Summoner - Scribay

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Summoner - Scribay
Manon Elisabeth d'Ombremont
Summoner
Publié sur Scribay le 03/07/2016
Summoner
À propos de l'auteur
« Bien sûr que ça se passe dans ta tête, Harry, mais pourquoi donc faudrait-il en
conclure que ce n'est pas réel ? » Harry Potter & les reliques de la mort.
En quelques mots, je suis une auteure-rôliste de 23 ans. Écrire est ma passion, mon
oxygène et j'espère pouvoir en faire mon métier. J'adore partager mes textes et
récolter des avis pertinents, car on peut toujours s'améliorer.
Je lis et écris de la SFFF, surtout la fantasy qui sort de l'ordinaire. La magie, c'est
toute ma vie et j’exècre la réalité, qui m'ennuie profondément.
Je n'ai pas ma langue dans ma poche, inutile d'user d'hypocrisie avec moi, je ne vous
rendrais pas la politesse. Je pense que le monde est plus beau quand on fait preuve
de franchise. J'ai beau être publiée, je partagerais TOUJOURS des textes en accès
gratuit, parce que tout n'a pas à être monnayé.
Mes textes publiés :
- La chienne de l'ombre aux éditions Lancelot en 2015 (France: disponible en
festivals uniquement. Belgique: disponible chez Kazabulles Liège, dans tous les
Carrefours liégeois et par commande sur le site des éditions Lancelot.)
- Le Nechtaànomicon aux éditions l'Ivre-Book en 2016 (papier prévu pour septembre
2016, numérique disponible partout)
- Lune de Miel aux éditions l'Ivre-Book en 2016 (uniquement en numérique, sur
toutes les plateformes)
- Ma page chez mon éditeur: http://www.livre-book-63.fr/280-manon-elisabeth-dombremont
À propos du texte
Zachary Blake a raccroché sa cape de Summoner après avoir frôlé la mort ou du
moins, le pensait-il... Jusqu'à ce qu'il cède à nouveau, une faiblesse qui entrainera la
mort de son meilleur ami. Décidé à trouver les responsables, il va devoir enquêter
dans les bas-fonds de Parys et se confronter à des souvenirs d'enfance qu'il pensait
bien plus doux.
Licence
Summoner
Tous droits réservés
L'œuvre ne peut être distribuée, modifiée ou exploitée sans autorisation de l'auteur.
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Summoner
Table des matières
Ce sont nos choix qui montrent ce que nous
sommes
Pour un peu de Magic-X
Autant pour le style
Retrouvailles dans les catacombes
Issue fatale
Salutations, Invocateur
Face à face entre deux mondes
Ceci n'est pas une fin
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Summoner
Ce sont nos choix qui montrent ce que nous
sommes
Zachary observait la tombe de son meilleur ami, le cœur serré. Il n’écoutait
pas un mot des paroles du prêtre, ne prêtait absolument pas attention aux larmes de
l’assemblée, trop concentré sur son sentiment de culpabilité. J’aurais dû être là. Oui,
ce soir-là, il aurait dû être présent mais voilà, ses obligations l’appelaient ailleurs.
Malgré les circonstances, son autre vie avait encore pris le dessus, le forçant à
abandonner Jace, à cette soirée du nouvel an. Il le pensait entre de bonnes mains.
Tellement bonnes que le lendemain, on a retrouvé son cadavre, songea-t-il,
amer.
L’autopsie conclut rapidement à une overdose de Magic-X, cette nouvelle
drogue aux effets dévastateurs. Plus qu’un simple psychotrope, elle semblait
conférer des pouvoirs surnaturels à tout ceux qui en avalaient. Une tentation trop
forte pour certains et, vu le contexte actuel, comment leur en vouloir ? Zack savait
son ami dépressif, mal dans sa peau, habitué à haïr le quotidien redevenu banal
depuis…
C’est ma faute ? Peut-être que je…
Était-ce le geste mal intentionné de quelqu’un, glissant une pilule dans son
verre pour une obscure raison ou plutôt une prise consciente ? Impossible d’affirmer
ce qui provoqua l’accident et le résultat restait inchangé : son corps ne l’avait pas
supporté. On parlait d’overdose, puisque la Magic-X se classait comme une drogue,
mais en réalité, Jace avait été victime d’un accès psychotique le poussant d’abord à
attaquer une fille à la soirée en question. Heureusement, il ne l’avait pas tuée.
Par contre, il s’était éclaté la tête contre le mur des catacombes, rendant son
visage méconnaissable. Quant à son cerveau… De la bouillie rosâtre répandue
aléatoirement autour de son corps meurtri. Seule la mort l’avait empêché de
continuer. Beaucoup de témoins l’avaient vu faire, certains avaient même essayé
d’intervenir, sans le moindre succès.
Jace n’était pas le premier à mal réagir à cette drogue. Elle n'offrait que des
reliquats, des illusions, des impressions, mais ils vivaient dans un climat de guerre et
la peur pouvait pousser aux pires extrémités. Des personnes mal intentionnées en
profitaient pour s’enrichir et les soldats impériaux fermaient les yeux, à l’instar de la
gendarmerie, préférant se concentrer sur la lutte contre les Vrais, ces vampires
extrémistes cherchant à instaurer la domination des immortels sur les êtres humains.
Leur meneur, Aleksandr Konstantinov, prince au sein de sa race, ravageait la
capitale de l’Empire français depuis plusieurs mois et Zachary, avec ses pouvoirs,
tentait d’aider comme il le pouvait.
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Summoner
Au détriment de tes proches et même du seul qui t’as toujours soutenu, sans
qui tu ne serais peut-être même plus en vie. Tu l’as juste laissé tomber. Et t’as le
culot de te dire super-héros ?
Un frisson le parcourut, soufflé par le vent glacial et les flocons, tombant du
ciel grisâtre et chargé. L’après-midi touchait à sa fin et lui n’avait toujours pas
bougé, alors que même les parents de Jace s’en étaient allés depuis longtemps.
— Tu vas attraper froid, Zack.
En entendant cette voix, le jeune homme s’obligea à détourner le regard de la
pierre tombale. Le lieutenant Rebekha Lawson appartenait à la Garde Nationale.
Âgée de trente-six ans, elle culminait à un mètre soixante-douze. Ses cheveux noirs,
bouclés, étaient dissimulés sous la capuche réglementaire. Ses traits avenants ne
donnaient pas l’impression d’être face à une militaire, encore moins haut placée. Elle
se maquillait peu, n’en ayant pas besoin. Une beauté naturelle, simple, avec un corps
très ferme de sportive accomplie et un uniforme noir de circonstance, dont les
barrettes sur les épaulières trahissaient le grade. Elle portait une arme à la ceinture
de son pantalon et il devinait la bosse d’une autre dans sa botte.
Elle tendit un parapluie transparent au-dessus de sa tête et il ne réagit pas.
Ses iris bleus suintaient l’intensité de son désespoir mais les larmes refusaient
obstinément de rouler sur ses joues, de lui offrir le soulagement dont il avait besoin.
Il ne le méritait pas.
— Attraper une pneumonie n’arrangera rien.
— J’aurais dû être là…
— Tu ne peux pas sauver tout le monde.
— Mais lui, je le devais ! C’est… C’était mon meilleur ami.
Sa voix se brisa et Rebekha n’esquissa pas un geste pour le prendre dans ses
bras. Elle n’avait jamais été douée pour les relations sociales et ce malgré ses dons
surnaturels. Humaine mais pas tout à fait, elle lisait les émotions des gens, ce qui la
rendait très efficace dans son travail. Ce pouvoir se doublait d’un autre, la
psychopathotactie, qui lui permettait, d’un simple toucher, de lire le passé des objets
fortement chargés en souvenirs, positifs ou négatifs. Sa tendance à se déclencher
sans prévenir forçait l’agent du gouvernement français à porter des gants en cuir
quel que soit le temps, ce qu’on prenait pour une excentricité. Elle préférait garder
le secret et Zachary ne s’était pas douté une seule seconde des capacités de sa
marraine, jusqu’à ce qu’il hérite des pouvoirs de son oncle, la charge de Gardien du
royaume des rêves en prime, et les problèmes inhérents à ce statut, pour couronner
le tout.
Encore aujourd'hui, tout cela lui semblait flou. Zachary avait un jour reçu un
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Summoner
médaillon par la poste, dans un colis qu'il pensait avoir commandé. En le touchant,
une réaction magique fusionna son corps avec la pierre d'invocation, le transformant
en Summoner et lui transmettant la lourde charge de veiller sur le Royaume des
Rêves: cet endroit où vit tout ce que l'humain a un jour inventé, imaginé. Une infinité
de mondes, avec, parfois, des failles qui permettent à deux univers d'entrer en
contact, pour le meilleur et surtout pour le pire. Zachary était supposé empêcher que
cela se produise.
Mais il n'y avait pas que cela. Quelques années auparavant, un groupuscule de
vampires surnommé les Vrais avaient entamé une guerre sanglante contre la race
humaine et Zachary avait refusé de rester les bras croisés, utilisant ses pouvoirs
pour les contrer. Rebekha l’avait soutenue, mais elle n’avait pas été la seule. Jace
aussi, s’était démené pour l’aider. Son acolyte, comme il s’appelait lui-même en riant,
transformant de ce fait Zachary en un super-héros, comme ceux des comics issus de
l’Empire Britannique, très populaires chez eux.
Summoner, l’Invocateur… Et pour cause.
— Tu ne devais plus intervenir, Zack, tu m’avais promis, murmura-t-elle
doucement.
— J’ai pas pu… Quand j’ai reçu la notification sur mon smartphone, que j’ai
vu la vidéo, je… J’ai cru que je pourrais l’arrêter. Empêcher que ce cauchemar
continue.
— Tu aurais pu te faire tuer, surtout !
Il lui lança un regard sombre. Mourir ? Il s’en moquait bien. Il ne comptait
pas regarder son monde sombrer sans intervenir, d’autant qu’il possédait des
capacités le rendant apte à affronter leur ennemi.
— Je suis Summoner, je suis capable de vaincre Aleksandr.
— La dernière fois, tu as terminé aux soins intensifs.
Zack grinça des dents, sans répliquer. Aux yeux de tous et d’Aleksandr le
premier, le héros avait trépassé quelques mois auparavant. Du haut de ses vingt ans,
la tête remplie de rêves glorieux où il empêchait les ténèbres de recouvrir
l’humanité, il s’était cru prêt à combattre un immortel surentrainé et maîtrisant
parfaitement ses pouvoirs, tout le contraire de lui. Certes, ses dons réagissaient en
phase avec son esprit, mais ses multiples invocations l’épuisaient rapidement et il ne
gérait pas suffisamment bien les situations extrêmes pour donner le maximum de luimême. L’air de rien, Aleksandr lui inspirait une profonde terreur et il en avait honte.
Honte, de ne pas être comme ces héros en papier qu’il admirait tant et qui
affrontaient le danger la tête haute, sans trembler, même devant leur pire ennemi.
Résultat ? Son corps avait fini en morceaux et lui, aux portes de la mort. Il ne
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Summoner
devait son salut qu’à la présence de Rebekha, qui commençait son apprentissage en
magie de soin. Elle contint l’hémorragie jusqu’à l’arrivée des secours et là, d’autres
personnes, mieux formées, parvinrent à le maintenir en vie. Plusieurs semaines de
convalescence plus tard, Zack s’était résolu à disparaître de la circulation avec l'aide
de Rebekha, déprimé, envahi par le sentiment d’être un moins que rien.
— Je sais… Sauf que quand j’ai vu ça… J’ai juste pas pu m’en empêcher,
avoua-t-il, mal à l’aise.
Les souvenirs fourmillaient dans son esprit, explosant à la surface de sa
conscience. Les humains, hypnotisés, forcés de se jeter du haut de la tour Eiffel, un
pour chacun des douze coups de minuit. Le plan cadré sur le visage extatique,
couvert de sang, du meneur des Vrais. La phrase hurlée en français : « 2015 sera
l’année du vampire ! », reprise par une petite centaine d’immortels, autant les alliés
importants et bien connus que les sous-fifres quelconques. L’image, sur le
smartphone, ne laissait aucun doute sur la nature réelle de l’action en cours et
immédiatement, Zachary s’était éclipsé, croisant le regard inquiet de Jace. Son ami
avait esquissé un geste pour le rejoindre, mais quelqu’un l’avait retenu et, concentré
sur son objectif, le Summoner s’était incarné en invoquant des ailes de vaillance dans
son dos, les mêmes que celles du célèbre jeu-vidéo Diablo 3 -à savoir des ailes en
flamme sacrée. Dire qu’il ne portait même pas son costume, ce soir-là… Il s’envola
ainsi jusqu’au monument où se déroulait le drame, mais l’attaque avait été éclair et il
ne restait plus personne en dehors des forces de l’ordre, au moment où le jeune
homme arrivait sur place. Décidé à fouiller les environs, il abandonna au bout de
plusieurs heures, rompu par la fatigue, le découragement, son estomac criant
famine. Il ne songea pas à regarder son téléphone et s’endormit dans son lit, en le
laissant en silencieux dans la poche de sa veste.
Ce n’est que bien des heures plus tard qu’il apprit la nouvelle.
— Écoute Zack, reprit Rebekha, le tirant de ses pensées. Laisse l’Empire
lutter contre ses ennemis, tu as vingt ans, toute la vie devant toi…
— Et quel genre de vie, exactement ? Même si, par miracle, vous parvenez à
le vaincre, la Magic-X aura décimé la population et vous ne faites absolument rien,
pour l’un comme pour l’autre !
— Tu sais bien que ce n’est pas si sim— Oh arrête ! le coupa-t-il, hors de lui. Ne me sors pas le couplet du « ce
n’est pas si simple, tu ne vois pas tous les enjeux » blablaBLA ! Pour une fois, ce
n’est pas Aleksandr qui a tué mon ami, ce sont ces trafiquants, qui vendent leur
merde illégale au nez et à la barbe de l’Empire. Vous êtes dépassés, alors ne rejetez
pas l’aide de ceux qui sont aptes à vous la donner.
— L’année prochaine, tu n’auras qu’à t’engager et aider autant que tu le
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Summoner
veux, mais pour l’instant, tu es trop jeune et c’est comme ça. Je ne te le dis pas pour
le plaisir, Zachary. Je sais que tu as d’immenses pouvoirs, des possibilités infinies,
mais on n’est pas dans un jeu vidéo. Il ne suffit pas de volonté pour vaincre et tu ne
peux pas recommencer éternellement en ressuscitant au cimetière ou en comptant
sur le bon vouloir d’un healer zélé.
Zachary ne répondit pas, mais l’expression blessée sur son visage en disait
long. Geek et surtout gamer jusqu’au bout des ongles, il supportait mal les
amalgames et Rebekha le savait très bien. Il planta sa marraine près de la tombe de
feu son meilleur ami, invoquant à nouveau ses ailes grâce au talisman enfoncé dans
sa poitrine, littéralement fusionné avec son corps. La sphère de Rêves brilla l’espace
d’une seconde et il s’envola immédiatement, se fondant dans la tempête de neige.
Au sol, Rebekha cria vainement son prénom. Elle abandonna, se maudissant
pour ses derniers mots.
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Summoner
Pour un peu de Magic-X
Livia contemplait son reflet dans le miroir, passant lentement ses mains sur
les bandes de gazes sales qui recouvraient son cou et une partie de son épaule. La
soirée du Nouvel An n’avait pas très bien tournée, mais son métier comportait des
risques, elle en avait parfaitement conscience du haut de ses vingt ans. Fille d’Atia
César, elle-même cheffe de la famille César, elle aidait sa mère dans les affaires de
drogue avec son gang, les Centurions. Raison pour laquelle Livia s’occupait de
distribuer la Magic-X dans les rues. Ceux que la drogue ne tuait pas, elle les rendait
totalement accro et ramassait de jolies sommes au nez et à la barbe de tous. D’autres
concurrents tentaient bien de s’élever, eux aussi, mais il n’existait qu’un seul
fournisseur pour cette substance : celui des César. Un asiatique du nom de Nagato
Ryúkage, qui cachait, en outre, un terrible secret. Sa mère était-elle déjà au courant,
au moment où elle avait envoyé sa fille unique se ravitailler chez ce… Monstre ?
Probablement et Livia le vivait plus comme une épreuve que comme une trahison.
D’ailleurs, elles n’évoquaient jamais le sujet entre elles.
Atia pénétra dans la chambre de sa fille, jetant un regard impérieux tout
autour d’elle. Il n’était pas rare que des Centurions, pour la plupart les enfants des
familles affiliées à celle des César, squattent cet endroit où régnait toujours un
joyeux bordel. Pourtant, Livia essayait souvent de ranger mais la pièce semblait
imperméable à toute forme d’organisation, aussi abandonnait-elle, au grand
désespoir de sa mère. Comme quoi, on peut diriger la mafia sicilienne de Parys et
rencontrer les mêmes problèmes domestiques que le clampin moyen.
— Comment tu te sens ? demanda-t-elle, rivant son regard sur la blessure de
sa fille unique.
— Ça pique mais ça va.
— Tu n’as pas changé ton bandage, lui reprocha-t-elle.
Sans attendre la réponse, elle s’approcha jusqu’à s’agenouiller près d’elle et
Livia remarqua alors la trousse de premiers secours qu’elle avait emporté. Une
preuve que sa mère la connaissait bien… Sur ses talons suivit Lamya, une galga à la
robe beige et cendre. L’animal très fin dégageait une impression de fragilité à
laquelle il ne fallait pas se fier. Génétiquement modifiée après avoir été recueillie
dans un refuge, l’animal ne vieillissait plus, résistait aux coups grâce à une peau
aussi dure que le métal et surtout, possédait des dents acérées de prédateur. Livia
comme Atia adoraient cette chienne, une vraie battante comme le répétait souvent sa
mère, il suffisait de voir les nombreuses cicatrices sur son corps. Quant à savoir ce
que la dame du crime faisait dans un refuge exactement… Mystère. Elle était tombée
sous le charme de l’animal au premier regard et elles se ressemblaient assez.
Le visage d’Atia, couturé de cicatrices lui aussi, se barra d’une expression
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Summoner
inquiète quand elle ôta les bandages. Son nez se fronça devant la plaie mal refermée,
puisque Livia refusait d’arrêter de bouger. Elle aspergea la blessure d’iso-Bétadine
et la jeune femme sursauta à cause de la brûlure, s’empêchant de gémir bien que les
larmes lui montent aux yeux. Avec énergie, Atia frotta les tissus et Livia se décida à
parler pour ne plus penser à sa mère qui la torturait, littéralement.
— Nagato a envoyé la Magic-X pour ce soir ?
— Je n’ai rien eu, non.
— Quoi ?! Mais merde il ne me reste plus rien, j’ai tout écoulé au Nouvel An.
Enfin, Clélia et Aurélien ont terminé après que ce taré m’ait sauté dessus.
— Tu le connaissais ?
— J’sais pas, j’crois pas.
Pourtant, le visage de son agresseur lui semblait vaguement familier mais
Livia avait beau retourner le problème dans tous les sens, rien ne lui venait.
— Il a juste pété les plombs, je lui ai donné une seule pilule, mais y’a des gens
qui savent pas supporter.
Elle haussa les épaules, se rappelant trop tard de sa blessure. Le tiraillement
lui arracha une exclamation douloureuse et un regard désapprobateur de sa
génitrice, en train de remettre en place le pansement. Comme pour compatir, Lamya
vint lui pousser les doigts avec son museau et Livia lui gratouilla l’oreille.
— Quelle merde, cette drogue, releva Atia.
— Ouais, mais ça se vend bien et à prix d’or…
— Le business c’est le business, on n’est pas obligé d’aimer ce qu’on
distribue. Par contre, que je ne te prenne pas à la goûter. La marijuana, je m’en tape,
mais si tu touches à cette saleté, tu vas avoir des problèmes, jeune fille.
Le ton menaçant d’Atia ne laissait pas place à la discussion et Livia se retint
de préciser qu’elle était accro à bien pire. Jusqu’à récemment, elle n’entretenait
aucun secret pour sa mère mais elle se voyait mal lui avouer la vraie nature de
Nagato ou encore qu’il lui donnait de son sang démoniaque pour la fidéliser.
Démoniaque au sens premier du terme, puisque Nagato appartenait à la race des
démons. Ou plutôt, des « arakhes » comme ils disaient, et pas le dernier des sousfifres en plus… Elle n’aborderait pas plus le sujet d’Aleksandr, allié de l’asiatique,
que la Dona ne portait pas du tout dans son cœur.
Et pas uniquement pour son origine russe. Même si ça jouait beaucoup.
— Promis, mamà, répondit humblement Livia.
Satisfaite, Atia déposa un baiser presque tendre sur le front de sa fille et
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Summoner
sortit. Quant à la cheffe des Centurions, elle se redressa et partit en quête de
vêtements pour sortir chercher son stock, puisqu’on ne daignait pas la livrer.
Moins d’une heure plus tard, le chauffeur de sa mère la déposait devant le
Cirque des Damnés. Pour ce qu’elle en savait, le nom faisait référence à une auteure
assez célèbre de littérature fantastique, que Livia ne lisait pas, si bien qu’elle ne
pouvait apprécier la ressemblance entre la façade du roman et celle qui se dressait
devant elle. L’endroit avait tout du club gothique par excellence, on y proposait des
spectacles plus ou moins macabres et il attirait une foule monstrueuse (dans tous les
sens du terme) chaque soir. Mais en cette fin d’hiver, le crépuscule approchait
seulement et la porte était toujours close, si bien qu’elle se dirigea vers l’entrée de
service, située à la gauche du bâtiment. Elle frappa trois coups espacés et attendit
plusieurs minutes avant de réitérer l’opération, agacée. Sa veste en cuir, bien que
très jolie, ne la protégeait pas vraiment du froid et le pull noir en maille large, sous
lequel elle n’avait enfilé qu’un débardeur, non plus. Heureusement, elle portait un
pantalon et des DocMartens, sauvant ses jambes de la bourrasque hivernale. Il
neigeait depuis cet après-midi et ses semelles crissaient sous une couche de neiges.
La porte s’ouvrit finalement sur Abygaël, une sorcière aux cheveux ébènes
qui s’occupait de la gestion du club. Mieux valait ne pas compter sur l’excentrique
propriétaire pour tenir des comptes à jour, persuadé qu’être une créature infernale
le dispensait forcément de payer des taxes. Heureusement, le fisc pouvait compter
sur Abygaël.
— Ah, c’est toi.
Elle s’écarta pour la laisser passer. Livia appréciait cette fille, même si elle ne
comprenait pas vraiment pourquoi elle s’emmerdait avec Nagato. Au moins, Abygaël
ne lui jetait pas l’habituel regard réprobateur en mode « tu pourrais faire tellement
mieux de ta vie », non. Elle lui parlait d’égale à égale, sans condescendance, sans
essayer de lui apprendre la vie.
— Je n’ai plus de Magic-X, j’avais appelé pour qu’on me livre mais quelqu’un
n’a pas jugé bon d’y penser, expliqua-t-elle, un brin plus énervée qu’elle ne l’aurait
voulu.
— Tu lui as parlé, au téléphone ?
— Non, j’ai laissé un message hier, ça ne décrochait pas. J’ai passé le premier
jour de l’an à l’hosto.
— J’ai entendu ça.
Elle la jaugea, puis jugea qu’il n’y avait rien de grave puisqu’elle tenait sur
ses deux jambes. Livia avait laissé exprès l’atèle des médecins dans sa chambre,
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Summoner
refusant de porter cet accessoire ridicule qui lui donnait, selon elle, l’air faible. Son
épaule la lançait, son morceau de chair lui manquerait longtemps et sa cicatrice ne
partirait jamais, mais elle n’était pas infirme pour autant.
— Je vais te donner ce dont tu as besoin, inutile que tu descendes.
Livia acquiesça, soulagée et déçue à la fois. Un tête-à-tête avec Nagato se
révélait toujours intéressant et stimulant sur de nombreux tableaux mais même
après plusieurs mois, il continuait de la mettre mal à l’aise. Elle n’était jamais
certaine de s’en sortir vivante et vu sa dernière agression en date, elle préférait
repousser quelque peu leur rencontre même si, au fond, un peu de sang l’aiderait à
guérir plus vite. Suivant Abygaël dans un couloir étroit, elles descendirent d’un étage
et poussèrent la première porte à droite, entrant dans une sorte de remise plutôt
exiguë. Elle ôta le couvercle en bois d’une des caisses et s’empara de plusieurs
sachets plastiques contenant des pilules roses estampillées « MX ». Elle en rangea
certains dans la poche intérieure de sa veste, d’autres dans celles sur le côté, jusqu’à
avoir pour une centaine en stock. Elle tiendrait ce soir, peut-être demain au cas où
l’accident du Nouvel An laissait une marque trop profonde dans les esprits.
Remerciant Abygaël d’un signe de tête, elle sortit de la pièce et percuta un torse nu
aussi dur que du marbre. Elle perdit l’équilibre, se rattrapa de justesse au mur et
lança un regard noir au responsable. Il lui rendit un sourire acéré de par ses canines
pointant visiblement à l’extérieur. Un peu de sang noir coulait encore à la
commissure de ses lèvres, signe évident qu’il s’était nourri de Nagato. Les yeux de
Livia se fixèrent immédiatement sur le résidu d’hémoglobine et tout son corps vibra
d’un désir impérieux de se jeter sur lui pour arracher ce délicieux nectar à sa lippe
moqueuse.
Mais sinon, non, je ne suis pas accro du tout.
Voilà comment Nagato les gardait à sa botte ou plutôt, l’Ar’narakhe
Nechtaàn : en les rendant dépendant de son sang. Elle gémit doucement, ses ongles
crissèrent contre la pierre. Aleksandr Konstantinov, le meneur des Vrais, un monstre
presque aussi terrible que le propriétaire des lieux, la toisa, provocateur.
— Et ça ne s’excuse même pas.
Oui, « ça ». Il ne lui parlait et ne la tolérait que lorsque Nagato en faisait
autant. D’ailleurs, les choses allaient souvent plus loin entre eux mais elle ne devait
pas y penser maintenant. Pas avec la proximité de l’hémoglobine. D’ailleurs, ce à
quoi ils s’occupaient dans une chambre n’avait rien de très sérieux et ne constituait
pas du tout une preuve d’attachement d’eux à elle. Le fait qu’elle en sorte en vie, par
contre…
Elle secoua la tête, vivement.
— Faut que j’y aille, marmonna-t-elle.
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Summoner
Elle lui tourna le dos, le dépassant le plus rapidement possible mais il la
rattrapa, la plaquant violemment contre les marches de l’escalier, appuyant sur son
épaule. Un cri douloureux s’échappa de ses lèvres et, pour le vampire, l’air se teinta
de senteurs cuivrées. Nul doute, ses points de suture s’étaient rouverts. Sans plus de
cérémonie, il écarta sa veste, déforma son pull en l’étirant et arracha la gaze
soigneusement serrée. Il fixa la blessure d’un air indéchiffrable sur le visage. Livia,
de son côté, n’osait pas bouger et savait qu’Abygaël n’interviendrait pas. Sans
prévenir, Aleksandr fondit sur sa plaie et au lieu de la mordre pour la punir, comme
elle l’avait craint, la lécha avec application, déclenchant une série de picotements qui
se muèrent en papillons dans le bas de son ventre. L’opération dura plusieurs
minutes, la laissant finalement pantelante, essoufflée et surtout, totalement guérie.
Puis il se releva, la plantant là, ne lui jetant même pas un regard. Elle
déglutit, Abygaël soupira et secoua la tête.
— Bon, bin… J’y vais alors, murmura Livia, clignant des paupières, toujours
sous le coup de la surprise.
Et elle s’éclipsa, avant que le vampire ne soit pris d’une idée un peu moins
charitable. Après tout, elle avait du boulot ce soir.
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Summoner
Autant pour le style
Debout devant le miroir de sa garde-robe, Zachary s’observait dans son
costume de Summoner, se sentant vaguement idiot. Il ne dénotait pourtant pas au
milieu de sa chambre aux murs tapissés de photographies mangas, de posters
promotionnels pour des jeux-vidéos et autres goodies tirés de ses comics favoris.
Notamment un magnifique collector de Star Sword et Killer Tempter, les deux
criminelles phares de l’univers Ravmel. On devrait d’ailleurs plutôt les qualifier de
vigilantes aux méthodes extrêmes, décidées à protéger les innocents en châtiant
durement les tueurs, crachant sur une justice défaillante et l’appliquant au plus
stricte sens du terme, sans se laisser corrompre. En plus d’être incroyablement sexy
et balèzes, elles incarnaient un idéal, un reflet des besoins de la société. En tous cas,
celle de Chtonya. Au début de sa carrière, le jeune héros respectait scrupuleusement
la loi mais il comprit bien trop rapidement que cela ne suffirait pas pour protéger les
innocents, si bien qu’il trouva son inspiration dans des comics plus sombres, plus
durs, mais aussi plus réels. Le manichéisme n’existe que chez Disney, après tout.
Détournant le regard des deux femmes dessinées, il tomba sur la large
bibliothèque trônant à côté de son lit, pleine à craquer au point qu’il doive empiler
ses nouvelles acquisitions dans une armoire. Il vivait dans un appartement plutôt
spacieux, appartenant à son père, ambassadeur de l’Empire français. Il avait
pourtant les moyens de se louer un studio quelque part puisqu’il travaillait mais, un
peu égoïstement, il préférait aller à la facilité. Surtout que ç’avait été l’une des
seules conditions à son départ de la demeure familiale.
Zachary avait transformé l’endroit en paradis du geek et l’on pourrait
disserter longtemps sur la pertinence d’utiliser ce terme. Le jeune homme se sentait
ainsi, tout simplement, avec son bureau où s’entassaient les vieux boitiers de jeux et
son ordinateur fixe où l’incroyable quantité d’icones cachait son fond d’écran. Avant
d’hériter des pouvoirs de son oncle, il jouait énormément et en avait même fait son
métier, s’étant acheté le matériel adéquat pour streamer, sous le pseudo de Zeckÿr.
Mais depuis plusieurs mois, sa présence sur la toile se raréfiait, il délaissait les
réseaux sociaux, sa centaine de messages sur son compte facebook, son
amoncèlement d’e-mails, ses dix patchs de retard sur la moitié des jeux… Bref, il se
sentait totalement à l’ouest, ancré dans une nouvelle réalité dont il se serait bien
passé. Parfois, il rêvait de tout plaquer, mais décemment, il ne pouvait s’y résoudre.
A la mort d’Augustus Blake, le pouvoir se transmettant de génération en génération à
l’héritier mâle de leur lignée lui était revenu, puisque l’ancien gardien n’avait pas
pris la peine d’enfanter. Et ça lui était tombé sur le coin de la tête sans prévenir,
sous la forme d’un paquet reçu par la poste, assez étrangement. Franchement, qui
utilise la poste pour transmettre un artefact magique surpuissant ? En l’ouvrant, il y
avait trouvé un collier autour duquel pendait un morceau de miroir craquelé et sale,
qu’il tenta vainement de nettoyer avec du produit à vitre. Rien, pas même un mot, ne
15
Summoner
lui indiquait la provenance de l’objet. Du coup, très naturellement et poussé par une
impulsion irrésistible, Zachary l’essaya.
Une fois l’artefact autour de son cou, impossible de le retirer. Plus il
s’acharnait, plus l’objet s’incrustait dans sa peau, jusqu’à finalement fusionner
totalement avec lui. Quant aux conséquences… Désastreuses. Dès qu’il voyait un
personnage fictif, ce dernier apparaissait dans son salon. Une chance pour lui, son
regard tomba d’abord sur sa peluche de mog postier, rien de bien dangereux en
somme, juste une crise cardiaque quand il se matérialisa dans son salon. Par contre,
quand son écran de veille afficha l’image de Katarina du Royaume en Guerre, la
situation se corsa drastiquement et lui coûta non seulement un écran d’ordinateur
mais aussi de belles entailles aux doigts, en plus d’un séjour aux urgences. Elle
disparut au moment où il s’évanouit en se cognant la tête contre son parquet mais
les mésaventures s’étaient multipliées, l’obligeant à se couper du monde extérieur,
n’osant plus approcher le moindre appareil électronique, se cachant sous sa
couverture pour éviter d’apercevoir le moindre petit bout de poster au mur.
Malheureusement, son imagination galopait malgré lui et il eut rapidement besoin
d’aide.
Jace la lui fournit. Puis Rebekha. Ensemble et après enquête, ils découvrirent
les origines de ses pouvoirs, ainsi qu’une manière de les contrôler. Tout aussi
important, ils lui choisirent une identité secrète (celle du Summoner, la version
anglaise du mot « invocateur » parce que ça sonne toujours plus cool en anglais) et
un costume. Ce dernier était près du corps, constitué d’un tissu sombre avec des
plaques supposées parer les balles, une série de languettes sur son torse, un large
manteau et des gants, puis un masque aussi, forcément. Honnêtement, ç’avait été le
point le plus compliqué. Zachary était parti sur une idée de tenue à la mode mage,
mais Jace, parodiant une certaine styliste dans un certain film s’était écrié « Jamais
de cape ! » ce qui excluait le capuchon type du sorcier, au grand désespoir de Zack.
Du coup, en chipotant dans ses cartes Magic pour essayer d’y puiser l’inspiration, il
était tombé sur Jace, le détisseur de secrets. Et, accessoirement, amoureux de sa
tenue. Le fait que la carte porte le même prénom que son ami était un hasard, mais il
choisit d’y voir un signe et opta pour cela. Hélas, il lui manquait toujours le masque,
il opta alors pour une capuche plus profonde et un morceau de tissu noir, tendu sur
son nez et sa bouche, jusqu’à son menton imberbe.
Plus discret, oui.
Mais quand-même.
Et cela n’avait pas empêché Aleksandr de contempler son visage ensanglanté
et tuméfié, après le passage à tabac dont il avait été la victime.
— Est-ce que c’est vraiment une bonne idée ? demanda-t-il à son reflet.
16
Summoner
Il n’obtint pas de réponses, juste un visage sur lequel se reflétait l’angoisse et
la preuve flagrante d’à quel point il se sentait perdu. Paumé, coupable, il ne pouvait
rien contre le fléau vampire, mais trouver les revendeurs de Magic X pour les
empêcher de nuire, la mission entrait davantage dans ses compétences. Pour cela, il
devrait descendre dans les catacombes de Parys, enquêter discrètement, peut-être se
faire passer pour un client… Dans ce cas, costume à exclure ou à cacher sous un
manteau ample, différent de celui d’origine. Une chance, il en possédait un en cuir
depuis son cosplay Neo pour la Comicon de Londres en 2009, à l’époque où son père
était en poste là-bas et lui, embarqué dans ses bagages. En gothique, il se fondrait
dans la masse, non ?
Pour donner le change, il chercha un peu de maquillage mais n’en trouva pas.
Les seules filles à avoir passé la porte de son appartement étaient les copines de ses
potes, pour des LANs en groupe. Lui-même, plutôt timide, se cantonnait au rôle du
bon copain, coincé ad vitam aeternam dans la friendzone, coup de cœur ou pas. Puis,
au moment d’hériter de ses pouvoirs, il avait franchement pensé à autre chose, et ce
même si Jace lui répétait qu’il devait se trouver une fille sexy, pour l’histoire d’amour
obligatoire à tout bon super-héros.
#clichay, comme on dit, songea-t-il.
— Non, définitivement, ce n’est pas une bonne idée, décida-t-il tout haut.
Pourtant, il s’empara du manteau, l’enfila et partit, se tournant en produisant
un mouvement de flottement du bas de son vêtement. Tout en style. Il ne manquait
que la musique en fond sonore, un morceau bien épique, style préparation à la
bataille finale.
Une fois dans la rue, il remonta en quatrième vitesse pour chercher son
téléphone portable, oublié sur la table basse du salon. Autant pour le style.
17
Summoner
Retrouvailles dans les catacombes
Zachary ne connaissait pas les passages supposés mener aux catacombes et,
une fois en bas de chez lui, utilisa son smartphone pour effectuer une recherche
Internet. Pas besoin d’entrer dans le darknet, il suffisait de connaître le bon site et
d’avoir le bon mot de passe. Sans grande surprise, on lui indiqua une entrée passant
par le soubassement d’un bar relativement sordide, à l’autre bout de la ville par
rapport à l’endroit où il se trouvait. Préférant ne pas perdre de temps, il emprunta le
métro jusqu’à destination et se repéra sur le street view pour ne pas se perdre une
fois sorti à la bonne station. Le nez sur son écran, il ne regardait pas vraiment autour
de lui, se fiant à la technologie et arriva enfin devant la matérialisation même du
bouge crasseux, à la façade ruinée par une série de tags plus ou moins évocateurs,
avec des vitres qui n’avaient plus vu la surface d’une éponge depuis au moins six
siècles, époque d’où datait le bâtiment, d’ailleurs. Secouant la tête, il inspira un bon
coup et emprunta les marches, descendant dans les profondeurs obscures d’un club
à la musique indescriptible, et à l’odeur nauséabonde. Fraîcheur vomi, fragrance
hépatite. Plutôt que de tourner à gauche et de rejoindre les fêtards, il continua, selon
les indications de son téléphone, dans ce qui ressemblait à une impasse, à première
vue. Mais en appuyant sur la bonne brique, le mur s’écarta devant lui, l’invitant à
s’enfoncer toujours plus loin. Désormais, l’air fleurait bon l’humidité, le renfermé,
l’alcool aussi, la fumée et, bien entendu, les égouts. Il éclairait devant lui grâce à la
lampe de poche intégrée à son téléphone, heureusement chargé au maximum.
Et maintenant ? songea-t-il, sans savoir par où s’orienter. Il choisit une
direction au hasard, d’où lui parvenaient des bruits de voix. Il déboula dans une
galerie plus large et aperçut des gens se baisser pour passer par une porte à la fois
basse et étroite. Un type baraqué le détailla de bas en haut et décida que sa tête lui
revenait assez pour qu’il le laisse passer. Zachary suivit donc le même chemin et
arriva dans une vaste salle où trônait un orgue, sur lequel dansaient des filles en
tenues légères. Tout naturellement, le Summoner s’interrogea sur la manière dont on
avait pu amener un objet de cette taille (il parlait évidemment de l’instrument de
musique et non des seins nus des danseuses) dans cet endroit clos mais chassa
rapidement ces considérations pour se concentrer sur le plus important : trouver un
revendeur de Magic-X.
Son objectif se révéla plus simple à réaliser dans son esprit. En observant les
gens présents, il était incapable de dire qui dealait, qui consommait, parfois il ne
parvenait même pas à définir le genre de la personne. Se calant dans un coin,
trouvant un cadavre de bière au sol histoire de ne pas paraître trop suspect, il scruta
les invités de cette soirée improvisée à travers les lumières stroboscopiques,
essayant de passer outre le désagréable beat résonnant dans sa poitrine, accélérant
les mouvements de son cœur. Des cheveux tournoyaient, des corps s’enlaçaient,
même les vêtements brillaient d’un éclat fluo. Certains se tombaient dans les bras,
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Summoner
d’autres se serraient la main et… Là ! Zachary distingua un morceau de billet plié,
qu’une fille rangeait soigneusement dans sa poche. Contrairement à beaucoup, elle
ne semblait pas sous l’influence de stupéfiants. Elle aussi observait, à la recherche
de clients potentiels. Et que vendait-elle ? Weed, ecstasy, cocaïne, Magic-X, avec un
peu de chance ?
Il décida de la prendre en filature, essayant de se montrer discret. Il passa les
heures suivantes à ne pas la quitter des yeux, jusqu’à posséder suffisamment de
certitudes sur sa marchandise pour la confronter. Témoin de nombreux échanges, il
avait entraperçu les petites pilules et aurait mis sa main à couper que ce n’était pas
de l’ecstasy ou du moins pas que cela.
Dans le pire des cas, il ne risquait rien à l’aborder mais comment ? Analysant
le comportement de certains clients, il choisit d’y aller franco et de poser la question,
simulant un état d’ébriété tout en agitant un billet sous son nez. L’excitation le
rendait fébrile, cette sensation d’être utile, de servir à quelque chose, l’enivrait aussi
efficacement que n’importe quel alcool. N’était-ce pas trop facile ? Il s’en moquait. Il
passa son bras autour de sa taille et approcha son visage du sien.
— Eh, t’aurais pas quelque chose pour moi ? demanda-t-il en haussant la voix
pour couvrir la musique.
Elle se recula brutalement, le repoussant avec plus de force qu’il ne s’y
attendait pour un corps aussi frêle. Son regard dégoûté et condescendant s’adoucit
sous le coup de la surprise, et Zachary lui-même n’en menait pas bien large, à ce
moment-là.
Cette fille, il la connaissait.
Elle s’appelait Livia César, ils avaient grandi ensemble.
Et il fantasmait sur elle depuis… Pfiou, au moins ça.
Attend une minute, elle deale de la drogue ? C’est quoi ce délire ?
19
Summoner
Issue fatale
Livia fixa Zachary d’un air interdit. Elle ne l’avait pas reconnu directement et
n’appréciait pas franchement qu’on se permette ce genre de familiarités sans son
autorisation. A deux doigts de lui coller une droite, elle se retint une fois qu’elle le
reconnut. C’est qu’il n’avait pas franchement changé, depuis le collège… Elle ouvrit
la bouche pour parler, mais rien n’en sortit. Depuis quand il trainait dans ce genre
d’endroit, le gentil geek fils à papa ? Enfin la rébellion tant attendue ? Il ne venait
pas sérieusement de lui demander de la drogue, si ? Elle ne comptait pas lui filer de
la Magic-X, pas stupide au point de donner des preuves à charge à quelqu’un
trainant dans ce genre de milieu sans s’assurer au préalable de sa fiabilité. On
l’utilisait peut-être pour la piéger, des gens de son entourage appartenaient la police
impériale, son père était ambassadeur, bref, un gratin infréquentable pour une
César.
Mais voilà, ils vivaient dans la même rue et en le voyant emménager, en train
de lire tout seul sous l’arbre devant chez lui, elle avait été lui parler. A quatre ans
tout juste, Livia n’était pas encore une princesse criminelle, ni même une princesse
tout court. Ils trainèrent ensemble, il connaissait certains des Centurions d’ailleurs et
comme ses parents n’étaient jamais là, ils squattaient son salon, leur bonne n’osant
pas protester contre l’invasion de la petite César et de ses amis. Puis Zack partit à
Londres un peu avant le collège. Il revint quelques fois à Parys, mais depuis la
deuxième année de Lycée, ils n’avaient plus eu de contact. Et la dernière fois, elle
l’avait fait boire à une fête, le soulant pour le plaisir, comme pour tester ses limites.
Malgré leurs milieux diamétralement différents, quand il avait appris qu’elle
s’appelait César, il n’avait pas fui, prétextant qu’elle n’était pas sa mère et, au début,
Livia n’avait pas eu le cœur à le contredire.
Il n’incarnait pas sa conscience. Il ne la sortirait pas du milieu criminel. Peu
importe ses ambitions, elle préférait les tuer dans l’œuf, d’où le tour dramatique de
la dernière soirée.
Non, vraiment, qu’est-ce qu’il fiche ici ?
Elle hésita, cherchant du regard l’un de ses amis, n’importe qui, mais
personne ne semblait leur prêter attention. Cela dit, elle restait sincèrement curieuse
de savoir pourquoi il se trouvait dans ce genre d’endroits. Alors elle lui attrapa le
poignet d’autorité et le tira derrière lui, pour sortir de cette fête et réussir à
s’entendre un peu.
— Livia attElle ne lui laissa pas la possibilité d’en placer une. Il se cogna en passant la
petite porte et elle le libéra, certaine qu’il la suivrait. Choisissant une galerie qu’elle
connaissait bien dans un renfoncement obscur, elle croisa les bras sous sa poitrine.
20
Summoner
Elle portait un tshirt déchiré à l’effigie du groupe Eths, ainsi qu’un mini-short et des
collants à motifs. Lui ? Une pseudo tentative de ressembler à un stéréotype de
gothiques. Hélas, pas de vernis noir sur les ongles, pas de bagues agressives, pas de
maquillage, pas de teinture pour jouer à fond le délire. Il portait juste cette veste, et
même pas les chaussures adaptées. Sérieux, qui met des vans avec un manteau en
cuir ? Elle roula des yeux après avoir terminé son inspection.
— Qu’est-ce que tu fiches dans un endroit pareil ? demanda-t-elle.
— Je te retourne la question. J’ai pas rêvé, tu deales ?
— Eh, je t’ai pas demandé ton c.v. que je sache.
— Livia… Me dis pas que tu vends de la Magic-X.
Il semblait sincèrement déboussolé, mal à l’aise, en colère aussi, peut-être.
Une foule d’émotions passaient dans son regard et il n’était toujours pas doué pour
les cacher. Étrangement, elle se sentit gênée et ce sentiment la révolta. Pour qui se
prenait-il, à la juger ?
— C’est pas tes oignons.
Mais la réponse ne semblait pas acceptable. Alors il lui attrapa le poignet,
l’immobilisant avec rapidité dans une prise aussi inattendue qu’efficace. Elle se
débattit en l’insultant tandis qu’il la pelotait de sa main libre, jusqu’à trouver l’un de
ses derniers pax de Magic-X. Son poing se serra autour du plastique et il évita son
regard.
— Quoi ? provoqua-t-elle. Ca te choque, que Livia César reprenne l’affaire
familiale ? Non mais tu croyais quoi exactement, Zack ? Et qu’est-ce que tu fous dans
les catacombes ? C’est pas ton monde.
— T’étais ici, la nuit du Nouvel An ?
Il posa la question sur un ton dangereusement calme, qu’elle connaissait
bien. Nagato l’employait parfois, lorsque sa mauvaise humeur le poussait à deux
doigts de la rupture psychotique. L’entendre chez Zachary, le gentil petit geek du
bout de la rue, son ami d’enfance, la choqua et, peut-être un peu, l’effraya. Mais,
persuadée qu’il ne lui ferait pas de mal et sans comprendre le rapport avec la
situation, elle acquiesça vaguement.
— J’suis ici tout le temps.
— Et t’es la seule à en vendre ?
— Euh, ça ira, tu ne veux pas une déposition signée non plus ? Et lâche moi
putain ! s’exclama-t-elle en le repoussant d’un coup de genou dans le sternum.
La respiration coupée, il recula de deux pas pour trouver un soutien près du
21
Summoner
mur. Sentant que la situation ne tournait vraiment pas à son avantage, Livia jugea
qu’il valait mieux s’éclipser. Aussi, elle profita des quelques secondes de répit pour
prendre la poudre d’escampette. Ou du moins, c’était son intention mais deux
femmes se matérialisèrent devant elle. Persuadée d’halluciner, elle détailla Star
Sword et Killer Tempter.
La première, des cheveux noirs, engoncée dans un costume de cuir qui
moulait ses formes comme seul un dessin peut le faire, portait une large claymore
dans son dos, dont la poignée était reliée par une chaîne autour de son poignet. Ses
bottes à jabot remontaient par-dessus son pantalon, lui-même rehaussé par un corset
mettant en avant sa poitrine généreuse. Un vrai délire de mecs, songea-t-elle avant
de regarder Killer Tempter, la blonde aux cheveux courts et en mini-jupe avec un
serre-taille rouge d’où pendait des chaînes et de longues griffes métalliques
empoisonnées en guise d’ongles. Livia n’avait pas lu les comics ou du moins, pas
avec attention, du coup elle manquait d’informations capitales à leur sujet. Elle les
feuilletait à l’époque, avec Zack et surtout, elle savait qu’un film était en préparation,
on n’arrêtait pas d’en parler à la télé.
Mais comment ces deux personnages pouvaient se tenir devant elle ? Elle
n’avait pas repéré ses copines en cosplay et de toute manière, elles semblaient
vraiment dessinées, mais bien réelles.
J’ai pris quoi, putain ?
La dealeuse se tourna vers Zachary. Deux petites sphères bleues
tournoyaient dans sa main gauche.
— Emparez-vous d’elle.
— T’es un mage ?! hurla Livia. Tu te fous de moi ou quoi ?! Non, attend, t’es
plus que ça…
L’électrochoc provoqué par la révélation lui décrocha la mâchoire. Ce tour,
elle l’avait déjà vu à la télé et surtout, en assistant au combat entre Aleksandr et le
Summoner. Impossible que ça soit Zack, il n’en avait tellement pas le profil ! Et
jamais elle n’avait décelé la moindre petite parcelle de magie en lui… Pourtant,
tandis qu’il remontait son masque pour dissimuler une partie de son visage, les deux
invocations obéirent à son ordre et s’emparèrent d’elle.
La situation tournait mal. Très mal. Elle ne possédait plus assez de sang
démoniaque pour invoquer les flammes de Dis de manière satisfaisante. Elle maudit
Aleksandr de toutes les manières possibles pour l’avoir empêchée de croiser Nagato.
Et Abygaël aussi, accessoirement, avec ses bonnes intentions à la con. Juste assez de
jus pour un seul essai, mais voulait-elle vraiment sa mort ? Pour la première fois de
sa vie, Livia hésita. Heureusement, quelqu’un lui ôta cette épine du pied, en la
personne des jumeaux Mathias et Théo, sous leur forme de loups. Le plus foncé des
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Summoner
deux, Théo, déséquilibra Zachary et pour protéger son visage, l’invocateur sacrifia
son bras où l’animal plantait ses crocs avec avidité. Immédiatement, Star Sword et
Killer Tempter se portèrent à son secours, tandis que Mathias se plaçait en position
agressive devant Livia, pour décourager quiconque souhaiterait s’en prendre à elle.
Son cœur battait la chamade, la situation dégénérait et elle ne comprenait pas pour
quelle raison, bien loin de s’imaginer le sort funeste subi par Jace, d’où l’état instable
de son ancien ami et accessoirement, actuel héros fouteur de merde dans ses
affaires.
Fait chier, putain.
23
Summoner
Salutations, Invocateur
Zachary ne s’était pas attendu à voir débarquer deux garous pour la
défendre, tout comme il n’avait pas prévu de perdre pied à ce point-là. La situation
se révélait bien pire qu’il ne l’imaginait : non seulement Jace était mort d’une
overdose mais en prime, cette dernière avait été provoquée par Livia César, une fille
avec qui il avait grandi, une fille en qui il avait confiance, la défendant bec et ongles
contre ses parents au moment où le pseudo secret autour de son nom de famille
filtra, au Collège. Il se haïssait pour sa naïveté, pour s’être à ce point trompé sur elle.
Quant à savoir si cela diffèrerait pour autant aujourd’hui, grande question qu’il
chassa pour se concentrer sur le combat en cours. La douleur dans son bras lui
vrillait le cerveau, provoquant des élancements qui remontaient dans tout son corps.
Il n’osait pas se débattre de trop, par crainte que l’animal arrache effectivement un
morceau de son bras, mais à ce rythme-là, il le lui rongerait sur son corps agonisant.
Il rappela les deux héroïnes, qui tentèrent d’obliger le garou à relâcher sa prise, mais
sans grand succès. Alors, Killer Tempter lui donna un bon coup à l’arrière du crâne,
qui le sonna suffisamment pour que Zachary puisse échapper à cette étreinte
impromptue.
Il se releva tant bien que mal, oscillant sur ses pieds, sonné par la violence de
l’attaque mais rendu plus fort parce qu’il avait déjà connu bien pire quelques mois
auparavant. Il garda son bras contre son corps, le bloquant avec son poignet pour ne
pas lâcher les sphères. Le combat ne se jouerait pas directement entre Zachary et
Livia, mais il déterminerait leur avenir ou son absence, à l’un comme à l’autre. Deux
contre deux, humaines contre animaux. Les vigilantes invoquées ne possédaient pas
de pouvoirs surnaturels ou mutants, simplement une grande maîtrise dans l’art du
combat à l’arme blanche. L’affrontement ne manquerait pourtant pas d’intérêt ou,
plutôt, de violence, de sang et de cris.
Les deux loups arboraient une carrure bien plus imposante que celle des
animaux que l’on trouve à l’état sauvage, doublant leur taille. Gueules ouvertes, leurs
canines ivoires saillaient et un peu de bave coulait de leurs babines rouges. Le poil
de l’un, noir d’encre, contrastait avec celui gris pâle de l’autre. Incapable de les
reconnaître et donc de les nommer, il s’en référa à leur couleur. Le foncé affrontait
Star Sword. Le clair, Killer Templer, comme pour s’accorder sur la teinte de leurs
cheveux. Ignorant cet heureux hasard, il observa la scène comme si elle ne se
déroulait pas vraiment sous leurs yeux mais plutôt dans un bon manga de baston.
Killer Templer, avec ses griffes métalliques, bloquait celles de l’animal sur un
cliquetis endiablé, qui se répétait à l’infini tandis qu’elle essayait de se sauvegarder.
Avec l’allonge de sa claymore, Star Sword rencontrait moins de difficultés et le loup
sautillait en arrière, ses yeux à l’intelligence beaucoup trop humaine cherchant une
faille dans sa garde. Ces mouvements le rapprochèrent de son complice et, contre
toute attente, il se jeta à la gorge de Killer Templer tandis que le second lui rentrait
24
Summoner
dans les jambes, la bousculant pour qu’elle tombe. Deux contre une, de quoi laisser
Star Sword sous le choc pendant plusieurs secondes. Une gerbe de sang jaillit dans
l’air et l’une des sphères s’éteignit, réduite en poussière. L’avantage avec les
invocations du monde des Rêves, c’est qu’elles ne mourraient jamais vraiment tant
qu’il restait quelqu’un pour croire en elles et alimenter leur diégèse. Néanmoins, il
ne pourrait la rappeler tout de suite et ce principalement parce qu’il commençait à
fatiguer.
Star Sword, hors d’elle et, dans son esprit, persuadée de la mort de son amie,
trancha dans le vif, éventrant presque l’un des loups. Livia cria, désespérée, en
voyant s’effondrer celui au pelage plus clair. Était-il mort ? Les entrailles qui
pointaient à travers son ventre encourageaient Zachary à le croire, mais le héros
n’était pas né de la dernière pluie et connaissait le truc, avec les garous. La claymore
de Star Sword n’était pas recouverte d’argent, il souffrirait mais ne mourrait pas.
Néanmoins, l’un des deux monstres hors-jeu, les chances de Star Sword
augmentaient. En bon gamer, il repensa à l’introduction du premier Castlevania et vu
la taille du loup restant, ils n’en étaient pas loin. Malheureusement, il ne connaissait
pas le combo pour le mettre hors d’état de nuire et sa concentration commençait à
flancher, à cause de la perte de sang.
Se ramassant sur lui-même, l’animal montra des crocs, menaçant, sans que la
manœuvre impressionne vraiment Star Sword. Son épée tourna lentement entre ses
doigts, puis elle agrippa fermement la garde et tenta une attaque frontale. Le loup
glissa sur le côté, la gueule ouverte, essayant d’attraper le mollet recouvert de cuir
mais il l’effleura à peine, juste le temps d’y laisser un filet de bave. La vigilante le
récompensa d’un coup de talon dans le nez, suivi de près par un jappement de
souffrance. Immédiatement, ses griffes acérées jaillirent, marquant la fesse et la
cuisse de la brune, déchirant ses fringues et sa peau comme une motte de beurre. A
son tour, elle cria sa douleur et tomba sur le sol, sans lâcher son épée. L’animal lui
sauta sur le dos, l’immobilisant de son poids, et fouilla sa nuque à la recherche d’un
morceau de chair à arracher. Elle se tortilla, lâcha sa lame et s’empara d’un
poignard plus petit, qu’elle parvint à planter dans la patte massive, déchirant les
tendons du monstre, l’empêchant de la poser par terre.
Quant à la suite, Summoner ne la vit pas. Il prit une décision, celle de
s’éclipser avec Livia, de la remettre à Rebekha pour qu’un procès soit ouvert. Mais
d’abord, il devait lui extorquer le nom de son fournisseur, du malade mental qui
fabriquait cette horreur.
Invoquant à nouveau ses ailes, il fonça sur la dealeuse et s’en empara avec
son bras valide. Heureusement pour lui, elle ne pesait pas grand-chose et ils
n’allaient pas très loin. Pour être honnête, Zachary ne savait même pas exactement
où il se dirigeait, ne connaissant absolument pas les méandres tortueux des
catacombes, encore moins aussi bien que Livia. Mais il s’en moquait. Avisant l’une
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Summoner
des nombreuses bouches d’égout que l’Empereur avait fait sceller pour essayer de
limiter les descentes, il invoqua Lux :
— Salutations, Invocateur.
L’avantage des personnages de League of Legends, c’est qu’ils ne posaient
pas de questions, habitués à être les jouets d’autres personnes, pour essayer de
résoudre de vieux conflits. Quant à l’environnement, ils se croyaient simplement sur
une nouvelle carte. La blonde s’inclina, souriante et motivée, écartant les pans en
voile autour de son pantalon gris.
— Anomalie radieuse juste là, s’il te plait, indiqua-t-il en montrant la sortie du
doigt.
Elle s’inclina et obéit, pointant son bâton magique dans la direction indiquée.
Un filet lumineux s’en échappa et explosa immédiatement. La bouche d’égout sauta,
laissant entrer un peu d’air libre et frais. Dans ses bras, Livia se débattait, donnant
des coups violents dans sa blessure pour qu’il la lâche, protestant, s’égosillant dans
le vide. Zachary ne frappait pas les femmes, encore moins ses amies, aussi
l’assommer n’était pas à l’ordre du jour, aussi tentant cela fusse-t-il. Il la passa à Lux.
— Prison arcanique et suis-moi, il faut qu’on s’éloigne d’ici le plus possSans avoir le temps de terminer sa phrase, une mâchoire puissante se
referma sur son mollet et pas de chance pour eux, il avait évidemment choisi une
sortie en pleine rue, relativement bondée. Les passants, habitués à des évènements
plus étranges qu’un loup-garou tentant d’arracher les jambes d’un jeune homme,
s’écartèrent, continuèrent leur route d’un pas pressé pour certains.
Heureusement, d’autres sortirent leur téléphone.
Hélas, pour filmer, pas pour appeler à l’aide.
Vérifiant que son masque tenait toujours bien en place, Zachary n’eut pas
besoin de donner un ordre à Lux. Cette dernière emprisonna le loup, le gratifiant
d’un regard mauvais. L’animal se jeta contre les parois de la prison transparente,
sans succès, échangeant un regard avec Livia dont la signification échappa au
Summoner. Lui, de son côté, essaya de garder un peu de contenance en se relevant,
époussetant ses vêtements.
— Eh mais c’est Summoner !
— Putain mais il était pas mort ce mec ?
— Il est pas en train d’enlever une nana ?
— J’crois pas que ce soit lui.
Il ouvrit la bouche pour protester, s’expliquer, puis laissa finalement tomber,
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Summoner
conscient que cela ne servirait à rien. Il utilisa ses dernières forces pour emmener
une Livia, dans une bulle magique, à l’écart. Il laissa Lux seule au milieu de la foule
la pressant de questions, histoire de ne pas perdre le contrôle sur sa prisonnière.
— Il est trop bien réussi le cosplay de la nana, my god !
— Eh, on peut faire une photo ?
Essaie toujours, mon gars, pensa-t-il. Heureusement, elle comptait parmi la
moins violente de ses invocations.
27
Summoner
Face à face entre deux mondes
Coincée dans une espèce de bulle énergétique, Livia tapait du poing comme
elle le pouvait, sans grand succès. Au moins ne se prenait-elle pas une décharge en
retour, Zack ou plutôt, le Summoner, ne se la jouait pas sadique avec elle. Son
inquiétude croissait pour Théo et elle jura que sa vengeance serait terrible. Après
tout, elle possédait un moyen de pression : s’il ne la laissait pas en paix, elle
révèlerait son identité à tout le monde, Aleksandr le premier, déchaînant les feux de
l’Enfer sur toutes les personnes importantes dans sa vie, puis sur lui-même. Livia
n’hésiterait pas une seule seconde, pas après tout ça. C’est pour ça que tu ne me
conduis pas tout de suite chez les flics hein, Zack ?
— Alors quoi, hein ? railla-t-elle. Qu’est-ce qu’on fait, maintenant, Summoner
?
— Si tu me donnes le nom de ton fournisseur, je te laisse partir.
La proposition semblait lui coûter, elle se demandait pour quelle raison
exactement. Peut-être nourrissait-il toujours de la rancune envers elle, pour la
dernière soirée qu’ils avaient passée ensemble ? Il ne laissait pas facilement tomber !
Mais elle doutait que cela soit aussi simple.
— Même pas dans un putain de rêve.
— Livia, t’es consciente que je vais t’emmener à la Bastille ?
La prison, reconstruite après la révolution de 1789, trônait fièrement dans le
centre de Parys et renfermait les pires criminels, les ennemis de l’Empire, les tueurs,
les violeurs, les criminels violents de manière générale. L’aile féminine jouissant
d’une réputation presque pire que celle des hommes. Elle déglutit, mais ne perdit
pas contenance :
— Techniquement j’ai pas vingt-et-un ans. Ils ne m’enfermeront pas là-bas.
— Oh que si, et même ta mère ne pourra pas t’en sortir.
De cela, Livia en doutait fortement mais elle ne répliqua pas, préférant
obtenir quelques informations, à son tour.
— Pourquoi tu tiens tant que ça à avoir le nom de mon dealer ? Tu comptes
faire quoi ? Intervenir pour qu’il ferme boutique ?
— Le livrer à la justice.
La répartie, clichée, attendue, lui arracha un rire moqueur.
— T’es bien naïf, si tu crois qu’il existe une seule prison dans tout l’Empire
capable de le retenir. Il n’a rien d’humain, crétin.
28
Summoner
— C’est un vampire, alors. J’aurais dû m’en douter…
Et sa colère décuplait, à mesure que l’amusement de Livia croissait.
— Un vampire ? Ah ah, tu penses vraiment qu’ils sont les seuls à exister ? La
Révélation les a mis en avant, avec les garous et les sorciers, par la force des choses,
mais tu n’imagines pas ce que renferme l’Outremonde, quel genre de monstres, bien
pire qu’Aleksandr, on peut y croiser.
— Et toi, comment pourrais-tu le savoir ? Aux dernières nouvelles, tu es
humaine.
— Aux dernières nouvelles, tu l’étais aussi.
— Donne-moi son nom, Livia, éluda-t-il.
Elle secoua la tête, bornée. La loyauté ne la poussait pas à garder secrète
l’identité de Nagato Ryúkage, la peur, par contre… Elle ne le trahirait pas, elle
préférait passer des années à la Bastille que de devenir la balance. Il y a des sorts
pires que la prison et même pire que la mort.
— Ne sois pas ridicule. Suffit de voir ta tête, il te terrifie. Je peux t’aider à
sortir de tout ça, de ce milieu, je me doute que c’est ta mère qui t’a poussée làdedans mais— Mais la ferme ! Putain, ferme-ta-gueule Zachary Blake ! Qu’est-ce que t’y
connais, à ma vie, à ma mère ? Arrête de chercher des excuses et regarde la vérité
en face, je suis comme je suis et peu importe ce que tu feras, ce que tu tenteras, je
ne te balancerais aucun nom. Je préfère me couper les cordes vocales, et les mains,
même me suicider, plutôt que de te répondre. Passe à autre chose !
De la sueur coulait de son front, à grosses gouttes. Il haletait, visiblement il
se sentait mal. La sphère dans sa main disparut, et il agrippa Livia par le col de sa
veste. Elle enfonça ses ongles dans son poignet.
— T’es en train de te vider de ton sang, l’informa-t-elle d’un ton agressif. Va à
l’hosto et fiche moi la paix. Je ne dirais pas qui tu es, si ça t’inquiète.
— Révèle mon identité, je m’en moque, je n’ai rien à perdre. On est déjà en
train de tout me prendre, ma ville est ravagée par une peste immortelle et toi, tu
contribues à la déchéance générale avec ta foutue drogue, qui rend les gens fous au
point d’éclater leur propre crâne sur un mur.
— Arrête de te donner un genre, t’as une famille, t’as des amis, on a tous
quelque chose à perdre.
— Tu m’as pris le meilleur d’entre eux, souffla-t-il contre son visage, avant de
la repousser contre le bord du toit.
29
Summoner
Elle se cogna douloureusement l’épaule. Heureusement qu’Aleksandr avait
léché sa plaie pour la guérir. Là, elle ne récolterait qu’un bleu et un engourdissement
passager.
— De quoi tu parles ? grogna-t-elle en jouant sur son articulation.
— Jace. La nuit du Nouvel An. Il a fait un bad trip de Magic-X et il a attaqué
une fille, avant de se fracasser le crâne contre le mur le plus proche.
Livia cligna des yeux, le temps que l’information remonte au cerveau, puis se
mordilla la lèvre inférieure. Voilà pourquoi la tête du type lui disait quelque chose…
Jace, le bon copain de Zack au Collège, le gars toujours souriant, blagueur, un peu
lourd mais pas méchant. Sa pilule avait déclenché le bad-trip, mais elle ne ressentait
pas de culpabilité pour autant. Chacun sa merde, si on lui achetait de la Magic-X, on
en assumait les conséquences. Surtout que lui, contrairement à eux, était majeur.
Certes, ça se jouait à quelque mois, mais…
— Et toi, t’as décidé que le vendeur était responsable ? Le mec est assez
grand pour savoir ce qu’il veut avaler ou pas, personne ne lui a enfoncé de la drogue
dans la gorge. Et ne me sors pas le couplet sur la fragilité, l’interrompit-elle. Remettoi deux secondes en question, qu’est-ce que tu cherches à faire ? Nettoyer les rues ?
Bonne chance. Et d’ailleurs, tu te prends pour qui, d’affirmer que TA vision de la vie
est la meilleure, celle que tout le monde DOIT absolument suivre ? Réveille-toi,
reviens sur terre, le vice est indissociable de l’humanité et tu auras beau te battre, ça
ne changera rien. A ta place, j’utiliserais mes pouvoirs pour m’assurer une vie
tranquille, t’es vraiment un abruti idéaliste. On n’est pas dans un comics, stoppe ton
délire de super-héros, t’es pitoyable.
— Non, t’as raison. Si on y était, y’aurait un peu de compassion en toi, il
resterait quelque chose de la fille que j’ai connue il y a des années.
Livia roula des yeux et jeta un regard plus bas. Quatre étages la séparaient
du sol, elle ne survivrait pas si elle sautait et risquait même de tomber sur quelqu’un.
Cela pourrait amortir sa chute, ou l’aggraver, en fonction. Un risque à prendre ?
Peut-être. Lui restait-il assez de puissance pour quelques étincelles ? Après tout,
l’avantage du FeuInfernal, c’est de brûler vite sans possibilité d’être annihilé, du
moins pas sans qu’elle le souhaite. En règle générale, Livia s’en servait surtout pour
frimer, elle ne le contrôlait pas bien. Y parviendrait-elle ici ? Hésiterait-elle ? Elle le
fixa, et décida que non, s’il persistait à vouloir l’emmener à la Bastille, elle passerait
à l’action.
Il s’approcha d’elle, mal en point. Vu la pâleur de son front, ni l’un ni l’autre
n’arriverait à destination.
— C’était sympa, mais tu ne m’en voudras pas, je te laisse ici.
30
Summoner
Il tenait toujours sur ses jambes et sa détermination sans faille lui donna
assez de force pour lui agripper le poignet. Il secoua la tête, sa poitrine se soulevant
de plus en plus vite.
— On va les attendre, toi et moi, murmura-t-il. Je resterais éveillé jusqu’à ce
qu’ils arrivent.
— De quoi tu parles ?
Il lui montra le dernier numéro composé sur son smartphone et elle reconnut
l’indicatif de l’armée impériale. Les renforts arrivaient et ne tarderaient plus. Elle
devait partir, maintenant, ou affronter une quantité astronomique de problèmes.
— Si seulement tu n’avais pas fait ça…
Elle secoua la tête et chercha à le gifler, pour toucher directement la peau de
son visage. Il intercepta le coup et de son autre main, elle effleura son espèce
d’armure, y transférant l’étincelle noire invoquée dans sa peau. Il ne remarqua
d’abord rien puis, baissant les yeux, il essaya d’éteindre la flamme à l’aide de ses
gants, avec pour seul effet qu’elle s’y répandit. Il se jeta au sol, roula, mais rien
n’étoufferait l’incendie que Livia observait, fascinée, oubliant totalement de s’en
aller. Comprenant qu’il n’arriverait à rien, Zack se débarrassa de ses vêtements,
galérant avec son bras blessé. Elle l’abandonna sans un remord à ce sort terrible,
s’engageant par l’échelle de secours…
31
Summoner
Ceci n'est pas une fin
Le soleil commençait à se lever, Zachary en avait vaguement conscience
tandis qu’il essayait d’enlever les morceaux… Infectés, faute d’un meilleur terme, de
son armure. Il ignorait quel genre de feu elle utilisait et ne comprenait même pas
comment cela pouvait être possible. Elle a toujours été humaine, non ? Mais lui aussi,
jusqu’à la mort de son oncle. Peut-être que Livia vivait une situation semblable, à
moins qu’elle n’ait pactisé avec des créatures peu recommandables. Parmi les choses
qui les rapprochèrent, à l’époque, comptait leur humanité partagée, cette absence de
pouvoirs extraordinaires, dans un monde où beaucoup de gens l’étaient. Avant
l’officialisation de la Révélation, Zachary avait espéré, prié, pour que ce moment
arrive, pour que ses lectures puissent se transposer à la réalité. Quant à Livia… Il
n’en savait rien. Sans doute que sa mère fréquentait des monstres, elle aussi. Quelle
importance, cette époque était révolue, un peu comme sa vie, là, tout de suite.
Quel super-héros minable, sérieusement, mes deux sorties les plus
extraordinaires, je finis à l’article de la mort. Sauf que cette fois, Rebekha ne sera
pas là pour…
— ZACHARY !
Cette voix, il la connaissait. Sa marraine, ici, sur ce toit, pendant qu’il se
démenait pour enlever les pièces d’armures en kevlar de son bras blessé. Ni une ni
deux, elle l’aida, lui arrachant un hurlement, la douleur le mettant littéralement à
genoux.
— Tes gants, Bekha, enlève-les maintenant !!
Sans comprendre, le lieutenant essaya d’éteindre le FeuInfernal sans y
parvenir. Elle paniqua, voulu suivre le conseil de Zack mais se toucha la peau. Avec
horreur, il l’imagina brûler sans fin… Mais une lumière aveuglante émanant du
collier que portait toujours Rebekha lui arracha la rétine, provoquant une perte de
conscience chez le Summoner, qui se demanda quel autre genre de secrets elle lui
cachait.
Il se réveilla dans une chambre d’hôpital, sans ses parents (comme
d’habitude), mais avec une voisine menottée sur le lit d’à côté. Il se demanda par
quel foutu concours de circonstance Livia se retrouvait dans la même chambre que
lui, surtout qu’il ne se souvenait pas qu’elle soit blessée, mais le plâtre à sa jambe
affirmait le contraire. La prenait-on pour une victime ? Attendait-on son témoignage
pour s’assurer de son innocence ? Rebekha reconnut-elle la jeune César ? Zachary se
redressa brusquement, déclenchant une douleur aigüe dans son bras.
— Respire, petit héros, je n’ai plus de jus.
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Summoner
Elle avait toujours les yeux fermés, l’air serein.
— T’as essayé de me tuer…
— Tu veux un mouchoir ? T’as essayé de m’enfermer.
— Ah parce que tu trouves que c’est équivalent ?! Tu vas aller en prison,
Livia. Je témoignerai contre toi.
— Et moi je m’empresserai de raconter à tout le monde que Zachary Blake est
le Summoner. Et de confirmer à qui de droit qu’il est bien en vie.
Il haussa les épaules.
— Peu importe, ça en vaut la peine. On va démanteler la famille César, ta
mère viendra te rejoindre, et ça sera déjà ça de moins.
Elle sourit, sereine.
— Je n’y resterais pas plus de vingt-quatre heures.
Zack fronça les sourcils.
— Comment ça ?
Elle rouvrit les yeux, un étrange éclat dans le regard.
— Ils vont venir me chercher, et tu comprendras que tu ne peux sauver ni
moi, ni le monde, et que tu aurais mieux fait de m’écouter quand tu en avais
l’occasion.
— Tu délires.
— Crois ce que tu veux.
Interdit, il la contempla pendant une bonne minute mais elle feignait à
nouveau de dormir. Des médecins l’emmenèrent passer des examens et Rebekha vint
le voir. Quand il lui raconta toute l’histoire, elle plaça immédiatement Livia en état
d’arrestation, sous les chefs d’accusation de trafic de drogue et agression aggravée.
Elle ne protesta pas et se laissa emmener, sans se départir de son sourire. Zachary
partagea ses craintes avec Rebekha, qui le rassura, lui affirmant qu’en tombant, elle
s’était probablement cognée la tête, mais que personne ne s’évaderait de là-bas,
César ou pas César.
La télévision lui donna tort des heures plus tard.
— Nous survolons actuellement en ballon la prison de la Bastille, où une
attaque spectaculaire est en cours depuis le crépuscule. Le groupe des Vrais et leur
meneur en personne, Aleksandr Konstantinov, ont mené une attaque contre la
célèbre prison, ouvrant toutes les cellules, relâchant dans la nature certains des plus
grands ennemis de l’Empire français. Nous ignorons, pour l’heure, ce qui a pu
33
Summoner
motiver cette action particulièrement violente. On peut supposer que tous les
gardiens sont morts et… Oh, regardez, il a écrit un message avec les cadavres !
Zoome bon sang, ZOOME !
« Ceci n’est pas une fin, Summoner. »
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