Communiqué de presse

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Communiqué de presse
Communiqué de presse
BIJOUX D’ORIENTS LOINTAINS
Au fil de l’or, au fil de l’eau
Du 28 septembre 2016 au 26 février 2017
Dans la lignée des Bijoux des Toits du Monde (2012) qui nous entrainaient sur les sentiers de
la « Route de la Soie », l’exposition propose de suivre la voie maritime de ce chemin mythique
grâce à la magie de parures archéologiques ou ethniques. Afin de dévoiler la richesse et la
diversité des cultures des royaumes d’Arabie à l’Insulinde, l’or, métal légendaire symbole
d’éternité, a été choisi comme le fil conducteur de ce périple au fil de l’eau. Plus de trois cent
bijoux, provenant de collections privées et resplendissant de mille feux, offrent aux visiteurs
un voyage dans le temps et dans l’espace. Ils révèlent par leur magnificence et leur variété
envoûtante des civilisations disparues et un univers symbolique menacé d’oubli. A cette
présentation s’associent des sculptures anciennes et des textiles yéménites, indiens,
thaïlandais et indonésiens issus des collections du MEG, musée d’ethnographie de Genève, du
Musée Barbier-Mueller ainsi que d’une collection privée.
En introduction à ce périple, les visiteurs sont invités à découvrir Les Royaumes des sables
avec quelques délicates parures de la Felix Arabia datant de l’époque sabéenne (VIIIe siècle
av.- IIIe siècle apr. notre ère) ainsi que des bijoux traditionnels du Yémen, de l’Oman et des
hauts plateaux de l’Arabie saoudite.
Entre naturalisme et stylisation, exubérance baroque et abstraction, L’Inde du Sud dévoile ses
splendeurs dans la seconde salle. Colliers, pendentifs, bracelets et boucles d’oreilles
sculpturales, qui démontrent la passion des indiens pour les somptueux bijoux, remémorent
le mythe de l’Inde fabuleuse des temps anciens.
Les rarissimes parures archéologiques de l’Asie du Sud-Est continentale présentées dans la
troisième salle révèlent le faste des Empires oubliés de cette immense région qui s’étire de
l’Asie du Sud à l’Extrême-Orient et comprend la Birmanie, le Cambodge, la Thaïlande et le Viêt
Nam.
La magnificence des bijoux des Îles aux épices accueille les visiteurs dans la dernière galerie
dédiée à l’Indonésie et aux Philippines. Dans ces myriades d’îles, les ornements, qui revêtent
une dimension religieuse autant que clanique, jouaient un important rôle social, marqueur de
prestige et de richesse. Par leur diversité stylistique, ils reflètent les civilisations anciennes
ainsi que les particularités ethniques de chaque région.
Commissariat de l’exposition : Monique Crick
Scénographie : Nicole Gérard
Montage : Nicole Gérard assistée de Fabrice Favre et Monique Saner
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AU FIL DE L’EAU
DES ROYAUMES DES SABLES AUX ÎLES AUX ÉPICES
L’immensité des territoires, l’infinité des distances n’ont jamais empêché les hommes de se
rencontrer, quels qu’aient pu être leurs intérêts et, les mers, dit-on, rapprochent plus souvent
qu’elles ne séparent. Ainsi en est-il des océans des Orients lointains à la conquête desquels les
hommes de la péninsule arabique et du sous-continent indien partirent dès qu’ils surent
naviguer par cabotage ou affronter la haute mer. Dès l’Antiquité, un vaste réseau marchand
s'étendait alors de l'Europe occidentale - via la Méditerranée, la mer Rouge et le golfe persique
- à l'Inde, l'Asie du Sud-Est et la Chine. Les bateaux, tout comme l’étaient les longues files de
caravanes, vaisseaux des déserts, étaient les véhicules des négociants, des artisans, des
techniques, des produits et des religions. Les épices, les parfums, les pierres et métaux
précieux, les perles, les soieries et autres articles de luxe transitaient par les diverses voies
maritimes. Ce grand commerce oriental générait des gains matériels et de la richesse qui
engendraient les bases économiques nécessaires au développement des communautés qui se
transformaient en États côtiers commerciaux ainsi qu’en des centres de pouvoir politique et
culturel. Des ports se créaient, des comptoirs se fondaient, des cités-États se développaient.
Des royaumes et des empires naissaient et prospéraient grâce à la richesse mercantile et
culturelle apportée par les échanges, puis déclinaient tandis que d’autres se bâtissaient. Cette
opulence économique était de plus stabilisée par la maîtrise de l’irrigation et l’essor de
l’agriculture. Sur ces rives océaniques, l’histoire était mouvante au fil des conquêtes, des
orages passagers et des circulations de populations.
Sur les navires, porteurs de rêves de fortune, voyageaient aussi des hommes, porteurs de foi.
Les moines bouddhistes et les brahmanes ont introduit les religions indiennes avec leurs
mythologies qui glorifiaient les dieux et les dirigeants. Quelques siècles plus tard est survenue,
par les mêmes voies, une nouvelle religion, l’islam, qui conquit les états côtiers de l’Inde et
l’Insulinde avec les premiers navires ouvrant une route maritime directe vers l’Asie. Divers
courants d'influences absorbés, combinés puis harmonisés, ont ainsi agi sur les perceptions
locales. Il en est résulté des sociétés riches et complexes, épilogue des divers dialogues
entretenus au cours des siècles.
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AU FIL DE L’OR
CULTE DES DIEUX ET PRESTIGE MONARCHIQUE
Les monuments, les œuvres d’art de ces pays en bordure d’océans conservent la mémoire des
échanges. Mais si chaque culture a développé son propre style artistique, toutes ont partagé
un goût certain pour l’or. Ce matériau y remplissait des fonctions monétaires, rituelles et
décoratives. Dans l’Antiquité, l’or provenait de filons locaux et était transformé sur place.
Largement répandu dans la nature, ce métal se trouvait sous forme de gisements primaires
(roches solides aurifères) et secondaires (alluvions métallifères). Son exploitation se faisait le
long de la mer Rouge en Afrique, en Arabie du Sud, en Inde du Sud, au Cambodge, à Sumatra
– peut-être l’Ophir de la Bible –, à Bornéo et aux Philippines. L’or filonien, qui demandait un
niveau de civilisation avancé, n’a pu être exploité que par les grands empires tandis que
l’orpaillage dans les rivières, plus facile, fut pratiqué en Inde dès le milieu du IIe millénaire
avant notre ère.
Résistant aux outrages du temps, le métal jaune devint symbole de pérennité, d’immortalité,
et de surnaturel. Sa couleur et sa brillance l’associèrent au soleil et par conséquent au service
des dieux. Si l’or réjouissait les divinités, il parait aussi les vivants et fut un indispensable
symbole de pouvoir dans le monde arabo-asiatique. Véritables insignes de rang et
d’appartenance à un groupe, les parures y jouaient un rôle de première importance. Chez
certains peuples asiatiques, les bijoux se rattachaient à des préoccupations bien plus
profondes que la simple ornementation du corps et la représentation de statut social. En
s’échangeant au moment des noces ou pendant le mariage, ils renforçaient les alliances
matrimoniales et politiques. Représentants d’un vaste univers de symboles mythologiques, ils
permettaient aussi d’établir un contact avec l’Au-delà et les esprits ancestraux qui veillaient
sur leurs descendants. Cet héritage culturel qui semblait impérissable, lorsqu’il ne devait pas
servir de monnaies d’échange, suivait malheureusement les modes et ne se perpétuait pas sur
plusieurs générations car il était simplement fondu pour créer d’autres parures. Les
changements intervenus dans certaines sociétés traditionnelles à la fin du XIXe et au XXe siècle
l’ont aussi peu à peu fait disparaître ainsi que le rôle qu’il jouait dans la vie des peuples.
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LES ROYAUMES DES SABLES
LE YEMEN
Perdu aux confins méridionaux de la péninsule Arabique, au contact de la mer Rouge et de
l’océan Indien, le Yémen fut le berceau d’une civilisation originale qui fleurit du Ier millénaire
avant notre ère au Ier millénaire après. Le pays évoque le royaume de la Reine de Saba, qui en
rendant visite au roi Salomon fit entrer cette région dans les traditions bibliques et coraniques,
ainsi que les Rois mages porteurs de myrrhe et d’encens. Cette Arabie Heureuse devait sa
prospérité à la maîtrise de l’eau et de l’agriculture, au commerce ainsi qu’à ses ressources
naturelles : le sel, les minerais, les pierres semi-précieuses, dont la cornaline, et les plantes
aromatiques. Elle incarna la terre mythique des parfums rares et précieux, ces ingrédients
indispensables aux rites funéraires et au culte des dieux. Le royaume du Yémen, conté par la
Bible et le Coran, est le premier royaume sabéen de Mareb qui était alors en contact avec tout
le monde méditerranéen. Tirant sa prospérité du commerce vers les grands marchés du
Proche-Orient, le royaume de Saba historique étend, dès le VIIIe siècle avant notre ère, sa
domination à la majeure partie de l’Arabie méridionale. Il connait une histoire tumultueuse
avec des périodes de guerres et d’instabilité jusqu’à son annexion au IIIe siècle par les rois
himyarites. Sa langue, le sabéen, devint la lingua franca des États subarabiques. L’histoire du
Yémen est restée mouvementée jusqu’à nos jours.
Particulièrement délicate, l’orfèvrerie antique (bagues portant des caractères d’écriture,
colliers d’or alternant pendeloques en or et perles en pâte de verre) traduit l’opulence de ce
puissant royaume situé au carrefour des voies caravanières et maritimes. L’écho de cette
brillante civilisation se reflète encore dans les parures traditionnelles, agrémentées de perles,
de pendeloques en argent doré et de corail pêché en mer Rouge. Ces bijoux étaient la
spécialité des orfèvres juifs de Sanaa, passés maîtres dans l’art du filigrane et de la granulation.
Ils maintinrent les traditions préislamiques de ces techniques remontant à la plus haute
antiquité, très populaires dans la péninsule Arabique. L’Islam contribua aussi à créer une
parenté de styles au sein des cultures arabo-islamiques qui partagent une attirance pour les
formes géométriques.
L’OMAN
Loin d’être une région isolée, le sultanat d’Oman – connu sous le nom de Magan dans
l’Antiquité – entretenait lui aussi une importante activité commerciale avec la Mésopotamie,
l’Égypte, la Perse, l’Inde et l’Extrême-Orient. Les parures omanaises présentent d’ailleurs de
nombreuses similitudes stylistiques avec celles de ces civilisations et empires anciens.
L’argent, presque pur, y est le matériau de prédilection sur lequel l’orfèvre pouvait apposer
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une fine feuille d’or ou de l’or fondu. L’argent provenait des environs d’Ispahan en Perse, de
la fonte des thalers de Marie-Thérèse ou de bijoux anciens. Le goût pour les ajouts d’or
pourrait être le fait des jeunes orfèvres de Sur qui effectuaient un stage à Zanzibar, ancienne
colonie d’Oman en Afrique orientale, où l’on façonnait l’or. Le travail de l’argent était
traditionnellement transmis de père en fils et les clients se rendaient dans les ateliers pour y
acheter ou commander des pièces. Il existait également des orfèvres itinérants qui
voyageaient dans les régions intérieures les plus reculées. Les différences régionales et locales
sont restées importantes. Dans le nord, les bijoux ont tendance à être plus grands, les
bracelets de cheville plus nombreux et les boîtes à amulettes populaires. Dans le Dhofar, les
pièces sont généralement de plus petite taille et travaillées de façon plus délicate, présentant
des similarités avec la bijouterie yéménite.
C’est au moment de ses noces que la femme recevait de sa famille la majeure partie de ses
parures : bandeaux et ornements de cheveux, colliers, boucles d’oreille, anneaux de nez,
bracelets, anneaux de coude, bagues pour les mains et les pieds, ceintures constituaient ainsi
sa dot, rempart indispensable contre les revers de fortune et la répudiation. Suivant la loi
musulmane, les bijoux sont en effet la propriété personnelle de la femme. Leur profusion est
le signe de la richesse familiale et une marque de générosité de l’époux.
L’ARABIE SAOUDITE
L’Arabie saoudite, dominée par le désert et des zones semi-arides, était à l’origine composée
de quatre régions distinctes : Hedjaz, Nadj, l’Arabie orientale (Al-Hassa) et méridionale (‘Asir)
qui ont été réunies en un seul État par Ibn Séoud après la dislocation de l’Empire ottoman. La
région du Najd (littéralement « haut plateau »), située au cœur du pays, est restée peu
accessible pendant des siècles de par sa situation et l’âpreté de son climat. À l’origine, la
population était constituée de tribus nomades, les bédouins, ou de tribus composées de
fermiers et marchands sédentaires qui sont longtemps demeurées à l’écart des grands
empires islamiques. Cela explique la singularité de son orfèvrerie qui marie avec bonheur l’or,
les perles du golfe Persique (symbole de pureté associé à la lune), le corail de la mer Rouge
(symbole de vie) et les turquoises d’Iran (protection contre le « mauvais œil ») sur des colliers,
des ornements frontaux ou des bagues. L’art de la parure joue avec les alternances
chromatiques de ces matières ainsi que des effets de granulation qui assurent du relief au
décor. Le bijou le plus précieux pour la riche bédouine du Nadj était l’ornement frontal. Les
femmes moins aisées se contentaient de bijoux en argent.
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LES FASTES DE L’INDE
Peu de contrées ont su, comme l’Inde, préserver les coutumes millénaires des parures et
déployer, du nord au sud, cet éventail extraordinaire de bijoux, objets de séduction qui
s’adressaient autant aux personnes qui les portaient qu’à celles qui les contemplaient. La
permanence de la représentation ornementale en sculpture comme en peinture ont permis
de découvrir et d’apprécier les joyaux que le temps et l’homme ont fait disparaître. Par leur
beauté épurée ou leur magnificence baroque, les ornements en or des provinces côtières
témoignent de la continuité de cette tradition. Ces régions, idéalement situées sur les voies
commerciales terrestres et maritimes, étaient d’une grande richesse et connurent au cours
des siècles des migrations de populations qui apportèrent de nouvelles techniques et de
nouveaux motifs. Les écrits anciens attestent la présence d’importantes communautés
d’orfèvres, organisées en guildes, dont le savoir-faire se transmettait de père en fils. Les
décors, inspirés de la nature environnante et dont les origines remontaient à d’anciennes
croyances, ont ainsi traversé les millénaires. Les bijoux en Inde étaient une véritable carte de
visite qui affichait les affiliations religieuses du porteur, sa caste et la communauté à laquelle
il appartenait.
L’importance des parures prend racine dans la littérature sacrée. Les artisans indiens se sont
non seulement inspirés de la nature mais aussi de la richesse iconographique de leurs religions
pour créer les décorations de pièces de bijouterie qui, alors dotées de pouvoir spirituel et
énergétique, accordaient une bonne santé et une vie longue et prospère à son propriétaire.
Les ornements se portaient traditionnellement sur presque toutes les parties du corps,
notamment au niveau des articulations et des points de pression. On pensait, en effet, que le
contact entre les points de pulsation et les bijoux - pénétrés de significations symbolique et
spirituelle - améliorait le passage du flux énergétique et maintenait ainsi le corps et l’esprit
dans un état d’équilibre et d’harmonie parfaits. Il était donc impératif d’arborer des
décorations, aussi modestes étaient-elles, et celles des chevilles et des pieds n’étaient pas
moins importantes que celles des autres parties du corps. Les parures, véritables amulettes
investies d’une valeur bénéfique et protectrice, offraient aussi respect et statut social ; de plus
l’or, associé à la déesse de la richesse Lakshmi, ainsi que les pierres précieuses étaient censés
posséder des vertus prophylactiques. Les bijoux transformaient la femme en déesse,
rehaussaient la grâce de ses formes et de ses gestes et soulignaient, par une multitude de
connotations religieuses et mythologiques, ses rapports avec la nature. Les parures n’étaient
cependant pas un apanage exclusivement féminin puisque les enfants, les hommes et les
divinités en portaient.
La grande majorité des bijoux étaient façonnés par repoussage sur feuille d’or pour faire
apparaître le relief des principaux sujets. L’orfèvre rehaussait ensuite les motifs de détails
décoratifs gravés et enrichissait la surface de granulations, de filigrane et de pierreries. Pour
conserver les contours des formes creuses, les concavités étaient remplies de laque liquide
qui durcissait en se refroidissant et garantissait ainsi la pérennité de l’œuvre.
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LES EMPIRES OUBLIÉS
DE L’ASIE DU SUD-EST CONTINENTALE
Immense région qui s’étire de l’Asie du Sud à l’Extrême-Orient et comprend dans sa partie
continentale la Birmanie, le Cambodge, la Thaïlande et le Viêt Nam, l’Asie du Sud-Est a été le
berceau de cultures raffinées et de puissants empires influencés par deux grandes civilisations,
l’Inde avec ses doctrines religieuses et la Chine, qui débordèrent de leurs frontières naturelles.
La Chine conquit et façonna à son image, l’Inde rayonna par ses missionnaires et par ses
marchands.
LA CIVILISATION PYU DE BIRMANIE
Située aux confins de l’Inde et de la Chine et en bordure du golfe du Bengale, la Birmanie
connut de brillantes civilisations. Probablement arrivés par le Yunnan, les Pyu se sont établis
dès le Ier ou IIe siècle avant notre ère en haute Birmanie le long de l’Irrawaddy et y ont créé de
prospères cités fortifiées dont Beikthano, Halin et Srī Kṣetra. Les premiers processus
fondamentaux d'urbanisation et d’étatisation se sont réalisés entre le IIe siècle avant notre ère
et le IIIe siècle après dans un cadre culturel dominé par les cultes autochtones et par une
tradition architecturale indigène. Des contacts existaient entre la Birmanie et les villes
portuaires de l'Inde, mais les influences de cette dernière se sont seulement manifestées dans
l'usage de la brique. Le commerce suivit l’essor économique et social des royaumes pyu qui
surent mener à bien les travaux hydrauliques dont dépendait une agriculture efficace. La
deuxième phase de la civilisation pyu se définie par l’influence de la culture indienne avec
l'apparition des premiers monuments indianisés. Après le Ve siècle, le centre urbain se déplace
vers le sud, à Śrī Kṣetra, ville riche et brillante qui connut un âge d’or jusqu’au début du IXe
siècle. Située plus près de la mer, elle bénéficiait d’un réseau de commerce maritime, et
contrôlait la plus grande partie du cours de l'Irrawaddy et de ses affluents principaux. Affaiblis
par les diverses incursions menées par des peuples venant du Yunnan, les Pyu entrèrent peu
à peu en déclin jusqu’à l’arrivée des Birmans dans la région de Bagan, qui devint alors le centre
d’un nouveau royaume (849-1287).
Les Pyu, bons artisans, excellaient dans la pratique des métaux. Mariant l’or, le jade, le rubis
et parfois l’améthyste, leurs bijoux somptueux témoignent avec éclat de la prospérité de leur
royaume. Ils se distinguent par l’extrême raffinement du travail de l’or. Les colliers s’ornent
de perles en filigrane ou de pendentifs et pampilles variées rehaussés de fines granulations.
Certains colliers présentent des sujets d’iconographie bouddhique comme les pieds de
Bouddha, et autres symboles de bon augure. L’orfèvre joue non seulement avec les formes
mais aussi avec l’aspect du métal qu’il sait rendre brillant ou mat.
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LA GRANDEUR KHMÈRE DU CAMBODGE
Succédant au puissant royaume maritime du Funan qu’il soumit vers la fin du VIe siècle, le
royaume des Kambuja, le Chenla, s’installa dans la moyenne vallée du Mékong où il forgea son
unité et sa prospérité sous l’impulsion d’un processus d’indianisation très profond. Avec
l’instauration au début du IXe siècle d’un rituel sacralisant le pouvoir royal unique – Devaraja,
le Dieu-Roi – et l’installation de la capitale dans la région d’Angkor au cœur géographique du
pays, un État khmer puissant émergea (IXe – XIIIe siècle). Les cités hydrauliques avec leur
réseau d’innombrables canaux et les immenses retenues d’eau permettaient d’assurer les
cultures intensives qui contribuaient largement à leur prospérité et à leur puissance. Le
souverain était la représentation de Shiva, le dieu supérieur de la trinité brahmaniste (Brahma,
Shiva et Vishnu) et devait être adoré comme une divinité. Malgré des périodes de conflit et de
luttes de pouvoir, l’Empire khmer devint une des forces dominantes de la péninsule
indochinoise et contrôlait selon les périodes des régions faisant partie du Laos, de la Thaïlande,
du Viêt Nam, de la Birmanie et de la Malaisie. L’empire se désagrégea au XIIIe siècle sous les
coups des Cham, des Thaïs, des Malais ainsi que des attaques chinoises.
Le Cambodge, fortement influencé par les cultures indienne et javanaise, développa
néanmoins une identité particulière. Au fur et à mesure de l’extension de la civilisation
d’Angkor, les bas-reliefs des temples ont dépeint avec détails les divinités, les fastes des
cérémonies royales et religieuses, ainsi que les scènes de la vie quotidienne. Dans ces images
de pierre, les personnages portent des parures élaborées. Les rares bijoux en or conservés
jusqu’à nos jours ressuscitent ces fastes angkoriens.
L’or jouait un rôle majeur au Cambodge aussi bien dans l’économie que dans la vie
quotidienne. Son usage est attesté dès les plus anciens textes qui décrivent des images
sacrées, des objets ou des parures. Le pays avait d’ailleurs ses propres ressources sous forme
de dépôts alluvionnaires ou de filons. Les bijoux les plus somptueux – bagues, ceintures,
diadèmes, bracelets et anneaux de cheville – étaient offerts et consacrés lors de la fondation
des temples et des monastères. Cependant, leur usage pouvait aussi relever du profane : les
rois et leurs épouses arboraient ainsi des tiares, des boucles d’oreilles et des ceintures
orfévrées. Pour les Khmers, l’or magnifiait le monarque, les dieux et manifestait la puissance
de l’empire. Comme en Inde et dans la plupart des pays indianisés, les joailliers puisaient
l’essentiel de leur inspiration dans la nature : traités en repoussé, des motifs végétaux
côtoyaient des représentations de nuages, de rochers et de pyramides évoquant le mont
Méru, l’axe du monde selon la cosmologie hindoue. Les orfèvres khmers ont aussi travaillé les
fils d’or avec une dextérité étonnante, comme en témoignent les chaînes flexibles aux
différents styles de mailles qui évoquent parfois les guirlandes en boutons de fleurs de jasmin
portées par le souverain et l’aristocratie lors des cérémonies.
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LE ROYAUME DU CHAMPA AU VIÊT NAM
À l’est de la péninsule indochinoise, baigné sur deux mille kilomètres par la mer de Chine
méridionale, le Viêt Nam renferme en son sein plus d’une soixantaine d’ethnies qui ont
profondément marqué de leur empreinte ses croyances comme ses langages artistiques.
Largement majoritaires, les Viêt se sont répartis dans les plaines et le long des cours d’eau
avant de conquérir le sud. Autre composante essentielle de l’identité culturelle du pays, les
Cham apparaissent comme les héritiers probables des colons qui, dès la fin du Néolithique,
arrivèrent par la mer d’Indonésie, de Malaisie, de Sumatra ou de Bornéo, pour s’établir dans
la région de l’Annam, au centre du pays. Ils établirent un puissant royaume dès le IIe siècle de
notre ère et se montrèrent aussi d’extraordinaires bâtisseurs et sculpteurs. Les populations
cham ont connu une indianisation pacifique par les marchands et les brahmanes. L’activité
essentielle du Champa était tournée vers la mer pour le commerce international et la piraterie
avec une puissante flotte de guerre. Échelonnées de Hué à Tourane du IXe au XIIe siècle, les
dynasties cham successives ont joué un rôle politique important par leurs raids sur toutes les
côtes d'Indochine. Jalonnant les plaines côtières, leurs établissements portuaires se
trouvaient au cœur des routes commerciales reliant l’Inde, la Chine et les îles aux épices
indonésiennes. Dès le Xe siècle, ce royaume se heurta au Cambodge angkorien et s'épuisa dans
des luttes fratricides. Le Champa ne put résister à l’implacable « marche vers le sud » des
Vietnamiens qui ne devait pas se relâcher pour devenir, au XIIIe siècle, irrésistible et oblitérer
jusqu'au souvenir de cet État indianisé.
Reflétant l’importance des échanges entre l’Inde, la Chine et les nombreuses îles
indonésiennes, l’orfèvrerie cham est raffinée, oscillant entre stylisation et préciosité baroque.
Elle reflète avec éclat les grandes heures de cette civilisation absorbée par ses puissants
voisins.
LES ROYAUMES DE THAÏLANDE
Imprégnée de culture indienne, comme d’autres régions de l’Asie du Sud-est, la Thaïlande a
connu plusieurs royaumes qui se sont partagés le pays dans une histoire entremêlée.
Originaires du sud du Yangzi, les Thaïs s’y sont installés au fil de leurs migrations successives.
L’instauration du royaume de Sukhotaï (1238-1438) dans le centre-nord est
traditionnellement considéré comme le début de la nation. Sa fondation est d’ailleurs associée
à une légende de joyaux miraculeux qui permettaient le contrôle de l’eau douce. Pour la
première fois, un État thaï devenait une puissance en Asie du Sud-Est. En déclin, cet état
deviendra le vassal du royaume d’Ayutthaya (1350-1767) qui sera une forte entité politique
avec un roi divin, connue en Europe sous le nom de Siam avant sa chute devant les Birmans.
La capitale fut alors transférée à Thonburi puis à Bangkok avec la fondation du royaume de
Rattanakosin de la dynastie Chakri (1782-1932). Tout en accueillant les apports extérieurs, les
différents royaumes thaïs ont produit un langage artistique particulier. La recherche
archéologique y a dévoilé les somptueux bijoux et l’usage fastueux des gemmes dont parlent
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les textes des voyageurs. Caractéristiques du Siam ancien sont les fins bracelets torsadés ainsi
que les colliers composés d’éléments tubulaires takrut et de perles rondes en résine revêtues
de feuille d’or.
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L’INSULINDE, AU FIL DES ÎLES
L’INDONÉSIE
Par ses ressources naturelles convoitées (épices, clous de girofle, poivre, noix de muscade,
bois précieux…) et sa position stratégique, l’archipel indonésien fut dès les temps anciens
intégré dans les grands réseaux d'échanges internationaux de l'océan Indien à la mer de Chine
méridionale. L’histoire de l’or a suivi les grandes étapes de la chronologie de ce pays, de l’aube
de la civilisation à nos jours. Les découvertes archéologiques ont dévoilé que, dès la
préhistoire, les populations de l’archipel attachaient de l’importance aux parures dans le cadre
de leur vie quotidienne et de leur vie de l’au-delà. Une proportion considérable de l’or brut
utilisé dans la fabrication de bijoux devait probablement venir de Sumatra et de Bornéo. Dans
ce vaste archipel, les myriades d’îles peuplées de marins invétérés ont partagé depuis des
millénaires un certain nombre de coutumes et de rituels : la pratique de la chasse aux têtes,
l’utilisation de maisons communes, le culte rendu aux ancêtres et l’art de la parure. Ainsi, les
familles nobles de Sulawesi, de Sumatra et de l’Indonésie orientale s’étaient octroyées
l’exclusivité de posséder et d’arborer des ornements en métal précieux, abandonnant aux
classes moins fortunées les éphémères parures faites de coquillages, de plumes et d’os. Les
systèmes de pensées issus d’un vieux fond archaïque ont côtoyé ceux apportés par les
commerçants et les missionnaires étrangers. Les croyances animistes sont ainsi restées
vivaces, sous-jacentes dans les diverses religions adoptées plus tard. L’union temporaire
d’éléments opposés, mais complémentaires, comme l’homme et la femme, le village et la
forêt, l’humain et le surnaturel, le métal et le tissu, engendrait une puissance créatrice et
protectrice. Les parures en or qui étalaient le rang et la richesse de leurs propriétaires
exprimaient aussi des concepts de vie reliant les vivants aux ancêtres défunts ainsi qu’aux
êtres surnaturels qui apportaient protection. Elles revêtaient une dimension religieuse autant
que clanique et étaient d’indispensables objets de médiation, non seulement entre les
différentes catégories sociales, entre les deux sexes, mais aussi entre les différentes parties
de l’univers. Les somptueux diadèmes semblent être une survivance des traditions hindouistes
tandis que les ornements en forme de croissant, de bateau ou de cornes de buffle perpétuent
l’héritage archaïsant. Dans les régions islamisées, feuillages, rinceaux et fleurs devinrent les
thèmes iconographiques dominants.
Java
La fertilité de l’île de Java en fit le centre de peuplement le plus dense d'Indonésie. Les
souverains qui détenaient le pouvoir au sein des établissements portuaires égrenés sur les
côtes adoptèrent très vite des modèles culturels, religieux et politiques indiens qui
rehaussaient leur prestige et affirmaient leur rôle royal. Cette influence fut prépondérante
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dès la période proto-classique (vers 200-700), et se maintint jusqu'au XIIIe siècle. La parure y
jouait déjà un rôle social, marqueur de prestige et de richesse. Des bijoux figuraient ainsi parmi
les offrandes funéraires découvertes dans les tombes. Coulés dans l’or, mais aussi dans
l’argent et le bronze, les ornements sophistiqués reflétaient le statut de leurs propriétaires.
À partir de la période du classique ancien (700-1000), durant laquelle furent construits le
sanctuaire shivaïte de Prambanan (vers 856) et celui bouddhique du Borobudur (780-833), les
souverains javanais menaient une intense politique commerciale en mer de Chine et jusque
dans les États de l’Asie du Sud-Est. Ils firent naître dans leur île un art de cour des plus raffinés,
comme en témoignent les parures en or, chaînes constituées de multiples éléments, torques
et bracelets, ornements d’oreille et de coiffure, ainsi que les bagues agrémentées de pierres
semi-précieuses ou recouvertes de caractères d’écritures aux vertus prophylactiques.
La période classique récent (1000-1400) voit l’émergence du royaume de Majapahit (12921527) qui deviendra le plus puissant des royaumes javanais de l’ère hindou-bouddhique et
atteindra son apogée politique et culturelle aux XIVe et XVe siècles. La richesse apportée par
le pouvoir économique, dû au vaste réseau de comptoirs situés à la croisée des routes des
épices, se reflète dans les arts de cour. Les orfèvres aimaient représenter d’extravagants
motifs foliés sinueux ainsi que des thèmes protecteurs tels les animaux mythiques et les
visages de démons expressifs, exécutés par coulage à la cire perdue. La technique
sophistiquée de la ciselure favorisa aussi la création de motifs plus complexes.
Bali
Située à l’extrémité de Java, Bali, la plus occidentale des petites îles de la Sonde, se caractérise
par l’originalité de sa culture. Se considérant comme les derniers descendants de la brillante
dynastie de Majapahit, les Balinais ont préservé, à l’ombre de leurs volcans, des traditions
surgies de l’Inde la plus profonde, auxquelles se mêlent des cultes et des rituels animistes. Les
bijoux, parures de tête, épingles, bracelets et bagues, d’un raffinement baroque, donnent un
aperçu du faste de ces petits royaumes.
Sumatra
Idéalement située au carrefour des routes commerciales, Sumatra a connu un passé
cosmopolite avec des empires puissants à la richesse basée sur le négoce du poivre et des
produits aromatiques. À partir de Palembang, l'empire de Srivijaya étendit, entre le VIIe et le
Xe siècle, sa domination sur les régions avoisinantes. Maîtrisant les détroits de la Sonde et de
Malacca, cette puissance maritime prit le relais de l'influence indienne et contribua à l'asseoir,
notamment comme foyer du bouddhisme, tout en s’affirmant comme un important centre
d’études. Une communauté chinoise prospère y développa une culture de cour au XV e siècle
et l’arrivée de l’islam par les marchands fit éclore au XVIe siècle une culture urbaine fastueuse
et métissée, à partir de laquelle essaimera l’islamisation progressive de toute l’Indonésie.
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L’orfèvrerie des différentes ethnies, riche de symbolismes et de traditions, est
particulièrement somptueuse et variée.
Située sur la pointe nord de l’île de Sumatra, la province d’Aceh a été une des premières
régions d’Indonésie à être islamisée au XIIIe siècle. Le sultanat d’Aceh, « la porte de la
Mecque » pour les Indonésiens, prit son essor grâce à la prise de Malacca par les Portugais en
1511 qui provoqua le départ des commerçants musulmans vers les États voisins. Aceh établit
des relations diplomatiques et commerciales avec l’Empire ottoman et connut son apogée au
début du XVIIe siècle. Ces contacts influencèrent profondément la joaillerie locale qui se
différencie des autres régions de l’île par son vocabulaire décoratif, entre stylisation végétale
et abstraction, ainsi que par l’emploi de décors émaillés.
Originaires des montagnes au nord du lac Toba, les Batak Karo, jouèrent un rôle historique à
l’intersection des routes commerciales du sultanat d’Aceh et des autres régions de l’île, ce qui
permit le développement de quelques petits royaumes Karo. Ce peuple, chrétien ou
musulman, vivait traditionnellement dans les longues maisons destinées à abriter une famille
au grand complet, sans oublier sa parenté et ses partenaires d’alliance par mariage. L’art Karo
est né de l’interaction culturelle entre ce groupe et les peuples alentours. Les ornements de
mariage sont utilisés par trois, de façon répétitive, pour symboliser l’alliance tripartite qui se
conclut entre le lignage familial, les « donneurs d’épouses » et les « preneurs d’épouses ». Les
formes évoquent à la fois la maison traditionnelle et les cornes des buffles d’eau tandis que la
décoration reflète les emprunts faits aux sultanats islamisés dont Aceh mais aussi à l’Inde.
Les Batak Toba, groupe christianisé le plus important parmi les Batak, habitent la région à l’est,
au sud et à l’ouest du lac Toba ainsi que l’île de Samosir, située au milieu du lac. Ils ont vécu
dans un isolement plus grand que leurs voisins et sont à majorité de religion protestante. Leur
culture se retrouve au-delà des limites de leur origine géographique avec l’importance donnée
à la descendance de clans patrilinéaires, à l’alliance matrimoniale, et à la vénération des
esprits, et leur art est proche de celui des Karo.
L’orfèvrerie de l’ethnie musulmane minangkabau, « le peuple du buffle victorieux », varie d’un
lieu à l’autre. Influencée par les traditions islamiques, elle utilise avec virtuosité le filigrane et
la granulation, mais aussi avec luxuriance le travail du repoussé. Les divers colliers ornés
d’ornements évoquant les cornes du buffle d’eau et la rumah adat, ou de médaillons ovales
agrémentés parfois d’un pendentif représentant une créature mythique, ainsi que les colliers
enrichis de corail se portaient superposés en cascade lors de la cérémonie nuptiale et
s’accompagnaient d’un foisonnement de bracelets.
Nias
Située au large de la côte occidentale de Sumatra, la petite île de Nias, « Tano Niha, terre des
êtres humains », possède un riche patrimoine culturel de sites mégalithiques et d’habitats
traditionnels, dont des villages qui furent jadis de véritables cités fortifiées quasi imprenables.
La notion de pouvoir et du prestige du statut social était fondamentale dans la culture Nias
qui se caractérisait par des guerres endémiques, des rivalités entre familles et une importante
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activité artistique. La société très stratifiée se composait d’aristocrates, de gens du commun
et d’esclaves. Les mégalithes représentaient l’identité d’un clan et immortalisaient certains
évènements majeurs. Les nobles, qui entretenaient des relations privilégiées avec le monde
supérieur peuplé de divinités, organisaient des fêtes très onéreuses pour gagner respect et
prestige au sein de la communauté. Pour surclasser des compétiteurs, ils y déployaient avec
faste leurs richesses familiales, couronne, colliers et boucles d’oreilles en feuilles d’or battu.
L’or était un important symbole de noblesse et un moyen d’affirmer la puissance du clan, ainsi
que la chasse aux têtes qui assurait des pouvoirs et était associée aux concepts de
commandement, de bravoure et de virilité. Le torque en or, ou composé de disques de noix
de coco enfilés sur un lien de bronze, était un ornement masculin de haut prestige, qui
proclamait l’appropriation d’une tête humaine hors du groupe et l’apport de forces créatrices
et protectrices à la communauté.
Sulawesi
Située à l’est de Bornéo, Sulawesi, « l’île de fer », fut découverte en 1523 par des marins
portugais à la recherche de l’or produit dans le nord. Ils y trouvèrent différents groupes
culturels et des royaumes avec une forte puissance commerciale. Makassar, au sud de l’île
était un entrepôt prospère sur la route des épices où Chinois, Arabes, Indiens, Malais et
Javanais venaient négocier leurs textiles et produits manufacturés contre de l’or, des perles
et les épices importés des Moluques. L’islam et le christianisme n’empêchèrent pas les
habitants d’observer des rites appartenant à leurs traditions ancestrales. Ce cosmopolitisme
explique les différentes influences que connurent les parures rituelles. Les métaux précieux
permettaient d’exprimer le caractère sacré du haut rang social, et les perles de couleurs,
commercées dès l’Antiquité en Asie du Sud-est, y ont été appréciées ainsi qu’à Bornéo.
Les petites îles de la Sonde
Sumba
Située au nord de l’Australie et proche de Sumbawa et Florès, Sumba fait partie des petites
îles de la Sonde. Les marins portugais, qui y arrivèrent en 1522 à la recherche des épices,
l’inscrivirent sur leurs cartes sous l’appellation « île du santal ». L’île a gardé une société
clanique rigoureusement hiérarchisée basée sur l’aristocratie guerrière. Les ancêtres, dont
l’esprit flotte librement dans les flèches de chaume des longues maisons, n’y meurent jamais
et protègent les vivants de leur présence tutélaire. La guerre s’y pratiquait de façon
endémique jusqu’au début du XXe siècle. L’arbre à crânes andung au cœur des villages, qui
rappelle ce temps révolu de la chasse aux têtes, reste un important lieu spirituel. Y est associé
le poteau fourchu utilisé pour communiquer avec les ancêtres. À la fin de la saison des pluies,
en février-mars, le rite de fertilité lié au pasola, joute à cheval opposant deux groupes de
cavaliers s’affrontant au moyen d’épieux, est un grand moment du contexte religieux local.
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Les chefs rivaux s’affrontaient aussi en arborant le trésor familial comme une arme
fondamentale de la politique agressive. Les ornements en or, expression concrète des mythes
locaux, des rites et des échanges économiques, attestaient du pouvoir mystique d’un lignage
noble. Ils servaient aussi de relais pour entrer en contact avec les esprits des ancêtres. Des
tabous y étaient attachés, comme l’interdiction de regarder les objets les plus anciens ou de
s’en servir en dehors des fêtes rituelles. Les fonctions et les formes différaient cependant d’un
groupe ethnique à l’autre. Parmi les éléments décoratifs aisément identifiables figurent les
autels, les oiseaux (emblèmes du royaume des esprits), les chevaux (insignes de richesse et de
prestige), le croissant dit en forme de lune (symbole du renouveau), de coque de bateau
(symbole de l’embarcation de l’ancêtre fondateur) ou de corne de buffle (symbole de courage)
qui soulignent de leur présence le lignage noble du propriétaire
Florès
Ainsi baptisée par les Portugais à leur arrivée en 1511, l’île de Florès était renommée pour son
bois de santal. Les habitants y sont à majorité catholiques, même si l’animisme reste très
présent. L’orfèvrerie, par sa diversité stylistique et son syncrétisme, reflète les divers mythes
cosmiques locaux, la complexité de l’histoire politique des différentes parties de l’île et le
rayonnement des réseaux commerciaux avec les États islamisés de l’Indonésie.
Les Moluques
Situées aux confins du monde indonésien, les Moluques, « l’île des rois » Jazirat al-Muluk des
marchands arabes, faisaient partie des comptoirs tributaires du royaume javanais de
Majapahit. À cette époque, y étaient présents des sultanats indépendants souvent en conflit.
Productrices d’épices – noix de muscade, macis et clou de girofle –, ces îles ont attiré les
Portugais en 1511 puis, en 1599, les Hollandais qui ont imposé leur monopole sur ce
commerce. Une culture métisse s’est développée dans les régions à fort courant d’échanges,
tandis que l’animisme est resté plus présent dans les îles du sud-ouest situées à l’écart. Les
expéditions punitives de chasse aux têtes y étaient fréquentes. Les parures en or, portées au
cou par les hommes ou sur leur couvre-chef pour exprimer leur victoire et leur prestige de
guerrier chasseur de têtes, pouvaient aussi être déployées sur le corps pour indiquer le rang
et le pouvoir lors des rencontres cérémonielles entre villages alliés.
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LES PHILIPPINES
Les Philippines furent sur la voie des migrateurs qui apportèrent avec eux les répertoires
décoratifs du continent asiatique, et sur les routes commerciales qui invitèrent les négociants
chinois et musulmans. L’archipel compte des milliers d’îles dont Luçon colonisée au XVIe siècle
par les Espagnols partis à la recherche des épices. Ces conquistadores furent frappés par les
fastueuses parures portées par les Philippins. Les richesses minières en or et en cuivre du nord
de l’île furent l’objet de leur convoitise mais les indigènes firent tout garder secrètes leurs
sources aurifères.
Les différents groupes ethniques des montagnes de Luçon étaient regroupés en de petits
villages pratiquant la culture sur brûlis et celle du riz en terrasses. Ils présentaient de
nombreux traits communs avec les habitants de l’intérieur de Sulawesi et de Kalimantan
(Bornéo) comme la pratique de la chasse aux têtes qui assurait la régénération de la vie
humaine et de la fertilité agraire. Célébrant les prouesses des hommes en tant que chasseurs
et guerriers, révélant aux yeux de tous le rang et la fortune, jouant aussi en certaines occasions
le rôle d’amulette, les bijoux philippins étaient des passeurs de rituels, des marqueurs
d’identité mais ne semblaient pas posséder pas un pouvoir surnaturel particulier comme en
Indonésie orientale.
FONDATION BAUR, Musée des Arts d’Extrême Orient, 8, Munier-Romilly, CH-1206 Genève –
www.fondationbaur.ch
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