Les histoires de Giufà
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Les histoires de Giufà
Les histoires de Giufà Episodes : Introduction et traductions de Jean Paul Barreaud Les parents de Giufà ; Giufà couve ; Giufà gagne son pain ; La toile ; Les allumettes ; Chez le teinturier ; Parmi mes auditeurs, des anciens d’Afrique du nord se sont étonnés de trouver en Sicile ces histoires, les mêmes entendues dans leur enfance, à quelque petit degré de latitude plus au sud... Giufà est né de la fantaisie populaire, il y a probablement longtemps si nous partageons ce personnage avec la tradition arabe, et même selon certains l’extrême–orient. Ici comme là-bas il incarne en tout cas l’image de l’ingénu, du naïf, de l’imprudent aux mille aventures. Une morale se dessine derrière l’ensemble de ces contes. En disant les mésaventures de Giufà, on fait l’éducation des jeunes en ne leur disant pas ce qu’il faut faire, mais en leur laissant juger de ce qu’il ne faut pas faire. Sous peine de passer pour un Giufà ! Tant qu’au bout du compte, parce qu’il commet toutes les bêtises, y compris les plus grosses qui le voient finir en prison ou recherché par les gendarmes, en le voyant toujours là, vivant et debout, pauvre et ignorant mais sympathique et rebelle, Giufà nous reste en mémoire comme un modèle de sagesse. Et l’on se surprend à une tendresse, la même que les bons élèves nourrissent pour le gardien du radiateur au fond de la classe… On doit imaginer un enfant sans âge : parfois on a l’impression d’un gamin et une autre histoire nous dépeint plutôt un adolescent. Il est bien bâti et fort de nature, ce qui a contribué à son image de héraut du petit peuple, dont les insolences vengent les humiliations. Plutôt cossard, cauchemar de ses parents qui ne savent plus à quel Saint se vouer , il traîne ses journées mal fagoté et pas très porté sur la toilette, mais en fils d’une petite bourgeoisie de province. D’autres versions le font imaginer sale, pieds nus et mal vêtu, reflet d’une société oppressée, repliée sur ses maigres avoirs et pour laquelle l’autorité, église, gendarmes et jusqu’au Roi signifie avant tout l’injustice et la pauvreté…. Bon divertissement cher lecteur ! Sources : tradition orale, « Le storie di Giufà » par Filippo De Franco, «I racconti di Giufà» par G. Celona et Benedetto Sergi, Premier épisode LES PARENTS DE GIUFÀ Ndt : pour la bonne compréhension, Felice veut dire heureux et Felicetto en est un diminutif, ce qui donne encore plus de saveur à ce qui suit. Le père de Giufà s’appelait Zenobio et il se maria très jeune. Aux jeunes toujours pressés il semble que ce jour ne doive jamais arriver. Et les voilà d’un coup liés pour toujours sans avoir bien compris comment cela a pu arriver… Don Zenobio épousait la fille de Don Felice : une fille pas très belle à dire vrai ; et l’on disait que le prêtre qui l’avait baptisée avait oublié le sel sur son front au point que les parents l’avait rappelé à l’ordre : « un peu plus Monsieur le curé, un peu plus !». Mais elle possédait cinq cent lires de dot et peu de filles au pays aurait pu en vanter autant : une vigne au soleil et une cave avec une paire de barriques de bon vin, de celui qu’on se réserve. Que pouvait on demander de plus ? ceci compense cela. En somme, ils se mariaient et nul ne pouvait y redire. Les parents et les invités vêtirent leurs plus beaux atours, ceux des grandes fêtes, et s’assemblèrent dans la maison de la mariée dés le matin, allègres et bavards. Après les épousailles, ils se mirent à table et commencèrent à banqueter dans la joie. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, les carafes furent mises à sec : c’est dans le vin que se trouve l’allégresse de la fête, et si les carafes ne vont et viennent, quelque chose ne va pas. Alors la jeune épouse et une de ses cousines prirent deux carafes chacune et se rendirent à la cave pour les emplir. Une fois fait, la cousine revint en premier alors que l’épouse emplissait à son tour. Pendant qu’elle attendait, elle se mit à penser à son avenir de maîtresse de maison : « ce jour je me suis mariée, après j’aurais un enfant qui s’appellera Felicetto. Et moi je l’aimerais de tout mon cœur ! je l’habillerais, je le chausserais , je l’enverrais à l’école. Et lui grandira et fera ma joie et celle de son père… Et s’il mourait ? Ah Felicetto, mon pauvre fils ! » Et d’éclater en sanglots, comme si réellement son fils était né, avait grandi puis était mort en un instant. Et pendant ce temps la carafe était depuis longtemps remplie et de la bonde toujours ouverte, le vin courait à flots et inondait à présent la cave. Ceux qui étaient à table, voyant que la jeune cousine était revenue et que l’épouse elle tardait, ne surent que penser. « Et pourquoi ne revient-elle pas ? qu’est ce qu’elle peut bien faire ? et si on allait voir ? » Ce à quoi le père en homme pratique et de bon sens, pour mettre un terme aux cancans ordonna à son épouse : « Femme, vas donc voir si par hasard elle ne dort pas debout ! ». La mère descend donc à la cave et trouve sa fille qui pleure à chaudes larmes et le vin qui n’en finit plus de couler. Figurez-vous la surprise ! «-Qu’as-tu fait ma fille, que t’est-il arrivé ? -Ah maman, maman, j’ai pensé que je m’étais marié et puis j’aurais un fils qui s’appellera Felicetto, comme papa, et si Felicetto mourrait ?-Mon dieu mon pauvre petit » Et ce ne fut qu’un seul sanglot au point qu’on eut dit que c’était à qui pleurait le plus. Mais celle qui coulait le plus, c’était bien la barrique dont on aurait cru qu’elle essorait tout le vin qu’elle contenait. Quand les convives virent que la mère elle non plus ne revenait pas, les cancans reprirent de plus belle ainsi que les idées plus sombres : « Peut-être qu’elles sont mortes ou… ». A ce stade le jeune marié n’y tenant plus voulut voir par lui-même. Mais le père l’arrêta :« Non c’est à moi d’aller voir, je suis encore le patron chez moi » Il va et trouve ces deux-là qui pleurent comme des fontaines (la seule vraie fontaine étant la barrique qui perd toujours et alimente un lac à présent). «-Mais on peut savoir ce que vous avez toutes les deux ? -Ah mon mari, répond la femme, si l’on pense que notre fille vient de se marier et qu’elle aura un fils auquel elle donnera ton nom : Felicetto. Mais si cet enfant vient à mourir ? -Ah le pauvre enfant» Et de se mettre à pleurer ensemble. Comme si cela avait vraiment eu lieu. Et quand dans la salle on ne vit retourner personne, le jeune marié qui bouillait en lui-même et n’en pouvait plus se décida à aller voir. Il se trouva devant ce désastre de larmes et de vin «Qu’est ce qu’il se passe ? mais qu’avez-vous donc à pleurer ? » Et la jeune épouse de répondre : «Ah mon cher mari, nous pleurons à l’idée que nous voilà mariés, et nous aurons un fils qui s’appellera Felicetto, comme papa ; penses un peu au malheur que ce serait si Felicetto mourait !» A cette histoire, le jeune marié ne savait pas s’il devait rire ou se fâcher ; mais quand il vit qu’ils pleuraient pour de bon et toute cette mer de vin, il rentra dans une colère noire. «Je savais déjà que tu étais stupide cria-t-il à son épouse, mais pas à ce point là. Moi je te plante là et ne reviendrais jamais. Ou alors seulement quand j’aurai trouvé une folle plus folle que toi.» Et sans détour, il mit sa menace à exécution. Rien n’y firent les larmes et les imprécations. Il partit et s‘arrêta dans le premier bourg venu. Il s’employa à la journée en compagnie de deux jeunes mariés de frais. Et il pensait en les regardant roucouler et s’échanger des caresses tout le jour « c’est comme cela que je devrais vivre aujourd’hui. Mais le destin n’a pas voulu. Bienheureux cet homme d’avoir trouvé épouse meilleure que la mienne ! » Un jour ce mari dit à sa femme : « Aujourd’hui je veux manger des brocoletti sautés à la poêle». Et quand vint l’heure du repas, elle prit les brocoli, les lava et les tailla et les mit dans la poêle. Puis elle prit la poêle et fit danser les brocoli. Et elle les porta comme ils étaient à son mari. Lequel pour récompense lui sonna les cloches de toute ses forces. Don Zenobio que cette scène avait amusé pensa que cette femme était encore plus bête que la sienne et comme soulagé reprit son voyage. Il arriva ainsi dans un autre village. Devant l’église se trouvait une grande foule de curieux. Il s’informa. Il s’agissait d’un mariage mais les époux étaient si grands qu’on aurait dit le Géant des fables et sa femme. Don Zenobio se mêla aux curieux pour assister au spectacle. Les époux sur le parvis firent une révérence au Seigneur ce qui leur permit d’entrer. Mais à la sortie, la porte de l’église étant des plus basses, ils ne purent sortir. Et on ne savait que faire. Le père de la fiancée à tout hasard se disputait avec le prêtre ; le père du fiancé aurait voulu tordre le cou à l’architecte qui avait conçu l’église. Et les époux étaient là, gênés. A cet instant quelqu’un proposa d’abattre la façade de l’église. Et un autre que c’était une idiotie et qu’il valait autant tailler la tête des époux. C’est alors que Don Zenobio ne put faire autrement que d’intervenir et dit aux époux : « Faites attention, je vais vous faire sortir moi. » Et d’administrer un coup tellement fort sur la nuque de ces deux-là qu’ils se baissèrent jusqu’à terre et réussirent à sortir. Il reprit son chemin. Malheureusement, il y avait donc des gens encore plus stupides que son épouse. S’il avait du encore trouver dans le prochain village des gens de peu de sens, il était décidé à rentrer chez lui. Il arriva dans un village. Et à peine arrivé, il rencontra une femme qui marchait par les rues telle une folle. « - Qu’avez vous donc Bonne dame ? Ah mon fils, mon fils Qu’à-t-il donc votre fils ? Il ne peut pas retirer la main La retirer d’où ? Les olives… je suis ruinée, ah mon pauvre fils La main dans les olives ?? ou je n’y comprends rien ou vous vous moquez Mais non, mon fils voulait prendre des olives qui étaient en saumure dans un broc. Pour entrer, elle est entrée. Mais elle ne peut plus sortir. Et pourquoi donc ? Parce que sa main a gonflé Comment çà ? Avec les olives évidemment Et la main ne peut plus sortir ? Non. Ou je casse le broc qui est neuf et m’a coûté huit sous, ou j’appelle le médecin pour qu’il ampute mon fils. Vous comprenez bien que mon fils ne peut pas vivre avec un broc au bout du bras. Voulez vous que je la lui fasse sortir sa main moi ? Vraiment ? Conduisez-moi chez vous » Ils s’acheminèrent et Don Zenobio dit à l’enfant : « - Qu’as tu dans la main ? Des olives Tu en as beaucoup ? - Assez Ouvres un peu la main C’est fait Laisses tomber quelques olives et essaies de passer ta main Et ce fut le miracle, la mère du petit voulut lui baiser la main. Don Zenobio préféra la moquer « Mais quoi, baiser ma main ! vous êtes simplement plus stupide que ma femme. Et il vaut mieux que je retourne auprès d’elle. » Et c’est ce qu’il fit. Mais la première condition qu’il imposa à sa femme fut qu’elle ne pensât plus aux enfants encore à naître et qu’elle ne pleurât jamais en tirant le vin à la barrique. Et c’est ainsi que naquit la famille de Giufà. Second épisode GIUFÀ… COUVE ! Un jour la mère de Giufà dut sortir pour certaines affaires qu’elles ne pouvait laissait traîner en longueur. Elle appela son fils et lui dit : « Giufà je dois sortir, peux tu me faire plaisir ? - Certainement mère - Il y a la poule qui couve. D’ici une heure, tu la prends et tu lui donnes à manger. Et tu la reposes bien vite sur les œufs sinon ils refroidissent. - D’accord - Mais tu sais faire sa pâtée ? - Je sais le faire - La farine est dans un sac, par terre dans la cuisine - Ne t’inquiètes pas La mère sortit et Giufà se mit à jouer, attentif à ne pas faire passer l’heure de nourrir la poule. Et quand il lui sembla que l’heure se fut écoulée, il prit la farine et la pétrit bien comme il faut. Puis il prit la poule et entreprit de la gaver à grandes poignées. En peu de temps la poule n’en pouvait plus. Elle était pleine. Mais Giufà voulait qu’elle mangeât toute la pâtée qu’il lui avait préparé. La prenant par le bec, il le lui apprit et y fit glisser la pâte ; jusqu’à ce que la poule en mourut étouffée. Quand Giufà constata le désastre, il se dit :« Et comment je fais maintenant avec les œufs qui refroidissent ? comment éviter les cris de ma mère ? Je vais les couver moi-même». Sitôt dit sitôt fait, il s’enlève les pantalons et se place sur le panier au-dessus des œufs. Peu de temps après, la mère revient et frappe à la porte tenue close : « -Toc toc Qui est là ? crie Giufà C’est moi, ouvres Mère, je ne peux pas Et pourquoi ne peux-tu pas ? Parce que je couve Allez, arrêtes de plaisanter et viens ouvrir Je ne plaisante pas, vous le verrez bien Et comment puis je le voir si tu n’ouvres pas ? Giufà se décide enfin et vient ouvrir « -Vous voyez bien que je ne plaisante pas Ah, brigand tu m’as ruinée, tu m’as ruinée» Et comment avait-il bien pu la ruiner ce pauvre Giufà qui allait jusqu’à couver les œufs lui-même pour bien faire? Je vous le laisse deviner, et préfère vous dire en revanche que la mère le remercia à coups de bâton sur la partie qui avait couvé… et fait une belle omelette. Et ce ne furent pas les derniers coups qu’il devait recevoir, comme vous le verrez au cours des prochains épisodes. Troisième épisode GIUFÀ GAGNE SON PAIN Un beau matin sa mère appelle Giufà et lui dit : «- Giufà mon garçon il est temps que tu penses à travailler Et pourquoi devrais-je travailler ? votre travail et celui de Père ne suffit donc pas ? Si bien sûr, mais tu ne veux donc pas apprendre à gagner ton pain ? tout le monde doit gagner son pain en ce bas monde et toi qu’as-tu donc de si différent des autres ? Vas et gagnes ton pain. Débrouilles-toi. Ca va, j’ai compris grommelle Giufà » Il sort en pensant au moyen le plus facile de gagner son pain comme disait sa mère. Mais il a beau tourner le problème dans tous les sens, il ne réussit pas à trouver un bon moyen pour gagner sans trop se fatiguer. Sur ces entrefaites midi arrive et avec lui un petit pincement à l’estomac. Et ainsi là où la tête n’avait pas réussi, c’est l’estomac qui montrerait son habileté. Tant il est vrai que l’on dit bien que la faim est bonne conseillère. Courant plus qu’il ne marche chez une commère du voisinage, il lui dit « - Commère, pouvez-vous me donner un pain ? j’ai oublié d’en prendre ce matin à la maison et j’ai faim. Je vous le rendrais demain. Tu n’as pas besoin de me le rendre, tiens, manges donc Merci, merci beaucoup» Tout content il s’en retourne chez lui où il pourra triompher et montrer à sa mère qu’il a su se gagner le pain. Oui mais en attendant , la faim est bien là et il décide de prendre sa part du pain et de porter le reste à la maison. Il coupe le pain en deux et se met à manger sa moitié. Hmm ! qu’il est bon ce pain ! pour un peu il en prendrait bien un autre petit bout… Et pourquoi seulement un petit bout ? il partage en deux la part de sa mère et en engloutit la moitié. Et il coupe à nouveau en deux le bout qui reste et mange « sa » moitié. Et cette faim qui ne veut pas passer ! que devrait-il faire selon vous pour la faire passer ? il mange le dernier quignon de pain et la faim disparaît comme par enchantement. Arrivé à la maison, il annonce fièrement à sa mère : « - Mère moi le pain je me le suis gagné ! Et qu’as tu donc gagné ? Eh bien, un pain tiens Et où est-il ? Je l’ai mangé En entier ? Oui, j’avais très faim Et comment l’as-tu gagné ce pain ? Comme ci et comme çà… » et de raconter à sa mère toute l’histoire « -Mais de - cette façon ce n’est pas se gagner le pain mon fils, c’est demander la charité Et alors comment faut-il le gagner ? En travaillant bien sûr Seulement en travaillant ? Seulement en travaillant. Et demain je te ferais voir moi-même» Mais cette réponse n’était pas pour plaire à Giufà comme vous le comprendrez bien vite… Quatrième épisode LA TOILE La mère appela Giufà et lui dit : « Voyons si au moins tu seras capable de me vendre cette toile » Et elle lui tendit un tableau dont elle voulait se défaire « Et si tu rencontres quelque beau parleur, ne fais pas affaire avec lui ou tu te feras rouler. Vends la plutôt à quelqu’un qui parle peu » Et Giufà de partir avec son tableau et de faire le tour du village en vendant à la criée : « Qui veut ma toile ? » Une dame l’arrêta et le pria de la lui faire voir. Et après l’avoir bien examinée : « Combien en demandes-t u ? » « Toi tu parles trop, lui répond Giufà, et ma mère ne veut pas que je la vende aux beaux parleurs » Et laissant la dame éberluée, il s’en alla. Une autre dame l’arrêta qui lui posa les mêmes questions. Et invoquant la même excuse, il refusa de traiter l’affaire. Et comme cela plusieurs fois encore. Elles parlaient trop, toutes autant qu’elles étaient ! Il passa devant un bâtiment et vit au milieu de la cour intérieure une statue. Il s’approcha et lui demanda si elle voulait bien acheter son tableau. La statue ne répondit pas. Alors tout content d’avoir trouvé quelqu’un dans le goût de sa mère, il lui laissa la toile, bien attachée autour du cou. « Quand puis-je venir chercher l’argent de la vente ? » A cet instant précis, une canne qui nichait derrière la statue se mit à cancaner « coin coin coin ». Et Giufà comprit « Demain, demain, demain ». « D’accord, à demain alors, avec l’argent » De retour chez lui, la mère lui demanda : « Et la toile - ? Mère je l’ai vendue Et à qui donc ? A une femme qui savait se taire Et l’argent ? Elle m’a dit de repasser demain Et où habite-t-elle cette femme ? Aux explications de Giufà, sa mère comprit qu’il ne pouvait s’agir que de la statue dans la cour. Aussi prit-elle le martinet et commença-t -elle à le corriger « Imbécile, vilain garnement, tu m’as ruinée ! » criat-elle Giufà réussit à lui échapper et il courut dare-dare dans la cour, voir la statue et tenter de reprendre la toile. Mais celle-ci n’était plus attachée à son cou. « Donnez -moi le tableau, ou alors l’argent » ordonna Giufà. Mais la statue ne répondait pas plus qu’avant. Et cela énerva Giufà qui, très fâché, prit un caillou et le lança sur la statue. Le caillou frappa en plein la tête qui se fendit, laissant jaillir une grande quantité de monnaies d’or. Giufà les ramassa toutes en un clin d’œil et d’un trait se précipita chez lui. « Mère regardez-donc ! Qui t’a donné ces monnaies ? La statue --Et comme la mère, qui connaissait bien son Giufà, restait pour le moins perplexe, celui-ci lui raconta toute l’histoire. « Giufà, pour l’amour du ciel, ne vas dire à personne que c’est toi qui a cassé la statue Oui oui, mais vous êtes contentes pour les monnaies ? Mais quelles monnaies ? ce n’est que de la ferraille » Mais, pour le compte, elle prit la ferraille, l’enveloppa soigneusement et la cacha sous le lit. « Attends moi ici, je sors étendre le linge » Mais la mère se rendit en revanche sur le toit et, assise sur les tuiles, elle lança une pluie de figues et de raisins secs. La réaction de Giufà ne se fit pas attendre : « Mère il pleut des raisins et des figues séchés Mais tu rêves encore mon pauvre Giufà Mais non, je vous assure, des raisins et des figues Et la mère sans cesser d’en lancer : « Et alors manges, mon fils, manges » Pendant ce temps au village, on ne parlait plus que de la statue cassée et déjà tout le monde savait que c’était encore un coup de Giufà. La police pour en avoir le cœur net convoqua la mère et le fils. Avant d’entrer chez le juge, la mère avait fait jurer à Giufà de ne pas dire un mot. Mais à peine le juge demanda-t-il si ce que l’on disait en ville était vrai, Giufà tout de suite affirmait que oui, oui Monsieur le Juge. Et la mère protestait : « Mais que racontes-tu à Monsieur le Juge? Il n’y a rien de vrai dans tout çà. » Giufà insistait alors : « Mais si Mère, voyons, c’était le jour où je vous ai apporté toutes ces pièces d’or qui en vérité n’étaient que de la ferraille Mais tu racontes vraiment n’importe quoi » Le juge qui ne savait trop que penser interrogea Giufà : « Voyons mon garçon, quel jour était-ce exactement ? C’était le jour où il a plu des raisins et des figues séchés » A cet instant le juge comprit qui était Giufà et renvoya mère et fils dans leur foyer. Quelques jours plus tard, la mère se rendit au village pour affaire. Giufà, voyant passer un ferrailleur lui donna toute les monnaies en pensant : «voilà une bonne chose de faite ». Le ferrailleur fut ravi de l’aubaine et acheta les monnaies pour quelques pièces d’un beau jaune luisant et s’en alla d’un bon pas. La mère revint peu de temps après et Giufà lui raconta qu’il avait vendu la ferraille « Et regardez ces jolis pièces que j’ai eu en échange » dit-il triomphant. Et il ne comprit jamais pourquoi sa mère l’avait rossé ce jour là jusqu’à en casser un manche à balai… Cinquième épisode LES ALLUMETTES « Giufà - Que voulez-vous Mère ? Il faudrait allumer le feu pour la soupe, vas donc acheter des allumettes qu’il n’y en a plus Vous pourriez en demander à votre commère Pietra pour aujourd’hui J’y ai pensé mais je ne peux pas le faire, après lui avoir refusé un peu d’ail avant -hier Ouf, j’ai pas envie de descendre au village, demandez donc à votre commère Vincenza Cela tombe mal : je lui ai refusé une cuillère d’huile ce matin-même Et bien demandez le alors à votre commère Peppa. Elle ne peut rien vous refuser celle-là Que tu crois, tu ne te souviens pas de l’histoire qu’elle a fait pour une malheureuse branche de persil Et alors qu’est-ce que l’on fait J’ai bien peur qu’il ne te reste qu’à aller acheter ces allumettes Quelle guigne, même les allumettes maintenant Et vite en plus, que si ton père revient et ne trouve pas sa minestra chaude…» Cette évocation suffit à donner à Giufà l’envie qui lui manquait. Et le voilà parti, de sa démarche en canard, sifflotant les mains dans les poches. « Et tâches de te dépêcher » lui cria encore sa mère. Pour toute réponse il enfonça la tête dans les épaules comme pour ne plus l’entendre et continua du même pas. Si vous croyez que tout se passa sans encombre, c’est que vous ne connaissez pas encore Giufà. A vrai dire l’aller ne posa pas de problème et Giufà acheta la boite d’allumettes au tabac sur la grand place. Le retour lui aussi se déroula normalement. Alors ? me direz-vous. Et je vous devine déjà en train d’imaginer quelle bêtise Giufà a bien pu commettre. « Il aura perdu la boite en chemin » pensent les uns, « il l’aura vidée pour prendre quelque grillon » estiment les autres… Rien de tout cela chers amis. Mais quand la mère voulut allumer le feu, les allumettes étaient toutes humides et aucune ne fit son office. Ce qui provoqua vous l’imaginez la scène habituelle : « Quand on naît âne, c’est pour la vie. Tu ne t’es pas aperçu en les achetant qu’elles étaient humides ? Bonne mère du Carmin, même pas fichu d’acheter une malheureuse boite d’allumettes. Mais qu’ai-je fait de mal pour mériter un fils pareil ? Eh bien si je n’en suis pas capable, enseignez-le moi donc vous -même comment l’on achète une boite d’allumettes. Le maître à l’école n’en a jamais soufflé un mot lui non plus. Il faut les essayer avant d’acheter triple buse Ma foi vous avez raison, j’y retourne tout de suite » Et le voilà parti, en courant cette fois. Arrivé au bureau de tabac, il commande une nouvelle boite d’allumettes en précisant : « Et cette fois-ci bien sèches, pas comme celles que vous m’avez fourgué en profitant de ma naïveté. Mais maintenant je ne me ferais plus avoir ». Et avant de les payer, Giufà ouvre la boite et gratte la première allumette. Le frottement, la petite étincelle et la petite flamme tremblante. Pas de doute, cette fois-ci on y était. Et sur le chemin du retour afin d’éviter toute scène pénible avec sa mère, il préféra les essayer toutes. Et toutes fonctionnèrent parfaitement. Fier de lui, il se dit « Mère sera contente que j’aie si bien appris sa leçon ». Mais les compliments, ce fut le père qui les lui adressa quand, de retour après une rude journée, il ne trouva même pas l’eau à chauffer. Deux calottes bien appliquées et au lit sans souper. Et il pouvait encore rendre grâce de s’en sortir à si bon compte. Sixième épisode CHEZ LE TEINTURIER « Giufà, rends moi service mon fils. Prends ce paquet et portes-le chez le teinturier Qui ça ? Celui qui teint les vêtements, le teinturier quoi. Fais bien attention : là-dedans il y a une veste et un châle. Avec les moyens qui sont les nôtres, pas question d’acheter du neuf. Il faut se contenter. Mais où se trouve-t-il ce teinturier ? Mais tu sais bien, celui qui avait tant de couleurs à sa fenêtre. C’est simple : tu vas tout droit, puis tu prends à droite et tout de suite à gauche. Tu continues pour un peu sur cette route et tu tournes à gauche. Là au coin tu trouveras la maison du teinturier. Tu as compris ? Je ne suis pas tout à fait idiot. Bon, j’y vais. Pas si vite, que lui diras -tu ? Que ma mère lui envoie ce paquet de vieux tissus… Comment vieux tissus ? c’est de la bonne qualité Bon, donc que ma mère lui envoie ce paquet de bonne étoffe à teindre, et qu’on la prendra dans deux mois Comment ça deux mois ? tu es fou, une semaine suffira largement Comme vous voulez, une semaine, dans une semaine je reviendrais prendre le paquet. A la bonne heure, mon fils, j’aime te voir comme cela éveillé. Pour ta peine tu auras un sou et un peu de raisin sec Et le voilà parti, notre héros, la saveur des raisins secs déjà en bouche. Et en imaginant qu’il picorait chaque grain, le temps passait plus vite. Il alla tout droit, puis tourna à droite et tout de suite à gauche, fit un grand bout de chemin puis enfin tourna à gauche. Mais de maison, pas l’ombre d’une : il était en rase campagne. « Pourtant j’ai bien fait comme m’a dit ma mère » s’étonnait-il. Alors il réfléchit un peu et pour première chose il se gratta la tête. Que pouvait-il faire ? Regarder mieux autour de lui ne servait à rien : il n’y avait aucune habitation dans les parages. Se pouvait-il que sa mère lui ai fait une blague ? mais dans ce cas il ne lui semblait vraiment pas la mériter. Pauvre Giufà ! En attendant tout cela le fatiguait, et il s’assit pour se reposer un peu. Et en pensant aux grains de raisin qu’il n’aurait pas, il se sentait encore plus abattu. C’est alors qu’il aperçut le mur de pierres sèches de l’autre côté de la route, presque détruit ; et dans ce mur comme une fenêtre pour le jour qu’y laissaient les pierres venues à manquer. Et à cet instant précis quelque chose se devinait par cette fenêtre, quelque chose de très coloré. Il ne pouvait s’agir que du teinturier. Tout à fait rasséréné, il s’approcha et commença son beau discours : « Bonjour Teinturier » Mais ce teinturier devait être un vrai ours car il ne répondit pas. « Peu importe » se dit Giufà et il continua : « Ma mère vous envoie ce paquet avec de la bonne étoffe à teindre, parce qu’on n’a pas les moyens d’acheter du neuf. Et elle vous fait dire de le faire dans la semaine. » Et le teinturier ne répondait toujours pas. « Il doit être muet » pensa Giufà. On le voyait bien maintenant par la fenêtre, avec toutes ces couleurs et il glissait avec une grande rapidité. Et tout recroquevillé, il tira même la langue à Giufà. Et cette familiarité lui plut beaucoup. Elle plut en revanche beaucoup moins à sa mère « Tu m’as ruinée, vaurien, tu m’as ruinée » hurlait-elle Comment cela eut-il été possible ? il n’avait fait que ce que sa mère lui avait indiqué. « Ce n’était pas le teinturier, c’était un serpent que tu as vu ! Mais s’il avait toutes ces couleurs à la fenêtre ? c’était le teinturier j’en suis sûr . Et d’ailleurs je retourne le voir de ce pas» Sa mère ne prit pas le soin de lui rétorquer quoi que ce fut, par contre elle empoigna le bâton que Giufà connaissait bien. Il para le coup et prit les jambes à son cou. Il revint chez le teinturier et cette fois-ci il n’hésita pas sur la route à suivre. Arrivé sur place, il cria «Ohé teinturier, ohé teinturier». Mais de lui aucune trace, et le paquet lui-aussi avait disparu. Ce qui pour Giufà laissait à penser que le teinturier en avait bien pris la consigne et que tout était dans l’ordre des choses et qu’en somme il avait raison. A son retour, je vous laisse deviner comment sa mère lui démontra en revanche qu’il avait tort et que c’était bien elle qui avait raison. SVP Respectez mon travail, si vous devez imprimer ou diffuser ces traductions, veuillez ne pas oublier de mentionner leur origine. Jean Paul Barreaud / Sicile.net