Splendeur des Lettres Splendeur de l`Être
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Splendeur des Lettres Splendeur de l`Être
Rivka CRÉMISI Splendeur des Lettres Splendeur de l’Être Une vision énergétique du corps à la lumière de la kabbale hébraïque Préfaces du Rabbin Philippe Haddad et de Maître Kar Fung Wu Sous la direction de Marc Halévy PRÉFACE de Philippe Haddad L a kabbale n’a pas toujours eu bonne presse (en français, le mot a donné « une cabale », terme peu élogieux). La mystique reste toujours douteuse, elle qui peut faire basculer dans la folie meurtrière, si elle n’est pas encadrée par le garde-fou d’une raison morale. Le Talmud déjà nous met en garde à travers ce récit : « Quatre personnages pénétrèrent dans le verger des secrets : Ben Azaï, Ben Zoma, L’Autre et Rabbi Aquiba. Ben Azaï contempla et mourut ; Ben Zoma contempla et en devint fou, L’Autre apostasia (d’où son surnom de L’Autre), seul Rabbi Aquiba entra en paix et sortit en paix. » (TB Haguiga 14b) Des commentateurs explicitent la victoire de Rabbi Aquiba : il sortit en paix, parce qu’il entra en paix. Paix avec lui-même, pacification de son être qui pouvait alors s’adonner à des regards portés par-delà le visible immédiat. Rabbi Aquiba est entré en paix et sortit en paix, sans doute aussi parce qu’il eut la chance, la grâce ou le mérite d’avoir rencontré les maîtres qui jalonnèrent son parcours spirituel pour le conduire toujours vers la vie, la sienne et celle de l’autre. En hébreu, kabbalah (kabbale) ne signifie rien d’autre que « réception », réception d’un savoir antérieur, confié par un maître qui initie le disciple autant à un savoir qu’à un savoir-être. La kabbale est une science de l’être, la science de la réception de l’être, au nom de l’Être absolu, dont le nom, le chem, le YHWH, se décline en J’étais-Je suis-Je serai. La tradition kabbaliste remonte aux temps les plus antiques de la tradition d’Israël, on y découvre la figure, devenue légendaire, de Rabbi Simon fils de Yohaï (début du iie siècle apr. J.-C.), ou plus succinctement Bar Yohaï, à qui, pieusement, on a attribué l’écriture du Zohar (« Livre de la Splendeur »), même si sa forme définitive est due à l’espagnol Moïse de Léon (1250-1305). Bar Yohaï devient ainsi le vecteur de la tradition secrète d’Israël qui remonte à Moïse lui-même. 7 Splendeur des lettres, splendeur de l’être Quel est le sens de ce secret ? De ce sod ? Le kabbaliste nous enseigne que le texte biblique, et tout particulièrement la Torah (le Pentateuque) se lit à plusieurs niveaux : le sens littéral, le sens allusif, le sens éthique, et enfin le sens secret. Pour nous, ce sens secret traduit l’intériorisation de l’histoire biblique. Par exemple, la sortie d’Égypte ne désigne plus la sortie de l’esclavage du peuple d’Israël, mais la libération du sujet de ses propres formes d’asservissements (colère, orgueil, passion, etc.). Rabbi Aquiba avait réussi cette libération, il avait unifié les différents niveaux de son être intellectuel, émotionnel, physique, au point qu’au jour de sa mort, dans un martyr insupportable, il récitait vaillamment le Chémâ Israël, proclamant l’unité divine au cœur de ce monde où l’espérance du bien rencontre les horreurs barbares. La kabbale peut alors offrir des voies de guérison, d’apaisement, d’illuminations bienfaisantes. C’est là que le travail de Rivka Crémisi intervient. La découverte de la kabbale s’inscrit dans la découverte de son passé séfarade, dans cette Tunisie de la nostalgie juive qui sent bon le jasmin et l’amitié judéomusulmane. Jusque là pourtant, son esprit s’était enraciné dans un autre Orient, extrême celui-là, puisque ses racines poussaient en Chine. Qi Cong, Tai Ji Quan. Dans la fulgurance d’une rencontre avec elle-même, Rivka Crémisi comprend que l’espace est un leurre : Chine, Tunisie, France, Israël, tous les pays du monde sont reliés par la même cause qui donne vie aux espaces, aux choses et aux êtres. « Et le septième jour furent achevés les cieux, la terre et tout ce qu’ils contiennent. » (Genèse 2, 1) Ce TOUT qui procède du UN TOUT se dit KHOL [kaf – lamed] qui en lecture inversée donne LEKH [lamed – kaf] qui veut dire « VA » comme l’appel divin à Abraham. On ne peut saisir ce tout divin qui est infini que par le mouvement, la fragilité de la marche qui cherche son point d’équilibre. « Et le septième jour furent achevés les cieux, la terre et tout ce qu’ils contiennent. » La tradition juive entend cet « achèvement » du point de vue de Dieu, mais non comme un achèvement du point de vue de l’homme. En d’autres termes, Dieu achève, pour que l’homme commence. 8 Préface de Philippe Haddad Concrètement, Rivka Crémisi saisit que le corps de chair et le corps des lettres hébraïques – l’un des matériaux les plus prisés du kabbaliste – se travaillent de la même manière. Elle témoigne de cette rencontre en écrivant : « Le kabbaliste et l’énergéticien creusent des sillons vers le souffle primordial, siège de la lumière divine. » Dans ce livre dense et profond, Rivka Crémisi nous propose d’abord une lecture de la Genèse. Une lecture des soixante-dix visages de la Torah, voire des six cents mille interprétations comme l’enseigne la tradition juive. La Torah ne se lit pas selon un sens unique, le texte est un, mais les visages qui s’y penchent découvriront chacun un aspect particulier. Il fallait être kabbaliste et énergéticienne pour y découvrir ce que découvre notre auteur. Pourtant, cette lecture n’est qu’un début. De la lecture des lettres bibliques, Rivka passe à la lecture de notre corps. Ce qui pourrait paraître comme deux domaines différents se révèle dans l’harmonie d’Adonaï. Le soustitre du livre se comprend davantage en fin de parcours qu’en début de lecture « splendeur des lettres, splendeur de l’être ». Ce livre se lit, se relit, se médite, se parcourt en nous parcourant. Il demande une certaine familiarisation avec des concepts, des évidences mystiques. Ce livre est précieux, surtout dans notre temps contemporain qui voit ressurgir un retour aux religieux guerriers et sanguinaires, où les réseaux sociaux, simples outils de communication plus sophistiqués que nos anciens téléphones, permettent de répandre les haines les plus folles, les maladies de l’âme les plus démentes. Si ce livre permettait d’apaiser un tant soit peu ces écumes de rage, dayénou « cela nous suffirait », car ce qu’il y a à haïr dans la violence verbale ou physique, c’est la violence elle-même, et non ceux qui la transportent, malheureuses victimes d’une occultation de la lumière de la paix. Rivka Crémisi plante des graines de sagesse. Comme dans la parabole évangélique, on ne sait où les graines tombent, mais il y a des lieux où elles donnent une belle récolte. Nous espérons que l’ouvrage de Rivka Crémisi contribuera à offrir une belle récolte de sagesse et de paix pour le lecteur qui répandra à son tour ces étincelles de sainteté. Philippe Haddad Rabbin 9 PRÉFACE de Kar Fung Wu Une vision énergétique du corps à la lumière de la kabbale hébraïque J ’ai rencontré Rivka Crémisi voilà déjà vingt-six ans, en mai 1989, au petit jardin René-Le Gall du XIIIe arrondissement de Paris où je donnais des cours réguliers hebdomadaires de disciplines corporelles énergétiques chinoises telles que le Qi Gong, le Tai Ji Quan et le Ba Gua Zhang. Rivka était alors en pleine quête de son identité profonde, de sa mémoire ancestrale, et surtout de son projet d’incarnation sur terre. À cette époque, elle se formait professionnellement aux massages de différentes cultures traditionnelles. La nécessité de comprendre les lois fondamentales de l’édifice physique et la complexité de l’organisme vital du corps humain, en dehors de l’enseignement classique occidental, a conduit notre rencontre. Je suis venue en France dans les années quatre-vingt, à l’invitation de médecins français, pour participer à un projet de recherche en médecine traditionnelle chinoise. C’était l’époque où l’anesthésie par acupuncture pratiquée en Chine continentale pour des opérations chirurgicales sans produits chimiques a suscité une immense curiosité intellectuelle dans le monde médical occidental. Une équipe composée de médecins français a décidé de percer ce mystère. Le résultat des deux années de recherche qui ont suivi a donné des explications scientifiques à cette approche. Par la suite, un grand nombre de médecins occidentaux ont désiré apprendre l’acupuncture pour en faire leur spécialité. De ce fait, ils m’ont demandé de rester en France pour leur enseigner la vraie pratique traditionnelle. Je m’y suis trouvée alors professeur d’acupuncture ! Très vite, je me suis rendu compte que la main de mes apprentis n’avait pas eu l’occasion de développer le sens polyrythmique pour le maniement d’une aiguille afin de ponctuer correctement un point d’acupuncture. Leur façon d’insérer une aiguille n’était pas du tout rythmée. 11 Splendeur des lettres, splendeur de l’être Chaque point d’acupuncture est une zone neuro-énergétique bien déterminée et répond à un biorythme spécifique. Je leur disais alors que la main d’un bon acupuncteur est semblable à celle d’un bon violoniste, qui porte en elle toute la complétude polyrythmique de la vie intra-utérine, reliée à la première palpitation rythmée du placenta. Il fallait d’abord que je leur façonne la main ! Traditionnellement, nous pratiquons les gestes innés embryonnaires, dits « mudras », pour développer la motricité articulaire de la main afin de pouvoir modifier ou restaurer les différentes brisures biorythmiques de l’organisme vital par l’application d’une aiguille. La médecine traditionnelle chinoise considère que la plupart des maladies, surtout chroniques, proviennent de cassures biorythmiques importantes. Je disais même que l’idéal était d’apprendre à jouer du violon pour développer la vélocité digitale et devenir ainsi un acupuncteur compétent. Par ailleurs, les lignes de force énergétiques, les méridiens en question, n’étant pas encore tracées ni creusées dans les couches tissulaires de l’organisme vital de l’apprenti, la transmission de l’impulsion énergétique ne pouvait pas être déclenchée par la ponctuation vibratoire de l’aiguille. J’ai donc décidé non seulement de créer une école de disciplines corporelles, mais aussi une école de violon basée sur les lois énergétiques pour former de futurs acupuncteurs efficaces et compétents. En même temps, le ministre de la Jeunesse et des Sports a décidé de faire entrer les disciplines corporelles énergétiques chinoises dans le programme de l’Éducation nationale. Une fédération française de Qi Gong, de Tai Ji Quan et d’arts martiaux a été créée pour délivrer des certificats d’aptitude à enseigner. Je faisais alors partie de l’équipe formatrice de la fédération. Beaucoup de personnes s’inscrivaient à mon école pour être formées en tant que futurs enseignants. Je donnais des cours des disciplines diverses, tant pour la pratique que pour la théorie, à la manière traditionnelle, quatre matinées par semaine au petit jardin René-Le Gall durant onze années. Un grand nombre d’enseignants énergétiques ont été formés pendant cette période-là. Revenons à ma première rencontre avec Rivka, il y a vingt-six ans. Ce jour-là, elle s’est présentée en tant que juive tunisienne. Elle m’a tout de suite raconté son parcours personnel, y compris sa quête d’identité profonde en cours. Je me souviens si bien de ses réactions émotionnelles et son ressenti corporel après ses premiers cours de Qi Gong. Une irradiation lumineuse émanait de son visage à chaque fois, bouleversée 12 Préface de Kar Fung Wu et apaisée à la fois comme si elle venait d’arriver au bon port, après avoir traversé un long voyage en franchissant dix mille étapes difficiles pour accéder enfin à « l’autre rive ». Les années suivantes, Rivka faisait partie de mes élèves les plus assidus. Très rapidement, elle avait eu un appel intérieur qui lui dictait que le travail du corps ferait partie de son projet de vie. Elle ne manquait jamais un cours. Elle apprenait et pratiquait avec joie et persévérance. Simultanément, elle étudiait la Torah et la Kabbale avec des rabbins pour approfondir sa mémoire ancestrale. Chaque semaine, elle me faisait part de son émerveillement sur sa découverte de la conscience du corps, et aussi sur la connaissance sacrée révélée par l’étude des textes bibliques. Les années passant, un lien profond à la fois humain et spirituel se tissa dans le cœur et dans l’âme de chacune de nous, à travers l’étude et la pratique de ces deux grands trésors de l’humanité : la tradition kabbalistique hébraïque et la tradition énergétique chinoise. Je disais à Rivka, ainsi qu’à mes autres élèves de tradition juive, que rien ne nous arrive par hasard. Quand j’étais jeune acupunctrice, je me trouvais à exercer mon métier à Hong Kong, là où j’ai été formée en médecine traditionnelle chinoise. Les circonstances de la vie m’ont conduite à devenir l’acupunctrice de la communauté juive, et je me suis trouvée à soigner le rabbin de la synagogue de Hong Kong, ancien déporté d’Auschwitz, chaque vendredi avant l’arrivée du Shabbat. C’est vraiment par mon métier d’acupunctrice que j’ai découvert cette sublime sagesse et cette extraordinaire lumière spirituelle contenues dans la Torah et véhiculées par la tradition hébraïque. Je me suis alors mise à l’étudier grâce au rabbin de la synagogue, avec une grande joie et une immense ouverture du cœur. À chaque leçon, j’ai ajouté une nouvelle dimension spirituelle hébraïque à ma propre mémoire traditionnelle. Une plus grande clarté transparente a illuminé mon âme, toujours en quête de la lumière de l’Infini. Plus tard, le rabbin de la synagogue ainsi que la communauté juive de Hong Kong m’ont envoyée en Israël pour former les médecins en acupuncture, afin que les anciens déportés qui revenaient en nombre à ce moment-là sur la terre de leurs ancêtres, après avoir tant souffert de la Shoah, puissent bénéficier des soins d’une médecine restauratrice douce, efficace et peu coûteuse. J’ai eu alors l’honneur d’introduire la 13 Splendeur des lettres, splendeur de l’être beauté et la sagesse de la pratique médicale de mes ancêtres sur une autre terre sainte, bâtie et sanctifiée par tant de grands êtres de lumière. Aujourd’hui, Rivka a non seulement retrouvé son identité profonde, sa nature authentique, la racine de la lumière de son âme, mais elle a en plus bâti un pont précieux entre le corps et le texte, entre la tradition médicale chinoise et la tradition kabbalistique hébraïque. En lisant chaque page de son livre attentivement, je suis profondément émue par l’expérience intérieure qu’elle a traversée pour aboutir à ce bel ouvrage. Je sais que son livre va faire du bien à ceux qui vont le lire. Nous sommes à une époque où tout le monde est en quête de la présence de l’âme, même si nous ne sommes pas capables de le formuler verbalement. Nous cherchons à retrouver l’étincelle divine, cachée quelque part dans le tréfonds de nous-mêmes, pour pouvoir construire notre être intérieur, nous fortifier et nous bonifier, pour développer notre propre humanité et l’amour pour notre prochain, afin de nous relier à nos frères de la même terre. Nous avons besoin d’outils efficaces pour nous forger, nous faire grandir, et dévoiler la racine de notre nature profonde. La Torah, la Kabbale, la médecine chinoise, les disciplines corporelles énergétiques sont là comme des outils précieux pour nous aider. Le corps comme bâtiment sacré qui héberge et protège l’âme, le texte comme souffle primordial qui la nourrit et la transcende. Notre âme est une entité spirituelle ayant son origine dans l’espace galactique du ciel infini. Elle est notre visage originel, radieux, éblouissant, façonné et sculpté par la lumière initiale de la Création. L’âme est aussi une entité vibratoire transparente, frémissante d’une haute intensité de résonance acoustique, multicolore comme un magnifique arc-en-ciel, suspendu dans un état de bonheur parfait. Je suis heureuse de voir Rivka devenir la gardienne de l’Âme du Monde. Kar Fung WU Professeur de médecine traditionnelle chinoise et des disciplines corporelles énergétiques À Paris, le 31 mai 2015, jour de la fête des Mères 14 PARTIE I LA CRÉATION CHAPITRE 1 Tout était rien « Lorsque l’Unique a décidé de créer l’Univers, il a restreint la lumière en délimitant des bords, Soph. Ensuite, cette restriction prit place. Il y eut un endroit dans lequel toutes choses purent êtres créées. Il dessina alors une ligne unidirectionnelle d’infinie Lumière, Ayin Soph Or et l’inséra dans l’espace de vacuité. C’est à travers cette ligne que l’Infinie Lumière atteignit l’En-bas… » J Rabbi Isaac Louria, Ēts ḥayyim (L’Arbre de vie) e choisis délibérément d’aller un peu vite pour parler de la Création, car le sujet de mon livre est avant tout l’homme et sa dimension divine. Il me paraît important de le replacer dans la création. Notre corps est une grande lettre de lumière : cette affirmation demande quelques explications… Depuis l’existence de l’humanité, la mémoire de l’univers s’enracine au cœur de nos âmes. Chaque embryon reçoit la Connaissance, la Sagesse suprême, tel un livre ouvert. Celle-ci n’a pas d’âge. Nous sommes ce livre de splendeur : joyau à sculpter, à ciseler, à révéler afin de faire peu à peu émerger notre projet de vie, et comprendre le sens de notre incarnation. Les maîtres kabbalistiques nous expliquent qu’à l’origine de l’origine, avant que toute chose soit créée, tout était rien, Ayin, `ya. Cette source est indéterminable, inconnaissable, infinie. « Avant la Création, rien ne se passait, il n’y avait pas de temps ; rien n’arrivait ; il n’y avait pas de temps à venir, et rien n’était, à part le Ayin. » Mordekhai Chriqui, Idra Zouta Kadicha ou La révélation du « Tout-Puissant » Ce Rien prend toute la place, s’étend de façon incommensurable. Nous pouvons dire que ce rien est le premier mot qui qualifie Dieu, la conscience divine. 21 Splendeur des lettres, splendeur de l’être Le divin envisage d’opérer la création du monde… Dans ce but, il crée une limite, soph, au rien, ayin, et ce rien devient Ayin Soph, fvs `ya. Cet Ayin Soph est la lumière suprême, la lumière primordiale, l’énergie cosmique. Elle est de couleur bleu encre, comme un saphir. 22 CHAPITRE 2 Du rien au point « Tout est dans le secret d’un Point enfoui et caché. Le point étincelant, origine de la lumière constitue le mystère suprême. » Zohar 15a P our permettre la Création, la conscience divine sans limite se rassemble et se contracte en un point ; ce retrait s’appelle tsimtsoum, ovxmx. Par le tsimtsoum, par cette contraction, Dieu crée un vide en son sein… Le vide d’où tout surgit. Le vide appelle le plein, le plein de la création. Ce vide va permettre la création de l’Univers. Le tsimtsoum est comme le premier souffle de l’existence d’où peut advenir la matière, le temps et toute la création, dont l’homme. Nous retrouvons, bien sûr, cette notion du Rien primordial également dans d’autres traditions : Lao Zi, grand maître daoiste, écrivit au cinquième siècle avant notre ère : « La Voie qui se raconte ne peut pas être une voie éternelle, Nommer, qui peut se nommer, n’est pas non plus le Nom éternel, Le Rien, c’est le commencement du ciel et de la terre. » Ou encore, un de ses disciples, Zhuang Zi, nous dit : « À l’origine, il y a le rien, le wu. Le Rien n’a point de nom. Du Rien est né l’Un. L’Un n’a point de forme. » Le point principe se concentre alors, pour aboutir à un niveau intolérable de concentration, au point d’exploser en libérant une énergie incommensurable. La prodigieuse et inépuisable énergie pure qui jaillit de ce point est appelée or, rva, « lumière ». Or est une puissante énergie capable de créer et d’alimenter une infinité de mondes. Cette lumière 23 Splendeur des lettres, splendeur de l’être issue du rien, qui emplit et anime l’ensemble de Ayin Soph, porte le nom de Ayin Soph Or, rva fvs `ya, « infinie lumière ». Ce point exprime toutes les forces de rétention, de contraction et d’expansion. Le point témoigne de cette éternité première, de cette puissance infinie. La brisure du noyau profond a donné l’univers. « À l’intérieur de l’enfermement de l’enfermement brille une lumière infime, inconnue, enclose en une trace aussi fine que le trou d’une aiguille, frémissement secret de la Pensée. » Zohar 21a Le célèbre cosmologiste Trinh Xuan Thaun, dans son livre Mélodie secrète, écrit : « L’univers tout entier est contenu dans une sphère d’un millième de centimètre de diamètre, la taille de la pointe d’une aiguille. » 24 CHAPITRE 3 Naissance de la création « Lorsque le Mystère de tous les Mystères désira se dévoiler, il façonna d’abord un point qui devint la Pensée, où il dessina toutes les figures et tailla tous les signes... Le point suprême, c’est la lumière intérieure qui n’a pas de mesure. » L Zohar 2a e point suprême, neqoudah rishon, `vwar hdvqn, tournoie, explose et projette, alors, un rayon de lumière, le qav, vq. Il est comme un rayon laser. Nul ne peut supporter l’éclat de cette lumière suprême. En pénétrant dans l’espace, le point crée la ligne ; le trait est le symbole de l’énergie qui se manifeste. Le point est à la base de toutes les lettres hébraïques, car c’est à partir du point, de la ligne, que toutes les lettres ont été créées. La lettre Yod, y, prend naissance dans ce point ténu. Et de ce point ténu découlent les vingt-deux étincelles, les vingt-deux lettres, dont je parlerai dans le chapitre sur les lettres. C’est une semence émanant de la sagesse primordiale, ḥokhmah. « Le commencement de l’existence est le secret du Point mystérieux, et il est appelé sagesse primordiale cachée. » Moshé de Léon, Le Sicle du sanctuaire 25 CHAPITRE 4 Les dix séphirot « Lorsque la lumière sans limite se condensa en un point, les dix séphirot étaient potentiellement présentes dans ce point primordial. Un éclair jaillit, développant les dix séphirot dans l’ordre que nous connaissons. » A Zohar 2, 83b près être entré dans le vide, le qav, premier rayon de lumière, forma dix cercles s’encerclant l’un l’autre tout en gardant la forme droite. Ces dix cercles s’appellent les séphirot, tvryps. La lumière primordiale pénètre dans l’espace vide et se densifie sous la forme de dix réceptacles, qu’on appelle les séphirot, et ce, à travers quatre mondes. Les séphirot vont accueillir et contenir la lumière, de la plus pure à la plus dense. Elles font office de filtre, car la lumière primordiale est si puissante qu’elle ne peut pas être reçue directement par l’homme dans le monde d’incarnation. La place d’une séphirah décrit la gradation de la lumière. Elle tient à la fois de filtre et de transformateur. Les dix séphirot sont les différents niveaux de manifestation de la lumière incréée. Elles sont des réceptacles dans lesquels la lumière sans limite se densifie toujours un peu plus. Les séphirot sont des réceptacles de l’influx divin par lesquels celui-ci est transmis aux mondes inférieurs. Une séphirah agit comme un voile coloré qui tamise la lumière et lui donne sa couleur. Les séphirot s’organisent selon un déroulement et non un déploiement ; on choisit un arbre pour pouvoir se le représenter. Le plus juste est un cercle concentrique, une rotation ou encore une onde de la vibration à travers neuf étapes. Neuf étapes, car la première séphirah Kéter vit dans le monde du non manifesté. L’émanation des séphirot a aussi été imagée sous forme d’un éclair ou à travers les sinuosités d’un serpent zigzaguant d’une séphirah à l’autre. 27 Splendeur des lettres, splendeur de l’être « Dix Séphirot dans le néant. Leur apparition a l’aspect d’un éclair dont les extrémités sont sans terme. Son Verbe court continuellement en elles, et lorsqu’Il parle tel un ouragan, elles s’inclinent devant son Trône et ils festoient. » Sépher Yétsirah 1, 6 L’univers, selon la kabbale, s’épanouit suivant dix principes. Dix étapes lumineuses par lesquelles il nous est possible de ressentir l’être infini. Ces dix étapes successives permettent à l’homme de percevoir le reflet d’une lumière qui l’éblouirait, le consumerait, s’il la contemplait telle qu’elle émane de sa source. C’est à l’aide des séphirot, qui dérivent l’une de l’autre, que Dieu rend tangible sa Présence. Les séphirot forment le lien entre l’infini, Ayin Soph, et le fini, Malkhouth, entre Dieu et la Création. Sans les séphirot, Dieu resterait dans le caché et serait ainsi totalement inaccessible à l’homme. Elles sont son vêtement de lumière. Elles « humanisent » le divin. Elles sont aussi les nombres qui englobent l’infini. Ces dix séphirot structurent l’arbre séphirotique, c’est aussi par leur intermédiaire que l’on accède à son sommet. Les séphirot sont au nombre de dix puisque, pour la kabbale, toutes choses sont contenues dans la décade. Dix et pas neuf, dix et pas onze, comme nous le précise le Sépher Yétsirah. Dix est de l’ordre d’un cycle accompli. C’est avec dix paroles qu’Élohim opéra la création du monde. Donc, ces dix paroles témoignent d’un équilibre dans la Création. Ces dix paroles ont été gravées sur la pierre, burinées par le doigt de feu divin. « Les lettres gravées sur les Tables se détachaient de la pierre et volaient dans l’air, de sorte que tout le monde a pu voir les lettres de feu noir sur un fond de feu blanc suspendues dans l’air. Les lettres sur ces Tables étaient lisibles aussi bien au recto qu’au verso. » Zohar 2, 84a Dix est la lettre Yod, la plus petite lettre de l’alphabet hébraïque qui s’incarne dans la matière. Par ce dix, le germe divin, Yod, s’imprime dans tous éléments de la Création. Ainsi, on retrouve l’unité, un dans le dix et dans le cent. 28 Chapitre 4 - Les dix séphirot Les séphirot sont considérées comme des puissances ou des réceptacles de Dieu, d’où l’idée de vases. Pour d’autres, elles sont les instruments, les outils de l’Architecte du Monde. Les sages les ont représentées comme les Dix Visages ou même encore comme les dix vêtements de Dieu. Mais, tous s’accordent à dire que les séphirot expriment les attributs divins qui manifestent la Création. « On ne peut percevoir du divin que ce qui prend un aspect relatif et accidentel, que ce qui se manifeste sous forme de forces. Ainsi Dieu se manifeste à travers ces forces agissantes et les œuvres qu’elles créent ; ces forces sont au nombre de dix, bien qu’en réalité elles soient une ; de l’Un, elles sortent et à l’Un, elles aboutissent... Celui qui croit que les séphirot sont réellement multiples est un hérétique. Toutes sont une seule et même lumière pure et resplendissante. » Rabbi Mattiya, Commentaire du Sépher Chaarei ora Nous allons les énumérer et les distinguer pour la bonne compréhension du livre, au risque de paraître didactique. Retenons que chaque sphère indique un niveau particulier de manifestation divine dans l’univers. Arbre de vie 29 TABLE DES MATIÈRES Préface de Philippe Haddad.......................................................................................... 7 Préface de Kar Fung Wu............................................................................................... 11 Prélude................................................................................................................................... 15 PARTIE I - La création...............................................................................................19 Chapitre 1 - Tout était rien......................................................................................21 Chapitre 2 - Du rien au point.................................................................................23 Chapitre 3 - Naissance de la création...............................................................25 Chapitre 4 - Les dix séphirot.................................................................................27 Chapitre 5 - Les quatre mondes...........................................................................37 Chapitre 6 - Émergence des lettres.....................................................................41 Chapitre 7 - Sagesse des lettres............................................................................45 Chapitre 8 - La guémaṭriah.....................................................................................49 Chapitre 9 - Consonnes et voyelles....................................................................73 Chapitre 10 - La kabbale et le kabbaliste.......................................................75 Chapitre 11 - Le livre sacré....................................................................................77 Chapitre 12 - La pratique.........................................................................................81 Chapitre 13 - Kabbale et corps.............................................................................83 PARTIE II - Le dessein de l’homme.....................................................................87 Chapitre 14 - Où es-tu ?...........................................................................................89 Chapitre 15 - L’appel.................................................................................................93 Chapitre 16 - Le chemin...........................................................................................97 Chapitre 17 - Passage de la peau, ōr, rvi, à la lumière, or, rva........ 101 Chapitre 18 - Les degrés de l’âme................................................................... 107 413 Splendeur des lettres, splendeur de l’être PARTIE III - Du monde céleste au monde de l’incarnation........... 119 Chapitre 19 - Réah, har, le poumon ou l’art de voir............................. 121 Chapitre 20 - Sarēphet, tpirs, le diaphragme, porte entre l’inconscient et le conscient.............................. 133 Chapitre 21 - Lev, bl, le cœur, siège du rayonnement de la sagesse.................................................................................. 141 Chapitre 22 - Kilyah, hylk, le rein, réceptacle d’Adonaï.................... 151 Chapitre 23 - Ozen, `za, l’oreille, de l’audible à l’inaudible............. 159 Chapitre 24 - Āyin, `yi, l’œil, du visible à l’invisible........................... 171 Chapitre 25 - Kaved, dbk, le foie, honore ton père et ta mère......... 183 PARTIE IV - L’homme en marche...................................................................... 197 Chapitre 26 - Ētsem, oxi, l’os, charpente du temple............................ 199 Chapitre 27 - Réguel, lgr, le pied, la traversée du jourdain............. 213 Chapitre 28 - Āqev, bqi, le talon, plate-forme de l’être..................... 229 Chapitre 29 - Qarsol, lsrq, la cheville, union du ciel et de la terre..................................................... 241 Chapitre 30 - Bérekh, jrb, le genou, porte de bénédiction............... 255 Chapitre 31 - Yarekh, jry, la cuisse, la lutte de Jacob avec l’ange................................................ 269 Chapitre 32 - Ētsem haētsah, hxih oxi, le sacrum, déploiement du Yod.................................................................. 285 Chapitre 33 - Matnayim, oyntm, les hanches, la traversée à l’autre rive........................................................... 293 PARTIE V - Les prémices de la sagesse........................................................ 301 Chapitre 34 - Ōreph, fri, la nuque, porte de la connaissance........ 303 Chapitre 35 - Moaḥ, cm, le cerveau, conscience suprême.................. 317 Chapitre 36 - Le voile du cerveau, le voile du temple......................... 339 Chapitre 37 - Marpès, sprm, la fontanelle, porte des cieux ou archive céleste.................................... 351 Chapitre 38 - Panim, oynp, le visage, espace de résonance divine.................................... 359 Chapitre 39 - Pé, ap, la bouche, matrice de la parole........................... 371 Chapitre 40 - Bériyout, tvayrb, la santé ou le rayonnement de l’être.................................................. 389 Bibliographie............................................................................................................. 407 414