et dans tout l’est asiatique jusqu’à ce matin. Cette
transmission, c’est seulement le petit ego qui se connecte au grand esprit et qui réalise, en
fait, qu’il est ce grand esprit.
Le maître Shunryu Suzuki qui a commenté également le Sandokai utilisait l’expression
« les choses comme c’est – things like it is » pour exprimer do la nature fondamentale de la
réalité et il distinguait cette expression de « les choses comme elles sont », comme on dit
souvent, qui représente en fait ce que nous croyons percevoir comme objectif, substantiel, à
travers notre appréhension dualiste, illusoire. Par exemple, les médias ne rapportent que des
choses catastrophiques ou négatives et nous avons tendance à dire que « les choses sont
comme elles sont » sans nous rendre compte que c’est totalement conditionné.
Inversement, un typhon monstrueux vient de ravager les Philippines, faisant dix mille morts,
mais un grand nombre d’humains continuent à être dans le déni de l’ordre cosmique, dans le
déni de la partie dont nous sommes responsables. Pendant zazen, nous faisons l’expérience
de « seulement cela ». Maître Dôgen disait « immo » - c’est ainsi- ; nos désirs, préjugés,
répulsions, projets, projections sont des composants de « seulement cela », des logiciels
embarqués, assis avec nous, baignant dans l’esprit du grand sage de l’Inde.
Kai, comme dit Shunryu Suzuki, c’est la compréhension parfaite de la relation qui unit
le grand être global et ses multiples facettes ; et même le grand être global et ses multiples
facettes, c’est la même chose.
Le monde ordinaire est le monde de bouddha, l’enseignement du godo ne peut être
qu’un langage forcément dualiste mais nous pouvons comprendre sans saisir.
Pendant une sesshin, nous prenons soin de la moindre petite chose à égalité, car les
choses ne sont pas seulement ce qu’elles sont mais aussi les choses « comme c’est »,
seulement cela.
« Seulement cela » c’est également le monde invisible. Même s’il y a des dangers sur
la Terre, une certaine conscience s’éveille, ce qu’on appelle le « take care » dans le monde
anglo-saxon le « prendre soin ; nous pouvons avoir foi en l’action subtile de notre pratique
qui permet de commencer à nous voir les uns, les autres pas seulement comme Pierre, Paul,
Jacques mais aussi bouddha. On raconte que Maître Deshimaru recommandait même de
faire gasshô le matin devant notre reflet dans le miroir.
Un darani n’est pas un sutra, c’est un texte un peu mystérieux qui vient du
bouddhisme tantrique et qui agit profondément dans le monde invisible. Ce que l’on chante
avant la genmai est aussi un darani ; la vibration est importante, aussi écoutez bien le ino et
appliquez vous à le suivre, à chanter en écoutant. Le Daishin darani est généralement dédié
aux personnes décédées aussi, si nous ne le dédions pas à quelqu’un en particulier, vous
pouvez le dédier secrètement, intimement.
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Cinquième Kusen
le ciel dans l’étang
le sillage des canards
ne peut le rayer.
Parfois, nous sommes de vilains petits canards, parfois nous sommes des cygnes
majestueux ; les deux touchent le ciel.
Gérard Chinrei dit dans son commentaire : « Où êtes-vous quand vous regardez la
lune, quand vous regardez votre voisin ? Regardez vous le monde à partir du petit moi ou à
partir de l’esprit vaste qui inclut tout ? »,
Notre petit moi, c’est nos fonctionnements égocentriques et limités. Considérer notre
vie et nos existences à partir du « seulement cela » c’est notre Voie. Rester présents et
éveillés à ce qui est, dans l’instant, ne plus s’abuser soi-même et abuser les autres,
finalement c’est une histoire d’amour. « gyate gyate…….. »
J’ai dit au Frère François qui nous accueille : « Nous avons une phrase qui parle d’aller
sur l’autre rive. » Il m’a répondu : « Ah, vous aussi ! »
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