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© Hermance Triay L’AUTEUR-CLÉ L a mutation des démocraties contemporaines selon Pierre Rosanvallon La pensée de Pierre Rosanvallon s’inscrit, depuis près d’un quart de siècle, dans le continuum d’une réflexion sur ce qu’est la démocratie en tant qu’objet en évolution permanente. Le présent article fait le point sur les principaux concepts de cette pensée, au moment où l’historien s’apprête à publier Le bon gouvernement, dernier opus de son enquête sur la mutation des démocraties contemporaines. 55 © DR V L’auteur-clé Allégorie du bon gouvernement, Ambrogio Lorenzetti (XIVe siècle) oilà plus de vingt ans que Pierre Rosanvallon consacre l’essentiel de ses recherches aux mutations de la démocratie contemporaine. Avec son ouvrage Le bon gouvernement, qui paraît ce mois de septembre aux éditions du Seuil1, l’historien clôt une réflexion de longue haleine, entamée au début des années 1990, et qui entre de plain-pied en résonnance avec les errances politiques de notre époque. Dans ce dernier opus, l’auteur part d’un paradoxe apparent : certes, explique-t-il, nos régimes – notamment parce qu’ils se trouvent consacrés par les urnes – peuvent être qualifiés de démocratiques ; pour autant, les citoyens que nous sommes ne sont pas gouvernés de manière démocratique. Et pour cause : l’action des gouverne1. ROSANVALLON Pierre, Le bon gouvernement, Paris, Le Seuil, 2015. 56 Du Sacre du citoyen au Bon gouvernement L’auteur-clé ments n’obéit pas à des règles de transparence, d’exercice de la responsabilité, de réactivité ou d’écoute. En témoignent le désarroi des citoyens, leur colère, leur lente mais sûre perte de confiance à l’égard des élus, soit autant d’éléments de défiance que le phénomène de l’abstention permet notamment de mesurer depuis plusieurs décennies. Comment en est-on arrivé là ? Pour le comprendre, il faut peutêtre reprendre l’analyse de Pierre Rosanvallon à son origine. Avec Le sacre du citoyen2, paru en 1992, l’historien pose les premiers ja2. ROSANVALLON Pierre, Le sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1992 (Paru chez Folio-Histoire en 2001). 57 L’auteur-clé © Jean-Jacques-François Le Barbier lons de son immersion en profondeur dans les arcanes de nos Meccano démocratiques. Centré sur les cas français et anglais, ce livre propose une histoire intellectuelle de l’avènement de l’individu-citoyen aux XIXe et XXe siècles, à la fois en tant qu’idée et comme institution. En tant qu’idée tout d’abord : l’individu-citoyen s’impose petit à petit comme seule source de la légitimité politique. Comme institution ensuite : le droit de vote s’inscrit progressivement comme pré requis intériorisé de toute condition citoyenne moderne. Dès la seconde moitié du XXe siècle, et tout particulièrement après l’acquisition du droit de vote par les femmes, le suffrage se définit comme un droit politique, pour ne pas dire un pouvoir, et un statut social, base même de la reconnaissance du citoyen par ses pairs. Cette instauration progressive du suffrage universel forme ce que Pierre Rosanvallon nomme une « société des égaux », le suffrage universel apparaissant comme l’une des conditions du vivre-ensemble démocratique. Mais la démocratie n’est pas qu’un droit acquis par les individus : elle est aussi un régime, c’est-à-dire des règles de fonctionnement, des normes et des procédures. Dans le second volet de sa réflexion, paru en 1998 sous le titre Le peuple introuvable 3, Pierre Rosanvallon part d’un constat qui, aujourd’hui, trouve son plein écho : les rouages démocratiques seraient grippés par la croissance inéluctable du phénomène abstentionniste, le discrédit 3. ROSANVALLON Pierre, Le peuple introuvable. Histoire de la représentation démocratique en France, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1998 (Folio-Histoire, 2002). 58 Le déficit de représentation que pointe alors la pensée de Pierre Rosanvallon s’inscrit dans une histoire longue. Pour le dire autrement, la « malreprésentation » est loin de n’être que le produit de l’époque actuelle, dans la mesure où elle s’enracine dans l’avènement même EN DÉTRUISANT LE CADRE STRUCTURANT de la société démoDE LA SOCIÉTÉ MONARCHIQUE D’ANCIEN cratique, et plus parRÉGIME, LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ticulièrement dans la MET EN AVANT DEUX PRINCIPES QUI, AUJOURD’HUI ENCORE, DEMEURENT rupture de 1789. En FONDATEURS POUR NOS SOCIÉTÉS détruisant le cadre CONTEMPORAINES : L’INDIVIDUALISME structurant de cette ET L’AUTO-INSTITUTION. société monarchique d’Ancien régime, la Révolution française met en avant deux principes qui, aujourd’hui encore, demeurent fondateurs pour nos sociétés contemporaines : l’individualisme et l’auto-institution. Dès la fin du XVIIIe siècle, la société française n’est plus conçue comme un corps : elle est un agrégat d’individus que les rouages démocratiques L’auteur-clé grandissant des partis politiques, le développement de mouvements sociaux de moins en moins encadrés par les structures syndicales traditionnelles et le déclin de la légitimité issue de l’élection. En un mot comme en cent : les formes traditionnelles de médiation sociale et politique seraient de moins en moins opérantes, un sentiment de « malaise politique » (notamment mesuré par les instituts de sondage) venant progressivement recouvrir l’idéal démocratique. 59 doivent assembler et réassembler en permanence. D’où un enjeu structurel, une difficulté permanente à saisir la diversité des intérêts présents dans les sociétés. Comment représenter un corps social multiple et décomposé d’individus-citoyens identiques parce que dotés de droits égaux ? Comment parvenir à représenter de manière uniforme ce qui relève de l’atomisation sociétale ? C’est ce que Pierre Rosanvallon désigne sous le terme de démocratie inachevée4, quête permanente d’un équilibre qui inscrit le régime démocratique non pas dans une finitude, mais au contraire dans une précarité à consoliLES PARTIS POLITIQUES JOUAIENT der en permanence. DANS LA SECONDE PARTIE DU XIX E SIÈCLE UN RÔLE Cette précarité démocratique ontologique ENTRE LE CITOYEN ET L’ÉLU. aura longtemps été encadrée par les partis politiques. Nées dans la seconde partie du XIXe siècle, et tout particulièrement sous la IIIe république (1870-1940), ces institutions de la représentation jouaient un rôle majeur d’articulation entre le citoyen et l’élu, et tout particulièrement entre l’électeur et son député. Les partis politiques se dotent de programmes électoraux, acculturent la société, structurent le champ du politique en développant des processus d’accommodements avec l’opinion publique (on pense par exemple aux manifestations), et facilitent ainsi une dilatation du champ de la vie politique. L’auteur-clé MAJEUR D’ARTICULATION A ce sujet, le début des années 1980 marque un tournant, que Pierre Rosanvallon analyse dans La contre-démocratie, quatrième ouvrage spécifiquement consacré aux mutations démocra- 4. ROSANVALLON Pierre, La démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France, Paris, Gallimard, 2000. 60 L’auteur-clé tiques, et qu’il prolonge bientôt en axant une partie de ses recherches sur la question de la légitimité démocratique5. L’émergence d’une politique de la défiance émanant de la société civile se trouve au cœur de la réflexion. Le parti politique n’apparaît plus comme le point nodal entre le peuple et les élites politiques, et l’élection, entendue comme mécanisme d’instauration de la confiance, s’estompe. La souveraineté populaire s’exprime désormais sous d’autres formes, en jouant sur des leviers nouveaux. La surveillance citoyenne, qui pour Pierre Rosanvallon est constitutive de l’équilibre démocratique, s’exerce désormais dans l’espace public à travers des moyens tels que le réseau Internet, mais également via de nouvelles formes de militantismes et de contestations incarnées par les associations, les organisations non gouvernementales, voire les phénomènes de populisme et de vote sanction. LE PARTI POLITIQUE N’APPARAIT PLUS Autrefois atteint à traCOMME LE POINT NODAL ENTRE LES PEUPLES ET LES ÉLITES POLITIQUES vers la dynamique de ET L’ÉLECTION, ENTENDUE COMME machines partis et de la MÉCANISME D’INSTAURATION mécanique électorale, DE LA CONFIANCE, S’ESTOMPE. l’équilibre démocratique entre les gouvernants et les gouvernés passe par des moyens nouveaux, signe d’une mutation profonde à l’œuvre. On signalera ici que ces mécanismes de contrôle et de quadrillage peuvent tout à fait être rapprochés de ceux décrits par Michel Foucault au milieu des années 19706. 5. ROSANVALLON Pierre, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Le Seuil, 2006 ; ROSANVALLON Pierre, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Paris, Le Seuil, 2008. 6. FOUCAULT Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1976. 61 Le « bon gouvernement » : la démocratie en tant que gouvernement Bien que nouvelles, ces modalités démocratiques relèvent d’une constante. Comme l’explique Pierre Rosanvallon dans Le bon gouvernement, un pouvoir ne peut être considéré comme pleinement démocratique que s’il est soumis à des épreuves de contrôle et de validation7. On attend de ce pouvoir qu’il se plie à une triple exigence. Exigence d’impartialité tout d’abord : le pouvoir se doit de placer à distance les positions partisanes comme les intérêts particuliers ; exigence de réflexivité ensuite : le pouvoir prend en compte des expressions plurielles, à travers le bien commun ; exigence de reconnaissance enfin : le pouvoir inscrit son action dans UN POUVOIR NE PEUT ÊTRE la proximité, ce qui le CONSIDÉRÉ COMME PLEINEMENT rend d’autant plus légiDÉMOCRATIQUE QUE S’IL EST time. SOUMIS À DES ÉPREUVES DE CONTRÔLE C’est précisément aux figures de ce pouvoir qu’est consacré Le bon gouvernement. Avec ce dernier ouvrage, l’auteur boucle le cycle de sa réflexion en revenant à la « société des égaux » amorcée quelque vingt années plus tôt dans Le sacre du citoyen et prolongée en 2011 par une analyse historique des inégalités8. Dès le XIXe siècle en effet, l’égalité a été considérée par les hérauts de la démocratie comme une qualité nécessaire dans la relation sociale et politique. Dans un tel contexte, toute rupture de cette symétrie met en péril l’équilibre de la démocratie entendue comme un ensemble de forces inter-agissantes. Dans L’auteur-clé ET DE VALIDATION. 7. Op. cit., p. 32. 8. ROSANVALLON Pierre, La société des égaux, Paris, Le Seuil, 2011. 62 L’auteur-clé Le bon gouvernement, Pierre Rosanvallon explique de quelle manière, depuis trente ans, la nature et la forme de nos démocraties sont marquées par un mouvement de présidentialisation. Evoquant les démocraties émergentes – asiatiques, africaines, américaines, des pays issus de l’ancienne Union soviétique et du monde arabe – il indique que cette procédure s’impose sans être l’objet de réflexions préalables, comme si elle allait de soi. Certaines crises traversées par ces pays accentuent ce phénomène : ainsi, le 11-septembre a-t-il renforcé le président américain dans son rôle, ceci pour des impératifs de lutte anti-terroriste. Pierre Rosanvallon est plus nuancé sur le cas de l’Europe, où les régimes présidentiels sont finalement peu nombreux, mais où un pays – la France – se LE POUVOIR NE PEUT QU’ÊTRE CONTRÔLÉ PAR LA SOCIÉTÉ distingue. Il y aurait seAFIN QUE L’ÉQUILIBRE lon lui une spécificité PUISSE SE FAIRE hexagonale, l’élection ENTRE LES GOUVERNANTS du président de la RéET LES GOUVERNÉS. publique au suffrage universel direct ayant, en 1962, accentué le césarisme. Le président de la République française y serait une figure « incontournable mais problématique », 63 pour ne pas dire une « maladie nationale dont il faudrait apprendre à guérir » 9. Loin d’être la cause d’un délitement de la mécanique démocratique, ce phénomène de présidentialisation serait en réalité la conséquence d’une évolution politique plus profonde de montée en force du pouvoir exécutif. Ce que l’on nomme communément « le pouvoir » pourrait ainsi se résumer au « pouvoir exécutif », d’où la tendance populaire à considérer que ledit pouvoir doit répondre de ses actes. Ici se situe l’une des clés principales de compréhension de notre Meccano démocratique : le pouvoir ne peut qu’être contrôlé par la société afin que l’équilibre puisse se faire entre les gouvernants et les gouvernés. Nous serions ainsi dans ce que Pierre Rosanvallon appelle une « démocratie d’autorisation », et non pas dans une « démocratie d’exercice10 » – cette dernière étant caractérisée par des gouvernants en capacité de gérer la relation aux gouvernés sans nécessairement attendre de ces derniers qu’ils LE PHÉNOMÈNE DE exercent des formes de PRÉSIDENTIALISATION SERAIT pression. L’auteur-clé EN RÉALITÉ LA CONSÉQUENCE D’UNE ÉVOLUTION POLITIQUE PLUS C’est précisément des conditions de cette déPOUVOIR EXÉCUTIF. mocratie d’exercice que traite Le bon gouvernement. Pierre Rosanvallon y expose les principes qui sont susceptibles de régir les relations entre élus et citoyens. Trois d’entre eux sont tout particulièrement mis en avant : la lisibilité, la responsabilité et la réactivité. Leur mise en place (ou leur réta- PROFONDE DE MONTÉE EN FORCE DU 9. Idem, p. 14. 10. Ibidem, p. 20. 64 Constantes d’une pensée et cohérence de celle-ci avec un engagement personnel L’auteur-clé blissement) permettrait sans nul doute aux citoyens d’exercer leurs fonctions démocratiques de manière plus directe. L’auteur approfondit encore un peu plus son analyse en s’attachant à nommer les qualités requises pour être un « bon gouvernant », dans une perspective de confiance rétablie avec les citoyens. Deux de ces qualités sont examinées de manière très précise : l’intégrité tout d’abord ; le « parler vrai » ensuite. C’est à ce prix que pourrait se dessiner, en France, une seconde révolution démocratique. Aux XIXe et XXe siècles, la première révolution démocratique s’était articulée autour de la conquête du suffrage universel. « Nous sommes aujourd’hui arrivés à la fin du cycle de cette exploration », conclut Pierre Rosanvallon. « Modification des modes de scrutin, amélioration de la représentativité des élus, mise en œuvre du principe de parité, limitation du cumul des mandats, association des citoyens au choix des candidats, introduction d’éléments de démocratie directe ou participative : la liste de ces correctifs et de ces palliatifs a depuis longtemps été établie11. » Reste désormais à reprendre cette liste et à la mener à son terme, étant entendu que de nouvelles formes institutionnelles et de nouveaux acteurs sont à venir – tout comme est à venir, et annoncée en tant que telle, la publication d’un prochain ouvrage de Pierre Rosanvallon, sur ce thème. La réflexion, le travail et finalement l’engagement de Pierre Rosanvallon n’en sont donc encore qu’à une étape. Il se dégage néanmoins de la trajectoire individuelle de l’auteur une indé11. Ibid, p. 383. 65 niable constance dans l’objet d’étude comme dans la méthodologie employée. La lecture de son œuvre – débutée en 1972 par la publication d’un ouvrage consacré à la lutte des classes et signé anonymement pour échapper à l’interdiction qui était alors faite aux appelés du contingent de publier12 – révèle en effet plusieurs constantes. Nous en évoquerons quatre pour conclure cet article : l’intégration de la longue durée dans l’analyse, le niveau de langage, le recours à plusieurs disciplines, et la cohérence d’une pensée qui épouse parfaitement l’engagement personnel. En mobilisant la longue durée historique comme DURÉE HISTORIQUE COMME OUTIL outil d’analyse, Pierre D’ANALYSE, PIERRE ROSANVALLON PARVIENT TOUJOURS À METTRE EN Rosanvallon parvient PERSPECTIVE LES PHÉNOMÈNES AVEC toujours à mettre en LEURS ENRACINEMENTS ANTÉRIEURS. perspective les phénomènes avec leurs enracinements antérieurs. Son œuvre est érudite, construite autour d’allers et retours entre le présent et le passé. Ainsi en est-il des tendances structurelles à travers desquelles la société, entendue comme société civile, n’a de cesse de restreindre et de surveiller l’exercice du pouvoir politique. La multiplication récente, par l’Internet et les médias sociaux, d’une forme de contre-pouvoir n’est à cet égard pas une nouveauté : dès la fin du XVIIIe siècle, les clubs et les journaux révolutionnaires jouaient déjà cette fonction. L’auteur-clé EN MOBILISANT LA LONGUE Le niveau de langage et le recours à plusieurs disciplines sont deux autres constantes de l’œuvre de l’auteur. Pierre Rosanval12. RANVAL Pierre, Hiérarchie des salaires et lutte des classes, Paris, Cerf, 1972. 66 lon exprime toujours sa pensée en des termes compréhensibles par le plus grand nombre, utilisant des mots qui, pour être simples en apparence, n’en font pas moins mouche conceptuellement. L’expression qui donne le titre de son ouvrage de 2006, La contre-démocratie, illustre cette capacité qu’a l’intellectuel, titulaire de la chaire d’histoire moderne et contemporaine du politique au Collège de France depuis 2001, à exprimer des concepts nuancés en des termes simples. Non contente de relever d’une exigence intellectuelle, cette simplicité est-elle rendue nécessaire par l’interdisciplinarité à laquelle s’astreint Pierre Rosanvallon ? Peut être. Dans chacun de ses ouvrages, celui-ci a en effet recours à l’histoire, à la philosophie, à la sociologie et à la science politique, renouant ainsi avec l’approche historique des origines, celle qui faisait de l’historien un penseur à la croisée des chemins, capable de mobiliser plusieurs disciplines afin de mener à terme sa réflexion. L’auteur-clé © Hermance Triay 67 68 Source : pictoblog d’Igor Dedic L’auteur-clé L’auteur-clé Cet ensemble à la fois méthodologique et linguistique donne à la pensée de Pierre Rosanvallon un caractère compact, tout à la fois complexe et clair, aérien et enraciné, vertical en ce qu’elle s’inscrit dans un continuum et horizontal en ce qu’elle prend place dans son époque. L’auteur du Bon gouvernement y apparaît d’un bloc, y-compris dans cette capacité qui le caractérise à être, en tant que citoyen, en phase avec sa réflexion. Diplômé d’HEC en 1969, Pierre Rosanvallon devient cette année-là conseiller économique de la CFDT, puis conseiller politique d’Edmond Maire. Proche de Michel Rocard et de la « deuxième gauche », il s’intéresse dès la fin des années 1970 aux actions citoyennes et institutionnelles autogestionnaires13. Dès 1978, il tourne le dos à une carrière politique et se lance dans des activités intellectuelles académiques qui le mènent, au début des années 1980, à soutenir un doctorat d’Etat ès lettres et sciences humaines14 lequel lui permet d’intégrer l’Ecole des hautes études en sciences sociales où il devient, en 1989, directeur d’études. A partir de 1982, et jusqu’en 1999, il crée la Fondation Saint-Simon avec François Furet, historien de la Révolution française. Réunissant des hauts fonctionnaires, des technocrates libéraux et des hommes d’affaires, ce think tank réformateur marque la préoccupation qu’a alors l’intellectuel à nourrir la démocratie via la réflexion de ses élites. Cette préoccupation évolue au début des années 2000, Pierre Rosanvallon lançant alors La République des Idées ainsi qu’une plateforme collaborative, La Vie des idées, dont il est encore aujourd’hui le directeur. Plus récemment, il lance une initiative citoyenne, « Raconter la vie », qui prend la forme d’ouvrages écrits par des anonymes, récits de vie dans lesquels chacun a la possibilité d’exprimer un témoignage professionnel. 13. ROSANVALLON Pierre, L’âge de l’autogestion, Paris, Le Seuil, 1976. 14. ROSANVALLON Pierre, Le moment Guizot, Paris, Gallimard, 1985. 69 On retiendra de ces dernières initiatives qu’elles épousent sans nuance les caractères de la pensée démocratique que l’on retrouve dans Le bon gouvernement. Engagé dans sa réflexion sur les mutations actuelles des démocraties, Pierre Rosanvallon est également un citoyen engagé dans la vie de la cité, dans les deux cas en faveur d’un regain d’éthique, de responsabilité, de réactivité et d’intégrité – soit autant de qualités qu’il faut pour faire ce que l’on nomme un honnête homme, c’est-à-dire d’un homme qui participe concrètement et complètement, par ses actions, au bon déroulement du fait démocratique. On retiendra également de la pensée de Pierre SUR LESQUELS REPOSE TOUTE Rosanvallon qu’elle fait DÉMOCRATIE CE QUI INSCRIT du droit et plus largeLE CADRE JURIDIQUE DANS ment du cadre juridique UN MOUVEMENT PERPÉTUEL l’une des conditions du D’ADAPTATION. bon fonctionnement de nos institutions. Dans sa pensée, le droit est l’un des piliers sur lesquels repose toute démocratie. Or, nous l’avons vu, cette dernière se définit comme un état d’équilibre en perpétuelle recherche de lui-même. Ce qui, mécaniquement, inscrit le cadre juridique dans un mouvement perpétuel d’adaptation, quitte à parfois revoir ses fondements de fond en comble. Mais ceci, nous l’aurons compris, est un autre débat. L’auteur-clé LE DROIT EST L’UN DES PILIERS par 70 Louis HARMEL Bibliographie sélective •• ROSANVALLON Pierre, Le sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1992 •• ROSANVALLON Pierre, Le peuple introuvable. Histoire de la représentation démocratique en France, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1998 •• ROSANVALLON Pierre, La démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France, Paris, Gallimard, 2000. •• ROSANVALLON Pierre, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Le Seuil, 2006 •• ROSANVALLON Pierre, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Paris, Le Seuil, 2008. •• ROSANVALLON Pierre, La société des égaux, Paris, Le Seuil, 2011. •• ROSANVALLON Pierre, Le bon gouvernement, Paris, Le Seuil, 2015. •• Conférences de Pierre Rosanvallon au Collège de France : http://www.college-de-france.fr/site/pierre-rosanvallon/ •• Revue « La vie des idées » : http://www.laviedesidees.fr/ •• « Raconter la vie » : http://raconterlavie.fr/pierre-rosanvallon L’auteur-clé Pour en savoir plus 71