Comme des bêtes - Femme Majuscule

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Comme des bêtes - Femme Majuscule
couple
Souvenez-vous… Petites, nous ne nous lassions pas de regarder les chiens se
séduction, fidélité ou amour
grimper dessus et pouffions de rire devant l’érection de l’âne de notre pépé, quand
à plusieurs, violence,
nous étions en vacances à la ferme. Bien sûr, à l’époque, nous ne savions pas grandpartenaires du même sexe…
chose du sexe et cherchions à comprendre comment papa et maman nous avaient
Retrouve-t-on dans la
mis au monde, ne croyant pas une seule minute à ces histoires de rose, de chou et de
nature les comportements
humains ? Éléments de
cigogne ! Mais aujourd’hui, alors que nous sommes a priori mieux informées, notre
réponse.
attraction reste intacte. Pourquoi la sexualité des bêtes nous fascine-t-elle autant ?
« On cherche, et on cherchera toujours à mon avis, des explications logiques à nos
Par Bernadette Costa-Prades
comportements sexuels qui restent bien mystérieux. Penser que les réponses à nos
interrogations sont dans la nature est donc très tentant », explique la sexologue
Ghislaine Paris. Le problème ? Nous
sommes très sélectifs, en fonction de
trouveront mille et un exemples­pour réfuter cet argument, sans parler de la fidélité
ce qui nous arrange… « Prenez l’homoqui alimente de nombreux débats », détaille la spécialiste. Quant à ceux qui sont
sexualité : ceux qui estiment qu’elle est
tentés par la violence, ils y trouvent une justification : il s’agirait de pulsions nacontre nature avanceront qu’elle
turelles, d’une certaine bestialité présente chez chacun d’entre nous. « On imagine
­n’existe pas chez les animaux, les autres
un érotisme torride, sans limite, avant que les lois de la civilisation ne viennent y
mettre le holà. Cette sexualité nous fait peur et nous attire en même temps, car la
nôtre se débat avec la pudeur, les tabous, autant de freins qui n’existent pas dans le
monde animal », poursuit la sexologue.
Tous les goûts sont dans la nature… Question variété, il faudrait au moins
trois tomes d’encyclopédie pour les recenser ! Contentons-nous d’un petit tour
d’horizon sur les comportements les plus surprenants. Les amoureux d’excréments
– se faire uriner dessus est un plaisir sexuel pour certains – n’ont rien à envier à la
girafe et à l’hippopotame : la girafe mâle touche l’arrière-train de la femelle jusqu’à
ce qu’elle lui fasse pipi sur le museau, tandis que la femelle hippopotame adore que
PHOTOS Frans lanting
Comme
des
bêtes !
le mâle l’asperge de ses crottes ! L’amour à trois, quatre ou cinq ne fait pas peur à la
chatte, à la lionne, à la rate. « Si ce sont les mâles dominants qui ont accès en premier
aux femelles, cela ne veut pas dire que les autres restent sur leur faim. Une fois le mâle
satisfait, il est enclin à s’endormir et les autres peuvent prendre leur tour. Les scientifiques se demandent d’ailleurs si cette phase de somnolence n’est pas utile pour assurer un brassage des gênes », explique la spécialiste. Quant au sadomasochisme,
les petites bêtes remportent la palme haut la patte, toutes catégories confondues !
Prenez l’arai­gnée : le mâle étant bien plus petit que la femelle, il faut qu’il ruse pour
arriver à la féconder sans se faire dévorer tout cru, car bien souvent, elle prend son
prétendant pour une simple proie. L’astuce du fiancé à huit pattes ? Offrir à sa belle
un insecte bien emballé dans un cocon pour l’occuper pendant qu’il fera sa petite
affaire… Que dire encore de la mante religieuse qui dévore le mâle, du faux-bourdon
qui tombe raide mort après le coït ? Mais ce qui suscite notre horreur absolue, c’est
la sexualité de la punaise des lits qui pratique le viol traumatique : « Le mâle ne
Frans Lanting
Ce photographe américain,
spécialiste de la vie sauvage,
a fait de nombreux reportages
sur les animaux. Il a notamment
vécu de longs mois parmi les
bonobos. Récompensé par de
nombreux prix internationaux,
il est, selon Thomas Kennedy,
ancien directeur de la
photographie du National
Geographic, « un chroniqueur de
l’histoire naturelle doté de l’esprit
d’un scientifique, du cœur d’un
chasseur et des yeux d’un poète ».
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Pour en savoir +
couple
peut que perforer le corps de la femelle pour y introduire sa semence. À cette fin,
il est muni d’un pénis en forme de sabre qu’il insère dans son abdomen. Après l’accouplement, la plaie se referme et laisse une cicatrice », explique Tobie Nathan, ethno­
psychiatre, qui a consacré un délicieux petit livre aux amours des insectes (1). On
peut ainsi compter le nombre de ses « abuseurs »…
Nos fantasmes ne demandent qu’à se réveiller devant tous ces récits !
Pour bien des hommes, la peur que la femme ne l’utilise que pour se reproduire est
devenue fréquente. Ne dit-on pas d’une femme qu’elle est une vraie mante religieuse ? Les craintes féminines sont également à l’honneur avec la punaise des lits :
« L’équivalent du pénis en forme de sabre­est souvent le fantasme des femmes frigides
qui conçoivent la relation avec un homme comme un déchirement agressif », constate
Tobie Nathan. Sans parler du pénis du lion, hérissé d’épines… Et pourtant, comparaison n’est pas raison. Ghislaine Paris remet les pendules à l’heure. « Quand on
observe de façon scientifique le comportement animalier, la sexua­li­té y est codifiée,
restreinte, et n’a qu’un seul but : la reproduction. Si nous disposons d’une palette
érotique selon nos humeurs, ce n’est pas le cas de la plupart des espèces animales.
Flavie Flament
consacre son
émission On est
fait pour s’entendre
au thème
« Comme des bêtes ! »
le mercredi 2 juillet
de 15 h à 16 h
Certes, certaines ont une petite gratification de plaisir au passage – et encore,
pas tous – mais elle est tout à fait secondaire par rapport au projet de perpétuation de l’espèce. Ce qui nous caractérise,
c’est l’inverse : nous nous sommes affranchis de ce seul but, laissant place à
l’émotion, à l’attachement », nuance la
sexologue. En fait, nous avons une sexualité bien plus libre et riche que les animaux,
qui n’ont que des figures imposées. N’ayons donc pas de complexes ! Quand la
mante religieuse dévore le mâle, elle n’en éprouve aucune jouissance, quand la girafe mâle boit l’urine de sa compagne, c’est juste pour vérifier si elle est en chaleur
ou pas… Une exception toutefois : les grands singes. Ainsi, les bonobos ont des rapports sexuels en dehors des périodes de reproduction, s’accouplent avec un congénère du même sexe, pratiquent la masturbation, la fellation, adoptent des positions variées. Explication de Ghislaine Paris : « Ce sont des êtres humains ! Chez les
grands singes, les hormones ne jouent plus un rôle prépondérant, ils recherchent
Flippant le dauphin
Une théorie fait de notre ami
Flipper le roi du viol collectif…
Qu’en est-il vraiment ? Depuis
la nuit des temps, lorsque la
femelle dauphin est réceptive,
elle a un coït avec plusieurs
mâles qui se mettent autour
d’elle. Elle se débat ? C’est
parce qu’elle doit rester
immobile dans l’eau pour que
la fécondation soit possible,
ce qui n’est pas facile. Cela
n’aurait donc rien à voir avec
une tournante, sauf dans nos
fantasmes d’humains !
Toutefois, les dauphins ayant
des comportements sociaux
et leur sexualité n’étant pas
uniquement dominée par les
réflexes, la porte reste ouverte
aux deux versions…
A lire et à voir
comme nous le plaisir, utilisent la ­sexualité pour se rapprocher les uns des autres,
Comprendre les origines
créer des liens, apaiser les tensions et montrer leur affection. Il existe moins de difde la sexualité humaine,
férence entre un bonobo et nous qu’entre un bonobo et un raton laveur. »
de Serge Wunsch (éd. L’Esprit
du Temps), un ouvrage
Y aurait-il une leçon à tirer de la nature ? Oui, des cours de séduction !
scientifique extrêmement
Dans ce domaine, les bêtes nous en remontrent. « D’une manière générale, la phase
documenté. Plus rigolos : les
de séduction chez les animaux est plus longue et plus raffinée que chez l’humain. Or
Green Porno, courts métrages
chez nous, quand la sexualité est en berne, il y a souvent déficit de ce côté-là »,
de l’actrice Isabella Rossellini,
­constate­la spécialiste. Sur qui prendre exemple ? Sur le martin-pêcheur, qui offre
sur les pratiques sexuelles des
des poissons à sa belle, sur l’hirondelle ou l’albatros qui chantent et dansent pour
animaux, à voir sur YouTube.
séduire la mère de leurs futurs oisillons ? Les marmottes, elles, jouent, font des ca­
brioles, s’offrent des fleurs. Quant aux
éléphants, ils font tout à deux pendant
une ­approche différente, elle ne varie jamais. L’objectif est précis : il s’agit d’établir
des semaines – manger, dormir, s’asun climat serein, créer un sas, bref, montrer patte blanche. Chez nous, la séduction
perger de boue – avant de passer l’acdonne l’autorisation de pénétrer dans un certain périmètre intime. Mais là encore,
tion… Sauf qu’il n’existe pas d’apprennous faisons preuve d’une belle inventivité. « Nous ne nous séduisons pas de la
tissage : si les baleines et les paons ont
même manière à Oslo et à Bamako. Dans certains coins du globe, montrer ses seins ou
s’embrasser sur la bouche n’a rien de sexuel », constate Ghislaine Paris. Enfin, à tous
ceux qui excusent leur libertinage en avançant que la fidélité n’existe pas dans la
nature, le sexologue leur répond : « La sexualité humaine est influencée par le plaisir
de l’attachement, elle relève d’une construction sociale, d’où notre recherche de la monogamie, qui n’est effectivement pas logique du point de vue du brassage des gênes. »
Eh oui, nous ne sommes pas des bêtes ! ✦
1. Tous nos fantasmes sexuels sont dans la nature, éd. Mille et Une Nuits.
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