Complications de la radiothérapie du cancer de la prostate

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Complications de la radiothérapie du cancer de la prostate
Progrès en Urologie (2006), 16, 733-734
Complications de la radiothérapie du cancer de la prostate
Pierre RICHAUD, Jean-Luc MOREAU, Pascal ESCHWEGE
La radiothérapie externe et la curiethérapie font partie des modalités
thérapeutiques potentiellement curatives proposées dans le
traitement du cancer de la prostate non métastatique. Peu de
données ont été publiées sur leur prise en charge et leur prévention
est primordiale. Une évaluation aussi précise que possible du
rapport risque/bénéfice est nécessaire avant toute décision
thérapeutique et une information claire et objective du patient, doit
être faite incluant le risque de morbidité tardive et l’impact éventuel
des effets secondaires tardifs sur la qualité de vie.
D’autres facteurs aggravants sont l’obésité, le diabète sucré,
l’hypertension artérielle ou l’athérosclérose.
I. COMPLICATIONS DIGESTIVES DE LA
RADIOTHÉRAPIE EXTERNE
Dans une étude randomisée, DEARNELEY et al. ont clairement
démontré qu’à dose équivalente, une radiothérapie conformationnelle diminuait très significativement le risque de rectite
radique (p = 0,002) [5]. L’étude multicentrique française d’escalade
de doses par radiothérapie conformationnelle [6] a montré que les
techniques conformationnelles permettaient d’augmenter la dose
d’irradiation à la prostate sans augmentation significative des
complications digestives.
Les facteurs les plus déterminants sont cependant ceux liés au
traitement radiothérapique lui-même : l’incidence de ces
complications est essentiellement déterminée par le volume irradié
et la dose d’irradiation [3, 4]. Ceci explique que la technique
d’irradiation (conformationnelle versus conventionnelle) ait un
impact important sur le risque de complication digestive en
réduisant le volume de rectum irradié et la dose qu’il reçoit [5].
Les effets secondaires digestifs immédiats pendant l’irradiation
sont très fréquents et pour ainsi dire quasi-constants même si ils
sont la plupart du temps très modérés et avec un impact limité.
Ils consistent en des troubles du transit parfois liés à une entérocolite
et s’accompagnant de douleurs abdominales et surtout d’un
syndrome rectal avec un fractionnement des selles qui deviennent
glaireuses et de quelques faux besoins. Les patients qui ont des
hémorroïdes développent plus précocement et plus volontiers un
inconfort anal avec quelquefois des hémorragies et devront être
traités précocement. L’essentiel de ces effets secondaires disparait
quelques semaines après la fin de l’irradiation.
Dans une étude randomisée, comparant 70 Gy en radiothérapie
classique à 78 Gy délivrés en radiothérapie conformationnelle,
POLLACK et al. ont pu confirmer ces résultats [7]. Les malades
inclus dans cette étude ont rempli un auto-questionnaire concernant
la fonction digestive avant le début du traitement et deux ans
après le début du traitement : la radiothérapie conformationnelle
entraîne clairement moins de séquelles digestives. La technique
de radiothérapie conformationnelle permet de préciser la dose
que recevra la muqueuse rectale et d’établir ainsi des contraintes
de dose qui ne devront pas être dépassées sur un pourcentage de
volume rectal déterminé.
Les complications tardives sont beaucoup plus rares de l’ordre de
7 à 10% pour les complications grade 1-2 et sont devenues
exceptionnelles pour les complications graves (3,5% de grade 3
et 0.5% de grade 4) [1]. Ces complications tardives, lorsqu’elles
surviennent, sont essentiellement anorectale, les risques d’entérite
ne survenant que lorsque de larges volumes de grêle ont été inclus
dans un grand volume d’irradiation pelvien. L’évaluation de ces
complications se fait selon le score, LENT SOMA (Late Effects
on Normal Tissu Scale) du RTOG-EORTC (2) :
Grade 1 :
aucun changement.
Grade 2 :
diarrhées légères ; quelques douleurs coliques ;
moins de 5 selles par jour ; selles glaireuses.
Grade 3 :
diarrhées modérées ; plus de 5 selles par jour ;
rectite glaireuse ou hémorragique.
Grade 4 :
obstruction ou rectorragie nécessitant une
chirurgie.
Grade 5 :
nécrose, perforation, fistule.
La prévention doit mettre à l’abri la très grande majorité des
patients de séquelles digestives notables. Il convient pour cela de
respecter un certain nombre de contre-indications en se méfiant
notamment des patients qui ont des antécédents médicaux ou
chirurgicaux digestifs lourds et surtout limiter la dose rectale
grâce à une technique conformationnelle tridimensionnelle
rigoureuse et des contrôles de qualité réguliers. Le contourage
de la paroi rectale sur le scanner et le respect des contraintes de
doses permet presque toujours à un retour à des fonctions digestives
normales.
Les diarrhées liées à une entérite sont facilement contrôlées par
des poudres d’argile ou de kaolin, des antidiarrhéiques de type
lopéramide et des antispasmodiques.
L’essentiel des symptômes retrouvés en cours de radiothérapie sont
liés à une rectite hypersécrétante et bénéficieront de poudre
d’argile, d’acétorphan associés à des anti-spasmodiques. Les
manifestations douloureuses anales et les poussées hémorroïdaires
devront faire l’objet de bains de siège et de soins topiques locaux
par pommade et/ou suppositoires. La persistance de rectorragies
devra conduire à la réalisation d’une endoscopie de façon d’une
Un certain nombre de facteurs vont influencer la survenue de ces
complications.
Certains sont liés au patient : c’est ainsi que ceux qui ont des
antécédents de pathologie digestive (recto-colite hémorragique ou
diverticulose sigmoïdienne) ou qui ont eu de multiples chirurgies
abdominales ont plus de risques de complications digestives.
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III. COMPLICATIONS DE LA
CURIETHÉRAPIE
part à faire le bilan des lésions radiques et d’autre part et surtout
d’éliminer une lésion intestinale sus-jacente. Il conviendra
cependant d’éviter de biopsier la muqueuse rectale et de limiter
au strict nécessaire les traitements locaux par cautérisation ou
laser Argon.
Les complications digestives sont exceptionnelles et le plus
souvent évitées par une technique rigoureuse. Liée au respect
des critères d’indication de la curiethérapie sur le plan fonctionnel
urinaire et à la qualité de la dosimétrie avec épargne urétrale, la
morbidité urinaire est surtout représentée par les signes irritatifs
et le risque de rétention urinaire.
Les rectites grade 2-3 peuvent être améliorées par l’application
de mousse corticoïdes dont l’efficacité et la tolérance seraient
meilleures que celles des lavements. L’administration quotidienne
ou bi-quotidienne de lavements de sucralfate a montré également
une bonne efficacité. Ce n’est qu’en cas de persistance d’une
symptomatologie importante et de saignements invalidants avec
retentissement hématologique qu’on pourra envisager soit
l’administration de formaline s’il s’agit d’une rectite diffuse, soit
une électrocoagulation ou le laser Argon s’il s’agit de
télangiectasies localisées.
L’incontinence urinaire survenant à court terme s’intègre dans ce
tableau d’urétro-prostatite inflammatoire et se traduit par une
urgenturie avec pollakiurie et fuites urinaires, relevant d’un traitement
alpha bloquant ou d’un drainage vésical dans le cas de rétention.
Le risque d’incontinence permanente après curiethérapie est
favorisé par des antécédents de résection trans-urétrale prostatique
(RTUP) ou par la réalisation d’une RTUP à visée désobstructive
dans les suites d’une curiethérapie : il est recommandé de différer
la résection d’au moins six mois après l’implantation et de la
limiter au col vésical pour réduire ce risque d’incontinence,
résultat de la combinaison d’une nécrose urétrale superficielle et
d’une fibrose urétrale postérieure. La technique d’implantation
périphérique des sources radioactives permet d’éviter au maximum
cette complication [11, 12, 13].
II. COMPLICATIONS URINAIRES DE LA
RADIOTHÉRAPIE EXTERNE
Les complications urinaires de la radiothérapie sont rares même
si au cours de l’irradiation les phénomènes irritatifs sont très
fréquents. Il est cependant de règle de ne pas irradier une très grosse
prostate adénomateuse chez des patients dont l’IPSS est élevé sous
peine de voir survenir en cours de traitement un syndrome
rétentionnel. La levée de l’obstacle préalable fera appel aux
traitements médicaux ou chirurgicaux habituels. Le début de
l’irradiation devra être différé après une résection transuréthrale
pour éviter de majorer le risque d’incontinence urinaire ou de
sténose ultérieure et ne débutera qu’après cicatrisation complète
de la loge de résection, en général au troisième mois. Une
radiothérapie externe sur sonde urinaire en place s’accompagne
d’un taux élevé de sténose et/ou d’incontinence et doit donc être
évitée.
RÉFÉRENCES
L’incontinence urinaire secondaire à l’irradiation de l’urètre
prostatique et de la base de la vessie est rare mais peut être
aggravée par l’escalade de dose, l’âge du patient, le volume
prostatique, l’existence d’un dysfonctionnement vésical ou d’un
syndrome obstructif urinaire antérieur à la radiothérapie ; la
morbidité urinaire peut se traduire par une incontinence associée
à des troubles à type de brûlures urinaires, de pollakiurie,
d’impériosités mictionnelles. Correspondant d’abord à des signes
irritatifs dus à l’irradiation, ils sont ensuite le fait d’une fibrose
urétro-cervico-prostatique et d’une diminution de la capacité de
la vessie et du volume urinaire au premier besoin mictionnel, ce
qui explique l’aggravation progressive des symptômes. Le risque
d’incontinence est majoré par une RTUP secondaire [8, 9].
Une hématurie qui survient après une radiothérapie prostatique
doit faire l’objet d’une recherche étiologique (ECBU, échographie)
et si elle se reproduit justifie une cystoscopie à la recherche d’une
tumeur vésicale avant d’affirmer le diagnostic de cystite radique;
les modifications induites par la radiothérapie peuvent être
confondues avec un carcinome urothélial ; la cystite radique,
responsable d’hématurie plus ou moins abondante et récidivante
est de traitement difficile : hémostase endoscopique, oxygénothérapie hyperbare et peut conduire à la cystectomie avec dérivation
urinaire dans certaines situations dramatiques [10].
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