Droit d`accès à l`information : enfin une loi spécifique en

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Droit d`accès à l`information : enfin une loi spécifique en
Droit d’accès à l’information : enfin une loi spécifique en préparation
Une commission interministérielle planche sur le texte de loi, rendu obligatoire par la Constitution,
depuis quelques semaines. Parmi les mesures retenues : un délai à ne pas dépasser pour fournir
l’information, un droit de recours contre l’agent qui aura refusé l’information et un organisme pour
en accompagner l’exercice.
Il était temps ! Le gouvernement se penche, enfin, sur cette loi qui garantirait le droit d’accès à
l’information aux médias, mais aussi à tout citoyen désireux de savoir ce que fait l’exécutif et d’être
informé sur le travail de l’administration. L’équipe Benkirane, cela dit, n’agit pas de manière
volontaire. Elle ne fait que se conformer à l’article 27 de la nouvelle Constitution du pays qui stipule :
«Les citoyennes et les citoyens ont le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration
publique, les institutions élues et les organismes investis d’une mission de service public. Le droit à
l’information ne peut être limité que par la loi, dans le but d’assurer la protection de tout ce qui
concerne la défense nationale, la sûreté intérieure et extérieure de l’État, ainsi que la vie privée des
personnes, de prévenir l’atteinte aux droits et libertés énoncés dans la présente Constitution et de
protéger des sources et des domaines expressément déterminés par la loi».
Selon Mustapha Khalfi, ministre de la communication, porte-parole du gouvernement, joint au
téléphone par La Vie éco, que cette loi est une des priorités du gouvernement. Il nous apprend
qu’une commission interministérielle planche sur la préparation du texte en question. Ladite
commission est composée de six départements : la justice, la communication, l’industrie et le
commerce, les finances, l’intérieur et le ministère de la fonction publique et de la modernisation de
l’administration. Elle est pilotée par ce dernier. A noter que l’Instance centrale de prévention de la
corruption (ICPC) fait également partie du l’équipe.
La société civile y prend-elle part ? «En tout cas pas Transparency Maroc», se désole Abdessamad
Sadouq, son secrétaire général. Amine Alaoui, responsable au sein de la même ONG du projet action
pour la promotion du droit à l’information, confirme qu’effectivement Transparency Maroc (TM) n’a
pas été invitée à prendre place dans cette commission, mais qu’elle «entretient des contacts
permanents et étroits avec plusieurs de ses membres pour suivre le travail et proposer des
recommandations».
Dans tous les cas, la commission en question s’est réunie à deux reprises depuis son installation il y a
quelques semaines et est en train de préparer une première mouture qui s’inspire, selon nos
sources, d’une plate-forme présentée par l’ICPC, des recommandations de TM, mais aussi d’une
proposition de loi du groupe socialiste à la Chambre des représentants déposée en janvier 2008, et
qui est passée à la trappe. (voir encadré ci-dessous).
Le code de la presse stipule ce droit à l’information, mais reste assez vague
Une chose est sûre, rassure M. Khalfi, avant même l’actuelle Constitution le code de la presse, dans
sa version de 2002, «stipule bien ce droit d’accès à l’information, mais il laissait un vide qu’il faut
remplir». Pour ce faire, le projet de loi en préparation comportera trois mesures importantes, selon
le ministre. Par exemple, «il fixera un délai à ne pas dépasser pour fournir cette information ;
donnera droit de recours au demandeur de l’information contre l’agent de l’administration qui aura
refusé de délivrer l’information sans justification valable». Troisième mesure, et non des moindres,
avance le ministre, «créer un organisme d’accompagnement, comme cela se passe dans d’autres
pays, qui veillera sur le contrôle de l’exercice de ce droit à l’information. Ce droit, de ce fait, sera un
acquis au niveau des textes juridiques une fois que cette loi sera votée par le Parlement».
Force est de reconnaître que jamais les conditions n’ont été réunies pour que le Maroc se dote d’une
législation aux standards internationaux à même de garantir ce droit fondamental qui relève et du
registre des droits humains et de celui de la bonne gouvernance. Déjà en 2009, l’ICPC, organisme
officiel mais indépendant constitutionnellement de l’exécutif, avait présenté aux autorités publiques
un ensemble de propositions et de recommandations réorganisées dans le cadre d’une plate-forme
où elle met l’accent notamment sur «la préparation d’une loi garantissant l’accès inconditionnel à
l’information, modifiant l’article 18 du statut général de la fonction publique relatif au secret
professionnel, et l’accélération de la mise en œuvre du programme e-administration (administration
électronique)».
L’appel de l’ICPC à propos de la nécessité de cette loi n’avait fait que répercuter, à l’époque,
l’ambiance générale d’une société civile très entreprenante sur ce volet, avec à sa tête l’Association
marocaine de lutte contre la corruption, Transparency Maroc. En mai 2010, un «Réseau marocain
pour le droit à l’information» (RMDI) composé d’une dizaine d’ONG a même été créé pour lancer un
plaidoyer en faveur de cette loi, seul moyen légal et pratique permettant aux citoyens de contrôler
l’action gouvernementale et de savoir comment et quand les décisions à tous les échelons de l’Etat
sont prises et mises en œuvre. Et s’il y a une pression aussi forte en faveur de cette loi c’est que l’état
des lieux laisse à désirer : un sérieux problème de communication a toujours prévalu entre les agents
publics de l’Etat, la presse et les citoyens. Une enquête réalisée en 2008 par le Centre pour la liberté
des médias au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (CMF MENA) dirigé par Said Essoulami(1) en
donne un aperçu assez sombre : «L’Etat, révèle cette enquête, a choisi la voie des réformes
démocratiques, mais n’a pas encore établi la transparence nécessaire entre le citoyen, l’Etat et les
médias. Ses institutions sont encore allergiques à la critique et résistent aux appels pour la
transparence. La rétention de l’information par les administrations a été érigée en politique alors que
l’Etat est le premier producteur de l’information au Maroc». Si ce droit est reconnu dans la charte et
le statut du journaliste et dans le Code de la presse, ajoute l’enquête, de nombreuses limitations
juridiques le rendent, dans les faits, impossible. «Car, dans la réalité, l’accès à l’information dépend
du bon vouloir du fonctionnaire, ou plutôt du donneur d’ordre, de l’ingéniosité du faiseur d’opinion,
de son expérience, ou encore de son réseau informel de contacts».
Une mentalité du secret au sein des agents publics
C’est dire que le journaliste dans son travail -sans parler du citoyen lambda- est souvent devant un
mur d’opacité pour avoir l’information exacte et vérifiée à communiquer, en l’absence d’une loi
d’accès à cette information qui le protège de la mentalité du secret de ces agents publics. Beaucoup
de journalistes comptent plus sur le réseau de leurs contacts, ou sur les dispositions d’esprit de la
source au moment de la demande de l’information, que sur une législation qui leur en assure
l’obtention. Menée auprès de 200 journalistes professionnels, l’enquête du CFM MENA a montré en
effet la difficile relation que les médias entretiennent avec l’administration marocaine en matière
d’accès à l’information : à titre d’exemple, 34% des journalistes sondés pensent que les chargés de
communication des ministères ne sont pas accessibles ni coopératifs, et 42% déclarent qu’ils le sont
parfois, dénonçant leur manque d’autonomie, leur partialité, et le fait qu’ils sont souvent eux-mêmes
mal informés sur les activités de leur ministère. Les entreprises ne souffrent pas moins de ce déficit :
une autre enquête du même CFM MENA menée en décembre 2008 sur 300 entreprises marocaines
opérant dans sept secteurs économiques a montré que plus de 91% des entreprises privées trouvent
que les informations qu’elles reçoivent des ministères et des administrations ne sont pas
complètes, pas actualisées (77,3%), qu’elles sont inutiles (70%), non fiables (50,3%) et non
exploitables (48,7%).
Il y a également toute la production de TM sur le sujet qui abonde dans le même sens. Comme ce
document qui date d’octobre 2011, intitulé «Priorités et idées directrices pour une loi sur l’accès à
l’information au Maroc», publié dans la foulée de l’adoption de la nouvelle Constitution, l’association
y formule des recommandations qu’elle adresse au nouveau gouvernement relatives à cette loi
instaurant le droit d’accès à l’information, mais va au delà de ce cadre juridique contraignant pour
conclure que, historiquement, «la culture du secret et de la confidentialité à outrance, longuement
ancrée dans la pratique, empêche dans une large mesure l’administration marocaine de remplir sa
mission d’information du citoyen». Laquelle culture du secret touche aussi les informations
budgétaires : parmi les 85 pays évalués sur l’accès des citoyens à l’information budgétaire pertinente,
selon l’indice du budget ouvert(2) (IBO) 2009, le Maroc est classé 69e, avait noté l’association en
octobre 2010. En d’autres termes, conclut TM, «il est très difficile pour le citoyen marocain de savoir
combien dépense l’Etat par an, comment sont réparties ses dépenses et sur la base de quels
critères».
Maintenant que ce projet de loi est en chantier, et dont M. Khalfi a tracé à La Vie éco les contours,
quelques questions s’imposent : ce projet respectera-t-il les normes internationales en matière de
droit d’accès à l’information ? S’inspirera-t-il des recommandations de TM dans le domaine, qui se
réfèrent à d’autres pays qui nous ont devancés dans ce domaine ? Une chose est sûre : les trois
dispositions auxquelles M. Khalfi fait allusion et qui figureront dans le prochain projet de loi, on les
trouve dans les normes internationales. Néanmoins, des interrogations persistent : quel délai sera
accordé aux agents de l’administration pour fournir l’information ? Quels sont les cas où l’agent
public aura le droit de refuser l’information ? Autrement dit, quels seraient ces «secrets d’Etat»,
d’après la Constitution, qui justifieraient le rejet de la demande d’information ? L’agent public qui
refuserait de donner l’information sera-t-il passible de sanctions ? Une autre question de taille que se
pose le microcosme de la société civile : l’organe d’accompagnement de l’exercice de ce droit (dont
parle M. Khalfi) sera-t-il indépendant de l’administration ? Et quels seraient ses pouvoirs réels ?
Devant qui le droit de recours doit avoir lieu ?
Certaines voix se demandent pourquoi créer un nouvel organe de contrôle à qui confier ce droit de
recours alors que l’ICPC est là pour le faire et écouter les citoyens auxquels on aura refusé
l’information.
Quelles que soient les mesures que comportera ce projet de loi, Abdesslam Aboudrar, président de
l’ICPC, est catégorique : «Davantage de transparence, donner le droit aux faiseurs d’opinion
d’interpeller quand ils veulent les acteurs publics et privés pour que les citoyens aient accès aux
informations, pour pouvoir leur tenir rigueur dans leur gestion, notamment la gestion des deniers
publics. Ce qui nous tient particulièrement à cœur est d’amender l’article 18 du statut de la fonction
publique, qui institue l’obligation de réserve. Qu’on définisse une fois pour toutes, et avec
précision, les domaines où il doit y avoir secret. La liberté de diffuser l’information doit devenir la
règle, sa rétention l’exception, et partout dans le monde il y a des exceptions».
Il n’y a pas que l’article 18 du statut de la fonction publique qui stipule «l’obligation de discrétion
professionnelle», avec une interdiction formelle de communiquer des documents administratifs aux
tiers, mais il y a aussi le code pénal qui punit de peines d’emprisonnement et d’amendes quelques
métiers qui auraient divulgué le secret professionnel. Mais c’est le volet sanction contre les agents
publics qui refusent de fournir l’information qui retient le plus l’attention de la société civile et des
professionnels de la presse : aucune loi ne serait efficace si elle ne prévoit pas des sanctions «contre
ceux qui refusent sans justification légale de diffuser l’information. Ce refus sous prétexte que
l’information touche un secret d’Etat doit être l’exception», souligne Noureddine Miftah, président
de la Fédération des éditeurs de journaux au Maroc (FMEJ). Mais le plus dur à combattre, même avec
cette loi garantissant l’accès à l’information, c’est «la culture du secret, cette mentalité qu’ont les
agents publics de garder à eux l’information et qui leur donne du pouvoir».
(1) Elle a été présentée sous forme d’un document intitulé «Secrets d’Etat : administration et
journalistes au Maroc, le défit du droit à l’information»
(2) L’indice IBO mesure le degré de transparence et d’accessibilité des citoyens à l’information
budgétaire pertinente