« L`homosexualité est biologique » - Arc-en

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« L`homosexualité est biologique » - Arc-en
Le Soir Jeudi 4 février 2010
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lasociété
Société / Une vaste recherche vient contrebalancer les thèses psychanalytiques
« L’homosexualité est biologique »
L’ESSENTIEL
● L’homosexualité
serait biologiquement déterminée
avant la naissance.
● Avec une interaction entre facteurs
génétiques et hormonaux.
● Neuro-endocrinologue, le Pr Balthazart (ULg) sort
une « Biologie de
l’homosexualité ».
● Un ouvrage passionnant et inédit
dans la littérature
francophone.
ENTRETIEN
n naît homosexuel, on ne choisit
pas de l’être. » Voilà une affirmation qui va faire grand bruit. Jacques Balthazart est zoologiste de formation, professeur à l’Université de Liège
et responsable du Groupe de recherche
en neuro-endocrinologie du comportement. Ce spécialiste mondial des comportements dits « instinctifs » publie
une Biologie de l’homosexualité aux éditions Mardaga. Un livre inédit en français qui va à l’encontre de l’idée communément admise, influencée par les théories (post)freudiennes, selon laquelle
l’orientation sexuelle est essentiellement, voire exclusivement, le résultat
d’apprentissages et d’interactions sociales qui se déroulent pendant l’enfance.
« L’origine de l’homosexualité est davantage à chercher dans la biologie des individus que dans l’attitude de leurs parents ou dans des décisions conscientes
des sujets concernés », affirme l’expert.
O
Comment un neuro-endocrinologue
pointu en arrive-t-il à s’intéresser aux
questions d’homosexualité ?
Je travaille depuis 35 ans sur les mécanismes hormonaux et nerveux qui contrôlent, notamment, le comportement
sexuel chez l’animal et l’être humain.
Malheureusement, l’essentiel de la littérature scientifique est publié en anglais.
J’avais en tête d’écrire sur le sujet depuis
longtemps. Le déclic, c’est le livre du
Dr Stéphane Clerget en 2006 qui fait
l’apologie d’explications essentiellement
psychanalytiques de l’homosexualité et
rejette systématiquement toute explication biologique. A mon, sens, il était
temps de rééquilibrer la balance. En dépassant le conflit stupide inné/acquis
ou nature/environnement. Car tout est
interaction entre les deux. Sur une base
scientifique, je voulais aussi démonter
les croyances selon lesquelles l’homosexualité serait une maladie, une perversion, une déviance, etc. Je ne manquerai
d’ailleurs pas d’adresser un exemplaire
de mon livre au primat de Belgique…
Comment expliquer cette domination
des théories psycho-psychanalytiques ?
Il y a une tradition franco-française inspirée par l’égalitarisme (« Liberté, égali-
CETTE HYPOTHÈSE DÉTERMINISTE DE L’HOMOSEXUALITÉ devrait contribuer à déculpabiliser les homosexuels eux-mêmes, ainsi que leurs parents. © EPA.
té, fraternité »), le marxisme, les théories freudiennes, qui se méfie a priori
des influences génétiques sur les comportements humains. Par ailleurs, il faut
aussi relever le manque d’information,
la mécompréhension des données biologiques et une analyse dogmatique des résultats refusant systématiquement d’accepter l’évidence expérimentale.
A la lumière de la neurobiologie contemporaine, vous affirmez que l’homosexualité humaine (et animale) serait le
résultat d’une interaction entre facteurs génétiques et hormonaux dans
l’embryon. Pourquoi ?
Mon livre (276 pages et 270 références, NDLR) s’appuie sur des informations scientifiques rigoureuses récoltées
au cours des 20 ou 30 dernières années.
“
« Une étude scientifique réalisée sur 700 béliers
montre que 8 % des sujets sont attirés de façon
exclusive vers un autre mâle. »
Pr Jacques Balthazart (ULg)
J’y décris, le plus minutieusement possible, l’ensemble des facteurs biologiques
potentiellement impliqués et qui ont été
identifiés à l’heure actuelle. Une douzaine au total qu’il est difficile de résumer
dans un article généraliste. Prenons les
animaux. Les études réalisées sur des
rongeurs et des primates démontrent
que l’action des hormones pendant la vie
embryonnaire sur l’hypothalamus et
l’aire préoptique détermine de façon précise le type de comportement sexuel. Cette détermination est largement indépen-
REPÈRES
Longtemps considérée comme une « maladie »
Origine. Le terme « homosexualité » est dérivé du grec (« homos » ;
« semblable ») et créé vers 1869 par le médecin hongrois Karoly Maria Kertbeny. Dans l’histoire, elle a été à la fois tolérée (Grèce, Rome...) et qualifiée de crime d’hérésie (Occident chrétien).
Freud. Dans son livre Trois essais sur la théorie sexuelle (1905) notamment, le père de la psychanalyse décrit l’homosexualité comme une
particularité et non pas comme une perversion. Mais l’homosexuel aurait échoué dans un développement harmonieux de sa sexualité.
OMS. Il fallu attendre le 17 mai 1990 pour que l’Organisation mondiale de la santé retire l’homosexualité de la liste des maladies mentales.
Homophobie d’Etat. En 2009, L’homosexualité était toujours passible de la peine de mort dans cinq pays – l’Iran, la Mauritanie, l’Arabie
saoudite, le Soudan et le Yémen –, ainsi que dans certaines régions du
Nigeria et de la Somalie. Elle est considérée comme un délit pénal
dans 72 pays et trois entités . Avec des peines d’emprisonnement
courtes (moins d’un mois) jusqu’à la perpétuité. H.DO
marque, notamment, au niveau de la
longueur des doigts de la main, des émissions oto-acoustiques produites par
l’oreille interne, de la taille du noyau
sexuellement dymorphique de l’aire
préoptique (SDN-POA)… En outre, il
s’avère que la contribution génétique de
l’homosexualité masculine serait héritée
de façon préférentielle du côté maternel.
Les études ont permis notamment d’identifier une région du chromosome X dont
la variabilité est significativement associée à l’orientation sexuelle.
Vous restez prudent en évoquant des
« indices », pas de certitudes…
Oui, il y a des limites méthodologiques. Un : la sexualité humaine est encore entourée de tabous. Mener des études
épidémiologiques réellement représentatives de la population homosexuelle
(NDLR: environ 5 % de la population générale) n’est pas chose aisée. Deux : toute
étude expérimentale sur l’homme est interdite pour des raisons éthiques évidentes. Trois : si l’on accepte l’hypothèse que
l’orientation sexuelle est déterminée par
des éléments qui se déroulent pendant la
vie embryonnaire, il existe une latence
énorme (15 à 20 ans au moins) entre ces
événements et leurs effets. Ce qui rend
toute étude prospective quasiment impossible. Malgré cela, je pense qu’il y a
un faisceau d’indices suffisants.
L’attitude de la société envers les gays
et les lesbiennes devrait changer ?
Oui. Les homosexuels et leurs parents ne
sont en rien responsables, il n’y a donc
aucune raison objective de les ostraciser.
Les homosexuels ne sont pas pervers (en
tout cas pas plus que les hétéros), ils ne
sont pas dangereux (l’homosexualité
n’est pas contagieuse) et ils ne sont pas,
en général, responsables de leur condition. Ils devraient pouvoir vivre leur vie
en accord avec leur nature sans culpabilité personnelle. En retour, la société devrait, comme elle le fait de façon croissante mais pas encore uniforme, les accepter sans discrimination. Même s’il
existe des homosexuels qui revendiquent
leur style de vie et affirment que leur
orientation sexuelle reflète un libre
choix de vie. Ce qu’il faut respecter.
Vos détracteurs hurlent à l’eugénisme...
Je m’y attends. Et j’ai déjà vu sur un blog
qu’on me traitait de nazi. Vous apprécierez le sens de la mesure… Je suis un chercheur scientifique convaincu, je crois en
l’évolution de l’homme, je considère qu’il
y a de nombreux comportements observés chez l’animal que l’on retrouve mutatis mutandis chez l’humain. La science
doit être au service des hommes et la connaissance vaut toujours la peine d’être
partagée. C’est ce qu’on en fait qui peut
être potentiellement dangereux. Là, le
scientifique a besoin du philosophe, du
juriste, etc. Il y a des comités d’éthique,
des lois, et c’est très bien ainsi.
Comprendre sans intervenir…
Clairement. Il n’a pas fallu attendre ces
hypothèses déterministes pour que les régimes nazis ou communistes persécutent
et tuent les homosexuels. Cela reste vrai
dans certains pays comme l’Iran ou l’Afghanistan. Des groupes sociaux et religieux continuent, malgré leur ignorance, à entretenir des thèses homophobes. Il
serait inepte de renoncer à la connaissance sous prétexte qu’elle pourrait être
mal utilisée. A ce compte-là, on aurait
dû renoncer à la découverte de la voiture
qui tue chaque année des dizaines de milliers de personnes ! C’est aux sociétés de
décider ce qu’elles font des connaissances
scientifiques. ■
Propos recueillis par
HUGUES DORZÉE
Biologie de l’homosexualité.
On naît homosexuel,
on ne choisit pas de l’être
JACQUES BALTHAZART
Ed. Mardaga, 276 p., 29 euros
TÉMOIGNAGES
“
MARC, 39 ANS, EMPLOYÉ
Moi, je me suis “découvert”
à l’âge de 15 ans. J’étais honteux, en porte-à-faux. Mes
parents culpabilisaient à
mort. Comme si, de part et
d’autre, nous avions “mal
fait“ ; comme si quelque chose avait foiré dans mon éducation. A cela s’ajoutait le
poids social, le côté déviant.
Peut-être qu’une étude comme celle-là m’aurait aidé à
accepter plus facilement ce
que je considère aujourd’hui
comme un état de fait. Cette idée d’hormones ou d’influence génétique in utero,
ça me plaît assez… » (rires)
VINCENT, 47 ANS, DESSINATEUR
« Je n’ai pas lu ce livre. A
priori, je suis partagé. A la
fois, je veux croire à une
part d’inné, à la fois j’ai l’impression que mon homosexualité est le fruit d’un
long cheminement : hétéro,
bi, refoulant puis s’acceptant finalement. J’ai l’impression d’avoir choisi ma
sexualité en fonction de mes
rencontres, de mon parcours. Mais cette hypothèse
déterministe me permettra
sans aucun doute d’avoir
des arguments en plus pour
contrer l’homophobie. »
LUC ROGER, BLOGUEUR
HTTP://LUCLEBELGE.SKYNETBLOGS.BE
« Cet ouvrage prouve scientifiquement qu’aucun être
humain n’est responsable
de son orientation sexuelle.
Il pourra aussi aider les parents à approcher l’éducation sexuelle familiale d’une
manière différente. Il contribuera aussi à aider les personnes gays, lesbiennes ou
“trans” à s’assumer. Et faire
face à la cruauté du regard
de l’autre, la réprobation familiale, l’homophobie religieuse et sociale, etc. » H.DO.
www.lesoir.be
1NL
03/02/10 21:50 - LE_SOIR
dante du sexe génétique. D’autres études
montrent que l’orientation sexuelle est
également déterminée par l’action précoce des stéroïdes sexuels.
Vous évoquez aussi le cas des ovidés…
En effet. Le seul cas d’homosexualité
stricte spontanée chez l’animal est observé chez le mouton. Une étude réalisée sur
700 béliers montre que 51 % des sujets
sont attirés de façon exclusive vers une
femelle, 31 % sont bisexuels, 10 %
asexuels (ils ne présentent aucun comportement) et finalement 8 % sont attirés
de façon exclusive vers un autre mâle.
Et chez l’homme ?
L’homosexualité ne constitue pas simplement une orientation sexuelle différente, mais elle s’accompagne de modification morphologiques, physiologiques
et comportementales complexes. Cela se
du 04/02/10 - p. 8