Compte-rendu de la formation sur Tex Avery Follies Intervention de
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Compte-rendu de la formation sur Tex Avery Follies Intervention de
Compte-rendu de la formation sur Tex Avery Follies Intervention de Erwan Cadoret, doctorant en cinéma et chargé de cours à Paris III Au Cinéma Le Bretagne à Quimper, le 29 septembre 2010 Introduction : On distingue deux pôles de l’animation américaine classique : Tex Avery et Walt Disney. Pourtant, contrairement à ce que l’on croit, Tex Avery n’a jamais été une star de l’animation. Il a été découvert sur le tard, dans les années 80. Tex Avery a souvent été nommé l’anti-Disney. Pour autant, Tex Avery a été influencé par Disney, comme l’ont été tous les animateurs des années 20 et 30. Certains vont faire comme Disney, d’autres, comme Avery, suivront une autre voie. 1. Hollywood, le dessin animé et Tex Avery A. Hollywood et le dessin animé En 1926, sont fondés les studios Disney : c’est un déclic pour le dessin animé. Les 6 grands studios américains (divisés en départements) créent chacun un département « animation ». L’objectif est de produire le maximum de dessins animés par semaine. La hiérarchisation du travail est très importante. Au sommet, se trouve le producteur (Fred Quimby, à la MGM, considéré comme le personnage important). Ensuite, deux équipes distinctes incluant les scénaristes puis le réalisateur qui supervise les animateurs. Tex Avery dirigeait ainsi une demi-douzaine d’animateurs. Ceux-ci avaient des tâches bien précises : l’un s’occupait du premier plan, l’autre de l’arrière-plan… Par exemple, dans Little Rural Riding Hood, les plans du loup son travaillés par un animateur et les plans de la pin-up par un autre. La narration reste cependant aux mains du réalisateur qui produit le style du dessin animé. Le réalisateur, les scénaristes et les animateurs restent dans l’anonymat. C’est le producteur qui est mis en avant. Ainsi, Tex Avery est crédit mais inconnu du grand public qui se déplace pour voir le dernier dessin animé de la MGM. B. Tex Avery Tex Avery est longtemps resté un personnage mystérieux : discret, il ne vivait pas à Hollywood et ne fréquentait pas la jet-set. On ne connaissait rien de lui. L’autre raison de cet anonymat vient du poids de Fred Quimby qui s’est accaparé le style Avery. Aujourd’hui, on en sait un peu plus sur la carrière de Tex Avery qui peut se décomposer en 4 phases : - Etape de formation (1930-1935) : il travaille dans plusieurs studios et s’entraîne. - Période Warner (1936-1942) : il réalise une soixantaine de courts-métrages et invente des effets comiques qu’il améliorera plus tard à la MGM. Durant cette période, il fait la connaissance de Chuck Jones, le grand animateur de la Warner. Tex Avery a ainsi aidé à conceptualiser Bugs Bunny, Daffy Duck… Il est l’inventeur de la fameuse réplique : « What’s up Doc ? ». Tex Avery se brouille avec le producteur John Schlesinger et décide de quitter la Warner. - Période MGM (1942-1954) : c’est son apogée artistique. Il réalise 50 courts-métrages qui sont les plus connus du public. - Fin de carrière (1954- 1960) : En raison de l’émergende de sociétés de production indépendantes et concurrentes qui vendent leurs dessins animés aux studios, ces derniers ferment leurs département animation. D’autre part, alors que Tex Avery revient à la MGM en 1955, un autre studio indépendant, l’UPA, développe un style plus simpliste et géométrique (parce que plus économique et rapide) : dès lors, Avery est obligé de s’adapter, d’où le style plus schématique qu’il adopte dans le dernier Cellbound. En 1960, il décide de prendre sa retraite. Tex Avery a réalisé en tout 200 courts-métrages. 2. Les caractéristiques du dessin animé A. Le format Un cartoon a une durée de 6 à 9 minutes. 2 facteurs expliquent cette norme : - Le double programme : lors d’une séance, deux films sont proposés aux spectateurs avec un entracte. Destiné aux enfants, le cartoon trouve sa place dans cet entracte. - Le coût des courts-métrages d’animation : cela prend du temps et beaucoup de personnes sont engagées pour un travail qui demande du temps. Malgré les améliorations techniques (l’invention du cellulo qui permet d’aller plus vite), le travail reste très long. Seul Disney pouvait se permettre de produire des longs-métrages parce que son studio était uniquement consacré à l’animation. A la MGM, par exemple, on exerçait une pression sur le département animation pour faire le moins cher possible (le dessin animé n’était considéré que comme un film d’entracte et non comme un film de prestige). C’est donc bien pour des raisons financières et non artistiques que le format du dessin animé est court. L’ensemble est donc millimétré et répond à un besoin d’efficacité narrative. B. Un plan, un gag Le cartoon ne comporte que très peu de plans de transition. Il n’y a pas de temps mort si bien qu’un plan contient un gag voire plusieurs. Cela explique qu’il y a très peu d’interaction avec l’arrière-plan. Le gag intervient surtout au premier plan sauf dans les scènes de fin où les personnages fuient à l’horizon. Dès lors, le décor et la psychologie des personnages sont secondaires. Tex Avery s’est inspiré des films à sketches, structuré par des portions indépendantes. La continuité narrative n’est pas justifiée et il n’y a pas de lien de cause à effet d’un plan à l’autre. C’est pour cette raison que Tex Avery utilise principalement le fondu au noir (également plus pratique et plus rapide). Toutefois, de temps en temps, il crée des transitions plus subtils comme le fondu enchaîné avec raccord de mouvement dans The Counterfeit Cat. C. Le running gag (ou gag à répétition) Déjà présent dans les films burlesques, Tex Avery le perfectionne. Ce n’est pas un gag mais plusieurs gags qui sont montrés en parallèle. Ainsi, dans The Hick-Chick, le gag du coup de poing (ouvrant et fermant le cartoon) est associé à l’autre gag, celui du taureau qui perd sa peau. Pour créer le running gag, Tex Avery utilise le montage alterné (un simple champcontrechamp). Ainsi dans Little Rural Riding Hood, le plan du loup alterne avec celui de la pin-up. De même, dans Slap Happy Lion, le plan du lion qui crie alterne avec ceux des animaux qui s’enfuient. Ce procédé permet de doubler les gags et de les faire se rejoindre. D. The long isn’t it gag Inventé par Tex Avery, le gag est commenté à l’intérieur du court-métrage et adressé au spectateur. Cela est très novateur à Hollywood. En effet, à l’époque, on ne parle pas au public dans les films, ces apartés n’étaient pas de mise. Chez Tex Avery, il y a une revendication de la présence du public soit par un commentaire (concrétisé par un écriteau), soit par un regard caméra (comme celui du loup dans Red Hot Riding Hood), soit par l’ombre d’un spectateur qui se lève devant l’écran (Magical Maestro). 3. La relation image/musique La musique joue un rôle très important dans les dessins animés américains. On associe souvent dans le titres des séries la notion du burlesque et la musique. Ex : « Looney Tunes » (« Looney » renvoie au loufoque et « Tunes » à la mélodie) ou « Silly Symphonies ». La place prépondérante de la musique s’explique par le fait que les cartoons s’adressaient à un public enfantin. La musique permettait ainsi de créer une ambiance… sans passer par le dialogue. A. La musique porteuse de sens Tex Avery réorchestre des thèmes connus toujours dans le but de signifier quelque chose. Dans The Hick-Chick, le country rural désigne la campagne américaine et permet d’installer le spectateur dans ce décor. Dans Hound Hunters, le thème musical (Tipperary) accompagne les vagabonds sur la voie ferrée, évoquant l’errance. D’autres thèmes sont issus de la musique classique, le plus évident étant dans Magical Maestro : ici, elle est subvertie dès l’ouverture avec la réécriture du nom du grand Poochini. B. Le gag à double détente visuelle et sonore Dans Red Hot Riding Hood, le gag sonore s’accompagne du gag visuel. On voit ainsi dans le plan une vendeuse de cigarette parlant avec une voix classique. La caméra dézoome et laisse apparaître une autre vendeuse, très grande celle-ci, parlant d’une voix fluette. Le contraste entre ce que l’on entend et ce que l’on voit crée l’humour. Dans ce seul plan, 3 gags se mêlent : le contraste grand/petit, le contraste des voix et le contraste de la voix avec le corps féminin présenté mais toutefois adapté avec ce que la vendeuse propose (des cigarettes king size, à son image). 4. Références culturelles et mises en abyme A. Les références culturelles L’utilisation constante de références culturelles anciennes ou contemporaines n’est pas un simple clin d’œil mais devient source de gag. - Dans The Blitz Wolf, Hitler prend les traits du loup alors que les trois petits cochons sont les soldats alliés. - Dans Hound Hunters, George et Lenny sont une référence à Des Souris et des Hommes de Steinbeck. Les deux personnages ont le même physique (un grand et un petit) tandis que l’ambiance du début rappelle la Grande Dépression. - Dans Red Hot Riding Hood, le loup est un séducteur étranger à l’accent français prononcé. Le personnage est une parodie de Charles Boyer. - - Dans The Hick Chick, la poule s’exprime comme Katherine Hepburn, actrice spécialisée dans les rôles de dames du monde, froide et distante. Dans Little Tinker, le putois parodie le personnage séducteur de Frank Sinatra, qui avait la réputation d’être maladif quand il était jeune. Tex Avery joue avec cette image. On trouve également dans de nombreux cartoons des références aux contes de fée. Pastiche et retournements de situation sont de mise. Ainsi, la petite souris dans Slap Happy Lion devient un monstre. B. Les mises en abyme du matériau cinématographique (technicolor, pellicule…) - - - - Le début de Red Hot Riding Hood fait entendre la voix du créateur (qui est celle de Tex Avery lui-même), utilise un regard caméra et propose un 2ème générique (ce qui est impensable puisque cela remet en cause la structure même du cartoon). La première séquence du cartoon est à ce titre intéressant puisqu’il renvoie à l’histoire personnelle de Tex Avery au sein de la Warner. Dessinant ses personnages comme il le faisait à cette époque, il les fait se rebeller et les remplace par des personnages plus modernes à l’esthétique plus géométrique. En abandonnant le style Warner, Tex Avery signifie son divorce créatif avec le producteur de la Warner avec lequel il s’était brouillé. Le gag du cheveu dans Magical Maestro : le spectateur pouvant croire un instant à une saleté coincée dans la fenêtre de projection, il se rend compte qu’il a été berné lorsque le personnage s’arrête pour arracher le cheveu. Le franchissement du technicolor dans Lucky Ducky : à l’époque, beaucoup de films étaient encore tournés en noir et blanc. Tex Avery joue sur l’idée du prestige (le passage au noir et blanc est silencieux et le décor et vide). La scène du phonographe dans Screwball Squirrel. Conclusion : Tex Avery a eu une influence immense : Southpark, les Simpsons… ainsi que chez les réalisateurs des années 80 et 90 (ceux qui étaient jeunes dans les années 50). - Joe Dante, Gremlins 2 - Terry Gilliam : L’Armée des 12 singes : scène de l’asile psychiatrique où l’on voit des personnages cinglés. A la télévision est programmée le cartoon de Tex Avery. - Les Frères Coen : on retrouve Tex Avery dans leurs gags. Tex Avery a réussi à rendre les dessins animés matures (pour enfants mais aussi pour adolescents et adultes). Il a apporté une dose de subversion qui n’existait pas chez Disney ainsi qu’une complicité et un dialogue avec le spectateur qui permet de faire accepter cette subversion.