Dividendes, le casse tête pour les gérants
Transcription
Dividendes, le casse tête pour les gérants
036-039:CGP pro 19/04/13 16:11 Page 36 Juridique et fiscal Social Dividendes : casse-tête pour les conseils du dirigeant LAURA CASTINEIRAS, responsable du bureau d’étude d’Expert & Finance Entreprise. FRÉDÉRIC LOYER, directeur de la société Expert & Finance Entreprise. Les effets collatéraux de l’assujettissement des dividendes aux charges sociales sont nombreux. Plus que jamais, les dirigeants auront besoin de conseils avertis pour optimiser leur rémunération. L a loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2013 du 17 décembre 2012 (loi n° 2012-1404 publiée au JO le 18 décembre) bouleverse le statut de gérant majoritaire, travailleur non salarié relevant de l’article 62 du Code général des impôts. Elle introduit un dispositif d’assujettissement aux charges sociales des dividendes versés aux gérants majoritaires excédant 10 % du capital social et des primes d’émission, et des sommes versées en compte-courant. Conséquence directe: la nature des dividendes s’en trouve modifiée, mais les conséquences indirectes de cette mesure sont nombreuses, et affectent tant le dirigeant que les tiers. ❚ Risque de transformation en SAS La loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2013 introduit un nouveau dispositif d’assujettissement aux charges sociales des dividendes versés aux gérants majoritaires. La modification de l’environnement fiscal et social du gérant majoritaire pourrait donc inciter certains dirigeants à opter pour le statut de salarié en transformant leur Sarl en SAS. Or, le poids des charges sociales obligatoires d’un dirigeant assimilé salarié est nettement plus important que celui d’un travailleur non salarié. Mais les autres conséquences d’un changement de statut seraient de fragiliser les dispositifs facultatifs dont pouvaient bénéficier les travailleurs non salariés relevant de l’article 62 du Code général des impôts. Par exemple, en matière de prévoyance, l’article 6 de la loi Evin rend viager une adhésion à un régime Madelin après deux ans d’adhésion, alors qu’un régime collectif reste soumis chaque année à l’analyse de ses comptes par l’assureur. Une résiliation du contrat peut donc intervenir tous les ans sur décision de l’assureur en cas de ratio prime/sinistre défavorable. 36 - Avril-Mai 2013 - Profession CGP 036-039:CGP pro 19/04/13 16:11 Page 37 Juridique et fiscal Social En matière de retraite facultative, la disparition du collège cadre dirigeant (décret n° 2012-25 du 9 janvier 2012) obligera un dirigeant qui passerait assimilé-salarié à ouvrir leur système de retraite facultatif aux autres cadres de l’entreprise, alors que le régime de retraite Madelin reste un dispositif individuel. donc de distinguer clairement ce qui relevait des revenus du travail et ceux du capital et donc, de revoir l’assiette permettant de calculer les charges sociales. Selon la décision du Conseil constitutionnel du 6 août 2010 (2010-24 QPC), « […] en incluant dans l’assiette des cotisations sociales une partie des dividendes […], le législateur a entendu dissuader le versement de dividendes fondé sur la volonté de faire échapper aux cotisations sociales les revenus tirés de l’activité de ces sociétés ; il a souhaité éviter des conséquences financières préjudiciables à l’équilibre des régimes sociaux en cause […] ». Espérons seulement que cette nouvelle législation redonnera un peu de souffle aux régimes de retraite par répartition et qu’elle évitera désormais des arbitrages ubuesques du type 100 % dividendes et aucune rémunération… ❚ Risque de requalification du dirigeant en rémunération excessive Se pose la question de l’articulation de ce dispositif d’assujettissement des dividendes aux charges sociales avec les dispositions du Code général des impôts relatives à la rémunération excessive des dirigeants. En application de l’article 39-1-1° et de l’article 111 du Code général des impôts, les rémunérations des dirigeants de sociétés passibles de l’impôt sur les sociétés sont déductibles des résultats sociaux, à condition de ne pas être exagérées et de correspondre à un travail effectif. Le Code général des impôts prévoit la possibilité de requalifier en dividendes les rémunérations d’activité excessives des dirigeants de sociétés. Suite à cette réforme, l’intérêt des dividendes s’amenuise comme peau de chagrin. Rémunération et dividendes sont les seuls moyens pour l’associé dirigeant d’appréhender légalement les bénéfices de sa société. Ainsi, le dirigeant n’aura pas d’autre alternative d’augmenter sa rémunération. Et cette augmentation de rémunération du dirigeant à chiffre d’affaires constant ne pourrait-elle pas être qualifiée de rémunération excessive ? Le traitement social entre les dividendes assujettis et les dividendes non assujettis aux charges sociales pose également la question du contrôle de l’administration. Les premiers sont considérés comme des revenus du travail, alors que les seconds sont des revenus du capital. Pour apprécier le caractère normal des rémunérations, l’administration aura donc un droit de contrôle sur la fraction des dividendes excédant 10 % du capital. Verra-t-on un retour des jugements pour rémunération excessive ? ❚ Conséquences sur les régimes obligatoires La quote-part des dividendes assujettis aux charges sociales entraînera une hausse des cotisations productives de droit, aussi bien en matière de prévoyance que de retraite. Prenons l’exemple d’un gérant majoritaire relevant du RSI Organic et percevant 50000€ de rémunération de gérance et 30 000 € de dividendes, exerçant son activité dans une Eurl, ayant opté pour l’impôt sur les sociétés et avec un capital social de 1 €, et aucun compte-courant. En 2013, si ses dividendes n’avaient pas été assujettis aux charges sociales, il aurait cotisé 10 240 € pour sa retraite entre régime de base et complémentaire RSI. Avec cette nouvelle législation, à rémunération et dividendes perçus équivalents, sa cotisation sera de 12 640 € (source : logiciel Easy Rému Dirigeant). C’est d’ailleurs l’origine de cette réforme. En effet, le législateur a estimé que les arbitrages abusifs entre rémunération de gérance et dividendes risquaient de mettre en péril les systèmes de retraite par répartition. Il convenait ❚ Conséquences sur le disponible Madelin La quote-part des dividendes assujettis aux charges sociales entraînera une hausse des cotisations productives de droit, aussi bien en matière de prévoyance que de retraite. Avant la réforme, un débat existait sur le calcul du disponible Madelin pour un gérant majoritaire TNS relevant de l’article 62 du Code général des impôts. Pour certains praticiens, le calcul du disponible est réalisé à partir de la rémunération brute s’entendant avant cotisations obligatoires ; pour d’autres (dont notre cabinet), le calcul s’effectue après charges sociales obligatoires. Nous optons pour cette interprétation afin de respecter l’esprit du texte qui était la constitution d’une retraite complémentaire pour les non-salariés, et afin d’éviter tout risque de requalification en abus de droit. En effet, un artisan en entreprise individuelle a un BIC de 100 000 €, base de calcul de son disponible Madelin (le BIC s’entendant après charges sociales). Cet artisan passe gérant majoritaire (article 62 du CGI), à revenu équivalent de 100 000 €, en optant pour l’interprétation avant charges sociales, son disponible Madelin s’en trouve augmenté d’environ 50 % ! Le traitement entre un indépendant et un gérant majoritaire n’était donc pas équitable. Mais la réforme est venue clore ce débat en alignant désormais le régime des indépendants à celui des gérants majoritaires. Le disponible Madelin est donc calculé à partir du revenu brut imposable. Néanmoins, la réflexion autour du disponible Madelin n’est pas achevée. En effet, les dividendes assujettis aux charges sociales sont considérés comme des revenus du travail, doivent-ils être intégrés pour la détermination de la base de calcul ? Le cas échéant, quelle serait la base de calcul des dividendes, brut imposable ? Après ou avant l’abattement de 40 % ? L’intégration des dividendes entraînerait une réécriture de l’article 154 bis du CGI, qui emploie toujours le terme de bénéfice. ❚ Risque de contestation Du personnel, du fait d’une diminution de la réserve spéciale de participation des salariés Avant la réforme, les prélèvements sociaux sur les dividendes étaient de 15,5 %, prélevés à la source, dont le dirigeant s’acquittait personnellement. La réforme prévoit que les dividendes, au-delà de 10 % du capital social, des primes d’émission et des sommes versées en >>> 37 - Avril-Mai 2013 - Profession CGP 036-039:CGP pro 19/04/13 16:11 Page 38 Juridique et fiscal Social >>> compte-courant, sont soumis à cotisations sociales. En pratique, et après décision de l’assemblée générale, les cotisations des travailleurs non salariés sont prises en charge par l’entreprise et sont déductibles. Cette charge supplémentaire vient diminuer le résultat de la société, ce qui peut avoir des incidences fortes sur le montant de la participation. Les salariés des sociétés peuvent donc se trouver pénalisés. Verra-t-on des attaques des organisations syndicales sur ce sujet afin de préserver la participation des salariés ? Le gérant doit également déclarer cette fraction supérieure à 10 % dans la case « Fraction de revenus distribués supérieure au seuil des 10 % » de la déclaration commune de revenus (DCR), déclaration qui avait été supprimée en 2010, mais maintenue jusqu’en 2011 de manière transitoire pour être finalement réinstaurée par la loi de financement de la Sécurité sociale de 2012 ! La déclaration des dividendes des gérants majoritaires de Sarl gagne donc en complexité ! Conséquence de cet imbroglio, les dividendes risquent d’être oubliés au profit de la rémunération avec prime de gérance de fin d’année. Des associés Les dividendes perçus par les associés non gérants échappent à cette mesure d’assujettissement aux charges sociales. Leurs dividendes seront soumis aux prélèvements sociaux de 15,5 % à leur charge personnelle. Néanmoins, le dispositif d’assujettissement des dividendes aux charges sociales du gérant majoritaire impacte indirectement ses associés non gérants. En effet, les cotisations sociales sur les dividendes seront financées par l’entreprise, et donc par conséquence par l’ensemble des associés. Par ailleurs, la diminution des résultats de l’entreprise entraînerait de facto une baisse des dividendes distribués aux associés. ❚ Bouleversement de la vision de l’entreprise aux yeux des tiers ❚ Risque de défaillance de la société distributrice Les dividendes versés suivent donc un traitement social distinct, selon qu’ils se rapportent ou non à la fraction excédant 10 % du capital. La fraction des dividendes inférieure à ce seuil est seulement assujettie aux prélèvements sociaux des revenus du patrimoine (CSG, CRDS, prélèvement social et contribution RSA au taux global de 15,5 %) quand la fraction qui excède ce seuil est soumise à la CSG-CRDS de 8% des revenus du travail et incluse dans la base de calcul des cotisations sociales obligatoires du gérant qui les perçoit (RSI, Urssaf, caisse de retraite, etc.). Il faut donc veiller à bien déclarer aux organismes sociaux les dividendes. Des erreurs sont à craindre, comme c’est le cas aujourd’hui dans le cadre des dividendes des Sel, notamment sur la déclaration des prélèvements sociaux. Lorsqu’une société assujettie à l’impôt sur les sociétés verse des dividendes à des personnes physiques, elle doit en effet en déclarer le montant aux services fiscaux, au moyen de l’imprimé n° 2777-D. La société doit sur cet imprimé calculer le montant des prélèvements sociaux générés par la distribution et les verser directement au Trésor public. Or, il advient fréquemment que le déclarant porte sur cette déclaration la totalité du montant des dividendes distribués, alors que seule une fraction est assujettie aux prélèvements sociaux à 15,5 %, le solde étant assujetti aux cotisations sociales obligatoires et à la CSG-CRDS à 8 %. Il en résulte le double paiement de prélèvements sociaux sur la même distribution ! De la même manière, le gérant doit reporter la fraction excédant 10 % dans la case 2CG « Revenus déjà soumis aux prélèvements sociaux sans CSG déductible » de la déclaration des revenus n° 2042 pour éviter l’imposition de ces sommes aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine. Le dirigeant qui souhaite se verser une rémunération et des dividendes d’un montant similaire à auparavant doit avoir conscience qu’il peut entraîner une dégradation des comptes de la société, ce qui n’est pas sans impact aux yeux des tiers. Le gérant majoritaire devra dorénavant intégrer que lorsqu’il se verse un dividende, l’entreprise devra payer des cotisations sociales. Le dirigeant qui souhaite continuer à se verser une rémunération et des dividendes d’un montant similaire doit avoir conscience qu’il peut entraîner une dégradation des comptes de la société, ce qui n’est pas sans impact aux yeux des tiers. D’une part, à l’égard des organismes financiers, il est préférable qu’une entreprise affiche des bons résultats si elle souhaite obtenir un financement bancaire. D’autre part, vis-à-vis des acquéreurs : la valeur d’une entreprise dépend naturellement de son aptitude à réaliser du profit, mais elle doit également être représentative de la réalité de l’entreprise. Ainsi, la valorisation de l’entreprise devra désormais systématiquement prendre en compte non seulement les bénéfices réalisés, mais également la rémunération de son dirigeant. ❚ 2013, année de toutes les interrogations Pour conclure, l’année 2013 sera certainement celle de toutes les interrogations pour les dirigeants d’entreprise. La complexité calculatoire des rémunérations rend les arbitrages entre les différents modes de rémunération très périlleux ; et la complexité déclarative des rémunérations, tant sur le plan fiscal que social, freine aussi les ardeurs des conseils habituels des dirigeants. Cette nouvelle législation sur l’assujettissement des dividendes aux charges sociales pour les gérants majoritaires est un véritable casse-tête pour les conseils accompagnant les dirigeants d’entreprise – experts-comptables, avocats, conseils en gestion de patrimoine. Il n’est pas à exclure que cette mutation de l’environnement de la rémunération s’accompagne par des contentieux sur le défaut de conseil, conséquence d’un non-accompagnement des clients chefs d’entreprise. ● Frédéric Loyer, directeur de la société Expert & Finance Entreprise, filiale du groupe Expert & Finance, expert conseil sur la rémunération et ses périphériques, professeur au mastère spécialisé Ingénierie patrimoniale du dirigeant (Euromed Management), et formateur auprès des experts-comptables et des réseaux d’assurance 38 - Avril-Mai 2013 - Profession CGP Laura Castineiras, responsable du bureau d’étude d’Expert & Finance Entreprise 036-039:CGP pro 19/04/13 16:11 Page 39 039-PatrimoineExperts PCGP21.pdf