Merci beaucoup a South by South West de m`avoir donne l

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Merci beaucoup a South by South West de m`avoir donne l
Merci beaucoup a South by South West de m'avoir donne l'incroyable opportunite d'etre
conferencier d’honneur cette annee. Ayant ete eleve par un ancien redacteur de discours
politiques et une ex-enseignante, j’ai dans mon ADN ce besoin insatiable de me tenir
devant une salle de parfaits inconnus et de leur raconter des conneries. Quand j’etais
enfant, les conferences de mon pere etaient legendaires…. Et frequentes. Les grandes
œuvres de la litterature sont restees en moi jusqu'a ce jour, ce qui m'a appris a donner de
longues conferences moi-meme.
Il n'y a pas longtemps, j'ai eu la chance de m'asseoir a la table d’un autre de mes orateurs
preferes . . . le seul et unique, Mr Bruce Springsteen. Bruce, comme vous pouvez
l'imaginer, est d’un accueil chaleureux, c’est un homme drole et brillant, et un invite
merveilleux pour dîner! Je l'ai felicite pour son speech incroyable de l'an dernier, en lui
rappelant sa perspicacite et son humour. Et puis je lui ai dit que le conferencier
d'honneur cette annee ….C’etait. . . moi. Il m’a regarde un instant, a lentement esquisse
ce fameux sourire que nous connaissons et que nous aimons tous, ce sourire qui pourrait
eclairer tout un stade, et puis. . . il s’est mis a rire devant moi . Comme pour dire: "BONNE
CHANCE PUTAIN, MON POTE ..." Mais. . . a vrai dire. . . ce n'est pas la premiere fois qu’on
me dit ça, et c’est sans aucun doute le plus grand honneur qui m’ait ete fait dans ma vie
de musicien que celui d’etre invite a partager avec vous ce que je sais sur la musique.
Donc. Qu’est-ce que je sais…….
Le musicien compte plus que tout.
Ma mere me dit que je suis ne sous les applaudissements. Le matin du 14 Janvier 1969, il
y avait une classe de jeunes medecins dans une petite salle d'accouchement de Warren,
Ohio, qui assistaient a leur premier accouchement en vrai. A ma naissance, la salle
eclata en applaudissements. Mes premiers moments dans ce monde : la tete en bas,
couvert de sang, criant pendant qu’un parfait inconnu me tapotait les fesses. Peut-etre le
meilleur apprentissage pour devenir musicien professionnel.
Maintenant. . . avant d'aller plus loin, je dois remercier quelqu'un. Je tiens a remercier
Edgar Winter. Il a donne son accord a K-Tel pour que soit inclus son legendaire
instrumental "Frankenstein" sur la compilation « Blockbuster » de 1975. Ce disque, ma
sœur et moi l’avions achete au drugstore du quartier et nous l’ecoutions sur le
tourne-disque du college que ma mere empruntait le week-end. C'est le disque qui a
change ma vie. Un veritable hit radio de 1975. Mais ce n'est pas KC and the Sunshine
Band, " That’s the way I like it", qui m'a donne envie de prendre la guitare poussiereuse
qui traînait dans un coin. Et ce n'est ni Dave Loggins " Please come to Boston" ni Silver
Convention "Fly Robin Fly" qui m'ont donne envie de sauter dans un van avec mes amis
en laissant tout derriere moi pour ne penser qu’a la musique. Non. C’etait ( il fredonne
« Frankestein ») un riff. J'ai tout donne pour un riff.
Neanmoins, cette chanson est totalement instrumentale. Il n'y a pas de voix. C'est
batterie, guitares, claviers, percussions, chacun a droit a un solo dans la chanson. . . pas
de voix. Mais ce que j'ai entendu dans tous ces solos. . . Ce sont des voix. Les voix des
musiciens. Leurs personnalites. Leur technique. Leurs idees. Le son de gens qui font de la
musique avec d'autres personnes. Ce morceau m'a donne envie de faire moi aussi de la
musique avec d’autres.
Donc, ça n’a pas traîne avant que j'aie ma premiere guitare, une vieille Silvertone Sears
avec l'ampli integre dans la caisse. Elle avait une odeur de vieux grenier plein de boules
de naphtaline et de papier d’Armenie, et sonnait comme "les chevres qui hurlent comme
des humains», une video qui tourne en ce moment sur YouTube (c’est hilarant), mais
surtout, elle est immediatement devenue mon obsession. C'est cette guitare, et un recueil
de chansons des Beatles qui a finalement mis ma vie sur euh euh …….One Direction . .
Une direction, DONC a savoir : ne jamais prendre de leçons, etre soi-meme et consacrer
chaque heure a jouer de la musique. C’est devenu ma religion. Le magasin de disques,
mon eglise. Les rock stars, mes saints, et leurs chansons, mes hymnes.
La ville de Springfield, en Virginie, n'etait pas forcement connue pour etre un nid de rock
stars. Une «carriere» dans la musique ne m'avait jamais semble possible. Ça me
paraissait trop beau pour etre vrai. Les gueules de KISS sur mes posters n'etaient
surement pas payees au depart pour faire ça! Gene Simmons? Imaginez! Ça n’avait
aucune sorte d’importance de toute façon, parce que j'avais enfin trouve ma voix. Et
c'etait tout ce qu'il me fallait pour survivre a partir de ce moment-la. La recompense de
rejouer une chanson du debut a la fin sans me tromper. . . Ce qui pouvait me prendre des
semaines. La decouverte d'un nouvel accord, ou d’une nouvelle grille d’accords pouvait
me faire oublier ce gamin de l'ecole qui voulait me botter mon putain de cul, ou cette fille
mignonne, avec du brillant a levres et un pull tout doux, pour laquelle j’en pinçais, et qui
ne voulait meme pas me donner l’heure. J'aimais ma nouvelle voix. Parce que peu
importait comment ça sonnait. . . c'etait moi . Il n'y avait personne pour me dire si c’etait
bien ou pas, donc. . . rien n’etait bon ou mauvais.
Je voulais vraiment faire partie d’un groupe, j'etais la, seul dans ma chambre, jour apres
jour, avec mes disques et ma guitare, a jouer pendant des heures. J’avais meme installe
sur mon lit une batterie avec mes oreillers, et je jouais sur les disques en transpirant, au
point que la sueur degoulinait sur les affiches de Rush qui tronaient sur mes murs.
Finalement, j'ai compris comment etre un homme-orchestre. J'ai pris ma platine cassette
merdique pour enregistrer une piste de guitare. Ensuite j’ai pris la cassette, je l’ai
glissee dans la chaine stereo de la maison, puis une autre cassette dans l'enregistreur de
poche, j’ai appuye sur « play » sur la chaîne stereo, et enregistre la batterie en tapant sur
ma guitare. Voila! Multi-tracking! A 12 ans! Mais a mon grand regret, ce que j'avais fait
n’etait pas "Sgt. Peppers". . . plutot un ramassis de chansons sur mon chien, mon velo, et
mon pere. Neanmoins, j'avais tout fait tout moi-meme. Ainsi, la recompense etait encore
plus savoureuse.
Mais, depuis le debut, j'avais envie de partager cette obsession, cette passion avec
d'autres personnes. Finalement, j'ai trouve un gamin dans la rue avec un kit de batterie
usage. J'ai trouve un gamin dans la rue avec une vieille basse. J'ai trouve un gamin dans la
rue avec une vieille cave. Et nous avons trouve un gamin dans la ville avec une vieille
sono. Apres bien des repets difficiles, nous avions un groupe. Premier objectif atteint.
Quand nous nous sommes inscrits pour le concours du meilleur groupe du lycee et qu’on
nous a demande le nom de notre groupe, nous avons donne comme nom «Nameless».
Putain, nous ne pouvions tout simplement pas arriver a quelque chose de mieux que ça.
(Trouver un nom de groupe est toujours la partie la plus ardue de ce putain de job, soit
dit en passant ... Je veux dire, les Foo Fighters? C'mon ...) Obstacle deux, detourne.
"Footloose" de Kenny Loggins " n'avait jamais sonne aussi audacieux que ce soir-la.
Malheureusement, notre interpretation enthousiaste ne fut pas suffisante pour
remporter le titre de « Meilleur groupe du Lycee Thomas Jefferson» mais. . . nous avons
continue. Nous avons diablement repris Bowie, les Who , Led Zep, Cream, The Kinks,
Hendrix. . . nous avons joue partout : sous-sols, jardins, party . . Nous avons meme joue
"Time Is On My Side" des Rolling Stones dans un centre de soins infirmiers.
Et puis. . . Je suis alle a Chicago.
C'etait en 1982, et malgre le maigre salaire de ma mere professeur de college, mes
parents avait prevu un voyage dans la grande ville de Chicago pour rendre visite a la
famille qui vivait dans la banlieue nord, au bord du lac. Nous avons mis tout ce que nous
pouvions dans notre petite Fiesta baby-blue Ford et avons pris la route. Des l'arrivee, le
ton de notre voyage etait donne. Ma cousine, Tracey, plus agee que moi, etait devenue
une punk rockeuse.
Dans un premier temps. . . Je l'ai entendue descendre l’escalier. Le cliquetis des chaînes,
le pietinement de ses lourdes bottes, le bruit d'un blouson de cuir crissant comme un
vieux bateau. Et puis. . . Je l'ai vue. Tete rasee, pantalons bondage, tee-shirt Anti-Pasti
dechire . . . Elle etait comme un super-heros arrive dans la vraie vie. Quelque chose que je
n'avais vu qu’a la tele avec Chips et Quincy. Mon cœur se mit a palpiter. Mes yeux
s'ecarquillerent. Ma gorge se serra. Je restais la, bouche bee et craintif. Tracey a ete mon
premier heros.
Elle m'a emmene dans sa chambre et m'a montre son incroyable collection de disques.
Des piles et des piles de 45t et de 33t, avec des noms dont que je n'avais jamais entendu
parler auparavant. . . The Misfits. Bad Brains. Minor Threat. Dead Kennedys. The Germs.
Flipper. Circle Jerks. Discharge. Crass. Conflit. Black Flag. White Flag. Void. Faith.The
Dicks. The Dickies. Les Minutemen. The adolescents. Les Ramones. The GBH, Big Boys.
DRI. SOA. DOA. MDC. MIA. CIA. Crucifix. Crucifucks. X. X-Ray Spex. Wire. Sex Pistols. Les
Buzzcocks. Rights of the Acussed. The Necros. Fang. Governement Issue,
The Descendents. Je me suis assis et j’ai ecoute jusqu'au dernier vinyle ! Ce fut le
premier jour du reste de ma vie.
Ce soir-la, je suis alle a mon premier «concert». Attention, ce n'etait pas dans une grande
salle, c'etait un squatt un peu crasseux avec un trou dans le mur juste en face de la rue
Wrigley Field ,le « Cubby bear ». Et c’etait un groupe dont je n'avais jamais entendu
parler. C'etait un groupe de punk rock de Chicago, les Naked Raygun. Avec un "UN DEUX
TROIS QUATRE", le groupe demarrait pied au plancher, ça faisait un bruit d’enfer et ça
pogotait dur ! Ca crachait, ça puait la sueur, le cuir et la pisse et moi, j'etais au paradis. Et
c'est devenu notre secret.
Le lendemain, j'ai pris le metro pour aller chez Wax Trax Records. J'ai achete un tee-shirt
de Killing Joke et la bande originale de « The Decline of Western Civilization ». J’etais
converti. Je n'etais plus l’un d'entre vous. J'etais l'un d'entre nous.
Mais plus encore que le bruit, la rebellion et le danger, c’etait le rejet du conventionnel
qu’affichaient ces groupes et leur maniere de faire de la musique underground et
independante qui m’inspiraient totalement. A 13 ans, je realisais que je pouvais monter
mon propre groupe, je pouvais ecrire ma propre chanson, je pouvais enregistrer mon
propre disque, je pouvais demarrer mon propre label, je pouvais sortir mon propre
album, je pouvais monter mes propres concerts .Je pouvais ecrire et publier mon propre
fanzine, je pouvais faire moi-meme mes serigraphies et mes tee-shirts. . . Je pouvais faire
tout ça tout seul. Rien n’etait bon ou mauvais car c'etait mon choix.
De retour a Washington DC, je plongeais tete la premiere dans la scene punk rock
hardcore locale. J’ignorais que l'une des scenes les plus influentes et prolifiques du
monde de la musique etait a deux pas de chez moi. Minor Threat. Bad Brains, Scream.
Ces groupes locaux sont maintenant mes Beatles. Mes Stones. Mon Zeppelin. Mon Dylan.
C’etait les putains d'annees Reagan, la musique contestataire etait au top! Mon premier
show de punk rock de retour a la maison fut le concert « Rock Against Reagan », le 4
Juillet 1983. La scene etait construite au pied des marches du Lincoln Memorial pour
l'Independance Day, c'etait la catastrophe assuree. 700 000 rednecks venus du Maryland
et de Virginie, pieds nus, avec des coups de soleil, arborant des tee-shirts de Lynyrd
Skynyrd et de Judas Priest, des jeans delaves et des bandanas, avaient converge vers la
capitale pour voir les feux d'artifice, leurs glacieres pleines de biere et de Southern
Comfort. . . et pour voir les Texans de DRI chantant leur titre "Je n'ai pas besoin de la
Societe":
« C’est a votre tour, vous devez y aller
Le systeme me dit je te l'avais bien dit
Entasses dans un train comme du betail
Envoyes a l'abattoir dans une bataille inutile
Des milliers d’entre nous, envoyes a la mort
Sans vraiment savoir pourquoi
Fuck the system, ils ne m’auront pas
Je n'ai pas besoin de la societe
Je n'ai pas besoin de la societe »
C'etait une emeute, une putain de bombe a retardement.
En fait, j'ai achete ce disque le jour meme au chanteur qui le vendait a l'arriere de sa
camionnette. C'etait un 45T qui tournait en 33 Tours, glisse dans une pochette faite
maison. Il est encore a ce jour un de mes biens les plus precieux.
Quand le soleil fut couche et que les legendaires Dead Kennedys arriverent enfin sur
scene, le chanteur Jello Biafra montra du doigt le Washington Monument et se mit a
hurler en le qualifiant de " grand membre du Ku Klux Klan dirige vers le ciel, avec ses
deux yeux rouges clignotants ..." Et la . . . la poudriere a finalement explose.
Les helicopteres bourdonnaient au-dessus de nous, braquant leurs projecteurs sur la
foule, les policiers a cheval se faisaient un chemin a coups de matraque a travers les
punks. C’etait juste Apocalypse Now. Ce fut mon Woodstock. Ce fut mon Altamont. C’etait
rock’n roll, quel que soit le tee-shirt que tu portais ou la coupe de cheveux que tu te
petais. C’etait vraiment reel. Je brulais de l'interieur. Je me sentais a la fois possede, fort,
inspire et furieux mais tellement amoureux de la vie, amoureux de cette musique qui
avait le pouvoir de declencher une putain d’emeute, une emotion, une revolution, ou
simplement de sauver la vie d'un jeune garçon.
J'ai donc rejoint un groupe, quitte l'ecole secondaire, et j’ai pris la route. J'ai eu la dalle.
Mes mains ont saigne. Si j'ai dormi, j'ai dormi sur le sol. J'ai dormi sur la scene. J'ai dormi
par terre sous la scene. Et j'ai adore chaque minute parce que j'etais libre. Je voulais
provoquer une emeute ou une emotion, ou une revolution, ou sauver la vie de quelqu'un
en l’incitant a prendre un instrument comme je l’avais fait. Je voulais etre un Edgar
Winter. Je voulais etre Naked Raygun. Je voulais etre Bad Brains ou les Beatles. Parce que
c'etait la recompense. Telle etait l'intention. Nous avons joue ce genre de musique, donc
nous sommes restes seuls. Il n'y avait aucune possibilite de carriere. Il n'y avait aucun
Hall of Fame. Il n'y avait pas de trophees. Il n'y avait pas de carte de credit des directeurs
artistiques pour payer des dîners chez Benihana. Notre unique recompense etait de
savoir que nous avions fait tout cela tout seuls, et que c'etait reel !!!
Mais. . . inevitablement, il ne fallut pas longtemps avant que je me retrouve bloque a
Hollywood, sans un sou pour rentrer a la maison, et que je finisse dans un bungalow de
Laurel Canyon avec une bande de lutteuses feminines pleines de boue. Ne me demandez
pas comment. C'est une toute autre putain d’histoire.
Et, c'est la que j'ai entendu les 5 mots qui ont change ma vie pour toujours:
«Tu as entendu parler de Nirvana" ?
Nirvana etait un des «nous». Eleves avec Creedence, Flipper, les Beatles et Black Flag, ils
semblaient partager les memes ideaux, les memes intentions. Mais ils avaient quelque
chose de plus. Ils avaient les chansons. Ils avaient. . . Kurt. Mais ce qu’ils n’avaient pas. . .
c’etait un batteur.
Alors, sans hesiter, j'ai emballe ma batterie dans une grande boîte en carton U-Haul,
attrape mon vieux sac polochon de l’armee, et je me suis envole pour Seattle.
Nous avons repete dans une grange. Tous les jours. C'etait tout ce que nous avions. Il n'y
avait pas de soleil. Il n'y avait pas de lune. Il y avait juste. . . la grange. Et les chansons.
Kurt avait, sans aucun doute, trouve sa voix. Toutes les repetitions commençaient par
une improvisation, un bœuf qui nous permettait de collaborer et de communiquer d’une
maniere dynamique et musicale. La communication verbale n'a jamais ete vraiment le
point fort de Nirvana, donc on se parlait avec nos instruments. Et la combinaison de nos
trois «voix» nous a conduits a un son qui a finalement attire l'oreille d'une major ou
plutot de 10 majors.
Tout a coup, nous nous sommes retrouves pris au milieu d’une guerre d'encheres entre
directeurs artistiques qui s’achetaient des chaussures fantaisie chez Fred Segal, avec
des petites frappes de la promo radio qui t’ouvrent des placards remplis de coffrets CD
gratuits et, bien sur, un putain de dîner chez Benihana, que dis- je , TOUS LES SOIRS. Lors
d'un meeting, apres avoir joue une demo de notre chanson "In Bloom" a Donny Eiener
dans son bureau a New York, Donny s'est tourne vers Kurt et il lui a demande : "Alors, les
gars ... qu'est-ce que vous voulez" ? Kurt, affale sur sa chaise, a leve les yeux vers Donny,
assis derriere son bureau en chene massif, et lui a repondu : «Nous voulons etre le plus
grand groupe du monde".
J'ai ri. Je pensais qu'il deconnait. En fait, pas du tout.
Maintenant, vous devez vous rappeler ce qu’etait la musique a l'epoque.
Voici le top 10 du Billboard en cette fin d'annee 1990 :
10. Jon Bon Jovi, "Blaze of Glory"
9. Billy Idol, "Craddle of Love"
8. En Vogue, "Hold On"
7. Phil Collins, "Another Day in Paradise"
6. Mariah Carey, "Vision of Love"
5. Madonna, "Vogue"
4. Bel Biv Devoe, "Poison"
3. Sinead O'Connor, "Nothing Compares 2 U"
2. Roxette, "It Must Have Been Love"
Et le numero un de 1990. . . Wilson Phillips, putain, "Hold On"
Le fait que Kurt puisse penser que nous ferions l’effet d’une enorme vague dans ce
monde ordinaire et ridicule de la musique pop bien policee me depassait. Ca depassait
tout le monde. Ca n'avait absolument aucun sens. C’etait tout simplement inimaginable.
C'etait le genre d’aspiration sans espoir que nous avions toujours rejete, soulages de ne
vouloir rien d’autre que d’etre nous-memes. La definition meme du mot «Nirvana» dans
le dictionnaire, c’est «un lieu ou un etat caracterise par le fait de se liberer DE LA
DOULEUR OU DE PARVENIR A L’OUBLIER , ainsi que l'inquietude et le monde exterieur."
Nous avions toujours ete livres a nous-memes en tant que musiciens, jour apres jour
dans nos chambres d’enfants, jour apres jour dans cette vieille grange. Avions-nous
besoin de ce monde?
Apres quelques directeurs artistiques a chaussures fantaisie, quelques box CD de plus
et quelques dîners chez Benihana plus tard, nous avons signe. Suivant les traces de nos
heros Sonic Youth, nous avons signe avec la Societe David Geffen, jete tout notre matos a
l'arriere de notre vieille camionnette Chevrolet et nous sommes diriges . . . vers SOUND
CITY.
Seize jours. Treize chansons. Nous avions l'habitude d'enregistrer 16 chansons en une
seule journee. Ce fut la grande epoque. Tous ces jours froids et pluvieux passes dans
cette grange, sur ces chansons, a se parler sans mot, a trouver notre «voix», c'est tout. . .
pour ça.
Lorsque nous sommes arrives sur le parking de Sound City, je me suis vite rendu compte
que ce n'etait pas le grand luxe, loin du grand studio d'enregistrement d’Hollywood que
j'avais imagine. Bien loin …. C'etait un trou a merde. En pleine deperdition, crame,
rattache a un complexe plutot moche d'entrepots au fond de la vallee ensoleillee de San
Fernando et a des kilometres de tout Fred Segal … ou Benihana. C'etait parfait . Ce studio
etait celebre en raison d’albums legendaires, comme Neil Young « After the Gold Rush »,
Fleetwood Mac « Fleetwood Mac », Tom Petty « Damn the torpedoes », Cheap Trick
« Heaven tonight » et Rick Springfield « Working class dog ». Nous etions en terre sacree
. . mais il semble que personne ne l'avait nettoye depuis, putain, au moins…….. depuis
l’epoque ou Lindsay Buckingham et Stevie Nicks y etaient coursiers. Moquette marron
sur les murs …Un canape qu'ils devaient louer depuis au moins 10 ans. Je me disais. . . Ca
ressemble a un Chi Chi qui aurait le feu au cul.
Mais des la reecoute de la premiere prise de "In Bloom", nous avons immediatement
compris ce qu’etait l'heritage de Sound city. Cette salle et cette console Neve vintage
avaient capture quelque chose. Quelque chose que nous n'avions jamais entendu
auparavant. Ca ne ressemblait pas a notre premier disque, « Bleach ». Ca n'avait pas le
son des Peel Sessions que nous avions enregistrees pour la BBC, ni du single «Sliver» , ou
de l'une de nos demos. Rien de tout ça. Ça sonnait comme « Nevermind ». C'etait le son
de trois personnes qui jouaient comme si leur vie en dependait, comme si elles avaient
toute leur vie attendu que ce moment soit capture sur une grosse bande deux pouces.
Apres une semaine ou deux au Sound City, pour une raison quelconque, j'ai commence a
m’inquieter que personne de Geffen ne soit passe pour voir ce que nous faisions. J'ai
appele mon manager John Silva et j’ai demande "Hey ... on doit s’inquieter?" Sa reponse a
ete immediate : « FUCK YOU NO! Vous devriez etre contents! VOUS NE VOULIEZ PAS de
CES GENS la-bas! ». Putain, comme d'habitude. . . Il avait raison. Et ils nous ont laisses
tranquilles.
Nous ne pouvions pas imaginer faire la moindre vague dans le courant dominant, mais
personne ne semblait non plus imaginer que ce soit possible. Le pressage initial de
« Nevermind » fut d'environ 35.000 exemplaires. Assez, selon leur estimation, pour
durer quelques mois. Une assez bonne indication des attentes de chacun. Eh bien. . . le
stock initial a disparu en quelques semaines. En un mois, l’album etait disque d'or. A
Noel, il etait disque de platine. En debut d’annee, nous vendions 300.000 disques par
semaine. Cette vague qui semblait si inimaginable etait devenue un veritable raz de
maree.
Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi ça s'est passe comme ça. Le bon moment ?
Peut-etre. Des legions de jeunes Americains fatigues d’entendre du Wilson Phillips?
Probablement. . .
Mais j'aime a penser que ce que le monde a entendu dans la musique de Nirvana, c’etait
trois etres humains, trois personnalites distinctes, avec leurs contradictions et leurs
imperfections fierement couchees sur la bande pour que chacun puisse les entendre.
Trois personnes qui avaient ete laissees a elles-memes toute leur vie afin de trouver leur
voix. C’etait honnete. C’etait pur. Et c'etait vrai.
Jusque-la, personne ne m'avait jamais dit comment jouer, ou quoi jouer. Et maintenant,
personne ne le fera plus jamais.
La suite de « Nevermind », « In Utero » en est un exemple criant. Douze chansons
enregistrees pratiquement live en seulement quelques jours par Steve Albini, producteur
de disques infame et opiniatre expert de l'industrie musicale.
C'etait vraiment le son d'un groupe, dans un lieu ou un etat caracterise par le fait de
SE LIBERER DE LA DOULEUR OU DE PARVENIR A L’OUBLIER, ainsi que l'inquietude et le
monde exterieur. Maintenant, c’etaient nous qui avions le pouvoir. Nous n'etions plus
Nirvana, nous etions NIRVANA. Maintenant, vous n’aviez pas interet a nous casser les
bonbons. Etions-nous devenus les enfants desherites qui avait herite des cles du
chateau ? Peut-etre. Comme dans « Sa Majeste des mouches» mais avec des guitares
distordues. . .
Mais ou allez-vous, en partant de la? En tant qu'artiste eleve dans l’ethique suffocante du
punk rock underground, conditionne pour rejeter la conformite, pour resister a toute
influence et a toute attente du business, ou allez-vous? Comment reagissez-vous a ce
genre de succes? Quelle est votre definition du succes a ce moment-la? La recompense
est-elle encore d’arriver a jouer une chanson du debut a la fin sans se tromper? Ou de
trouver un nouvel accord, ou une grille d’accords qui vous fait oublier tous vos soucis?
Comment gerez –vous de cesser d'etre l'un de «nous» pour devenir l’un d’ «eux»?
La culpabilite. La culpabilite, c’est le cancer. Elle vous confine, vous torture et vous
detruit en tant que musicien. Il s'agit d'un mur. Il s'agit d'un trou noir. C'est une voleuse.
Elle va vous empecher d’etre VOUS. Vous rappelez-vous quand vous avez appris votre
premiere chanson, joue votre premier riff, ou ecrit vos premieres paroles ? Il n'y avait
pas de culpabilite a ce moment-la. Vous vous souvenez quand rien n’etait bien ou mal?
Vous vous souvenez quand c’etait une recompense de juste. . . faire de la musique? Vous
etes reste et vous serez toujours cette personne-la au fond de vous. Le musicien. Et le
musicien, c’est ce qui compte le plus.
Niquez le plaisir coupable. Que diriez-vous. . .de prendre du plaisir tout simplement? Je
peux honnetement dire, a haute voix, que "Gangnam Style" de Spy est une de mes
putains de chansons preferees des 10 dernieres annees. C’est vrai! Est-ce mieux ou pire
que l’album d’Atoms For Peace ? Hmmmm. . . Si seulement nous avions un panel de
celebrites pour juger de cela pour nous! Que ferait J-Lo ? Au site Pitchfork de jouer!!!
Pitchfork, nous avons besoin de vous pour nous aider a determiner la valeur d'une
chanson! On s’en branle putain!! J’adore ce titre, un point c’est tout ! Qui peut dire ce
qu’est une bonne voix ou une mauvaise voix. La voix? Imaginez un peu Bob Dylan en
train de chanter "Blowin in the Wind" devant Christina Aguilera : "Mmmmm ... Cher Bob,
vous chantez un peu du nez, desolee. Au suivant ..."
C'est votre voix. Il faut la cherir. La Respecter. Prenez-en soin. Testez-la. Tirez sur votre
voix et hurlez jusqu'a la perdre. Parce que tout le monde a la chance de pouvoir faire au
moins ça, et qui sait combien de temps ça va durer. . .
Quand Kurt est mort, j'etais perdu. J'etais engourdi. La musique a laquelle j'avais
consacre ma vie m’avait trahi et brise le cœur. Je n’avais plus… de voix. J'ai eteint la
radio, j‘ai range mes disques et emballe ma batterie. Je ne pouvais pas supporter
d'entendre la voix de quelqu'un d'autre chanter la douleur, la joie, l’amour, ou la haine.
Pas une seule note. C’etait trop douloureux.
Et puis par la suite. . . cette sensation que j’avais ressentie le 4 juillet 1983, pour
l’Independence Day, en bas du Lincoln Memorial, je l’ai retrouvee. Cette meme sensation
qui m'avait fait me sentir possede, fort, inspire mais aussi furieux et tellement amoureux
de la vie et de la musique et qui avait le pouvoir d'inciter a une emeute, une emotion,
une revolution, ou tout simplement de sauver la vie d'un jeune garçon. Je l'ai a nouveau
ressentie.
J'ai trouve un studio en bas de la rue. J'ai reserve six jours. Charge tout mon matos dans
la voiture, j’ai achete quelque chose de bon, du putain de cafe bien fort, et je me suis
remis au travail. Quatorze chansons en cinq jours, avec un jour pour le mixage. J'ai joue
de tous les instruments, de la batterie, a la guitare, la machine a cafe, la basse, le micro
chant, la machine a cafe, retour a la batterie, retour a la machine a cafe. . . J’etais de
nouveau livre a moi-meme, sans personne pour me dire si c’etait bon ou mauvais, le
meme homme-orchestre, mais 20 ans plus tard, un multi-tracking a moi tout seul.
Bien sur, les chansons enregistrees sur cassette au sujet de mon chien, mon velo, et mon
pere avaient depuis longtemps disparues . . . Mes chansons parlaient de l’envie de tout
recommencer. Et, peut-etre un peu de mon pere ...
J'ai duplique 100 cassettes. J’ai choisi le nom de "Foo Fighters" pour que les gens
s'imaginent qu'il s'agissait d'un groupe, plutot que d’un junkie du cafe sautant d’un
instrument a un autre. Je les ai donnees a des amis. J’en ai donne a ma famille. J’en ai
donne a des gens dans des stations-service. Je repartais de zero.
Il ne fallut pas longtemps avant que je ne reçoive un appel d’un directeur artistique. La
cassette avait fait son chemin.. Ces six jours passes tout seul dans un studio, je
considerais en avoir fait une demo, avoir vecu une experience, et surtout je pensais que
c’etait une putain de therapie ! Eux pensaient que c'etait un album ! Je n'avais meme pas
de groupe! J'ai appele mon amie, Jill Berliner, une brillante avocate, pour prendre conseil.
Vous savez ce qu'elle m'a dit? Le musicien compte plus que tout.
Alors, j'ai demarre mon propre label, Roswell records. Oui, Mesdames et Messieurs, vous
etes en face, oui c’est vrai, du directeur d'une compagnie de disques.
Apres tout ce qui s'etait passe, au fond, j'etais toujours ce gosse qui, a 13 ans, s'etait
rendu compte qu’il pouvait monter son propre groupe, ecrire sa propre chanson,
enregistrer son disque, demarrer son label. Je pouvais sortir mon disque, organiser mes
spectacles, ecrire et publier mon propre fanzine, faire moi-meme mes serigraphies et
mes tee-shirts. . . Je pouvais faire tout cela moi-meme. C'est peut-etre un monde
totalement different maintenant, mais encore une fois, rien n’est bon ou mauvais. . .
parce que tout ça m’appartient.
Depuis le premier jour, les Foo Fighters ont eu la chance d'exister dans ce monde parfait.
Nous ecrivons nos chansons. Nous enregistrons nos chansons. Nous faisons nos albums.
Nous decidons quand l'album est pret. L’album nous appartient, nous vous le pretons
pour une duree precise, ensuite il faut le rendre parce que ça m’appartient.
Parce que je suis musicien. Et JE COMPTE PLUS QUE TOUT.
J’imagine que la raison pour laquelle je suis ici aujourd'hui, devant vous tous, c'est
exactement cela. Suis-je le meilleur batteur du monde? Certainement pas. Suis-je le
meilleur auteur-compositeur? Pas meme dans cette salle, putain! Mais on m’a laisse
trouver ma voix tout seul, depuis ce jour ou j'ai entendu Edgar Winter "Frankenstein" sur
ce tourne-disque du college dans ma chambre.
Recemment, j'ai realise un documentaire sur le studio d'enregistrement ou Nirvana a
enregistre il y a maintenant plus de 20 ans : Sound City. Dans le film, non seulement nous
racontons l'histoire de ce merdier magique, mais en plus nous explorons la technologie
et ce que nous appelons l '«element humain» de la musique. Comment ces choses
peuvent-elles coexister?
Rien n’est bon ou mauvais. Il y a seulement VOTRE VOIX. Votre voix hurlant dans une
vieille console, une Neve 8028, votre voix enregistree sur un ordinateur portable, votre
voix en echo au coin d’une rue, un violoncelle, une platine, une guitare, un serrato, un
Studer. Ça n'a pas d'importance. Ce qui importe le plus, c'est que c'est VOTRE VOIX.
Cherissez-la. Respectez-la. Prenez-en soin. Testez-la. Tirez sur votre voix jusqu'a la
perdre. Parce que chaque etre humain est dote d'au moins cela, et qui sait combien de
temps cela va durer. . .
C'est a vous, si vous le voulez. Maintenant, plus que jamais, etre un musicien
independant est possible grace aux progres de la technologie, ce qui permet a des
musiciens inspires et a des jeunes de demarrer leur groupe, d’ecrire leurs chansons,
d’enregistrer leur disque, de faire des concerts, d’ ecrire et publier leur propre fanzine
(bien que maintenant je crois que vous appelez ça un «blog»?). . . aujourd'hui plus que
jamais, vous pouvez le faire, tout est possible. Et meme livre a vous-meme, vous pouvez
trouver votre voix.
Recemment, je rentre a la maison avec le dernier coffret vinyle des Beatles. C'est
incroyable. Il a la taille d'une putain de valise Tumi, il pese 50 livres. Je suis donc a la
maison, mes filles, Harper qui a trois ans et Violette qui a six ans, levent les yeux et le
souffle coupe : "QU'EST-CE QUE C'EST????" Je leur dis: «C'est tous les albums des
Beatles!" Maintenant, il faut savoir que j'ai deja passe des heures a leur laver le cerveau
avec les chansons des Beatles. . . elles sont cool. Mais ce n'etait pas du vinyle! Elles n’en
n'avaient jamais vu auparavant. J'ai installe la platine dans la chambre, ouvert le coffret,
et j’ai commence a leur montrer comment ça marchait. "Ok ... vous enlevez le disque de la
pochette, voici les chansons de ce cote, voici les chansons de l'autre cote ... puis
soigneusement placez le vinyle sur la platine ... posez delicatement le diamant vers le
bas .. . ATTENTION! " Elles ont ete absolument epoustouflees. J'ai quitte la piece, je suis
revenu une demi-heure plus tard, et elles etaient la, en train de danser sur "Get Back", les
pochettes d’albums etalees par terre ». . . ça vous semble familier? Nous sommes tous
passes par la !
Et dans ma fierte de pere, je prie pour qu'un jour, elles soient livrees a elles-memes,
qu'elles se rendent compte que le musicien compte plus que tout, qu'elles trouvent leur
voix, qu’elles deviennent un Edgar Winter, qu’elles deviennent un Beatles et qu'elles
incitent a une emeute , une emotion, ou a faire la revolution, ou a sauver la vie de
quelqu'un. Qu'elles deviennent les heros de quelqu'un.
Mais la encore. . . que sais-je?
Merci beaucoup pour votre attention.
Dave « Fucking » Grohl.