communion », selon le Nouveau Testament

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communion », selon le Nouveau Testament
Conférences de Carême 2015
La « communion », selon le Nouveau Testament
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« Ils se montraient assidus à l'enseignement des apôtres, fidèles à la communion
fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Actes 2,42). Mémoire d'une origine
exemplaire ou bien utopie en mal de réalisation concrète, le sommaire du livre des Actes
relatif au mode de vie de la première communauté de Jérusalem place la communion
fraternelle sur le même plan que l'enseignement des apôtres, le partage eucharistique (ou
fraction du pain) et l'assiduité aux prières. Mais de quelle communion s'agit-il ? Une petite
enquête dans le Nouveau Testament s'impose, si nous voulons dépasser le stade d'une simple
projection de nos propres idées sur la communion, en grec koinônia, selon un terme associant
le singulier et le pluriel, l'un (grec hénos / latin unio) et l'ensemble (grec koinos / latin cum).
En réalité, le mot est rare dans le Nouveau Testament : seulement dix-neuf
occurrences dont celle d'Actes 2,42 (qui vient d'être lue), une dans l'Épître aux Hébreux, trois
dans la première Épître de Jean, et les quatorze autres dans les épîtres pauliniennes.
Autrement dit, aucune mention du terme dans les évangiles, comme si le mot « communion »
était quasiment le monopole de saint Paul, en tout cas ne convenait pas à décrire la situation
contemporaine de Jésus. En revanche, la situation des Églises post-pascales, si bien décrite
par Paul, paraît appeler le concept de communion, comme pour exprimer les diverses
modalités de la relation entre les disciples et le Christ ressuscité, mystérieusement présent
malgré son éloignement physique, consécutif à son retour au Père. Dès lors, ce mot de
« communion » pourrait être singulièrement adapté à notre propre situation, personnelle et
ecclésiale, pourvu que nous voyions un peu mieux ce qu'il convient de mettre sous ce terme à
la fois vague et rétréci du fait de notre propre pré-compréhension. Tel sera justement le but de
cette petite enquête à travers le Nouveau Testament que de nous éclairer sur les diverses
significations du mot koinônia.
Tout d'abord, la communion paraît liée à l'Esprit Saint, comme cela apparaît dans la
dernière phrase de la deuxième Épître aux Corinthiens, aujourd'hui utilisée comme salutation
liturgique : « La grâce du Seigneur Jésus Christ, l'amour de Dieu et la communion du Saint
Esprit soient avec vous tous » (2 Co 13,13). De même, au début de l'Épître aux Philippiens,
Paul, rappelant toute la richesse de la vocation chrétienne, litt. « l'appel pressant dans le
Christ », évoque la « communion dans l'Esprit », aux côtés de la « persuasion dans l'amour »
et « la tendresse compatissante » (Ph 2,1). L'Esprit Saint n'a cependant pas le monopole de la
communion : dans la première Épître aux Corinthiens, évoquant encore une fois l'appel reçu
du Dieu fidèle, Paul présente la communion comme la relation vivante à la personne même de
Jésus le Fils envoyé du Père : « Il est fidèle, le Dieu qui vous a appelés à la communion de
son Fils, Jésus Christ notre Seigneur » (1 Co 1,9). Communion de son Fils ou communion à
son Fils ? Les deux traductions sont possibles, soulignant ainsi que la communion qui unit à
Jésus le Fils est elle-même un don du Père moyennant la médiation du Fils. C'est bien pour
cela qu'elle se reçoit et s'exerce dans l'Esprit Saint.
Plus qu'une vertu humaine, la communion est donc une valeur théologique, pleinement
trinitaire, comme le souligne la première Épître de Jean, affirmant : « Quant à notre
communion, elle est avec le Père et avec son Fils Jésus » (1 Jn 1,3). La communion n'en est
pas pour autant désincarnée : dans la même phrase de la première Épître de Jean, le vœu est
exprimé que cette communion s'établisse entre l'auteur de l'épître et la communauté
destinataire, alors affectée d'une grave crise identitaire : « Ce que nous avons vu et entendu,
nous vous l'annonçons, afin que vous soyez en communion avec nous » (1 Jn 1,3). Il y a ainsi
une véritable synergie entre la communion horizontale – « nous sommes en communion les
uns avec les autres » (1 Jn 1,7) – et la communion verticale : « nous sommes en communion
avec lui (= Jésus Christ) » (1 Jn 1,6). Les deux formes de communion se reconnaissent aux
mêmes effets, à savoir le fait de « marcher dans la lumière comme il est lui-même dans la
lumière » (1 Jn 1,7). Le contraire, « marcher dans les ténèbres », tout en prétendant « être en
communion avec lui », serait un pur mensonge, en tous points contraire à la vérité : « Si nous
disons que nous sommes en communion avec lui, alors que nous marchons dans les ténèbres,
nous mentons, nous ne faisons pas la vérité » (encore 1 Jn 1,6).
Le caractère concret de la communion, suggéré par l'image de la marche ou démarche
chrétienne (la halakha du judaïsme ancien), se trouve pleinement confirmé chez saint Paul. La
pratique de la communion recouvre, en effet, plusieurs composantes de la vie chrétienne.
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D'abord, l'engagement dans le travail d'évangélisation. Ainsi, Paul écrit aux
Philippiens : « Je vous rappelle la part que vous avez prise à l'évangile depuis
le premier jour » (BJ – Ph 1,5) ; litt. : « votre communion à l'évangélisation ».
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Ensuite, la participation au repas eucharistique, ou communion sacramentelle à
l'être même du Christ (son corps), ainsi qu'à sa vie donnée par amour (son
sang) : « La coupe que nous bénissons, n'est-elle pas communion au sang du
Christ ? Le pain que nous rompons, n'est-il pas communion au corps du
Christ ? » (1 Co 10,16).
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Enfin, et surtout au regard du nombre des occurrences, la fidélité au partage
financier ou collecte (ce que nous appelons la quête) en faveur des pauvres,
essentiellement pour Paul l'Église mère de Jérusalem. Ainsi, en 2 Corinthiens,
faisant mémoire de la générosité des Églises de Macédoine, Paul écrit à leur
sujet : « Ils nous ont demandé avec beaucoup d'insistance la faveur de
participer à ce service (litt. : la communion de la diaconie) en faveur des
saints » (2 Co 8,4). Et, un peu plus loin, évoquant la reconnaissance des frères
ainsi assistés, Paul continue : « Ce service (diaconie) leur prouvant ce que vous
êtes, ils glorifient Dieu pour votre obéissance dans la profession de l'évangile
du Christ et pour la générosité de votre communion avec eux et avec tous » (2
Co 9,13).
Cette insistance sur le partage financier, comme réalisation concrète de la communion,
se trouve encore exprimée en Romains 15,26 : « La Macédoine et l'Achaïe ont bien voulu
prendre part (litt. : faire communion) aux besoins des saints de Jérusalem qui sont dans la
pauvreté ». Remarquons au passage la difficulté éprouvée en français de conserver le mot
« communion » (koinônia), lorsqu'il s'agit des formes concrètes du partage. Notre idéalisme
atavique n'aurait-il pas tendance à réduire la communion au seul champ des sentiments, voire
à sa dimension théologique, en tout cas au détriment de ses applications pratiques, surtout
financières ? Ce n'est, en tout cas, pas le fait des textes du Nouveau Testament qui, pour leur
part, accordent une place considérable, voire démesurée, à cette question de la collecte (ou
communion : koinônia). Citons encore l'Épître aux Hébreux 13,16 : « Quant à la bienfaisance
et la mise en commun des ressources (koinônia), ne les oubliez pas, car c'est à de tels
sacrifices que Dieu prend plaisir », ainsi que la lettre à Philémon dans laquelle Paul élargit le
sens concret du mot « communion » : « Puisse cette foi rendre agissant son esprit d'entraide
en t'éclairant pleinement sur tout le bien qu'il est en notre pouvoir d'accomplir pour le Christ
! » (Phm 6 – BJ). En fait, le texte dit plutôt : « Que la communion de ta foi soit efficace dans
la connaissance de tout bien, tant entre nous qu'à l'égard du Christ ». Ainsi compris, le mot
« communion » paraît résumer toutes les dimensions concrètes d'une foi vivante, tant à l'égard
du Christ qu'au service des frères.
Il nous reste encore deux occurrences du mot koinônia. D'abord en Galates 2,9, où
Paul fait mémoire de la réconciliation ecclésiale scellée par sa rencontre avec les autorités de
Jérusalem, Jacques, Pierre et Jean : « Reconnaissant la grâce qui m'avait été départie,
Jacques, Képhas et Jean, ces notables, ces colonnes, nous tendirent la main à moi et Barnabé,
en signe de communion ». Ensuite, en Philippiens 3,10, où Paul définit le cœur de la vie
chrétienne, en tant que communion au mystère pascal de Jésus : « Le connaître, lui, avec la
puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, lui devenir conforme dans sa
mort, afin de parvenir si possible à ressusciter d'entre les morts ». Reste encore un texte où le
mot « communion » paraît s'appliquer au mariage, certes de façon indirecte, puisque le propos
de Paul est justement de déconseiller les mariages avec des païens : « Ne formez pas
d'attelage disparate avec des infidèles. Quel rapport en effet entre la justice et l'impiété ?
Quelle union (koinônia) entre la lumière et les ténèbres ? » (2 Co 6,14). Assurément, le
propos est négatif, mais il n'en suggère pas moins qu'un mariage harmonieux peut être qualifié
de « communion », à tous les sens du mot, y compris théologique, visant l'unité avec le Christ
dans l'Esprit Saint.
Notons pour conclure la richesse sémantique du mot « communion », bien au-delà de
nos pré-compréhensions affectives : christologique (union au Christ) et pneumatologique
(union dans l'Esprit Saint) au titre de l'appel ou vocation reçue du Père ; éthique (collecte)
aussi bien que sacramentel (eucharistie) ; existentiel (choix entre lumière et ténèbres) en
même temps que mystique (participation à la Croix du Christ) ; ecclésial (réconciliation des
ministres divisés) tout autant que missionnaire (participation à l'œuvre d'évangélisation) ;
conjugal (mariage entre chrétiens) et pourquoi pas l'engagement de vie consacrée... Mais de
cela l'Écriture ne parle pas – paradoxe, au regard de notre cycle de conférences ! – du moins
pas en termes de communion / koinônia... Raison de plus pour écouter le témoignage de
l'Orient chrétien, même à travers le regard d'un moine d'Occident, au demeurant bon
connaisseur des traditions du premier christianisme, tant d'Orient que d'Occident...
Yves-Marie BLANCHARD
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