DROIT DU LOGEMENT Pierre Gagnon L`équité contractuelle en
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DROIT DU LOGEMENT Pierre Gagnon L`équité contractuelle en
DROIT DU LOGEMENT Pierre Gagnon L’équité contractuelle en droit du logement depuis 1994 et l’interdiction conventionnelle relative aux animaux favoris* AVANT-PROPOS En raison de son caractère résolument progressiste, le Code civil du Québec (C.c.Q.) a redonné vigueur à l’ensemble de notre droit privé. Au cours des cinq premières années d’application du Code, praticiens du droit et juges ont en quelque sorte veillé sur la petite enfance des nouvelles dispositions. Le colloque du Barreau «La réforme du Code civil, cinq ans plus tard», tenu à l’automne 1998, a dégagé un certain nombre de lignes directrices de cette évolution. C’est dans ce contexte qu’il nous a paru opportun de faire le point sur les solutions jurisprudentielles d’équité contractuelle, inspirées par le Code de 1994, qui ont infléchi le domaine du droit du logement, tantôt superficiellement, tantôt de manière fondamentale. A) INTRODUCTION 1. L’équité contractuelle Le contrat est l’émanation et l’expression de la volonté des par- ties: c’est cette caractéristique qui lui confère son autorité et sa force obligatoire. «Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites», édicte l’article 1134 du Code civil français. L’autonomie de la volonté1 est le principe fondamental du droit des contrats, en France comme au Québec. Cette doctrine n’est pas définie en toutes lettres dans le nouveau Code, mais on trouve l’énoncé de son proche corollaire, le consensualisme, à l’article 1385 C.c.Q.: «Le contrat se forme par le seul échange de consentement...». De plus, le principe de l’autonomie de la volonté est perceptible en filigrane dans l’ensemble des dispositions relatives aux obligations. Voici quelques exemples: l’énumération limitative des vices de consentement (1399 C.c.Q.), ainsi que le caractère obligatoire (1434 et 1458 C.c.Q.), l’irrévocabilité et l’immutabilité (1439C.c.Q.) de la convention et de ses suites. La fermeté de l’engagement contractuel constitue un gage de sécurité pour les parties. Il est loisible d’affirmer * Cet article traduit l’état du droit à la fin de septembre 1999. 1. François TERRÉ, Philippe SIMLER et Yves LEQUETTE, Droit civil – les Obligations, 5e éd., 1993, Paris, Dalloz, p.25. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 333 que la crédibilité des institutions d’un pays se mesure en grande partie à l’aune de la continuité des règles qui déterminent la formation et l’exécution du contrat2. Cependant, la complexité croissante du tissu social et des relations économiques ne permet plus l’application aveugle du consensualisme, doctrine héritée d’une période où prédominait le libéralisme intégral. D’une part, le souci de favoriser la justice contractuelle, malgré la force inégale des contractants, a suscité l’apparition d’un «formalisme de protection», selon la formule du ministre de la Justice3. C’est le cas notamment pour la forme et le contenu des contrats soumis à la Loi sur la protection du consommateur4. D’autre part, en vue de rétablir l’équilibre des prestations et ainsi favoriser une «nouvelle moralité contractuelle»5, le législateur québécois – surmontant sa réticence bien ancrée de civiliste à cet égard6 – a dû se résoudre à élargir la latitude d’analyse des juges. Dès 1964, il ajoutait au Code civil du Bas-Canada (C.c.B.-C.) une section intitulée De l’équité dans certains contrats 7 . En particulier, l’article 1040c prescrivait que le tribunal pouvait intervenir en vue de réduire ou même d’annuler les obligations monétaires découlant d’un prêt d’argent si le coût du prêt était excessif ou encore si l’opération dans son ensemble était «abusive et exorbitante». Le juge devait prendre sa décision «eu égard au risque et à toutes les circonstances». Le texte même de la modification invitait le décideur à analyser chaque clause dans le contexte des autres conditions de la convention, et même à tenir compte des facteurs extérieurs, tels les risques assumés par l’une ou l’autre des parties. Cet élargissement de la discrétion judiciaire a pris quelque peu à rebrousse-poil la magistrature de l’époque: tributaire d’un réflexe séculaire de prudence, elle a favorisé une interprétation restrictive de ses nouveaux pouvoirs8. La brèche était néanmoins pratiquée: sans remettre en cause la responsabilité des parties devant leurs engagements, le codificateur de 1994 exige désormais que l’équité contractuelle9 soit respectée à toutes les étapes de la convention. Il a d’ailleurs porté son propre jugement sur l’état du consensus 2. V. Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les Obligations, 5e éd., 1998, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., p. 12. 3. Le Code civil du Québec – Commentaires du ministre de la Justice, 1993, Québec, Gouvernement du Québec, t. 1, art. 1385. 4. L.R.Q., c. P-40.1. 5. Précité, n. 2. 6. V.Gérard CORNU, Droit civil – Introduction. Les personnes. Les biens, 5e éd., 1991, Paris, Montchrestien, p. 72; selon cet auteur, «le pouvoir modérateur demeure, en droit français, exorbitant ». 7. L.Q. 1964, c. 67. 8. Roynat Ltée c. Restaurants de la Nouvelle-Orléans Inc. (les), [1978] 1 R.C.S. 969. 9. «L’équité est une donnée objective et universelle qui exige... au moins, qu’il n’y ait pas, dans le traitement de choses semblables, de différences excessives »: G. CORNU, précité, note 6, p. 69. 334 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 social en retirant aux tribunaux le pouvoir de déterminer la légalité de certaines stipulations. Voici l’éclairage du juge Jean-Louis Baudouin sur cette question: Le Code civil s’est attaché, dans toute une série de dispositions visant les règles de formation et d’exécution des contrats, à établir une équité contractuelle fondée sur la bonne foi. Plus interventionniste que le législateur de 1866, il n’hésite pas, dans un grand nombre de dispositions, à déclarer nulles, non écrites, ou sans effets certaines stipulations conventionnelles. Dans ces cas, mis à part d’éventuels problèmes de qualification ou d’interprétation de ces clauses et la constatation judiciaire de leur existence, le juge n’a qu’un pouvoir d’intervention limité qui consiste seulement à annuler la clause en question.10 2. La clause abusive À la fin du long processus de refonte mené par l’Office de révision du Code civil, le concept de clause abusive ne faisait plus hérisser l’hermine des magistrats. L’Office prévoyait d’ailleurs l’octroi au juge d’une discrétion plus poussée pour tous les types de contrats. Mais vu l’absence de consensus à cet égard, la disposition finalement adoptée (article 1437 C.c.Q.) s’applique seulement aux contrats d’adhésion et de consommation11. Malgré le champ d’application restreint, les critères d’appréciation du caractère abusif demeurent vagues à souhait. Qu’est-ce qui «désavantage le consommateur ou l’adhérent de façon excessive et déraisonnable»? Comment va-t-on «à l’encontre de ce qu’exige la bonne foi»? Par quels critères peut-on identifier une clause qui «dénature» le contrat? Le libellé de l’article 1437 suspendait les juges dans un état inconfortable – et inaccoutumé – d’apesanteur normative. Pour le professeur Pierre-Gabriel Jobin, il s’agissait d’un «terrain semé d’embûches»12. L’absence de balises claires aurait pu occasionner des difficultés majeures d’interprétation. Au contraire, le premier quinquennat de l’article 1437 n’a pas provoqué de révolution jurisprudentielle; la disposition a été appliquée généralement avec prudence et circonspection, comme l’explique dans un élan d’optimisme le professeur Jean Pineau: «Cinq années, c’est encore peu, mais c’est déjà suffisant pour prétendre, contrairement à ceux qui prédisaient le pire, que la 10. J.-L. BAUDOUIN, Les obligations, 4e éd., 1993, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., p. 245. 11. V. Pierre-Gabriel JOBIN, Les clauses abusives, dans Congrès du Barreau du Québec 1996, Service de la formation permanente, p. 366-367. Cette restriction ne s’applique toutefois pas à la clause pénale abusive (articles 1622 et 1623 C.c.Q.). 12. Précité, n. 11, p. 367. Pour clarifier le débat, celui-ci propose néanmoins certains repères de classification. Une clause peut être abusive – soit en elle-même – soit à la lumière «des autres stipulations de la convention » – soit (à la lumière) «d’autres contrats ayant un lien avec (le contrat) et dont les répercussions peuvent rendre la clause abusive, ou au contraire rendre inacceptable une clause qui serait acceptable à première vue » (p. 382-383). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 335 moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction. surprise, sans être divine, est plutôt agréable!13 3. La bonne foi Progressivement, mais surtout au cours du dernier quart de siècle, les tribunaux québécois en sont venus à évaluer non seulement la légalité stricte du contrat, mais également les circonstances de sa mise à effet14. «(Les conventions) doivent être exécutées de bonne foi» prescrit l’article 1134 in fine du Code civil français. La doctrine de l’abus de droit vise à supprimer les effets pervers de l’exécution malicieuse ou entachée de mauvaise foi15. Dans l’arrêt phare rendu en la matière par la Cour suprême du Canada, l’honorable juge Claire L’heureux-Dubé s’exprime ainsi sur la pertinence de cette théorie: Bien qu’elle puisse représenter un écart par rapport à la conception absolutiste des décennies antérieures , qu’il lus tr e la célèbre maxime «la volonté des parties fait loi», elle s’inscrit dans la tendance actuelle à concevoir les droits et obligations sous l’angle de la justice et de l’équité.16 L’exigence de la bonne foi (et la condamnation de l’abus de droit) est désormais codifiée aux articles 6, 7 et surtout à l’article 1375 C.c.Q.: La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au Les notions distinctes mais complémentaires de clause abusive et d’abus de droit font maintenant partie intégrante du droit positif: la codification de ces principes a eu pour effet de stimuler une analyse plus approfondie de la relation contractuelle, de façon que soient réalisées les attentes exprimées à l’époque par le ministre de la Justice: Si le Code civil maintient, quant à certaines normes ou notions, un flou relatif, il traduit aussi jusqu’à un certain point, les ambivalences et les intérêts diversifiés qui cohabitent dans la société. Il faut voir ces règles comme les pores par lesquels le code peut respirer, se vivifier et s’adapter par l’interprétation qui lui sera donnée suivant l’évolution de notre société.17 B) EN DROIT DU LOGEMENT 1. EN GÉNÉRAL Le bail résidentiel, à toutes les étapes de son existence, est assujetti de façon toute particulière à la règle de la bonne foi. En effet, ce contrat établit les conditions relatives à la satisfaction d’un besoin fondamental, l’habitation. Il comporte des obligations diversifiées qui sont, par surcroît, 13. Jean PINEAU, La discrétion judiciaire a-t-elle fait des ravages en matière contractuelle?, dans La réforme du Code civil, cinq ans plus tard, 1998, Barreau du Québec et Éditions Yvon Blais Inc., no 113, p. 178. 14. Pour connaître l’état du droit en la matière avant la refonte du Code, v. Pierre-Gabriel JOBIN, Grands pas et faux pas de l’abus de droit contractuel, (1991) 32 C. de D. 153. 15. «L’intention malveillante est le critère incontesté de l’abus de droit»: G. CORNU, précité, note 6, p. 58. 16. Banque nationale du Canada c. Houle, [1990] 3 R.C.S. 122, p. 145. 17. Précité, note 3, p. VII. 336 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 exécutées de façon successive. Impossible souvent de retrouver une preuve écrite fiable pour régler les conflits qui surviennent en cours d’exécution; le bail lui-même est verbal dans de nombreux cas. La bonne foi a l’insigne avantage d’être une notion simple et universellement acceptée: son sens est équivalent en droit et dans la vie courante. De plus en plus, elle constitue la clef de voûte pour la solution de litiges portant sur le droit du logement. À titre d’exemple, la Régie du logement a sanctionné l’abus de droit dans les domaines suivants: – recours excessifs et harcèlement par le locateur18; – location dans un but criminel19; – loyer frauduleusement bas20; – av is d’ au g men tati on irrégulier21. 1.1 Les clauses déclarées abusives Dans le cadre de la réforme majeure du droit du logement réalisée en 197322, le législateur a décrété qu’il était désormais interdit de déroger dans un contrat à la p lup a rt d es d isp osit ions d u C.c.B.-C. relatives au bail résidentiel. Cette interdiction est reprise à l’article 1893 du Code actuel par la formule «Est sans effet la clause...» Toute stipulation contraire est abusive et frappée de nullité, dès l’origine et sans décision judiciaire quant à son caractère. En vertu du p rincip e d e l’ordre p ub lic, l’Autorité fait une détermination préalable de la nature abusive d’un comportement et limite en conséquence l’autonomie de la volonté des parties23. Des cas précis sont prévus aux articles 1900 (limitation de la responsabilité et modification des droits), 1905 (déchéance du terme), 1906 (réajustement du loyer en cours de bail) et 1910 C.c.Q. (état du logement). 1.2 La clause abusive (art. 1901 C.c.Q.) L’article 1901 C.c.Q., qui porte sur la clause pénale abusive et sur la clause abusive en général, transpose dans le domaine du bail résidentiel la latitude considérable d’analyse qu’on constate à l’article 1437 C.c.Q. La faculté de statuer 18. Couture c. Fréchette, [1998] J.L.75. 19. Morin c. Bourgoin, [1995] J. L. 196 20. Caisse populaire Notre-Dame-de-la Merci de Montréal c. Diamant et al., [1997] J.L. 44. 21. Lussier c. Bouchard, [1999] J.L. 86. 22. L.Q. 1973, c. 75; ces modifications ont été reprises pour l’essentiel aux articles 1650 et suivants du C.c.B.-C. en 1979. 23. Le droit positif récent a quelque peu atténué la sévérité de cette notion. On établit désormais une distinction entre l’ordre public de direction et l’ordre public de protection. L’ordre public de direction concerne les principes et les politiques de l’État: aucune dérogation n’est admise et la nullité est absolue (art. 1417 C.c.Q.). Au contraire, le bénéficiaire de l’ordre public de protection peut y renoncer, lorsque la mesure de protection est devenue actuelle. Dans ce cas, aux termes de l’article 1419 C.c.Q., la nullité est relative. V. Nicole ARCHAMBAULT, Droit des obligations du louage, dans La réforme du Code civil, textes réunis par le Barreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec, vol. 2: Obligations, contrats nommés, 1993, Ste-Foy, Presses de l’Université Laval, p. 650-651. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 337 sur la nature équitable d’une stipulation contractuelle, conférée lors de la réforme de 1973, n’est soumise à aucune contrainte spéciale: il s’agit en tous points d’un pouvoir discrétionnaire24. Appliquée plutôt timidement au cours des quelque vingt premières années de son existence, la disposition a pris du galon dans le contexte plus «contestataire» du nouveau C.c.Q. L’article 1901 traite en premier lieu de la clause pénale abusive, qui prescrit une pénalité excessive en cas d’inobservation d’une obligation. Depuis 1994, deux types principaux de clauses pénales ont été analysés par les tribunaux. Il y a d’abord la stipulation, formulée de multiples façons, qui prévoit un rabais de loyer ou autre prime si le locataire exécute fidèlement ses obligations. En cas de faute à cet égard, le locateur réclame le remboursement de l’avantage consenti, généralement de façon rétroactive. Le tribunal doit évaluer la sanction réclamée en regard du «préjudice réellement subi» 25. Voici une autre formulation de cette exigence: Nous concluons donc que, si à priori, les clauses abusives doivent être étudiées à la lumière des règles d’équité, nous croyons que dans les cas où la peine est démesurée par rapport au préjudice subi, elle doit être déclarée nulle ou réductible.26 Pour la majorité des régisseurs de la Régie du logement, la stipulation conditionnelle de rabais de loyer ou d’un autre avantage constitue une clause pénale au sens de l’ article 1622 C.c.Q. On juge en effet que, par une telle condition, les parties évaluent par anticipation les dommages-intérêts découlant de l’inexécution de l’obligation27. La citation suivante démontre le souci manifesté par les décideurs de cerner correctement la nature de la stipulation visée: La Régie examine ce type de clause avec beaucoup de prudence. Sans nécessairement conclure qu’il s’agit d’une clause pénale dans tous les cas, le soussigné considère que le locateur a le fardeau de démontrer qu’il ne s’agit pas d’un moyen pour hausser artificiellement le coût du loyer ou d’attirer un locataire sous de fausses représentations. Il a le fardeau également de démontrer que la clause est claire et non équivoque, que le locataire y a consenti en toute connaissance de cause et finalement que son contenu est raison- 24. «Faculté acccordée à une personne appelée à prendre une décision, dans les limites de sa compétence, de choisir parmi les décisions possibles celle qui lui paraît la plus appropriée suivant les circonstances »: Hubert REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 1994, Montréal, Wilson et Lafleur Ltée, p. 434. 25. Bernier c. Burnett, [1996] J.L. 335. 26. Immeubles Yamiro Inc. c. Yvon Mola Brière, [1997] J.L. 131. 27. Le raisonnement contraire, bien que minoritaire, est tout à fait soutenable: «En droit québécois, la clause pénale (est) un engagement de payer une somme d’argent fixée à l’avance et en sus de l’obligation initiale ... la clause stipulant la révocation des mois gratuits si la locataire ne paie pas le loyer le premier jour du mois a, comme conséquence, que la locataire sera simplement tenue à son obligation initiale, c’est-à-dire, au paiement du loyer pendant toute la durée du bail»: Weldon c. Demers, [1994] J.L. 321. 338 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 nable au sens de l’article 1901 précité.28 Un second type de clause pénale fixe à l’avance les conséquences de divers événements qui peuvent survenir en cours de bail: par exemple, l’indemnité de cession de bail29, la peine pour retard du loyer ou les frais de chèque sans provision30. Dans de tels cas, il s’agit d’établir une stricte équivalence entre le préjudice subi et la sanction prévue. Quant à la clause abusive au sens large, qui confère au juge le pouvoir d’intervenir en matière d’«obligation... déraisonnable», le pouvoir discrétionnaire est limité seulement par le devoir de statuer «en tenant compte des circonstances». Le locataire peut demander une décision déclaratoire du tribunal à cet égard, à titre principal ou accessoire. Il peut également invoquer en défense la nature abusive d’une clause dont le locateur veut lui imposer l’observation. La jurisprudence est d’une utilité plutôt limitée sous ce rapport, puisqu’on est généralement en présence de cas d’espèce. Quelques illustrations néanmoins: le locataire se plaint d’être assujetti au coût des services publics31, de devoir installer des tapis à ses frais32, d’être responsable de la réparation des 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. appareils ménagers fournis avec le logement33, de ne pas pouvoir utiliser un lave-vaisselle dans son appartement34. 2. LA QUESTION DES ANIMAUX FAVORIS 2.1 Observations préliminaires La clause supplémentaire du bail qui provoque le plus de conflits est sans contredit celle qui régit la possession d’animaux favoris. Dans une minorité de cas, le bail précise le nombre, la taille ou l’espèce des bêtes qui auront accès aux lieux loués35. Ainsi, un chat sera toléré, mais non un chien36. Habituellement toutefois, c’est l’exclusion générale: aucune concession, même pour l’animal qui accompagne un visiteur37. La formule usuelle est succincte et lapidaire: «Pas d’animaux». Cette position radicale n’est pas sans fondement. Les habitations sont d’abord destinées aux êtres humains; les animaux qu’on y introduit se comportent fréquemment comme des intrus peu désirables, et leurs maîtres comme des gardiens peu soucieux d u b ien com m un. La coexistence des personnes et des animaux, particulièrement dans les immeubles à logements multiples ou dans les édifices en hau- Arquello c. Immeubles Yamiro Inc., [1995] J.L. 44. F.D.L. Compagnie Ltée c. Morin, [1996] J.L. 366. Foucault et a. c. Maurice, R.L. 28-960415-019G, 17 juillet 1996, r. D. Dumont. Lowry et a. c. Verlinden, R. L. 26-960424-004G, 21 novembre 1996, r. D. Laflamme. Athanassiadis c. Cormier, R.L. 35-931216-005G, 16 février 1994, r. J. Bisson. Campbell c. Diakite, R.L. 35-960423-025A, 6 septembre 1996, r. H. Chicoyne. Olivier c. Office municipal d’habitation (OMH) de Vanier, R.L. 18-970217-030G, 18 juin 1997, r. J. Cloutier. Delli Quadri c. Annecchini, R.L. 34-960411-001G, 17 juin 1996, r. J. Gagnon Trudel. Mondou c. Miller, C.Q. 500-02-020249-947, 2 juin 1995, j. R. Barbe. Giarciello c. Tremblay, R.L. 32-960322-005G, 31 mai 1996, r. G. Joly. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 339 teur, est une source inépuisable de différends de toutes sortes. Les voisins se plaignent au propriétaire des aboiements, de la malpropreté, des odeurs; ils sont allergiques au poil, ils redoutent la présence d’un molosse dans l’ascenseur. Le locateur, de son côté, subit des frais supplémentaires de conciergerie et d’extermination de parasites. Il assiste impuissant à la détérioration de sa propriété, grugée à coups de becs, de crocs, d’ergots ou de griffes. Il craint l’effet d’entraînement chez les autres locataires s’il manifeste la moindre tolérance à ce sujet. Sans tenir compte du temps perdu à intervenir dans les chicanes entre voisins ou à faire le pied de grue dans l’antichambre de la Régie du logement. La mise en œuvre d’une politique d’interdiction totale des animaux favoris comporte des avantages certains, à la fois pour l’ensemble des locataires et pour le propriétaire. C’est une mesure qui prévient les tensions entre voisins et réduit les coûts d’exploitation, entraînant la bonne entente et les loyers raisonnables. Ces objectifs fort respectables se heurtent cependant à un phénomène incontournable: la relation qui existe depuis l’aube des temps entre l’homme et les animaux qu’on dit «familiers»38. Au Québec, entre 45 et 58 % des ménages hébergent au moins un animal39. Leur popularité croissante s’explique en partie par le fractionnement, ou l’«atomisation» du tissu social: la personne seule ou handicapée, l’enfant unique, le vieillard isolé nouent des rapports étroits de substitution avec un animal de compagnie. En principe tout au moins, il est légitime pour quiconque est empêché d’acquérir ou de conserver un animal de se sentir lésé dans l’exercice de ses droits fondamentaux. Il faut également compter avec l’influence croissante de la zoothérapie. De nombreux médecins affirment que le contact avec un animal soulage ou même guérit les symptômes reliés aux maladies physiques ou psychologiques. Voici la définition de cette discipline proposée par la Société de zoothérapie de Drummondville: le terme général «zoothérapie» s’applique à toute activité impliquant l’utilisation d’un animal auprès de personnes, dans un but récréatif ou clinique. Cetteméthode favorise les liens naturels et bienfaisants existant entre les humains et les animaux, à des fins préventives et thérapeutiques.40 Ces divers facteurs illustrent le dilemme du décideur: doit-il favoriser l’application d’une clause légale et claire, ou plutôt se montrer ouvert aux nouvelles tendances, y compris à la zoothérapie? S’il cherche la réponse dans le texte législatif, l’article 1901 C.c.Q. lui fournit un seul critère, vague à souhait: la clause visée est-elle «déraisonnable»? Cette imprécision explique en grande partie les flottements de la jurisprudence québécoise. Avant d’approfondir l’état du droit positif québécois en 38. «Familier: qui est considéré comme faisant partie de la famille »: Nouveau Petit ROBERT, Édition 1995, p. 890. 39. Le Devoir, 22 décembre 1998, p. B1. 40. Site Internet www.zoothérapie.com. 340 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 la matière, il convient de faire un rapprochement sommaire avec certaines solutions élaborées à ce sujet en Ontario et aux États-Unis. 2.2 À l’extérieur du Québec La Loi sur la protection des locataires de l’Ontario, mise en vigueur le 16 juin 1997 4 1 , a refondu en un seul texte toute la législation portant sur le louage résidentiel. Concernant la possession d’animaux, le mérite principal de la position ontarienne est de dissiper tou te ambig u ï t é. Tout d’abord, à l’article 15, le principe: Est nulle la disposition de la convention de location interdisant la présence d’animaux dans l’ensemble d’habitation ou dans ses environs immédiats. Le législateur a donc tranché la controverse en faveur des locataires qui possèdent un ou des animaux. Il n’a pas pour autant dépouillé le locateur de tout recours. Aux termes des articles 64 et 65 de la Loi, ce dernier peut envoyer au locataire un avis de résiliation du bail fondé sur le préjudice découlant de la possession d’un animal. Le locataire peut alors, soit se départir de son animal dans un délai maximal de 7 à 10 jours, selon le manquement reproché, soit quitter le logement dans un délai maximal de 20 jours, soit attendre la décision du tribunal, que le locateur doit saisir par requête. L’article 74 précise que la résiliation du bail est accordée seu- lement si la présence de l’animal (ou d’un autre animal de cette race ou espèce) «a gêné de façon importante la jouissance raisonnable de l’ensemble d’habitation», «a provoqué... de graves allergies» ou encore «constitue en soi un danger pour la sécurité du locateur ou des autres locataires». Il y a donc une parenté certaine avec l’approche québécoise, qui subordonne la résiliation du bail à l’existence d’un préjudice sérieux. Par contre, le locateur n’est pas admis, comme au Québec, à demander une ordonnance d’exécution en nature. Cette distinction est explicitée ci-dessous, au paragraphe 2.3.2 (Les sanctions). Quant au droit des ÉtatsUnis en la matière, en voici un rapide survol42. D’abord, les clauses «no pets» sont généralement tenues pour valides et susceptibles d’exécution. Il existe toutefois de nombreuses exceptions, notamment en faveur des personnes âgées, des handicapés et des occupants de logements subventionnés. Le principe d’accommodement convenable («reasonable accommodation») – qui est également en pleine évolution au Québec43 – constitue un élément fondamental de la plupart des Codes des droits de la personne: le locateur est tenu de manifester une certaine indulgence à l’égard du locataire qui a besoin de son animal pour sa santé physique et mentale. L’esprit de tolérance est également à la source de l’estoppel, une doctrine de la common law 41. L.O. 1997, c. 24. 42. L’information relative au droit américain est tirée de Companion Animals in Rental Housing, Newark, N. J., Rutgers University Law School Animal Rights Center, Site internet www.animal-law.org/housing/. 43. V. notamment Whittom et al. c. Commission des droits de la personne du Québec, J.E. 97-1255. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 341 selon laquelle est réputé avoir renoncé à exercer son droit le créancier qui a omis d’agir en temps utile après avoir connu la violation d’une clause du contrat44. Dans la ville de New York par exemple, le délai d’action – très bref – est de trois mois. Généralement toutefois, il doit s’écouler un délai beaucoup plus long pour que l’on puisse conclure à l’acquiescement passif du locateur. De plus, l’estoppel ne peut plus être invoqué si le locataire renouvelle son bail. Comme la plupart des États ne reconnaissent pas le principe de la tacite reconduction, le droit acquis du locataire sous ce rapport s’éteint avec l’ancien bail. 2.3 Au Québec Prises isolément, les décisions rendues au Québec au cours des dernières années relativement aux clauses prohibitives paraissent souvent épouser des thèses diamétralement opposées. Certains décideurs semblent privilégier une application rigoureuse de la stipulation, alors que d’autres sont plutôt sensibles au préjudice subi par le possesseur de l’animal. Il est clair qu’il n’existe pas d’unanimité étanche à ce sujet. Mais serait-ce préférable? Au-delà des divergences de degré inévitables dans un contexte fortement émotif, une conclusion découle manifestement de la jurisprudence récente: le principe de l’autonomie de la volonté n’est nullement remis en cause dans l’en- semble des décisions rendues45. D’autre part, ce qui apparaît parfois comme un magma jurisprudentiel se compose en fait d’une multitude de cas d’espèce. Il convient donc de faire le point sur les principes relativement constants énoncés par les juges et régisseurs, ainsi que sur les nuances diverses révélées par la jurisprudence des dernières années. Nous nous penchons par la suite sur deux affaires qui ont quelque peu bouleversé l’échiquier des idées reçues en la matière. 2.3.1 Les principes a) La clause n’est pas déraisonnable L’interdiction de posséder un animal n’est pas considérée en soi comme une «obligation... déraisonnable» au sens de l’article 1901 C.c.Q. La formulation suivante est typique à cet égard: Une telle clause, d’application générale et d’intérêt commun, n’est pas déraisonnble ni abusive à sa face même... Selon la jurisprudence, une telle clause n’est pas injuste parce que, d’une part, tous les locataires et occupants de l’immeuble y sont assujettis et que, d’autre part, elle a été clairement énoncée au locataire qui y a adhéré librement.46 On insiste beaucoup dans les décisions sur le fait qu’il s’agit d’une «clause à laquelle la locataire a librement consenti»47. «Toute personne a l’obligation d’honorer 44. V. également la définition de H. REID, précité, note 24, p. 222. 45. Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) c. Halbot, R.L. 10960913-002G, 18 octobre 1996, r. M. Dubé. 46. OMH de Sept-Îles c. Bouchard et al., C.Q. 650-02-000412-948, 27 octobre 1995, j. G. de Pokomandy. 47. Vigeant c. Tsatoumas, R.L.31-960627-059G, 12 novembre 1996, r. H. Beaumier. 342 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 les engagements qu’elle a contractés...», déclare péremptoirement l’article 1458 C.c.Q. C’est essentiellement le rappel qu’on fait au locataire fautif: [...] la locataire a acquis ce chien alors qu’elle était consciente qu’elle dérogeait ainsi aux conditions de son bail, sans préalablement l’accord de la locatrice [...]48 Ou encore, À la signature de son bail, la locataire savait pertinemment qu’elle ne pouvait garder d’animaux dans son logement. Malgré une telle interdiction, elle décide de procéder à l’acquisition de deux chiens [...]49 La position des tribunaux en cette matière est donc remarquablement ferme et concordante, tout au moins lorsqu’il y a eu négociation véritable des conditions du bail. b) La clause est conforme à la Charte Reconnaissant qu’ils ont enfreint une clause de leur bail, certains locataires plaident néanmoins que cette stipulation viole certains droits fondamentaux conférés par la Charte des droits et libertés de la personne du Qué- bec 5 0 . Invoquant notamment l’article 1 de la Charte, ils avancent qu’une telle restriction constitue une atteinte à leur liberté et à leur dignité. Cette prétention a généralement été rejetée, les décideurs étant d’avis qu’il n’y a pas de lien essentiel entre la liberté et la dignité d’un locataire et le droit ou non d’avoir un animal. On a également eu recours à l’article 10 de la Charte, qui interdit le comportement de nature discrim ina t oire. Une loca t a ire d’origine chinoise se disait victime de discrimination «fondée sur la race», parce qu’elle était la seule à s’être vu contester la présence de son chien, alors que les autres locataires (tous des Occidentaux) n’étaient pas incommodés51. Son moyen de défense n’a pas été retenu par la Régie, la locataire n’ayant pas pu fournir une preuve prépondérante de comportement raciste. Un autre locataire a fait valoir que son fils souffrait d’un «handicap» et que la présence de son animal de compagnie constituait «l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap»52. La question n’a pas été tranchée au fond dans cette décision, puisque le régisseur a décidé, après une étude exhaustive du sujet, que l’intéressé souffrait non pas d’un handicap, mais d’une maladie. 48. OMH de Longueuil c. Narbonne, R.L. 37-941028-008G, 16 janvier 1995, r. G. Joly. 49. Domiciles Pop Inc. c. Thibault, R.L. 06-960508-001G, 30 janvier 1997, r. M. Dubé. 50. L.R.Q., c. C-12. La Charte canadienne des droits et libertés (L.R.C. (1985), App. II, no 44, Ann. B) ne s’appliquerait pas en la matière, selon le juge Pokomandy (v. ci-dessus, note 46). 51. Résidence Lincoln c. Yang Uye Il, R. L. 31-961009-055G, 13 décembre 1996, r. R. Holden. 52. OMH de Trois-Rivières-Ouest c. Marchand, [1995] J.L. 342. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 343 c) L’application de la clause ne constitue pas du harcèlement L’article 1902 C.c.Q., introduit par la réforme de 1994, interdit le comportement visant à restreindre le droit du locataire à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu’il quitte le logement. Cette interdiction vise non seulement les actes carrément illégaux, mais également «les manifestations permises par la loi mais exercées de façon abusive»53. Plaide-t-on que l’application sélective ou déraisonnable de la clause prohibitive équivaut à du harcèlement? Les décideurs sont peu sympathiques à cette thèse: Le tribunal ne saurait voir dans le comportement des locateurs à cet égard une quelconque forme de harcèlement, ceux-ci s’étant bornés à demander à la locataire de respecter la clause spécifique du bail interdisant la présence d’animaux dans le logement, les demandes répétées des locateurs n’étant aucunement empreintes de mauvaise foi [...]54 Dans une autre affaire, il a été jugé qu’un locataire poursuivi en résiliation de bail, après avoir été mis en demeure de se débarrasser de son chien, ne pouvait pas obtenir la résiliation du bail en sa faveur et des dommages-intérêts pour cause de harcèlement, même si la demande du locateur avait été rejetée pour d’autres motifs55. d) La tolérance n’équivaut pas à une renonciation La doctrine de l’estoppel n’a pas la faveur des décideurs, du moins lorsque la tolérance n’est que passive. On pourrait penser que le caractère obligatoire de la clause prohibitive s’atténue avec le temps. Il n’en est rien dans la plupart des cas. La renonciation à la clause doit être explicite: [...] le fait d’avoir toléré la présence d’animaux à l’encontre de la stipulation contenue dans les baux ne constitue pas en soi une renonciation à se prévaloir de cette clause. Or, la preuve ne révèle ni faits, ni paroles qui pourraient laisser croire à une modification du bail pour en retrancher la clause ou pour permettre aux appelants de croire que l’intimé renonçait à son application [...]56 Ce principe est énoncé, à quelques variantes près, dans maintes décisions de la Régie du logement57. Il est évoqué dans les situations les plus diverses. Quelques illustrations: – le propriétaire a toléré la présence d’un animal en particulier; il n’est pas obligé d’accepter celui qui le remplace58; 53. Pierre PRATTE, «Le harcèlement envers les locataires et l’article 1902 du Code civil du Québec», (1996) 43 R. du B. 3, p. 15. 54. Vigeant c. Tsatoumas, R.L. 31-960627-059G, 12 novembre 1996, r. H. Beaumier. 55. Lacroix, c. Moore, R.L. 31- 961015-055G, 5 février 1997, r. J.-P. Hurlet (Moore c. Lacroix, R.L. 31-960814-052G, 22 octobre 1996, r. J. Giroux). 56. OMH de Dégelis c. Lebrun et al., [1994] J.L. 127. 57. V. Héroux c. Leblanc, R.L. 16-940811-005G, 17 octobre 1994, r. G. Langlois; Habitations Atlantique c. Bernatchez, R.L. 08-940824-008G, 12 janvier 1995, r. M.Dubé; S. D. Gameroff Estate c. Parent, R.L. 34-960409-012G, 3 septembre 1996, r. D. Laflamme. 58. Chagnon c. Lainesse, C.Q. 750-02-000283-958, 29 septembre 1995, j. R. Denis. 344 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 – le locateur a soumis la bête à une période de probation, «pour permettre aux locataires de la dresser»; insatisfait du résultat, il a le droit d’exiger l’application de la clause prohibitive59; – l’ancien locateur était indulgent; le nouvel acquéreur de l’immeuble n’est pas tenu de l’imiter60; – le locateur est en train d’éliminer tous les animaux dans l’immeuble; la demande contre le locataire est une étape de ce processus61; – par sa taille, son comportement ou pour toute autre raison, l’animal du voisin ne provoque pas de plaintes62; – le locateur a toléré le caniche des locataires; les deux gros chiens du cessionnaire du bail constituent par contre un «motif sérieux» lui permettant de s’opposer à la cession en vertu de l’article 1871 C.c.Q.63. Qui plus est, l’iniquité du comportement du locateur n’est pas un élément pertinent du débat: le locataire n’est pas admis à invoquer le passe-droit en faveur d’un voisin64, ou même à l’égard du concierge qui possède lui-même un animal65: Il n’appartient pas au tribunal de connaître les motivations qui animent le locateur de permettre à certains de garder leur animal et de l’interdire à d’autres.66 Une réserve pourtant: la motivation du locateur sera prise en considération – à son avantage – s’il souhaite enrayer l’effet d’entraînement chez les autres locataires67. Même en l’absence de tout problème actuel, le locateur est justifié d’agir pour prévenir un préjudice éventuel. Voici un exemple de cette position: Concernant la clause, le Tribunal doit en venir à la conclusion que cette clause est parfaitement légale et que le locateur est en droit d’en exiger le respect même si antérieurement il a toléré la présence d’animaux. Le fait que l’animal n’ait pas causé de dommages ou qu’il n’y ait pas de preuve de préjudice ne peut e mpê c h e r l’ e xe r c ic e de la clause.68 En somme, «Le locateur a le droit d’exiger une certaine uniformité d’application de ses règlements...»69 59. Martin et al. c. Beaulieu, C.Q. 200-02-009585-961, 4 décembre 1996, j. G.-A. Gobeil. 60. Rheault et al. c. Fortin et al., R.L. 18-940805-008G, 20 septembre 1994, r. M. Bégin. 61. SCHL c. Halbot, R.L. 10-960913-002G, 18 octobre 1996, r. M. Dubé. 62. Monast c. Charbonneau, R.L. 23-970206-001G, 24 mars 1997, r. F. Champigny. 63. Tourangeau c. Thériault, [1997] J.L. 245. 64. Auclair c. OMH de Baie-Comeau, C.Q. 655-02-000222-932, 7 avril 1994, j. R. Boucher. 65. Immeubles S.M.G. enr. c. Schrenk, R.L. 31-960819-100G, 16 octobre 1996, r. M. Lackstone; confirmé par la C.Q.: [1997] J.L. 333. 66. Kilifis c. Mainville et al., R.L. 35-951023-023G, 20 mars 1996, r. L. Harvey. 67. Immeubles Boudreau enr. c. D’Astous, R.L. [1997] J.L. 16. 68. OMH de Charlesbourg c. Labrecque, [1998] J.L. 65. 69. OMH de Longueuil c. Trottier, [1995] J.L. 159. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 345 2.3.2 Les sanctions L’article 1863 C.c.Q. prévoit deux recours pour la mise à effet de la clause prohibitive. Premièrement, le tribunal peut résilier le bail si l’inexécution de l’obligation du locataire cause au locateur ou aux autres occupants de l’immeuble un préjudice sérieux au sens de l’article 1863 C.c.Q. (si l’animal est une «cause sérieuse de nuisance»70, une «source sérieuse de tracasseries»71). Une fois le préjudice sérieux établi, l’article 1973 C.c.Q. permet accessoirement au décideur de rendre une ordonnance octroyant un délai au locataire pour exécuter la conclusion portant sur le respect de la clause. Si le locataire n’obtempère pas, le tribunal n’a plus le choix: il «doit» résilier le bail si demande lui en est faite. Ce sera également la solution retenue lorsque le locataire refuse séance tenante de se départir de son animal. On notera que la résiliation du bail obtenue par le locateur ne met pas fin aux obligations du locataire, notamment quant au versement d’une indemnité de relocation72. En second lieu, même si aucun préjudice n’a été prouvé, le tribunal peut rendre une ordonnance d’exécution en nature visant à forcer le locataire à respecter la clause prohibitive. Les réticences héritées de la common law relativement à l’injonction mandatoire se sont graduellement estompées au cours du dernier quart de siècle, au point où l’exécution en nature est couramment accordée dans les procédures judiciaires au Québec73. En droit du logement, la mise en application de la clause par une ordonnance d’exécution en nature est un des «cas qui le permettent», au sens de l’article 1863 C.c.Q.74. Ce sont surtout les circonstances de l’affaire qui déterminent le délai accordé au locataire pour se conformer à l’ordre du tribunal. On relève notamment des échéances de trente jours75, de deux mois76 et même, dans une espèce récente, d’un an77. La seule sanction prévue pour l’inobservation de l’ordonnance rendue en stricte application de la clause prohibitive est – plutôt étonnamment d’ailleurs – de nature pénale. L’article 112 de la Loi sur la Régie du logement78 (L.R.Q., c. R-8.1) prévoit en effet que le non-respect d’une ordonnance de ce type constitue un outrage au tribunal. La Régie n’a pas, du moins théoriquement, le 70. Faust c. Stelzer, R.L. 32-960314-012G, 19 septembre 1996, r. A. Simard. 71. Denis c. Lavallée, R.L. 18-940131-001G, 8 mars 1994, r. J. Cloutier. 72. Bouthillette c. Duchesneau, R.L. 32-960521-005; 31-960927-083G, 30 janvier 1997, r. A. Simard. 73. Pierre-Gabriel JOBIN, Les sanctions de l’inexécution du contrat, dans La réforme du Code civil, cinq ans plus tard, 1998, Cowansville, Barreau du Québec et Éditions Yvon Blais Inc. (no 113), p. 106 et s. 74. Tortorici c. Vargas et al., R.L. 31-931008-011G, 15 mars 1994, r. J.-C. Pothier. 75. Monast c. Charbonneau, R.L. 23-970206-001G, 24 mars 1997, r. F. Champigny. 76. OMH de Gaspé c. Jeannotte, R.L. 08-970417-001G, 26 novembre 1997, r. M. Dubé. 77. Fortier c. Paquet, [1998] J.L. 256. 78. L.R.Q., c. R-8.1. 346 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 pouvoir de résilier le bail pour le seul motif que le locataire n’a pas obéi à son ordre. Le locateur doit donc s’adresser à la Cour supérieure pour faire valoir son droit79. Cette dernière se limitera à prononcer les sanctions prévues à l’article 51 du Code de procédure civile (amende ou emprisonnement). Ce recours peu commode est rarement exercé, puisque le tribunal de droit commun n’a pas le pouvoir de résilier le bail. Toutefois, en pratique, il est c ou r an t de libeller a insi la demande: «résiliation du bail ou, subsidiairement, ordonnance». Ainsi, dans un dossier où les deux conclusions étaient énoncées, le régisseur a prononcé l’ordonnance et réservé le droit à la résiliation si l’ordonnance n’était pas respectée80. Dans une autre affaire, seule l’exécution en nature avait été demandée: le régisseur a réservé au locateur le droit de faire résilier le bail en cas de non-respect de l’ordonnance 81. Dans ces espèces, on juge que l’inobservation de l’ordonnance cause en soi au locateur un préjudice suffisamment sérieux pour justifier la résiliation. 2.3.3 Les tempéraments Il ne faut pourtant pas conclure de ce qui précède que le droit est fixé défnitivement en cette matière. Ce n’est sûrement pas le cas: comme il s’agit d’un débat de société aux ramifications multiples, les données du problème et les modes de solution sont en constante évolution. L’application stricte de normes juridiques inflexibles s’avère carrément impossible. L’opinion suivante reflète bien cette réalité: Une société évoluée comme la nôtre reconnaît depuis plusieurs années l’importance de la solidarité sociale. Le domaine du logement résidentiel est régi, à cause de cela, par des normes plus élaborées que celles qui régissent le marché des immeubles commerciaux où l’on retrouve une plus grande liberté contractuelle.82 Dans ce contexte, il n’est pas rare que transparaisse un certain malaise chez le décideur qui doit mettre à effet une clause prohibitive83. Il s’ensuit qu’on exige le respect intégral des formalités requises pour l’application du droit. De plus en plus également, on scrute finement la preuve, pour déceler des éléments de renonciation effective à la clause, ou encore pour établir un manquement à l’obligation de bonne foi. Enfin, la notion de zoothérapie est quelquefois mise à contribution. a) Le respect des formalités Voici quelques exemples du formalisme exigé dans ce domaine. 79. Société en commandite 2275-2253 H.B. c. Pelchat, R.L 18-921209-018G, 4 février 1993, r. M. Bégin.; par contre, s’il s’agit d’une ordonnance rendue en appel par la Cour du Québec, ce tribunal punira lui-même la désobéissance: OMH de St-Léonard c. Meunier, [1996] J.L. 252. 80. Immeubles Boudreau enr. c. D’Astous, [1997] J.L. 16. 81. Laurendeau et Hachez c. Lasalle et al., R.L. 27-961219-002G (27-960820-003G), 11 février 1997, r. G. Bernard. 82. OMH de Bécancour c. Marquant, R.L. 15-971008-002G, 25 mai 1998, r. J. Cloutier. 83. OMH de Trois-Rivières-Ouest c. Marchand, [1995] J.L. 342. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 347 Le locateur qui a demandé uniquement la résiliation du bail, mais n’a pas réussi à prouver le préjudice sérieux, est simplement débouté: le tribunal n’accorde pas l’ordonnance à titre subsidiaire, si la demande n’en est pas faite spécifiquement84. On pourra toutefois lui réserver ses autres recours85. Fréquemment, la clause d’interdiction n’est pas inscrite au corps même du bail, mais plutôt dans une annexe de clauses supplémentaires (ou règlement de l’immeuble) signée par le locataire. L’article 1894 C.c.Q. édicte que ce règlement doit être remis avant la conclusion du bail. Le défaut par le locateur de respecter cette condition l’empêche d’invoquer la clause 86 . Dans une espèce, la clause prohibitive a été déclarée inopposable à un locataire dont l’exemplaire du bail, contrairement à celui du locateur, ne contenait pas l’interdiction en toutes lettres87. La stipulation a également été jugée sans effet contre un sous-locataire qui n’avait pas été avisé de la restriction contenue au bail original88. Enfin, une simple résolution visant à interdire la présence d’animaux, adoptée par le Conseil d’administration d’un Office municipal d’habitation (OMH), n’a pas force exécutoire à l’égard du locataire89. Quand le bail ne contient aucune clause prohibitive, le locateur a théoriquement le droit de demander qu’une telle stipulation soit ajoutée aux conditions lors de son renouvellement, selon le mécanisme prévu aux articles 1942 et s. C.c.Q. Comme cette demande remet en cause un droit acquis du locataire, elle est généralement refusée90. On conseillera plutôt au locateur d’utiliser les recours usuels si un problème réel survient91. b) La bonne foi et la renonciation Même si la tolérance n’est habituellement pas considérée comme une justification valable en ce domaine, rien n’empêche le locataire de faire la preuve que le locateur a, dans les faits, renoncé au droit conféré par la clause prohibitive. La nuance entre tolérance et renonciation est ténue, mais réelle. Le point de convergence de ces positions apparemment contradictoires, c’est que le rôle du juge n’est pas uniquement d’appliquer normes et préceptes abstraits: saisi d’un litige concret, il doit également prendre en considération la valeur objective de la preuve et surtout, la bonne foi relative des parties (articles 6, 7, et 1375 C.c.Q). C’est ainsi que, dans une 84. Édifice 1175 Papineau Inc. c. Lanctôt et al., [1992] J.L. 129. 85. Immeubles Turret Inc. c. Zecevic-Nedic, R.L. 34-960424-002G, 27 juin 1996, r. J. Gagnon Trudel. 86. OMH de Sainte-Thérèse c. Goyer, 1994 [J.L. 219]; OMH de Sept-Îles c. Bouchard, [1995] J.L. 137. 87. Aubuchon c. Beaudoin, R.L. 31-980520-118G, 2 septembre 1998, r. P. Thérien. 88. Blanchette c. Collins, R.L. 15-940531-002G, 5 juillet 1994, r. G. Langlois. 89. OMH d’Ormstown c. D’Amour, R.L. 27-960618-002G, 23 août 1996, r. G. Bernard. 90. Kilifis c. Miskin et al., [1997] J.L. 200. 91. Immeubles Redmond Inc. c. Veilleux, R.L. 18-950403-009F, 14 septembre 1995, r. M. Bégin. 348 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 affaire où l’attitude du locateur était entachée de mauvaise foi, le régisseur a pris le contre-pied de l’opinion généralement acceptée en décidant que le simple écoulement du temps pouvait constituer une «renonciation tacite»92. Il arrive effectivement que la clause prohibitive demeure lettre morte pendant de nombreuses années, jusqu’à ce que surgisse un différend, sur le prix du loyer ou l’état du logement, par exemple. Le locateur brandit alors son bail écorné par l’âge et exige impitoyablement réparation. Ce type de représailles reçoit généralement un accueil plutôt glacial. Voici l’analyse, assez typique, d’un régisseur à cet égard: De toute évidence, les parties sont en relation très conflictuelle... De toute évidence aussi, la locatrice introduit ce recours devant la Régie du logement pour exercer une certaine vengeance à l’endroit de la locataire.93 Dans l’affaire précitée, on a permis à la locataire de garder son animal jusqu’à la fin de son bail. D an s d’ au tr es déc isions, la demande du propriétaire est simplement rejetée94. On aura jugé, comme dans une espèce récente, que «la mésentente n’a finalement rien à voir avec le comportement de l’animal»95. Plus le sens donné à la notion de renonciation est large, plus on lim it e l’a d m issib ilit é d e la demande d’ordonnance fondée uniquement sur l’existence d’une clause prohibitive. Tantôt, le but visé par la stipulation est considéré comme hypothétique: (le) locateur admet qu’il tolère les animaux jusqu’à ce qu’il reçoive des plaintes et que la clause est inscrite au bail au cas où il aurait à s’en servir. Dès lors, le locateur ne peut plus se limiter à prouver la clause du bail interdisant les animaux... Il doit également faire la preuve d’un préjudice.96 Tantôt, on juge qu’il ne s’agit pas d’une véritable condition du bail: Malgré la clause du bail, le locateur a permis la présence des chats en autant qu’ils ne causent pas de préjudice aux autres locataires. Devant une telle clause, le Tribunal ne peut considérer qu’il s’agissait d’une exigence formelle de la part du locateur, soit le refus de tolérer la présence d’animaux dans le logement. Pour obtenir l’éviction de l’animal, le locateur doit maintenant prouver que l’animal lui cause un préjudice.97 Voici une illustration supplémentaire de cette position: De prime abord, les locataires enfreignent une clause à leur bail leur interdisant expressément de garder un animal dans le logement concerné. Cependant, il a été mis en preuve que 92. 93. 94. 95. Masse c. Valladont, R.L. 16-950517-002G, 11 juillet 1995, r. G. Langlois. Fortier c. Paquet, [1998] J.L. 256. Landry c. Létourneau, R.L. 18-950302-007G, 26 avril 1995, r. C. Courtemanche. Daoust c. Gracovetsky, R.L. 34-960411-009G; 34-960521-011G, 3 septembre 1996, r. D. Laflamme. 96. SEC 296 Bonneau c. Lambert, R. L. 25-961115-005G, 3 février 1997, r. G. Choinière. 97. Vigneault c. Houde, R.L. 16-980330-002G, 2 juin 1998, r. C. Courtemanche. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 349 tous les logements de cet immeuble contiennent une telle clause, mais que dans les faits, le locateur a toujours toléré la présence d’animaux dans l’immeuble.... Le tribunal doit donc conclure que la clause au bail des locataires est sans effet.98 Tout compte fait, en dépit des fluctuations jurisprudentielles et de l’inadmissibilité maintes fois réitérée de la théorie de l’estoppel, la tolérance d’une durée jugée suffisante est de plus en plus assimilée à une renonciation pure et simple. L’évolution de la jurisprudence tend à accréditer l’énoncé suivant: Lorsqu’il y a tolérance, malgré une clause du bail, il faut prouver un préjudice sérieux [...]99 c) La zoothérapie Nou s av on s fait ét a t ci-dessus de l’influence grandissante de la zoothérapie. Malgré des réserves maintes fois exprimées sur la validité d’une telle justification, la jurisprudence québécoise admet désormais plus volontiers l’utilité thérapeutique de l’animal de compagnie. Cette attitude d’ouverture mène occasionnellement à la conclusion que la clause prohibitive est déraisonnable, lorsqu’une preuve médicale convaincante est versée en preuve. Une décision récente, tout en faisant droit à la demande du locateur, reconnaît 98. néanmoins que l’état de santé du locataire peut constituer, «exceptionnellement» 100 , une défense valable. Aux termes d’une décision rendue en 1998, la locataire est autorisée à garder son chien, son état de dépression chronique ayant été confirmé par son médecin101. Dans une autre affaire, s’écartant du cadre même de la preuve, un régisseur déclare avoir «connaissance judiciaire» que «...l’affection d’un maître envers son animal de compagnie représente dans bien des cas une présence et une source importante de réconfort»102. Par conséquent, «en présence d’un préjudice affectif et psychologique évident pour le locataire et sa famille», la demande d’ordonnance est rejetée. La position sympathique à la zoothérapie est bien schématisée dans l’extrait suivant: [...] le locataire ne pourra faire échec à cette clause que s’il rencontre les deux conditions suivantes: 1. La présence de l’animal ne cause aucun trouble de quelque nature et 2. La présence de l’animal est nécessaire pour la santé ou la sécurité du locataire. Ces critères sont en effet de plus en plus retenus par les tribunaux pour décider de la présence d’animaux en contravention à une clause du bail.»103 103. Archambault c. Roche et Daigle, R.L. 37-980903-018G, 25 janvier 1999, r. L. Harvey. Pavillon Montcalm c. Guillemette, R.L. 18-960509-015G, 22 août 1996, r. M. Bégin. OMH de Sullivan c. Lafontaine, R.L. 13-970704-002G, 10 septembre 1997, r. G. Allegra. Place Concorde Inc. c. Caron, R.L. 31-980121-033G, 20 mars 1998, r. G. Joly. OMH de Bécancour c. Marquant, R.L. 15-971008-002G, 25 mai 1998, r. J. Cloutier. Demers c. Rabouin, R.L. 37-950109-008G, 10 février 1995, r. G. Joly. 350 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 99. 100. 101. 102. 2.3.4 Les affaires COULOMBE et FRAM Incontestablement, les dossiers qui ont acquis le plus de relief sur cette question au cours des dernières années sont ceux qui ont opposé L’Office municipal d’habitation de Pointe-Claire à deux de ses locataires au sujet des chats de ces dernières. Dans chacun des cas, les locataires ont signé un bail dont une des clauses interdisait la possession d’un animal. Les observations formulées aux différents niveaux de juridiction dans ces affaires revêtent une importance considérable en raison du fait que les différends ont pris naissance dans un contexte de logements subventionnés, un milieu de vie où les enjeux de la question sont particulièrement problématiques. D’une part, le locataire n’a presque aucun pouvoir de négociation sur les conditions de son bail. D’autre part, les voisins incommodés par la présence d’un animal sont généralement des personnes démunies, âgées ou malades, qui ne sont pas en mesure de déménager lorsque leur tranquillité est perturbée par l’animal d’un voisin. Enfin, les administrateurs de ces logements veulent faire l’économie des tracasseries et chicanes additionnelles que leur tolérance à cet égard pourrait provoquer. a) OMH de Pointe-Claire c. Coulombe Ce dossier a jusqu’à ce jour été jugé à quatre niveaux: pre104. 105. 106. 107. mière instance par la Régie du logement104, appel par la Cour du Québec105, révision judiciaire par la Cour supérieure106 et pourvoi par la Cour d’Appel107. Dans un premier temps, le régisseur a fait droit à la demande d’ordonnance produite par le locateur. La décision est fondée surtout sur le principe de l’autonomie de la volonté, la locataire s’étant engagée en ce sens «volontairement et librement». L’interdiction attaquée n’est pas contraire aux Chartes. La clause n’est pas déraisonnable au sens de l’article 1901 C.c.Q. (ancien article 1664.11 C.c.B.-C.), notamment parce qu’elle est conforme à la volonté de la majorité des occupants du complexe résidentiel et parce qu’elle vise à favoriser l’intérêt commun. La preuve médicale soumise par la locataire pour justifier la présence de son chat n’a pas été jugée convaincante par le régisseur. En appel de novo devant la Cour du Québec, une preuve supplémentaire (témoignage de médecin spécialiste, rapport, autorités) est versée au dossier pour faire ressortir la valeur thérapeutique «véritable» de la présence de l’animal. Malgré ces nouveaux éléments, qu’il qualifie d’«impressionnants», le juge décide que le «droit à la vie» de la locataire, garanti par l’article 1 de la Charte québécoise, et ses autres droits fondamentaux ne sont pas compromis. Le juge confirme donc les principes et motifs du régisseur, exprimés selon lui «avec beaucoup de clarté et d’élégance». [1994] J.L. 79. C.Q. 500-02-031707-933, 11 avril 1995, j. J. Dionne. [1996] R.J.Q. 1902 (C.S.). C.A. 500-09-002386-963, 17 septembre 1999, j. Baudouin, Nuss et Denis (ad hoc). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 351 En revanche, le jugement rendu en juin 1996 par le juge Louis S. Tannenbaum, sur la requête en révision judiciaire du jugement de la Cour du Québec, remet fondamentalement en question des valeurs jusque alors pratiquement incontestées. Le juge de la Cour supérieure tire de la preuve les conclusions suivantes: 1. Lorsque le redressement visé par le recours est de nature comminatoire («injunctive relief»), comme c’est le cas en l’espèce (ordonnance de se départir), il ne suffit pas de se demander si le locataire a consenti à la clause visée. En écartant la notion de préjudice des motifs de sa décision, la Cour du Québec a fait défaut d’exercer sa compétence en la matière: Proof of prejudice is an important factor. 2. 3. 108. 109. 352 Selon le juge Tannenbaum, le «droit à la vie» de la locataire est effectivement mis en péril par la démarche judiciaire de l’OMH. Il reconnaît une crédibilité déterminante à la médecin-experte qui prévoit des conséquences négatives majeures sur la santé physique et émotive de la locataire si celle-ci est privée de son chat. Le juge rejette l’argument selon lequel une décision favorable à Mme Coulombe aurait un effet d’entraînement chez les autres locataires. Il conclut qu’il n’a pas à tenir compte de faits étran- gers à la cause dont il est saisi. Enfin, confirmation de la décision de première instance par la Cour d’appel. Dans un arrêt unanime et sans équivoque, les juges statuent que: 1. La Cour du Québec n’a fait qu’exercer sa compétence en donnant effet à la clause du bail de la locataire, «tout en manifestant de la symapthie pour... celle-ci». Il s’agit donc d’une «erreur manifeste» de la Cour supérieure. 2. La décision de la Régie du logement et le jugement de la Cour du Québec n’étaient pas «manifestement déraisonnables». Par conséquent, le juge de la Cour supérieure siégeant en révision judiciaire n’avait pas à «substituer sa propre analyse et ses propres conclusions». b) OMH de Pointe-Claire c. Fram En l’espèce, le régisseur donne raison à l’OMH essentiellement pour les mêmes raisons que dans Coulombe108. Il ajoute néanmoins la remarque que la présence d’animaux dans le complexe alourdit la tâche des employés. En effet, «les occupants sont pour la grande majorité des personnes âgées qui sont à divers degrés en perte d’autonomie ...» Le jugement de la Cour du Québec109 infirme la décision rendue en première instance. Le juge Gérard Rouleau, de la Cour du R.L. 35-940119-014G, 12 mars 1997, r. G.Bernard. J.E. 98-1402; ce jugement a fait l’objet d’une requête en révision judiciaire. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Québec, décrit le cadre réglementaire très rigoureux qui régit l’attribution et l’administration des logements à loyer modique, un contexte qui «laisse place à peu sinon pas du tout de négociation entre l’administration de l’immeuble et un éventuel locataire». Il en conclut que le bail de Mme Fram est un contrat d’adhésion au sens de l’article 1379 C.c.Q. Il fait ensuite état du tort considérable qui serait occasionné à la locataire par l’application de la clause. De plus, relativement à un referendum tenu sur la question dans l’immeuble, il voit mal «comment l’opinion des autres locataires peut être pertinente sur la présence d’un chat à l’intérieur d’un appartement et qu’ils ne verront jamais». C’est sur l’article 1437 C.c.Q. que se fonde le juge Rouleau pour déclarer la clause abusive. Il est intéressant de noter qu’il ne fait aucune allusion à l’article 1901 C.c.Q., pourtant applicable spécifiquement au bail résidentiel. Le juge Rouleau formule deux propositions, à la fois simples et dignes de réflexion. D’abord, sur le libellé de la question référendaire, un rappel à la juste mesure: (Cette question) ne faisait aucune différence entre un chat qui ne sort jamais de l’appartement de son maître et un molosse de 35 kilos qui hanterait les espaces communs. Puis, sur la pertinence de la Charte des droits et libertés du Québec en ce domaine: Les aînés et les personnes handicapées... sont aussi aptes que quiconque à décider de leur vie, d’avoir ou non un animal, d’en être responsable et de répondre de leurs fautes si elles ne font pas face adéquatement à leur responsabilité à cet égard. Prendre pour acquis qu’à cause de leur âge ou de leur condition physique elles ne peuvent s’occuper adéquatement d’un animal est discriminatoire...» CONCLUSION À la suite de l’arrêt récent de la Cour d’appel dans le dossier Coulombe, on pourrait être tenté d’opiner que la cause a été entendue, et la question réglée de façon définitive. Il serait téméraire au présent stade de tirer une telle conclusion. En effet, les juges de la Cour d’appel ont pris bien soin de situer leur décision dans le contexte précis et exigu d’une requête en révision judiciaire présentée par la locataire. Soulignons que dans l’affaire Fram, le fardeau est renversé: le juge de la Cour du Québec, dans son jugement sur le fond, a déclaré la clause déraisonnable et c’est l’OMH qui s’adresse à la Cour supérieure. Il est donc loisible d’affirmer que le débat vient à peine de s’engager. Dans une perspective plus globale, le constat s’impose que l’équité contractuelle est une notion à forte connotation morale, dont le contenu varie considérablement selon les sociétés et les époques. Tout ce que peut espérer l’observateur, c’est de rendre compte le plus justement possible de l’état du droit à un moment donné. Tel est le modeste propos de cette chronique. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 353