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La transition énergétique : un débat de portée historique
qui appelle des choix engageants
A la veille du démarrage de la conférence énergétique qui va se tenir les 14 et 15 septembre
2012, trois cabinets de conseil disposant de spécialistes du secteur de l’énergie en Europe –
Roland Berger Strategy Consultants, Frontier Economics et Ylios – reviennent sur les
orientations possibles ainsi que sur un certain nombre d’éléments de méthode, en
s’appuyant sur l’expérience d’autres pays au sein de l’Union Européenne et en dehors.
Quel est l’objet du débat ?
Les premières conférences sur le climat et le choix de l’Union européenne de se doter d’une
politique dite « 3x20 », ont depuis quelques années déjà structuré la question de la politique
énergétique autour du triptyque sécurité d’approvisionnement, compétitivité et impact
environnemental. Celui-ci relevait du seul secteur de l’énergie, quand bien même ses
impacts sur l’économie pouvaient être importants (balance commerciale, compétitivité de
l’industrie, …).
Aujourd’hui la donne a changé du fait de deux mouvements :
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D’une part les composantes de ce triptyque ont vu leurs contenus élargis : la sécurité
d’approvisionnement est étendue aux questions de qualité (des réseaux, de
l’électricité…) et des usages (chauffage, mobilité…) ; la compétitivité embarque les
questions de concurrence inter pays dans la guerre économique globale et celle de
l’emploi ; enfin, l’impact environnemental prend une dimension plus globale et intègre
d’autres questions de société comme la précarité énergétique et la maîtrise de la
demande en énergie (MDE).
D’autre part, du fait de cet élargissement du contenu du triptyque, de la crise
économique et de l’interpénétration croissante des secteurs de l’économie, la question
des politiques énergétiques ne peut être pensée indépendamment de celles du
transport, du logement, de l’industrie et plus globalement des capacités financières
disponibles.
Ce premier constat signifie que la question de la transition énergétique consiste à poser une
ambition, choisir des leviers d’action et sécuriser la faisabilité économique et l’acceptabilité
sociale de ces choix.
Le choix d’un niveau d’ambition est la première pierre de cet édifice. Et choisir une
ambition c’est aussi bien sûr choisir un pas de temps, à savoir l’horizon que l’on se fixe pour
atteindre cet objectif.
Le choix d’un mix de leviers qui permet de concrétiser la politique énergétique. Ces leviers
sont de nature technique, financière, institutionnelle :
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Le mix énergétique qui porte sur le choix des moyens de production que l’on souhaite
privilégier
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L’intensité voulue en matière de maîtrise de la demande en énergie et l’effort que
l’on souhaite faire porter sur l’évolution des comportements de consommation
L’évolution des usages de l’énergie que l’on souhaite impulser et, partant, l’objectif
d’amélioration de la performance énergétique : mobilité durable, rénovation du bâti,
efficacité énergétique dans le secteur industriel…
Les technologies que l’on souhaite promouvoir : réseaux et compteurs intelligents,
systèmes de pilotage, systèmes de stockage d’énergie, …
La gouvernance du système électrique : à qui confie-t-on la responsabilité d’impulser,
d’adapter, de mettre en œuvre et de contrôler la politique énergétique : à un niveau
central ou territorial ? aux acteurs du domaine régulé ou aux opérateurs privés du
secteur ? ou encore aux consommateurs ?
Le mode de financement : fait-on porter le poids de ces réformes par les citoyens au
travers des prélèvements obligatoires, par les consommateurs au travers d’une taxation,
ou encore par les opérateurs du marché ?
La faisabilité économique et l’acceptabilité sociale vont fortement contraindre les choix et
notamment :
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Le coût du basculement dans une société et une économie décarbonées. Il s’agit
d’un enjeu qui est également lié à la maturité des technologies disponibles, car le coût
actuel peut ne pas être celui de demain (le coût du photovoltaïque a été divisé par 5 ces
dernières années, alors que le coût des technologies nucléaires les plus sûres a été
multiplié par 2) d’une part, et que pour de nombreuses technologies la réalité des coûts
futurs reste incertaine d’autre part.
La capacité de financement public disponible : des mesures de financement direct
ou la structuration d’un cadre propice aux investissements privés ?
L’impact sur la compétitivité du pays, et partant, sur la pérennité de ses filières
industrielles et sur l’emploi, compte tenu notamment des choix opérés par les autres
pays avec lesquels le pays est en concurrence (exemple du choix des Etats-Unis de
développer des gaz de schiste avec un impact direct sur la relocalisation sur son sol des
industries chimiques)
L’impact sur l’opinion publique et le niveau d’acceptabilité sociale de certains choix
dans un contexte plus global de sensibilité accrue de la société civile au vu de la crise
économique, du niveau de chômage, des conséquences de la catastrophe de
Fukushima, des craintes relatives aux technologies d’exploitation des gaz de schiste…
Se poser la question de la transition énergétique, c’est traiter de façon itérative ces trois
dimensions profondément interdépendantes : ambitions, leviers et faisabilité. Pour avancer
dans la réflexion, il nous semble opportun de capitaliser sur les expériences d’autres
secteurs et d’autres pays. Nous proposons de commencer par analyser ce qu’ont fait, dans
des situations similaires, d’autres pays également mus par un double souci sociétal et
environnemental.
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L’observation des autres pays montre qu’il existe plusieurs approches pour opérer la
transition énergétique
Contrairement au Japon qui l'a subie de manière brutale et à rebours d’une politique
énergétique antérieure centrée sur le nucléaire, la plupart des pays s’orientent vers une
transition énergétique choisie, mais sans nécessairement avoir pris le temps de se doter
d’une vision complète et précise de la trajectoire à suivre.
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Ainsi, après la catastrophe de Fukushima, le Japon a arrêté 26 % de la production
électrique en l’espace d’un an, événement sans comparable en ampleur et soudaineté.
Le pays a donc privilégié, de manière subie, un revirement vers la contrainte
environnementale, au détriment de sa sécurité d’approvisionnement, du niveau de
service à l’utilisateur (restriction des consommations) et de sa compétitivité économique
(dégradation notable de sa balance commerciale).
L'Allemagne, bien qu’elle ait engagé depuis plusieurs décennies le développement
proactif d’une filière complète énergies renouvelables, s’est également trouvée en
situation de réaction à la suite de la catastrophe de Fukushima. En effet, le choix du
gouvernement allemand d’une sortie accélérée du nucléaire résulte davantage d’un
choix politique sous la pression des événements que d’un calcul économique raisonné.
A l’inverse, le Danemark a fait le choix dès 1985 de la sortie du nucléaire puis a ensuite
décidé de mettre en place une fiscalité écologique contraignante, autorisant le
développement d’une filière éolienne. Aussi, il s’agit de l’un des pays qui a mené sa
transition de manière progressive et programmée.
La Suisse et la Belgique sont aujourd’hui à la recherche d’un compromis permettant de
satisfaire aux objectifs environnementaux et sociétaux, avec un coût qui soit acceptable
pour leurs citoyens et en prenant pour partie un risque sur leur sécurité
d’approvisionnement.
Le Royaume Uni est en train de redéfinir sa politique énergétique ; certaines options ont
d’ores et déjà été prises, autour de l’éolien off shore ou de la relance du nucléaire. Mais
les parties prenantes sont loin d’avoir convergé entre les tenants de l’environnement et
les défenseurs de la compétitivité énergétique au service de l’industrie. Ceci a eu pour
effet de retarder les investissements en matière de production et de réseaux.
D’autres pays enfin, comme l’Espagne, le Portugal ou encore l’Italie, ont repoussé leur
réflexion sur la transition énergétique afin de se concentrer sur leur effort de sortie de
crise.
Quatre tendances se dégagent des expériences des autres pays :
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Une première tendance avec des pays tels que le Danemark ou la Suède qui ont fait le
choix – politique – de s’orienter vers un « New Green Deal », notamment au travers de
la sortie du nucléaire, en faisant le double pari qu’ils disposent de moyens financiers
suffisamment conséquents et qu’ils recouvreront une partie du coût de cet
investissement grâce au développement de filières industrielles exportatrices.
Une deuxième tendance autour de pays ayant fait le choix d’un mix plus équilibré pour
décarboner l’économie entre nucléaire, ENR et non consommation.
Une troisième tendance autour de pays qui ont choisi de privilégier la compétitivité en
prenant le tournant des gaz de schiste.
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Une dernière tendance enfin autour de pays qui ont basculé dans un abandon du
nucléaire suite à la catastrophe de Fukushima, sans toujours avoir eu les moyens de
pleinement préparer ce choix politique et de société.
Toutefois, il apparait que chaque pays mène sa transition à un rythme différent, souvent
avec des atermoiements, parfois avec des volte-face. A cet égard, les objectifs 3x20
européens ont laissé une large part à la subsidiarité des choix nationaux. La Commission
Européenne semble en outre réaliser que l’importance accordée à la production
renouvelable ait été exagérée compte tenu de son coût.
Dans ce contexte, si on ne s’attend pas à une révision des objectifs de réduction des
émissions de CO2, il est en revanche possible que l’Union Européenne revoie la part
recommandée des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Les Etats membres
pourraient alors disposer de davantage de souplesse pour choisir les leviers de politique
énergétique qu’ils souhaitent mettre en œuvre.
Quels enseignements en tirer pour conduire le débat en France ?
Compte tenu de la situation financière ainsi que des engagements de campagne de François
Hollande, il semble probable que les conclusions de ce débat ne s’orienteront pas vers un
« New Green Deal », mais rechercheront plutôt un rééquilibrage des priorités.
Le débat qui s’annonce sur la transition énergétique doit avant tout traiter la question du mix
de moyens entre énergies renouvelables, nucléaire, non consommation, voire gaz de
schiste. On peut d’ores et déjà indiquer que si la France faisait demain le choix d’un mix
énergétique préservant l’environnement et promouvant la décarbonation, il faudrait
probablement investir de l’ordre de 150 milliards d’euros pour le seul secteur énergétique
(moyens de production renouvelables, infrastructures, compteurs intelligents, allongement de
la durée de vie des centrales nucléaires,…) auquel s’ajouteront des investissements dans
les autres secteurs (bâtiment, transports, etc.).
A titre d’exemple :
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Pour privilégier les énergies renouvelables, il est nécessaire de développer les smart
grids et les infrastructures de réseaux.
Pour promouvoir la sobriété et l’efficacité énergétique, il faudra mener une rénovation
thermique massive du parc de bâtiments existants et éduquer et sensibiliser les
consommateurs, mais aussi développer les capacités d’effacement.
Pour conserver une part importante à l’électricité d’origine nucléaire au sein du mix
énergétique, il faudra pérenniser le modèle de production centralisé.
En outre, les pays contraints de réagir dans l'urgence ont tendance à ne traiter qu’une partie
des thématiques. Or c'est bien l'ensemble de la problématique qu'il convient de couvrir, et ce
dans tous les domaines (rénovation thermique des bâtiments, transports public et véhicule
électrique, etc.) car les sujets sont pour la plupart interdépendants. Cependant, le débat se
cristallise pour le moment autour de deux questions : la place du nucléaire et des énergies
renouvelables dans le mix énergétique, et le développement des gaz de schiste, abordé
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sous le seul angle technologique, esquivant ainsi un débat fondamental sur la place que l’on
souhaite réserver aux hydrocarbures.
Par ailleurs, au-delà des choix idéologiques, il est impossible de faire abstraction de la réalité
économique de notre monde globalisé et des choix d’ores et déjà opérés par les grandes
puissances énergétiques mondiales. Les États-Unis ont ainsi déjà choisi de favoriser
l'exploitation des gaz de schiste, qui leur fournissent une énergie bon marché, autorisant la
revitalisation de leur industrie (chimie par exemple). La Chine, elle aussi, semble s’engager
dans cette voie.
Enfin, sur la méthode :
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La réflexion doit s’étendre sur une période de 6 à 8 mois, pour définir avec les
différentes parties prenantes (politiques, experts énergétiques, industriels,
consommateurs…) la feuille de route de la transition énergétique, étant données les
multiples dimensions d'une telle question
Une décentralisation du débat en région dans une logique de concertation (en associant
par exemple élus locaux, tissus associatifs locaux et ONG), permettra de créer une
mobilisation nationale et de favoriser l’adhésion aux choix finaux
Un débat public aussi complexe doit s'appuyer sur des éléments factuels, matérialisés
par exemple par des dossiers préalablement instruits, documentés, tenant compte des
retours d’expérience d’autres pays.
La société civile doit être associée dans une démarche participative, afin de favoriser
une adhésion de l'opinion publique à des orientations majeures dont les impacts sont à
plus de 30 ans
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Nous sommes aujourd’hui à l'aube d'un choix politique engageant pour les 30 ans à venir,
comparable à celui qui a présidé à l’adoption de la stratégie électronucléaire en 1973. C’est
à la double condition de structurer la méthode autour des quelques principes énoncés cidessus et d’animer le débat dans cet état d’esprit d’ouverture et de participation large que
l’on pourra donner à la France une vision, des orientations d’actions et une avance sur cette
question complexe de la transition énergétique.
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A propos des auteurs
Fondé en 1967, Roland Berger Strategy Consultants est l’un des leaders mondiaux du
conseil en Direction générale et le premier d’origine européenne. Il conseille les plus grandes
entreprises françaises et internationales sur l’ensemble des problématiques de stratégie, de
management, d’amélioration de performance et s’attache à proposer des solutions
innovantes, avec une attention particulière portée à l’obtention de résultats concrets et
mesurables. Le cabinet compte 2500 collaborateurs et bénéficie d’un réseau international
constitué de 51 bureaux dans 36 pays. En France, le bureau de Paris compte
300 collaborateurs et accompagne plus de la moitié des entreprises du CAC 40. Cet article a
été préparé par les experts du Centre de Compétences mondial Energie et environnement,
dirigé par notre bureau de Paris. Il contribue à la mise en œuvre des transitions énergétiques
engagées notamment en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Japon, et aussi dans les
pays en forte croissance comme la Chine, le Brésil ou au Moyen-Orient.
Frontier Economics est l’un des tout premiers cabinets experts dans le domaine de
l’énergie en Europe avec un effectif permanent de plus de cent consultants basés à Londres,
Bruxelles, Cologne, Dublin et Madrid. Frontier est l’un des plus grands cabinets
d’économistes en Europe, dont l’énergie est la practice la plus importante. Les consultants
de celle-ci sont en effet intervenus sur des problématiques relatives à l’énergie dans plus de
50 pays sur les 5 continents.
Ylios est un cabinet de conseil de direction spécialisé dans les secteurs de l’énergie et des
utilités, les télécommunications, le secteur public et la santé, le secteur des infrastructures et
réseaux. Il propose une offre de conseil à forte valeur ajoutée autour de trois pôles de
compétences : stratégie, marketing et économie ; gouvernance et organisation ;
management et accompagnement des transformations et du changement.
Ylios intervient auprès de grands comptes prestigieux en France comme à l’étranger en
développant des approches créatives et spécifiques et en apportant un éclairage stratégique
différenciant fondé sur une vision prospective et macro-économique des évolutions et
ruptures de leurs marchés et de leur modèle d’activité à moyen et long termes.
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