Samuel Beckett - Eric Zobel, acteur, metteur en scène

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Samuel Beckett - Eric Zobel, acteur, metteur en scène
Samuel Beckett
Dossier pédagogique
Samuel Beckett
L’enfance et les années d’études
Né dans la banlieue de Dublin le 13 avril 1906 et issu d’une famille de la
bourgeoisie protestante, Beckett vit une jeunesse banale et studieuse. Son enfance
est marquée par la religion protestante que lui inculque sa mère, qu’il qualifiera plus
tard de «profondément religieuse ». Après avoir manifesté très jeune son goût pour
le Français, il intègre en 1923 Trinity Collège ou il approfondit cette langue, apprend
l’Allemand, l’Espagnol et l’Italien et se nourrit de lecture de Dante, il empruntera
d’ailleurs le personnage de Belacqua à ses œuvres.
Les souvenirs de cette époque affleureront plus tard dans son œuvre : l’ennui qui
déjà l’accablait, le décor du pays natal, l’humour acide de ses habitants, l’angoisse
religieuse héritée de sa mère…
Les années d’errance
Après avoir effectué divers voyages notamment en Touraine et à Florence en
1926, et enseigné quelques temps à Belfast l’année suivante, Beckett décide de
quitter son île pour s’installer à Paris.
A vingt-deux ans (1928) il devient lecteur d’anglais à l’école normale
supérieure de Paris. Il y rencontre James Joyce avec qui il se lie d’amitié ; Il traduit
certaines de ces œuvres et lui consacre un livre, Dante…Bruno…Vico…Joyce… en
1929.
Beckett fait ses débuts dans la littérature, il commence à publier en anglais
des poèmes et des nouvelles, et traduit, autour de 1930 des poèmes d’André Breton,
Paul Eluard, Guillaume Apollinaire. Il lit Descartes, rédige un essai sous le simple
titre de Proust en 1931 avec le but d’en faire la base d’une thèse de Doctorat, et
découvre les surréalistes.
Durant six ans, Beckett se déplace entre Paris, Londres, l’Allemagne et
Dublin. Il vit des années difficiles marquées par le décès de son père, de grosses
difficultés financières, la solitude et une grande souffrance morale.
Fuyant la misère londonienne, il se réinstalle à Paris en 1937 ou il devient secrétaire
de Joyce. Il vit de traduction et se lie avec des peintres, Giacometti, Duchamp,
VanVelde auxquels il consacre divers essais. C’est dans cette période qu’il devient
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l’amant de Peggy Guggenheim et rencontre sa future épouse, Suzanne DeschevauxDurmesnil avec qui il restera jusqu'à sa mort.
En 1935, il écrit en anglais son premier roman, Murphy qui sera d’abord refusé
par les éditeurs, puis publié en 1938.
La fin des années noires
Samuel Beckett s’engage dans la résistance sans grande conviction, échappe
de justesse à la gestapo durant la seconde guerre mondiale et se réfugie dans le
Vaucluse. Il y écrit en 1942 son dernier roman en anglais, Watt.
En 1945, il retourne à Paris et déclare «à la libération, je pus conserver mon
appartement, j’y revins et me remis à écrire - en français – avec le désir de
m’appauvrir d’avantage. ». En effet, Beckett entend par s’appauvrir le choix de
changer de langue pour l’écriture.Ce choix marque la frontière entre ses deux
carrières. Beaucoup se sont interrogés sur le pourquoi de cette décision, la guerre en
serait l’origine, Beckett annonça qu’il préférait «la France en guerre à l’Irlande en
paix ».
Après cette période sombre que fut la guerre, suivit une période intense de
diverses productions écrites, le couple vit dans la misère et ne survit que grâce à
quelques ventes de travaux de coutures de Suzanne.
La consécration
L’après guerre constitue la phase la plus productive de son existence.En 1946
il écrit le roman Mercier et Camier (publié en 1970), les nouvelles premier amour et
suite (publié en 1970), ainsi que les nouvelles L’expulsé, Le calmant et La fin réunies
dans Nouvelles et textes pour rien (version anglaise dans No’s knife).
En 1947, il écrit sa première pièce de théâtre, Eleutheria (publiée en 1955).
En 1948, il rédige la trilogie romanesque Molloy et Malone meurt qui, après de
nombreux refus d’édition, seront publié en 1951 par Jérôme Lindon aux éditions de
Minuit. Il écrit également En attendant Godot (publié en 1952) (voir encadré cidessous).
En 1949 il écrit l’innommable (publié en 1953).
Entre 1950 et 1952 Beckett effectuera des traductions de l’espagnol pour le compte
de l’Unesco, comme Anthology of Mexican Poetry.
Il publie également Fin de partie (1957), Acte sans paroles (1958), Assez (1958),
Casandro (1958), Cendres (1958), Tous ceux qui tombent (1957), la Dernière bande
(1959), Comment c’est (1961), Oh les beaux jours (1963), Comédie (1963), Play
(1964), Comédie et actes divers (pièce radiophonique, 1964), Imagination morte
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(1965), Imagine (1965), Dis Joe (1966), Un ouvrage abandonné (1966), Va et vient
(1966), Têtes mortes (1967), le Dépeupleur (1971), Film, suivi de Souffle (1972), Pas
moi (1975)…
En attendant Godot
Samuel Beckett écrit En attendant Godot en 1948. Grâce à la persévérance
de Roger Blin, qui joua un rôle déterminant pour la diffusion de l’œuvre de Beckett
en France, la pièce fût créée en 1952. Malgré de nombreuses difficultés, elle sera
montée en 1953 et jouée au théâtre de Babylone à Paris. La pièce remporta d’abord
un succès de scandale, puis un succès tout court. Elle fut ensuite traduite et publiée
à New York en 1954, et représentée à Londres en 1955. Elle le révéla au grand
public. Cette œuvre rentre pleinement dans le genre du théâtre de l’absurde.
En attendant Godot, est une pièce en deux actes presque similaires. Deux
amis, Vladimir et Estragon, sur le bord d’une route, attendent Godot, qu’ils n’ont
jamais vu et avec qui ils ont rendez-vous. Leurs paroles, très décousues, servent à
tromper et à occuper l’attente. D’autres personnages interviennent au court de la
pièce, un autre duo, infirme, Pozzo et Lucky, et un jeune Garçon. Certains voient
dans cette œuvre l’absurdité fondamentale de notre existence, d’autres une œuvre
profondément chrétienne ou bien encore la représentation de la misère humaine
attendant l’être suprême.
A la misère succède alors la célébrité pour Beckett, il est dans la phase la plus
productive de sa vie. Dans cette période, Il varie les genres, quitte le roman pour les
pièces de théâtre. Il continue les nouvelles et les poèmes.
Il intègre les bandes sonores (La Dernière Bande) ou cinématographiques dans
certaines de ces œuvres, et compose pour la télévision (Dis Joe). Film, œuvre écrite
par Beckett est tournée en 1964 par Alan Schneider.
Il monte progressivement ses pièces lui-même, montrant ses préoccupations
d’espace, de lumière et de travail scénique.
Lauréat du prix Nobel de littérature en 1969, Samuel Beckett accepte le prix et l’offre
à la bibliothèque du Trinity Collège de Dublin. Ce prix devait lui être remis à
Stockholm où il refuse d’aller, il qualifie cette consécration de «foutu jour ! ».
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Malgré ce prix il reste cependant un exilé, hanté par la misère de l’existence. Il
s’éteint en 1989, à Paris, à 83 ans dans une gloire internationale et un dénuement
presque total.
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La dernière
bande
Présentation
Samuel Beckett écrit La Dernière Bande en anglais dans le courant de l’année
1958. Il a d’abord le projet de faire une pièce radiophonique
puis décide d’en faire une pièce de théâtre destinée à
accompagner la création en anglais de Fin de Partie.Il
envisage aussi pendant une période d’écrire une longue
pièce sur trois Krapp : Krapp avec sa femme, Krapp avec sa
femme et son enfant et Krapp seul. Les deux pièces sont
jouées ensemble en 1958 à Londres. La pièce remporte un
grand succès. Aussitôt après, Beckett entreprend de traduire la pièce en français.
Elle est créée au théâtre Récamier à Paris en 1960 dans une mise en scène de
Roger Blin. La Dernière Bande est une caricature de A la recherche du temps perdu
de Marcel Proust.
Résumé
Monodrame sans intrigue, La Dernière Bande met
en scène un vieillard, Krapp, probablement homme de
lettre, qui se confronte à divers moments de sa vie passée
en écoutant des bobines magnétiques sur lesquelles il s’est
enregistré trente ans plus tôt. Il est décrit comme un
homme décrépit, écrivain raté. Sa voix enregistrée trente
ans plus tôt, lui est devenue étrangère. Il s’intéresse particulièrement à une scène
d’amour partagée dans une barque sur un lac, et les moments capitaux de sa vie ne
l’interpellent pas (ex : l’illumination). Il entreprend au cours de la pièce d’enregistrer le
bilan de son année en cours, mais se rend compte qu’il n’a rien à dire. Tout au long
de la pièce il ne cesse de revenir en arrière ou avancer la bande.
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Note à l’étude de l’œuvre
La pièce débute par une longue didascalie (trois
pages environ), mettant en place les éléments de décors,
présentant l’état physique et psychique de Krapp, et cernant
l’action qui va se dérouler. Beckett laisse peu de liberté
dans la mise en scène par l’abondance d’informations. Il
donne donc là, la base du spectacle.
Le décor de la pièce est assez dépouillé, une simple table avec un
magnétophone posé dessus constitue les principaux éléments de décors. Beckett ne
donne pas, ou presque pas d’indications précises concernant le lieu et le temps. En
outre, il est très précis sur des détails techniques qui serviront à la mise en scène,
par exemple la position de la table, « à l’avant scène, au centre, une petite table… »
ou encore pour Krapp « assis à la table, face à la salle, c’est à dire du côté opposé
aux tiroirs ». Il se soucie également de l’éclairage « …le reste de la scène dans
l’obscurité ».
Beckett ne donne pas de véritable précision sur la personne qu’est Krapp, ni
sur ce qu’il fait de sa vie. On peut, en outre deviner la volonté de l’auteur d’en faire
un personnage presque pestiféré. En effet, Krapp est un mot de langue anglaise qui
signifie, ordure excrémentielle en langue française. La pièce nous révèle de multiples
Krapps, reflet selon Beckett des aspirations du jeune homme et le point de vue
exprimé par la gestuelle impatiente du vieillard. Il s’adonne à une longue description
de son apparence physique, il détaille les formes, les couleurs « d’un noir pisseux »,
« chemise blanche crasseuse », les tailles « du 48 au moins », les proportions «
pantalon étroit, trop court ». L’auteur ne décrit pas Krapp à son avantage, il a le
«visage blanc, nez violacé. Cheveux gris en désordre, mal rasé ». Il est décrit
comme un homme qui a vécu, « très myope (mais il ne porte pas de lunette) », « dur
d’oreille », « démarche laborieuse ». Plus tard dans l’œuvre, on apprendra par
déduction, qu’il est âgé de 69 ans. Le personnage est ridicule, il manque de tomber
sur une peau de banane qu’il vient de jeter au sol.
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Les personnages chez Samuel Beckett
Les personnages de Beckett ont souvent une apparence peu flatteuse. Ainsi on
retrouve des clochards, des personnages errants (Vladimir et Estragon, En attendant
Godot), des vieillards, des clowns (Pozzo et Lucky, En attendant godot) ou des
malades (Murphy). D’autre part, ce sont les personnages qui n’ont pas véritablement
d’individualité, ce sont des ombres, des figures, des incarnations d’une certaine
condition humaine, mais avant tout ce sont des voix.
S’en suit une longue description de Krapp sur la scène, de ses actions,
nombreuses : «regarde sa montre, farfouille dans ses poches… », mange des
bananes, boit et sort ses bobines d’un tiroir.
Krapp peut alors entamer son monologue une fois le cadre placé, il vient
d’apporter sur scène un registre répertoriant les bobines. Krapp parle seul, il cherche
une bobine, Son monologue se compose principalement d’exclamations «ah ! Petite
fripouille ! », d’onomatopées «hm », «ah ! », beaucoup de silence d’hésitation et de
réflexion, marquée par des points de suspension. Il n’y a aucune phrase verbale.
Chacun de ses faits et gestes sont décrits par des didascalies, et quand Beckett ne
décrit pas les actions, l’écriture est là pour rattraper. Travaillée, elle laisse aussi très
peu de place à une interprétation personnelle. Ainsi, quand Beckett veut accentuer
les moments de réflexion de Krapp, il rajoute des lettres « bobiiine » « ccinq », il
utilise aussi toute une ponctuation très significative (point de suspension,
d’exclamation, d’interrogation).
Il branche son magnétophone, le monologue tourne au dialogue avec la
bande sonore. Une conversation s’établit entre le vieillard coincé entre les quatre
murs de sa « turne » (chambre, en alsacien) et le Krapp à la voix remplie d’espoir
nourrissant des projets d’avenir. Sur cette bande il a trente-neuf ans, il se décrit et
parle de diverses considérations matérielles «le nouvel éclairage au-dessus de ma
table est une grande amélioration », parle ensuite d’une relation amoureuse qu’il a
partagé dans une barque sur un lac, parle d’un grand moment d’ « illumination » qui
alors lui avait semblé un miracle à conserver précieusement «en prévision du jour où
mon labeur sera éteint », parle d’une autre aventure qu’il a eu et conclut d’une
manière pessimiste «peut être que mes meilleures années sont passées. Quand il y
avait encore une chance de bonheur. Mais je n’en voudrais plus maintenant que j’ai
le feu en moi. Non, je n’en voudrais plus. ». Il parle d’une chanteuse, « Miss
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MacGlone », s’interroge sur ses capacités vocales, chante même, un chant tiré d’un
répertoire d’écolier ou de scout, un chant qui marque un peu plus son déclin vers la
mort.
Si le magnétophone constitue un des deux personnages de La dernière
bande, on pourrait dire qu’un troisième acteur, invisible mais présent, joue le rôle
d’arbitre dans cette confrontation d’un homme avec son passé : le temps.Le rythme
est lent, la bande est ponctuée de pauses qui sont récurrentes. Il utilise toujours les
phrases exclamatives, interrogatives et les points de suspension mais il fait des
phrases verbales, utilisant la première personne du singulier. Il y a une grande part
de description et de narration. Il prend le temps de décrire les lieux, mais donne
rarement de nom.
Krapp ne se reconnaît pas sur la bande, il a même une fois recours au
dictionnaire pour comprendre ce qu’il a dit trente ans auparavant. Il est très attentif à
la bande, il l’avance quand il ne souhaite pas écouter certains passages, recule pour
en réécouter d’autres. Il l’arrête aussi parfois pour aller déboucher une bouteille en
fond de scène.Penché sur sa bande, pour Krapp c’est la mort lente se déclinant de
multiples manières qui triomphe dans cette courte pièce. L’homme laisse le temps
s’écouler, et se tuant à petit feu.
Piste de travail avec les élèves
- Le thème du temps pourra être aborder en classe, car il est récurent. Beaucoup
d’indices sont présents sur ce thème dans le texte, et l’œuvre de Beckett, La dernière
bande, pourra être mise en parallèle à celle de Proust, À la recherche temps perdu.
- Le thème de la mort pourra également être étudié en classe.
- Le thème plus philosophique du Moi pourra être également développé. Travailler
sur le thème de l’identité du moi était la première volonté de Beckett en créant le
personnage de Krapp.
- Une étude est possible sur tout le paratexte et principalement les didascalies
porteuses de sens dans le théâtre Beckettien.
- Un travail de mise en parallèle du théâtre de l’absurde et de La dernière bande
pourra être effectuer, en s’intéressant sur les codes de ce genre théâtral, et ceux
présents dans la pièce. A l’aide des outils proposés ensuite (théâtre classique et
théâtre de l’absurde), un travail pourra être fait sur un parallèle possible entre ces
deux genres.
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Le Théâtre
Rappel des notions du théâtre
classique
Le texte :
- Les Didascalies : ensemble des indications concernant les décors, l’époque, les
costumes, les objets, les gestes et les intonations, les personnages, les éclairages,
l’illustration sonore. D’abord «fonctionnelles », les didascalies dans le théâtre
contemporain peuvent prendre des fonctions plus littéraires (critique…).
- Les répliques : dialogues des personnages.
- Les tirades : longues répliques.
- Le monologue : acteur seul en scène s’adresse au public et à lui-même pour faire le
point sur la situation (délibérer), exprimer ses émotions, son trouble (introspection).
-Les apartés : répliques que le personnage dit à part et que seul le public est censé
entendre.
- La stichomythie : dialogue où les personnages se répondent vers par vers, dialogue
alerte et piquant, souvent polémique.
- La répartie : réplique brève et spirituelle
- Le récit théâtral : un personnage raconte aux autres personnages et aux
spectateurs ce qui ne peut être représenté sur scène (raisons techniques où de
bienséance (batailles, duels, meurtres)). Le récit marque un temps de pause.
- La double énonciation : les paroles énoncées par le personnage sont aussi celle de
l’auteur dramatique. A cette double énonciation correspond une double destination :
les personnages s’adressent à d’autres personnages (ou à eux-mêmes : monologue
par exemple) et au public.
La représentation :
Le théâtre est une transposition sur scène d’un texte, mais aussi une interprétation
par les acteurs/metteur en scène.
L’action et les situations théâtrales :
Action = drame
- Dramaturge : auteur de pièces.
- Nœud dramatique : manifestation d’un conflit entre différentes forces.
- Intrigue : ensemble des péripéties.
- Tension dramatique : renversement brusque de situation, coup de théâtre.
- Quiproquo : situation de méprise
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La structure de la pièce :
Un entracte. Les actes sont composés de différentes scènes, parfois appelées
tableaux.
- La structure interne : 1- l’exposition : présentation de la situation initiale,
présentation des
personnages.
2- le nœud de l’action : moment de crise après une Les règles
de la pièce classique ont été élaborées au cours du 17ème siècle.
- La règle des trois unités : unité d’action (une seule action principale), unité de
temps (24heure), unité de lieu (un seul lieu).
- Le respect de la vraisemblance : tout doit être crédible
- Les règles de la bienséance : il est interdit de représenter sur scène le sang, la mort
pour ne pas choquer le public.
- Le découpage : il se fait généralement en cinq actes, avec suite de péripéties.
3- le dénouement : résout le conflit.
Les genres du théâtre classique :
- La tragédie
- La comédie
- Le drame (bourgeois : 2ème moitié du 18ème siècle ; romantique : 19ème siècle)
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Le Théâtre de
l’absurde
Les précurseurs
Le pionnier du théâtre de l’absurde est l’italien Luigi Pirandello. C’est lui qui, le
premier, dans des pièces telles que Chacun sa vérité (1916), Six personnages en
quête d’auteur (1921), et Ce soir on improvise (1930), montra de manière radicale
l’être humain s’enferme dans l’incommunicabilité. Avant la seconde guerre mondiale,
Camus avait traité de son thème favori, l’absurde, tout en conservant la structure du
théâtre traditionnel. Après le traumatisme de la seconde guerre mondiale, de
nouveaux dramaturges développent une attitude plus radicale. Chez eux, ce
sentiment de l’absurdité de la vie est si fort qu’il se reflète non seulement dans les
thèmes, mais aussi dans la forme même de leur théâtre. Tel est le point commun
entre les nombreux auteurs de cette génération, dont les pièces apparaissent après
la guerre, et surtout dans les années cinquante. C’est ce que l’on appelle le «théâtre
de l’absurde » ou « nouveau théâtre » en raison du renouvellement radical de cette
écriture dramatique.
Un phénomène français et
international
Ce nouveau théâtre fut à la fois un phénomène français et international :
français car beaucoup de ces pièces furent montées à Paris ; international : car les
plus grands parmi ces auteurs furent des étrangers résidant en France et écrivant en
français. Parmi eux, l’Irlandais Samuel Beckett, le roumain Eugène Ionesco, le russe
Arthur Adamov, et un peu plus tard l’espagnol, Francisco Arrabal. Parmi les français,
il y a Jean Genet, Jean Vauthier, Jean Tardieu, Marguerite Duras, entre autres.
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« La tragédie du langage »
Des « tragédies du langage » : c’est ainsi que Ionesco définit des pièces
comme La Cantatrice Chauve, qui, en 1950, fonde l’avant-garde théâtrale. Par
extension, cette expression peut définir tout le nouveau théâtre. En effet, le langage
est traditionnellement considéré comme le privilège de l’homme, animal doué de
raison. Il est censé véhiculer l’intelligence rationnelle et permettre la communication.
C’est donc par le langage que ces dramaturges expriment leur vision déchirante,
lugubre ou burlesque, de la condition humaine :
L’incommunicabilité : les personnages de Ionesco, de Beckett, de Duras,
dialoguent, mais ne communiquent pas. Ils échangent les absurdités. Comme dans
comme La Cantatrice Chauve, ou encore « monologuent » à deux, comme chez
Beckett et Duras. L’être humain est enfermé dans une solitude irrémédiable.
Cruauté : Le cauchemar de l’histoire moderne amène ces auteurs à voir une
dimension sadique inhérente à l’humanité. Le professeur de La Leçon chez Ionesco,
comme la plupart des personnages de Genet, révèlent des abîmes de cruauté. Dans
le drame belge de Michel de Ghelderode, cette cruauté se marie au grotesque, avec
des personnages qui apparaissent comme des marionnettes vicieuses.
Et depuis ?
Depuis la fin des années soixante, cette « avant-garde » est devenue
« arrière-garde », comme le dit plaisamment Ionesco. Le théâtre de l’absurde
appartient à l’histoire, même s’il demeure toujours un genre très proche de nous.
Certains révolutionnaires sont allés encore plus loin dans la « déconstruction » de la
tradition théâtrale. Citons le cas d’Ariane Mnouchkine, qui, avec sa troupe du
Théâtre du Soleil, s’efforce de supprimer la primauté du texte en encourageant
l’improvisation collective.
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