Basida, le cœur de l`Espagne

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Basida, le cœur de l`Espagne
Témoignage
Témoignage
les gens ont tous d’un côté leur
femme de ménage, leur kiné, leur
garagiste (et j’en passe) et de l’autre,
des spécialisations plutôt étroites –
disons que si tu es col blanc, envoyer
un fax ou faire un scan est déjà une
énigme insurmontable…
Notre équipe internationale
Mai 2012, travail dans la serre. Ph : Dayoung
Viviana Choi
le bâtiment, déboucher les toilettes,
jouer au ping-pong, soulever des
rochers. Ils n’avaient pas peur de se
salir les mains et le faisaient avec
humilité, le tout saupoudré d’une
ambiance bon enfant. Ils étaient,
comme le cheval islandais, robustes,
indépendants et endurcis par les
conditions climatiques. J’étais, plus
d’une fois, bouche bée devant tant
de prouesses, car, dans mon monde,
Nous, on était une dizaine, venant
de huit pays et de trois continents
différents : Pologne, Italie, Suisse,
Angleterre,
Roumanie,
Finlande,
Corée du Sud et deux Américains –
une Afro-Américaine de la Côte-Est
et un Hawaïen (je n’avais jamais
croisé d’Hawaïens auparavant). De
ces deux derniers, j’ai appris qu’on
pouvait s’assumer en allant de petit
contrat en petit contrat et qu’on
pouvait retourner à l’université
à l’âge de 37 ans. De mes amis
Finlandais, Anglais et Roumains, j’ai
appris qu’on pouvait ne pas avoir de
domicile fixe sans être forcément un
clochard. De notre jeune Coréenne,
j’ai appris quelle était la différence
entre l’âge international et l’âge
national. Des Islandais, j’ai appris
qu’on pouvait se réjouir quand il
faisait +8°C. De tous les gens que j’ai
rencontrés, j’ai découvert que j’étais
très près de devenir prisonnière de
ma propre zone de confort, et qu’eux
tous étaient beaucoup plus libres.
Deux semaines, une vallée lointaine
et nos âmes errantes pour unique
divertissement signifient des heures
et des heures de partage, d’échanges,
d’histoires, de bavardages, de jeux,
de rigolades (thérapie de groupe ?).
Constater que les gens se réalisent
autrement que ce que je voyais
avant autour de moi (consumérisme,
carriérisme, course de rats, mais
aussi faux problèmes et dépressions),
essayer de cerner leurs motivations,
leur mobilité et leur flexibilité, m’a
amené à questionner certains de mes
choix existentiels.
Cette expérience m’a rappelé qu’il
existe autant de modèles de vie que
de personnes sur cette terre. En tout
et pour tout, les conditions dans
lesquelles s’est déroulé mon chantier
en Islande profonde m’ont permis de
renouer avec mon moi profond et
m’ont embellie, de l’intérieur.
Tina Mouneimne
Basida, le cœur de l’Espagne
Pendant deux semaines, nous avons été immergés dans la vie d’un centre d’accueil pour anciens
toxicomanes, alcooliques, personnes atteintes du SIDA ou d’autres maladies. Nous y avons vécu une
expérience riche de rencontres, de moments de partage, et d’un esprit de solidarité qui contraste
avec l’individualisme prédominant dans nos sociétés.
Chaque voyage est un dépaysement...
Nous sommes arrivés le 1er juillet à
la petite gare d’Aranjuez. Ponctualité
oblige, on dépose les sacs quelques
heures avant le rendez-vous. Au
goutte à goutte, les volontaires
déboulent. On soupçonne l’un ou
l’autre d’être envoyé par son SCI
national, les regards se croisent, et
puis c’est un espagnol mondialisé
qui est parlé, baragouiné parfois,
mêlé d’accents italien, croate, russe,
américain, français... Un carrousel
de langues qui déjà donne le ton du
projet.
Le van de Basida finit par arriver,
horaire espagnol : demi-heure
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académique. On entre, Xemi teste un
peu l’aisance linguistique de tous. La
timidité prime d’abord puis, au fil
du voyage, les langues se délient et
on apprend d’où vient le voisin, où
il a appris la langue de Cervantes…
On est en présence d’amoureux de
l’Espagne.
Chaque voyage est un dépaysement.
Et nous le savions avant de partir.
Mais l’Espagne de Basida, c’est
véritablement un voyage à l’intérieur
d’un autre...
Un autrui doublement autre ?
Selon le site Internet de l’ONG, Basida
est une association d’assistance et
de bienfaisance, sans but lucratif,
d’utilité publique et ayant comme
objectif général l’assistance à des
personnes dépendantes sur les plans
psychosocial et/ou médical. Oui, si
on veut. Mais c’est tellement plus
que ça...
Inévitablement,
nous
sommes
arrivés à Basida avec une tonne
d’idées reçues et, n’ayons pas peur
de le dire, d’inquiétudes. Mais c’est
justement leur dépassement qui nous
intéressait d’emblée. Car à Basida,
l’autre l’est doublement. Il est non
seulement espagnol. Mais il est aussi
ancien toxicomane, ex-alcoolique,
atteint du virus du VIH, voire du
SIDA, et parfois tout ça à la fois. Et
d’autres sont atteints d’Alzheimer ou
sont en phase terminale du cancer.
C’est donc un choc a priori culturel
mais aussi humain auquel on est
confronté.
Mais c’est principalement avant
de partir qu’on n’échappe pas aux
préjugés d’une société définitivement
mal informée sur le sujet : « Quoi ?
Tu pars bosser avec des sidéens ?
Mais t’as pas peur ? » « Mais... Peur
de quoi ? » « Ben, je sais pas moi, de
chopper un truc là-bas »... Les gens
ont beau savoir que le virus du SIDA
est une maladie transmissible, ils
continuent de l’envisager comme
contagieuse. Systématiquement. Et
les préjugés sont indécrottables.
Très vite, le contact s’engage. Ces
gens, qui vivent a priori isolés du
monde (il faut voir le centre de
Basida Aranjuez, éloigné du centreville, au milieu d’un mini-désert)
sont parmi les plus ouverts qu’on ait
jamais rencontrés. Ils laissent l’autre
s’immiscer dans leur quotidien,
qu’importe sa personnalité, qu’ils
respectent toujours. Voilà une de
nos frayeurs qui s’est évaporée dès
les premiers jours. Et avec elle l’idée
d’une différence infranchissable.
Bref, l’échange fut immédiat.
Basida, un nouveau chez-soi
Voilà déjà quelques jours que nous
sommes arrivés à Basida et le dortoir,
les tables du comedor et les bancs
sur lesquels chaque soir on tape la
carte sont déjà nôtres. A Basida, tout
se donne, rien ne se perd. On est dans
un environnement de générosité
permanente où l’échange est le
premier vecteur de mouvement. Au
fil du temps, même les plus fermés
finissent par s’ouvrir, résidents ou
volontaires.
Pendant la journée, on fait mille
choses : cuisiner, travailler à la
blanchisserie, éplucher les légumes,
nettoyer, jardiner ou bosser dans
les entrepôts. Du travail, il y en a !
Tous les trois jours, on tourne. Et on
a l’opportunité de contribuer à la vie
de la casa en faisant un peu de tout.
Mais de toutes les tâches auxquelles
il nous est permis de participer,
c’est très certainement avec les
peques qu’on se sent le plus utiles.
Venant de l’espagnol pequeños
(petits en français), le terme désigne
ceux dont il faut s’occuper toute la
journée, du lever au coucher, pour
absolument tout. Eux sont atteints
d’une maladie dégénérescente qui,
malgré le traitement drastique,
continue de les affaiblir de jour en
jour. Notre arrivée leur fait du bien.
Non pas parce que c’est nous, mais
parce qu’un vent frais souffle sur
le centre : de nouveaux visages, de
l’énergie à revendre, une motivation
multiculturelle... Tout le monde ne
s’est pas engagé avec les peques.
Le travail étant effectivement assez
éprouvant et humainement difficile,
certains ont eu la maturité de dire
qu’ils ne se sentaient pas prêts. Il
est clair que laver, raser, donner à
manger à un homme qu’on ne connait
pas peut s’avérer être une expérience
trop difficile pour certains. Surtout
au tout début, lorsque les résidents
n’étaient encore que des ‘inconnus’.
Mais malgré les obstacles, c’est
vraiment là que le volontariat a pris
tout son sens de projet social.
Et puis, il y a les autres volontaires.
Un millier d’idées à échanger, des
pays à découvrir en paroles, une
foule de visions du monde qui nous
viennent d’Allemagne, de Russie,
d’Italie, du Danemark, des Etats-Unis,
de Finlande... L’échange s’est passé
superbement entre nous, et les liens
se sont tissés à force d’échanges
avec les résidents. Les ressources
des volontaires espagnols et des
résidents nous ont aidés à rester
unis.
Une foule d’idées reçues - c’est vrai
- qu’on partageait entre volontaires
internationaux et dont on s’est rendu
compte qu’elles n’ont véritablement
aucune raison d’être. Et le plus inouï,
c’est de se dire qu’après quelques
jours seulement, on s’est senti à
Basida comme chez soi, comme si ces
idées reçues n’avaient simplement
jamais existé...
Des volontaires ... permanents
Le véritable moteur de Basida, ce
sont les ‘permanents’. Et même
si nous sommes venus les aider
quelque temps, on se rend bien
compte au soir du 14 juillet que
notre modeste main d’œuvre était
une goutte d’eau dans l’océan.
Basida fonctionne grâce à une équipe
de personnes fondamentalement
positives et volontaires. Leur foi,
qu’ils n’imposent à personne, paraît
être leur plus grand vecteur d’action.
fondateurs,
des
personnes
particulièrement dévouées qui ont
élu domicile au centre. Basida est
leur foyer, leur vie. A eux s’ajoute
une
série
d’autres
personnes
venant d’horizons les plus divers.
Certains sont là pour 6 mois, un an
ou deux, voire bien plus. D’autres y
achèveront leur vie. Car Basida est
leur famille. Ces gens s’assurent
que rien ne manque à personne
et ce travail permanent demande
une énergie colossale. Gestion des
stocks, expertise médicale, cycle
de cours en tout genre, événements
périodiques, attention aux personnes
dépendantes, suivi psychosocial
des
personnes
anciennement
dépendantes... Le travail à Basida est
immense.
Dans une Europe en crise
Finalement, Basida, c’est l’exemple
d’un foyer qui perdure là où le
continent sombre économiquement
dans la course au toujours plus. A
Basida, le temps passe et l’humain
demeure, malgré les conjonctures
économiques. Et même en Espagne,
où les choses semblent très mal
tourner, on assiste à une continuité
presque sans faille des dons et
financements. Et même si l’Etat tarde
à fournir ses propres deniers, la vie
continue chez ceux qui ont su faire
de leur rêve la maison qu’est Basida
aujourd’hui.
Dans
l’arche
de
Basida,
la
discrimination n’existe pas. Ce
lieu est un idéal exemplaire non
seulement pour la Belgique mais
pour tous les pays où la crise a
rongé le corps social. Et à l’heure
où la dimension économique des
choses parait monopoliser l’activité
humaine et où la propriété a pris le
pas sur l’intérêt pour l’autre, il est
encore des lieux où l’individualisme
n’a pas eu raison de la solidarité.
Basida en est un.
Marion Cuvelier et Thomas Braibant
Le noyau dur est composé des
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