Summoner - Scribay
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Summoner - Scribay
Manon Elisabeth d'Ombremont Summoner Publié sur Scribay le 03/07/2016 Summoner À propos de l'auteur « Bien sûr que ça se passe dans ta tête, Harry, mais pourquoi donc faudrait-il en conclure que ce n'est pas réel ? » Harry Potter & les reliques de la mort. En quelques mots, je suis une auteure-rôliste de 23 ans. Écrire est ma passion, mon oxygène et j'espère pouvoir en faire mon métier. J'adore partager mes textes et récolter des avis pertinents, car on peut toujours s'améliorer. Je lis et écris de la SFFF, surtout la fantasy qui sort de l'ordinaire. La magie, c'est toute ma vie et j’exècre la réalité, qui m'ennuie profondément. Je n'ai pas ma langue dans ma poche, inutile d'user d'hypocrisie avec moi, je ne vous rendrais pas la politesse. Je pense que le monde est plus beau quand on fait preuve de franchise. J'ai beau être publiée, je partagerais TOUJOURS des textes en accès gratuit, parce que tout n'a pas à être monnayé. Mes textes publiés : - La chienne de l'ombre aux éditions Lancelot en 2015 (France: disponible en festivals uniquement. Belgique: disponible chez Kazabulles Liège, dans tous les Carrefours liégeois et par commande sur le site des éditions Lancelot.) - Le Nechtaànomicon aux éditions l'Ivre-Book en 2016 (papier prévu pour septembre 2016, numérique disponible partout) - Lune de Miel aux éditions l'Ivre-Book en 2016 (uniquement en numérique, sur toutes les plateformes) - Ma page chez mon éditeur: http://www.livre-book-63.fr/280-manon-elisabeth-dombremont À propos du texte Zachary Blake a raccroché sa cape de Summoner après avoir frôlé la mort ou du moins, le pensait-il... Jusqu'à ce qu'il cède à nouveau, une faiblesse qui entrainera la mort de son meilleur ami. Décidé à trouver les responsables, il va devoir enquêter dans les bas-fonds de Parys et se confronter à des souvenirs d'enfance qu'il pensait bien plus doux. Licence Summoner Tous droits réservés L'œuvre ne peut être distribuée, modifiée ou exploitée sans autorisation de l'auteur. 3 Summoner Table des matières Ce sont nos choix qui montrent ce que nous sommes Pour un peu de Magic-X Autant pour le style Retrouvailles dans les catacombes Issue fatale Salutations, Invocateur Face à face entre deux mondes Ceci n'est pas une fin 4 Summoner Ce sont nos choix qui montrent ce que nous sommes Zachary observait la tombe de son meilleur ami, le cœur serré. Il n’écoutait pas un mot des paroles du prêtre, ne prêtait absolument pas attention aux larmes de l’assemblée, trop concentré sur son sentiment de culpabilité. J’aurais dû être là. Oui, ce soir-là, il aurait dû être présent mais voilà, ses obligations l’appelaient ailleurs. Malgré les circonstances, son autre vie avait encore pris le dessus, le forçant à abandonner Jace, à cette soirée du nouvel an. Il le pensait entre de bonnes mains. Tellement bonnes que le lendemain, on a retrouvé son cadavre, songea-t-il, amer. L’autopsie conclut rapidement à une overdose de Magic-X, cette nouvelle drogue aux effets dévastateurs. Plus qu’un simple psychotrope, elle semblait conférer des pouvoirs surnaturels à tout ceux qui en avalaient. Une tentation trop forte pour certains et, vu le contexte actuel, comment leur en vouloir ? Zack savait son ami dépressif, mal dans sa peau, habitué à haïr le quotidien redevenu banal depuis… C’est ma faute ? Peut-être que je… Était-ce le geste mal intentionné de quelqu’un, glissant une pilule dans son verre pour une obscure raison ou plutôt une prise consciente ? Impossible d’affirmer ce qui provoqua l’accident et le résultat restait inchangé : son corps ne l’avait pas supporté. On parlait d’overdose, puisque la Magic-X se classait comme une drogue, mais en réalité, Jace avait été victime d’un accès psychotique le poussant d’abord à attaquer une fille à la soirée en question. Heureusement, il ne l’avait pas tuée. Par contre, il s’était éclaté la tête contre le mur des catacombes, rendant son visage méconnaissable. Quant à son cerveau… De la bouillie rosâtre répandue aléatoirement autour de son corps meurtri. Seule la mort l’avait empêché de continuer. Beaucoup de témoins l’avaient vu faire, certains avaient même essayé d’intervenir, sans le moindre succès. Jace n’était pas le premier à mal réagir à cette drogue. Elle n'offrait que des reliquats, des illusions, des impressions, mais ils vivaient dans un climat de guerre et la peur pouvait pousser aux pires extrémités. Des personnes mal intentionnées en profitaient pour s’enrichir et les soldats impériaux fermaient les yeux, à l’instar de la gendarmerie, préférant se concentrer sur la lutte contre les Vrais, ces vampires extrémistes cherchant à instaurer la domination des immortels sur les êtres humains. Leur meneur, Aleksandr Konstantinov, prince au sein de sa race, ravageait la capitale de l’Empire français depuis plusieurs mois et Zachary, avec ses pouvoirs, tentait d’aider comme il le pouvait. 5 Summoner Au détriment de tes proches et même du seul qui t’as toujours soutenu, sans qui tu ne serais peut-être même plus en vie. Tu l’as juste laissé tomber. Et t’as le culot de te dire super-héros ? Un frisson le parcourut, soufflé par le vent glacial et les flocons, tombant du ciel grisâtre et chargé. L’après-midi touchait à sa fin et lui n’avait toujours pas bougé, alors que même les parents de Jace s’en étaient allés depuis longtemps. — Tu vas attraper froid, Zack. En entendant cette voix, le jeune homme s’obligea à détourner le regard de la pierre tombale. Le lieutenant Rebekha Lawson appartenait à la Garde Nationale. Âgée de trente-six ans, elle culminait à un mètre soixante-douze. Ses cheveux noirs, bouclés, étaient dissimulés sous la capuche réglementaire. Ses traits avenants ne donnaient pas l’impression d’être face à une militaire, encore moins haut placée. Elle se maquillait peu, n’en ayant pas besoin. Une beauté naturelle, simple, avec un corps très ferme de sportive accomplie et un uniforme noir de circonstance, dont les barrettes sur les épaulières trahissaient le grade. Elle portait une arme à la ceinture de son pantalon et il devinait la bosse d’une autre dans sa botte. Elle tendit un parapluie transparent au-dessus de sa tête et il ne réagit pas. Ses iris bleus suintaient l’intensité de son désespoir mais les larmes refusaient obstinément de rouler sur ses joues, de lui offrir le soulagement dont il avait besoin. Il ne le méritait pas. — Attraper une pneumonie n’arrangera rien. — J’aurais dû être là… — Tu ne peux pas sauver tout le monde. — Mais lui, je le devais ! C’est… C’était mon meilleur ami. Sa voix se brisa et Rebekha n’esquissa pas un geste pour le prendre dans ses bras. Elle n’avait jamais été douée pour les relations sociales et ce malgré ses dons surnaturels. Humaine mais pas tout à fait, elle lisait les émotions des gens, ce qui la rendait très efficace dans son travail. Ce pouvoir se doublait d’un autre, la psychopathotactie, qui lui permettait, d’un simple toucher, de lire le passé des objets fortement chargés en souvenirs, positifs ou négatifs. Sa tendance à se déclencher sans prévenir forçait l’agent du gouvernement français à porter des gants en cuir quel que soit le temps, ce qu’on prenait pour une excentricité. Elle préférait garder le secret et Zachary ne s’était pas douté une seule seconde des capacités de sa marraine, jusqu’à ce qu’il hérite des pouvoirs de son oncle, la charge de Gardien du royaume des rêves en prime, et les problèmes inhérents à ce statut, pour couronner le tout. Encore aujourd'hui, tout cela lui semblait flou. Zachary avait un jour reçu un 6 Summoner médaillon par la poste, dans un colis qu'il pensait avoir commandé. En le touchant, une réaction magique fusionna son corps avec la pierre d'invocation, le transformant en Summoner et lui transmettant la lourde charge de veiller sur le Royaume des Rêves: cet endroit où vit tout ce que l'humain a un jour inventé, imaginé. Une infinité de mondes, avec, parfois, des failles qui permettent à deux univers d'entrer en contact, pour le meilleur et surtout pour le pire. Zachary était supposé empêcher que cela se produise. Mais il n'y avait pas que cela. Quelques années auparavant, un groupuscule de vampires surnommé les Vrais avaient entamé une guerre sanglante contre la race humaine et Zachary avait refusé de rester les bras croisés, utilisant ses pouvoirs pour les contrer. Rebekha l’avait soutenue, mais elle n’avait pas été la seule. Jace aussi, s’était démené pour l’aider. Son acolyte, comme il s’appelait lui-même en riant, transformant de ce fait Zachary en un super-héros, comme ceux des comics issus de l’Empire Britannique, très populaires chez eux. Summoner, l’Invocateur… Et pour cause. — Tu ne devais plus intervenir, Zack, tu m’avais promis, murmura-t-elle doucement. — J’ai pas pu… Quand j’ai reçu la notification sur mon smartphone, que j’ai vu la vidéo, je… J’ai cru que je pourrais l’arrêter. Empêcher que ce cauchemar continue. — Tu aurais pu te faire tuer, surtout ! Il lui lança un regard sombre. Mourir ? Il s’en moquait bien. Il ne comptait pas regarder son monde sombrer sans intervenir, d’autant qu’il possédait des capacités le rendant apte à affronter leur ennemi. — Je suis Summoner, je suis capable de vaincre Aleksandr. — La dernière fois, tu as terminé aux soins intensifs. Zack grinça des dents, sans répliquer. Aux yeux de tous et d’Aleksandr le premier, le héros avait trépassé quelques mois auparavant. Du haut de ses vingt ans, la tête remplie de rêves glorieux où il empêchait les ténèbres de recouvrir l’humanité, il s’était cru prêt à combattre un immortel surentrainé et maîtrisant parfaitement ses pouvoirs, tout le contraire de lui. Certes, ses dons réagissaient en phase avec son esprit, mais ses multiples invocations l’épuisaient rapidement et il ne gérait pas suffisamment bien les situations extrêmes pour donner le maximum de luimême. L’air de rien, Aleksandr lui inspirait une profonde terreur et il en avait honte. Honte, de ne pas être comme ces héros en papier qu’il admirait tant et qui affrontaient le danger la tête haute, sans trembler, même devant leur pire ennemi. Résultat ? Son corps avait fini en morceaux et lui, aux portes de la mort. Il ne 7 Summoner devait son salut qu’à la présence de Rebekha, qui commençait son apprentissage en magie de soin. Elle contint l’hémorragie jusqu’à l’arrivée des secours et là, d’autres personnes, mieux formées, parvinrent à le maintenir en vie. Plusieurs semaines de convalescence plus tard, Zack s’était résolu à disparaître de la circulation avec l'aide de Rebekha, déprimé, envahi par le sentiment d’être un moins que rien. — Je sais… Sauf que quand j’ai vu ça… J’ai juste pas pu m’en empêcher, avoua-t-il, mal à l’aise. Les souvenirs fourmillaient dans son esprit, explosant à la surface de sa conscience. Les humains, hypnotisés, forcés de se jeter du haut de la tour Eiffel, un pour chacun des douze coups de minuit. Le plan cadré sur le visage extatique, couvert de sang, du meneur des Vrais. La phrase hurlée en français : « 2015 sera l’année du vampire ! », reprise par une petite centaine d’immortels, autant les alliés importants et bien connus que les sous-fifres quelconques. L’image, sur le smartphone, ne laissait aucun doute sur la nature réelle de l’action en cours et immédiatement, Zachary s’était éclipsé, croisant le regard inquiet de Jace. Son ami avait esquissé un geste pour le rejoindre, mais quelqu’un l’avait retenu et, concentré sur son objectif, le Summoner s’était incarné en invoquant des ailes de vaillance dans son dos, les mêmes que celles du célèbre jeu-vidéo Diablo 3 -à savoir des ailes en flamme sacrée. Dire qu’il ne portait même pas son costume, ce soir-là… Il s’envola ainsi jusqu’au monument où se déroulait le drame, mais l’attaque avait été éclair et il ne restait plus personne en dehors des forces de l’ordre, au moment où le jeune homme arrivait sur place. Décidé à fouiller les environs, il abandonna au bout de plusieurs heures, rompu par la fatigue, le découragement, son estomac criant famine. Il ne songea pas à regarder son téléphone et s’endormit dans son lit, en le laissant en silencieux dans la poche de sa veste. Ce n’est que bien des heures plus tard qu’il apprit la nouvelle. — Écoute Zack, reprit Rebekha, le tirant de ses pensées. Laisse l’Empire lutter contre ses ennemis, tu as vingt ans, toute la vie devant toi… — Et quel genre de vie, exactement ? Même si, par miracle, vous parvenez à le vaincre, la Magic-X aura décimé la population et vous ne faites absolument rien, pour l’un comme pour l’autre ! — Tu sais bien que ce n’est pas si sim— Oh arrête ! le coupa-t-il, hors de lui. Ne me sors pas le couplet du « ce n’est pas si simple, tu ne vois pas tous les enjeux » blablaBLA ! Pour une fois, ce n’est pas Aleksandr qui a tué mon ami, ce sont ces trafiquants, qui vendent leur merde illégale au nez et à la barbe de l’Empire. Vous êtes dépassés, alors ne rejetez pas l’aide de ceux qui sont aptes à vous la donner. — L’année prochaine, tu n’auras qu’à t’engager et aider autant que tu le 8 Summoner veux, mais pour l’instant, tu es trop jeune et c’est comme ça. Je ne te le dis pas pour le plaisir, Zachary. Je sais que tu as d’immenses pouvoirs, des possibilités infinies, mais on n’est pas dans un jeu vidéo. Il ne suffit pas de volonté pour vaincre et tu ne peux pas recommencer éternellement en ressuscitant au cimetière ou en comptant sur le bon vouloir d’un healer zélé. Zachary ne répondit pas, mais l’expression blessée sur son visage en disait long. Geek et surtout gamer jusqu’au bout des ongles, il supportait mal les amalgames et Rebekha le savait très bien. Il planta sa marraine près de la tombe de feu son meilleur ami, invoquant à nouveau ses ailes grâce au talisman enfoncé dans sa poitrine, littéralement fusionné avec son corps. La sphère de Rêves brilla l’espace d’une seconde et il s’envola immédiatement, se fondant dans la tempête de neige. Au sol, Rebekha cria vainement son prénom. Elle abandonna, se maudissant pour ses derniers mots. 9 Summoner Pour un peu de Magic-X Livia contemplait son reflet dans le miroir, passant lentement ses mains sur les bandes de gazes sales qui recouvraient son cou et une partie de son épaule. La soirée du Nouvel An n’avait pas très bien tournée, mais son métier comportait des risques, elle en avait parfaitement conscience du haut de ses vingt ans. Fille d’Atia César, elle-même cheffe de la famille César, elle aidait sa mère dans les affaires de drogue avec son gang, les Centurions. Raison pour laquelle Livia s’occupait de distribuer la Magic-X dans les rues. Ceux que la drogue ne tuait pas, elle les rendait totalement accro et ramassait de jolies sommes au nez et à la barbe de tous. D’autres concurrents tentaient bien de s’élever, eux aussi, mais il n’existait qu’un seul fournisseur pour cette substance : celui des César. Un asiatique du nom de Nagato Ryúkage, qui cachait, en outre, un terrible secret. Sa mère était-elle déjà au courant, au moment où elle avait envoyé sa fille unique se ravitailler chez ce… Monstre ? Probablement et Livia le vivait plus comme une épreuve que comme une trahison. D’ailleurs, elles n’évoquaient jamais le sujet entre elles. Atia pénétra dans la chambre de sa fille, jetant un regard impérieux tout autour d’elle. Il n’était pas rare que des Centurions, pour la plupart les enfants des familles affiliées à celle des César, squattent cet endroit où régnait toujours un joyeux bordel. Pourtant, Livia essayait souvent de ranger mais la pièce semblait imperméable à toute forme d’organisation, aussi abandonnait-elle, au grand désespoir de sa mère. Comme quoi, on peut diriger la mafia sicilienne de Parys et rencontrer les mêmes problèmes domestiques que le clampin moyen. — Comment tu te sens ? demanda-t-elle, rivant son regard sur la blessure de sa fille unique. — Ça pique mais ça va. — Tu n’as pas changé ton bandage, lui reprocha-t-elle. Sans attendre la réponse, elle s’approcha jusqu’à s’agenouiller près d’elle et Livia remarqua alors la trousse de premiers secours qu’elle avait emporté. Une preuve que sa mère la connaissait bien… Sur ses talons suivit Lamya, une galga à la robe beige et cendre. L’animal très fin dégageait une impression de fragilité à laquelle il ne fallait pas se fier. Génétiquement modifiée après avoir été recueillie dans un refuge, l’animal ne vieillissait plus, résistait aux coups grâce à une peau aussi dure que le métal et surtout, possédait des dents acérées de prédateur. Livia comme Atia adoraient cette chienne, une vraie battante comme le répétait souvent sa mère, il suffisait de voir les nombreuses cicatrices sur son corps. Quant à savoir ce que la dame du crime faisait dans un refuge exactement… Mystère. Elle était tombée sous le charme de l’animal au premier regard et elles se ressemblaient assez. Le visage d’Atia, couturé de cicatrices lui aussi, se barra d’une expression 10 Summoner inquiète quand elle ôta les bandages. Son nez se fronça devant la plaie mal refermée, puisque Livia refusait d’arrêter de bouger. Elle aspergea la blessure d’iso-Bétadine et la jeune femme sursauta à cause de la brûlure, s’empêchant de gémir bien que les larmes lui montent aux yeux. Avec énergie, Atia frotta les tissus et Livia se décida à parler pour ne plus penser à sa mère qui la torturait, littéralement. — Nagato a envoyé la Magic-X pour ce soir ? — Je n’ai rien eu, non. — Quoi ?! Mais merde il ne me reste plus rien, j’ai tout écoulé au Nouvel An. Enfin, Clélia et Aurélien ont terminé après que ce taré m’ait sauté dessus. — Tu le connaissais ? — J’sais pas, j’crois pas. Pourtant, le visage de son agresseur lui semblait vaguement familier mais Livia avait beau retourner le problème dans tous les sens, rien ne lui venait. — Il a juste pété les plombs, je lui ai donné une seule pilule, mais y’a des gens qui savent pas supporter. Elle haussa les épaules, se rappelant trop tard de sa blessure. Le tiraillement lui arracha une exclamation douloureuse et un regard désapprobateur de sa génitrice, en train de remettre en place le pansement. Comme pour compatir, Lamya vint lui pousser les doigts avec son museau et Livia lui gratouilla l’oreille. — Quelle merde, cette drogue, releva Atia. — Ouais, mais ça se vend bien et à prix d’or… — Le business c’est le business, on n’est pas obligé d’aimer ce qu’on distribue. Par contre, que je ne te prenne pas à la goûter. La marijuana, je m’en tape, mais si tu touches à cette saleté, tu vas avoir des problèmes, jeune fille. Le ton menaçant d’Atia ne laissait pas place à la discussion et Livia se retint de préciser qu’elle était accro à bien pire. Jusqu’à récemment, elle n’entretenait aucun secret pour sa mère mais elle se voyait mal lui avouer la vraie nature de Nagato ou encore qu’il lui donnait de son sang démoniaque pour la fidéliser. Démoniaque au sens premier du terme, puisque Nagato appartenait à la race des démons. Ou plutôt, des « arakhes » comme ils disaient, et pas le dernier des sousfifres en plus… Elle n’aborderait pas plus le sujet d’Aleksandr, allié de l’asiatique, que la Dona ne portait pas du tout dans son cœur. Et pas uniquement pour son origine russe. Même si ça jouait beaucoup. — Promis, mamà, répondit humblement Livia. Satisfaite, Atia déposa un baiser presque tendre sur le front de sa fille et 11 Summoner sortit. Quant à la cheffe des Centurions, elle se redressa et partit en quête de vêtements pour sortir chercher son stock, puisqu’on ne daignait pas la livrer. Moins d’une heure plus tard, le chauffeur de sa mère la déposait devant le Cirque des Damnés. Pour ce qu’elle en savait, le nom faisait référence à une auteure assez célèbre de littérature fantastique, que Livia ne lisait pas, si bien qu’elle ne pouvait apprécier la ressemblance entre la façade du roman et celle qui se dressait devant elle. L’endroit avait tout du club gothique par excellence, on y proposait des spectacles plus ou moins macabres et il attirait une foule monstrueuse (dans tous les sens du terme) chaque soir. Mais en cette fin d’hiver, le crépuscule approchait seulement et la porte était toujours close, si bien qu’elle se dirigea vers l’entrée de service, située à la gauche du bâtiment. Elle frappa trois coups espacés et attendit plusieurs minutes avant de réitérer l’opération, agacée. Sa veste en cuir, bien que très jolie, ne la protégeait pas vraiment du froid et le pull noir en maille large, sous lequel elle n’avait enfilé qu’un débardeur, non plus. Heureusement, elle portait un pantalon et des DocMartens, sauvant ses jambes de la bourrasque hivernale. Il neigeait depuis cet après-midi et ses semelles crissaient sous une couche de neiges. La porte s’ouvrit finalement sur Abygaël, une sorcière aux cheveux ébènes qui s’occupait de la gestion du club. Mieux valait ne pas compter sur l’excentrique propriétaire pour tenir des comptes à jour, persuadé qu’être une créature infernale le dispensait forcément de payer des taxes. Heureusement, le fisc pouvait compter sur Abygaël. — Ah, c’est toi. Elle s’écarta pour la laisser passer. Livia appréciait cette fille, même si elle ne comprenait pas vraiment pourquoi elle s’emmerdait avec Nagato. Au moins, Abygaël ne lui jetait pas l’habituel regard réprobateur en mode « tu pourrais faire tellement mieux de ta vie », non. Elle lui parlait d’égale à égale, sans condescendance, sans essayer de lui apprendre la vie. — Je n’ai plus de Magic-X, j’avais appelé pour qu’on me livre mais quelqu’un n’a pas jugé bon d’y penser, expliqua-t-elle, un brin plus énervée qu’elle ne l’aurait voulu. — Tu lui as parlé, au téléphone ? — Non, j’ai laissé un message hier, ça ne décrochait pas. J’ai passé le premier jour de l’an à l’hosto. — J’ai entendu ça. Elle la jaugea, puis jugea qu’il n’y avait rien de grave puisqu’elle tenait sur ses deux jambes. Livia avait laissé exprès l’atèle des médecins dans sa chambre, 12 Summoner refusant de porter cet accessoire ridicule qui lui donnait, selon elle, l’air faible. Son épaule la lançait, son morceau de chair lui manquerait longtemps et sa cicatrice ne partirait jamais, mais elle n’était pas infirme pour autant. — Je vais te donner ce dont tu as besoin, inutile que tu descendes. Livia acquiesça, soulagée et déçue à la fois. Un tête-à-tête avec Nagato se révélait toujours intéressant et stimulant sur de nombreux tableaux mais même après plusieurs mois, il continuait de la mettre mal à l’aise. Elle n’était jamais certaine de s’en sortir vivante et vu sa dernière agression en date, elle préférait repousser quelque peu leur rencontre même si, au fond, un peu de sang l’aiderait à guérir plus vite. Suivant Abygaël dans un couloir étroit, elles descendirent d’un étage et poussèrent la première porte à droite, entrant dans une sorte de remise plutôt exiguë. Elle ôta le couvercle en bois d’une des caisses et s’empara de plusieurs sachets plastiques contenant des pilules roses estampillées « MX ». Elle en rangea certains dans la poche intérieure de sa veste, d’autres dans celles sur le côté, jusqu’à avoir pour une centaine en stock. Elle tiendrait ce soir, peut-être demain au cas où l’accident du Nouvel An laissait une marque trop profonde dans les esprits. Remerciant Abygaël d’un signe de tête, elle sortit de la pièce et percuta un torse nu aussi dur que du marbre. Elle perdit l’équilibre, se rattrapa de justesse au mur et lança un regard noir au responsable. Il lui rendit un sourire acéré de par ses canines pointant visiblement à l’extérieur. Un peu de sang noir coulait encore à la commissure de ses lèvres, signe évident qu’il s’était nourri de Nagato. Les yeux de Livia se fixèrent immédiatement sur le résidu d’hémoglobine et tout son corps vibra d’un désir impérieux de se jeter sur lui pour arracher ce délicieux nectar à sa lippe moqueuse. Mais sinon, non, je ne suis pas accro du tout. Voilà comment Nagato les gardait à sa botte ou plutôt, l’Ar’narakhe Nechtaàn : en les rendant dépendant de son sang. Elle gémit doucement, ses ongles crissèrent contre la pierre. Aleksandr Konstantinov, le meneur des Vrais, un monstre presque aussi terrible que le propriétaire des lieux, la toisa, provocateur. — Et ça ne s’excuse même pas. Oui, « ça ». Il ne lui parlait et ne la tolérait que lorsque Nagato en faisait autant. D’ailleurs, les choses allaient souvent plus loin entre eux mais elle ne devait pas y penser maintenant. Pas avec la proximité de l’hémoglobine. D’ailleurs, ce à quoi ils s’occupaient dans une chambre n’avait rien de très sérieux et ne constituait pas du tout une preuve d’attachement d’eux à elle. Le fait qu’elle en sorte en vie, par contre… Elle secoua la tête, vivement. — Faut que j’y aille, marmonna-t-elle. 13 Summoner Elle lui tourna le dos, le dépassant le plus rapidement possible mais il la rattrapa, la plaquant violemment contre les marches de l’escalier, appuyant sur son épaule. Un cri douloureux s’échappa de ses lèvres et, pour le vampire, l’air se teinta de senteurs cuivrées. Nul doute, ses points de suture s’étaient rouverts. Sans plus de cérémonie, il écarta sa veste, déforma son pull en l’étirant et arracha la gaze soigneusement serrée. Il fixa la blessure d’un air indéchiffrable sur le visage. Livia, de son côté, n’osait pas bouger et savait qu’Abygaël n’interviendrait pas. Sans prévenir, Aleksandr fondit sur sa plaie et au lieu de la mordre pour la punir, comme elle l’avait craint, la lécha avec application, déclenchant une série de picotements qui se muèrent en papillons dans le bas de son ventre. L’opération dura plusieurs minutes, la laissant finalement pantelante, essoufflée et surtout, totalement guérie. Puis il se releva, la plantant là, ne lui jetant même pas un regard. Elle déglutit, Abygaël soupira et secoua la tête. — Bon, bin… J’y vais alors, murmura Livia, clignant des paupières, toujours sous le coup de la surprise. Et elle s’éclipsa, avant que le vampire ne soit pris d’une idée un peu moins charitable. Après tout, elle avait du boulot ce soir. 14 Summoner Autant pour le style Debout devant le miroir de sa garde-robe, Zachary s’observait dans son costume de Summoner, se sentant vaguement idiot. Il ne dénotait pourtant pas au milieu de sa chambre aux murs tapissés de photographies mangas, de posters promotionnels pour des jeux-vidéos et autres goodies tirés de ses comics favoris. Notamment un magnifique collector de Star Sword et Killer Tempter, les deux criminelles phares de l’univers Ravmel. On devrait d’ailleurs plutôt les qualifier de vigilantes aux méthodes extrêmes, décidées à protéger les innocents en châtiant durement les tueurs, crachant sur une justice défaillante et l’appliquant au plus stricte sens du terme, sans se laisser corrompre. En plus d’être incroyablement sexy et balèzes, elles incarnaient un idéal, un reflet des besoins de la société. En tous cas, celle de Chtonya. Au début de sa carrière, le jeune héros respectait scrupuleusement la loi mais il comprit bien trop rapidement que cela ne suffirait pas pour protéger les innocents, si bien qu’il trouva son inspiration dans des comics plus sombres, plus durs, mais aussi plus réels. Le manichéisme n’existe que chez Disney, après tout. Détournant le regard des deux femmes dessinées, il tomba sur la large bibliothèque trônant à côté de son lit, pleine à craquer au point qu’il doive empiler ses nouvelles acquisitions dans une armoire. Il vivait dans un appartement plutôt spacieux, appartenant à son père, ambassadeur de l’Empire français. Il avait pourtant les moyens de se louer un studio quelque part puisqu’il travaillait mais, un peu égoïstement, il préférait aller à la facilité. Surtout que ç’avait été l’une des seules conditions à son départ de la demeure familiale. Zachary avait transformé l’endroit en paradis du geek et l’on pourrait disserter longtemps sur la pertinence d’utiliser ce terme. Le jeune homme se sentait ainsi, tout simplement, avec son bureau où s’entassaient les vieux boitiers de jeux et son ordinateur fixe où l’incroyable quantité d’icones cachait son fond d’écran. Avant d’hériter des pouvoirs de son oncle, il jouait énormément et en avait même fait son métier, s’étant acheté le matériel adéquat pour streamer, sous le pseudo de Zeckÿr. Mais depuis plusieurs mois, sa présence sur la toile se raréfiait, il délaissait les réseaux sociaux, sa centaine de messages sur son compte facebook, son amoncèlement d’e-mails, ses dix patchs de retard sur la moitié des jeux… Bref, il se sentait totalement à l’ouest, ancré dans une nouvelle réalité dont il se serait bien passé. Parfois, il rêvait de tout plaquer, mais décemment, il ne pouvait s’y résoudre. A la mort d’Augustus Blake, le pouvoir se transmettant de génération en génération à l’héritier mâle de leur lignée lui était revenu, puisque l’ancien gardien n’avait pas pris la peine d’enfanter. Et ça lui était tombé sur le coin de la tête sans prévenir, sous la forme d’un paquet reçu par la poste, assez étrangement. Franchement, qui utilise la poste pour transmettre un artefact magique surpuissant ? En l’ouvrant, il y avait trouvé un collier autour duquel pendait un morceau de miroir craquelé et sale, qu’il tenta vainement de nettoyer avec du produit à vitre. Rien, pas même un mot, ne 15 Summoner lui indiquait la provenance de l’objet. Du coup, très naturellement et poussé par une impulsion irrésistible, Zachary l’essaya. Une fois l’artefact autour de son cou, impossible de le retirer. Plus il s’acharnait, plus l’objet s’incrustait dans sa peau, jusqu’à finalement fusionner totalement avec lui. Quant aux conséquences… Désastreuses. Dès qu’il voyait un personnage fictif, ce dernier apparaissait dans son salon. Une chance pour lui, son regard tomba d’abord sur sa peluche de mog postier, rien de bien dangereux en somme, juste une crise cardiaque quand il se matérialisa dans son salon. Par contre, quand son écran de veille afficha l’image de Katarina du Royaume en Guerre, la situation se corsa drastiquement et lui coûta non seulement un écran d’ordinateur mais aussi de belles entailles aux doigts, en plus d’un séjour aux urgences. Elle disparut au moment où il s’évanouit en se cognant la tête contre son parquet mais les mésaventures s’étaient multipliées, l’obligeant à se couper du monde extérieur, n’osant plus approcher le moindre appareil électronique, se cachant sous sa couverture pour éviter d’apercevoir le moindre petit bout de poster au mur. Malheureusement, son imagination galopait malgré lui et il eut rapidement besoin d’aide. Jace la lui fournit. Puis Rebekha. Ensemble et après enquête, ils découvrirent les origines de ses pouvoirs, ainsi qu’une manière de les contrôler. Tout aussi important, ils lui choisirent une identité secrète (celle du Summoner, la version anglaise du mot « invocateur » parce que ça sonne toujours plus cool en anglais) et un costume. Ce dernier était près du corps, constitué d’un tissu sombre avec des plaques supposées parer les balles, une série de languettes sur son torse, un large manteau et des gants, puis un masque aussi, forcément. Honnêtement, ç’avait été le point le plus compliqué. Zachary était parti sur une idée de tenue à la mode mage, mais Jace, parodiant une certaine styliste dans un certain film s’était écrié « Jamais de cape ! » ce qui excluait le capuchon type du sorcier, au grand désespoir de Zack. Du coup, en chipotant dans ses cartes Magic pour essayer d’y puiser l’inspiration, il était tombé sur Jace, le détisseur de secrets. Et, accessoirement, amoureux de sa tenue. Le fait que la carte porte le même prénom que son ami était un hasard, mais il choisit d’y voir un signe et opta pour cela. Hélas, il lui manquait toujours le masque, il opta alors pour une capuche plus profonde et un morceau de tissu noir, tendu sur son nez et sa bouche, jusqu’à son menton imberbe. Plus discret, oui. Mais quand-même. Et cela n’avait pas empêché Aleksandr de contempler son visage ensanglanté et tuméfié, après le passage à tabac dont il avait été la victime. — Est-ce que c’est vraiment une bonne idée ? demanda-t-il à son reflet. 16 Summoner Il n’obtint pas de réponses, juste un visage sur lequel se reflétait l’angoisse et la preuve flagrante d’à quel point il se sentait perdu. Paumé, coupable, il ne pouvait rien contre le fléau vampire, mais trouver les revendeurs de Magic X pour les empêcher de nuire, la mission entrait davantage dans ses compétences. Pour cela, il devrait descendre dans les catacombes de Parys, enquêter discrètement, peut-être se faire passer pour un client… Dans ce cas, costume à exclure ou à cacher sous un manteau ample, différent de celui d’origine. Une chance, il en possédait un en cuir depuis son cosplay Neo pour la Comicon de Londres en 2009, à l’époque où son père était en poste là-bas et lui, embarqué dans ses bagages. En gothique, il se fondrait dans la masse, non ? Pour donner le change, il chercha un peu de maquillage mais n’en trouva pas. Les seules filles à avoir passé la porte de son appartement étaient les copines de ses potes, pour des LANs en groupe. Lui-même, plutôt timide, se cantonnait au rôle du bon copain, coincé ad vitam aeternam dans la friendzone, coup de cœur ou pas. Puis, au moment d’hériter de ses pouvoirs, il avait franchement pensé à autre chose, et ce même si Jace lui répétait qu’il devait se trouver une fille sexy, pour l’histoire d’amour obligatoire à tout bon super-héros. #clichay, comme on dit, songea-t-il. — Non, définitivement, ce n’est pas une bonne idée, décida-t-il tout haut. Pourtant, il s’empara du manteau, l’enfila et partit, se tournant en produisant un mouvement de flottement du bas de son vêtement. Tout en style. Il ne manquait que la musique en fond sonore, un morceau bien épique, style préparation à la bataille finale. Une fois dans la rue, il remonta en quatrième vitesse pour chercher son téléphone portable, oublié sur la table basse du salon. Autant pour le style. 17 Summoner Retrouvailles dans les catacombes Zachary ne connaissait pas les passages supposés mener aux catacombes et, une fois en bas de chez lui, utilisa son smartphone pour effectuer une recherche Internet. Pas besoin d’entrer dans le darknet, il suffisait de connaître le bon site et d’avoir le bon mot de passe. Sans grande surprise, on lui indiqua une entrée passant par le soubassement d’un bar relativement sordide, à l’autre bout de la ville par rapport à l’endroit où il se trouvait. Préférant ne pas perdre de temps, il emprunta le métro jusqu’à destination et se repéra sur le street view pour ne pas se perdre une fois sorti à la bonne station. Le nez sur son écran, il ne regardait pas vraiment autour de lui, se fiant à la technologie et arriva enfin devant la matérialisation même du bouge crasseux, à la façade ruinée par une série de tags plus ou moins évocateurs, avec des vitres qui n’avaient plus vu la surface d’une éponge depuis au moins six siècles, époque d’où datait le bâtiment, d’ailleurs. Secouant la tête, il inspira un bon coup et emprunta les marches, descendant dans les profondeurs obscures d’un club à la musique indescriptible, et à l’odeur nauséabonde. Fraîcheur vomi, fragrance hépatite. Plutôt que de tourner à gauche et de rejoindre les fêtards, il continua, selon les indications de son téléphone, dans ce qui ressemblait à une impasse, à première vue. Mais en appuyant sur la bonne brique, le mur s’écarta devant lui, l’invitant à s’enfoncer toujours plus loin. Désormais, l’air fleurait bon l’humidité, le renfermé, l’alcool aussi, la fumée et, bien entendu, les égouts. Il éclairait devant lui grâce à la lampe de poche intégrée à son téléphone, heureusement chargé au maximum. Et maintenant ? songea-t-il, sans savoir par où s’orienter. Il choisit une direction au hasard, d’où lui parvenaient des bruits de voix. Il déboula dans une galerie plus large et aperçut des gens se baisser pour passer par une porte à la fois basse et étroite. Un type baraqué le détailla de bas en haut et décida que sa tête lui revenait assez pour qu’il le laisse passer. Zachary suivit donc le même chemin et arriva dans une vaste salle où trônait un orgue, sur lequel dansaient des filles en tenues légères. Tout naturellement, le Summoner s’interrogea sur la manière dont on avait pu amener un objet de cette taille (il parlait évidemment de l’instrument de musique et non des seins nus des danseuses) dans cet endroit clos mais chassa rapidement ces considérations pour se concentrer sur le plus important : trouver un revendeur de Magic-X. Son objectif se révéla plus simple à réaliser dans son esprit. En observant les gens présents, il était incapable de dire qui dealait, qui consommait, parfois il ne parvenait même pas à définir le genre de la personne. Se calant dans un coin, trouvant un cadavre de bière au sol histoire de ne pas paraître trop suspect, il scruta les invités de cette soirée improvisée à travers les lumières stroboscopiques, essayant de passer outre le désagréable beat résonnant dans sa poitrine, accélérant les mouvements de son cœur. Des cheveux tournoyaient, des corps s’enlaçaient, même les vêtements brillaient d’un éclat fluo. Certains se tombaient dans les bras, 18 Summoner d’autres se serraient la main et… Là ! Zachary distingua un morceau de billet plié, qu’une fille rangeait soigneusement dans sa poche. Contrairement à beaucoup, elle ne semblait pas sous l’influence de stupéfiants. Elle aussi observait, à la recherche de clients potentiels. Et que vendait-elle ? Weed, ecstasy, cocaïne, Magic-X, avec un peu de chance ? Il décida de la prendre en filature, essayant de se montrer discret. Il passa les heures suivantes à ne pas la quitter des yeux, jusqu’à posséder suffisamment de certitudes sur sa marchandise pour la confronter. Témoin de nombreux échanges, il avait entraperçu les petites pilules et aurait mis sa main à couper que ce n’était pas de l’ecstasy ou du moins pas que cela. Dans le pire des cas, il ne risquait rien à l’aborder mais comment ? Analysant le comportement de certains clients, il choisit d’y aller franco et de poser la question, simulant un état d’ébriété tout en agitant un billet sous son nez. L’excitation le rendait fébrile, cette sensation d’être utile, de servir à quelque chose, l’enivrait aussi efficacement que n’importe quel alcool. N’était-ce pas trop facile ? Il s’en moquait. Il passa son bras autour de sa taille et approcha son visage du sien. — Eh, t’aurais pas quelque chose pour moi ? demanda-t-il en haussant la voix pour couvrir la musique. Elle se recula brutalement, le repoussant avec plus de force qu’il ne s’y attendait pour un corps aussi frêle. Son regard dégoûté et condescendant s’adoucit sous le coup de la surprise, et Zachary lui-même n’en menait pas bien large, à ce moment-là. Cette fille, il la connaissait. Elle s’appelait Livia César, ils avaient grandi ensemble. Et il fantasmait sur elle depuis… Pfiou, au moins ça. Attend une minute, elle deale de la drogue ? C’est quoi ce délire ? 19 Summoner Issue fatale Livia fixa Zachary d’un air interdit. Elle ne l’avait pas reconnu directement et n’appréciait pas franchement qu’on se permette ce genre de familiarités sans son autorisation. A deux doigts de lui coller une droite, elle se retint une fois qu’elle le reconnut. C’est qu’il n’avait pas franchement changé, depuis le collège… Elle ouvrit la bouche pour parler, mais rien n’en sortit. Depuis quand il trainait dans ce genre d’endroit, le gentil geek fils à papa ? Enfin la rébellion tant attendue ? Il ne venait pas sérieusement de lui demander de la drogue, si ? Elle ne comptait pas lui filer de la Magic-X, pas stupide au point de donner des preuves à charge à quelqu’un trainant dans ce genre de milieu sans s’assurer au préalable de sa fiabilité. On l’utilisait peut-être pour la piéger, des gens de son entourage appartenaient la police impériale, son père était ambassadeur, bref, un gratin infréquentable pour une César. Mais voilà, ils vivaient dans la même rue et en le voyant emménager, en train de lire tout seul sous l’arbre devant chez lui, elle avait été lui parler. A quatre ans tout juste, Livia n’était pas encore une princesse criminelle, ni même une princesse tout court. Ils trainèrent ensemble, il connaissait certains des Centurions d’ailleurs et comme ses parents n’étaient jamais là, ils squattaient son salon, leur bonne n’osant pas protester contre l’invasion de la petite César et de ses amis. Puis Zack partit à Londres un peu avant le collège. Il revint quelques fois à Parys, mais depuis la deuxième année de Lycée, ils n’avaient plus eu de contact. Et la dernière fois, elle l’avait fait boire à une fête, le soulant pour le plaisir, comme pour tester ses limites. Malgré leurs milieux diamétralement différents, quand il avait appris qu’elle s’appelait César, il n’avait pas fui, prétextant qu’elle n’était pas sa mère et, au début, Livia n’avait pas eu le cœur à le contredire. Il n’incarnait pas sa conscience. Il ne la sortirait pas du milieu criminel. Peu importe ses ambitions, elle préférait les tuer dans l’œuf, d’où le tour dramatique de la dernière soirée. Non, vraiment, qu’est-ce qu’il fiche ici ? Elle hésita, cherchant du regard l’un de ses amis, n’importe qui, mais personne ne semblait leur prêter attention. Cela dit, elle restait sincèrement curieuse de savoir pourquoi il se trouvait dans ce genre d’endroits. Alors elle lui attrapa le poignet d’autorité et le tira derrière lui, pour sortir de cette fête et réussir à s’entendre un peu. — Livia attElle ne lui laissa pas la possibilité d’en placer une. Il se cogna en passant la petite porte et elle le libéra, certaine qu’il la suivrait. Choisissant une galerie qu’elle connaissait bien dans un renfoncement obscur, elle croisa les bras sous sa poitrine. 20 Summoner Elle portait un tshirt déchiré à l’effigie du groupe Eths, ainsi qu’un mini-short et des collants à motifs. Lui ? Une pseudo tentative de ressembler à un stéréotype de gothiques. Hélas, pas de vernis noir sur les ongles, pas de bagues agressives, pas de maquillage, pas de teinture pour jouer à fond le délire. Il portait juste cette veste, et même pas les chaussures adaptées. Sérieux, qui met des vans avec un manteau en cuir ? Elle roula des yeux après avoir terminé son inspection. — Qu’est-ce que tu fiches dans un endroit pareil ? demanda-t-elle. — Je te retourne la question. J’ai pas rêvé, tu deales ? — Eh, je t’ai pas demandé ton c.v. que je sache. — Livia… Me dis pas que tu vends de la Magic-X. Il semblait sincèrement déboussolé, mal à l’aise, en colère aussi, peut-être. Une foule d’émotions passaient dans son regard et il n’était toujours pas doué pour les cacher. Étrangement, elle se sentit gênée et ce sentiment la révolta. Pour qui se prenait-il, à la juger ? — C’est pas tes oignons. Mais la réponse ne semblait pas acceptable. Alors il lui attrapa le poignet, l’immobilisant avec rapidité dans une prise aussi inattendue qu’efficace. Elle se débattit en l’insultant tandis qu’il la pelotait de sa main libre, jusqu’à trouver l’un de ses derniers pax de Magic-X. Son poing se serra autour du plastique et il évita son regard. — Quoi ? provoqua-t-elle. Ca te choque, que Livia César reprenne l’affaire familiale ? Non mais tu croyais quoi exactement, Zack ? Et qu’est-ce que tu fous dans les catacombes ? C’est pas ton monde. — T’étais ici, la nuit du Nouvel An ? Il posa la question sur un ton dangereusement calme, qu’elle connaissait bien. Nagato l’employait parfois, lorsque sa mauvaise humeur le poussait à deux doigts de la rupture psychotique. L’entendre chez Zachary, le gentil petit geek du bout de la rue, son ami d’enfance, la choqua et, peut-être un peu, l’effraya. Mais, persuadée qu’il ne lui ferait pas de mal et sans comprendre le rapport avec la situation, elle acquiesça vaguement. — J’suis ici tout le temps. — Et t’es la seule à en vendre ? — Euh, ça ira, tu ne veux pas une déposition signée non plus ? Et lâche moi putain ! s’exclama-t-elle en le repoussant d’un coup de genou dans le sternum. La respiration coupée, il recula de deux pas pour trouver un soutien près du 21 Summoner mur. Sentant que la situation ne tournait vraiment pas à son avantage, Livia jugea qu’il valait mieux s’éclipser. Aussi, elle profita des quelques secondes de répit pour prendre la poudre d’escampette. Ou du moins, c’était son intention mais deux femmes se matérialisèrent devant elle. Persuadée d’halluciner, elle détailla Star Sword et Killer Tempter. La première, des cheveux noirs, engoncée dans un costume de cuir qui moulait ses formes comme seul un dessin peut le faire, portait une large claymore dans son dos, dont la poignée était reliée par une chaîne autour de son poignet. Ses bottes à jabot remontaient par-dessus son pantalon, lui-même rehaussé par un corset mettant en avant sa poitrine généreuse. Un vrai délire de mecs, songea-t-elle avant de regarder Killer Tempter, la blonde aux cheveux courts et en mini-jupe avec un serre-taille rouge d’où pendait des chaînes et de longues griffes métalliques empoisonnées en guise d’ongles. Livia n’avait pas lu les comics ou du moins, pas avec attention, du coup elle manquait d’informations capitales à leur sujet. Elle les feuilletait à l’époque, avec Zack et surtout, elle savait qu’un film était en préparation, on n’arrêtait pas d’en parler à la télé. Mais comment ces deux personnages pouvaient se tenir devant elle ? Elle n’avait pas repéré ses copines en cosplay et de toute manière, elles semblaient vraiment dessinées, mais bien réelles. J’ai pris quoi, putain ? La dealeuse se tourna vers Zachary. Deux petites sphères bleues tournoyaient dans sa main gauche. — Emparez-vous d’elle. — T’es un mage ?! hurla Livia. Tu te fous de moi ou quoi ?! Non, attend, t’es plus que ça… L’électrochoc provoqué par la révélation lui décrocha la mâchoire. Ce tour, elle l’avait déjà vu à la télé et surtout, en assistant au combat entre Aleksandr et le Summoner. Impossible que ça soit Zack, il n’en avait tellement pas le profil ! Et jamais elle n’avait décelé la moindre petite parcelle de magie en lui… Pourtant, tandis qu’il remontait son masque pour dissimuler une partie de son visage, les deux invocations obéirent à son ordre et s’emparèrent d’elle. La situation tournait mal. Très mal. Elle ne possédait plus assez de sang démoniaque pour invoquer les flammes de Dis de manière satisfaisante. Elle maudit Aleksandr de toutes les manières possibles pour l’avoir empêchée de croiser Nagato. Et Abygaël aussi, accessoirement, avec ses bonnes intentions à la con. Juste assez de jus pour un seul essai, mais voulait-elle vraiment sa mort ? Pour la première fois de sa vie, Livia hésita. Heureusement, quelqu’un lui ôta cette épine du pied, en la personne des jumeaux Mathias et Théo, sous leur forme de loups. Le plus foncé des 22 Summoner deux, Théo, déséquilibra Zachary et pour protéger son visage, l’invocateur sacrifia son bras où l’animal plantait ses crocs avec avidité. Immédiatement, Star Sword et Killer Tempter se portèrent à son secours, tandis que Mathias se plaçait en position agressive devant Livia, pour décourager quiconque souhaiterait s’en prendre à elle. Son cœur battait la chamade, la situation dégénérait et elle ne comprenait pas pour quelle raison, bien loin de s’imaginer le sort funeste subi par Jace, d’où l’état instable de son ancien ami et accessoirement, actuel héros fouteur de merde dans ses affaires. Fait chier, putain. 23 Summoner Salutations, Invocateur Zachary ne s’était pas attendu à voir débarquer deux garous pour la défendre, tout comme il n’avait pas prévu de perdre pied à ce point-là. La situation se révélait bien pire qu’il ne l’imaginait : non seulement Jace était mort d’une overdose mais en prime, cette dernière avait été provoquée par Livia César, une fille avec qui il avait grandi, une fille en qui il avait confiance, la défendant bec et ongles contre ses parents au moment où le pseudo secret autour de son nom de famille filtra, au Collège. Il se haïssait pour sa naïveté, pour s’être à ce point trompé sur elle. Quant à savoir si cela diffèrerait pour autant aujourd’hui, grande question qu’il chassa pour se concentrer sur le combat en cours. La douleur dans son bras lui vrillait le cerveau, provoquant des élancements qui remontaient dans tout son corps. Il n’osait pas se débattre de trop, par crainte que l’animal arrache effectivement un morceau de son bras, mais à ce rythme-là, il le lui rongerait sur son corps agonisant. Il rappela les deux héroïnes, qui tentèrent d’obliger le garou à relâcher sa prise, mais sans grand succès. Alors, Killer Tempter lui donna un bon coup à l’arrière du crâne, qui le sonna suffisamment pour que Zachary puisse échapper à cette étreinte impromptue. Il se releva tant bien que mal, oscillant sur ses pieds, sonné par la violence de l’attaque mais rendu plus fort parce qu’il avait déjà connu bien pire quelques mois auparavant. Il garda son bras contre son corps, le bloquant avec son poignet pour ne pas lâcher les sphères. Le combat ne se jouerait pas directement entre Zachary et Livia, mais il déterminerait leur avenir ou son absence, à l’un comme à l’autre. Deux contre deux, humaines contre animaux. Les vigilantes invoquées ne possédaient pas de pouvoirs surnaturels ou mutants, simplement une grande maîtrise dans l’art du combat à l’arme blanche. L’affrontement ne manquerait pourtant pas d’intérêt ou, plutôt, de violence, de sang et de cris. Les deux loups arboraient une carrure bien plus imposante que celle des animaux que l’on trouve à l’état sauvage, doublant leur taille. Gueules ouvertes, leurs canines ivoires saillaient et un peu de bave coulait de leurs babines rouges. Le poil de l’un, noir d’encre, contrastait avec celui gris pâle de l’autre. Incapable de les reconnaître et donc de les nommer, il s’en référa à leur couleur. Le foncé affrontait Star Sword. Le clair, Killer Templer, comme pour s’accorder sur la teinte de leurs cheveux. Ignorant cet heureux hasard, il observa la scène comme si elle ne se déroulait pas vraiment sous leurs yeux mais plutôt dans un bon manga de baston. Killer Templer, avec ses griffes métalliques, bloquait celles de l’animal sur un cliquetis endiablé, qui se répétait à l’infini tandis qu’elle essayait de se sauvegarder. Avec l’allonge de sa claymore, Star Sword rencontrait moins de difficultés et le loup sautillait en arrière, ses yeux à l’intelligence beaucoup trop humaine cherchant une faille dans sa garde. Ces mouvements le rapprochèrent de son complice et, contre toute attente, il se jeta à la gorge de Killer Templer tandis que le second lui rentrait 24 Summoner dans les jambes, la bousculant pour qu’elle tombe. Deux contre une, de quoi laisser Star Sword sous le choc pendant plusieurs secondes. Une gerbe de sang jaillit dans l’air et l’une des sphères s’éteignit, réduite en poussière. L’avantage avec les invocations du monde des Rêves, c’est qu’elles ne mourraient jamais vraiment tant qu’il restait quelqu’un pour croire en elles et alimenter leur diégèse. Néanmoins, il ne pourrait la rappeler tout de suite et ce principalement parce qu’il commençait à fatiguer. Star Sword, hors d’elle et, dans son esprit, persuadée de la mort de son amie, trancha dans le vif, éventrant presque l’un des loups. Livia cria, désespérée, en voyant s’effondrer celui au pelage plus clair. Était-il mort ? Les entrailles qui pointaient à travers son ventre encourageaient Zachary à le croire, mais le héros n’était pas né de la dernière pluie et connaissait le truc, avec les garous. La claymore de Star Sword n’était pas recouverte d’argent, il souffrirait mais ne mourrait pas. Néanmoins, l’un des deux monstres hors-jeu, les chances de Star Sword augmentaient. En bon gamer, il repensa à l’introduction du premier Castlevania et vu la taille du loup restant, ils n’en étaient pas loin. Malheureusement, il ne connaissait pas le combo pour le mettre hors d’état de nuire et sa concentration commençait à flancher, à cause de la perte de sang. Se ramassant sur lui-même, l’animal montra des crocs, menaçant, sans que la manœuvre impressionne vraiment Star Sword. Son épée tourna lentement entre ses doigts, puis elle agrippa fermement la garde et tenta une attaque frontale. Le loup glissa sur le côté, la gueule ouverte, essayant d’attraper le mollet recouvert de cuir mais il l’effleura à peine, juste le temps d’y laisser un filet de bave. La vigilante le récompensa d’un coup de talon dans le nez, suivi de près par un jappement de souffrance. Immédiatement, ses griffes acérées jaillirent, marquant la fesse et la cuisse de la brune, déchirant ses fringues et sa peau comme une motte de beurre. A son tour, elle cria sa douleur et tomba sur le sol, sans lâcher son épée. L’animal lui sauta sur le dos, l’immobilisant de son poids, et fouilla sa nuque à la recherche d’un morceau de chair à arracher. Elle se tortilla, lâcha sa lame et s’empara d’un poignard plus petit, qu’elle parvint à planter dans la patte massive, déchirant les tendons du monstre, l’empêchant de la poser par terre. Quant à la suite, Summoner ne la vit pas. Il prit une décision, celle de s’éclipser avec Livia, de la remettre à Rebekha pour qu’un procès soit ouvert. Mais d’abord, il devait lui extorquer le nom de son fournisseur, du malade mental qui fabriquait cette horreur. Invoquant à nouveau ses ailes, il fonça sur la dealeuse et s’en empara avec son bras valide. Heureusement pour lui, elle ne pesait pas grand-chose et ils n’allaient pas très loin. Pour être honnête, Zachary ne savait même pas exactement où il se dirigeait, ne connaissant absolument pas les méandres tortueux des catacombes, encore moins aussi bien que Livia. Mais il s’en moquait. Avisant l’une 25 Summoner des nombreuses bouches d’égout que l’Empereur avait fait sceller pour essayer de limiter les descentes, il invoqua Lux : — Salutations, Invocateur. L’avantage des personnages de League of Legends, c’est qu’ils ne posaient pas de questions, habitués à être les jouets d’autres personnes, pour essayer de résoudre de vieux conflits. Quant à l’environnement, ils se croyaient simplement sur une nouvelle carte. La blonde s’inclina, souriante et motivée, écartant les pans en voile autour de son pantalon gris. — Anomalie radieuse juste là, s’il te plait, indiqua-t-il en montrant la sortie du doigt. Elle s’inclina et obéit, pointant son bâton magique dans la direction indiquée. Un filet lumineux s’en échappa et explosa immédiatement. La bouche d’égout sauta, laissant entrer un peu d’air libre et frais. Dans ses bras, Livia se débattait, donnant des coups violents dans sa blessure pour qu’il la lâche, protestant, s’égosillant dans le vide. Zachary ne frappait pas les femmes, encore moins ses amies, aussi l’assommer n’était pas à l’ordre du jour, aussi tentant cela fusse-t-il. Il la passa à Lux. — Prison arcanique et suis-moi, il faut qu’on s’éloigne d’ici le plus possSans avoir le temps de terminer sa phrase, une mâchoire puissante se referma sur son mollet et pas de chance pour eux, il avait évidemment choisi une sortie en pleine rue, relativement bondée. Les passants, habitués à des évènements plus étranges qu’un loup-garou tentant d’arracher les jambes d’un jeune homme, s’écartèrent, continuèrent leur route d’un pas pressé pour certains. Heureusement, d’autres sortirent leur téléphone. Hélas, pour filmer, pas pour appeler à l’aide. Vérifiant que son masque tenait toujours bien en place, Zachary n’eut pas besoin de donner un ordre à Lux. Cette dernière emprisonna le loup, le gratifiant d’un regard mauvais. L’animal se jeta contre les parois de la prison transparente, sans succès, échangeant un regard avec Livia dont la signification échappa au Summoner. Lui, de son côté, essaya de garder un peu de contenance en se relevant, époussetant ses vêtements. — Eh mais c’est Summoner ! — Putain mais il était pas mort ce mec ? — Il est pas en train d’enlever une nana ? — J’crois pas que ce soit lui. Il ouvrit la bouche pour protester, s’expliquer, puis laissa finalement tomber, 26 Summoner conscient que cela ne servirait à rien. Il utilisa ses dernières forces pour emmener une Livia, dans une bulle magique, à l’écart. Il laissa Lux seule au milieu de la foule la pressant de questions, histoire de ne pas perdre le contrôle sur sa prisonnière. — Il est trop bien réussi le cosplay de la nana, my god ! — Eh, on peut faire une photo ? Essaie toujours, mon gars, pensa-t-il. Heureusement, elle comptait parmi la moins violente de ses invocations. 27 Summoner Face à face entre deux mondes Coincée dans une espèce de bulle énergétique, Livia tapait du poing comme elle le pouvait, sans grand succès. Au moins ne se prenait-elle pas une décharge en retour, Zack ou plutôt, le Summoner, ne se la jouait pas sadique avec elle. Son inquiétude croissait pour Théo et elle jura que sa vengeance serait terrible. Après tout, elle possédait un moyen de pression : s’il ne la laissait pas en paix, elle révèlerait son identité à tout le monde, Aleksandr le premier, déchaînant les feux de l’Enfer sur toutes les personnes importantes dans sa vie, puis sur lui-même. Livia n’hésiterait pas une seule seconde, pas après tout ça. C’est pour ça que tu ne me conduis pas tout de suite chez les flics hein, Zack ? — Alors quoi, hein ? railla-t-elle. Qu’est-ce qu’on fait, maintenant, Summoner ? — Si tu me donnes le nom de ton fournisseur, je te laisse partir. La proposition semblait lui coûter, elle se demandait pour quelle raison exactement. Peut-être nourrissait-il toujours de la rancune envers elle, pour la dernière soirée qu’ils avaient passée ensemble ? Il ne laissait pas facilement tomber ! Mais elle doutait que cela soit aussi simple. — Même pas dans un putain de rêve. — Livia, t’es consciente que je vais t’emmener à la Bastille ? La prison, reconstruite après la révolution de 1789, trônait fièrement dans le centre de Parys et renfermait les pires criminels, les ennemis de l’Empire, les tueurs, les violeurs, les criminels violents de manière générale. L’aile féminine jouissant d’une réputation presque pire que celle des hommes. Elle déglutit, mais ne perdit pas contenance : — Techniquement j’ai pas vingt-et-un ans. Ils ne m’enfermeront pas là-bas. — Oh que si, et même ta mère ne pourra pas t’en sortir. De cela, Livia en doutait fortement mais elle ne répliqua pas, préférant obtenir quelques informations, à son tour. — Pourquoi tu tiens tant que ça à avoir le nom de mon dealer ? Tu comptes faire quoi ? Intervenir pour qu’il ferme boutique ? — Le livrer à la justice. La répartie, clichée, attendue, lui arracha un rire moqueur. — T’es bien naïf, si tu crois qu’il existe une seule prison dans tout l’Empire capable de le retenir. Il n’a rien d’humain, crétin. 28 Summoner — C’est un vampire, alors. J’aurais dû m’en douter… Et sa colère décuplait, à mesure que l’amusement de Livia croissait. — Un vampire ? Ah ah, tu penses vraiment qu’ils sont les seuls à exister ? La Révélation les a mis en avant, avec les garous et les sorciers, par la force des choses, mais tu n’imagines pas ce que renferme l’Outremonde, quel genre de monstres, bien pire qu’Aleksandr, on peut y croiser. — Et toi, comment pourrais-tu le savoir ? Aux dernières nouvelles, tu es humaine. — Aux dernières nouvelles, tu l’étais aussi. — Donne-moi son nom, Livia, éluda-t-il. Elle secoua la tête, bornée. La loyauté ne la poussait pas à garder secrète l’identité de Nagato Ryúkage, la peur, par contre… Elle ne le trahirait pas, elle préférait passer des années à la Bastille que de devenir la balance. Il y a des sorts pires que la prison et même pire que la mort. — Ne sois pas ridicule. Suffit de voir ta tête, il te terrifie. Je peux t’aider à sortir de tout ça, de ce milieu, je me doute que c’est ta mère qui t’a poussée làdedans mais— Mais la ferme ! Putain, ferme-ta-gueule Zachary Blake ! Qu’est-ce que t’y connais, à ma vie, à ma mère ? Arrête de chercher des excuses et regarde la vérité en face, je suis comme je suis et peu importe ce que tu feras, ce que tu tenteras, je ne te balancerais aucun nom. Je préfère me couper les cordes vocales, et les mains, même me suicider, plutôt que de te répondre. Passe à autre chose ! De la sueur coulait de son front, à grosses gouttes. Il haletait, visiblement il se sentait mal. La sphère dans sa main disparut, et il agrippa Livia par le col de sa veste. Elle enfonça ses ongles dans son poignet. — T’es en train de te vider de ton sang, l’informa-t-elle d’un ton agressif. Va à l’hosto et fiche moi la paix. Je ne dirais pas qui tu es, si ça t’inquiète. — Révèle mon identité, je m’en moque, je n’ai rien à perdre. On est déjà en train de tout me prendre, ma ville est ravagée par une peste immortelle et toi, tu contribues à la déchéance générale avec ta foutue drogue, qui rend les gens fous au point d’éclater leur propre crâne sur un mur. — Arrête de te donner un genre, t’as une famille, t’as des amis, on a tous quelque chose à perdre. — Tu m’as pris le meilleur d’entre eux, souffla-t-il contre son visage, avant de la repousser contre le bord du toit. 29 Summoner Elle se cogna douloureusement l’épaule. Heureusement qu’Aleksandr avait léché sa plaie pour la guérir. Là, elle ne récolterait qu’un bleu et un engourdissement passager. — De quoi tu parles ? grogna-t-elle en jouant sur son articulation. — Jace. La nuit du Nouvel An. Il a fait un bad trip de Magic-X et il a attaqué une fille, avant de se fracasser le crâne contre le mur le plus proche. Livia cligna des yeux, le temps que l’information remonte au cerveau, puis se mordilla la lèvre inférieure. Voilà pourquoi la tête du type lui disait quelque chose… Jace, le bon copain de Zack au Collège, le gars toujours souriant, blagueur, un peu lourd mais pas méchant. Sa pilule avait déclenché le bad-trip, mais elle ne ressentait pas de culpabilité pour autant. Chacun sa merde, si on lui achetait de la Magic-X, on en assumait les conséquences. Surtout que lui, contrairement à eux, était majeur. Certes, ça se jouait à quelque mois, mais… — Et toi, t’as décidé que le vendeur était responsable ? Le mec est assez grand pour savoir ce qu’il veut avaler ou pas, personne ne lui a enfoncé de la drogue dans la gorge. Et ne me sors pas le couplet sur la fragilité, l’interrompit-elle. Remettoi deux secondes en question, qu’est-ce que tu cherches à faire ? Nettoyer les rues ? Bonne chance. Et d’ailleurs, tu te prends pour qui, d’affirmer que TA vision de la vie est la meilleure, celle que tout le monde DOIT absolument suivre ? Réveille-toi, reviens sur terre, le vice est indissociable de l’humanité et tu auras beau te battre, ça ne changera rien. A ta place, j’utiliserais mes pouvoirs pour m’assurer une vie tranquille, t’es vraiment un abruti idéaliste. On n’est pas dans un comics, stoppe ton délire de super-héros, t’es pitoyable. — Non, t’as raison. Si on y était, y’aurait un peu de compassion en toi, il resterait quelque chose de la fille que j’ai connue il y a des années. Livia roula des yeux et jeta un regard plus bas. Quatre étages la séparaient du sol, elle ne survivrait pas si elle sautait et risquait même de tomber sur quelqu’un. Cela pourrait amortir sa chute, ou l’aggraver, en fonction. Un risque à prendre ? Peut-être. Lui restait-il assez de puissance pour quelques étincelles ? Après tout, l’avantage du FeuInfernal, c’est de brûler vite sans possibilité d’être annihilé, du moins pas sans qu’elle le souhaite. En règle générale, Livia s’en servait surtout pour frimer, elle ne le contrôlait pas bien. Y parviendrait-elle ici ? Hésiterait-elle ? Elle le fixa, et décida que non, s’il persistait à vouloir l’emmener à la Bastille, elle passerait à l’action. Il s’approcha d’elle, mal en point. Vu la pâleur de son front, ni l’un ni l’autre n’arriverait à destination. — C’était sympa, mais tu ne m’en voudras pas, je te laisse ici. 30 Summoner Il tenait toujours sur ses jambes et sa détermination sans faille lui donna assez de force pour lui agripper le poignet. Il secoua la tête, sa poitrine se soulevant de plus en plus vite. — On va les attendre, toi et moi, murmura-t-il. Je resterais éveillé jusqu’à ce qu’ils arrivent. — De quoi tu parles ? Il lui montra le dernier numéro composé sur son smartphone et elle reconnut l’indicatif de l’armée impériale. Les renforts arrivaient et ne tarderaient plus. Elle devait partir, maintenant, ou affronter une quantité astronomique de problèmes. — Si seulement tu n’avais pas fait ça… Elle secoua la tête et chercha à le gifler, pour toucher directement la peau de son visage. Il intercepta le coup et de son autre main, elle effleura son espèce d’armure, y transférant l’étincelle noire invoquée dans sa peau. Il ne remarqua d’abord rien puis, baissant les yeux, il essaya d’éteindre la flamme à l’aide de ses gants, avec pour seul effet qu’elle s’y répandit. Il se jeta au sol, roula, mais rien n’étoufferait l’incendie que Livia observait, fascinée, oubliant totalement de s’en aller. Comprenant qu’il n’arriverait à rien, Zack se débarrassa de ses vêtements, galérant avec son bras blessé. Elle l’abandonna sans un remord à ce sort terrible, s’engageant par l’échelle de secours… 31 Summoner Ceci n'est pas une fin Le soleil commençait à se lever, Zachary en avait vaguement conscience tandis qu’il essayait d’enlever les morceaux… Infectés, faute d’un meilleur terme, de son armure. Il ignorait quel genre de feu elle utilisait et ne comprenait même pas comment cela pouvait être possible. Elle a toujours été humaine, non ? Mais lui aussi, jusqu’à la mort de son oncle. Peut-être que Livia vivait une situation semblable, à moins qu’elle n’ait pactisé avec des créatures peu recommandables. Parmi les choses qui les rapprochèrent, à l’époque, comptait leur humanité partagée, cette absence de pouvoirs extraordinaires, dans un monde où beaucoup de gens l’étaient. Avant l’officialisation de la Révélation, Zachary avait espéré, prié, pour que ce moment arrive, pour que ses lectures puissent se transposer à la réalité. Quant à Livia… Il n’en savait rien. Sans doute que sa mère fréquentait des monstres, elle aussi. Quelle importance, cette époque était révolue, un peu comme sa vie, là, tout de suite. Quel super-héros minable, sérieusement, mes deux sorties les plus extraordinaires, je finis à l’article de la mort. Sauf que cette fois, Rebekha ne sera pas là pour… — ZACHARY ! Cette voix, il la connaissait. Sa marraine, ici, sur ce toit, pendant qu’il se démenait pour enlever les pièces d’armures en kevlar de son bras blessé. Ni une ni deux, elle l’aida, lui arrachant un hurlement, la douleur le mettant littéralement à genoux. — Tes gants, Bekha, enlève-les maintenant !! Sans comprendre, le lieutenant essaya d’éteindre le FeuInfernal sans y parvenir. Elle paniqua, voulu suivre le conseil de Zack mais se toucha la peau. Avec horreur, il l’imagina brûler sans fin… Mais une lumière aveuglante émanant du collier que portait toujours Rebekha lui arracha la rétine, provoquant une perte de conscience chez le Summoner, qui se demanda quel autre genre de secrets elle lui cachait. Il se réveilla dans une chambre d’hôpital, sans ses parents (comme d’habitude), mais avec une voisine menottée sur le lit d’à côté. Il se demanda par quel foutu concours de circonstance Livia se retrouvait dans la même chambre que lui, surtout qu’il ne se souvenait pas qu’elle soit blessée, mais le plâtre à sa jambe affirmait le contraire. La prenait-on pour une victime ? Attendait-on son témoignage pour s’assurer de son innocence ? Rebekha reconnut-elle la jeune César ? Zachary se redressa brusquement, déclenchant une douleur aigüe dans son bras. — Respire, petit héros, je n’ai plus de jus. 32 Summoner Elle avait toujours les yeux fermés, l’air serein. — T’as essayé de me tuer… — Tu veux un mouchoir ? T’as essayé de m’enfermer. — Ah parce que tu trouves que c’est équivalent ?! Tu vas aller en prison, Livia. Je témoignerai contre toi. — Et moi je m’empresserai de raconter à tout le monde que Zachary Blake est le Summoner. Et de confirmer à qui de droit qu’il est bien en vie. Il haussa les épaules. — Peu importe, ça en vaut la peine. On va démanteler la famille César, ta mère viendra te rejoindre, et ça sera déjà ça de moins. Elle sourit, sereine. — Je n’y resterais pas plus de vingt-quatre heures. Zack fronça les sourcils. — Comment ça ? Elle rouvrit les yeux, un étrange éclat dans le regard. — Ils vont venir me chercher, et tu comprendras que tu ne peux sauver ni moi, ni le monde, et que tu aurais mieux fait de m’écouter quand tu en avais l’occasion. — Tu délires. — Crois ce que tu veux. Interdit, il la contempla pendant une bonne minute mais elle feignait à nouveau de dormir. Des médecins l’emmenèrent passer des examens et Rebekha vint le voir. Quand il lui raconta toute l’histoire, elle plaça immédiatement Livia en état d’arrestation, sous les chefs d’accusation de trafic de drogue et agression aggravée. Elle ne protesta pas et se laissa emmener, sans se départir de son sourire. Zachary partagea ses craintes avec Rebekha, qui le rassura, lui affirmant qu’en tombant, elle s’était probablement cognée la tête, mais que personne ne s’évaderait de là-bas, César ou pas César. La télévision lui donna tort des heures plus tard. — Nous survolons actuellement en ballon la prison de la Bastille, où une attaque spectaculaire est en cours depuis le crépuscule. Le groupe des Vrais et leur meneur en personne, Aleksandr Konstantinov, ont mené une attaque contre la célèbre prison, ouvrant toutes les cellules, relâchant dans la nature certains des plus grands ennemis de l’Empire français. Nous ignorons, pour l’heure, ce qui a pu 33 Summoner motiver cette action particulièrement violente. On peut supposer que tous les gardiens sont morts et… Oh, regardez, il a écrit un message avec les cadavres ! Zoome bon sang, ZOOME ! « Ceci n’est pas une fin, Summoner. » 34