Le débat sur l`immigration en France et aux Pays-Bas, 2010
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Le débat sur l`immigration en France et aux Pays-Bas, 2010
François Héran INED - Institut national d’études démographiques Paris [email protected] XXVII IUSSP International Population Conference 26 to 31 August 2013 Busan, Republic of Korea Theme 6: International migration Session 06-04: Recent policy directions (first draft, French version) Le débat sur l’immigration en France et aux Pays-Bas, 2010-2012 : portée et limites de l’approche démographique L’Europe est désormais un grand continent d’immigration. Le débat public sur l’ampleur et les effets des flux migratoires sur les sociétés d’accueil a pris une importance considérable dans les dernières campagnes électorales des pays de l’Union. Poussés par les mouvements populistes, les partis traditionnels affirment de plus en plus leur volonté de contrôler une immigration « massive » et de conjurer les menaces qu’elle ferait peser sur la cohésion sociale et sur l’identité nationale. On étudiera ce phénomène en choisissant de comparer le débat sur l’immigration développé ces trois dernières années dans deux pays de l’Union européenne : la France et les Pays-Bas en 2010, 2011 et 2012. France, Pays-Bas : des débats parallèles dans des systèmes politiques contrastés Ces deux pays ont en commun d’avoir connu des élections générales ou présidentielles, précédées de vifs débats sur l’intégration des immigrés. Certaines controverses (binationalité, statut des réfugiés mineurs, règle de l’abattage rituel et essor de la filière halal, définition des « valeurs » à inculquer aux nouveaux venus…) ont surgi presque au même moment. Les partis populistes hostiles à l’immigration y font des scores semblables (entre 15 et 19 % des voix selon les élections). Le contexte institutionnel, cependant, est très différent, à commencer par le système électoral : la proportionnelle intégrale en vigueur aux Pays-Bas donne une représentation parlementaire aux minorités (parti populiste, mais aussi parti de défense des animaux, parti protestant fondamentaliste), tout en permettant d’inclure plus aisément les migrants ou descendants de migrants dans un scrutin de liste. En France, au contraire, le système fortement majoritaire tend à marginaliser l’extrême droite (non représentée ou sousreprésentée au Parlement). Les pressions populistes pour une politique hostile à l’immigration doivent donc s’exercer par des voies différentes dans les deux pays. Reste à savoir si cette différence institutionnelle, liée à l’histoire respective des deux pays, se traduit in fine par de réelles différences dans les politiques migratoires. On s’interrogera ensuite sur la place de la démographie dans ces argumentaires politiques. Les démographes tendent à laisser l’étude du débat public sur l’immigration aux spécialistes de science politique. Ils considèrent généralement que leur tâche première est de dépassionner ou de rationaliser le débat sur l’immigration en apportant des données objectives fiables sur le phénomène migratoire. Leur position tient dans une logique binaire : opposer les faits aux idées reçues, la science à l’illusion, le savoir à l’opinion, la vérité à l’erreur. Un exemple classique en est la mesure des flux migratoires. Sont-ils « massifs » ou non ? Débordent-ils « nos capacités d’accueil ? » Peut-on les contrôler ? À quoi s’ajoute une double interrogation 1 critique : les spécialistes officiellement en charge du dossier — statisticiens ou démographes — ont-ils la volonté de mesurer les flux migratoires (y compris la migration illégale) et, si oui, en ont-ils les capacités ? Ou bien donnent-ils de ces flux une appréciation incomplète, systématiquement minorée ? Ces interrogations pressantes tournent parfois à la dénonciation : la sous-estimation supposée devient « aveuglement », « refus de savoir », voire « mensonge d’État ». On comparera de ce point de vue les versions néerlandaise et française des débats, afin de voir si les différences d’ordre technique (présence ou absence de registres de population, par exemple) suffisent à expliquer le fait qu’un tel débat est beaucoup plus vif en France. Le rôle des démographes : objectiver le phénomène migratoire ou le minimiser ? Dans les deux pays, les professionnels sont sommés de valider l’hypothèse a priori d’une immigration « massive », jugée seule conforme aux perceptions réalistes du sens commun. La plupart s’efforcent de « rétablir les véritables proportions du phénomène », en particulier en cherchant des points de comparaison dans le temps et dans l’espace. Il existe aux Pays-Bas une variante « historienne » de ces tentatives, illustrée par Leo et Jan Lucassen (2010), qui s’appuie sur la méthode des parallèles : les problèmes d’intégration posés par l’immigration en provenance du monde arabo-musulman seraient analogues à ceux que posait l’immigration juive au Siècle d’Or dans les Provinces-Unies ; ils se résoudront d’eux-mêmes avec le temps. L’argument du nihil novi sub sole est également utilisé en France pour relativiser les problèmes d’intégration : la xénophobie était pire autrefois (témoin le massacre d’immigrés italiens à Aigues-Mortes le 17 août 1893, étudié par Gérard Noiriel [2010]), elle visait même des populations catholiques, comme les migrants polonais ou siciliens, jugés inassimilables. La « distance culturelle » qui séparerait l’immigration musulmane des « valeurs républicaines » ne représenterait donc pas une réelle nouveauté ; elle finira par se résorber, de la même façon que l’Église s’est ralliée à la République. Une autre variante, pratiquée en France par Hervé Le Bras, est celle du creuset permanent : la France étant depuis des siècles une machine à brasser des populations d’origine diverse, cette mixité continuera nécessairement de fonctionner ; elle ne pose pas plus de problèmes aujourd’hui que naguère ou jadis. À quoi s’opposent radicalement d’autres auteurs, dont certains, comme Michèle Tribalat en France ou Carlo van Praag aux Pays-Bas, sont également démographes. Leur diagnostic est tout autre : la « nouvelle donne migratoire » des années 1970, en France comme aux PaysBas, caractérisée par une migration familiale et matrimoniale auto-alimentée, qui remet régulièrement les compteurs de l’intégration à zéro, représenterait une rupture qualitative sans précédent, exigeant un contrôle strict des flux. Quand on quitte la mesure des flux ou des comportements démographiques pour aborder des thèmes encore plus sensibles, comme les « critères d’intégration » des immigrés, la diversité des origines migratoires au moyen de « catégories ethniques » ou la confrontation du revival islamique avec es législations récentes appelant à respecter les « valeurs de la République » ou les « normes et valeurs des Pays-Bas », la tâche du démographe se complique encore. Vers une analyse comparative des argumentaires Identifier et ordonner les types d’argumentaires qui animent les débats sur l’immigration est une tâche considérable. On se contentera, dans le cadre de cette contribution, de proposer une méthode d’analyse applicable aux sources documentaires disponibles tant en France qu’aux Pays-Bas, avec la perspective d’une extension ultérieure à d’autres pays. Seront exploités, en particulier, les dossiers de presse rassemblés par le NIDI et par l’INED. Les 2 outils d’analyse seront principalement ceux de la Nouvelle rhétorique conçue par Chaïm Perelman, d’une part, et Stephen Toulmin, outils rénovés par divers auteurs, comme Douglas Walton (Univesité de Windsor, Ontario), Ruth Amossy (Université de Tel-Aviv) et Marc Angenot (Université de Montréal). Ce type d’analyse rhétorique a peu concerné le débat sur les migrations jusqu’à présent (on peut citer Marianne Doury 2000 ou la thèse en cours de Maria Brilliant). On s’interrogera en un second temps sur la portée et les limites des divers argumentaires utilisés par les démographes amenés à intervenir dans le débat public sur l’immigration. , qui mêlent tous, à un degré ou un autre, le logos, l’ethos et le pathos, c’est-à-dire respectivement l’art de la démonstration, l’argument d’autorité et l’appel aux sentiments, y compris dans les entreprises qui revendiquent une stricte neutralité scientifique. Outre la mesure des flux, trois exemples seront privilégiés à titre d’essai : 1/ la définition controversée de la seconde génération (« allochtoon », « descendants d’immigrés ») ; 2/ le débat sur l’abattage rituel et la filière halal ; 3/ la définition des « normes et valeurs » incorporée dans le « contrat d’intégration » ou les cours d’intégration civique (« inburgering »). F. Héran, 31 octobre 2012 3