Le dernier ensemble de photos de Lisa Sartorio est né d`une
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Le dernier ensemble de photos de Lisa Sartorio est né d`une
Décora©tif Celine Leturcq Le dernier ensemble de photos de Lisa Sartorio est né d’une rencontre entre la mise en scène travaillée à l’excès d’intérieurs à vendre, au sein des espaces d’exposition d’un magasin d’ameublement Mobalpa et l’insertion dans ces lieux mystérieux et banals, d’individus et d’animaux conviés par l’artiste. Ce décor commercial adopte alors un étrange visage, non celui d’un véritable lieu de vie mais d’un endroit indéfinissable, où des énergies dérapent et dialoguent, d’une pensée à une assemblée de cafards, d’une femme devant son miroir aux objets alentour. L’improbabilité de ces êtres et de ces animaux morts que l’on croirait vivants tant les prises de vues les anime, naît d’un dosage parfaitement maîtrisé par l’artiste entre ce qui cherche à attirer l’œil et rester à une distance infranchissable. Ces êtres bien qu’ils posent ne regardent pas l’objectif ; familiers, ils ne font pourtant pas partie du même monde. Les éclairages cinématographiques qui nous les livrent concourent à nous en éloigner. Parfois la compagnie d’un animal voire de plusieurs, comme cette rangée d’insectes sur les portes du réfrigérateur ou sur la table du salon, surajoute à l’artificialité de leur présence. Artificialité pourtant familière car elle nous ressemble. D’où l’étrangeté des scènes et des actions qui s’y esquissent. Faire vivre ces intérieurs exposés en magasin, cela implique pour l’artiste une dimension humaine et animale, qui apparaît presque surréelle, hypothétique voire dérangeante. Les animaux, par définition « dotés du souffle vital », distillent et distribuent la vie grâce à leur présence, et semblent ici mettre en mouvement l’âme du lieu et des individus s’étant frottés à eux. Si des jeux de reflets à la surface des objets pris en photo attrapent le regard jusqu’à ce que notre œil ne puisse plus se poser, la présence discrète d’un papillon, d’un lièvre, d’un geai, induit une vibration de l’image. Les personnages malgré leur immobilité nous jètent au-dehors, à la beauté rugueuse de la rue et des vitrines. Leur intimité offre à l’image une présence contradictoire, enveloppe brute et granuleuse de la peau comparée à la tessiture onctueuse plate et lisse des meubles dans lesquels ils se sont installés le temps d’un arrêt sur image. Tout le décalage est là, dans cette façon innovante dont chaque plan désaxe notre regard, notamment grâce au travail sur les ambiances lumineuses et les profondeurs de champs. Dans une même prise coexistent plusieurs espaces, mis en matière par la présence des personnages et des animaux qui créent à eux seuls un espace à part entière. Mais également grâce aux changements de luminosité, par exemple dans cette scène digne de David Lynch, où le personnage est allongé par terre dans une salle de bain et semble glisser vers les profondeurs bleutées d’une lumière qui l’attire au sol, sous le meuble du lavabo. Raison pour laquelle il nous plaît à penser que ces modèles au physique varié et réel aurionsnous envie d’ajouter, paraissent plus vrais et réels que les objets qui les environnent et avec lesquels ils combinent une gestuelle. Dans ce contraste du décor à sa réalité tangible, incarné par les animaux et les individus qui l’expérimentent, un héroïsme tout de contemplation agît sur le monde de façon saisissante et insolite. Cette réalité, celle du temps de la photo, s’impose par attrition, par frottement, usure de la peau, sous la lumière, derrière le masque du renard orange ou de la perruque blonde au contour androgyne. Comme l’explique avec vivacité l’artiste : « Les décors sont des similis d’intérieurs, les personnages sont rajoutés, ce sont des comédiens, les animaux font semblant d’être vivants et dans tout ce faux, dans tout ce basculement, cette fiction, je tente de donner à voir quelque chose de vrai en prise avec la réalité. Comme si à notre époque il fallait passer par le faux pour donner à voir, pour raconter l’Histoire. »1 Ces objets mis en vente, nous leur en demandons beaucoup. Faire leur publicité et la nôtre, rester des objets usuels tout en devenant des objets de transfert, dans leur usage réel et fantasmé. Nous ne sommes utiles qu’à devenir des marchandises, qu’à séduire et reconquérir les territoires de la futilité. C’est ce que semblent se dire, en toute confidentialité, les protagonistes de ces scènes énigmatiques, de ces allégories du décor. Dans un autre ensemble de photos réalisé en 2010, Lisa Sartorio impliquait déjà des personnages dans des mises en scène équivoques, dont il revenait au spectateur de trancher la signification : est-ce un repas familial ou un plan cinématographique, une vue d’aéroport ou un rêve de gloire ? De la sorte les images qu’elle invente nous incitent à nous pencher sur la manière dont une pensée, confrontée au réel, se transforme par le truchement d’une action. N’oublions pas que l’artiste s’implique également dans un travail de performance. Le titre de cette exposition à la galerie insère le « c » de copyright à la question du décor. À qui appartiennent les vitrines des magasins, si ce n’est aux passants qui s’y reflètent ? Les prises de vues mettent en exergue des fictions, tout en jetant leur dévolu sur le visiteur. Qui ne joue à être un autre, ne s’échappe de soi parfois inopinément, comme la présence des animaux le rappelle ? De par la méticulosité apportée à chaque détail et la netteté photographique des images de l’artiste, nous pourrions oser associer son œuvre à une forme de réalisme, qui outrepasse l’aspect figé des apparences. Dans ses dessins numériques, des jeux entre imaginaires et réels font avancer chaque image vers une élucidation visuelle extrêmement parlante, ainsi des mains d’abord prises en photo et transformées en paysage graphique comme autant d’autoportraits dissimulés dans la discrétion et la beauté des images. Aussi nous retrouvons Lisa Sartorio non seulement vindicative mais bien plutôt rêveuse, absorbée qu’elle est par le pouvoir envoûtant des images et de leur mise en acte. Céline Leturcq 1 Extrait d’un échange de mail entre l’artiste et l’auteure en avril 2012.