Contrats de Licence et Innovation

Transcription

Contrats de Licence et Innovation
Contrats de Licence et Innovation
Christian BESSY
CEE & ATOM (Université de Paris I)
[email protected]
Eric BROUSSEAU
FORUM (Université de Paris X) & ATOM (Université de Paris I)
[email protected]
A paraître dans P. Mustar, H. Pénan, Encyclopédie de l'Innovation, Paris, Economica, 2001
La littérature sur les accords de licence de technologie (ALT) a beaucoup évolué au cours de
la période contemporaine. L’analyse des transferts de technologie dans le cadre des échanges
1
internationaux, qui s’est développée au cours des années 1970 , a été reléguée au second plan
par des travaux centrés sur la dynamique des processus d’innovation. Cette évolution
témoigne de celles qui ont affecté les politiques industrielles nationales qui ont donné une
autonomie croissante à des entreprises appelées à se concurrencer dans un espace "globalisé".
Elle renvoie aussi au fait que les processus d’innovation s’inscrivent de manière croissante
dans le cadre de coopération interentreprises et de processus de "coopétition". Ces évolutions
s'inscrivent dans le mouvement plus vaste d’internationalisation des marchés, d'accélération et
de complexification du développement technologique, d’augmentation de l'intensité de la
concurrence fondée sur l'innovation. Dans ce contexte, les études sur l’évolution historique
des formes organisationnelles de la coopération montrent que, parallèlement au
développement des "joint venture" de R.-D., on assiste à un accroissement à partir des années
1980 de la fréquence des accords de licence (Hagedorn [1990]).
Ce développement des pratiques de licensing a fait émerger une littérature autour des
conséquences de certaines clauses contractuelles sur la concurrence. En effet, même s'il
s'avère que ces pratiques doivent être encadrées, la capacité de conclure des contrats
complexes et efficients pour les parties peut être contrariée par les lois antitrust (Ordover
[1991], Jorde et Teece [1990]). De même, la coopération entre les firmes a amené une
réflexion sur "l’étendue" des droits de propriété intellectuelle et industrielle (DPI) dans le cas
où les recherches d’un premier innovateur bénéficient aux innovateurs développant une
seconde génération de produits ou de procédés (innovation cumulative), afin de trouver un
système optimal d’incitation entre les différentes générations d’innovateurs (Scotchmer,
1991). Ainsi, les accords de licence interfèrent non seulement avec le droit de la concurrence,
mais aussi, avec le DPI puisqu’ils organisent la diffusion des connaissances tout en
aménageant un droit à rémunération en faveur des innovateurs. Ils constituent donc un enjeu
stratégique à la fois pour les entreprises et pour la politique publique en matière d’innovation,
et de concurrence.
1
L’ouvrage de Contractor (1981) constitue un ouvrage de base pour l’analyse des accords de licence dans le
cadre des échanges internationaux et, plus généralement, dans l’alternative entre exportation, investissement
direct et licence. A cet égard, il interpelle directement les politiques publiques des pays des licencieurs, en
l’occurrence les Etats-Unis, et des licenciés (notamment les PVD). Cette problématique est également partagée
par l’étude de Caves et ali. (1983) qui porte sur les politiques de licence de technologie (vente et achat) de
grandes entreprises nord-américaines et anglaises.
1
Le développement de la littérature théorique sur ces questions n’a pas toujours été
accompagné d’études rendant compte de manière substantielle des pratiques effectives des
entreprises. On note néanmoins les travaux de Taylor et Sylberston (1973), Contractor (1981),
Caves et alii. (1983) et, plus récemment, Arora (1996), Anand et Khanna (2000), ainsi que
nos propres travaux visant à expliquer la nature des accords de licence de technologie suivant
les attributs des transactions, les caractéristiques de l’environnement institutionnel et les
stratégies des entreprises (Bessy et Brousseau [1998], Bessy, Brouseau et Saussier [2000]). Ce
défaut d'analyse empirique est lié aux difficultés d’accès à l'information, mais aussi à un
manque de reconnaissance de la spécificité des contrats de licence de technologie par rapport
à d’autres contrats régulant des transactions informationnelles (licence de marque, contrat de
franchise, …). Or ces contrats sont difficilement compréhensibles si l'on ignore certaines
spécificités des transferts de connaissances et si l'on ne tient pas compte de l'incomplétude des
2
DPI . Par ailleurs, l'analyse des ALT conduit à souligner la très grande variété de ces derniers.
Elle s'explique à la fois par la diversité des contextes stratégiques, techniques et institutionnels
dans lesquels ils s'inscrivent. Situer les accords dans leur contexte, en mettre à jour les
éléments de différenciation, est essentiel pour en comprendre les enjeux et concevoir des
stratégies ou des politiques.
On reviendra d'abord sur l'approche stratégique des accords de licence de technologie. Du
point de vue des firmes, ils peuvent résulter de stratégies différenciées, ce qui explique leur
diversité et révèle leurs propriétés contrastées. Dans la mesure où ils peuvent être utilisés pour
maîtriser la concurrence, ils représentent un enjeux pour les politiques antitrust. Dans un
second temps, on évoquera la spécificité des problèmes de "gouvernance" des transferts de
connaissances pour mieux comprendre la structure des contrats de licence de technologie. La
difficulté à transférer et sécuriser les connaissances explique la spécificité et le coût des
architectures contractuelles. On observe également le développement de ressources
collectives ad hoc destinés à faciliter ces échanges. Ces dernières constituent des enjeux
stratégiques pour les entreprises et les pouvoirs publics lorsqu'ils cherchent à stimuler
l'innovation et sa diffusion.
I.
LICENCIER
SA
TECHNOLOGIE:
UNE
DECISION
STRATEGIQUE
AUX
CONSEQUENCES CONCURENTIELLES
La plus immédiate des approches en matière d'ALT est de considérer qu'il résulte de la
volonté d'une firme détentrice d'un brevet de valoriser ce dernier en en transférant les droits
d'exploitation, contre rémunération, à un tiers. L'ALT apparaît alors comme le résultat d'une
classique décision "faire ou faire faire" dont les termes sont fixés par les coûts relatifs de
transaction et de production qu'on traite généralement dans la perspective de l'économie des
coûts de transaction (Williamson [1985]). C'est dans cette perspective que s'inscrit la
littérature traditionnelle sur les transferts internationaux de technologie qui compare les
avantages respectifs de la licence et de la création de filiales (Contractor [1981], Caves et alii
[1983]). C'est aussi la perspective longtemps privilégiée par la littérature théorique sur les
conséquences concurrentielles des accords de licence. Cette perspective patrimoniale — où
2
On parle d'incomplétude des DPI pour décrire le fait que les droits d'usages sur les ressources immatérielles
sont imparfaitement définis par les institutions publiques et que toute infraction n'est pas nécessairement
identifiée et réprimée par ces mêmes institutions. Dans ces conditions, un titre de propriété intellectuelle ne
protège qu'imparfaitement son détenteur qui doit consentir des efforts individuels pour s'auto-protéger.
2
l'on se préoccupe de la manière dont un brevet peut être valorisé sur des marchés sur lequel le
titulaire ne dispose pas d'avantages concurrentiels ou est soumis à des contraintes politicoinstitutionnelles particulières — a été dépassée avec l'avènement d'analyses plus fines des
processus d'innovation et de concurrence technologique et de la manière dont le "licensing"
participe à ces stratégies. Il en ressort une vision dans laquelle les licences ressortissent de
préoccupations extrêmement variées et ne conduisent pas à une problématique uniforme.
11. Les déterminants des accords de licence et les stratégies des firmes
Parmi les déterminants des accords de licence et des stratégies des entreprises, nous
proposons de distinguer quatre lignes de facteurs explicatifs : les politiques des entreprises en
matière de propriété intellectuelle, la dynamique du processus d’innovation, le degré de
dépendance mutuelle des membres de l’industrie et les formes organisationnelles alternatives
à l’accord de licence. Dans la pratique, ces quatre facteurs sont imbriqués et une façon de
rendre compte de cette imbrication serait de distinguer les accords de licence entre firmes
rivales (relations horizontales) et entre firmes complémentaires (relations verticales). Par
ailleurs, on peut distinguer trois perspectives pour aborder les relations horizontales. En effet,
les motivations des ALT apparaissant comme contrastées en fonction des contextes
concurrentiels et technologiques, cela conduit à mettre en évidence des catégories différentes
de contrats de licence de technologie.
111. Valorisation patrimoniale et exploitation “stratégique”
Une première dimension consiste à distinguer les politiques des entreprises en matière de
propriété intellectuelle suivant qu’elles s’inscrivent dans une logique de valorisation
patrimoniale ou dans une logique stratégique prenant en compte les réactions des partenaires
ou des non-partenaires.
La gestion patrimoniale renvoie à une logique de protection et de valorisation des
connaissances de l'entreprise via la gestion de titres de propriété intellectuelle. L'avantage
concurrentiel passe à la fois par l'innovation technologique et par la capacité à dégager des
montants de redevances importants, via des contrats de licence, permettant en retour de
financer l'activité de R.-D. Dans tous les cas, le titulaire du brevet utilise les investissements
réalisés par le concessionnaire comme levier de ses propres investissements. Soit parce qu'il
ne peut pas exploiter à sa place (ce dernier détient un avantage concurrentiel déterminant sur
un marché), soit parce qu'il ne le désire pas (e. g. cela sort de son cœur de métier), le
concédant fait exploiter sa technologie par un tiers et cherche à récupérer la rente de
monopole qui résulte de son droit d'exploitation exclusive. La limite d'une telle stratégie se
trouve dans la nécessité de concéder une part de cette rente de monopole à l'exploitant (sinon
il ne participe pas) et dans les risques de captation par ce dernier de ce qui constitue l'essence
de cette rente : la connaissance. Une fois transmise, le concessionnaire peut en effet l'exploiter
en refusant de continuer à verser des redevances au titulaire du brevet. Mais il peut surtout
utiliser les connaissances acquises pour innover et concurrencer à terme le concédant. La
logique d'exploitation patrimoniale du brevet trouve donc sa limite dans la menace qu'elle fait
peser sur le patrimoine lui-même.
Dans une perspective stratégique, les titres de propriété intellectuelle et les accords de licence
sont des moyens de positionnement de l’entreprise sur le marché et de contrôle des autres
firmes. D’une façon générale, les contrats de licence facilitent le contrôle de la concurrence,
voire la collusion entre firmes. Ils permettent à l’innovateur de contrôler les coûts de
3
production de ses partenaires, en imposant des redevances variables, ou de contrôler les
progrès technologiques de ces derniers, en intégrant des clauses de grant-back. Ces dernières
stipulent que le licencié doit rétrocéder des droits d'exploitation au concédant pour les
innovations qu'il dérive de la technologie initiale. Le contrat de licence peut correspondre
également à un objectif de dissuasion des partenaires (ou non partenaires) d’entrer dans un
secteur ou de poursuivre leurs recherches (Combes et Pfister, [2000]). Par exemple, des
contrats de licence favorables peuvent être conclu avec des “petits” partenaires, de telle sorte
que le niveau de production atteint dissuade d'autres firmes jugées plus dangereuses de rentrer
dans le marché concerné. Autre cas de figure, dans un contexte dynamique : l’exclusion de la
firme rivale risquant de l’encourager à innover, le titulaire peut lui licencier la technologie
dans des conditions où elle ne bénéficiera que d'un niveau de profit “faible” tout en restant
suffisamment élevé pour la décourager à entreprendre des recherches. Le choix de l'une ou
l'autre stratégie dépendra en particulier de la nature de l’innovation et des liens de dépendance
des entreprises au sein d’un même secteur d’activité. Dans les deux cas, cependant, il est clair
que la conception des contrats de licence ne va pas dépendre uniquement du bilan "revenus
financiers directs/coût de contractualisation" compte tenu d'un niveau de risque, comme dans
le cas de la stratégie patrimoniale. Les flux actualisés des rentes de monopole vont aussi
entrer en considération pour expliquer et la décision de licencier et la nature des contrats.
112. La dynamique des processus d’innovation : “linéaire” ou “cumulative”
La recherche d'une position de leader sur un marché et d'une parfaite indépendance des
activités de R.-D. est d'autant plus risquée que l'innovation technologique est rapide, coûteuse,
complexe et incertaine. Ces caractéristiques, qui semblent être celles de la période actuelle,
peuvent conduire les entreprises d'un même secteur d'activité (relations horizontales) à
partager les frais de R.-D. dans le cadre d'accords de coopération technologique ou d'alliances.
Dans ce cadre, les accords croisés de licence orientés vers le troc technologique sont à
distinguer des accords organisant des activités jointes de R.-D. (Hagedorn, 1990). Une
illustration de ce cas est fournie par les alliances observées entre entreprises pharmaceutiques
de nationalités différentes où chacune fait profiter à l'autre de sa compétence en matière
d’Autorisation de Mise sur le Marché et de son réseau d'équipes hospitalières pour effectuer
les tests cliniques et par la suite distribuer le produit. Ce type de stratégie est cohérent avec un
modèle linéaire d'innovation où l'accent est mis sur les investissements en R.-D..
Dans les cas où le processus d'innovation est de type incrémental et cumulatif, l'accent est mis
sur les opérations de production et la commercialisation de l'innovation qui sont source
d'effets de feed-back (Jorde et Teece [1990]). Cela conduit soit à des accords de coopération
3
technologique dans le cadre de relations verticales , soit à l'intégration des activités si la
gestion de la relation contractuelle est trop problématique. Les accords "client-fournisseur"
donnent une bonne illustration des politiques de R.-D. qui profitent des effets de rétroaction
des opérations de production, et parfois de commercialisation, sous-traitées à des firmes ayant
des actifs complémentaires. Dans ce type de contrat de co-production, une entreprise leader
fournit la technologie et des composants critiques à une entreprise qui se charge de la
production de composants accessoires et réalise l’assemblage du produit final. Dans ce type
d'accord, les clauses de grant-back et la fourniture de prestations d'assistance et de conseil au
3
Notons par ailleurs, que les accords verticaux de coopération, par les avances technologiques qu'ils génèrent,
constituent un bon moyen de protection contre l'imitation, venant pallier ou compléter les garanties de protection
fournies par le brevet (Jorde et Teece [1990]).
4
licencié sont parmi les dispositifs mis en œuvre pour assurer au concédant un retour
d'expérience et la préservation de son avantage en termes d'innovation.
113. La dépendance mutuelle entre les membres d’une industrie
La nature des technologies crée des externalités plus ou moins fortes entre les différents
membres d’une industrie et constitue donc un facteur déterminant des accords de licence. Il en
va particulièrement ainsi en présence de rendements croissants d’adoption du fait
d’externalités de réseaux entre technologies ou utilisateurs de la technologie (David [1985]).
Il en résulte toute une palette de stratégies de licence destinées à optimiser l'exploitation de
4
ces externalités .
L'expérience canonique en la matière a été constituée par la firme JVC inventeur du standard
VHS en matière de magnétoscopes. Contrairement à ses concurrents Phillips (V 2000) et
Sony (Betamax), JVC choisit à la fin des années 1970 de concéder des licences de fabrication
de manière libérale et à bas prix aux producteurs d'électronique grand public. Bien que sa
technologie fût considérée comme moins performante, cette stratégie lui permit de s'imposer
comme le standard du marché, puisque son prix modeste lui assura une large diffusion qui
convainquit les producteurs de contenus de développer une offre au standard VHS de
préférences à ses concurrents. Cette expérience, confirmée par le contre-exemple d'Apple sur
le marché des ordinateurs personnels, convainquit l'ensemble des offreurs dans les industries
marquées par de forts rendements croissants d'adoption de suivre des stratégies de licensing
"ouvert" destinées à l'emporter dans des processus de concurrence entre standards.
D'une manière plus générale, l'analyse des accords de “ seconde-source ” entre utilisateurs et
développeurs d’une même technologie s'intéresse au bilan des externalités. La perte de part de
marché pour l'entreprise qui licencie sa technologie à une entreprise concurrente est
compensée par l’augmentation générale de la taille du marché (diffusion du standard
technologique). La licence de technologie apparaît comme un gage apportant aux utilisateurs
finals de la technologie des aménités telles que des possibilités alternatives
d'approvisionnement. En cas de rupture de la chaîne de production d’un offreur, d’autres
offreurs peuvent satisfaire les besoins de ses clients, du fait de la standardisation des
composants. Ce type d’accord se retrouve dans l’industrie des composants microélectronique.
Il peut être généralisé à toutes les stratégies orientées vers la recherche d'un profit joint
(Shepard, [1987]).
Dans un contexte où l'ensemble des acteurs va chercher à adopter des stratégies similaires
pour gagner la guerre des standards dans une industrie marquée par de forts rendements
croissants d'adoption, le Patent Pool apparaît comme un moyen de renforcer les chances de
chacun en mutualisant les parts de marché détenues, en assurant d'emblée une forte
complémentarité entre technologies, en réduisant la concurrence entre membres du pool. Les
pools cherchent donc à regrouper le maximum d’acteurs de grande taille, notamment ceux qui
dominent les différents segments du marché global, afin que l’ensemble des autres agents
4
Dans certains cas, la dépendance mutuelle entre les membres d’une industrie est tellement forte que les cessions
de licence ont un caractère quasi-obligatoire pour les détenteurs de brevet. Ne pas concéder sa technologie
priverait quiconque, par représailles, des développement technologiques produits dans le reste de l'industrie. Le
régime de la licence obligatoire, visant la réalisation d’objectifs de politique publique, constitue le cas extrême
remettant en cause la notion même de stratégie.
5
anticipe que la solution proposée par le pool sera la gagnante. Il suit qu’au sein des pools
destinés à imposer des standards, les technologies mises sur le marché sont construites à la
manière d’un “mécano“ en articulant différents brevets selon une logique de partage des
redevances guidé par les parts de marché respectives des différents membres du pool.
Dans tous ces cas, les accords de licence obéissent à des logiques d'établissement de position
dominante — soit individuelles (seconde source) soit collusives (patent pool) — fondées sur
la maîtrise des standards. De telles stratégies s'imposent aux acteurs car ils sont soumis à un
processus concurrentiel ou le "gagnant emporte la mise". Dans le même temps, il ne faut pas
négliger que pour l'emporter, de telles stratégies exigent que le licencieur (ou les membres du
pool) concède leurs licences dans des conditions attractives. Le monopoleur n'est donc pas
nécessairement assuré de pouvoir capter sa rente de monopole. Cela va in fine dépendre de la
concurrence potentielle des technologies alternatives, déjà existante ou qui ne manqueront pas
d'être développées s'il cherche à privilégier une stratégie de capture de cette rente.
114. Relations verticales et formes organisationnelles alternatives
L’une des principales motivations des innovateurs qui brevettent est de conserver l’exclusivité
d’exploitation de leurs inventions. Les brevets sont en effet source d’une rente de monopole
qui conforte souvent d’autres sources d’avantages concurrentiels. Dans ce contexte, les
stratégies de “licensing” dépendent de la capacité des inventeurs à industrialiser et à
commercialiser seuls leur invention.
Lorsque l’innovateur a la capacité d’industrialiser et de commercialiser, les accords de licence
sont rares et résultent soit de stratégies d’amélioration de la technologie — le détenteur
concède une licence à un développeur qui va assurer des développements connexes —, soit de
stratégies d’accès à des ressources complémentaires (ressources technologiques, segments de
marchés). L’accès à ces ressources peut être conditionné par des exigences de troc de la part
du partenaire. Celui-ci va exiger des licences croisées — cas de troc technologique — ou des
licences gratuites (contre une autre prestation gratuite.
Lorsque le détenteur d’un brevet ne dispose pas de capacité d’industrialisation soit parce qu’il
n’en possède aucune, soit parce qu’il n’a pas la capacité d’exploiter certaines niches ou
certains marchés étrangers, on se trouve dans une logique de transmission de connaissance
contre le rapatriement de redevances d’exploitation ou d'autres types de contreparties.
•
Dans le cas des relations entre les grandes entreprises et les PME innovante, les premières
ont la possibilité d'intégrer les secondes. Elles peuvent donc acquérir une technologie à la
fois à travers la signature d’accords de licence ou via une intégration verticale. L’achat de
licence peut être un moyen de tester la technologie (et le cas échéant les capacités de son
créateur) avant une éventuelle intégration. Il peut aussi être un moyen, grâce à une licence
exclusive, d’interdire l’accès à la technologie de la concurrence. Enfin, il apparaît
fréquemment comme un moyen de bénéficier de la technologie tout en maintenant une
autonomie à l’entité qui l’a créé. Ce type d’accord est souvent caractérisé par l’asymétrie
très forte qui existe entre les deux parties. La grande entreprise possède toujours la
capacité d’acquérir la petite qui donc, même si elle dispose d'un monopole conféré par un
brevet, n’est pas nécessairement dans une position de négociation forte. Ce pouvoir de
négociation dépend fortement de la capacité de la PME à mettre en concurrence plusieurs
entreprises qui veulent accéder à sa technologie.
6
•
La pénétration des marchés étrangers a donné lieu à une abondante littérature autour de
5
l'alternative entre exportation, “licensing” et création d'une filiale (Caves et alii. [1983]) .
Du côté des licenciés, le recours à de tels contrats est fonction de l'arbitrage entre l'achat
de licence et le coût de développement en propre de la technologie. L'avantage est d'autant
plus important que le licencié mobilise ses actifs de production et de commercialisation
pour se constituer une niche protégée. Du côté du licencieur, la menace de l'intégration
peuvent lui conférer un plus grand pouvoir de négociation et d'imposition de clauses
conduisant à une répartition de la rente à son avantage; et inversement lorsque
l'intégration est potentiellement difficile. Ces différentes stratégies ne sont pas forcément
exclusives dans le long terme, l'une servant d'appui ensuite à l'autre. Des accords de
licence peuvent être préalables à la création de JV d'exploitation, puis de filiales de
production et de commercialisation.
Au total, il apparaît que dans un certain nombre de configurations relationnelles, les accords
de licence “verticaux” constituent une alternative à d’autres modalités de gouvernance de
transfert de technologie, notamment l’intégration, et que la menace de recourir à ces
alternatives peut simplifier la conception des mécanismes de gouvernance.
D'une façon générale (accords horizontaux et verticaux), "l'ouverture" des politiques de R.-D.
et de “licensing” des entreprises est à relier avec l'existence d'externalités entre les efforts
d’innovations : la valeur économique de telle innovation pouvant être fortement augmenté par
les développements connexes ou par son adaptation à une application non prévue au départ.
Conscients de ces éléments, nombreux sont les innovateurs qui ne cherchent pas à protéger
coûte que coûte une innovation contre une exploration par un tiers, mais qui cherchent à
recueillir les fruits de son éventuelle exploitation. Cette "ouverture" des politiques de R.-D.,
via des accords de coopération technologique, ne doit pas faire oublier les cas où les
entreprises voulant préserver leur situation de monopole continuent à faire cavalier seul en
matière de R.-D., déposent des brevets qu'elles défendent, et n'octroient pas de licence à leurs
concurrents directs, ou aux plus faibles.
12. Politique de l'Innovation, de la Concurrence et Accords de licence,
Comme on l'a souligné, les ALT sont susceptibles d'avoir des effets sur la concurrence entre
firmes. Ils sont dès lors observés avec attention dans le contexte des politiques de la
concurrence.
121. Les effets des ALTs sur la concurrence
Une approche immédiate, mais superficielle, consiste à percevoir les accords de licence
comme étant avant tout anticoncurrentiels. On se focalise alors sur les manipulations
stratégiques des accords de licence comme moyen d'ériger des barrières à l'entrée, d'asseoir
des politiques collusives, de capter des rentes de monopole. Une telle vision est cependant
naïve car elle ignore que ce qui est à la source de l'éventuel pouvoir de monopole du
licencieur, ce n'est pas le contrat qu'il passe avec ses concessionnaires, mais le fait que la
5
Ces auteurs identifient plusieurs facteurs qui encouragent le licensing au détriment de l'investissement direct :
petite taille du marché comparée à la taille minimale des équipements, défauts d'actifs complémentaires à
l'investissement, rapidité de l'obsolescence technologique, risques d'expropriation, coûts de transaction et risques
de comportement opportuniste, etc.
7
société lui concède un monopole temporaire à travers le brevet. En sus, elle n'intègre pas que
l'accord de licence est précisément un moyen de limiter les impacts négatifs de ce monopole
temporaire.
Toute politique de l'innovation — et plus précisément de DPI — se trouve confrontée à un
dilemme “Protection/Diffusion”. D'un côté, il convient d'accorder aux innovateurs une
incitation à consentir des efforts aux résultats aléatoires. Leur concéder un droit d'exploitation
exclusive des fruits de leur invention apparaît comme une solution fortement incitative, car les
risques qu'ils prennent sont compensés par une sur-rémunération sous forme de rente de
monopole en cas de succès. De l'autre, une fois créée, l'innovation est un bien collectif dont il
convient de favoriser la diffusion. Telles sont les raisons pour lesquelles les droits exclusifs
6
7
concédés sont d'étendue limitée , temporaires… et incomplets . Insistons en particulier sur ce
dernier point. Tels qu'ils sont construits les systèmes de PI laissent aux détenteurs de titres le
soin de détecter eux-mêmes les contrefacteurs qu'ils doivent poursuivre. Comme ces derniers
peuvent adopter des stratégies subtiles d'imitation — en s'inspirant des idées de l'innovateur,
mais en différenciant leur matérialisation technique — et se défendre, par ailleurs, en
8
contestant la validité des revendications des propriétaires de brevets , la défense de ses titres
de propriété industrielle peut s'avérer coûteuse et risquée. Ces coûts que doivent supporter les
détenteurs pour que leurs brevets soient effectivement des garants d'une exclusivité d'usage,
en limite nécessairement le recours et la portée.
La littérature sur les régimes optimaux de PI cherche alors à analyser le degré optimal de
protection à consentir aux innovateurs (et donc la durée et l'étendue des brevets) en fonction
des coûts de R.-D., du caractère cumulatif de l'innovation, etc. (Cf. Nordhaus [1969], Gilbert
& Shapiro [1990], Klemperer [1990], Scotchmer & Green [1990], Gallini [1992], Merges &
Nelson [1994], Green & Scotchmer [1995]). C'est au nom d'une telle approche que l'on établit
que les DPI doivent être plus "forts" que la moyenne dans certaines industries à très forte
intensité en R.-D. (comme la pharmacie) et plutôt "faibles" dans d'autres où les
interdépendances entre innovations sont fortes (comme le logiciel). Dans ce cadre, les contrats
de licence apparaissent comme modifiant substantiellement les propriétés des régimes de PI
puisque la licence permet d’organiser la diffusion tout en aménageant un droit à rémunération
en faveur de l’innovateur. Ils apparaissent comme un moyen de rapprocher efficacité sociale
et efficacité privée, puisqu'un régime de protection fort permettra à l'innovateur à la fois de
bénéficier d'un retour sur investissements et de rendre sa technologie accessible d'une manière
relativement "ouverte" sans craindre le pillage (e. g. Ordover [1991], Arora [1995]).
Soulignons, par ailleurs, que le contrat de licence affaiblie de facto les positions de monopoles
accordées aux innovateurs. Dans la lignée de ce qui vient d'être écrit sur le caractère tout
relatif de la protection qu'accorde un brevet, on débouche alors sur une vision nuancée des
effets réels des DPI sur la concurrence.
6
Le rôle des Offices de Brevets, notamment, est de limiter l'étendue des revendications d'exclusivité en octroyant
aux déposants une exclusivité qui ne concerne que les éléments sur lesquels il y a eu manifestement activité
inventive de leurs part, et en limitant cette exclusivité à certains domaines d'application.
7
Notons également que les droits exclusifs d'usage sont concédés en échange d'une révélation de la nature de
l'innovation à travers le texte du brevet.
8
Il s'agit même là d'une stratégique quasi-systématique. La meilleure défense du contrefacteur consiste en effet à
démontrer que la revendication initiale n'était pas légitime — soit parce qu'elle protège une "idée mêre" qui n'est
pas novatrice, soit parce qu'elle établit un domaine d'application trop vaste ou mal défini — et à faire annuler
tout ou partie du Brevet.
8
•
En effet, l'existence de licenciés à qui il transmet une partie de ses secrets et de son savoirfaire, en même temps que le droit d'exploiter son brevet conduit l'innovateur à divulguer
plus lorsqu'il licencie que lorsque ce n'est pas le cas. Il augmente donc la probabilité d'être
à terme concurrencé par des innovateurs capables d'inventer autour de sa technologie.
C'est, d'ailleurs, pour limiter les inconvénients d'une telle perspective que les clauses de
grant-back sont mises en œuvre. Elles ne peuvent cependant totalement supprimer ces
risques de concurrence technologique à terme car, d'une part, seules les innovations
explicitement dérivées de la technologie licenciée peuvent en faire l'objet, d'autre part,
elles ne s'appliquent qu'aux contractants alors que la diffusion de connaissances a lieu audelà de leur cercle restreint (partenaires industriels du licencié, diffusion résultant de la
rotation du personnel, etc.).
•
Par ailleurs, en licenciant sa technologie, le concédant crée une concurrence potentielle,
soit directe (dans le cas de technologie de produit), soit indirecte (dans le cas de procédés),
contre sa propre production. Le degré de cette concurrence va dépendre du régime de
licence retenu. Si le licencieur concède des licences sans restrictions territoriales ou de
marché, il organise une concurrence directe avec sa propre production. Si de plus les
licences qu'il concède ne sont pas exclusives, il organise alors une concurrence à large
échelle entre ses licenciés, mais aussi entre eux et lui-même. Cela peut avoir comme
inconvénient de limiter sa capacité à prélever une rente de monopole, bien que cet effet
soit partiellement compensé par l'extension potentielle du marché. Mais, même si le
licencieur cantonne les droits d'exploitation qu'il cède, cela peut avoir un impact sur sa
capacité à appliquer un tarif de monopole. Dans ce cas, en effet, il donne les moyens à des
observateurs de comparer les tarifs qu'il pratique avec ceux de ses licenciés. Qu'il soit un
client, ou une entité en charge de la politique de la concurrence, cet observateur peut alors
tenter de faire pression sur le titulaire du brevet pour qu'il amende son comportement.
122. L’évolution du droit de la concurrence
Les effets de la politique de licensing sur le bien-être collectif, et sur les profits du licencieur,
vont largement dépendre des pratiques contractuelles adoptées et du contexte dans lequel elles
se situent. L’application du droit de la concurrence aux contrats de licence fait donc l’objet
d’importantes investigations (e. g. Ordover [1984], Gilbert & Shapiro [1990], Ordover
[1991]). Puisqu’il y a, par définition, position dominante, la question est de savoir s'il y a abus
d’une telle position. Sur ce point, l’analyse d’Ordover [1991] sur la jurisprudence américaine
diffère sensiblement de celle de Jorde & Teece [1990]. Le premier considère que le droit
américain est sensiblement plus libéral que le droit européen ce qui renforce le régime
relativement fort de DPI qui caractérise les Etats-Unis alors que les seconds considèrent que
la législation antitrust américaine est relativement défavorable à la coopération
interentreprises en matière de développement technologique. En réalité, Jorde et Teece ne se
situent pas exactement sur le même terrain qu’Ordover. En effet, ils considèrent que les
transferts et co-développement de technologie passent par de nombreux échanges, à côté des
accords de licence (e. g. conseil, commercialisation conjointe, etc.). Or le droit de la
concurrence américain est relativement hostile aux accords de coopération de long terme.
Telles sont les raisons pour lesquelles ils aboutissent à des conclusions inverses.
Cela étant, il convient de tenir compte des évolutions permanentes du droit sur ces questions.
De part et d'autres de l'Atlantique, en effet, on reconnaît le caractère dérogatoire des contrats
de licence de technologie aux règles générales de la concurrence du fait de la position
monopoliste du titulaire d'un brevet et de la nécessité pour lui de protéger ses transferts de
ressources intangibles. Des règles trop restrictives sur les pratiques contractuelles risqueraient
de supprimer les incitations à licencier et auraient donc un impact négatif sur la diffusion des
9
innovations et la propension à coopérer. Dans ce contexte, on a assisté au cours des dernières
années à un assouplissement et une parallélisation des droits.
Aux Etats-Unis les directives les plus récentes datent de 1995, et se caractérisent par une
application plus nuancée qu'auparavant des lois antitrust en matière d'accords de licence. Les
agences gouvernementales acceptent de considérer la licence comme valide automatiquement
si les parties au contrat détiennent ensembles moins de 20% de chaque type de marché affecté
de façon significative par les restrictions implémentées dans l'accord. Par ailleurs la “rule of
reason” est désormais plus généreusement appliquée sur les pratiques contractuelles qui
pourraient relever de la "patent misuse". Il s'agit notamment des ventes liées, des clauses de
grant-back, des restrictions tarifaires imposées au licencié, du refus de concéder une licence
qui sont autorisés à moins qu'elles s'avèrent porteuses de sévères distorsions de la
concurrence. En revanche, la discrimination tarifaire entre licencié reste interdite.
Le règlement d'exemption européen qui date de 1996 apparaît finalement plus restrictif car s'il
est parallèle au droit américain pour ce qui concerne les clauses de grant-back, le refus de
licencier ou les discriminations tarifaires, il est plus sévère pour ce qui concerne les
restrictions tarifaires (le concédant ne peut fixer les prix de vente du licencié), les restrictions
géographiques (fortement contingentées) et les ventes liées (qui sont prohibées).
Le droit européen impose donc des conditions plus strictes au concédant. Ce point, qui
pourrait s'avérer défavorable à l'intérêt des détenteurs de titres de PI, et donc à leur propension
à licencier, est néanmoins compensé par la plus grande sécurité du cadre juridique européen.
Une plus grande solidité des titres de PI — lié à la rigueur et au caractère public des
procédures européennes d'examen — allié à un encadrement plus strict des pratiques
contractuelles ont l'avantage de diminuer les coûts de transaction. Les contrats peuvent être
simplifiés, par exemple en instituant des dispositifs de protection des contractants moins
complexes. Cela étant le contingentement de la liberté contractuelle peut dans certaines
circonstances empêcher les parties de mettre en œuvre les solutions optimales compte tenu
des spécificités d'une transaction donnée. Un bilan général est donc délicat à réaliser et il faut
examiner différents cas de figures pour être précis en la matière.
En fait, du point de vue de l'application du droit de la concurrence, deux grandes catégories de
perspectives devraient être distinguées :
•
En statique, il apparaît essentiel de s'assurer que le bénéficiaire d'une position de
monopole ne pratique pas des tarifs abusifs. C'est au nom de cette notion que la
discrimination tarifaire et les ventes liées sont interdites et que les restrictions territoriales
sont sévèrement encadrées. Cela étant, comme le montre le cas américain notamment, le
législateur est conscient que ventes liées et restrictions géographiques sont des moyens
efficaces de sécuriser les échanges de ressources immatérielles.
•
En dynamique, les licences peuvent être des outils de verrouillage de marchés, dans les
seuls cas où existent de forts rendements croissants d'adoption, cependant. Ce cas de
figure semble moins pris en considération par le droit de la concurrence… alors même
qu'il peut s'avérer très problématique, notamment si les standards sont verrouillés par le
dispositif normatif. Comme on l'a vu dans le cas des normes GSM en téléphonie mobile,
l'adoption de normes peut rendre obligatoire le recours à des technologies brevetées,
renforçant le pouvoir de monopole des firmes détentrices des brevets concernés. Il
convient alors d'encadrer sévèrement les pratiques en matière de licence… même si on
doit aussi prendre en considération que le détenteur du brevet peut avoir intérêt à ne pas
stimuler le développement de technologies alternatives qui viendraient se substituer à la
sienne.
10
Tous ces éléments soulignent combien c'est de la gestion conjointe du système de DPI d'un
côté, de la politique de la concurrence, de l'autre, qu'émergent les propriétés d'un système
institutionnel en termes d'incitations et de soutien à l'innovation et à sa diffusion. En la
matière les politiques des Etats doivent étroitement associer les deux dimensions et veiller aux
effets, parfois paradoxaux, de leur combinatoire.
II.
GOUVERNANCE
ET
STRUCTURE
DES
CONTRATS
DE
LICENCE
DE
TECHNOLOGIE
Intéressons nous maintenant aux modalités de gouvernance des transferts de technologie. Les
études disponibles soulignent que le licensing, même s'il se développe, reste une pratique
marginale, largement réservée aux grandes entreprises et concentré dans certains secteurs
d'activité. Les coûts de gouvernance des transactions en question semblent en partie
l'expliquer.
Plus précisément, d'un côté, les transactions portant sur les connaissances sont soumises à un
fort effet d'anti-sélection. Les acheteurs de la technologie peuvent difficilement anticiper sa
9
valeur , d'autant que cette dernière va éminemment dépendre de leur capacité à absorber la
connaissance qui leur est transmise et à la traduire en usage adapté au contexte dans lequel ils
l'utilisent. Ils n'acceptent en conséquence pas de la payer à un prix élevé. De l'autre, les
transferts de compétences sont risqués pour le concédant qui peut être confronté à des
concessionnaires opportunistes n'acquittant pas les droits d'exploitation dus, et surtout
engageant une concurrence technologique contre eux. Le concédant est donc contraint soit de
mettre en œuvre des dispositifs coûteux de protection, soit de subir des pertes de recettes et
une dégradation de la valeur de son patrimoine. À cela s'ajoute la difficulté, et donc le coût, à
transférer les connaissances nécessaires aux concessionnaires. Les transferts de technologie
peuvent donc s'avérer coûteux et peu rentables, ce qui expliquerait leur rareté.
Dans le même temps, la concentration des ALT dans certaines industries et dans certains
contextes semble suggérer qu'il existe des situations où les transferts sont plus faciles à mener.
Dans une perspective néo-institutionnelle (notamment dans une perspective en termes de
droits de propriété dans la lignée de l'approche de North [1990]), on s'interroge sur les
caractéristiques des attributs des transactions et des cadres (institutionnels) favorisant les
transferts de technologie.
21. Attributs des transactions et garanties contractuelles
Les contrats de licence de technologie sont générateurs de coûts de transaction élevés du fait
de la complexité et des risques inhérents aux transferts de technologie entre entreprises. Caves
et alii (1983) listent les facteurs susceptibles d'entraîner des défaillances du marché des
10
licences de technologie et soulignent, notamment, le caractère de bien collectif du savoir
9
La connaissance fait l’objet d’une grande incertitude quand à sa valeur non seulement parce que, comme toute
information, elle est soumise à un problème d’asymétrie d’information sur sa qualité lors d’un transfert
marchand (Cf. Arrow [1962]), mais aussi parce qu’il existe une incertitude radicale sur ses usages potentiels.
10
Il s'agit notamment du fait qu'on est en situation de négociation entre un petit nombre d'intervenants ("smallnumbers bargaining") ; que les comportements opportunistes des parties sont amplifiés par les problèmes
d'asymétrie d'information ; qu'il existe une fort incertitude sur la performance économique de la technologie ;
11
technologique. C'est précisément cette caractéristique que tente d'atténuer le système des DPI,
sans parvenir à le faire totalement du fait de son incomplétude.
211. Spécificité de la connaissance et attributs des DPI
Trois types d’attributs des connaissances et des DPI peuvent être distingués pour expliquer les
difficultés de sécuriser les transferts de connaissances : la limitation de l'étendue du brevet et
la possibilité d’inventer autour, la difficulté de spécifier des interdictions d’usage et de les
rendre exécutoires, la dimension tacite du savoir. L’importance de ces trois risques
contractuels est le plus souvent reliée à la force des PI au sein de chaque domaine d’activité
11
(e. g. Anand et Khanna [2000]) .
La nature même de la connaissance implique qu’elle est difficilement et en général jamais
totalement codifiable. En effet, la connaissance est incorporée sur différents supports et se
présente concrètement sous des formes extrêmement variés : textes et dessins, mais aussi
données statistiques, règles organisationnelles, modes opératoires, objets techniques, capital
humain etc. (Cf. Hilgartner [1995] avec la notion de data stream). De la diversité des supports
de la connaissance, il résulte que le texte d’un brevet ne permet en général jamais à lui seul de
transmettre la connaissance qu’il protège et qu’il est censé codifier (Bessy & Brousseau
[1997]). La licence de brevet implique donc en général d’autres échanges que celui du texte
du brevet: données confidentielles non protégées par le brevet (e. g. secrets de fabrique,
données de tests techniques, etc.), prototypes, prestations de formation, de conseil et
d’assistance technique, équipements ou des inputs indispensables pour la mise en œuvre de la
technologie cédée.
L’opposition entre connaissance tacite et connaissance codifiée souvent utilisée pour prendre
en compte la diversité des transferts de connaissance, n’est pas suffisante pour rendre compte
des modalités de leur circulation, notamment de leur incorporation dans les produits. D'une
façon générale, le courant des sciences cognitives qui met l'accent sur le caractère distribué
des connaissances permet de sortir de l'opposition tacite/codifiée pour prendre en compte
l'incorporation des connaissances dans les produits, les équipements ou tout autre support
12
matériel . Il apparaît alors que la circulation des connaissances découle de la circulation de
ressources matérielle entre les différents protagonistes de la recherche et de l'industrie. Ainsi,
dans les secteurs des biotechnologies et de la pharmacie, la détention du matériel biologique
est la clé de la capacité à contrôler la circulation de la connaissance et ses usages.
La principale conséquence contractuelle de cette hétérogénéité des ressources échangées est la
variété des instruments juridiques mobilisés pour réaliser un accord de licence. Au-delà de la
que les parties peuvent éprouver l'aversion pour le risque ; que les coûts de transaction inhérents au caractère de
bien public du savoir technologique sont élevés.
11
Ils en concluent que dans la chimie par exemple, les droits de propriété sont “forts” parce que ces risques
contractuels sont réduits : faible possibilité d’inventer autour, facilité à spécifier les usages et à détecter les
contrefaçons, faible transmission de savoir tacite (opposé au savoir faire codifié et facilement appropriable par le
licencié). A contrario, dans le secteur de l’électronique les droits de propriété sont considérés comme “faibles”
pour les raisons inverses. Ce qui permet d’expliquer que dans ce secteur le recours à l’échange croisé de licence
sera plus fréquent que dans l’industrie chimique, secteur dans lequel il est plus aisé de mettre en œuvre une
stratégie de “patent blocking”.
12
Les pratiques de "reverse engineering" sont d’ailleurs un bon révélateur de la capacité des entités matérielles à
être des supports de connaissances et à permettre leur transfert
12
cession du droit d’utiliser la connaissance décrite dans le brevet, le cessionnaire peut
communiquer des secrets soumis à des clauses de confidentialité, des droits d’utilisation d’une
marque, et diverses prestations relevant du droit commercial classique (contrats d’entreprise).
Il y a donc peu de licences “sèches” et les contrats sont plus souvent des contrats sur mesure
que des contrats standardisés.
La seconde conséquence contractuelle est que la diversité des échanges qu’implique la
cession de droits d’usage d’une technologie permet, le cas échéant, de résoudre en partie le
problème du risque moral auquel est soumis le concédant. D’une part, les échanges de
personnel entre les deux entités augmentent les capacités d’investigation et donc diminuent
les asymétries d’information. D’autre part, la cession d’autres ressources que le texte du
brevet permet de disposer d’une panoplie de moyens de représailles en cas de comportements
opportunistes. Par exemple, on peut cesser de fournir des prestations de services
indispensables à l’exploitation du brevet. Enfin, on peut même utiliser ce moyen pour
simplifier la conception et la gestion du contrat de licence. On peut préférer céder une licence
à titre gratuit et asseoir la rémunération du cessionnaire sur la vente d’un input indispensable à
13
l’utilisation de la technologie cédée . Cela simplifie les problèmes de monitoring du contrat et
évite les comportements opportunistes en matière de paiement de redevances.
Cela étant, l'incomplétude des DPI génère d'importants risque contractuels que la "matérialité"
de certaines connaissances ne peut compenser. Ces risques conduisent à donner un caractère
imparfait aux ALT par rapport à la situation de référence où le propriétaire d'un monopole
technologique serait en mesure de s'approprier l'intégralité de la rente de monopole
parfaitement protégé par un système de DPI interdisant effectivement tout usage non autorisé
par le titulaire du brevet.
212. Les clauses contractuelles de garantie
Ces facteurs susceptibles d’entraîner des défaillances de marché peuvent expliquer le choix
entre intégration et licence, choix qui va également dépendre des caractéristiques des firmes et
des marchés (Caves et alii. [1983]). Les entreprises peuvent néanmoins se prémunir des
défaillances contractuelles en aménageant leurs contrats avec un certain nombre de clauses,
avec le risque que certaines soient sous-optimales, chaque partie essayant de s'approprier la
plus grande part de la rente.
L’incertitude sur la valeur de la technologie peut conduire le licencié à préférer les paiements
sous forme de redevances, c'est-à-dire à faire dépendre la rémunération de son usage réel.
Dans cette configuration, le concédant supporte une partie du risque industriel et commercial
du licencié et s’expose à des comportements opportunistes de ce dernier qui peut :
•
bénéficier d’un transfert de savoir irréversible et en profiter pour rompre le contrat;
•
utiliser ce savoir pour inventer autour et s’éloigner des usages couverts par le contrat, ce
qui est difficilement vérifiable;
•
tricher sur l’intensité de l’usage pour réduire le montant des redevances versées.
13
Le détenteur d’un brevet peut jouer sur sa capacité à réaliser des ventes liées (“bundling”) pour “gouverner”
les transactions complexes qui portent sur la technologie et les savoir-faire. Ce type de pratique se heurte,
toutefois, à la réglementation de la concurrence. Les autorités concurrentielles peuvent en effet estimer que de
telles ventes liées sont la manifestation d’un pouvoir de monopole.
13
Ces risques contractuels peuvent pousser le concédant à mettre en place des paiements
forfaitaires. Cela le prive, néanmoins, d’agir sur les coûts marginaux du licencié. Ils ont
surtout l'inconvénient d'être difficilement acceptable par le licencié s'il est averse au risque
compte tenu de l'incertitude qu'il a sur la valeur réelle de la technologie dans le cadre de ses
propres affaires. Le concédant peut néanmoins tenter de se protéger contractuellement.
Pour se protéger contre le risque de fuite des connaissances transférées, l’existence d’un
système de DPI permet au concédant d’interdire l’usage d’une technologie transférée et donc
de rendre réversible un transfert qui en principe ne l’est pas. Une autre façon de se prémunir
contre le risque de fuite des connaissances est d’introduire des clauses de garantie. Ainsi les
clauses de confidentialité et de non-concurrence permettent au licencieur de se prémunir
contre des usages non voulus des connaissances transmises en se donnant la possibilité de
sanctionner le licencié indélicat. La clause de restitution de la documentation technique en cas
de rupture permet quant à elle de limiter la reproduction du savoir-faire transmi.
L’incertitude sur les usages potentiels de la technologie conduit le concédant à “implémenter”
des clauses de protection pour se protéger contre les comportements opportunistes du licencié.
D'abord, les droits d’usage ne sont transférés que de manière restrictive, à la fois en limitant le
champ géographique d’exploitation et en délimitant les marchés de produits concernés par ce
droit. Les restrictions géographiques permettent également au licencieur d’éviter la
concurrence directe de ses propres licenciés sur les marchés sur lesquels il exploite sa
technologie. Il ne perd donc pas sa position de monopole en dépit d’une politique de licence.
Notons que ces restrictions géographiques conduisent fréquemment à la création de situations
de dépendance bilatérales. Pour accepter de telles restrictions, les licenciés exigent souvent un
principe d’exclusivité territoriale. Ils espèrent ainsi compenser les restrictions d’usage dont ils
font l’objet par le bénéfice d’une rente de monopole. Les licencieurs, en retour, ont intérêt à
accepter de concéder de telles clauses d’exclusivité territoriales car, d’une part, elles
renforcent la valeur marchande de leur technologie, d’autre part, elles facilitent le contrôle.
Ensuite des clauses de Grant back garantissent au concédant un droit sur les développements
réalisés par le licencié. D’une part, elles lui permettent de bénéficier des fruits de
développements qu’ils ne peuvent anticiper du fait de l’incertitude dans laquelle il se trouve.
D’autre part, elles abaissent sensiblement les incitations des licenciés qui par contrecoup ont
moins de chance de développer des compétences qui pourraient leur permettre à plus long
terme de devenir des concurrents au concédant.
Enfin, le concédant peut s’assurer que non seulement le concessionnaire va utiliser la
technologie en instaurant une clause de performances minimales (et ceci d’autant plus que la
licence est exclusive), mais aussi qu'il va respecter les normes d’exploitation en exigeant des
droits d’audit sur les installations et les produits du licencié. Le concédant veut également
s’assurer contre le risque de tricherie sur l’intensité de l’usage de la licence. Il va alors être
attentif à la définition de l’assiette qui sert à fixer le montant des redevances et se voir
accorder des droits d’audit sur la comptabilité du concessionnaire.
Au total, les clauses de garantie ne sont pas toujours faciles à mettre en place et à faire
respecter. Les parties peuvent alors introduire des clauses visant à définir des dispositifs de
suivi de la bonne exécution des obligations contractuelles ou de gestion des litiges ou de
résolution des conflits, notamment par voie d’arbitrage. Plus les risques contractuels sont
élevés, plus les acteurs vont mettre en place des dispositifs contractuels “hiérarchiques”.
14
L'environnement institutionnel, dans la mesure où il influence le niveau de risque
transactionnel, a un impact sur le degré de complexité, et donc de coût, des arrangements
contractuels.
22. Institutions privées et coûts des transferts de technologie.
Dans les pages qui précèdent, on s’est efforcé de souligner les caractéristiques intrinsèques
des ALT. S'ils relèvent de classes de solutions communes, les accords mis en œuvre sont loin
d’être tous identiques. Cette diversité découle pour une large part des catégories de
transactions et de leur environnement institutionnel. En fonction de ces deux critères, les
accords de licence vont plutôt tenir :
•
du contrat “transactionnel” selon les catégories de MacNeil [1974]. Il s'agit de contrats
relativement complets qui aménagent, pour l’essentiel, les principes d’un transfert de droits
d’usage entre deux parties ;
• ou de contrats “relationnels" (MacNeil [1974]) relativement incomplets qui aménagent
avant tout une structure de "gouvernance" ad hoc pour mener à bien des processus de
partage et de production de connaissance, de coopération technologique, industrielle et
commerciale.
Plus exactement, les accords de licence de technologie vont s’inscrire sur un continuum
délimité par ces deux pôles. Ce continuum correspond en même temps à deux phénomènes :
• une collectivisation croissante de la gouvernance des relations qui découle de la mise à
disposition des agents de dispositifs collectifs qui facilitent les transferts de connaissances
et permettent de les sécuriser;
• une baisse des coûts des transferts de technologie. En suivant North [1990], la
collectivisation de la gouvernance permet aux agents privés de s’appuyer sur des
dispositifs collectifs qui leur permettent de consacrer moins de ressources à la définition et
à l’exécution des accords.
Des contrats "transactionnels" — simples, complets et s'appuyant sur des mécanismes
externes de mises en œuvre — sont donc moins coûteux que des contrats "relationnels" —
complexes et nécessitant de concevoir et dédier des ressources à une structure spécifique de
"gouvernance".
L'environnement institutionnel "public" est imparfait au sens où il ne fournit pas aux agents
un système complet de DPI qui leur permettraient de contractualiser aisément sur ces droits et
les ressources qu'ils représentent. Les agents économiques doivent alors prendre en charge de
nombreux aspects de la gouvernance de leurs transactions et sont soumis à de fortes
incertitudes. Ils sont contraints de passer des contrats relationnels, coûteux à gérer et qui les
dissuadent, finalement, de licencier leur technologie. Ils bénéficient dans certaines
circonstances, cependant, de la présence de dispositifs collectifs constitutifs de
l’environnement institutionnel même s’il ne s'agit pas d'institutions formelles et publiques.
North souligne que l’environnement institutionnel n’est pas composé uniquement de telles
institutions pour encadrer les comportements. Les agents s’appuient sur des institutions
informelles (conventions, coutumes, etc.) et créent des institutions privées pour palier les
éventuelles défaillances du cadre institutionnel général et formel. Dans le cas des licences de
15
brevets, trois catégories de dispositifs influencent fortement les solutions contractuelles
utilisées :
• les communautés épistémiques structurées (société savantes, associations professionnelles
de responsables de la propriété industrielle, etc.) permettent de disposer de règles
d’interprétation communes (Callon [1993]) aussi bien pour ce qui concerne la codification
de la technique que des usages admissibles ou non admissibles (fair ou unfair) des
connaissances transmises. Elles assurent en outre une certaine circulation de l’information
sur les pratiques de chacun ce qui réduit les asymétries informationnelles en matière
contractuelle. On retrouve alors des mécanismes de gouvernance collective qui favorisent
une autodiscipline des membres de la communauté (Cf. Granovetter [1985]) et simplifient
les relations contractuelles. Les accords de licence sont alors plus facilement négociables et
exécutables et n’impliquent pas nécessairement une “coopération” forte entre les parties.
• Les dispositifs privés réduisant les asymétries d’informations. Dans l’industrie électronique
grand public ou dans la pharmacie, par exemple, des bases de données commerciales
centralisant mondialement les ventes de tous les produits réduit considérablement les
asymétries d'information et les coûts de contrôle entre contractants. Cela permet le recours
à des systèmes de paiement de redevances basées sur des variables non manipulables. Dans
ce contexte, des accords transactionnels peuvent plus facilement être passés.
• Enfin, des associations professionnelles (syndicats professionnels, chambre de commerces,
etc.) peuvent définir des règles et fournir des moyens pour en faciliter l'application qui
permettent aux contractants d'économiser à la fois sur les coûts de conception des accords
ainsi que ceux de leur exécution. Les tribunaux arbitraux, par exemple, ressortissent de
cette logique. Ils permettent aux contractants de bénéficier de juges plus spécialisés que le
juge ordinaire pour arbitrer leurs conflits. Ces juges peuvent en outre statuer en fonction
des règles de référence qui ont les préférences des contractants, et donc d'une manière
adaptée à leurs spécificités. Contractant dans un univers plus complet et moins risqué, les
agents peuvent plus facilement recourir à des contrats transactionnels.
Au total, les dispositifs collectifs facilitent la solution des difficultés de coordination
inhérentes aux transferts de technologie. Ils permettent aux acteurs de concevoir des contrats
plus simples que dans les cas où l’ensemble des problèmes de coordination doit être résolus à
un niveau bilatéral à travers l’outil contractuel et la création de structures de “gouvernance”
ad hoc.
L'existence de tels dispositifs va éminemment dépendre des caractéristiques "techniques" des
industries. Plus les interdépendances sont fortes entre les domaines de la technique, plus les
firmes doivent pratiquer des échanges de technologie ce qui les incite à développer des
dispositifs les facilitant. Mais ces dispositifs résultent aussi de processus spontanés. La
répétition de processus de contractualisation permet de créer des langages communs, de
préciser des interprétations des droits conférés par les titres de DPI et leurs transferts, de
générer des pratiques conventionnelles, etc. En outre, dans les industries où les
interdépendances sont denses, la multiplication des accords conduit à harmoniser les pratiques
et à faire circuler l'information. On assiste alors au développement d'un cercle vertueux où la
contractualisation génère des dispositifs collectifs qui, en retour, facilitent la formation des
ALT (Arora et Fosfuri, 2002).
Ainsi, les caractéristiques propres de la technologie (et des structures industrielles) expliquent
l'émergence ou non d'institutions privées palliant les limites du cadre institutionnel public.
16
Leur présence explique la concentration des ALT dans certaines industries, et leur nature. Si
des institutions privées existent, les agents seront en mesure de passer des contrats
transactionnels qui, parce qu'ils sont moins coûteux, se multiplieront toutes choses égales par
ailleurs.
Cette logique de la détermination sectorielle prévaut cependant pour l'essentiel pour les
accords horizontaux. En effet, par définition, les firmes appartiennent dans ce cas à la même
industrie et ont des chances de relever d'un cadre institutionnel, même informel, commun
Dans le cadre de relations verticales, en revanche, la discrétion managériale est plus forte. Les
caractéristiques générales de l’industrie influencent moins les contrats de licence que la
situation particulière dans laquelle se trouvent les deux parties. La nature des contrats de
licence est alors fortement influencée par les spécificités de la situation relationnelle. Toutes
choses égales par ailleurs, plutôt dans un contexte de licences relationnelles plutôt que de
licences transactionnelles.
Au total, les accords de licence tendent à être plutôt transactionnels ou relationnels, selon que
l’on est, respectivement, dans des relations horizontales ou verticales. Cela étant :
• pour observer réellement des contrats transactionnels dans le cas de relations verticales il
faut, par ailleurs, que l’industrie soit caractérisée par de fortes interdépendances
technologiques et commerciales. En l'absence de telles conditions, les contrats tendent à
être plus relationnels et moins transactionnels ; c’est-à-dire moins complet et moins
appuyés sur des dispositifs collectifs de gouvernance;
• les relations verticales font d’autant plus l’objet de contrats relationnels que l’on est dans
une logique de co-développement de la technologie — au sens où les deux parties
participent au développement et à l’industrialisation de la technologie (même si ce n’est
pas dans le cadre formel d’un accord de coopération) — et où il n’y a pas d’alternative
crédible à la licence. Plus on tend vers de simples transferts d’une technologie qu’il suffit
de mettre en œuvre et plus on est dans des situations de relations entre entreprises
asymétriques, plus le contrat peut être simplifié et tendre vers un contrat transactionnel.
A cadre institutionnel public donné, les caractéristiques des dispositifs collectifs et privatifs de
soutien à la coordination influencent la capacité des détenteurs de brevet à les licencier.
Stratégies de firmes et politiques publiques ne doivent pas se cantonner à agir sur les
institutions publiques (régime des DPI ou politique de la concurrence). Elles peuvent recourir
à des stratégies plus subtiles d'hybridation entre intervention sur les institutions publiques
formelles et des actions de reconnaissance et de soutien des cadres institutionnels privés.
CONCLUSION : LA DIVERSITE DES ACCORDS DE LICENCE DE TECHNOLOGIE
Les accords de licence de technologie sont loin d'être de simples instruments de valorisation
du patrimoine intellectuel de l'entreprise. Ils s'inscrivent dans des stratégies souvent
sophistiquées associant des objectifs immédiats en termes de revenu avec des objectifs à plus
long terme de maîtrise des évolutions techniques et concurrentielles. Par ailleurs, sur un plan
collectif, ils jouent un rôle clé dans la diffusion, mais aussi dans la production de l'innovation,
ayant une influence sur les incitations à innover et les capacités de coopération.
17
Dans ces conditions, les regrouper sous une dénomination commune peut paraître trompeur
car les ALT sont le résultat de stratégies contrastées s'inscrivant dans des contextes variés.
Au-delà des différentiels de contexte stratégique, trois éléments influencent fortement la
nature des accords de licence (et donc leurs coûts, leurs risques et leurs impacts positifs).
•
Il s'agit tout d'abord du contexte légal dans lequel ils interviennent. Un régime dans lequel
les DPI sont "forts", le droit de la concurrence bienveillant à l'égard des restrictions
nécessaires à la protection du patrimoine du licencieur, et où le régime du droit des
contrats autorise une grande liberté contractuelle favorise la mise en œuvre d'ALT
efficaces (du point de vue du concédant) et donc les transferts et les coopérations
technologiques.
•
Il s'agit ensuite de l'industrie à laquelle appartient les deux parties. Dans un certain
nombre de secteurs, des institutions privées contribuent à renforcer les DPI (codification
de la connaissance, circulation de l'information, convention sur les pratiques autorisées et
interdites, etc.) et à sécuriser les accords (e. g. exécutabilité communautaire). Plus ces
dispositifs sont développés, plus les arrangements contractuels peuvent s'appuyer sur des
ressources collectives, ce qui fait diminuer les coûts de transaction.
•
Il s'agit enfin des caractéristiques des transactions elles mêmes, car les accords de licence
de technologie portent non seulement sur le transfert de droits d'usages d'un brevet, mais
sur le transfert d'autres ressources — matières première, conseil, formation, etc. — qui
affectent les caractéristiques des transactions. Ces éléments dépendent des
caractéristiques des différentes industries, de celles des contractants (notamment leur
portefeuille respectif de compétences)… et du contexte relationnel (filiales, contrats
antérieurs, etc.; Cf. Bessy, Brousseau, Saussier,[2000]) et stratégique de l'accord.
18
Bibliographie
Anand B.N., Khanna T., [2000], Intellectual Property Rights and Contract Structure, Journal
of Industrial Economics, XLVIII, 103-135.
Arora A. [1995], Licensing Tacit Knowledge : Intellectual Property Rights and the Market of
Know-How, Economics of Innovation and New Technology, Vol.4, pp. 41-59.
Arora A., Fosfuri A., [2002] Licensing in the Chemical Industry, in E.Brousseau, J.M.
Glachant (eds), The Economics of Contracts : Theories and Applications, Cambridge :
Cambridge University Press.
Arrow K.J. [1962], Economic Welfare and the Allocations of Ressources for Inventions, in R.
Nelson (ed), The Rate and Direction of Inventive Activity, Princeton, Princeton University
Press
Bessy C. & Brousseau E. [1997], Brevet, Protection et Diffusion des Connaissances: une
Relecture Néo-institutionnelle des Propriétés de la Règle de Droit, Revue d’Economie
Industrielle, Numéro spécial: Economie Industrielle de la Science, N° 79, 1er semestre 1997,
pp. 233-254
Bessy C. & Brousseau E. [1998], Technology Licensing Contracts: Features and Diversity,
International Review of Law and Economics, vol. 18, December, pp. 451-489.
Bessy C., Brousseau E., Saussier S., [2000], Institutional Environment and the Cost of
Intangible Assets : The Case of Technology Licensing Agreements, ISNIE Annual
Conference, Tübingen, September 22-24.
Callon M. [1993]), Is science a public good, Fifth Mullins Lecture, Virginia Polytechnics
Institute, march.
Caves E., Crookel H., Killing P.J. [1983], The Imperfect Market for Technology Licenses,
Oxford Bulletin of Economics and Statistics, August, 45, 249-67.
Combes O., Pfister E. [2000], Dissuasion par la licence et politique de la concurrence, Revue
Française d’Economie.
Contractor F. [1981], International Technology Licensing : Compensation, Costs, and
Negociation, Lexington, Lexington Books.
David P.[1985], Clio and the Economics of QWERTY, American Economic Review, 75, 2,
332-337.
Gallini N.T. [1992] : Patent Policy and Costly Imitation, Rand Journal of Economics, 23, pp.
52-63.
Gilbert R. & Shapiro K. [1990], Optimal Patent Lenght and Breadth, Rand Journal of
Economics, 21, pp. 106-112.
Granovetter M. [1985], Economic Action and Social Structure : The Problem of
Embededness, American Journal of Sociology, 91.3.
Green J. & Scotchmer S. [1995], On the Division of Profit in Sequential Innovation, Rand
Journal of Economics, 26, 20-33
Hagedoorn J; [1990], Organizational modes of inter-firm co-operation and technology
transfier, Technovation, Vol.10, N°1.
Hilgartner S. [1995], Data Access Policy and Genome Research, W.P., Cornell University.
19
Jorde T.M., Teece D.J. [1990], Innovation and Cooperation : Implications for Competition
and Antitrust, Journal of Economic Perspectives, Vol. 4, N°3.
Klemperer P. [1990] : How Broad Should the Scope of Patent Protection Be ?, Rand Journal
of Economics, 21, pp. 113-130.
Macneil I.R.[1974], The Many future of contracts, Southern California Law Review, 47
(May), 691-816.
Merges R.P. & Nelson R.R. [1994] : On Limiting or Encouraging Rivalry in Technical
Progress : The Effect of Patent Scope Decisions, Journal of Economic Behavior and
Organization, 25, pp. 1-24.
Nordhaus W. [1969], Invention Growth and Welfare, Cambridge, MIT Press.
North D. [1990], Institutions, Institutionnal Change and Economic Performance, Cambridge
University Press.
Ordover J.A. [1991], A Patent System for Both Diffusion and Exclusion, Journal of Economic
Perspectives, Vol. 5, N°1.
Scotchmer S. & Green J. [1990] : Novelty and Disclosure in Patent Law, Rand Journal of
Economics, 21, pp. 131-146.
Scotchmer S. [1991], Standing on the Shoulders of Giants : Cumulative Research and the
Patent law, Journal of Economic Perspectives, Vol. 5, N°1.
Shepard A. [1987], Licensing to Enhane Demand for New Technologies, Rand Journal of
Economics, 18, 630-638.
Taylor D.J. & Silberston Z.A. [1973], The economic impact of the patent system: a study of
British experience, Mimeo, U. of Cambridge, CUP, DAE Mono 23.
Williamson O.E. [1985], The Economic Institutions of Capitalism : Firms, Markets,
Relational Contracting, New-York, Macmillan, The Free Press, 450 p.
Williamson, O. E. [1996]. The Mechanism of Governance, Oxford Universitty Press.
20