Révision par l`ombudsman de Radio-Canada d`une

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Révision par l`ombudsman de Radio-Canada d`une
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Révision par l’ombudsman de Radio-Canada d’une plainte à propos d’un
reportage de Mme Ginette Lamarche, diffusé dans les téléjournaux de
Radio-Canada, le 8 décembre 2012.
LA PLAINTE
Le plaignant est M. David Ouellette, directeur associé, affaires publiques (Québec) du Centre
consultatif des relations juives et israéliennes, un groupe qui défend notamment les droits de la
communauté juive et cherche à accroître le soutien à Israël.
M. Ouellette estime que la correspondante de Radio-Canada au Moyen-Orient,
M
me
Ginette Lamarche, a mal rendu le sens du discours prononcé à Gaza par le chef du Hamas,
Khaled Mechaal, dans un reportage diffusé dans les téléjournaux du 8 décembre 2012.
Voici l’essentiel de sa plainte :
« "Le Hamas ne reconnaîtrait pas Israël tant et aussi longtemps que l’État
hébreu occupe la Palestine", affirmait-elle dans son reportage intitulé Le
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Hamas a 25 ans , diffusé à la Télévision de Radio-Canada.
Or, ce n’est pas du tout ce qu’a dit le leader du Hamas. Conformément à la
charte du Hamas qui appelle à la destruction d’Israël, Meshal a clairement
affirmé que "toute la Palestine", incluant Israël, devait être libérée par le
Djihad.
Aussi, aucun grand média n’a escamoté de la sorte le sens du discours de
Meshal. Par exemple, le service anglophone de Radio-Canada, dans un
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article intitulé Hamas Marks 25 Anniversary With Anti-Israel Speech ,
rapporte ces propos de Meshal qui ne laissent place à aucune ambigüité :
"We are not giving up any inch of Palestine. It will remain
Islamic and Arab for us and nobody else. Jihad and armed
resistance is the only way, » Mashaal said, referring to holy
war. « We cannot recognize Israel’s legitimacy." [traduction
de l’ombudsman : « Nous ne céderons pas un pouce de la
Palestine. Elle est pour nous et personne d’autre et elle sera
islamique et arabe. Le Djihad et la résistance armée sont la
seule voie, a dit Mechaal, faisant référence à la guerre
sainte. Nous ne pouvons pas reconnaître la légitimité
d’Israël. »]
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http://www.radio-canada.ca/widgets/mediaconsole/medianet/6514772
http://www.cbc.ca/news/world/story/2012/12/08/hamas-25th-anniversary-gaza.html
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L’Agence France-Presse, dans un article publié par La Presse et de
nombreux médias français, n’escamote pas plus le sens du discours de
Meshal :
"J’espère que notre quatrième naissance sera la libération
de la Palestine, toute la Palestine", a affirmé le chef du
Hamas, évoquant la Palestine mandataire, qui couvrait
Israël et les Territoires palestiniens."
Le Washington Post rapporte quant à lui, dans un article intitulé Hamas
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Leader Khaled Meshal Says Group Will Never Recognize Israel , que
Meshal a déclaré :
" Palestine, from the river to the sea, from north to south, is
our land", Meshal said, "Not an inch of it can be conceded."
[Traduction de l’ombudsman : "La Palestine, de la rivière à la
mer, du nord au sud, est notre terre, a dit Mechaal. "Nous ne
pouvons en céder un seul pouce."]
On le voit bien, le Hamas considère que le territoire de l’État d’Israël est un
territoire palestinien à libérer par la guerre. Le Hamas et Khaled Meshal ne
conditionnent donc pas leur reconnaissance d’Israël à l’autodétermination
des Palestiniens à Gaza et à la Cisjordanie, comme le prétend Madame
Lamarche, mais affirment clairement que jamais ils ne reconnaîtront Israël et
que l’État juif doit disparaître.
Nous estimons que ce reportage de Ginette Lamarche ne respecte pas la
valeur d’exactitude inscrite dans les Normes et pratiques journalistiques de
Radio-Canada. »
RÉPONSE DE LA DIRECTION DE L’INFORMATION
C’est M. André Dallaire, directeur, Traitement des plaintes et Affaires générales, qui a répondu au
plaignant au nom de la direction de l’Information.
En gros, M. Dallaire réfute les critiques de M. Ouellette. Il considère que l’introduction du
me
reportage et les termes utilisés par M Lamarche ne diffèrent pas grandement des
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http://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/201212/07/01-4601683-le-chef-en-exil-du-hamas-agaza-pour-la-premierefois.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B13b_moyenorient_291_section_POS2
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http://www.washingtonpost.com/world/middle_east/hamas-leader-khaled-meshal-denounces-israel-atanniversary-rally-in-gaza/2012/12/08/b311c70c-4179-11e2-a2d9-822f58ac9fd5_story.html
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comptes rendus cités en exemple par le plaignant, même s’il admet que la journaliste s’est peutêtre exprimée gauchement.
Il ajoute que le sens du discours n’a pas échappé à M
me
Lamarche, comme en font foi ses autres
interventions dans la journée du 8 décembre, cette fois dans les radiojournaux de Radio-Canada.
LA DEMANDE DE RÉVISION
M. Ouellette n’a pas été convaincu par la réponse de M. Dallaire et c’est en ces termes qu’il m’a
demandé de réviser le dossier :
« … nous ne décelons rien de nouveau dans les propos de Madame
Lamarche que vous rapportez qui permette à l'auditeur de comprendre que
Khaled Mechaal se réfère à la destruction d’Israël lorsqu'il appelle à la
libération de toute la Palestine.
Comme nous le soulignions dans notre première lettre, le réseau
anglophone de Radio-Canada, La Presse via l'Agence France-Presse et le
Washington Post ont tous utilisé des citations pertinentes de Mechaal ou
apporté des précisions pour éviter toute ambigüité.
Non seulement Radio-Canada n’a-t-elle pas cité les passages pertinents du
discours ou apporté les précisions nécessaires pour comprendre les propos
de Mechaal, mais elle en a complètement détourné le sens en avançant
qu’une reconnaissance d’Israël par le Hamas dépendrait de la fin de
l’occupation de la Palestine, le même terme employé par Radio-Canada
pour désigner les territoires revendiqués par l’Autorité palestinienne. »
LA RÉVISION5
Aux fins de cette révision, je reproduirai les passages pertinents du reportage de
me
M Lamarche. En voici d’abord l’introduction lue par l’animatrice Pascale Nadeau dans l’édition
de 17 heures du Téléjournal, celle qui se trouve toujours en ligne sur Radio-Canada.ca 6 :
« Au Proche-Orient, le chef en exil du mouvement islamiste Hamas a rejeté
tout compromis. En visite à Gaza, sa première en 45 ans, Khaled Mechaal a
lancé un appel pour la libération de toute la Palestine et refusé encore une
fois de reconnaître le droit à l’existence d’Israël. Pas question, dit-il, de céder
un pouce de territoire aux sionistes. »
Et voici comment M
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me
Lamarche rapporte dans son reportage les propos du chef du Hamas :
http://blogues.radio-canada.ca/ombudsman/mandat
http://www.radio-canada.ca/widgets/mediaconsole/medianet/6514772
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« Kahled Mechaal n’a fait aucune concession. Le Hamas ne reconnaîtra pas
Israël tant et aussi longtemps que l’État hébreu occupe la Palestine. Nous
ne céderons pas un pouce de la Palestine, a-t-il poursuivi. »
M. Ouellette estime que les extraits qu’il cite, tirés d’autres médias, sont plus explicites, en ce
qu’ils précisent ce que le terme « Palestine » définit aux yeux du Hamas et de son chef.
Le reportage de CBC, cité par le plaignant, précise que le Hamas ne peut pas « reconnaître la
me
légitimité d’Israël » et que la seule solution est « la guerre sainte ». Celui de M Lamarche parle
de la « libération de toute la Palestine, » et du refus du Hamas (plutôt deux fois qu’une) de
reconnaître le droit d’exister d’Israël. Mais dans aucun des deux reportages on ne dit avec
précision de quelle « Palestine » il est question.
L’extrait du Washington Post, lui aussi cité par M. Ouellette, ne fait pas mieux en disant « la
Palestine, de la rivière à la mer, du nord au sud, est notre terre ». Parle-t-on ici de la Palestine
historique incluant Israël? Ou des territoires palestiniens occupés par Israël de la rivière à la mer
et du nord au sud? Il faut aller chercher ailleurs dans l’article les précisions dont parle le
plaignant. En effet, on y lit dès la première phrase : « Khaled Meshal…called for an Islamic
Palestinian state on the territory of Israel, the West Bank and Gaza Strip ». [Traduction de
l’ombudsman : « Khaled Mechaal… appelle à la création d’un État palestinien islamique sur les
territoires d’Israël, de la Cisjordanie et de Gaza. »]
L’autre article cité par M. Ouellette, celui de l’Agence France-Presse reproduit dans le quotidien
La Presse, prend soin lui aussi de préciser que Khaled Mechaal parle de « la Palestine
mandataire, qui couvrait Israël et les territoires palestiniens ».
M. Ouellette estime également qu’il n’y a rien dans le reportage de M
me
Lamarche qui « permette
à l'auditeur de comprendre que Khaled Mechaal se réfère à la destruction d’Israël lorsqu'il appelle
à la libération de toute la Palestine », contrairement aux autres reportages qu’il cite à l’appui de
sa plainte et qui, soutient-il, « ont tous utilisé des citations pertinentes de Mechaal ou apporté des
précisions pour éviter toute ambigüité ».
En fait, deux des trois reportages qu’il donne en exemple, ceux de la CBC et du Washington
Post, précisent que Khaled Mechaal invoque la résistance armée comme moyen de lutter contre
Israël, ce que celui de l’Agence France-Presse ne fait pas.
La valeur d’exactitude définie dans le chapitre d’introduction des Normes et pratiques
journalistiques (NPJ) de Radio-Canada dit ceci :
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« Exactitude
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Nous recherchons la vérité sur toute question d’intérêt public. Nous
déployons les efforts nécessaires pour recueillir les faits, les comprendre et
les expliquer clairement à notre auditoire. (…) »
Le reportage de M
me
Lamarche indique que le chef du Hamas a appelé à la libération de
« toute » la Palestine; et que son mouvement ne reconnaît pas le droit à l’existence d’Israël. Estce suffisant pour comprendre que Khaled Mechaal inclut dans la « Palestine » l’État d’Israël? Oui,
pour ceux qui connaissent un tant soit peu le conflit israélo-palestinien. Probablement aussi pour
ceux qui ont suffisamment porté attention au reportage et qui ont su inférer que le Hamas,
refusant de reconnaître Israël et voulant libérer « toute » la Palestine, celle-ci devait inclure celuilà.
La journaliste a-t-elle déployé « les efforts nécessaires pour recueillir les faits », comme le
demande la valeur d’exactitude citée plus haut? Certainement. Pour les « comprendre »? Sans
doute. Pour « les expliquer clairement » à son auditoire? C’est moins évident.
Est-ce que le manque de précision entourant la réalité décrite par le chef palestinien lorsqu’il
utilise le mot « Palestine » est suffisamment important pour conclure à une infraction aux NPJ?
Était-ce une erreur de ne pas mentionner que le chef du Hamas a appelé à la résistance armée
et à la guerre sainte contre Israël au lendemain d’une guerre qui a duré 8 jours et fait plus de 170
morts? C’est discutable.
Le peu de temps, à peine plus d’une minute, alloué aux journalistes de la télévision et de la radio
les oblige constamment à sacrifier des éléments d’information pertinents. Les choix dépendent de
l’évaluation et du jugement éditorial de chacun.
Je rappelle que les reporters ne sont pas seuls dans l’exercice de ce choix : leurs superviseurs
immédiats doivent connaître les événements relatés, prendre connaissance de la relation qu’en
font les autres médias, et discuter les choix éditoriaux des journalistes qu’ils encadrent.
Je pense que, dans le toujours complexe et délicat conflit israélo-palestinien, il faut au moins
s’assurer que les termes que l’on utilise soient bien compris du public. Or, la définition même de
ce qu’est la « Palestine » est au centre de cet éternel affrontement, et ce depuis le début. Il me
semble que compte tenu de cette importance, on aurait pu, et dû, déployer plus d’efforts pour le
définir clairement et correctement.
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http://cbc.radio-canada.ca/fr/rendre-des-comptes-aux-canadiens/lois-etpolitiques/programmation/journalistique/
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CONCLUSION
Le reportage de M
me
Ginette Lamarche, diffusé dans les téléjournaux de Radio-Canada le 8
décembre 2012, sur le discours du chef du Hamas, Khaled Mechaal, a enfreint par son manque
de clarté la valeur d’exactitude des Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada.
Pierre Tourangeau
Ombudsman des Services français
Société Radio-Canada
Le 9 janvier 2013