La lectrice et l`éditeur
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La lectrice et l`éditeur
La lectrice et l’éditeur par David Ferraro Voici les faits. Au printemps 2008, j’envoie mon manuscrit par la poste à une dizaine d’éditeurs. Trois éditeurs se manifestent : Albin Michel, le Rocher, et le Seuil, dont il sera question dans la deuxième partie de cet article. L’une des responsables du service éditorial chez Albin Michel, Lina Pinto, me contacte par téléphone deux semaines à peine après la mise à la poste du manuscrit. Ça tombe bien : je suis chez un ami à Paris. Lina Pinto a beaucoup aimé le roman. Malheureusement, elle n’a aucun allié dans la boîte et le manuscrit passe à la trappe. Ce qui ne saurait étonner. En effet, pourquoi publierait-on un parfait inconnu chez Albin Michel ? Poser la question, il me semble, c’est y répondre. Au Rocher, l’histoire est différente, et encore plus étonnante : la lectrice qui a lu le manuscrit me contacte par mail trois mois plus tard en s’identifiant, ce qui est exceptionnel, et me demande d’apporter certaines corrections (tout à fait pertinentes) au manuscrit, travail que je complète au cours des semaines suivantes. Satisfaite des corrections, cette lectrice (qui a une réelle exigence sur le plan littéraire, il faut le souligner) m’annonce une semaine plus tard que le Rocher ne va plus publier de romans (vous avez bien lu !) et se permet en passant de déblatérer sur cette maison qui l’emploie encore et qui a amorcé depuis peu un virage éditorial (people, astrologie, etc). Elle demande alors la permission à l’une des responsables du service éditorial, Christelle Dierickx, de démarcher d’autres éditeurs et me propose de « placer » mon manuscrit en me jurant qu’elle fera le maximum pour que ce roman, qu’elle aime beaucoup, trouve preneur. N’est-ce pas merveilleux ? Une lectrice a adoré votre roman et se propose de démarcher un éditeur pour vous, et ce, tout à fait bénévolement ! D’abord cette dame m’écrit qu’elle va tenter d’approcher l’éditeur du Dilettante, Dominique Gaultier, alors que mon manuscrit ne correspond en rien à la ligne éditoriale de cette maison aux livres plutôt gentils et inoffensifs. Puis dans un autre mail, elle évoque le nom d’autres maisons d’édition, en se promettant sous peu de rencontrer quelqu’un de l’équipe éditoriale. Finalement, celle dont vous connaîtrez bientôt le nom m’avoue qu’elle ne connaît personne dans le milieu, à la notable exception d’un éditeur au Seuil — on verra plus loin qui et pourquoi. Mais vous n’avez encore rien lu ! Après quelques échanges de mails, cette dame — allez, je vais te balancer, tu ne mérites pas mieux, ta conduite doit être dénoncée parce qu’elle n’est pas professionnelle, tu joues les intermédiaires, mais tu n’as pas les moyens de tes ambitions ; plus grave encore, tu abuses de la confiance de l’auteur — cette dame, donc, qui a pour nom Patricia Legras (dont la soeur Anny Duperey, oui, oui, fut partenaire de Jean-Paul Belmondo dans Stavisky, ça ne s’invente pas), m’apprend qu’elle a un « projet » qu’elle cherche à placer au Seuil où elle a déjà conçu la couverture d’un ou deux livres, sa soeur y publie d’ailleurs des romans; elle y connaît Louis Gardel; elle va tenter de toucher un mot de mon manuscrit à Gardel, tout en essayant de pousser son projet (démarche qui, soit dit en passant, l’angoisse énormément), alors que de son propre aveu Gardel est très peu réceptif à ce type d’approche. Cette fois, c’en est trop ! Écoeuré, je fais savoir à Legras que puisqu’elle doit « placer » son projet, elle n’a plus vraiment le temps de s’occuper de mon manuscrit, dont elle ne peut de toute façon s’occuper correctement. Conclusion de cette pénible histoire : quand on a une lectrice aussi tordue pour « alliée » dans un milieu pareil, on n’a plus vraiment besoin d’ennemis. Venons-en maintenant à Bertrand Visage, prix Femina 1984, et pendant une très courte période directeur de la NRF. Je souhaite faire parvenir mon manuscrit aux éditions du Seuil. J’ai quelques noms d’éditeurs : Visage, Comment, de Ceccaty, qui sont aussi écrivains. Finalement, le parcours de Visage m’amène à croire qu’il sera plus sensible à la thématique de mon roman, et je lui envoie mon manuscrit en lui faisant savoir que je serai de passage à Paris le mois suivant (je ne vis pas actuellement en France). Un mois plus tard, Visage m’envoie un mail et me demande d’aller le rencontrer à son bureau, une cage de verre de 10 m2 au fond d’un couloir interminable, rue de Seine. Après les présentations d’usage, j’évoque brièvement mon parcours. D’entrée, Visage me dit que mon roman a un « fort potentiel » mais qu’il est « diffus ». Lorsque je lui demande ce qu’il entend par « diffus », il se montre des plus évasifs. A t-il des suggestions à me faire, des corrections à me proposer ? Encore là, les réponses tardent à venir. Pourtant, je n’ai pas la grosse tête, je serais heureux que l’éditeur me fasse part de ses observations. Tout ce qui me permet d’améliorer ce manuscrit est bienvenu. Hélas ! rien ne vient. L’entretien se poursuit sur le même mode, aussi futile qu’inutile, au cours duquel Visage, sans jeu de mots, me montre son vrai visage : celui d’un homme cassant et autoritaire, qui visiblement se la joue. Au détour d’une phrase, il me fait enfin « comprendre » que c’est un immense privilège d’être admis dans les bureaux du Seuil et d’y rencontrer un éditeur comme lui. Ah oui ? La rencontre est presque terminée et je dois me rendre à l’évidence : ce type est un faux cul. Il n’est rien sorti de cette rencontre. Rien ! Nada ! L’éditeur, par son attitude infecte et peu professionnelle, a simplement fait la démonstration qu’il n’est pas à la hauteur du métier qu’il exerce. Petit potentat de l’édition, s’imaginant pouvoir impressionner un auteur en l’admettant dans le saint des saints, les bureaux de sa propre maison d’édition, tout ça afin de mesurer l’étendue de son pouvoir, comme si l’heureux élu allait être ému aux larmes par son petit numéro, se jeter à ses pieds et le remercier de cette faveur insigne, Bertrand Visage, prix Femina 1984, auteur de Tous les soleils et de romans de la même eau sur le sud de l’Italie, a ce jour-là complètement raté son effet. Le lendemain, j’envoie à Visage un mail. Je lui écris que son comportement de la veille ne lui fait pas honneur. Sa réponse, aussi comique que pathétique, mérite ici d’être rapportée. Voici ses mots : « Monsieur, je ne voulais pas vous blesser. » Vous ne m’avez pas blessé, Visage, non. Lors de notre rencontre, vous vous êtes plutôt couvert de ridicule, en plus d’être odieux. Des comportements aussi aberrants sont-ils exceptionnels dans le milieu de l’édition ? Je crains que non. Ce qui m’amène à poser cette question : « Faut-il persister à envoyer son manuscrit par la poste ? » Vous plaisantez ? Vous êtes dans un zoo, messieurs dames. Alors comment se faire publier en France ? Pour ma part, je n’en sais fichtrement rien. Il faudrait peut-être le demander à Philippe Jaenada qui se contente d’une expédition à pied par an dans le 6e arrondissement. Dans mon cas, en tout cas, ce n’est certainement pas en faisant jouer mes relations : je n’en ai pas. Et comme je souffre d’agoraphobie... la partie s’annonce plutôt rude. Bref, je n’apprendrai rien à personne en affirmant que tous les milieux comptent leurs lots de gens fêlés et d’imbéciles et que le milieu de l’édition ne fait pas exception à la règle. Chercher à se faire publier en France n’a rien de marrant. Si vous avez une once de talent, d’honnêteté et d’intégrité, vous savez qu’il y a en vous un monstre qui a pour nom « vanité » et en face un ennemi potentiel, l’éditeur, qui, quand il ne se fout pas carrément de votre gueule, va tenter tôt ou tard de vous avoir à sa main. Ce qui malheureusement se produit plus souvent qu’on ne le croit. David Ferraro est romancier et journaliste.