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GRAMMAIRE – SESSION 6
GRAMMAIRE ANCIENNE ET GRAMMAIRE MODERNE
Marie de PREVILLE
INTRODUCTION
Constat de départ : le rapport Attali remis au début de 2008 au président souligne que 40 %
des écoliers de CM2 présentent de graves lacunes, notamment en français : un nombre très
important de jeunes martyrise l’orthographe (au brevet, certaines copies sont écrites en
phonétique) ; ils ont de grandes difficultés à s’exprimer clairement et à comprendre un texte.
Plus personne ne nie ce constat mais les analyses qui l’expliquent adoptent des points de vue
divergents. Pour certains, ces résultats sont le fruit de réformes désastreuses ; pour d’autres,
les réformes menées depuis 40 ans n’ont pas eu d’effets positifs car elles n’auraient pas été
appliquées jusqu’au bout.
La grammaire occupe une place privilégiée au sein de ce conflit puisque son enseignement a
été profondément bouleversé depuis les années 1960. Sujet qui déchaîne les passions : il suffit
de regarder les réactions de beaucoup de maîtres d’école devant les nouveaux programmes de
2008, jugés trop réactionnaires parce qu’ils prônent en la matière « un enseignement structuré
et explicite » et un retour à la dictée. Les programmes de l’école primaire ont été révisés afin
d’éliminer les méthodes d’apprentissage de la lecture génératrices d’échec. Le chantier de la
rénovation de l’enseignement de la grammaire sera très prochainement ouvert, avec le retour à
des leçons d’apprentissage des règles.
C’est donc à l’évolution de l’enseignement de la grammaire que nous allons nous attacher
désormais : quelles causes et quelles conséquences ?
Intitulé du sujet extrêmement vaste : difficile de faire des généralités, sachant qu’il existe un
décalage entre les programmes, les manuels, la pratique de chaque enseignant et la manière
dont la recherche grammaticale est menée par les universitaires ou chercheurs. Notre propos
se concentrera sur la grammaire scolaire (école +collège-lycée).
I Rappel historique sur la grammaire
Qu’est-ce que la grammaire ?
Dans le sens le plus courant, c’est l’ensemble des règles à suivre pour parler et écrire
correctement une langue.
Finalité : parler et écrire correctement.
Evolution de cette conception sous l’influence de deux facteurs :
- Développement de la linguistique
- Réformes menées dans l’enseignement du français
1. La linguistique
Définition : description des structures et du fonctionnement d’une langue.
Elle a développé l’étude de la langue historique et comparée : comparaison des états anciens
de langues différentes. Des familles de langues ont été établies, d’après leurs origines
communes (ex : les langues germaniques, slaves, romanes…).
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Etude comparée des grammaires modernes et grammaires classiques
Marie de PREVILLE
Essor de la linguistique au début du XXème siècle (Ferdinand de Saussure) : langue est une
structure, un ensemble d’éléments interdépendants.
Points qui la différencient de la grammaire :
• Le choix d’une description scientifique
La majorité des recherches accomplies en linguistique sont purement descriptives : les
linguistes cherchent à expliciter la nature du langage sans porter de jugements de valeur, sans
se référer à une norme, un bon usage.
• Le rôle du temps
Travaux de la linguistique sur la langue prennent en compte le facteur du temps : la langue
évolue au cours du temps.
Etudier de la langue peut être menée en diachronie (le linguiste s'intéresse à son histoire et
aux changements structurels qu'elle a subis dans le temps) ou en synchronie (l'étude
synchronique d'une langue s'intéresse seulement à cette langue à un moment donné de son
histoire, à un seul de ses états).
• Le contexte
L’objet d’étude de celle-ci n’est pas un système abstrait, absolu et général de la langue mais
bien un état historique du français saisi à un moment particulier de son évolution.
Relativise la norme idéale : pas de règle absolue pour la linguistique mais des usages qui
varient avec le temps.
2. Les réformes menées en français
• Une école proche du quotidien des élèves
Démocratisation et massification de l’enseignement ont conduit à repenser cet enseignement :
à la parole du maître proférée depuis son estrade est substituée celle des élèves eux-mêmes ;
l’enseignement part de choses présentant un intérêt concret pour eux, notamment parce
qu’elles appartiennent à leur environnement immédiat.
Conséquences sur l’enseignement du français : l’école de Jules Ferry avait privilégié jusque
dans les années 1960 une langue rigoureuse et littéraire ; infléchissement vers la langue
courante.
Plan arrêté dès 1970, inspiré de la commission Rouchette : français considéré comme moyen
de communication : priorité donnée à la langue orale. Introduction de la notion de registres de
langue pour faire situer aux élèves le registre familier qu’ils utilisent spontanément.
Programmes du collège abordent la grammaire sous le titre « d’outils de la langue ».
Conception utilitaire de la langue.
• L’influence des théories de Bourdieu
Selon les analyses de Bourdieu, l’école est au service de l’idéologie bourgeoise : une classe
sociale communie dans un ensemble de références livresques, qui forment ce que l’on appelle
le bon goût. Pénalisation des enfants issus d’un milieu modeste qui doivent renoncer à la
culture de leur milieu.
Nouveaux programmes (de 1996 pour le collège, de 2001 pour le lycée) présentent la langue
« comme grille de lecture du monde et outil de la pensée et non, négativement, comme
ensemble de contraintes arbitraires ».
Les contraintes, selon une conception libertaire héritée de 1968, sont définies de manière
négative. Elles sont arbitraires, ce qui témoigne d’un refus de la norme, dont le rejet d’un
certain ordre social constitue la source profonde.
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Etude comparée des grammaires modernes et grammaires classiques
Marie de PREVILLE
3. Apparition de deux types de grammaire
Deux conceptions de la grammaire :
1. Conception traditionnelle
Conception qui est restée en marge de l’évolution de la grammaire vers la linguistique.
La grammaire est un ensemble de règles qui régissent la langue. Il faut apprendre ces règles,
les comprendre pour pouvoir les appliquer.
Finalités : expression correcte, conforme à la norme, mais aussi développement rigoureux de
la pensée (idée qu’une langue précise et riche permet une pensée plus juste, plus conforme à
la vérité vers laquelle tout être est supposé tendre).
2. Conception héritée de la linguistique : grammaire moderne
La grammaire est une science d’observation, au même titre que la botanique. Elle donne à
quelqu’un qui pratique déjà une langue les moyens de réfléchir à cette pratique, de passer
d’une connaissance implicite à une connaissance explicite. Etude du fonctionnement de la
langue.
Les manuels parlent d’ORL : observation réfléchie de la langue.
II Grammaire ancienne, grammaire moderne : analyse de deux conceptions différentes
• Prescription/ Description
Grammaire traditionnelle est prescriptive : elle prescrit des règles à respecter pour parler
correctement ; elle rectifie les tournures erronées. La grammaire nouvelle refuse
l’énumération des règles, présentées comme d’application mécanique et préfère l’explication
des « faits de langue ».
Norme critiquée car celle que retient la grammaire traditionnelle est celle du français
d’Ancien Régime, fixée par l’Académie française. Linguistes dénoncent une conception
rigide du bon usage exclusif de tout autre. La grammaire moderne préfère parler d’usages
différents, suivant la situation dans laquelle se trouve celui qui parle.
Une conception descriptive et linguistique de l’enseignement du français a ainsi pris la place
d’une conception normative : il n’y a pas un seul « bon usage », celui de l’adulte, du maître,
mais une langue qui « fonctionne » de façon différente selon les milieux et les moments.
• Approche idéale/ Approche relativiste
Grammaire traditionnelle étudie une langue parfaite, idéale, figée diront les linguistes, puriste.
Elève tiré vers le haut, vers une langue parfaite cf choix des exemples dans le Bled : phrases
littéraires.
Tout au contraire, approche relativiste et sociologique menée par la grammaire moderne. Prise
en compte de l’énonciation : langage est un acte qui s’enracine dans l’ici et le maintenant d’un
locuteur, dans une situation de parole cf développement de la grammaire de l’énonciation
dans les nouveaux manuels.
En grammaire, on étudie donc le français moderne courant, mais en comparaison avec
d’autres modes d’expression – littéraire, mais aussi familier, voire populaire -.
Ex. d’exercices proposés aux élèves : doivent récrire des phrases ou un texte dans un registre
de langue moins soutenu : impensable dans une grammaire traditionnelle.
Idée selon laquelle l’objet étudié présente un intérêt concret pour l’élève parce qu’il appartient
à son environnement immédiat. Introduction de la notion de niveaux de langue permet de
présenter le français soutenu comme un usage parmi d’autres. Pas plus légitime qu’un autre.
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Programmes qui n’invitent plus à « tirer vers le haut » les collégiens mais à prendre en compte
leurs « pratiques discursives ».
Répercussion dans les manuels : extraits de BD (Tom Tom et Nana, les Schtroumpfs…) ;
présence de gros mots ; présentation de situations dérisoires ou de propos impertinents ;
recours à des textes situés entre le fantastique et l’absurde.
Choix qui conduisent à délégitimer la culture classique au profit d’une culture de proximité.
(étude de chansons de rap).
Ces 2 approches peuvent se résumer à 2 visions antinomiques de la langue :
langue outil de communication (conception utilitaire d la langue qui véhicule un message)/
langue tendue vers le Beau/Vrai.
• Approche par le sens/ approche par le fonctionnement
Approche traditionnelle : étude de la nature des mots puis des différentes fonctions qu’ils
peuvent occuper.
Ex : étude du nom, puis du sujet, du COD, de l’apposition…
Selon la grammaire traditionnelle, le sens est premier et la phrase est en, quelque sorte,
transparente, si bien que pour rendre compte des phrases, c’est le sens qu’il faut interroger ; la
nature et la fonction des mots d’une phrase sont définis par ce qu’on comprend dans la phrase:
le mot qui exprime une action est le verbe ; le mot (ou le groupe de mots) qui exprime celui
qui exécute l’action, est le sujet du verbe ; le mot qui exprime l’objet de l’action est appelé
complément d’objet direct ou indirect de ce verbe etc. Tout un jeu de questions sur le sens des
énoncés permet de trouver le nom qu’il convient de donner au mot ou groupe de mots
considéré :
Ex : La poule picore des graines.
Que fait la poule ? elle picore —> picore est le verbe.
Qui est-ce qui picore ? C’est la poule —> la poule est le sujet du verbe.
La poule picore quoi ? les graines —> les graines est complément d’objet direct du verbe.
Approche moderne : étude des mots suivant le rôle qu’ils jouent dans la phrase.
- Ex du sujet.
Déf modernes proposent de cette fonction une description formelle, en mettant l’accent sur
des caractères grammaticaux : le sujet est l’un des constituants obligatoires d’une phrase, il
régit l’accord du verbe.
- Ex de l’étude des compléments : les compléments essentiels et circonstanciels
Les compléments essentiels rassemblent les verbes qui sont très liés au verbe et ont un
caractère indispensable (COD, COI). Les compléments circonstanciels ne sont pas essentiels à
la construction du verbe et ne présentent pas un caractère indispensable. Critères formels :
complément déplaçable et supprimable.
Grammaires traditionnelles mettent l’accent sur le sens :
Gramm du XXIème siècle : « Un nom est complément d’objet quand il désigne la personne
ou la chose sur laquelle s’exerce l’action accomplie par le sujet. »
- Primat de la fonction sur la nature
Ex de la prop sub relative
Parcours CM2 p.49 : relative abordée dans le cadre des expansions du nom. Fonction est
donnée mais flou de la définition.
p.77 : pronom relatif est étudié mais le terme de proposition n’est pas prononcé.
L’île aux mots : sub complétive étudiée après le COD.
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• Approche globale/approche élémentaire
Enseignement de la grammaire jusque dans les années 1980 a pour cadre la phrase.
Grammaire soumise à une progression cohérente : les élèves apprennent d’abord les éléments
les plus simples (noms, adjectifs, verbes, adverbes…) pour aborder ensuite les notions plus
complexes. Cf progression de Langue française CE.
Inversion de l’ordre d’étude : étude du groupe au départ pour aller vers les mots.
Cf Progression des manuels récents : partent de la phrase pour aller au mot.
Cf Dugers et Hatier sur le verbe : place de la leçon dans l’année : comparaison de la table des
matières.
CE1 : D : verbe étudié très vite, juste après le nom. H : Verbe étudié après une 1ère approche
de la phrase. On demande à l’élève de savoir distinguer une phrase d’un groupe de mots mais
pas de définition de la phrase elle-même.
Déf ne vient qu’après (p.27) : une phrase est une suite de mots qui a un sens, commence par
une majuscule, finit par un point. Progression inverse : passage du global vers l’élément.
Notion de phrase chez D n’est abordée que quelques pages après, au moment où sont
présentés le verbe et le sujet : « La phrase la plus simple comprend un sujet et un verbe ».
Cette étude se substitue presque à l’analyse logique, très peu pratiquée dans la grammaire
moderne.
• Enseignement implicite/enseignement explicite
Cours traditionnel appelé leçon.
Pédagogie moderne : un cours et des explications ne permettent pas d’apprendre : seules des
recherches, des manipulations, des observations comparées permettent de mettre en
mouvement ce que l’élève savait ou croyait savoir, et ainsi de construire de nouveaux savoirs.
Dans l’optique de la grammaire moderne, la grammaire n’est pas une discipline comme les
autres puisqu’elle concerne une langue que les élèves parlent naturellement. Objectif : faire
passer de l’implicite à l’explicite des connaissances, ie mettre un nom abstrait sur des
pratiques inconscientes. Faire de la grammaire, c’est rendre conscientes ces règles utilisées
sans le savoir.
Comparaison entre un manuel traditionnel et un manuel plus récent sur une leçon : le verbe
Langue française, Grèzes et Dugers, éditions de l’Ecole, Cours élémentaire p.18, Cours
moyen p.14.
Parcours, CE1, Hatier, 2006, p.41.
- Support de la leçon
D (p.18) : texte riche en vocabulaire, mais aux phrases très simples. H (p.41) : départ de
l’image. Choix fréquent des nouveaux manuels : exemples doivent évoquer l’univers
quotidien des enfants. Démagogie du niveau de langue, des textes qui servent de point de
départ (p.39 : « La copine de Lulu déménage », Astrapi : BD au niveau de langue familier).
- Recherche menée par les élèves
D : observations menées à la place de l’élève. Remarques imposées.
Définition suit : elle propose un critère sémantique et est suivie d’exemples.
Ex d’application ne viennent que lorsque les connaissances théoriques ont été assises
solidement.
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H : élève classe, continue des phrases, observe. Temps de la découverte est long, le résumé est
le fruit de la réflexion menée par les élèves, pas d’apport supplémentaire. Contenu
contestable : « Le seul mot de la phrase qui change quand on parle du présent, du passé ou du
futur s’appelle le verbe ». Faux : adverbes de temps par exemple. Seul critère retenu : critère
temporel.
Mémo p.10 (destiné au CM1) : critère formel uniquement : « Le verbe est un mot qui se
conjugue. Il change de forme selon le moment, selon ce que son sujet désigne ».
III Bilan
2 traditions pédagogiques inconciliables dans leur philosophie. Concrètement, quels choix
opérer ?
• Pour une grammaire structurée et un enseignement explicite
- Nécessité d’un enseignement explicite
Etude d’une séance de grammaire préconisée par le CRDP.
1ère séance : observation-déduction. Observation silencieuse, formulation d’hypothèses,
remarques notées sur un cahier de recherches. Elèves travaillent ensuite par groupes : mise en
commun : chaque groupe prend la parole devant la classe qui valide ou non les propositions.
Etape 3 : passage à l’abstraction, ie à la définition : élaboration collective de la synthèse : la
notion cherchée est alors nommée. Puis ex pour consolider les savoirs.
Elèves perdent du temps à chercher quelque chose qui n’est pas nommé, à élaborer une
définition déjà travaillée par les grammairiens. On leur demande ici de réinventer le savoir.
Ne peuvent chercher que s’ils ont tous les éléments pour trouver.
Ex chez Hatier de la notion « passé, présent, futur » : flou de la définition car les élèves n’ont
pas encore étudié le verbe.
Grammaire moderne milite pour la compréhension et l’intelligence consciente face au
« bachotage » de la grammaire traditionnelle (applications mécaniques).
Problème : recherches adaptées à des adultes mais un élève a d’abord besoin d’être structuré
avant de pouvoir émettre des hypothèses sur une langue qu’il parle, certes, mais parfois mal.
Apprentissage méthodique et structuré semble nécessaire ; préalable requis pour mener une
véritable réflexion sur la langue.
Cela ne veut pas dire que toute participation des élèves ou réflexion active sur la langue soit
bannie au contraire, mais elle doit être guidée. Rectification des erreurs nécessaire. Chaque
nouvelle notion étudiée doit s’appuyer sur ce que les élèvent savent déjà et il faut bien sûr
solliciter leur participation active dès qu’ils ont les connaissances nécessaires pour trouver.
- Une progression rigoureuse
Apprentissage méthodique et rigoureux, c’est l’adolescent ou l’adulte qui y rechigne peutêtre, mais l’enfant y trouve une sécurité, un repère. Besoin de maîtriser les éléments. Réel
plaisir dans cette maîtrise du connu. Phrase est hiérarchisée : clarté dans la nature des
relations entre les mots. Une phrase gravite autour du verbe, du sujet.
Proposer un enseignement ludique est plus une préoccupation de l’adulte. Mais juste mesure à
trouver.
Ex des ex du Bled et du voca choisi : très riche, mais parfois désuet : juste équilibre à trouver.
Ex du Bled où choix entre 2 formes : une chance sur deux !
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Difficultés doivent être graduées : relever par exemple des compléments de conséquence dans
phrases où il n’y a que cela. Puis, mélange avec des C de cause, puis construction d’un texte.
A propos de la notion de groupe.
Notion peu exploitée auparavant. Désigne un ensemble de mots qui sont tous en relation avec
un même élément appelé chef de groupe ou noyau. C’est le noyau qui définit la nature et la
fonction du groupe.
Autour du noyau verbal, la phrase s’organise en groupes de mots qui sont chacun reliés au
centre verbal et qui ont chacun une fonction déterminée.
Ex : Ses yeux perçants considérèrent longtemps ce redoutable adversaire.
Le découpage de la phrase en groupes permet d’avoir une vision d’ensemble, de visualiser la
relation syntaxique des mots les uns avec les autres, alors qu’une analyse « mot à mot »
morcelle la phrase.
Cependant, pour accéder à cette analyse par groupes, il faut que l’élève soit capable de
découper le groupe, de l’analyser dans le détail. Il faut une étude systématique et exhaustive
de chaque élément. Patiente et progressive construction de la langue est nécessaire. Il faut
partir des mots pour aller vers la phrase. Etude systématique des éléments construit petit à
petit la complexité.
Flou à l’intérieur du groupe n’est pas structurant pour l’élève de primaire. Le passage à
l’étude des groupes n’a de sens que si tous les mots qui le composent sont maîtrisés.
• Eléments de grammaire moderne à garder
- La manipulation
Technique utilisée pour établir des classes de mots ou pour préciser les critères qui
permettront de reconnaître chaque fonction. Intérêt de ces manipulations.
Exemple de la réduction : révèle le caractère obligatoire ou facultatif de tel ou tel élément.
Ex : Le chien ronge son os sur le tapis.
On ne peut supprimer le sujet ni le COD, mais le complément circonstanciel.
Ex de l’expansion : consiste à ajouter des mots.
Dans le cas des expansions du nom, ce procédé permet de rapprocher des éléments
apparemment très différents.
Ex : Le chien de mon père ; le chien qui appartient à mon père.
La subordonnée relative jour le même rôle que le complément du nom.
Ex de la commutation
Commuter, c’est remplacer un mot ou un groupe de mots par un autre mot ou groupe de mots.
Cette procédure permet d’établir des ensembles de mots qui ont la même fonction.
Ex : La voiture roulait sur le chemin.
La voiture roulait sans phares.
La voiture roulait vite.
Les groupes de mots pouvant remplacer « sur le chemin » sont compléments circonstanciels.
La grammaire moderne établit ici un parallélisme de fonctionnement entre des catégories
grammaticales auparavant étanches : l’adverbe n’est pas analysé comme « modifiant le sens
du verbe » mais comme un CC de manière.
Manipulation féconde si elle fait appel au sens.
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- Les rapprochements féconds
Grammaire moderne reproche aux ouvrages traditionnels de se présenter comme de simples
taxinomies, se limitant à étiqueter, à classifier des catégories, offrant ainsi de la langue une
vision fragmentée, étroitement compartimentée. Ne mettent pas en évidence les parallélismes
de fonctionnement (ex : dans les expansions du nom, adjectifs, relatives, compléments du
nom, participes). Rangent dans des compartiments étanches des termes qui peuvent présenter
des comportements apparentés.
Il est nécessaire de nommer précisément la nature des mots mais rapprochements utiles.
Ex : les déterminants
Le terme « déterminant » (on dit parfois « adjectif déterminatif ») est un mot nouveau qui ne
remplace aucun terme ancien ; il regroupe un ensemble de mots qui, à l’intérieur du groupe
nominal, ont le même comportement.
Liste : les articles, et les adjectifs non qualificatifs (possessifs, démonstratifs, numéraux,
indéfinis, interrogatifs, exclamatifs).
Dans la terminologie traditionnelle, le même mot adjectif désigne aussi bien des déterminants
que l’adjectif qualificatif alors qu’ils ont un comportement syntaxique différent. Ont pour
fonction de déterminer le nom, comme les articles, et non de le qualifier.
Ex de l’adjectif, épithète liée/détachée : analyse plus juste que lorsqu’on parle d’adjectif
apposé (l’apposition suppose l’identité des éléments, or l’adjectif donne une information sur
le nom qu’il qualifie).
Ce genre de rapprochements délie l’esprit.
Habituer les élèves à d’autres types d’ex : pas simplement nature/fonction. Il faut stimuler leur
ouverture d’esprit. Consulter les nouveaux manuels pour avoir des idées pour les exercices.
Logique de réinvestissement des connaissances : grammaire doit être mise en relation avec la
lecture et l’écriture, pas simplement en français.
Etre inventif : écrire un texte où il faut employer tel type de subordonnées déjà étudié.
- Limites de l’approche exclusive par le sens
Manuels schématisent, à des fins pédagogiques. Ex du sujet : pirouette du sujet grammatical
et du sujet réel. Critères formels sont utiles pour résoudre des cas délicats.
Pratique de la question : efficace mais a ses limites. Ex de l’attribut du sujet confondu avec le
COD.
Ex : Il devient grand. Il devient quoi ? grand, donc grand = COD du verbe « devient ».
L’usage des questions n’a de sens que s’il est mené intelligemment.
Cependant, schématisation est utile pour les enfants. On reproche aux manuels traditionnels
de ne pas rendre compte de tous les faits de langue, mais est-ce le rôle du primaire ? Manuels
actuels proposent des définitions beaucoup plus floues, beaucoup moins rigoureuses
scientifiquement que les manuels d’avant.
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CONCLUSION
Ce qui est en jeu dans cette tension entre grammaire ancienne et grammaire moderne, c’est la
question du sens. Faire de la grammaire, ce n’est pas observer ou émettre des hypothèses sur
la langue, c’est, en développant la gymnastique de l’esprit, en développant la logique,
structurer l’esprit et entrer par l’analyse dans la compréhension fine des relations. En
acquérant des connaissances les plus fines possible, on développe la pensée et la vie
intérieure.
Langue n’est pas un simple outil de communication, mais un moyen de nourrir la vie
intérieure.
Derrière cette opposition enjeu capital. Dans l’enseignement traditionnel, finalité morale de
l’étude méthodique de la langue : en présentant à l’élève un système complet, pourvu de
règles à maîtriser, ses professeurs lui apprenaient que s’exprimer est une activité supérieure,
qui suppose la reconnaissance de contraintes, au sein desquelles l’homme peut s’épanouir.
Maîtriser sa langue, jusque dans ses subtilités, c’est accéder à une liberté accomplie.
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