Dividendes, le casse tête pour les gérants

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Dividendes, le casse tête pour les gérants
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Juridique et fiscal
Social
Dividendes : casse-tête
pour les conseils du dirigeant
LAURA CASTINEIRAS, responsable du bureau d’étude
d’Expert & Finance Entreprise.
FRÉDÉRIC LOYER, directeur de la société Expert & Finance Entreprise.
Les effets collatéraux de
l’assujettissement des dividendes aux
charges sociales sont nombreux. Plus
que jamais, les dirigeants auront
besoin de conseils avertis pour
optimiser leur rémunération.
L
a loi de financement de la Sécurité sociale
(LFSS) pour 2013 du 17 décembre 2012 (loi
n° 2012-1404 publiée au JO le 18 décembre)
bouleverse le statut de gérant majoritaire, travailleur non salarié relevant de l’article 62 du
Code général des impôts.
Elle introduit un dispositif d’assujettissement aux charges
sociales des dividendes versés aux gérants majoritaires
excédant 10 % du capital social et des primes d’émission,
et des sommes versées en compte-courant.
Conséquence directe: la nature des dividendes s’en trouve
modifiée, mais les conséquences indirectes de cette
mesure sont nombreuses, et affectent tant le dirigeant
que les tiers.
❚ Risque de transformation en SAS
La loi de
financement de la
Sécurité sociale
(LFSS) pour 2013
introduit un
nouveau dispositif
d’assujettissement
aux charges
sociales des
dividendes versés
aux gérants
majoritaires.
La modification de l’environnement fiscal et social du
gérant majoritaire pourrait donc inciter certains dirigeants
à opter pour le statut de salarié en transformant leur Sarl
en SAS. Or, le poids des charges sociales obligatoires d’un
dirigeant assimilé salarié est nettement plus important
que celui d’un travailleur non salarié.
Mais les autres conséquences d’un changement de statut
seraient de fragiliser les dispositifs facultatifs dont pouvaient bénéficier les travailleurs non salariés relevant de
l’article 62 du Code général des impôts.
Par exemple, en matière de prévoyance, l’article 6 de la
loi Evin rend viager une adhésion à un régime Madelin
après deux ans d’adhésion, alors qu’un régime collectif
reste soumis chaque année à l’analyse de ses comptes par
l’assureur. Une résiliation du contrat peut donc intervenir tous les ans sur décision de l’assureur en cas de ratio
prime/sinistre défavorable.
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Social
En matière de retraite facultative, la disparition du collège cadre dirigeant (décret n° 2012-25 du 9 janvier 2012)
obligera un dirigeant qui passerait assimilé-salarié à
ouvrir leur système de retraite facultatif aux autres cadres
de l’entreprise, alors que le régime de retraite Madelin
reste un dispositif individuel.
donc de distinguer clairement ce qui relevait des revenus
du travail et ceux du capital et donc, de revoir l’assiette
permettant de calculer les charges sociales. Selon la décision du Conseil constitutionnel du 6 août 2010 (2010-24
QPC), « […] en incluant dans l’assiette des cotisations
sociales une partie des dividendes […], le législateur a
entendu dissuader le versement de dividendes fondé sur la
volonté de faire échapper aux cotisations sociales les revenus tirés de l’activité de ces sociétés ; il a souhaité éviter des
conséquences financières préjudiciables à l’équilibre des
régimes sociaux en cause […] ».
Espérons seulement que cette nouvelle législation redonnera un peu de souffle aux régimes de retraite par répartition et qu’elle évitera désormais des arbitrages ubuesques
du type 100 % dividendes et aucune rémunération…
❚ Risque de requalification du dirigeant
en rémunération excessive
Se pose la question de l’articulation de ce dispositif
d’assujettissement des dividendes aux charges sociales
avec les dispositions du Code général des impôts relatives
à la rémunération excessive des dirigeants.
En application de l’article 39-1-1° et de l’article 111 du
Code général des impôts, les rémunérations des dirigeants
de sociétés passibles de l’impôt sur les sociétés sont déductibles des résultats sociaux, à condition de ne pas être exagérées et de correspondre à un travail effectif.
Le Code général des impôts prévoit la possibilité de requalifier en dividendes les rémunérations d’activité excessives des dirigeants de sociétés.
Suite à cette réforme, l’intérêt des dividendes s’amenuise
comme peau de chagrin. Rémunération et dividendes sont
les seuls moyens pour l’associé dirigeant d’appréhender
légalement les bénéfices de sa société. Ainsi, le dirigeant
n’aura pas d’autre alternative d’augmenter sa rémunération. Et cette augmentation de rémunération du dirigeant
à chiffre d’affaires constant ne pourrait-elle pas être qualifiée de rémunération excessive ?
Le traitement social entre les dividendes assujettis et les
dividendes non assujettis aux charges sociales pose également la question du contrôle de l’administration. Les
premiers sont considérés comme des revenus du travail,
alors que les seconds sont des revenus du capital. Pour
apprécier le caractère normal des rémunérations,
l’administration aura donc un droit de contrôle sur la fraction des dividendes excédant 10 % du capital. Verra-t-on
un retour des jugements pour rémunération excessive ?
❚ Conséquences
sur les régimes obligatoires
La quote-part des dividendes assujettis aux charges
sociales entraînera une hausse des cotisations productives
de droit, aussi bien en matière de prévoyance que de
retraite.
Prenons l’exemple d’un gérant majoritaire relevant du RSI
Organic et percevant 50000€ de rémunération de gérance
et 30 000 € de dividendes, exerçant son activité dans une
Eurl, ayant opté pour l’impôt sur les sociétés et avec un
capital social de 1 €, et aucun compte-courant. En 2013,
si ses dividendes n’avaient pas été assujettis aux charges
sociales, il aurait cotisé 10 240 € pour sa retraite entre
régime de base et complémentaire RSI. Avec cette nouvelle législation, à rémunération et dividendes perçus équivalents, sa cotisation sera de 12 640 € (source : logiciel
Easy Rému Dirigeant).
C’est d’ailleurs l’origine de cette réforme. En effet, le législateur a estimé que les arbitrages abusifs entre rémunération de gérance et dividendes risquaient de mettre en
péril les systèmes de retraite par répartition. Il convenait
❚ Conséquences
sur le disponible Madelin
La quote-part
des dividendes
assujettis aux
charges sociales
entraînera
une hausse
des cotisations
productives
de droit, aussi
bien en matière
de prévoyance
que de retraite.
Avant la réforme, un débat existait sur le calcul du disponible Madelin pour un gérant majoritaire TNS relevant de
l’article 62 du Code général des impôts.
Pour certains praticiens, le calcul du disponible est réalisé à partir de la rémunération brute s’entendant avant
cotisations obligatoires ; pour d’autres (dont notre cabinet), le calcul s’effectue après charges sociales obligatoires.
Nous optons pour cette interprétation afin de respecter
l’esprit du texte qui était la constitution d’une retraite complémentaire pour les non-salariés, et afin d’éviter tout
risque de requalification en abus de droit.
En effet, un artisan en entreprise individuelle a un BIC de
100 000 €, base de calcul de son disponible Madelin (le
BIC s’entendant après charges sociales). Cet artisan passe
gérant majoritaire (article 62 du CGI), à revenu équivalent de 100 000 €, en optant pour l’interprétation avant
charges sociales, son disponible Madelin s’en trouve augmenté d’environ 50 % ! Le traitement entre un indépendant et un gérant majoritaire n’était donc pas équitable.
Mais la réforme est venue clore ce débat en alignant désormais le régime des indépendants à celui des gérants majoritaires. Le disponible Madelin est donc calculé à partir
du revenu brut imposable.
Néanmoins, la réflexion autour du disponible Madelin
n’est pas achevée. En effet, les dividendes assujettis aux
charges sociales sont considérés comme des revenus du
travail, doivent-ils être intégrés pour la détermination de
la base de calcul ? Le cas échéant, quelle serait la base de
calcul des dividendes, brut imposable ? Après ou avant
l’abattement de 40 % ?
L’intégration des dividendes entraînerait une réécriture
de l’article 154 bis du CGI, qui emploie toujours le terme
de bénéfice.
❚ Risque de contestation
Du personnel, du fait d’une diminution de la
réserve spéciale de participation des salariés
Avant la réforme, les prélèvements sociaux sur les dividendes étaient de 15,5 %, prélevés à la source, dont le
dirigeant s’acquittait personnellement. La réforme prévoit que les dividendes, au-delà de 10 % du capital social,
des primes d’émission et des sommes versées en >>>
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>>> compte-courant, sont soumis à cotisations sociales.
En pratique, et après décision de l’assemblée générale,
les cotisations des travailleurs non salariés sont prises en
charge par l’entreprise et sont déductibles.
Cette charge supplémentaire vient diminuer le résultat
de la société, ce qui peut avoir des incidences fortes sur
le montant de la participation. Les salariés des sociétés
peuvent donc se trouver pénalisés.
Verra-t-on des attaques des organisations syndicales sur
ce sujet afin de préserver la participation des salariés ?
Le gérant doit également déclarer cette fraction supérieure à 10 % dans la case « Fraction de revenus distribués
supérieure au seuil des 10 % » de la déclaration commune
de revenus (DCR), déclaration qui avait été supprimée
en 2010, mais maintenue jusqu’en 2011 de manière transitoire pour être finalement réinstaurée par la loi de financement de la Sécurité sociale de 2012 ! La déclaration des
dividendes des gérants majoritaires de Sarl gagne donc
en complexité !
Conséquence de cet imbroglio, les dividendes risquent
d’être oubliés au profit de la rémunération avec prime de
gérance de fin d’année.
Des associés
Les dividendes perçus par les associés non gérants échappent à cette mesure d’assujettissement aux charges
sociales. Leurs dividendes seront soumis aux prélèvements sociaux de 15,5 % à leur charge personnelle. Néanmoins, le dispositif d’assujettissement des dividendes aux
charges sociales du gérant majoritaire impacte indirectement ses associés non gérants.
En effet, les cotisations sociales sur les dividendes seront
financées par l’entreprise, et donc par conséquence par
l’ensemble des associés. Par ailleurs, la diminution des
résultats de l’entreprise entraînerait de facto une baisse
des dividendes distribués aux associés.
❚ Bouleversement de la vision
de l’entreprise aux yeux des tiers
❚ Risque de défaillance
de la société distributrice
Les dividendes versés suivent donc un traitement social
distinct, selon qu’ils se rapportent ou non à la fraction
excédant 10 % du capital.
La fraction des dividendes inférieure à ce seuil est seulement assujettie aux prélèvements sociaux des revenus du
patrimoine (CSG, CRDS, prélèvement social et contribution RSA au taux global de 15,5 %) quand la fraction qui
excède ce seuil est soumise à la CSG-CRDS de 8% des revenus du travail et incluse dans la base de calcul des cotisations sociales obligatoires du gérant qui les perçoit (RSI,
Urssaf, caisse de retraite, etc.). Il faut donc veiller à bien
déclarer aux organismes sociaux les dividendes.
Des erreurs sont à craindre, comme c’est le cas aujourd’hui
dans le cadre des dividendes des Sel, notamment sur la
déclaration des prélèvements sociaux.
Lorsqu’une société assujettie à l’impôt sur les sociétés verse
des dividendes à des personnes physiques, elle doit en
effet en déclarer le montant aux services fiscaux, au moyen
de l’imprimé n° 2777-D. La société doit sur cet imprimé
calculer le montant des prélèvements sociaux générés par
la distribution et les verser directement au Trésor public.
Or, il advient fréquemment que le déclarant porte sur cette
déclaration la totalité du montant des dividendes distribués, alors que seule une fraction est assujettie aux prélèvements sociaux à 15,5 %, le solde étant assujetti aux
cotisations sociales obligatoires et à la CSG-CRDS à 8 %.
Il en résulte le double paiement de prélèvements sociaux
sur la même distribution !
De la même manière, le gérant doit reporter la fraction
excédant 10 % dans la case 2CG « Revenus déjà soumis
aux prélèvements sociaux sans CSG déductible » de la
déclaration des revenus n° 2042 pour éviter l’imposition
de ces sommes aux prélèvements sociaux sur les revenus
du patrimoine.
Le dirigeant qui
souhaite se verser
une rémunération
et des dividendes
d’un montant
similaire à
auparavant doit
avoir conscience
qu’il peut
entraîner une
dégradation des
comptes de la
société, ce qui
n’est pas sans
impact aux yeux
des tiers.
Le gérant majoritaire devra dorénavant intégrer que
lorsqu’il se verse un dividende, l’entreprise devra payer
des cotisations sociales. Le dirigeant qui souhaite continuer à se verser une rémunération et des dividendes d’un
montant similaire doit avoir conscience qu’il peut entraîner une dégradation des comptes de la société, ce qui n’est
pas sans impact aux yeux des tiers.
D’une part, à l’égard des organismes financiers, il est préférable qu’une entreprise affiche des bons résultats si elle
souhaite obtenir un financement bancaire. D’autre part,
vis-à-vis des acquéreurs : la valeur d’une entreprise
dépend naturellement de son aptitude à réaliser du profit, mais elle doit également être représentative de la réalité de l’entreprise.
Ainsi, la valorisation de l’entreprise devra désormais systématiquement prendre en compte non seulement les
bénéfices réalisés, mais également la rémunération de
son dirigeant.
❚ 2013, année de toutes les interrogations
Pour conclure, l’année 2013 sera certainement celle de
toutes les interrogations pour les dirigeants d’entreprise.
La complexité calculatoire des rémunérations rend les
arbitrages entre les différents modes de rémunération
très périlleux ; et la complexité déclarative des rémunérations, tant sur le plan fiscal que social, freine aussi les
ardeurs des conseils habituels des dirigeants.
Cette nouvelle législation sur l’assujettissement des dividendes aux charges sociales pour les gérants majoritaires
est un véritable casse-tête pour les conseils accompagnant
les dirigeants d’entreprise – experts-comptables, avocats,
conseils en gestion de patrimoine. Il n’est pas à exclure
que cette mutation de l’environnement de la rémunération s’accompagne par des contentieux sur le défaut de
conseil, conséquence d’un non-accompagnement des
clients chefs d’entreprise.
●
Frédéric Loyer, directeur de la société Expert & Finance Entreprise,
filiale du groupe Expert & Finance, expert conseil sur la rémunération
et ses périphériques, professeur au mastère spécialisé Ingénierie
patrimoniale du dirigeant (Euromed Management), et formateur
auprès des experts-comptables et des réseaux d’assurance
38 - Avril-Mai 2013 - Profession CGP
Laura Castineiras, responsable du bureau
d’étude d’Expert & Finance Entreprise
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039-PatrimoineExperts PCGP21.pdf

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