Michel Serres : "La seule autorité possible est fondée sur la

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Michel Serres : "La seule autorité possible est fondée sur la
23 septembre 2012 | Mise à jour 23h02
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Le Point - Publié le 21/09/2012 à 00:00
Michel Serres : "La seule autorité possible est
fondée sur la compétence"
Pour Michel Serres, membre de l'Académie française et professeur à l'université Stanford, la
véritable autorité est celle qui "grandit l'autre".
Michel Serres, membre de l'Académie française. © Éric Dessons/JDD/Sipa
Propos recueillis par CHRISTOPHE LABBÉ ET OLIVIA RECASENS
On parle partout de la "crise de l'autorité". Tout le monde cherche l'autorité perdue. Mais de quoi parle-ton ? Il ne s'agit plus de l'autorité "coup de bâton". Cette autorité-là n'est que le décalque des conduites
animales, celle du mâle dominant chez les éléphants de mer ou les chimpanzés. C'est pourquoi, quand
je vois un patron avec son staff autour, plein de courbettes, je ne peux m'empêcher de penser aux ruts
des wapitis dans les forêts de Californie du Nord. Cette autorité-là fait marcher les sociétés humaines
comme des sociétés animales.
La hiérarchie est animale, il n'y a pas de doute là-dessus. Dès que vous exercez une contrainte, vous
redevenez la "bête humaine". Le nazisme est le symbole de cette autorité, représentée - ce n'est pas un
hasard - par un animal. L'autoritarisme a toujours été une tentation des sociétés humaines, ce danger qui
nous guette de basculer très facilement dans le règne animal. En France, une femme meurt tous les
jours sous les coups de son compagnon, mari ou amant. Est-ce cela, l'autorité masculine ? L'autorité
perdue que l'on essaie de récupérer peut vite conduire au retour de l'autorité "coup de bâton".
La véritable autorité, celle qui grandit l'autre
Heureusement, la culture humaine a remplacé le schéma animal. Dans la langue française, le mot
"autorité" vient du latin auctoritas, dont la racine se rattache au même groupe que augere, qui signifie
"augmenter". La morale humaine augmente la valeur de l'autorité. Celui qui a autorité sur moi doit
augmenter mes connaissances, mon bonheur, mon travail, ma sécurité, il a une fonction de croissance.
La véritable autorité est celle qui grandit l'autre. Le mot "auteur" dérive de cette autorité-là. En tant
qu'auteur, je me porte garant de ce que je dis, j'en suis responsable. Et si mon livre est bon, il vous
augmente. Un bon auteur augmente son lecteur.
Dans mon dernier livre (1), je raconte l'avènement d'un nouvel humain, né de l'essor des nouvelles
technologies, "Petite Poucette", l'enfant d'Internet et du téléphone mobile. Un clin d'oeil à l'usage intensif
du pouce pour converser par texto. L'avènement de Petite Poucette a bousculé l'autorité et le rapport au
savoir. Parents et professeurs ont le sentiment d'avoir perdu leur crédibilité dès lors que, face à eux,
Petite Poucette tient entre ses pouces un bout du monde. Ce que j'appelle dans mon livre la présomption
de compétence. Il y a vingt ans, lorsque, enseignant, j'entrais dans un amphithéâtre, je présumais que
mes étudiants ne savaient pas. Désormais, j'ai des Petite Poucette devant moi, qui ont probablement
compulsé sur Wikipedia les questions que je traite dans mon cours. À l'égard de son élève, le maître a
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maintenant cette présomption de compétence qu'il est de son devoir d'"augmenter".
Autrefois, le médecin pouvait présumer que le patient qui consultait ignorait tout de la maladie dont il
souffrait. Aujourd'hui, avant d'aller voir le médecin, on cherche sur Internet des informations concernant
ses symptômes, pour tenter de poser soi-même un diagnostic. Le médecin a perdu l'autorité qu'il
détenait par la présomption d'incompétence de son patient. Il ne peut plus dire : "C'est moi le médecin,
laissez-moi faire !"
Nouvelle démocratie du savoir.
Avant la génération des Petite Poucette, seuls le tyran, le plus riche ou le plus savant tenaient le monde
entre leurs mains. Aujourd'hui, pour peu qu'il ait consulté un bon site, l'étudiant, le patient, le
consommateur, ou même l'enfant peut en savoir autant sur le sujet traité que le maître, le médecin, le
directeur, le journaliste ou l'élu. Nous disons que l'autorité est en crise parce que nous passons d'une
société hiérarchique, verticale, à une société plus transversale, notamment grâce aux réseaux comme
Internet. Tout ne coule plus du haut vers le bas, de celui qui sait vers l'ignorant. Les relations parentenfant, maître-élève, État-citoyen... sont à reconstruire.
Les puissants supposés qui s'adressaient à des imbéciles supposés sont en voie d'extinction. Une
nouvelle démocratie du savoir est en marche. Désormais, la seule autorité qui peut s'imposer est fondée
sur la compétence. Si vous n'êtes pas investi de cette autorité-là, ce n'est pas la peine de devenir
député, professeur, président, voire parent. Si vous n'êtes pas décidé à augmenter autrui, laissez toute
autorité au vestiaire. L'autorité doit être une forme de fraternité qui vise à tous nous augmenter. Si ce
n'est pas ça la démocratie, je ne connais plus le sens des mots !
1. "Petite Poucette" (Le Pommier, 84 p., 9,50 euros).
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31 Commentaires
didge
le 23/09/2012 à 20:10
Rien à ajouter de plus !
Le capitaine
le 23/09/2012 à 19:19
Vue de "l'esprit"
Horus
le 23/09/2012 à 18:25
@Evelyne55 L'autorité des parents (aux abonnés absents)...
jam
le 23/09/2012 à 18:02
Leçon pour tous les Français !
Merci M. Michel Serre qu'il en déplaise à nos politiciens et aux dirigeants
des certaines organisations syndicales et patronales.
Belle image, mais fausse autant que belle... L'autorité n'est pas cela...
Autrement les mafias cesseraient depuis longtemps d'exister... Jules César
était indiscutablement compétent dans différents domaines, dont l'emploi de
la force armée... Mais la discipline des Légions reposait sur la force des
châtiments, autant que sur l'adhésion à un idéal commun... Autrement c'est
le monde des "bisounours savants"... Marc Aurèle, l'empereur philosophe, a
passé toute sa vie, au combat devant ses légions, lui qui détestait la
guerre...
Vous voulez séparer autorité de respect, éducation et savoir vivre ?
D'abord, le respect et le savoir vivre font partie de l'éducation. Pouvez-vous
nous expliquer comment éduquer sans autorité ?
C'est vraiment le débat essentiel, et la compétence des parents dépend
essentiellement de leur crédibilité (beaucoup menacent sans tenir, faisant
semblant de pardonner avec une hypocrisie qui laissera des traces chez
l'enfant !) Tout concourt à cette démission, services sociaux, justice, bien
pensance, droit de l'hommiste, bref des gens qui ont des principes, mais
n'aiment pas les enfants, et ne leur rendent pas service !
Un ex éducateur, dégoûté du système...
Parents, managers en entreprise, fonctionnaires et politiques.
sergio46
le 23/09/2012 à 17:17
Belle leçon pour nos politiques !
chapon3
le 23/09/2012 à 17:14
Michel Serre est un penseur original
evelyne55
le 23/09/2012 à 16:28
Confusion
dobisurf
le 23/09/2012 à 16:27
Autorité à la française
trop curieux
le 23/09/2012 à 16:13
Quand l'argument est convainquant...
fgtr
le 23/09/2012 à 15:43
Force d'exemplarité !
Nos énarques et autres avocats politiciens plus suffisants que nécessaires,
pourraient retenir la leçon.
Depuis 1974, parleriez-vous de compétence, celle qui nous a conduits à la
crise et à une dette de plus de 1 800 milliards d'euros ?
C'est peut-être Jospin qui en tant que premier ministre, a le mieux géré
notre dette ; une surprise, n'est-ce pas ?
Il a toujours su dire, expliquer, augmenter comme il le dit. Texte à faire lire à
tous les enseignants. Quant au politiques, j'en passe.
Ne confondons pas respect des autres, éducation, savoir vivre (en société)
et autorité !
Ça en manque ou ça en exagère dans ce gouvernement, voir François
Hollande. Ça en exagère systématiquement pour un syndicat comme la
CGT. Pareil pour tous les parties d'extrêmes. L'autorité s'apparente à
diriger, à partir de là tout est ouvert, reste à nous de ne pas se laisser
manipuler même dans l'obéissance ou la croyance. Garder les yeux ouvert
et bien écouter.
Merci Monsieur Serres, l'adhésion volontaire marque la validité de l'idée. On
ne peut longtemps tromper l'homme avec des arguments spécieux. Il y en a
pour qui le réveil sera douloureux !
Aujourd'hui l'autorité est mise à mal. Construite ces dernières années sur la
cooptation au détriment des compétences, elle est effectivement confronté à
une subordination qui n'accepte plus qu'on la prenne pour des imbéciles. Un
chef doit être force d'exemplarité, charismatique et faire preuve d'empathie.
Mais qui saura reconnaître ces qualités et récompenser le mérite pour
inverser la vapeur ?
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