Edward Thomas (1878

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Edward Thomas (1878
Edward Thomas (1878-1917)
L'autobiographie d'Edward Thomas, restée inachevée,
nous révèle un enfant aux manières brutales et conscient de sa
supériorité de classe, traits typiques de l'éducation virile que
reçoivent les garçons de la bourgeoisie victorienne. Né à Londres
dans une famille galloise, il montre très tôt de l’intérêt pour les
questions politiques et sociales, ce qui le pousse à se démarquer
du conservatisme bourgeois de ses parents. Il se lie d'amitié avec
l'écrivain Richard Jefferies et se passionne pour la poésie. C'est à
cette époque qu'il commence à se créer une "campagne
imaginaire", où il pourra régulièrement s'échapper tout au long de
sa courte vie. En 1899, il épouse Helen Noble alors qu’il est encore étudiant à Oxford,
fait rare à l’époque, et décide de vivre de sa plume. Le couple aura trois enfants, deux
filles et un garçon nés en 1900, 1902 et 1910.
Entre 1898 et 1910, Edward Thomas écrit de nombreux articles et essais, côtoie
d'autres jeunes auteurs, notamment les poètes georgiens, et essaie de se faire un nom.
Mais sa carrière littéraire ne décolle pas pour autant. Il quitte alors Londres et
emménage à la campagne, espérant trouver dans la proximité de la nature une
atmosphère propice à la création. Son épouse lui apporte un soutien permanent et le
pousse à persévérer. Edward Thomas devient le protecteur de l’écrivain W.H. Davies et
lui loue un petit cottage près de chez lui. Davies y écrit The Autobiography of a Supertramp, ouvrage relatant ses années de vagabondage aux États-Unis qui établira sa
réputation.
C'est dans les années 1910-1914 que la carrière littéraire d’Edward Thomas
prend son essor, avec la publication de biographies de R. Jefferies et de G. Brown, ainsi
que de livres sur la campagne anglaise (The South Country et In Pursuit of Spring). Si
ces années sont les plus heureuses de sa vie, il est néanmoins en proie à des accès de
mélancolie, qui le poussent à errer seul la nuit sur les routes de campagne. Malgré le fait
qu’il vénère la poésie et fasse partie du cercle des poètes georgiens, Edward Thomas n’a
pas publié de poème avant 1914. C’est Robert Frost qui l’incite à écrire de la poésie,
considérant que sa prose porte déjà en elle de grandes qualités poétiques. Dès lors, il ne
cesse d’écrire sous cette forme. Ses sources d’inspiration sont classiques - sa femme, ses
enfants, les paysages anglais, les oiseaux - mais l’approche ne manque pas
d’originalité. Si la guerre n’est jamais le sujet principal, elle apparaît néanmoins au
détour de plus d’un poème. Quand il sera arrivé sur le front, il n’écrira plus un seul vers.
De nombreux anthologistes se trompent donc quand ils émettent l’hypothèse que son
bucolisme est une thérapie face à la violence des combats, à l’instar de Gurney ou de
Ledwidge.
Comme il a 36 ans au moment de la déclaration de guerre, il est trop âgé pour
être enrôlé. De plus, la fièvre patriotique qui sévit au début du conflit ne l'enthousiasme
pas vraiment. Malgré ses réticences, il finira malgré tout par s’engager dans les Artists'
Rifles en juillet 1915. Cantonné pendant un an et demi en Angleterre, il devient
instructeur cartographe et goûte à l’étrange beauté des noms de villages anglais, qu’il
insère dans ses poèmes pour leurs sonorités évocatrices.
En janvier 1917, il débarque sous la neige au Havre.et rejoint Doullens. Dès son
arrivée au front, il rédige un journal de bord et écrit de nombreuses lettres. Sa principale
fonction au sein de son unité est de trouver des cantonnements pour les soldats et
d’inspecter les postes d’observation mais il est également secrétaire du mess. Posté
ensuite à Arras, il tombe sous le charme de la ville mais trouve la vie militaire
monotone. Le 9 avril 1917, il est tué dans son poste d’observation. Son corps est enterré
dans le cimetière d’Agny, près d’Arras.
Après la guerre, Helen se remet difficilement de la mort de son mari. Comme
beaucoup d’autres veuves de guerre, elle vit un deuil long et douloureux. Pour honorer
la mémoire d’Edward, elle s’emploie à faire connaître son œuvre. Les Œuvres
Complètes d’Edward Thomas sont publiées en 1920, avec une introduction où Walter
de la Mare fait l’éloge de ses talents de poète. Helen écrira également deux œuvres
autobiographiques où il sera beaucoup question de son mari. Edward Marsh ne l’inclut
dans sa seconde anthologie de poésie georgienne. Il refusait de publier un auteur à titre
posthume pour éviter que les parents de soldats tués essaient de faire de son anthologie
un mémorial pour leurs « fils poètes morts au combat ». La véritable reconnaissance ne
viendra que plus tard. Au fil du temps, la poésie d’Edward Thomas sera de plus en plus
appréciée par les nouvelles générations.
Quand en 1990 son nom est gravé à côté de quinze autres poètes de la Grande
Guerre sur une plaque du Coin des Poètes de l’abbaye de Westminster, sa fille
Myfanwy déclare que son père aurait été « surpris mais comblé » par cet hommage.
L’œuvre poétique d’Edward Thomas est en pleine réévaluation. Nombreux sont les
auteurs et les critiques actuels qui la considèrent comme une des plus importantes de la
poésie britannique du XXe siècle.
Extinction des feux
Me voici à la frontière du sommeil,
Dans l'insondable et profonde
Forêt où nous devons tous perdre
Tôt ou tard notre chemin,
Qu'il ait été droit ou tortueux,
Nous n’avons pas le choix.
LIGHTS OUT
I have come to the borders of sleep,
The unfathomable deep
Forest where all must lose
Their way, however straight,
Or winding, soon or late ;
They cannot choose.
Toutes les routes et les sentiers,
Où, depuis la première lueur de l’aube,
Le voyageur s’est maintes fois perdu,
Se brouillent à l'orée de la forêt
Où il doit maintenant s’égarer.
Many a road and track
That, since the dawn’s first crack,
Up to the forest brink,
Deceived the travellers,
Suddenly now blurs,
And in they sink.
L'amour finit ici,
Ici finissent le désespoir et l'ambition,
Tout plaisir et toute peine,
Quelle qu'en fût la douceur ou l'amertume,
Here love ends,
Despair, ambition ends,
All pleasure and all trouble,
Although most sweet or bitter,
Ici tout finit dans le sommeil plus doux
Que le plus noble ouvrage de l'homme.
Here ends in sleep that is sweeter
Than tasks most noble.
Il n'est pas un livre,
Pas un visage aimé,
Dont je ne me détournerais
Pour plonger dans cet inconnu
Où je dois évoluer seul
Sans repère familier.
There is not any book
Or face of dearest look
That I would not turn from now
To go into the unknown
I must enter and leave alone
I know not how.
La haute forêt nous domine;
Sa nuageuse feuillaison s'assombrit
A l'horizon, palier par palier;
J'écoute, obéissant, son silence
Pour que je puisse y perdre mon chemin
Et ce que je suis.
The tall forest towers ;
Its cloudy foliage lowers
Ahead, shelf above shelf ;
Its silence I hear and obey
That I may lose my way
And myself.

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