De la lettre à l`esprit... - Réflexions de Raymond Gravel
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De la lettre à l`esprit... - Réflexions de Raymond Gravel
DIMANCHE 16 FÉVRIER 2014 6ème dimanche du temps ordinaire (A) PREMIÈRE LECTURE Livre du Livre de Ben Sirac le Sage (15, 15-20) Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle. Le Seigneur a mis devant toi l'eau et le feu : étends la main vers ce que tu préfères. La vie et la mort sont proposées aux hommes, l'une ou l'autre leur est donnée selon leur choix. Car la sagesse du Seigneur est grande, il est tout-puissant et il voit tout. Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent, il connaît toutes les actions des hommes. Il n'a commandé à personne d'être impie, il n'a permis à personne de pécher. DEUXIÈME LECTURE Première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens (2, 6-10) Frères, c'est bien une sagesse que nous proclamons devant ceux qui sont adultes dans la foi, mais ce n'est pas la sagesse de ce monde, la sagesse de ceux qui dominent le monde et qui déjà se détruisent. Au contraire, nous proclamons la sagesse du mystère de Dieu, sagesse tenue cachée, prévue par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire. Aucun de ceux qui dominent ce monde ne l'a connue, car, s'ils l'avaient connue, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire. Mais ce que nous proclamons, c'est, comme dit l'Écriture : ce que personne n'avait vu de ses yeux ni entendu de ses oreilles, ce que le cœur de l'homme n'avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu. Et c'est à nous que Dieu, par l'Esprit, a révélé cette sagesse. Car l'Esprit voit le fond de toutes choses, et même les profondeurs de Dieu. ÉVANGILE Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (5, 17-37) Comme les disciples s'étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait : « Ne pensez pas que je suis venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas une lettre, pas un seul petit trait ne disparaîtra de la Loi jusqu'à ce que tout se réalise. Donc, celui qui rejettera un seul de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire ainsi, sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux. Mais celui qui les observera et les enseignera sera déclaré grand dans le Royaume des cieux. Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux. Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu'un commet un meurtre, il en répondra au tribunal. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère en répondra au tribunal. Si quelqu'un insulte son frère, il en répondra au grand conseil. Si quelqu'un maudit son frère, il sera passible de la géhenne de feu. Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande sur l'autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l'autel, va d'abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. Accordetoi vite avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu'on ne te jette en prison. Amen, je te le dis : tu n'en sortiras pas avant d'avoir payé jusqu'au dernier sou. Vous avez appris qu'il a été dit : Tu ne commettras pas d'adultère. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme et la désire a déjà commis l'adultère avec elle dans son cœur. Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi : car c'est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi : car c'est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne s'en aille pas dns la géhenne. Il a été dit encore : Si quelqu'un renvoie sa femme, qu'il lui donne un acte de répudiation. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui renvoie sa femme, sauf en cas d'union illégitime, la pousse à l'adultère ; et si quelqu'un épouse une femme renvoyée, il est adultère. Vous avez encore appris qu'il a été dit aux anciens : Tu ne feras pas de faux serments, mais tu t'acquitteras de tes serments envers le Seigneur. Eh bien moi, je vous dis de ne faire aucun serment, ni par le ciel, car c'est le trône de Dieu, ni par la terre, car elle est son marchepied, ni par Jérusalem, car elle est la Cité du grand Roi. Et tu ne jureras pas non plus sur ta tête, parce que tu ne peux pas rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir. Quand vous dites 'oui', que ce soit un 'oui', quand vous dites 'non', que ce soit un 'non'. Tout ce qui est en plus vient du Mauvais. » HOMÉLIE De la lettre à l’esprit… RÉFÉRENCES BIBLIQUES 1ère LECTURE Livre de Ben Sirac le Sage 15, 15-20 2ème LECTURE Première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens 2, 6-10 ÉVANGILE Selon saint Matthieu 5, 17-37 Nous sommes au cœur du discours sur la montagne de l’évangile de Matthieu. À une première lecture, on peut penser que l’interprétation ou l’application de la Loi de Moïse proposée par l’évangéliste Matthieu est impossible, tellement c’est exigeant ce que le Christ nous dit dans ce discours; par ailleurs, lorsqu’on s’y arrête un peu, on se rend vite compte qu’il s’agit là d’une invitation au dépassement : dépassement de la Loi, des règles, des commandements, des préceptes, des interdits, pour atteindre la personne humaine, tous les humains, dans le respect de leur dignité de femmes, d’hommes, de filles et de fils de Dieu, de sœurs et de frères du Christ. Au fond, accomplir la Loi, ce n’est pas s’y soumettre bêtement, comme si la Loi était première; la Loi est au service des humains, afin de protéger leur dignité, leur intégrité et leur liberté. L’exégète français Jean Debruynne écrit : « Les commandements ont beau être des commandements de Dieu, ils ne sont que des préceptes, alors que l’homme et la femme sont plus que la loi, ils sont les propres enfants de Dieu. Jésus n’est pas un commandement de Dieu, il est le Fils de Dieu. Quand il s’agit des belles-filles, des belles-sœurs, des gendres ou des petits-enfants, des neveux, des amis ou des voisins, le respect des personnes est toujours plus grand que le respect de la loi. Aux yeux de la foi, chaque visage est plus qu’un commandement, c’est le visage même de Jésus ». C’est pourquoi, le Christ n’est pas venu abolir la Loi ; il est venu l’accomplir, c’est-à-dire la faire passer de la lettre à l’esprit : « Ne pensez pas que je suis venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir » (Mt 5,17). C’est une question de justice : « Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux » (Mt 5,20). En même temps, le Christ s’adresse à notre intelligence, il fait appel à notre responsabilité dans le respect de notre liberté. En 1 ère lecture aujourd’hui, deux siècles avant le Christ, Ben Sirac le Sage reconnaissait à l’homme sa responsabilité devant la Loi de Moïse et son entière liberté dans ses choix : « Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle. Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu : étends la main vers ce que tu préfères. La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une et l’autre leur est donnée selon leur choix » (Si 15,15-17). Donc, la seule liberté que l’homme n’a pas, c’est de ne pas choisir. Mais ses choix ont des répercussions sur les autres, car nous ne sommes pas seuls sur la planète; nous sommes aussi collectivité, communauté. Et c’est pourquoi, Dieu n’est pas indifférent à nos choix : « Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent, il connaît toutes les actions des hommes » (Si 15,19). Dans l’extrait du Sermon sur la montagne que nous avons aujourd’hui, Matthieu reprend 4 règles de la Loi de Moïse que les scribes et les pharisiens respectaient scrupuleusement en façade, à la lettre, sans l’esprit et loin du cœur. Matthieu qui est un Juif converti au christianisme, utilise un genre littéraire : l’hyperbole, qui se veut un grossissement, une exagération, une amplification, destinées à produire une forte impression, afin de bien faire comprendre aux chrétiens de sa communauté, qu’ils n’ont pas à se faire imposer les préceptes juifs, à la manière des scribes et des pharisiens, dans leur vie de foi chrétienne, en Église. Matthieu interprète la Loi, en mettant l’accent sur l’être humain qu’elle doit servir… 1. « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu’un commet un meurtre, il en répondra au tribunal » (Mt 5,21). À la condamnation du meurtre, le Christ de Matthieu oppose la condamnation de la colère, de l’insulte et du mépris de l’autre, du frère, du semblable. Au fond, ce n’est pas tout de ne pas tuer quelqu’un, il faut aussi entretenir des rapports harmonieux avec les autres, parce que nous sommes tous et toutes des frères et des sœurs. C’est même plus important la réconciliation avec l’autre plutôt que l’offrande sur l’autel ou la messe du dimanche : « Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande » (Mt 5,23-24). 2. « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère » (Mt 5,27). C’est dans le regard de propriétaire (la convoitise) posé sur l’autre que se joue l’adultère, et non pas au moment de l’acte sexuel proprement dit. À l’époque de Matthieu, on qualifiait d’adultère la femme séduite et non pas l’homme séducteur. En appliquant au désir de l’homme, l’adultère, Matthieu renverse la culpabilité qui était dévolue à la femme seulement : « Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme et la désire, a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur » (Mt 5,28). Une telle interprétation a dû choquer bien des hommes qui avaient tous les droits sur les femmes. En même temps, c’est une façon de rendre justice aux femmes du 1 er siècle. 3. « Il a été dit encore : Si quelqu’un renvoie sa femme, qu’il lui donne un acte de répudiation » (Mt 5,31). Encore une fois, le Christ de Matthieu veut redonner aux femmes leur dignité en reconnaissant leur égalité. En effet, le problème de la répudiation, dans la société de l’époque à dominance masculine, relevait de l’initiative du mari. L’avenir d’une femme répudiée s’annonçait plutôt sombre… Et c’est pourquoi, Matthieu défend ici les droits des femmes plutôt que l’interdiction de la séparation : « Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui renvoie sa femme, sauf en cas d’union illégitime, la pousse à l’adultère; et si quelqu’un épouse une femme renvoyée, il est adultère » (Mt 5,32). Il me semble qu’il y a là beaucoup de sagesse dans ces paroles de Matthieu; nous croyons entendre saint Paul, dans l’extrait que nous avons aujourd’hui de sa 1ère lettre aux Corinthiens, où l’apôtre nous parle de sagesse : « Ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Écriture, ce que personne n’avait vu de ses yeux ni entendu de ses oreilles, ce que le cœur de l’homme n’avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu. Et c’est à nous que Dieu, par l’Esprit, a révélé cette sagesse. Car l’Esprit voit le fond de toutes choses, et même les profondeurs de Dieu » (1 Co 2,9-10). 4. « Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne feras pas de faux serments, mais tu t’acquitteras de tes serments envers le Seigneur » (Mt 5,33). La question que Matthieu soulève est la suivante : Pourquoi nous faut-il faire des serments? Serait-ce parce que nous ne sommes pas fiables? Manquons-nous de sincérité? Ne pouvons-nous pas nous faire confiance entre sœurs et frères? Entre humains? Voilà le problème du serment et du faux serment. En exagérant l’application de cette loi, l’évangéliste Matthieu nous rappelle simplement notre responsabilité par rapports à nos engagements et dans nos relations avec les autres : « Quand vous dites oui, que ce soit un oui, quand vous dites non, que ce soit un non. Tout ce qui est en plus vient du Mauvais » (Mt 5,37). En terminant, si Matthieu, dans ce passage d’évangile lu aujourd’hui, soulève la triple question du meurtre, de l’adultère et des serments, ce n’est pas un choix fait au hasard; ce sont 3 références aux commandements de la Loi de Moïse que nous appelons aussi les commandements de Dieu. L’exégète Jean Debruynne écrit : « À l’époque de Jésus, la situation est devenue telle que les croyants préféraient respecter les commandements plutôt que les personnes. L’amour de la loi avait plus de prix à leurs yeux que l’amour de l’autre. Si les gens renonçaient au meurtre, ce n’était pas par respect de la vie de leur prochain, mais par peur de la loi. Les gens condamnaient l’adultère, non par respect de la femme et de l’homme, mais parce que c’était interdit par la loi. Quant aux serments, les gens en faisaient à longueur de journée parce qu’ils préféraient faire confiance aux serments plutôt que de se faire confiance entre eux. D’un grand geste, Jésus balaye tout cela : On vous a dit…, eh bien, moi je vous dis… Ce que Jésus affirme là, c’est que le respect de l’homme passe bien avant le respect de la règle ». Et j’ajouterais : il devrait en être ainsi encore aujourd’hui… Il faut passer de la lettre à l’esprit. Malheureusement, nous sommes loin de ça! Raymond Gravel ptre Diocèse de Joliette. Ce dimanche 16 février 2014, je préside la messe de 11h00 à l’église Notre-Dame des Prairies de Joliette ère 37 1 avenue (angle Curé Rondeau) – Joliette (Québec) Soyez les bienvenus !