DROIT DU LOGEMENT Pierre Gagnon L`équité contractuelle en

Transcription

DROIT DU LOGEMENT Pierre Gagnon L`équité contractuelle en
DROIT DU LOGEMENT
Pierre Gagnon
L’équité contractuelle en droit du logement
depuis 1994 et l’interdiction conventionnelle
relative aux animaux favoris*
AVANT-PROPOS
En raison de son caractère
résolument progressiste, le Code
civil du Québec (C.c.Q.) a redonné
vigueur à l’ensemble de notre droit
privé. Au cours des cinq premières
années d’application du Code, praticiens du droit et juges ont en
quelque sorte veillé sur la petite
enfance des nouvelles dispositions.
Le colloque du Barreau «La
réforme du Code civil, cinq ans
plus tard», tenu à l’automne 1998,
a dégagé un certain nombre de
lignes directrices de cette évolution. C’est dans ce contexte qu’il
nous a paru opportun de faire le
point sur les solutions jurisprudentielles d’équité contractuelle,
inspirées par le Code de 1994, qui
ont infléchi le domaine du droit du
logement, tantôt superficiellement, tantôt de manière fondamentale.
A) INTRODUCTION
1.
L’équité contractuelle
Le contrat est l’émanation et
l’expression de la volonté des par-
ties: c’est cette caractéristique qui
lui confère son autorité et sa force
obligatoire. «Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi
à ceux qui les ont faites», édicte
l’article 1134 du Code civil français. L’autonomie de la volonté1 est
le principe fondamental du droit
des contrats, en France comme au
Québec.
Cette doctrine n’est pas
définie en toutes lettres dans le
nouveau Code, mais on trouve
l’énoncé de son proche corollaire, le
consensualisme, à l’article 1385
C.c.Q.: «Le contrat se forme par le
seul échange de consentement...».
De plus, le principe de l’autonomie
de la volonté est perceptible en filigrane dans l’ensemble des dispositions relatives aux obligations.
Voici quelques exemples: l’énumération limitative des vices de consentement (1399 C.c.Q.), ainsi que
le caractère obligatoire (1434 et
1458 C.c.Q.), l’irrévocabilité et
l’immutabilité (1439C.c.Q.) de la
convention et de ses suites. La fermeté de l’engagement contractuel
constitue un gage de sécurité pour
les parties. Il est loisible d’affirmer
* Cet article traduit l’état du droit à la fin de septembre 1999.
1. François TERRÉ, Philippe SIMLER et Yves LEQUETTE, Droit civil – les Obligations, 5e éd., 1993, Paris, Dalloz, p.25.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
333
que la crédibilité des institutions
d’un pays se mesure en grande partie à l’aune de la continuité des
règles qui déterminent la formation et l’exécution du contrat2.
Cependant, la complexité
croissante du tissu social et des
relations économiques ne permet
plus l’application aveugle du consensualisme, doctrine héritée
d’une période où prédominait le
libéralisme intégral. D’une part, le
souci de favoriser la justice contractuelle, malgré la force inégale
des contractants, a suscité l’apparition d’un «formalisme de protection», selon la formule du ministre
de la Justice3. C’est le cas notamment pour la forme et le contenu
des contrats soumis à la Loi sur la
protection du consommateur4.
D’autre part, en vue de rétablir l’équilibre des prestations et
ainsi favoriser une «nouvelle moralité contractuelle»5, le législateur
québécois – surmontant sa réticence bien ancrée de civiliste à cet
égard6 – a dû se résoudre à élargir
la latitude d’analyse des juges. Dès
1964, il ajoutait au Code civil du
Bas-Canada (C.c.B.-C.) une section intitulée De l’équité dans certains contrats 7 . En particulier,
l’article 1040c prescrivait que le
tribunal pouvait intervenir en vue
de réduire ou même d’annuler les
obligations monétaires découlant
d’un prêt d’argent si le coût du prêt
était excessif ou encore si l’opération dans son ensemble était
«abusive et exorbitante». Le juge
devait prendre sa décision «eu
égard au risque et à toutes les circonstances».
Le texte même de la modification invitait le décideur à analyser chaque clause dans le contexte
des autres conditions de la convention, et même à tenir compte des
facteurs extérieurs, tels les risques
assumés par l’une ou l’autre des
parties. Cet élargissement de la
discrétion judiciaire a pris quelque
peu à rebrousse-poil la magistrature de l’époque: tributaire d’un
réflexe séculaire de prudence, elle
a favorisé une interprétation restrictive de ses nouveaux pouvoirs8.
La brèche était néanmoins pratiquée: sans remettre en cause la
responsabilité des parties devant
leurs engagements, le codificateur
de 1994 exige désormais que
l’équité contractuelle9 soit respectée à toutes les étapes de la convention. Il a d’ailleurs porté son propre
jugement sur l’état du consensus
2. V. Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les Obligations, 5e éd.,
1998, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., p. 12.
3. Le Code civil du Québec – Commentaires du ministre de la Justice, 1993, Québec,
Gouvernement du Québec, t. 1, art. 1385.
4. L.R.Q., c. P-40.1.
5. Précité, n. 2.
6. V.Gérard CORNU, Droit civil – Introduction. Les personnes. Les biens, 5e éd.,
1991, Paris, Montchrestien, p. 72; selon cet auteur, «le pouvoir modérateur
demeure, en droit français, exorbitant ».
7. L.Q. 1964, c. 67.
8. Roynat Ltée c. Restaurants de la Nouvelle-Orléans Inc. (les), [1978] 1 R.C.S. 969.
9. «L’équité est une donnée objective et universelle qui exige... au moins, qu’il n’y ait
pas, dans le traitement de choses semblables, de différences excessives »: G.
CORNU, précité, note 6, p. 69.
334
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
social en retirant aux tribunaux le
pouvoir de déterminer la légalité
de certaines stipulations. Voici
l’éclairage du juge Jean-Louis
Baudouin sur cette question:
Le Code civil s’est attaché, dans
toute une série de dispositions
visant les règles de formation et
d’exécution des contrats, à établir une équité contractuelle fondée sur la bonne foi. Plus
interventionniste que le législateur de 1866, il n’hésite pas,
dans un grand nombre de dispositions, à déclarer nulles, non
écrites, ou sans effets certaines
stipulations conventionnelles.
Dans ces cas, mis à part d’éventuels problèmes de qualification
ou d’interprétation de ces clauses et la constatation judiciaire
de leur existence, le juge n’a
qu’un pouvoir d’intervention
limité qui consiste seulement à
annuler la clause en question.10
2.
La clause abusive
À la fin du long processus de
refonte mené par l’Office de révision du Code civil, le concept de
clause abusive ne faisait plus
hérisser l’hermine des magistrats.
L’Office prévoyait d’ailleurs l’octroi au juge d’une discrétion plus
poussée pour tous les types de contrats. Mais vu l’absence de consensus à cet égard, la disposition
finalement adoptée (article 1437
C.c.Q.) s’applique seulement aux
contrats d’adhésion et de consommation11. Malgré le champ d’application restreint, les critères
d’appréciation du caractère abusif
demeurent vagues à souhait.
Qu’est-ce qui «désavantage le consommateur ou l’adhérent de façon
excessive et déraisonnable»? Comment va-t-on «à l’encontre de ce
qu’exige la bonne foi»? Par quels
critères peut-on identifier une
clause qui «dénature» le contrat?
Le libellé de l’article 1437 suspendait les juges dans un état inconfortable – et inaccoutumé –
d’apesanteur normative. Pour le
professeur Pierre-Gabriel Jobin, il
s’agissait d’un «terrain semé d’embûches»12.
L’absence de balises claires
aurait pu occasionner des difficultés majeures d’interprétation. Au
contraire, le premier quinquennat
de l’article 1437 n’a pas provoqué
de révolution jurisprudentielle; la
disposition a été appliquée généralement avec prudence et circonspection, comme l’explique dans un
élan d’optimisme le professeur
Jean Pineau:
«Cinq années, c’est encore peu,
mais c’est déjà suffisant pour
prétendre, contrairement à ceux
qui prédisaient le pire, que la
10. J.-L. BAUDOUIN, Les obligations, 4e éd., 1993, Cowansville, Les Éditions Yvon
Blais Inc., p. 245.
11. V. Pierre-Gabriel JOBIN, Les clauses abusives, dans Congrès du Barreau du
Québec 1996, Service de la formation permanente, p. 366-367. Cette restriction
ne s’applique toutefois pas à la clause pénale abusive (articles 1622 et 1623
C.c.Q.).
12. Précité, n. 11, p. 367. Pour clarifier le débat, celui-ci propose néanmoins certains
repères de classification. Une clause peut être abusive
– soit en elle-même
– soit à la lumière «des autres stipulations de la convention »
– soit (à la lumière) «d’autres contrats ayant un lien avec (le contrat) et dont les
répercussions peuvent rendre la clause abusive, ou au contraire rendre inacceptable une clause qui serait acceptable à première vue » (p. 382-383).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
335
moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction.
surprise, sans être divine, est
plutôt agréable!13
3.
La bonne foi
Progressivement, mais surtout au cours du dernier quart de
siècle, les tribunaux québécois en
sont venus à évaluer non seulement la légalité stricte du contrat,
mais également les circonstances
de sa mise à effet14. «(Les conventions) doivent être exécutées de
bonne foi» prescrit l’article 1134 in
fine du Code civil français. La doctrine de l’abus de droit vise à supprimer les effets pervers de
l’exécution malicieuse ou entachée
de mauvaise foi15. Dans l’arrêt
phare rendu en la matière par la
Cour suprême du Canada, l’honorable juge Claire L’heureux-Dubé
s’exprime ainsi sur la pertinence
de cette théorie:
Bien qu’elle puisse représenter
un écart par rapport à la conception absolutiste des décennies
antérieures , qu’il lus tr e la
célèbre maxime «la volonté des
parties fait loi», elle s’inscrit
dans la tendance actuelle à concevoir les droits et obligations
sous l’angle de la justice et de
l’équité.16
L’exigence de la bonne foi (et
la condamnation de l’abus de droit)
est désormais codifiée aux articles
6, 7 et surtout à l’article 1375
C.c.Q.:
La bonne foi doit gouverner la
conduite des parties, tant au
Les notions distinctes mais
complémentaires de clause abusive et d’abus de droit font maintenant partie intégrante du droit
positif: la codification de ces principes a eu pour effet de stimuler une
analyse plus approfondie de la
relation contractuelle, de façon que
soient réalisées les attentes exprimées à l’époque par le ministre de
la Justice:
Si le Code civil maintient, quant
à certaines normes ou notions,
un flou relatif, il traduit aussi
jusqu’à un certain point, les
ambivalences et les intérêts
diversifiés qui cohabitent dans
la société. Il faut voir ces règles
comme les pores par lesquels le
code peut respirer, se vivifier et
s’adapter par l’interprétation
qui lui sera donnée suivant l’évolution de notre société.17
B) EN DROIT DU
LOGEMENT
1.
EN GÉNÉRAL
Le bail résidentiel, à toutes
les étapes de son existence, est
assujetti de façon toute particulière à la règle de la bonne foi. En
effet, ce contrat établit les conditions relatives à la satisfaction
d’un besoin fondamental, l’habitation. Il comporte des obligations
diversifiées qui sont, par surcroît,
13. Jean PINEAU, La discrétion judiciaire a-t-elle fait des ravages en matière contractuelle?, dans La réforme du Code civil, cinq ans plus tard, 1998, Barreau du
Québec et Éditions Yvon Blais Inc., no 113, p. 178.
14. Pour connaître l’état du droit en la matière avant la refonte du Code, v.
Pierre-Gabriel JOBIN, Grands pas et faux pas de l’abus de droit contractuel,
(1991) 32 C. de D. 153.
15. «L’intention malveillante est le critère incontesté de l’abus de droit»: G.
CORNU, précité, note 6, p. 58.
16. Banque nationale du Canada c. Houle, [1990] 3 R.C.S. 122, p. 145.
17. Précité, note 3, p. VII.
336
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
exécutées de façon successive.
Impossible souvent de retrouver
une preuve écrite fiable pour régler
les conflits qui surviennent en
cours d’exécution; le bail lui-même
est verbal dans de nombreux cas.
La bonne foi a l’insigne avantage
d’être une notion simple et universellement acceptée: son sens est
équivalent en droit et dans la vie
courante. De plus en plus, elle
constitue la clef de voûte pour la
solution de litiges portant sur le
droit du logement.
À titre d’exemple, la Régie du
logement a sanctionné l’abus de
droit dans les domaines suivants:
– recours excessifs et harcèlement par le locateur18;
– location dans un but criminel19;
– loyer frauduleusement bas20;
– av is d’ au g men tati on irrégulier21.
1.1 Les clauses déclarées
abusives
Dans le cadre de la réforme
majeure du droit du logement réalisée en 197322, le législateur a
décrété qu’il était désormais interdit de déroger dans un contrat à la
p lup a rt d es d isp osit ions d u
C.c.B.-C. relatives au bail résidentiel. Cette interdiction est reprise à
l’article 1893 du Code actuel par la
formule «Est sans effet la clause...»
Toute stipulation contraire est
abusive et frappée de nullité, dès
l’origine et sans décision judiciaire
quant à son caractère. En vertu du
p rincip e d e l’ordre p ub lic,
l’Autorité fait une détermination
préalable de la nature abusive d’un
comportement et limite en conséquence l’autonomie de la volonté
des parties23. Des cas précis sont
prévus aux articles 1900 (limitation de la responsabilité et modification des droits), 1905 (déchéance
du terme), 1906 (réajustement du
loyer en cours de bail) et 1910
C.c.Q. (état du logement).
1.2 La clause abusive
(art. 1901 C.c.Q.)
L’article 1901 C.c.Q., qui
porte sur la clause pénale abusive
et sur la clause abusive en général,
transpose dans le domaine du bail
résidentiel la latitude considérable
d’analyse qu’on constate à l’article
1437 C.c.Q. La faculté de statuer
18. Couture c. Fréchette, [1998] J.L.75.
19. Morin c. Bourgoin, [1995] J. L. 196
20. Caisse populaire Notre-Dame-de-la Merci de Montréal c. Diamant et al., [1997]
J.L. 44.
21. Lussier c. Bouchard, [1999] J.L. 86.
22. L.Q. 1973, c. 75; ces modifications ont été reprises pour l’essentiel aux articles
1650 et suivants du C.c.B.-C. en 1979.
23. Le droit positif récent a quelque peu atténué la sévérité de cette notion. On établit désormais une distinction entre l’ordre public de direction et l’ordre public
de protection. L’ordre public de direction concerne les principes et les politiques
de l’État: aucune dérogation n’est admise et la nullité est absolue (art. 1417
C.c.Q.). Au contraire, le bénéficiaire de l’ordre public de protection peut y renoncer, lorsque la mesure de protection est devenue actuelle. Dans ce cas, aux termes de l’article 1419 C.c.Q., la nullité est relative. V. Nicole ARCHAMBAULT,
Droit des obligations du louage, dans La réforme du Code civil, textes réunis par
le Barreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec, vol. 2: Obligations,
contrats nommés, 1993, Ste-Foy, Presses de l’Université Laval, p. 650-651.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
337
sur la nature équitable d’une stipulation contractuelle, conférée
lors de la réforme de 1973, n’est
soumise à aucune contrainte spéciale: il s’agit en tous points d’un
pouvoir discrétionnaire24. Appliquée plutôt timidement au cours
des quelque vingt premières
années de son existence, la disposition a pris du galon dans le contexte plus «contestataire» du
nouveau C.c.Q.
L’article 1901 traite en premier lieu de la clause pénale abusive, qui prescrit une pénalité
excessive en cas d’inobservation
d’une obligation. Depuis 1994,
deux types principaux de clauses
pénales ont été analysés par les tribunaux. Il y a d’abord la stipulation, formulée de multiples façons,
qui prévoit un rabais de loyer ou
autre prime si le locataire exécute
fidèlement ses obligations. En cas
de faute à cet égard, le locateur
réclame le remboursement de
l’avantage consenti, généralement
de façon rétroactive. Le tribunal
doit évaluer la sanction réclamée
en regard du «préjudice réellement
subi» 25. Voici une autre formulation de cette exigence:
Nous concluons donc que, si à
priori, les clauses abusives doivent être étudiées à la lumière
des règles d’équité, nous croyons
que dans les cas où la peine est
démesurée par rapport au préjudice subi, elle doit être déclarée
nulle ou réductible.26
Pour la majorité des régisseurs de la Régie du logement, la
stipulation conditionnelle de
rabais de loyer ou d’un autre avantage constitue une clause pénale
au sens de l’ article 1622 C.c.Q. On
juge en effet que, par une telle condition, les parties évaluent par
anticipation les dommages-intérêts découlant de l’inexécution de
l’obligation27.
La citation suivante démontre le souci manifesté par les décideurs de cerner correctement la
nature de la stipulation visée:
La Régie examine ce type de
clause avec beaucoup de prudence. Sans nécessairement conclure qu’il s’agit d’une clause
pénale dans tous les cas, le soussigné considère que le locateur a
le fardeau de démontrer qu’il ne
s’agit pas d’un moyen pour hausser artificiellement le coût du
loyer ou d’attirer un locataire
sous de fausses représentations.
Il a le fardeau également de
démontrer que la clause est
claire et non équivoque, que le
locataire y a consenti en toute
connaissance de cause et finalement que son contenu est raison-
24. «Faculté acccordée à une personne appelée à prendre une décision, dans les limites de sa compétence, de choisir parmi les décisions possibles celle qui lui paraît
la plus appropriée suivant les circonstances »: Hubert REID, Dictionnaire de
droit québécois et canadien, 1994, Montréal, Wilson et Lafleur Ltée, p. 434.
25. Bernier c. Burnett, [1996] J.L. 335.
26. Immeubles Yamiro Inc. c. Yvon Mola Brière, [1997] J.L. 131.
27. Le raisonnement contraire, bien que minoritaire, est tout à fait soutenable:
«En droit québécois, la clause pénale (est) un engagement de payer une somme
d’argent fixée à l’avance et en sus de l’obligation initiale ... la clause stipulant la
révocation des mois gratuits si la locataire ne paie pas le loyer le premier jour du
mois a, comme conséquence, que la locataire sera simplement tenue à son obligation initiale, c’est-à-dire, au paiement du loyer pendant toute la durée du
bail»: Weldon c. Demers, [1994] J.L. 321.
338
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
nable au sens de l’article 1901
précité.28
Un second type de clause
pénale fixe à l’avance les conséquences de divers événements qui
peuvent survenir en cours de bail:
par exemple, l’indemnité de cession de bail29, la peine pour retard
du loyer ou les frais de chèque sans
provision30. Dans de tels cas, il
s’agit d’établir une stricte équivalence entre le préjudice subi et la
sanction prévue.
Quant à la clause abusive au
sens large, qui confère au juge le
pouvoir d’intervenir en matière
d’«obligation... déraisonnable», le
pouvoir discrétionnaire est limité
seulement par le devoir de statuer
«en tenant compte des circonstances». Le locataire peut demander
une décision déclaratoire du tribunal à cet égard, à titre principal ou
accessoire. Il peut également invoquer en défense la nature abusive
d’une clause dont le locateur veut
lui imposer l’observation. La jurisprudence est d’une utilité plutôt
limitée sous ce rapport, puisqu’on
est généralement en présence de
cas d’espèce. Quelques illustrations néanmoins: le locataire se
plaint d’être assujetti au coût des
services publics31, de devoir installer des tapis à ses frais32, d’être
responsable de la réparation des
28.
29.
30.
31.
32.
33.
34.
35.
36.
37.
appareils ménagers fournis avec le
logement33, de ne pas pouvoir utiliser un lave-vaisselle dans son
appartement34.
2.
LA QUESTION DES
ANIMAUX FAVORIS
2.1 Observations
préliminaires
La clause supplémentaire du
bail qui provoque le plus de conflits
est sans contredit celle qui régit la
possession d’animaux favoris.
Dans une minorité de cas, le bail
précise le nombre, la taille ou l’espèce des bêtes qui auront accès aux
lieux loués35. Ainsi, un chat sera
toléré, mais non un chien36. Habituellement toutefois, c’est l’exclusion générale: aucune concession,
même pour l’animal qui accompagne un visiteur37. La formule
usuelle est succincte et lapidaire:
«Pas d’animaux». Cette position
radicale n’est pas sans fondement.
Les habitations sont d’abord destinées aux êtres humains; les
animaux qu’on y introduit se comportent fréquemment comme des
intrus peu désirables, et leurs maîtres comme des gardiens peu soucieux d u b ien com m un. La
coexistence des personnes et des
animaux, particulièrement dans
les immeubles à logements multiples ou dans les édifices en hau-
Arquello c. Immeubles Yamiro Inc., [1995] J.L. 44.
F.D.L. Compagnie Ltée c. Morin, [1996] J.L. 366.
Foucault et a. c. Maurice, R.L. 28-960415-019G, 17 juillet 1996, r. D. Dumont.
Lowry et a. c. Verlinden, R. L. 26-960424-004G, 21 novembre 1996, r. D.
Laflamme.
Athanassiadis c. Cormier, R.L. 35-931216-005G, 16 février 1994, r. J. Bisson.
Campbell c. Diakite, R.L. 35-960423-025A, 6 septembre 1996, r. H. Chicoyne.
Olivier c. Office municipal d’habitation (OMH) de Vanier, R.L. 18-970217-030G,
18 juin 1997, r. J. Cloutier.
Delli Quadri c. Annecchini, R.L. 34-960411-001G, 17 juin 1996, r. J. Gagnon
Trudel.
Mondou c. Miller, C.Q. 500-02-020249-947, 2 juin 1995, j. R. Barbe.
Giarciello c. Tremblay, R.L. 32-960322-005G, 31 mai 1996, r. G. Joly.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
339
teur, est une source inépuisable de
différends de toutes sortes.
Les voisins se plaignent au
propriétaire des aboiements, de la
malpropreté, des odeurs; ils sont
allergiques au poil, ils redoutent la
présence d’un molosse dans l’ascenseur. Le locateur, de son côté,
subit des frais supplémentaires de
conciergerie et d’extermination de
parasites. Il assiste impuissant à
la détérioration de sa propriété,
grugée à coups de becs, de crocs,
d’ergots ou de griffes. Il craint l’effet d’entraînement chez les autres
locataires s’il manifeste la moindre
tolérance à ce sujet. Sans tenir
compte du temps perdu à intervenir dans les chicanes entre voisins
ou à faire le pied de grue dans
l’antichambre de la Régie du logement. La mise en œuvre d’une politique d’interdiction totale des
animaux favoris comporte des
avantages certains, à la fois pour
l’ensemble des locataires et pour le
propriétaire. C’est une mesure qui
prévient les tensions entre voisins
et réduit les coûts d’exploitation,
entraînant la bonne entente et les
loyers raisonnables.
Ces objectifs fort respectables se heurtent cependant à un
phénomène incontournable: la
relation qui existe depuis l’aube
des temps entre l’homme et les animaux qu’on dit «familiers»38. Au
Québec, entre 45 et 58 % des
ménages hébergent au moins un
animal39. Leur popularité croissante s’explique en partie par le
fractionnement, ou l’«atomisation»
du tissu social: la personne seule
ou handicapée, l’enfant unique, le
vieillard isolé nouent des rapports
étroits de substitution avec un animal de compagnie. En principe
tout au moins, il est légitime pour
quiconque est empêché d’acquérir
ou de conserver un animal de se
sentir lésé dans l’exercice de ses
droits fondamentaux.
Il faut également compter
avec l’influence croissante de la
zoothérapie. De nombreux médecins affirment que le contact avec
un animal soulage ou même guérit
les symptômes reliés aux maladies
physiques ou psychologiques. Voici
la définition de cette discipline proposée par la Société de zoothérapie
de Drummondville:
le terme général «zoothérapie»
s’applique à toute activité impliquant l’utilisation d’un animal
auprès de personnes, dans un
but récréatif ou clinique. Cetteméthode favorise les liens naturels et bienfaisants existant
entre les humains et les animaux, à des fins préventives et
thérapeutiques.40
Ces divers facteurs illustrent
le dilemme du décideur: doit-il
favoriser l’application d’une clause
légale et claire, ou plutôt se montrer ouvert aux nouvelles tendances, y compris à la zoothérapie? S’il
cherche la réponse dans le texte
législatif, l’article 1901 C.c.Q. lui
fournit un seul critère, vague à
souhait: la clause visée est-elle
«déraisonnable»? Cette imprécision explique en grande partie les
flottements de la jurisprudence
québécoise. Avant d’approfondir
l’état du droit positif québécois en
38. «Familier: qui est considéré comme faisant partie de la famille »: Nouveau Petit
ROBERT, Édition 1995, p. 890.
39. Le Devoir, 22 décembre 1998, p. B1.
40. Site Internet www.zoothérapie.com.
340
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
la matière, il convient de faire un
rapprochement sommaire avec
certaines solutions élaborées à ce
sujet en Ontario et aux États-Unis.
2.2 À l’extérieur du Québec
La Loi sur la protection des
locataires de l’Ontario, mise en
vigueur le 16 juin 1997 4 1 , a
refondu en un seul texte toute la
législation portant sur le louage
résidentiel. Concernant la possession d’animaux, le mérite principal
de la position ontarienne est de dissiper tou te ambig u ï t é. Tout
d’abord, à l’article 15, le principe:
Est nulle la disposition de la convention de location interdisant
la présence d’animaux dans l’ensemble d’habitation ou dans ses
environs immédiats.
Le législateur a donc tranché
la controverse en faveur des locataires qui possèdent un ou des animaux. Il n’a pas pour autant
dépouillé le locateur de tout
recours. Aux termes des articles 64
et 65 de la Loi, ce dernier peut
envoyer au locataire un avis de
résiliation du bail fondé sur le préjudice découlant de la possession
d’un animal. Le locataire peut
alors, soit se départir de son animal dans un délai maximal de 7 à
10 jours, selon le manquement
reproché, soit quitter le logement
dans un délai maximal de 20 jours,
soit attendre la décision du tribunal, que le locateur doit saisir par
requête.
L’article 74 précise que la
résiliation du bail est accordée seu-
lement si la présence de l’animal
(ou d’un autre animal de cette race
ou espèce) «a gêné de façon importante la jouissance raisonnable de
l’ensemble d’habitation», «a provoqué... de graves allergies» ou
encore «constitue en soi un danger
pour la sécurité du locateur ou des
autres locataires». Il y a donc une
parenté certaine avec l’approche
québécoise, qui subordonne la résiliation du bail à l’existence d’un
préjudice sérieux. Par contre, le
locateur n’est pas admis, comme
au Québec, à demander une ordonnance d’exécution en nature. Cette
distinction est explicitée ci-dessous, au paragraphe 2.3.2 (Les
sanctions).
Quant au droit des ÉtatsUnis en la matière, en voici un
rapide survol42. D’abord, les clauses «no pets» sont généralement
tenues pour valides et susceptibles
d’exécution. Il existe toutefois de
nombreuses exceptions, notamment en faveur des personnes
âgées, des handicapés et des occupants de logements subventionnés. Le principe d’accommodement
convenable («reasonable accommodation») – qui est également en
pleine évolution au Québec43 –
constitue un élément fondamental
de la plupart des Codes des droits
de la personne: le locateur est tenu
de manifester une certaine indulgence à l’égard du locataire qui a
besoin de son animal pour sa santé
physique et mentale.
L’esprit de tolérance est également à la source de l’estoppel,
une doctrine de la common law
41. L.O. 1997, c. 24.
42. L’information relative au droit américain est tirée de Companion Animals in
Rental Housing, Newark, N. J., Rutgers University Law School Animal Rights
Center, Site internet www.animal-law.org/housing/.
43. V. notamment Whittom et al. c. Commission des droits de la personne du Québec,
J.E. 97-1255.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
341
selon laquelle est réputé avoir
renoncé à exercer son droit le
créancier qui a omis d’agir en
temps utile après avoir connu la
violation d’une clause du contrat44.
Dans la ville de New York par
exemple, le délai d’action – très
bref – est de trois mois. Généralement toutefois, il doit s’écouler un
délai beaucoup plus long pour que
l’on puisse conclure à l’acquiescement passif du locateur. De plus,
l’estoppel ne peut plus être invoqué
si le locataire renouvelle son bail.
Comme la plupart des États ne
reconnaissent pas le principe de la
tacite reconduction, le droit acquis
du locataire sous ce rapport
s’éteint avec l’ancien bail.
2.3 Au Québec
Prises isolément, les décisions rendues au Québec au cours
des dernières années relativement
aux clauses prohibitives paraissent souvent épouser des thèses
diamétralement opposées. Certains décideurs semblent privilégier une application rigoureuse de
la stipulation, alors que d’autres
sont plutôt sensibles au préjudice
subi par le possesseur de l’animal.
Il est clair qu’il n’existe pas d’unanimité étanche à ce sujet.
Mais serait-ce préférable?
Au-delà des divergences de degré
inévitables dans un contexte fortement émotif, une conclusion
découle manifestement de la jurisprudence récente: le principe de
l’autonomie de la volonté n’est nullement remis en cause dans l’en-
semble des décisions rendues45.
D’autre part, ce qui apparaît parfois comme un magma jurisprudentiel se compose en fait d’une
multitude de cas d’espèce. Il
convient donc de faire le point sur
les principes relativement constants énoncés par les juges et régisseurs, ainsi que sur les nuances
diverses révélées par la jurisprudence des dernières années. Nous
nous penchons par la suite sur
deux affaires qui ont quelque peu
bouleversé l’échiquier des idées
reçues en la matière.
2.3.1 Les principes
a) La clause n’est pas
déraisonnable
L’interdiction de posséder un
animal n’est pas considérée en soi
comme une «obligation... déraisonnable» au sens de l’article 1901
C.c.Q. La formulation suivante est
typique à cet égard:
Une telle clause, d’application
générale et d’intérêt commun,
n’est pas déraisonnble ni abusive à sa face même... Selon la
jurisprudence, une telle clause
n’est pas injuste parce que, d’une
part, tous les locataires et occupants de l’immeuble y sont assujettis et que, d’autre part, elle a
été clairement énoncée au locataire qui y a adhéré librement.46
On insiste beaucoup dans les
décisions sur le fait qu’il s’agit
d’une «clause à laquelle la locataire
a librement consenti»47. «Toute
personne a l’obligation d’honorer
44. V. également la définition de H. REID, précité, note 24, p. 222.
45. Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) c. Halbot, R.L. 10960913-002G, 18 octobre 1996, r. M. Dubé.
46. OMH de Sept-Îles c. Bouchard et al., C.Q. 650-02-000412-948, 27 octobre 1995, j.
G. de Pokomandy.
47. Vigeant c. Tsatoumas, R.L.31-960627-059G, 12 novembre 1996, r. H. Beaumier.
342
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
les engagements qu’elle a contractés...», déclare péremptoirement
l’article 1458 C.c.Q. C’est essentiellement le rappel qu’on fait au
locataire fautif:
[...] la locataire a acquis ce chien
alors qu’elle était consciente
qu’elle dérogeait ainsi aux conditions de son bail, sans préalablement l’accord de la locatrice
[...]48
Ou encore,
À la signature de son bail, la
locataire savait pertinemment
qu’elle ne pouvait garder d’animaux dans son logement. Malgré une telle interdiction, elle
décide de procéder à l’acquisition
de deux chiens [...]49
La position des tribunaux en
cette matière est donc remarquablement ferme et concordante, tout
au moins lorsqu’il y a eu négociation véritable des conditions du
bail.
b) La clause est conforme à la
Charte
Reconnaissant qu’ils ont
enfreint une clause de leur bail,
certains locataires plaident néanmoins que cette stipulation viole
certains droits fondamentaux conférés par la Charte des droits et
libertés de la personne du Qué-
bec 5 0 . Invoquant notamment
l’article 1 de la Charte, ils avancent
qu’une telle restriction constitue
une atteinte à leur liberté et à leur
dignité. Cette prétention a généralement été rejetée, les décideurs
étant d’avis qu’il n’y a pas de lien
essentiel entre la liberté et la
dignité d’un locataire et le droit ou
non d’avoir un animal.
On a également eu recours à
l’article 10 de la Charte, qui interdit le comportement de nature discrim ina t oire. Une loca t a ire
d’origine chinoise se disait victime
de discrimination «fondée sur la
race», parce qu’elle était la seule à
s’être vu contester la présence de
son chien, alors que les autres locataires (tous des Occidentaux)
n’étaient pas incommodés51. Son
moyen de défense n’a pas été
retenu par la Régie, la locataire
n’ayant pas pu fournir une preuve
prépondérante de comportement
raciste. Un autre locataire a fait
valoir que son fils souffrait d’un
«handicap» et que la présence de
son animal de compagnie constituait «l’utilisation d’un moyen
pour pallier ce handicap»52. La
question n’a pas été tranchée au
fond dans cette décision, puisque le
régisseur a décidé, après une étude
exhaustive du sujet, que l’intéressé souffrait non pas d’un handicap, mais d’une maladie.
48. OMH de Longueuil c. Narbonne, R.L. 37-941028-008G, 16 janvier 1995, r. G.
Joly.
49. Domiciles Pop Inc. c. Thibault, R.L. 06-960508-001G, 30 janvier 1997, r. M.
Dubé.
50. L.R.Q., c. C-12. La Charte canadienne des droits et libertés (L.R.C. (1985), App.
II, no 44, Ann. B) ne s’appliquerait pas en la matière, selon le juge Pokomandy
(v. ci-dessus, note 46).
51. Résidence Lincoln c. Yang Uye Il, R. L. 31-961009-055G, 13 décembre 1996, r. R.
Holden.
52. OMH de Trois-Rivières-Ouest c. Marchand, [1995] J.L. 342.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
343
c)
L’application de la clause ne
constitue pas du harcèlement
L’article 1902 C.c.Q., introduit par la réforme de 1994, interdit le comportement visant à
restreindre le droit du locataire à
la jouissance paisible des lieux ou à
obtenir qu’il quitte le logement.
Cette interdiction vise non seulement les actes carrément illégaux,
mais également «les manifestations permises par la loi mais exercées de façon abusive»53.
Plaide-t-on que l’application
sélective ou déraisonnable de la
clause prohibitive équivaut à du
harcèlement? Les décideurs sont
peu sympathiques à cette thèse:
Le tribunal ne saurait voir dans
le comportement des locateurs à
cet égard une quelconque forme
de harcèlement, ceux-ci s’étant
bornés à demander à la locataire
de respecter la clause spécifique
du bail interdisant la présence
d’animaux dans le logement, les
demandes répétées des locateurs
n’étant aucunement empreintes
de mauvaise foi [...]54
Dans une autre affaire, il a
été jugé qu’un locataire poursuivi
en résiliation de bail, après avoir
été mis en demeure de se débarrasser de son chien, ne pouvait pas
obtenir la résiliation du bail en sa
faveur et des dommages-intérêts
pour cause de harcèlement, même
si la demande du locateur avait été
rejetée pour d’autres motifs55.
d) La tolérance n’équivaut pas à
une renonciation
La doctrine de l’estoppel n’a
pas la faveur des décideurs, du
moins lorsque la tolérance n’est
que passive. On pourrait penser
que le caractère obligatoire de la
clause prohibitive s’atténue avec le
temps. Il n’en est rien dans la plupart des cas. La renonciation à la
clause doit être explicite:
[...] le fait d’avoir toléré la présence d’animaux à l’encontre de
la stipulation contenue dans les
baux ne constitue pas en soi une
renonciation à se prévaloir de
cette clause. Or, la preuve ne
révèle ni faits, ni paroles qui
pourraient laisser croire à une
modification du bail pour en
retrancher la clause ou pour permettre aux appelants de croire
que l’intimé renonçait à son
application [...]56
Ce principe est énoncé, à
quelques variantes près, dans
maintes décisions de la Régie du
logement57. Il est évoqué dans les
situations les plus diverses. Quelques illustrations:
– le propriétaire a toléré la présence d’un animal en particulier; il n’est pas obligé d’accepter
celui qui le remplace58;
53. Pierre PRATTE, «Le harcèlement envers les locataires et l’article 1902 du Code
civil du Québec», (1996) 43 R. du B. 3, p. 15.
54. Vigeant c. Tsatoumas, R.L. 31-960627-059G, 12 novembre 1996, r. H. Beaumier.
55. Lacroix, c. Moore, R.L. 31- 961015-055G, 5 février 1997, r. J.-P. Hurlet (Moore c.
Lacroix, R.L. 31-960814-052G, 22 octobre 1996, r. J. Giroux).
56. OMH de Dégelis c. Lebrun et al., [1994] J.L. 127.
57. V. Héroux c. Leblanc, R.L. 16-940811-005G, 17 octobre 1994, r. G. Langlois;
Habitations Atlantique c. Bernatchez, R.L. 08-940824-008G, 12 janvier 1995, r.
M.Dubé; S. D. Gameroff Estate c. Parent, R.L. 34-960409-012G, 3 septembre
1996, r. D. Laflamme.
58. Chagnon c. Lainesse, C.Q. 750-02-000283-958, 29 septembre 1995, j. R. Denis.
344
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
– le locateur a soumis la bête à
une période de probation, «pour
permettre aux locataires de la
dresser»; insatisfait du résultat,
il a le droit d’exiger l’application
de la clause prohibitive59;
– l’ancien locateur était indulgent; le nouvel acquéreur de
l’immeuble n’est pas tenu de
l’imiter60;
– le locateur est en train d’éliminer tous les animaux dans
l’immeuble; la demande contre
le locataire est une étape de ce
processus61;
– par sa taille, son comportement
ou pour toute autre raison, l’animal du voisin ne provoque pas
de plaintes62;
– le locateur a toléré le caniche
des locataires; les deux gros
chiens du cessionnaire du bail
constituent par contre un «motif
sérieux» lui permettant de s’opposer à la cession en vertu de
l’article 1871 C.c.Q.63.
Qui plus est, l’iniquité du
comportement du locateur n’est
pas un élément pertinent du débat:
le locataire n’est pas admis à invoquer le passe-droit en faveur d’un
voisin64, ou même à l’égard du concierge qui possède lui-même un
animal65:
Il n’appartient pas au tribunal
de connaître les motivations qui
animent le locateur de permettre à certains de garder leur
animal et de l’interdire à d’autres.66
Une réserve pourtant: la
motivation du locateur sera prise
en considération – à son avantage
– s’il souhaite enrayer l’effet d’entraînement chez les autres locataires67. Même en l’absence de tout
problème actuel, le locateur est
justifié d’agir pour prévenir un
préjudice éventuel. Voici un exemple de cette position:
Concernant la clause, le Tribunal doit en venir à la conclusion
que cette clause est parfaitement légale et que le locateur est
en droit d’en exiger le respect
même si antérieurement il a
toléré la présence d’animaux. Le
fait que l’animal n’ait pas causé
de dommages ou qu’il n’y ait pas
de preuve de préjudice ne peut
e mpê c h e r l’ e xe r c ic e de la
clause.68
En somme, «Le locateur a le
droit d’exiger une certaine uniformité d’application de ses règlements...»69
59. Martin et al. c. Beaulieu, C.Q. 200-02-009585-961, 4 décembre 1996, j. G.-A.
Gobeil.
60. Rheault et al. c. Fortin et al., R.L. 18-940805-008G, 20 septembre 1994, r. M.
Bégin.
61. SCHL c. Halbot, R.L. 10-960913-002G, 18 octobre 1996, r. M. Dubé.
62. Monast c. Charbonneau, R.L. 23-970206-001G, 24 mars 1997, r. F. Champigny.
63. Tourangeau c. Thériault, [1997] J.L. 245.
64. Auclair c. OMH de Baie-Comeau, C.Q. 655-02-000222-932, 7 avril 1994, j. R.
Boucher.
65. Immeubles S.M.G. enr. c. Schrenk, R.L. 31-960819-100G, 16 octobre 1996, r. M.
Lackstone; confirmé par la C.Q.: [1997] J.L. 333.
66. Kilifis c. Mainville et al., R.L. 35-951023-023G, 20 mars 1996, r. L. Harvey.
67. Immeubles Boudreau enr. c. D’Astous, R.L. [1997] J.L. 16.
68. OMH de Charlesbourg c. Labrecque, [1998] J.L. 65.
69. OMH de Longueuil c. Trottier, [1995] J.L. 159.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
345
2.3.2 Les sanctions
L’article 1863 C.c.Q. prévoit
deux recours pour la mise à effet de
la clause prohibitive.
Premièrement, le tribunal
peut résilier le bail si l’inexécution
de l’obligation du locataire cause
au locateur ou aux autres occupants de l’immeuble un préjudice
sérieux au sens de l’article 1863
C.c.Q. (si l’animal est une «cause
sérieuse de nuisance»70, une «source sérieuse de tracasseries»71).
Une fois le préjudice sérieux
établi, l’article 1973 C.c.Q. permet
accessoirement au décideur de rendre une ordonnance octroyant un
délai au locataire pour exécuter la
conclusion portant sur le respect
de la clause. Si le locataire n’obtempère pas, le tribunal n’a plus le
choix: il «doit» résilier le bail si
demande lui en est faite. Ce sera
également la solution retenue
lorsque le locataire refuse séance
tenante de se départir de son animal. On notera que la résiliation
du bail obtenue par le locateur ne
met pas fin aux obligations du locataire, notamment quant au versement d’une indemnité de relocation72.
En second lieu, même si
aucun préjudice n’a été prouvé, le
tribunal peut rendre une ordonnance d’exécution en nature visant
à forcer le locataire à respecter la
clause prohibitive. Les réticences
héritées de la common law relativement à l’injonction mandatoire
se sont graduellement estompées
au cours du dernier quart de siècle,
au point où l’exécution en nature
est couramment accordée dans les
procédures judiciaires au Québec73. En droit du logement, la
mise en application de la clause
par une ordonnance d’exécution en
nature est un des «cas qui le permettent», au sens de l’article 1863
C.c.Q.74. Ce sont surtout les circonstances de l’affaire qui déterminent le délai accordé au locataire
pour se conformer à l’ordre du tribunal. On relève notamment des
échéances de trente jours75, de
deux mois76 et même, dans une
espèce récente, d’un an77.
La seule sanction prévue
pour l’inobservation de l’ordonnance rendue en stricte application de la clause prohibitive est –
plutôt étonnamment d’ailleurs –
de nature pénale. L’article 112 de
la Loi sur la Régie du logement78
(L.R.Q., c. R-8.1) prévoit en effet
que le non-respect d’une ordonnance de ce type constitue un
outrage au tribunal. La Régie n’a
pas, du moins théoriquement, le
70. Faust c. Stelzer, R.L. 32-960314-012G, 19 septembre 1996, r. A. Simard.
71. Denis c. Lavallée, R.L. 18-940131-001G, 8 mars 1994, r. J. Cloutier.
72. Bouthillette c. Duchesneau, R.L. 32-960521-005; 31-960927-083G, 30 janvier
1997, r. A. Simard.
73. Pierre-Gabriel JOBIN, Les sanctions de l’inexécution du contrat, dans La
réforme du Code civil, cinq ans plus tard, 1998, Cowansville, Barreau du Québec
et Éditions Yvon Blais Inc. (no 113), p. 106 et s.
74. Tortorici c. Vargas et al., R.L. 31-931008-011G, 15 mars 1994, r. J.-C. Pothier.
75. Monast c. Charbonneau, R.L. 23-970206-001G, 24 mars 1997, r. F. Champigny.
76. OMH de Gaspé c. Jeannotte, R.L. 08-970417-001G, 26 novembre 1997, r. M.
Dubé.
77. Fortier c. Paquet, [1998] J.L. 256.
78. L.R.Q., c. R-8.1.
346
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
pouvoir de résilier le bail pour le
seul motif que le locataire n’a pas
obéi à son ordre. Le locateur doit
donc s’adresser à la Cour supérieure pour faire valoir son droit79.
Cette dernière se limitera à prononcer les sanctions prévues à l’article 51 du Code de procédure civile
(amende ou emprisonnement). Ce
recours peu commode est rarement
exercé, puisque le tribunal de droit
commun n’a pas le pouvoir de résilier le bail.
Toutefois, en pratique, il est
c ou r an t de libeller a insi la
demande: «résiliation du bail ou,
subsidiairement, ordonnance».
Ainsi, dans un dossier où les deux
conclusions étaient énoncées, le
régisseur a prononcé l’ordonnance
et réservé le droit à la résiliation si
l’ordonnance n’était pas respectée80. Dans une autre affaire, seule
l’exécution en nature avait été
demandée: le régisseur a réservé
au locateur le droit de faire résilier
le bail en cas de non-respect de
l’ordonnance 81. Dans ces espèces,
on juge que l’inobservation de l’ordonnance cause en soi au locateur
un préjudice suffisamment sérieux
pour justifier la résiliation.
2.3.3 Les tempéraments
Il ne faut pourtant pas conclure de ce qui précède que le droit
est fixé défnitivement en cette
matière. Ce n’est sûrement pas le
cas: comme il s’agit d’un débat de
société aux ramifications multiples, les données du problème et
les modes de solution sont en constante évolution. L’application
stricte de normes juridiques
inflexibles s’avère carrément
impossible.
L’opinion suivante reflète
bien cette réalité:
Une société évoluée comme la
nôtre reconnaît depuis plusieurs
années l’importance de la solidarité sociale. Le domaine du logement résidentiel est régi, à cause
de cela, par des normes plus élaborées que celles qui régissent le
marché des immeubles commerciaux où l’on retrouve une plus
grande liberté contractuelle.82
Dans ce contexte, il n’est pas
rare que transparaisse un certain
malaise chez le décideur qui doit
mettre à effet une clause prohibitive83. Il s’ensuit qu’on exige le respect intégral des formalités
requises pour l’application du
droit. De plus en plus également,
on scrute finement la preuve, pour
déceler des éléments de renonciation effective à la clause, ou encore
pour établir un manquement à
l’obligation de bonne foi. Enfin, la
notion de zoothérapie est quelquefois mise à contribution.
a) Le respect des formalités
Voici quelques exemples du
formalisme exigé dans ce domaine.
79. Société en commandite 2275-2253 H.B. c. Pelchat, R.L 18-921209-018G,
4 février 1993, r. M. Bégin.; par contre, s’il s’agit d’une ordonnance rendue en
appel par la Cour du Québec, ce tribunal punira lui-même la désobéissance:
OMH de St-Léonard c. Meunier, [1996] J.L. 252.
80. Immeubles Boudreau enr. c. D’Astous, [1997] J.L. 16.
81. Laurendeau et Hachez c. Lasalle et al., R.L. 27-961219-002G (27-960820-003G),
11 février 1997, r. G. Bernard.
82. OMH de Bécancour c. Marquant, R.L. 15-971008-002G, 25 mai 1998, r. J. Cloutier.
83. OMH de Trois-Rivières-Ouest c. Marchand, [1995] J.L. 342.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
347
Le locateur qui a demandé
uniquement la résiliation du bail,
mais n’a pas réussi à prouver le
préjudice sérieux, est simplement
débouté: le tribunal n’accorde pas
l’ordonnance à titre subsidiaire, si
la demande n’en est pas faite spécifiquement84. On pourra toutefois
lui réserver ses autres recours85.
Fréquemment, la clause d’interdiction n’est pas inscrite au corps
même du bail, mais plutôt dans
une annexe de clauses supplémentaires (ou règlement de l’immeuble) signée par le locataire.
L’article 1894 C.c.Q. édicte que ce
règlement doit être remis avant la
conclusion du bail. Le défaut par le
locateur de respecter cette condition l’empêche d’invoquer la
clause 86 . Dans une espèce, la
clause prohibitive a été déclarée
inopposable à un locataire dont
l’exemplaire du bail, contrairement à celui du locateur, ne contenait pas l’interdiction en toutes
lettres87. La stipulation a également été jugée sans effet contre un
sous-locataire qui n’avait pas été
avisé de la restriction contenue au
bail original88. Enfin, une simple
résolution visant à interdire la présence d’animaux, adoptée par le
Conseil d’administration d’un
Office municipal d’habitation
(OMH), n’a pas force exécutoire à
l’égard du locataire89.
Quand le bail ne contient
aucune clause prohibitive, le locateur a théoriquement le droit de
demander qu’une telle stipulation
soit ajoutée aux conditions lors de
son renouvellement, selon le mécanisme prévu aux articles 1942 et s.
C.c.Q. Comme cette demande
remet en cause un droit acquis du
locataire, elle est généralement
refusée90. On conseillera plutôt au
locateur d’utiliser les recours
usuels si un problème réel survient91.
b) La bonne foi et la
renonciation
Même si la tolérance n’est
habituellement pas considérée
comme une justification valable en
ce domaine, rien n’empêche le locataire de faire la preuve que le locateur a, dans les faits, renoncé au
droit conféré par la clause prohibitive. La nuance entre tolérance et
renonciation est ténue, mais réelle.
Le point de convergence de ces
positions apparemment contradictoires, c’est que le rôle du juge n’est
pas uniquement d’appliquer normes et préceptes abstraits: saisi
d’un litige concret, il doit également prendre en considération la
valeur objective de la preuve et
surtout, la bonne foi relative des
parties (articles 6, 7, et 1375
C.c.Q). C’est ainsi que, dans une
84. Édifice 1175 Papineau Inc. c. Lanctôt et al., [1992] J.L. 129.
85. Immeubles Turret Inc. c. Zecevic-Nedic, R.L. 34-960424-002G, 27 juin 1996, r. J.
Gagnon Trudel.
86. OMH de Sainte-Thérèse c. Goyer, 1994 [J.L. 219]; OMH de Sept-Îles c. Bouchard,
[1995] J.L. 137.
87. Aubuchon c. Beaudoin, R.L. 31-980520-118G, 2 septembre 1998, r. P. Thérien.
88. Blanchette c. Collins, R.L. 15-940531-002G, 5 juillet 1994, r. G. Langlois.
89. OMH d’Ormstown c. D’Amour, R.L. 27-960618-002G, 23 août 1996, r. G. Bernard.
90. Kilifis c. Miskin et al., [1997] J.L. 200.
91. Immeubles Redmond Inc. c. Veilleux, R.L. 18-950403-009F, 14 septembre 1995,
r. M. Bégin.
348
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
affaire où l’attitude du locateur
était entachée de mauvaise foi, le
régisseur a pris le contre-pied de
l’opinion généralement acceptée
en décidant que le simple écoulement du temps pouvait constituer
une «renonciation tacite»92.
Il arrive effectivement que la
clause prohibitive demeure lettre
morte pendant de nombreuses
années, jusqu’à ce que surgisse un
différend, sur le prix du loyer ou
l’état du logement, par exemple. Le
locateur brandit alors son bail
écorné par l’âge et exige impitoyablement réparation. Ce type de
représailles reçoit généralement
un accueil plutôt glacial. Voici
l’analyse, assez typique, d’un
régisseur à cet égard:
De toute évidence, les parties
sont en relation très conflictuelle... De toute évidence aussi,
la locatrice introduit ce recours
devant la Régie du logement
pour exercer une certaine vengeance à l’endroit de la locataire.93
Dans l’affaire précitée, on a
permis à la locataire de garder son
animal jusqu’à la fin de son bail.
D an s d’ au tr es déc isions, la
demande du propriétaire est simplement rejetée94. On aura jugé,
comme dans une espèce récente,
que «la mésentente n’a finalement
rien à voir avec le comportement
de l’animal»95.
Plus le sens donné à la notion
de renonciation est large, plus on
lim it e l’a d m issib ilit é d e la
demande d’ordonnance fondée uniquement sur l’existence d’une
clause prohibitive. Tantôt, le but
visé par la stipulation est considéré comme hypothétique:
(le) locateur admet qu’il tolère
les animaux jusqu’à ce qu’il
reçoive des plaintes et que la
clause est inscrite au bail au cas
où il aurait à s’en servir. Dès
lors, le locateur ne peut plus se
limiter à prouver la clause du
bail interdisant les animaux... Il
doit également faire la preuve
d’un préjudice.96
Tantôt, on juge qu’il ne s’agit
pas d’une véritable condition du
bail:
Malgré la clause du bail, le locateur a permis la présence des
chats en autant qu’ils ne causent
pas de préjudice aux autres locataires. Devant une telle clause,
le Tribunal ne peut considérer
qu’il s’agissait d’une exigence
formelle de la part du locateur,
soit le refus de tolérer la présence d’animaux dans le logement. Pour obtenir l’éviction de
l’animal, le locateur doit maintenant prouver que l’animal lui
cause un préjudice.97
Voici une illustration supplémentaire de cette position:
De prime abord, les locataires
enfreignent une clause à leur
bail leur interdisant expressément de garder un animal dans
le logement concerné. Cependant, il a été mis en preuve que
92.
93.
94.
95.
Masse c. Valladont, R.L. 16-950517-002G, 11 juillet 1995, r. G. Langlois.
Fortier c. Paquet, [1998] J.L. 256.
Landry c. Létourneau, R.L. 18-950302-007G, 26 avril 1995, r. C. Courtemanche.
Daoust c. Gracovetsky, R.L. 34-960411-009G; 34-960521-011G, 3 septembre
1996, r. D. Laflamme.
96. SEC 296 Bonneau c. Lambert, R. L. 25-961115-005G, 3 février 1997, r. G. Choinière.
97. Vigneault c. Houde, R.L. 16-980330-002G, 2 juin 1998, r. C. Courtemanche.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
349
tous les logements de cet immeuble contiennent une telle clause,
mais que dans les faits, le locateur a toujours toléré la présence
d’animaux dans l’immeuble....
Le tribunal doit donc conclure
que la clause au bail des locataires est sans effet.98
Tout compte fait, en dépit des
fluctuations jurisprudentielles et
de l’inadmissibilité maintes fois
réitérée de la théorie de l’estoppel,
la tolérance d’une durée jugée suffisante est de plus en plus assimilée à une renonciation pure et
simple. L’évolution de la jurisprudence tend à accréditer l’énoncé
suivant:
Lorsqu’il y a tolérance, malgré
une clause du bail, il faut prouver un préjudice sérieux [...]99
c)
La zoothérapie
Nou s av on s fait ét a t
ci-dessus de l’influence grandissante de la zoothérapie. Malgré des
réserves maintes fois exprimées
sur la validité d’une telle justification, la jurisprudence québécoise
admet désormais plus volontiers
l’utilité thérapeutique de l’animal
de compagnie. Cette attitude d’ouverture mène occasionnellement à
la conclusion que la clause prohibitive est déraisonnable, lorsqu’une
preuve médicale convaincante est
versée en preuve. Une décision
récente, tout en faisant droit à la
demande du locateur, reconnaît
98.
néanmoins que l’état de santé du
locataire peut constituer, «exceptionnellement» 100 , une défense
valable. Aux termes d’une décision
rendue en 1998, la locataire est
autorisée à garder son chien, son
état de dépression chronique ayant
été confirmé par son médecin101.
Dans une autre affaire, s’écartant
du cadre même de la preuve, un
régisseur déclare avoir «connaissance judiciaire» que «...l’affection
d’un maître envers son animal de
compagnie représente dans bien
des cas une présence et une source
importante de réconfort»102. Par
conséquent, «en présence d’un préjudice affectif et psychologique évident pour le locataire et sa
famille», la demande d’ordonnance
est rejetée.
La position sympathique à la
zoothérapie est bien schématisée
dans l’extrait suivant:
[...] le locataire ne pourra faire
échec à cette clause que s’il rencontre les deux conditions suivantes:
1. La présence de l’animal ne
cause aucun trouble de quelque
nature et
2. La présence de l’animal est
nécessaire pour la santé ou la
sécurité du locataire.
Ces critères sont en effet de plus
en plus retenus par les tribunaux pour décider de la présence
d’animaux en contravention à
une clause du bail.»103
103.
Archambault c. Roche et Daigle, R.L. 37-980903-018G, 25 janvier 1999, r. L.
Harvey.
Pavillon Montcalm c. Guillemette, R.L. 18-960509-015G, 22 août 1996, r. M.
Bégin.
OMH de Sullivan c. Lafontaine, R.L. 13-970704-002G, 10 septembre 1997, r. G.
Allegra.
Place Concorde Inc. c. Caron, R.L. 31-980121-033G, 20 mars 1998, r. G. Joly.
OMH de Bécancour c. Marquant, R.L. 15-971008-002G, 25 mai 1998, r. J. Cloutier.
Demers c. Rabouin, R.L. 37-950109-008G, 10 février 1995, r. G. Joly.
350
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
99.
100.
101.
102.
2.3.4 Les affaires
COULOMBE et FRAM
Incontestablement, les dossiers qui ont acquis le plus de relief
sur cette question au cours des dernières années sont ceux qui ont
opposé L’Office municipal d’habitation de Pointe-Claire à deux de
ses locataires au sujet des chats de
ces dernières. Dans chacun des
cas, les locataires ont signé un bail
dont une des clauses interdisait la
possession d’un animal.
Les observations formulées
aux différents niveaux de juridiction dans ces affaires revêtent une
importance considérable en raison
du fait que les différends ont pris
naissance dans un contexte de
logements subventionnés, un
milieu de vie où les enjeux de la
question sont particulièrement
problématiques. D’une part, le
locataire n’a presque aucun pouvoir de négociation sur les conditions de son bail. D’autre part, les
voisins incommodés par la présence d’un animal sont généralement des personnes démunies,
âgées ou malades, qui ne sont pas
en mesure de déménager lorsque
leur tranquillité est perturbée par
l’animal d’un voisin. Enfin, les
administrateurs de ces logements
veulent faire l’économie des tracasseries et chicanes additionnelles que leur tolérance à cet égard
pourrait provoquer.
a) OMH de Pointe-Claire c.
Coulombe
Ce dossier a jusqu’à ce jour
été jugé à quatre niveaux: pre104.
105.
106.
107.
mière instance par la Régie du
logement104, appel par la Cour du
Québec105, révision judiciaire par
la Cour supérieure106 et pourvoi
par la Cour d’Appel107.
Dans un premier temps, le
régisseur a fait droit à la demande
d’ordonnance produite par le locateur. La décision est fondée surtout sur le principe de l’autonomie
de la volonté, la locataire s’étant
engagée en ce sens «volontairement et librement». L’interdiction
attaquée n’est pas contraire aux
Chartes. La clause n’est pas déraisonnable au sens de l’article 1901
C.c.Q. (ancien article 1664.11
C.c.B.-C.), notamment parce
qu’elle est conforme à la volonté de
la majorité des occupants du complexe résidentiel et parce qu’elle
vise à favoriser l’intérêt commun.
La preuve médicale soumise par la
locataire pour justifier la présence
de son chat n’a pas été jugée
convaincante par le régisseur.
En appel de novo devant la
Cour du Québec, une preuve supplémentaire (témoignage de médecin spécialiste, rapport, autorités)
est versée au dossier pour faire ressortir la valeur thérapeutique
«véritable» de la présence de l’animal. Malgré ces nouveaux éléments, qu’il qualifie d’«impressionnants», le juge décide que le
«droit à la vie» de la locataire,
garanti par l’article 1 de la Charte
québécoise, et ses autres droits
fondamentaux ne sont pas compromis. Le juge confirme donc les
principes et motifs du régisseur,
exprimés selon lui «avec beaucoup
de clarté et d’élégance».
[1994] J.L. 79.
C.Q. 500-02-031707-933, 11 avril 1995, j. J. Dionne.
[1996] R.J.Q. 1902 (C.S.).
C.A. 500-09-002386-963, 17 septembre 1999, j. Baudouin, Nuss et Denis (ad
hoc).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
351
En revanche, le jugement
rendu en juin 1996 par le juge
Louis S. Tannenbaum, sur la
requête en révision judiciaire du
jugement de la Cour du Québec,
remet fondamentalement en question des valeurs jusque alors pratiquement incontestées. Le juge de
la Cour supérieure tire de la
preuve les conclusions suivantes:
1.
Lorsque le redressement visé
par le recours est de nature
comminatoire («injunctive
relief»), comme c’est le cas en
l’espèce (ordonnance de se
départir), il ne suffit pas de se
demander si le locataire a
consenti à la clause visée. En
écartant la notion de préjudice des motifs de sa décision,
la Cour du Québec a fait
défaut d’exercer sa compétence en la matière:
Proof of prejudice is an important factor.
2.
3.
108.
109.
352
Selon le juge Tannenbaum, le
«droit à la vie» de la locataire
est effectivement mis en péril
par la démarche judiciaire de
l’OMH. Il reconnaît une crédibilité déterminante à la
médecin-experte qui prévoit
des conséquences négatives
majeures sur la santé physique et émotive de la locataire si celle-ci est privée de
son chat.
Le juge rejette l’argument
selon lequel une décision
favorable à Mme Coulombe
aurait un effet d’entraînement chez les autres locataires. Il conclut qu’il n’a pas à
tenir compte de faits étran-
gers à la cause dont il est
saisi.
Enfin, confirmation de la
décision de première instance par
la Cour d’appel. Dans un arrêt
unanime et sans équivoque, les
juges statuent que:
1.
La Cour du Québec n’a fait
qu’exercer sa compétence en
donnant effet à la clause du
bail de la locataire, «tout en
manifestant de la symapthie
pour... celle-ci». Il s’agit donc
d’une «erreur manifeste» de
la Cour supérieure.
2.
La décision de la Régie du
logement et le jugement de la
Cour du Québec n’étaient pas
«manifestement déraisonnables». Par conséquent, le juge
de la Cour supérieure siégeant en révision judiciaire
n’avait pas à «substituer sa
propre analyse et ses propres
conclusions».
b) OMH de Pointe-Claire c.
Fram
En l’espèce, le régisseur
donne raison à l’OMH essentiellement pour les mêmes raisons que
dans Coulombe108. Il ajoute néanmoins la remarque que la présence
d’animaux dans le complexe alourdit la tâche des employés. En effet,
«les occupants sont pour la
grande majorité des personnes
âgées qui sont à divers degrés en
perte d’autonomie ...»
Le jugement de la Cour du
Québec109 infirme la décision rendue en première instance. Le juge
Gérard Rouleau, de la Cour du
R.L. 35-940119-014G, 12 mars 1997, r. G.Bernard.
J.E. 98-1402; ce jugement a fait l’objet d’une requête en révision judiciaire.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Québec, décrit le cadre réglementaire très rigoureux qui régit
l’attribution et l’administration
des logements à loyer modique, un
contexte qui «laisse place à peu
sinon pas du tout de négociation
entre l’administration de l’immeuble et un éventuel locataire». Il en
conclut que le bail de Mme Fram est
un contrat d’adhésion au sens de
l’article 1379 C.c.Q.
Il fait ensuite état du tort
considérable qui serait occasionné
à la locataire par l’application de la
clause. De plus, relativement à un
referendum tenu sur la question
dans l’immeuble, il voit mal «comment l’opinion des autres locataires peut être pertinente sur la
présence d’un chat à l’intérieur
d’un appartement et qu’ils ne verront jamais». C’est sur l’article
1437 C.c.Q. que se fonde le juge
Rouleau pour déclarer la clause
abusive. Il est intéressant de noter
qu’il ne fait aucune allusion à l’article 1901 C.c.Q., pourtant applicable spécifiquement au bail
résidentiel.
Le juge Rouleau formule
deux propositions, à la fois simples
et dignes de réflexion. D’abord, sur
le libellé de la question référendaire, un rappel à la juste mesure:
(Cette question) ne faisait
aucune différence entre un chat
qui ne sort jamais de l’appartement de son maître et un
molosse de 35 kilos qui hanterait
les espaces communs.
Puis, sur la pertinence de la
Charte des droits et libertés du
Québec en ce domaine:
Les aînés et les personnes handicapées... sont aussi aptes que
quiconque à décider de leur vie,
d’avoir ou non un animal, d’en
être responsable et de répondre
de leurs fautes si elles ne font
pas face adéquatement à leur
responsabilité à cet égard.
Prendre pour acquis qu’à cause
de leur âge ou de leur condition
physique elles ne peuvent s’occuper adéquatement d’un animal est discriminatoire...»
CONCLUSION
À la suite de l’arrêt récent de
la Cour d’appel dans le dossier
Coulombe, on pourrait être tenté
d’opiner que la cause a été entendue, et la question réglée de façon
définitive. Il serait téméraire au
présent stade de tirer une telle conclusion. En effet, les juges de la
Cour d’appel ont pris bien soin de
situer leur décision dans le contexte précis et exigu d’une requête
en révision judiciaire présentée
par la locataire. Soulignons que
dans l’affaire Fram, le fardeau est
renversé: le juge de la Cour du
Québec, dans son jugement sur le
fond, a déclaré la clause déraisonnable et c’est l’OMH qui s’adresse à
la Cour supérieure. Il est donc loisible d’affirmer que le débat vient à
peine de s’engager.
Dans une perspective plus
globale, le constat s’impose que
l’équité contractuelle est une
notion à forte connotation morale,
dont le contenu varie considérablement selon les sociétés et les époques. Tout ce que peut espérer
l’observateur, c’est de rendre
compte le plus justement possible
de l’état du droit à un moment
donné. Tel est le modeste propos de
cette chronique.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
353

Documents pareils