L`orientation scolaire et professionnelle comme source potentielle

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L`orientation scolaire et professionnelle comme source potentielle
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Estime de soi et niveau de stress : leur relation avec les difficultés
d’orientation chez 1748 adolescents de collèges et de lycées.
(Toulouse : Tap, P., Esparbès-Pistre et Lacoste Serge
Coimbra : Vasconcelos, MdL & Santos, R.)
De nombreuses recherches portent sur le stress professionnel chez les adultes (stress des
infirmières, des pilotes, des cadres, des ouvriers travaillant à la chaîne, des enseignants…
(Rivolier, 1989) et les travaux se multiplient permettant de mieux comprendre et d’analyser
les liens entre vie professionnelle, vie familiale et stress chez les adultes. Très peu de
recherches en France portent leur intérêt sur le stress des enfants et des adolescents dans leurs
cadres institutionnels d’apprentissage ; la maternelle, l’école, le collège et le lycée (Tap,
Bouissou, Esparbès-Pistre, Lacoste, Lamia, Lévêque, Sordes-Ader, 1997, 1999, 2002 ;
Esparbès-Pistre et Bergonnier-Dupuy, 2002). Ces différents cadres sont pourtant à la fois lieu
de socialisation, de personnalisation et d’intégration mais aussi de moquerie, de violence et de
marginalisation, donc sources de difficultés et de stress à différents niveaux.
Notre recherche porte ici sur une population de collégiens et de lycéens âgés de 12 à
20 ans. Elle consiste à évaluer l'orientation scolaire et/ou professionnelle comme source
potentielle de stress. Nous étudions les effets psychologiques de la situation d'orientation
scolaire (choix de filières, projet professionnel) auprès des collégiens et des lycéens intégrés
dans un cursus d'enseignement général (de la classe de Cinquième à la classe de Terminale).
Dans ce cadre, nous portons notre intérêt sur le stress vécu par ces jeunes face à un choix
d’orientation « exigé » mais nécessaire et son influence sur leur estime d’eux-mêmes.
1. L’orientation scolaire et/ou professionnelle : entre choix et exigences
Le projet (d’orientation d’abord) permet à l’adolescent d’effectuer le passage du monde
scolaire de l’enfance (sa réalité quotidienne) au monde du travail des adultes (imaginé et
représenté par lui) en explorant de nouveaux rapports entre le possible et le réel (Piaget et
Inhelder, 1965). Entre désirs, souhaits, aspirations mais aussi exigences et contraintes, voire
obligations, il va devoir faire des choix.
Projet d’orientation scolaire, projet professionnel et projet de vie constituent les trois
perspectives à la fois autonomes et imbriquées les unes dans les autres. Le projet obéit bien
souvent à une « injonction paradoxale », l’adolescent se trouve pris entre l’environnement
(social et familial) qui le pousse à chercher ce qu’il veut faire plus tard, à « se doter d’un
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projet », et les contraintes personnelles ou sociales qui l’empêchent de réaliser ses projets
(Boutinet, 1990, 91-92).
Le projet d’orientation scolaire est un projet à court terme (tandis que le projet
professionnel est un projet d’adulte dit à long terme). Il permet au jeune de se positionner par
rapport au type d’études qu’il souhaite poursuivre, à partir de choix d’options, de sections
d’enseignements et de filières de formation. Il est pensé en terme de continuité, ce qui
implique la présence active d’aspirations et de motivations (ou leur absence) facilitant (ou
freinant) la réussite dans les études (op. cit., 89).
Cependant, nous pensons que la réponse de l'institution en terme d'information sur les
filières, les écoles et les métiers se révèle bien souvent inadaptée ou insuffisante. A certains
moments, qui restent privilégiés, les jeunes se montrent disponibles pour un travail individuel
approfondi, sur eux-mêmes et sur leurs projets. Ces moments ne sont pas identiques pour tous,
et surtout cet approfondissement est incompatible avec une intervention de masse. L'aide à
l'orientation est souvent génératrice de stress pour l'adolescent, qui subit en effet de
nombreuses pressions institutionnelles et familiales. Pour lutter contre ce stress, il devra non
seulement trouver de l’aide mais aussi prendre lui-même en charge son projet.
2. Les difficultés d’orientation scolaire comme source potentielle de stress :
D’autres questions se posent alors, et pas les moindres: quelles sont les difficultés que
rencontre l’adolescent face à l’objectif d’orientation scolaire ? Ces difficultés sont-elles
stressantes pour lui ? Il s’agit non seulement de connaître les obstacles que rencontre
l’adolescent dans la construction ou l’affirmation de son projet d’orientation, mais aussi de
savoir comment il évalue ses difficultés rencontrées. Les difficultés peuvent être diverses et
porter sur :
- l'absence d'un projet professionnel clairement défini par le jeune ;
- les résultats scolaires ne lui permettant pas de s'engager dans la voie souhaitée ;
- les limites économiques (financières) de la famille ;
- le manque d'information concernant les possibilités d'orientation ;
- ou encore le manque de soutien de la part de l’entourage proche.
Ces difficultés peuvent engendrent du « stress psychologique », si l’adolescent les perçoit
comme menaçantes ou juge qu’il ne dispose pas des ressources personnelles et sociales
nécessaires pour les affronter (Lazarus & Folkman, 1984). Le stress psychologique est
généralement centré sur les émotions négatives (colère, effroi, anxiété, honte, culpabilité,
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tristesse, envie, jalousie et dégoût) bien que les émotions positives aient un rôle d’interruption
du stress (joie, fierté, soulagement et amour) (Paulhan et Bourgeois, 1995).
L’enfant et l’adolescent, de la même façon que l’adulte dans le milieu professionnel,
sont confrontés au stress dans le domaine scolaire, chacun faisant son propre « métier ».
Perrenoud (1994) parle du « métier d’élève » à propos du travail scolaire. Le métier d’élève
peut alors comme tout autre métier produire un certain stress appelé stress scolaire. Ce dernier
est défini par Lempp (1983) comme « l’effet total de tous les facteurs de stress liés à l’école
qui agissent sur l’enfant, indépendamment du fait qu’ils soient eux-mêmes vus comme une
conséquence immédiate du stress ou la conséquence de défenses nécessaires ou surévaluées »
(in Reinhard et Ott, 1994, p.108). Cette définition peu précise peut être complétée par celle
donnée par Giron en 2001 : « on ne peut parler de stress à l’école que si la situation scolaire
est perçue par l’élève comme porteuse d’enjeu, c’est-à-dire quand il a le sentiment que ce que
l’on attend de lui dépasse ses compétences et quand il estime que l’objectif à atteindre mérite
l’effort qui lui est demandé… L’enjeu c’est celui de la socialisation, c’est celui de la réussite
de l’entrée dans la société. L’enfant est donc confronté à cette pensée commune qui prend la
forme d’une pression à la réussite qu’il va très tôt intérioriser » (p.1).
Dans l’orientation scolaire et professionnelle, l’enjeu est de taille, puisqu’il s’agit de
l’avenir du sujet.
Trouver les moyens de gérer toutes ces difficultés liées à l’orientation professionnelle
s'avère souvent difficile, le jeune vivant parfois son projet de façon trop idéalisée et
prégnante, ou visant une réalisation immédiate et non la maturation du projet. A travers
l'élaboration d'un projet d'orientation et d'insertion, l'adolescent cherche à donner un sens à sa
vie, sous l'effet de contraintes extérieures multiples, par l'obligation sociale qui le pousse à
prendre une série de décisions relatives à son avenir.
L’accumulation de telles difficultés associées aux pressions internes ou externes peut
menacer le bien-être psychologique de l’adolescent, augmenter son sentiment d'impuissance
et l’amener à vivre un état de stress susceptible de se manifester par la lassitude, la fébrilité,
les troubles temporels, les manifestations physiques (noeud à l’estomac, gorge serrée, bouche
sèche, etc.).
Le lycéen peut en effet ressentir une dissonance entre son choix "idéal" et des
contraintes matérielles, socio-économiques, personnelles et en particulier affectives. Par
exemple, désirant s'orienter vers une certaine profession, il est gêné dans son choix par des
possibilités matérielles insuffisantes, par une conjoncture économique défavorable (manque
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de débouchés), par des attentes parentales opposées aux siennes, ou par ses propres
compétences qu'il estime limitées.
Il peut aussi se sentir "étranger" à la situation d'orientation scolaire. Contraint de faire
un choix alors qu'il n'a élaboré aucun projet, il craint de regretter ce choix prématuré.
Toutefois, la situation d'orientation scolaire n'est pas stressante "objectivement", elle l’est
"subjectivement", en fonction de la signification que l'adolescent lui accorde. Les causes du
stress ne résident ni dans la nature de l'événement ni dans l’individu, mais dans la transaction
entre lui et l'environnement. Le stress est envisagé ici comme l'ensemble des perceptions
d'impuissance et de malaise qui envahissent l’individu face à des événements difficiles à
maîtriser (Lazarus et Folkman, 1984). Le collège et le lycée ne sont pas des lieux stressants en
eux-mêmes. Ils ont même en principe une vocation inverse. Ils se veulent des lieux
sécurisants, de savoir, d’échange et de bien-être pour les enfants et les adolescents.
En fait, une situation scolaire, même difficile, n’est pas intrinsèquement stressante, c’est la
perception que l’élève en a qui peut être porteuse de stress. On ne peut parler de stress
scolaire que si la situation scolaire est perçue par l’élève comme porteuse d’enjeu conflictuel,
s’il a le sentiment que ce que l’on attend de lui dépasse ses compétences, ses ressources et
qu’il estime que l’objectif à atteindre mérite les efforts qu’il met en oeuvre. Le jeune à l’école
a quelque chose à perdre ou à gagner ; l’enjeu de l’école est celui de la socialisation et de la
réussite de l’entrée dans la société, mais aussi celui de la construction identitaire ou le jeune
renforce ou peut perdre son estime. Les échecs et les réussites, les rencontres positives mais
aussi les trahisons construisent son identité.
3. L’importance de l’estime de soi
L'estime de soi est une expérience subjective qui se traduit aussi bien verbalement que
par des comportements significatifs. Son fondement et ses variations se trouvent dans les
rapports du sujet à lui-même et à ses semblables.
Une estime de soi satisfaisante est signe d'une bonne adaptation sociale. Elle est
nécessaire pour faire face au stress occasionné par les efforts réalisés afin d’obtenir une
insertion professionnelle et sociale (Purkey et Novak, 1984 ; cités par Richman et al., 1985).
En effet, des recherches ont montré les liens entre estime de soi, motivation et niveau de
“maturité vocationnelle” (Harter, 1988a; Helbing, 1984; Jones, Hansen et Putman, 1976;
Khan et Alvi, 1983), observant un développement professionnel plus marqué chez les
adolescents ayant une estime de soi positive. Ceux qui ont une estime de soi élevée, plus
confiants dans leurs opinions et dans leurs décisions, sont capables de poursuivre des buts
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personnels et de se singulariser. Conscients de leurs sentiments, ils expriment plus volontiers
leurs convictions, même dans l'adversité, dans la mesure où ils ont éprouvé auparavant la
sûreté de leur jugement et de leurs évaluations aussi bien externes qu'internes.
Quand il y a discordance entre les réalisations et les aspirations et les valeurs
personnelles, le sujet peut se juger inférieur en faisant une auto dévalorisation quel que soit le
niveau des résultats qu'il a pu obtenir. Des sentiments de culpabilité, d'auto-dépréciation et
même des dépressions peuvent apparaître (Bachman, 1970; Rosenberg, 1985; Harter, 1987).
Le même effet peut se produire lorsque le regard que les autres portent sur l’individu
correspond à un jugement de désapprobation, voire de rejet. L’individu peut ainsi devenir
vulnérable et se retrouver dans une situation de détresse autant morale que sociale pouvant
accentuer un état de rupture et de mal-être.
Les chercheurs en psychologie sont d'accord sur l'importance à attribuer à l'estime
de soi, soulignant son influence dans le fonctionnement humain et dans la consolidation de
la personnalité.
Le “soi” a un rôle primordial, non seulement dans la construction de la
personnalité, mais aussi dans l'investissement ultérieur : scolaire, professionnel et
relationnel de la personne. Celle-ci est en permanence confrontée à des contextes divers :
la famille, l'école, les pairs, le monde du travail, la société. Les rapports qu’elle entretient
avec les autres et les appréciations qu’elle reçoit des uns et des autres, sont essentiels pour
comprendre l’histoire individuelle.
hLe caractère dispositionnel et situationnel de l’estime de soi
Il y aurait une estime-trait ou dispositionnelle, en référence à la cohérence et à la
continuité du sujet dans le temps et une estime-état ou situationnelle, variant selon le contexte.
L'estime de soi se construit d'une situation à l'autre, d'une rencontre à l'autre, en fonction des
conflits à résoudre, des choix pris ou à faire, des significations accordées à ces conflits, ces
choix et ces situations. Il est ouvert à des changements momentanés tel un baromètre qui
monte et descend en fonction de nos aspirations, des expériences de succès ou d'échecs, du
contexte et des situations dans lequel le sujet est impliqué (James, 1890).
hLes expériences de réussites et d’échecs
Les expériences de succès ou d'échecs peuvent modifier l'estime de soi du sujet. Mais
il existerait chez chacun, une tendance à avoir une estime de soi plus ou moins haute,
l'expérience de succès stimulant le sujet, l'échec le déstabilisant, le perturbant.
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Les succès construisent une image ferme et optimiste. Les réussites dans des tâches,
des activités, contribuent à élever le niveau d'aspiration du sujet.
Les échecs à l'inverse conduisent les individus à réduire leurs prétentions. Les
expériences traumatisantes, les rendent plus sensibles à l'insécurité des situations.
L'estime est ici liée aux aspirations du sujet, à ses projets. Son implication dans la
tâche qu'il a à accomplir est aussi importante: “quand le sujet se sent profondément concerné,
la signification du succès et de l'échec retentit d'autant plus sur l'image du moi”
(Maisonneuve, 1982, 157). Le sujet procède donc à une estimation de ses capacités, ses
aspirations étant déterminées dans une certaine mesure par les performances accomplies par
d'autres individus auxquels il se compare et auxquels il désire ressembler.
On peut donc comprendre aisément que plus le sujet est stressé plus il risque de perdre
ses moyens et de se sous estimer, c’est ce que nous allons vérifier auprès de notre population
d’études.
Envisageant l'orientation comme une situation potentiellement stressante, nous faisons
l'hypothèse suivante:
La manière dont l'adolescent fait face à son orientation (stratégies de coping), ainsi que son
niveau d'estime de soi vont dépendre de la nature et du niveau de stress qu'il ressent par
rapport à son avenir scolaire et/ou professionnel.
Notre schéma expérimental peut se synthétiser de la façon suivante :
Variable
explicative
Variables
à expliquer
* Stress perçu
par rapport à la situation
d'orientation scolaire
et/ou professionnelle
* Estime de soi
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Face au stress que provoque leur orientation scolaire et/ou professionnelle, quelles
vont être les réactions des adolescents ?
* 1- Quelle influence le stress a-t-il sur le niveau d'estime de soi de l'adolescent ? Par
exemple, un haut niveau de stress entraîne-t-il une baisse de l'estime de soi ?
4. Méthodologie.
4.1. Population.
Cette étude porte sur 2042 adolescents âgés de 12 à 20 ans et scolarisés dans les
classes de la Cinquième à la Terminale. Ces élèves (956 garçons et 1086 filles) ont répondu
aux questionnaires dans leurs établissements publics respectifs et proviennent de milieux
socioculturels variés.
4.2. Instruments.
Le stress perçu (Echelle Toulousaine de Stress)
L’E.T.S. a été élaborée à partir d’échelles de stress existantes, en particulier l'échelle
québécoise "Mesure du Stress Psychologique" (54 items ; échelle construite par Lemyre et
Tessier, 1988). Elle comporte 30 items mettant l'accent sur les symptômes physiques et
psychologiques du stress et sur la façon dont le sujet les éprouve. Elle permet d’appréhender
la nature et l'intensité du stress.
La consigne donnée dans la présente recherche tenait compte de la population cible :
les adolescents scolarisés. Ces derniers doivent d’abord choisir une situation susceptible de
provoquer du stress (cette situation étant ou non en rapport avec les difficultés d’orientation et
servant de point de référence pour les réponses aux items de stress).
Pour chacun des 30 items, les sujets doivent se positionner sur une échelle en 5 points,
allant de 1 (pas du tout d’accord) à 5 (tout à fait d’accord).
La validation de l'échelle par Analyse en Composantes Principales avec rotation
varimax met en évidence quatre dimensions, expliquant 46,4 % de la variance totale et
satisfaisant à la fois les critères statistiques et psychologiques (Tap & al., 2001).
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Le Facteur 1 (32,2 % de variance ; intitulé : Manifestations physiques du stress) est
constitué de 10 items. La cohérence interne est de α = .79. Parmi ces manifestations nous
pouvons citer les troubles cardiaques, respiratoires, intestinaux, etc.
Le Facteur 2 (5,7 % de variance ; intitulé : Humeur dépressive) est composé de 9 items. La
cohérence interne est de α = .86. Ce facteur correspond à l’ensemble des sentiments liés à la
perte de confiance en soi (impuissance, découragement), de la maîtrise des situations et des
relations (solitude, menace, être incompris, inadaptation).
Le Facteur 3 (4,5 % de variance ; intitulé : Fébrilité/Tension) est constitué de 5 items. La
cohérence interne est de α = .77. Ce facteur est lié à l’hyperactivité et à la difficulté à gérer le
temps sous la pression des styles de vie moderne.
Le Facteur 4 (4 % de variance ; intitulé : Lassitude) est composé de 6 items. La cohérence
interne est de α = .71. Ce facteur est essentiellement fondé sur la fatigue, la perte d’énergie, le
sentiment de vide, les difficultés à dormir ou à développer de nouveaux efforts.
La cohérence interne pour l’échelle totale est forte : α = .92
Après la passation de ces instruments nous observons que la population d’étude se
déclare majoritairement stressée par l’orientation scolaire pour 1748 d’entre eux soit 85,6 %.
Cela concerne 82,5 % des garçons et 88,3 % des filles. 167 garçons (17,5 %) et 127 filles
(11,7 %) se disent stressés par des difficultés extérieures à leur scolarité (14,4 % des
collégiens et lycéens).
L'échelle d'estime de soi (L’échelle Toulousaine d’Estime de Soi)
L'E.T.E.S (Echelle toulousaine d’estime de soi) est une échelle d’attitude permettant
d’obtenir un score d’estime de soi. L'échelle se compose de 60 affirmations, auxquelles le
sujet doit répondre sur une échelle de type likert en 5 points (1 « pas du tout » ; ( « très
souvent ») (Oubrayrie, de Leonardis et Safont, 1994).
Dans le but de présenter “un instrument semblable dans sa structure pour les
différentes générations” (Oubrayrie, Safont et Tap, 1991) nous avons construit trois versions :
Enfants, Adolescents et Adultes. Nous avons fait l'hypothèse qu'il était possible de construire
une échelle unidimensionnelle, intégrant différentes facettes de l'estime de soi renvoyant à
divers domaines de vie.
Pour élaborer l'E.T.E.S., nous nous sommes inspirés d'échelles déjà existantes
(Coopersmith, 1959 ; Rosenberg, 1965 ; Fitts, 1965 ; Harter, 1982). Toutefois, à notre avis,
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aucun de ces instruments ne permet d’explorer des domaines tels que le contrôle des émotions
et l'évaluation du soi dans le futur.
Nous référant aux modèles de réévaluation des dimensions identitaires (Tap, 1980 ;
Massonnat et Perron, 1990) et du mode de régulation des conflits (Baubion et al., 1987), nous
avons défini cinq sous-échelles : le soi émotionnel (SE), le soi scolaire (SC), le soi social
(SS), le soi physique (SP) et le soi futur (SF). Nous avons généré 12 items pour chaque souséchelles, l'échelle entière étant composée de 60 items.
LE SOI ÉMOTIONNEL : Il s'agit de la représentation du contrôle des émotions et de la maîtrise
de l'impulsivité. La maîtrise de soi permet une meilleure organisation dans l'action, elle
facilite la planification. Les items peuvent être positifs et directement liés à l’estime de soi, ou
négatifs, et dans ce dernier cas, ils sont inversés pour le calcul du score d’estime de soi.
Exemples d'item : Je suis souvent anxieux ( -) ; Je suis bien dans ma peau (+)
LE SOI SOCIAL
: Il s'agit de la représentation des interactions avec autrui (parents et
camarades) et du sentiment d'être reconnu socialement.
Exemple d'item : On s’ennuie en ma compagnie ( -); J'aime qu'on me remarque et qu'on me
reconnaisse dans un groupe (+).
LE SOI SCOLAIRE
: La perception des compétences intervient dans la représentation que le
sujet se fait de lui-même. Nous mesurons l'estime de soi, à travers la représentation que le
sujet se fait de ses comportements et de ses performances dans le cadre scolaire.
Exemple d'item : Je me décourage facilement en classe (-) ; J’échoue en classe parce que je
ne travaille pas assez (+).
LE SOI
PHYSIQUE
: L'image corporelle fait partie des représentations de soi et a une
importance particulière à l'adolescence. En effet, au moment où son corps se transforme,
l'adolescent est particulièrement centré sur son image corporelle. Dans la sous-échelle soi
physique, sont illustrées par des items, les représentations de l'apparence corporelle, les
représentations vis-à-vis du regard d'autrui (l'adolescent étant très sensible, du fait de sa quête
d'identité, aux jugements qui concernent le corps dans son apparence), les représentations des
aptitudes physiques et sportives et le désir de plaire.
Exemple d'item : Je me trouve trop gros(se) (-); Je trouve que mon corps est bien
proportionné (+).
LE SOI FUTUR OU PROJECTIF : Par la dimension "soi futur", nous voulons cerner le rôle de
l'affirmation du soi joué par le projet dans la représentation de soi. Nous partons de
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l'hypothèse selon laquelle le projet de soi, à l'adolescence, passe par un désir d'insertion dans
le monde des adultes, de participation à la collectivité, d'adoption de valeurs légitimées. Nous
proposons ici des items chargés de valeurs supposées correspondre à des rôles d'adultes. Il
s'agit d'un moyen de valorisation de soi organisé à partir de la représentation de soi projetée
sur l'avenir. Ces représentations sont supposées, par hypothèse, différentes des représentations
actuelles.
Exemple d'item : Je voudrais prendre des responsabilités le plus tard possible (-); Je voudrais
participer à des mouvements de solidarité (+).
Les scores ainsi obtenus sont des indices de la conception plus ou moins positive que
le sujet a de lui-même, suivant qu'il déclare posséder des attributs socialement valorisés ou
dévalorisés et suivant la perception qu'il a de sa compétence. Ce sont donc des indices de la
valorisation ou de la dévalorisation de l'image du sujet (Sordes-Ader, Lévèque, Oubrayrie,
Safont-Mottay, 1998).
L'analyse en composantes principales met en évidence 4 facteurs.
Affirmation par refus du négatif.
Ce facteur explique 14,94% de la variance totale (VP=8.96) avec un alpha de .88. Elle
comprend 21 items (tous à expression dévalorisante et inversés : 58, 9, 45, 32 , 7, 36, 27, 47,
56, 17, 34, 52, 23, 41, 25, 40, 11, 15, 43, 38, 51). Les adolescents expriment ici un refus du
dévalorisant. Ce facteur permet de mettre en évidence une « Affirmation par les valeurs et les
projets », la « Compétence sociale » et le «Sentiment de bien-être ».
Soi physique et socio-émotionnel.
Ce second facteur explique 9,14% de la variance (VP=5.48) et possède un alpha de
.83. Il regroupe 14 items (tous à expression valorisante et directs : 14, 19, 57, 4, 31, 6, 21, 33,
16, 48, 44, 58, 28, 50). La « Valorisation corporelle et la confiance en soi » et le
« Leardership » sont exprimés ici. Notons que le soi social initialement et théoriquement
autonome, se trouve ici, par ses items de type leadership-influence, associé ici à des aspects
de l’estime de soi corporel et émotionnel. Cela semblerait montrer que les jeunes ayant de
l’influence sur les autres ont tendance à maîtriser leurs émotions et à avoir une bonne image
de leur apparence et de leurs capacités corporelles.
Soi scolaire & futur.
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Ce facteur (4,34% de la variance ; VP=2.60, alpha de .66) comprend 17 items (tous à
expression valorisante/directs : 10, 60, 24, 42, 46, 20, 2, 55, 26, 59, 35, 37, 22, 12, 30, 8, 39).
La « Valorisation scolaire » et la « Valorisation du soi futur » composent ce facteur. Cette
associatiopn démontre évidemment que la représentation du soi futur est fortement associée à
la réussite ou à l’échec scolaire actuels, compte-tenu de l’importance de l’orientation
professionnelle dans la projection de soi dans le futur.
Soi social & émotionnel.
Ce quatrième facteur (3,76% ; VP=2.25 ; alpha = .70) se compose de 8 items (29, 3,
18, 1, 54, 49, 13, 5). Il permet d’exprimer la perception d’une reconnaissance sociale, à forte
tonalité émotionnelle. On voit donc, ici encore que le social est fortement associé à
l’émotionnel. (cf. la remarque d’Henri Wallon : Ce sont « les émotions qui chevillent le social
au corps »).
L’échelle, composée des 60 items, a une cohérence interne excellente : .88.
Résultats :
Les différences entre garçons et filles pour les niveaux de stress perçu s’observent sur
le graphique suivant :
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L'évolution du stress
75
70
score global de stress
65
60
Garçons
Filles
Total
55
50
45
Te
rm
in
al
e
e
iè
r
Pr
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Se
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tri
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40
Classes
Graphique n°5 : Niveau moyen de stress selon le sexe et la classe.
Figure n°5 : Mean level of stress according to sex and class.
Les filles sont en moyenne plus stressées que les garçons (F= 54,96 ; p= .001) quelle
que soit la classe. Elles paraissent le plus stressées en classe de troisième alors que les garçons
connaissent leur niveau de stress maximum en classe de Seconde. De plus, le niveau de stress
augmente de manière significative avec l’avancée en classe supérieure (F= 6,28 ; p= .001).
Cette accentuation du niveau de stress perçu, ainsi que la différence entre garçons et
filles, confirment les résultats obtenus chez les adolescents observés par Mallet (1999).
Pour les différents types de manifestation du stress, les filles évoquent plus souvent
des manifestations physiques et de la fébrilité en Troisième. Elles ressentent plus de lassitude
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à partir de cette classe puis au lycée. Elles manifestent plus d’humeur dépressive, de lassitude
et de fébrilité au lycée par rapport aux Cinquième et Quatrième. Chez les garçons, la classe où
toutes les manifestations du stress sont les plus élevées est la Seconde. Enfin les lycéens se
disent plus stressés que les collégiens.
Conclusions :
L’estime de soi est une expérience subjective dont le fondement se trouve dans les
rapports du sujet à lui-même et à ses semblables. “Néanmoins, même si l’appréciation que le
sujet fait sur soi est une appréciation globale, elle se construit à partir d’estimations plus
spécifiques qui sont pondérées en fonction de l’importance que le sujet leur accorde” (Lamia,
1999, 37).
Lorsque le sujet arrive à faire face à des situations déstabilisantes, il renforce son
estime et acquiert un sentiment d'efficacité et de puissance, l'immunisant en quelque sorte
contre la peur, l'anxiété, les sources du stress, car il sait qu'il pourra y répondre. “Le sentiment
de posséder une estime de soi élevée s'accompagne d'une sensation de sûreté et de sécurité”
(Albaret, 1994, 73).
La confiance en soi, l’estime que le sujet se porte sont importantes dans le sentiment
d’intégration. Par l'action et la production d'oeuvres, par le dépassement de situations
difficiles, le sujet se valorise à ses yeux et aux yeux d'autrui, tant il a besoin d'être reconnu,
aimé, admiré, accepté, confirmé dans ses avoirs et ses pouvoirs (Tap, 1986). Son identité
se nourrit des valeurs et des idéaux (liberté, amour, sécurité, création...) lui permettant
d'agir, de se valoriser et de s'affirmer dans le cadre ainsi construit.
Se concevoir soi-même comme source d'effets particuliers, avoir le sentiment que l'on
peut influer sur les choses et les êtres, diriger ou maîtriser les événements même
artificiellement, tout cela va permettre au sujet de faire face aux situations difficiles et de
canaliser ses angoisses et ses échecs.

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