Monstre sacré du cinéma, Jean Moncorgé, dit Gabin, né en 1904

Transcription

Monstre sacré du cinéma, Jean Moncorgé, dit Gabin, né en 1904
Monstre sacré du cinéma, Jean Moncorgé, dit Gabin, né en
1904, rêve de conduire des locomotives comme son oncle,
mais débute en tant que figurant sur les planches des Folies
Bergères de Paris à 15 ans, dans des spectacles de comiques
troupiers. Puis, il est embauché comme chanteur d’opérette et
de revue, auprès de Mistinguett notamment, au Moulin Rouge.
Peu avant l’arrivée du parlant, il apparaît dans deux films du
comique Raymond Dandy. « Je suis monté sur les planches à
contrecoeur.
J'ai
tourné
mes
premiers
films
sans
enthousiasme, sans espoir. A présent, ça y est : me voilà
mordu... »
C’est que, malgré un physique difficile, bien éloigné tout au
moins des canons de ce temps – il a le nez écrasé suite à un
combat de boxe à l’âge de 10 ans -, Gabin est touché par la
grâce et la chance. Gabin, c’est une présence. Qui crève l’écran. Il peut à la fois jouer les flics, les
gangsters, les ouvriers ou les soldats.
Avec l’invention du cinéma sonore, les producteurs veulent en mettre plein les yeux au public et misent
sur les comédies musicales. Et Gabin sait tout faire : danser, chanter, jouer. Après quelques films de ce
genre que l’on est en droit d’oublier, Gabin trouve sur sa route le réalisateur Julien Duvivier qui verra
en lui l’incarnation parfaite des héros de son cinéma qualifié de réalisme-poétique.
Après Maria Chapdelaine et l’invraissemblable Golgotha, dans lequel il campe rien moins que
Ponce Pilate, c’est La bandera où il donne la réplique à Anabella et à Robert Le Vigan, stars de
l’époque, qui l’impose comme la révélation de ces années troubles. Il n’a pas le temps de souffler que
déjà il enchaîne avec le film qui symbolise les espoirs et désillusions nés de l’avènement du Front
populaire, La belle équipe, du même Duvivier.
Suivent les collaborations avec Marcel Carné et Jean Renoir : Pépé le Moko, La grande Illusion,
Quai des brumes, La bête humaine, Le jour se lève, tous considérés comme des classiques
aujourd’hui. Une époque bénie qui se clôt par la guerre et le sublime Remorques de Jean Grémillon
avec qui il a tourné un an plus tôt ce film dont le titre lui sera accolé une grande partie de sa vie,
Gueule d’amour.
Profondément attaché à son pays, refusant, contrairement à d’autres vedettes, de continuer à travailler
sous l’Occupation, Gabin a la possibilité de traverser l’Océan et de s’exiler aux Etats-Unis. Mais il ne
tournera qu’à deux reprises à Hollywood, dont un film de propagande gaulliste signé Duvivier
(L’imposteur), et disparaît un long moment des écrans.
Son idylle en cours avec une autre exilée, Marlène Dietrich, n’empêche pas Gabin de sacrifier sa carrière
pour s’engager dans la Résistance, servant notamment au sein du régiment blindé des fusiliers-marins
des Forces françaises libres. De Casablanca à Berchtesgaden, en passant par la libération de Royan, il
n’est pas le dernier à risquer sa vie pour son pays.
En 1945, décoré de la Médaille militaire et de la Croix de guerre, Gueule d’amour a laissé sa place à un
homme épaissi, mûr, aux cheveux blancs. Le cinéma français semble l’avoir oublié ou, tout au moins, ne
pas le reconnaître, ne pas savoir comment le « recycler ». Gabin prend tout ce qu’il trouve, sans grande
conviction. Il faut attendre Au-delà des grilles de René Clément (1949) et surtout, après un rôle
mémorable dans Le plaisir de Max Ophuls (1952) et un succès en mécano aveugle dans La nuit est
mon royaume, la sortie de Touchez pas au grisbi de Jacques Becker et les retrouvailles houleuses
avec Renoir pour French cancan (1955) pour qu’il impose définitivement son nouveau physique.
Tandis que la Nouvelle Vague prépare son putsch contre le cinéma de papa, Gabin peaufine son
personnage de notable inspirant le respect ou l’envie, véritable gentleman farmer, en acquérant un
domaine en Normandie et se lançant dans l’élevage de bovins et de chevaux, menaçant selon ses sautes
d’humeur de s’y retirer définitivement. Commence alors sa collaboration avec Gilles Grangier (Gas oil,
Le rouge est mis) et son dialoguiste Michel Audiard. Une amitié se lie immédiatement, Audiard
écrivant des répliques sur mesure pour un ami qu’il admire.
Gabin prouve qu’il peut de nouveau tout faire : flic (Razzia sur la chnouf), juge pour enfants
(Chiens perdus sans collier), personnage historique (Napoléon), routier adultère (Des gens
sans importance), ou restaurateur (Voici le temps des assassins). En se plaçant sous les ordres
de Claude Autant-Lara pour une adaptation de Marcel Aymé, Gabin ignore encore qu’il participe, aux
côtés d’André Bourvil, au film le plus politiquement incorrect sur un sujet encore délicat, l’Occupation
et le marché noir. La traversée de Paris dérange et divise. Aujourd’hui encore. Gabin, c’est aussi le
meilleur interprète de Jules Maigret, le fameux commissaire créé par Georges Simenon (Maigret
dans Maigret tend un piège, Maigret et l’affaire Saint-Fiacre, Maigret voit rouge). Et que
dire de son Jean Valjean
dans Les misérables réalisé par Jean-Paul Le Chanois (1958) ? Se
confrontant à la génération montante des comédiens dans le vent, il donne la réplique à Brigitte Bardot
(En cas de malheur, autre Simenon), à Jean-Paul Belmondo (Un singe en hiver), Alain Delon
(Mélodie en sous-sol, Le Clan des Siciliens, Deux hommes dans la ville )…
Il campe un président du conseil irrésistible (Le Président) et revient à la comédie régulièrement (Les
vieux de la vieille, Le Cave se rebiffe). Jean Gabin est lancé sur sa dernière ligne droite, une
carrière de 95 films, couronnée par l'Ours d'argent au Festival de Berlin pour son interprétation dans
Le Chat (1971).
Il s’éteint le 15 novembre 1976 des suites d'une leucémie à l'Hôpital américain de Neuilly-sur-Seine, ses
cendres étant dispersées, selon ses dernières volontés, en mer bretonne.