Jusqu`au bout du rêve

Transcription

Jusqu`au bout du rêve
récit
Le 8 décembre, après un an de règne, Delphine Wespiser remet
sa couronne de Miss France 2012 à celle qui lui succédera. Comment
une jeune fille qui se prenait pour un « garçon manqué » est-elle devenue
la plus belle femme de France ? Et en quoi cela a-t-il changé sa vie ?
Miss France
L’auteur
Journaliste
à Pèlerin,
Éric Hahn n’a
jamais regardé
une élection
de Miss France
à la télévision.
Par simple
curiosité
journalistique,
il a voulu savoir
si les reines
de beauté
étaient aussi
futiles qu’on le
prétend parfois…
Il a été agréablement surpris.
24 →
L
Par Éric Hahn
es vacances s’écoulent doucement à Magstatt-le-Bas (HautRhin), au sud de Mulhouse. Ce
jour de février 2011, dans ce petit
village de 460 habitants, Delphine
Wespiser, 19 ans, étudiante en
management international, profite d’un moment de tranquillité pour feuilleter
L’Alsace, le quotidien local. Soudain, son œil est
attiré par un appel à candidatures pour l’élection de Miss Haut-Rhin. Sans en parler à personne d’autre qu’à Jérôme, son petit ami, elle
décroche son téléphone, sur un coup de tête.
Devenir Miss, elle n’en a jamais rêvé. Elle se
revendique même garçon manqué. Difficile à
croire devant tant de grâce : 1,75 m, élancée, des
yeux vert noisette pétillants, de longs cheveux
flamboyants, on ne peut faire plus féminin ! Mais
Marthe, sa maman, une laborantine, confirme :
depuis sa plus tendre enfance, Delphine n’entretient guère d’amitiés avec ses semblables. Elle
est en revanche inséparable d’un groupe de
copains fidèles, uniquement des garçons, dont
elle partage les jeux et les activités.
Bien sûr, tout le monde s’est toujours extasié
sur la beauté de Delphine. Michel, un ami de
son père Charles, architecte, ne lui serine-til pas depuis des années qu’un jour, elle sera
Miss France ? Petite, elle s’en amusait. Puis,
à l’adolescence, trouvait ça gênant. Ce n’est
qu’un an auparavant, à l’occasion d’une visite
exceptionnelle chez le coiffeur, que Delphine a
commencé à prendre conscience de sa féminité.
N°6784 → 6 décembre 2012
Depuis l’adolescence, la jeune fille a pris l’habitude de se couper et de se teindre les cheveux
elle-même. Pas toujours avec bonheur, comme
le lui font parfois remarquer ses amis. D’où sa
décision de confier, cette fois, sa chevelure à un
homme de l’art. Le coiffeur lui parle d’une de
ses amies qui organise des défilés de mode, lui
demande si cela l’intéresserait de gagner un peu
d’argent un week-end. Delphine accepte, comme
un défi. Découvre le frisson grisant d’être applaudie. S’apprécie surtout bien coiffée, maquillée et
vêtue avec soin. Le souvenir de cette première
expérience des podiums provoque le déclic à la
lecture de l’article de L’Alsace. Elle s’inscrit.
Commence alors un marathon vestimentaire.
Car dans sa chambre rouge – sa couleur de prédilection, jusqu’au lit –, l’armoire de Delphine
ne renferme que des jeans, des tee-shirts et
des baskets. Pas la moindre robe, pas davantage de chaussures à talons. Elle, qui a horreur
du shopping et préfère bêcher ses légumes au
jardin, va devoir se constituer une garde-robe
« de fille ». Plusieurs samedis de suite, sa mère
la traîne à Mulhouse, écume avec elle les boutiques. Delphine a toujours été trop grande pour
son âge et trop mince, rien ne lui va. Souvent,
elle rentre bredouille, mais finit pourtant par
accrocher quelques jupes, chemisiers et robes
dans sa penderie.
C
e 12 octobre 2012, c’est en majesté que
Delphine – elle a maintenant 20 ans –
m’accueille dans les coulisses de la halle
Jean-Baylet, à Valence-d’Agen. Perchée sur de
hauts talons, vêtue d’une robe courte et ceinte
Laurent Vu / Bureau233
BRUNO LEVY
Jusqu’au bout du rêve
de l’écharpe de Miss France, elle semble indifférente à l’agitation qui règne dans la salle des
fêtes de cette petite ville du Tarn-et-Garonne où
l’on s’apprête à élire Miss Midi-Pyrénées 2013.
Depuis des mois, elle sillonne le pays chaque
week-end, d’élection régionale en élection régionale, pour découvrir les 33 prétendantes qui, le
8 décembre, à Limoges (Haute-Vienne), postuleront à sa succession.
La poignée de main est ferme et franche, presque… virile. Étonnant de la part de cette jeune
fille longiligne qui m’invite aussitôt à la suivre
dans un endroit plus calme. Il y a un an, le
2 octobre 2011, Delphine se trouvait exactement
dans la même situation que ces treize candidates fébriles. À Kingersheim, près de Mulhouse,
pour l’élection de Miss Alsace. Le 26 mars précédent, à Lutterbach, elle avait remporté le titre de
3 décembre
2011 :
le jour
du sacre
de Delphine
Wespiser.
L’Alsacienne
est élue
Miss France
2012.
Miss Haut-Rhin. De l’autre côté du rideau, l’une
des candidates se présente au jury et au public.
Delphine tend l’oreille. Elle sait que le discours
constitue le moment le plus stressant et peut
s’avérer décisif. Elle est d’ailleurs persuadée
qu’il lui a permis de l’emporter, le 3 décembre
2011, à Brest, lors de l’élection suprême. Ce soirlà, contrairement aux autres candidates, elle ne
se contente pas d’une présentation succincte,
mais se livre, avec franchise et sincérité. Elle évoque avec fierté ses racines alsaciennes et son dialecte, défend les cultures régionales, clame son
engagement en faveur du don du sang, de l’accompagnement des personnes âgées, prend fait
et cause pour le bien-être animal… Au point que
Jean-Pierre Foucault, le maître de cérémonie,
ironise gentiment sur cet exposé très complet.
Le discours, en tout cas, touche le cœur du jury
et les quelque 8 millions de téléspectateurs qui
suivent l’émission en direct sur TF1. Delphine se
retrouve sélectionnée parmi les douze, puis les
cinq dernières candidates encore en lice. Dans
sa robe rose pâle vaporeuse tout droit sortie
d’un film de Sissi, elle ressent soudain l’ironie de
la situation, mesure combien il était improbable
qu’elle, garçon manqué, se retrouve là. Pense à
Georges, son grand-père adoré qui, à 83 ans, a
traversé toute la France en compagnie de ses
parents pour être présent, quelque part dans
cette immense salle.
Il est minuit passé. Delphine reste seule sur
scène, au côté de Miss Pays-de-la-Loire. Alain
Delon s’avance. Commence à prononcer la
phrase rituelle : « Miss France 2012 est et restera Miss… » Pourquoi pas Alsace, ne cesse de
se répéter Delphine en pensant à la joie qui
serait celle de ses parents, de ses amis. Quand
Alain Delon exauce son vœu, elle écarquille les
yeux, joint brièvement les mains devant sa bouche avant qu’un immense sourire ne vienne
illuminer son visage. Toute la soirée, Marthe
s’est inquiétée en voyant une possible victoire
se préciser. Si elle était élue, Delphine n’allaitelle pas, au dernier moment, refuser le titre et
ses contraintes ? Elle n’oublie pas que sa fille n’a
pas voulu partir faire ses études à Strasbourg
pour pouvoir rester proche des siens. Mais la 
Delphine a
toujours été trop
grande pour son âge et
trop mince, rien ne lui va
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récit
MISS FRANCE
 nouvelle Miss France, couronnée et ceinte de
l’écharpe, dit son bonheur d’avoir été choisie,
au grand soulagement de sa maman.
D
ix mois après son élection, dans les
coulisses impersonnelles de cette salle
des fêtes de Valence-d’Agen, Delphine
dresse un bilan de son règne. Elle a découvert
les plateaux de télévision, parcouru en tous
sens la France et les DOM-TOM ; participé à
Fort Boyard lors d’une « Spéciale Halloween »
au bénéfice d’Ifaw, le Fonds international pour
la protection des animaux. Elle arpentera bientôt la savane, au Kenya, en compagnie des rangers chargés de protéger les éléphants des trafiquants d’ivoire.
Pour autant, elle a souffert de n’être pas auprès
de sa famille en certaines occasions. Notamment
quand son grand-père a dû subir, en mars, une
lourde opération du cœur. À cette évocation,
ses yeux se brouillent, sa voix se brise. Georges
est son héros. Il s’est occupé d’elle enfant. Il
venait chaque matin à la maison, dès 7 heures,
pour l’habiller, la coiffer, lui préparer son petit
déjeuner et l’amener à l’école. Agriculteur à
la retraite, c’est lui aussi qui l’a initiée au jardinage dans sa ferme distante de 500 mètres
de la maison familiale, qui lui a transmis l’amour
des animaux et appris le dialecte alsacien.
L’autre fêlure, c’est la perte de Paypper, son
­golden retriever, en janvier dernier. Delphine
avait 6 ans quand elle l’a eu et ils ont grandi
ensemble. Un chiot choisi pendant des ­vacances
Repères
C’est un journaliste mondain,
Maurice de Waleffe, qui crée, en
1920, le premier concours national de « la plus belle femme
de France ». Le terme de « Miss
France » ne sera instauré qu’en
1927, et la cérémonie retransmise
à la télévision à partir de 1986.
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N°6784 → 6 décembre 2012
Depuis 2009, les téléspectateurs,
et eux seuls, désignent par leurs
votes Miss France et ses quatre
dauphines parmi les cinq finalistes retenues par le public
et le jury. Delphine Wespiser
est la 85e Miss depuis la création
de ce concours de beauté.
Darek Szuster MAXPPP
Afficher un
sourire éclatant,
tenir son rang : tel est
le destin d’une reine
Le héros de Delphine Wespiser :
Georges, son grand-père, qui
s’est occupé d’elle enfant.
en famille, sur un marché aux animaux, à Lyon,
dont personne ne voulait parce qu’il avait une
verrue sur la tête. Son cancer a été décelé le
17 décembre 2011, moins de deux semaines
après son élection. La voix et le regard à nouveau voilés de larmes, Delphine est étranglée
par l’émotion. Là non plus, elle n’a pu revenir
aussi tôt qu’il l’aurait fallu…
À cet instant, malgré la robe de gala et l’­écharpe,
il n’y a plus de Miss France rayonnante et sûre
d’elle. Juste une jeune fille éperdue de chagrin. L’animateur annonce l’entracte. Delphine
s’éclipse dans sa loge, pour se remaquiller et se
changer. Vingt minutes plus tard, elle se présente sur scène, superbe dans une robe longue
couleur rubis, pour une série de chorégraphies
devant une salle conquise. Ravaler ses larmes,
afficher un sourire éclatant, tenir son rang sans
faillir : tel est le destin d’une reine.
L
e 8 décembre, à Limoges, elle transmettra sa couronne. Sans doute avec un petit
pincement au cœur mais sans appréhension. À jamais, comme le disait Alain Delon, elle
restera Miss France 2012. À l’issue de cette jolie
parenthèse, elle retrouvera avec plaisir sa vie
d’avant. À commencer par sa famille, qui lui a
tant manqué. Et aussi ses amis et tout particulièrement Jérôme. Une fête est d’ailleurs prévue
à son retour de Limoges.
Dans sa chambre rouge, elle rangera ses « tenues
de fille ». Bien sûr, elle les ressortira de temps
à autre pour assurer des prestations au titre
d’ex-Miss France, mais continuera de préférer,
au quoditien, les jeans et les baskets. Au grand
dam de Marthe, qui se désole que sa fille n’ait
toujours pas attrapé le virus du shopping.
Delphine se mettra aussi en quête d’un autre
chien, dont son grand-père choisira le nom. En
attendant de reprendre son école internationale, à Colmar, en septembre prochain. Parce
qu’elle s’est battue pour y être admise et par
fidélité à sa devise : « Se donner les moyens
d’aller au bout de ses rêves pour ne jamais
avoir de regrets ! » l

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