Ô mon lac de Joux Quand te reverrai
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Ô mon lac de Joux Quand te reverrai
Ô mon lac de Joux Quand te reverrai-je, Ô mon lac de Joux si beau avec de la glace pour te couvrir et te protéger quand vient l’hiver. Et ce ne serait pas une glace ordinaire sur laquelle on ne peut ni skier ni patiner. Ce serait une glace verte, vert bouteille, si épaisse et si solide que l’on pourrait y faire passer dessus un tank sans qu’elle ne cède ni ne craque. Est-ce possible, vraiment ? Et il n’y aurait aucune fente. J’ai horreur des fentes depuis que deux de ces traîtresses m’ont expédié à ta surface qui s’est révélée d’une dureté extrême, mes poumons et mes côtes en savent quelque chose, moi qui croyais même m’être défoncé la poitrine ! Et elle serait lisse à ne pas le croire, où l’on pourrait aller sur toute sa surface, d’un bout à l’autre, ou de la rive orientale à la rive occidentale où se tient cette vaste colline rocheuse et boisée que l’on appelle de plusieurs noms : les Epinettes, c’est à proximité du Pont, le Revers au niveau du Lieu, là où une faille étrange se fait appeler la Roche-Fendue. Et donc on pourrait aller d’un bout à l’autre en un rien de temps. Tu mettrais à peine une demi-heure tant tu irais vite, d’autant plus que tu te pousserais avec tes bâtons, une technique que peu affectionnent et qui pourtant se révèle extraordinaire, car ceux-ci donnent l’équilibre, le rythme, en plus qu’ils augmentent ta vitesse. Sans bâtons, pas de patin ! On pourrait imaginer aussi que sur une telle glace, après deux semaines où jour après jour on s’en serait servi tout en l’ayant honorée, elle nous aurait apporté un bonheur infini, elle se serait couverte d’une légère couche de neige où l’on aurait pu y faire du ski. Là aussi d’un bout à l’autre. C’est plus monotone peut-être, mais c’est beau, à n’en pas douter. Tu vas, l’horizon ne se rapproche que peu à peu. Et entre l’heure où tu es partis et celle où tu es arrivé, comme tu as eu le temps de penser ! Et comme ce jour-là tu aurais eu la forme, et ce n’est pas si souvent que ça, tu aurais accepté de faire l’aller et le retour. Quelle cure de paysage. Quelle bouffée de plein air, quels délices goûtés mieux encore quand tu te trouves au centre et que tu peux aller, aller encore, sans que trop vite le terme ne se rapproche. C’est grandiose. Tu sais que parfois tu as aussi rêvé que ce lac, déjà admirable par la surface qu’il possède, près de 9 km2, il serait plus long de trois fois, ce qui te mènerais jusqu’au vallon des Rousses. Et qu’arrivé au bout de la première partie que l’on connaît, tu aurais pu aller encore pour une double prolongation. Tu en verrais alors des choses, des rives qui n’auraient jamais été vues de telle manière. Voistu, le lac aurait envahi où plutôt ne pas laisser croître, car il serait de toute éternité, Praz-Rodet, Bois-d’Amont et tout cela défilerait à la même vitesse, car il va sans dire que jamais tu ne fléchirais. Tu peux aussi t’imaginer que cette longue distance, admettons trente kilomètres, soixante si tu fais l’aller et retour, ce que tu ne manquerais pas d’accomplir, tu pourrais la parcourir au clair de lune. On parle toujours ici de glace, et celle-ci toujours encore serait parfaite, sans ces lignes de brisure au milieu, d’une rive à l’autre, et sans surtout ces fentes qui peu à peu, avec la traction immense qui meurtrit et tiraille l’ensemble de la surface gelée, se font de part et d’autre. Au clair de lune. Et tu serais toujours seul. Au milieu. Et tu verrais défiler les rives où il y a des maisons et des lumières. Et ce serait un peu comme à Noël, avec toutes ces lumières. Vision miraculeuse. Tu serais aux anges, précisément. Heureux comme tu ne pourrais jamais l’être dans la réalité, car je le redis, ce ne peut être ici qu’un rêve. Heureux et léger. Heureux et certain non seulement de ta force, de l’élasticité de tes muscles, mais aussi de ce que tu peux croire être ton immortalité. Non, ici tu n’aurais qu’une vie qui est aussi longue que tu peux le souhaiter, sans maladie, sans infirmité, tu pousses, tonnerre, comme tu pousses et comme tu vas vite, cela sans même te fatiguer. Etre unique. Fils de Dieu. Fils de la nature. Tu ne sais trop. Fils de tout ce que le monde a créé de mieux, de plus parfait dans les possibilités de te déplacer par toi-même. Non, tu ne sentirais pas la fatigue. Ni l’ennui. Tu ne diminuerais pas le rythme. Tu ne te lasserais pas des paysages. Ni de la glace elle-même que tu révère au point le plus haut, complice, sœur de tes folies. Eternelle elle aussi. Et ainsi, sur cette glace si noire et si brillante, tu aurais la lune pour t’éclairer, te guider, te conduire en te tenant presque par la main. Et l’on n’entendrait que le bruit des patins mordant la glace, que le bruit de tes bâtons que tu y planterais, que celui de ton souffle. Il ferait naturellement froid, mais pas de telle manière que tu retrouves ton point de départ les oreilles gelées. Un froid de canard certes, mais néanmoins supportable, et que même tu apprécies. Tu revis dans le froid. Pour que tu aies plus de plaisir encore tantôt, après que tu sois arrivé et ait gagné ta maison, à te mettre au chaud. On ne parle plus que de feux de cheminées et de la joie profonde et intime à regarder les flammes monter des grosses bûches dont certaines dureront toute la nuit. Là, les flammes, froides, gelées, ce serait cette lumière miraculeuse sur la glace et sur toi. On ne verrait naturellement personne. Ce ne serait pas un exploit, d’aucune manière, juste un moment de grâce qui fait qu’il ne t’aurait pas été inutile d’accomplir ta vie ici-bas, alors pourtant que si souvent tu doutes et t’interroges sur le pourquoi de ta présence parmi les hommes. Ceux-là même où l’on t’a jeté un jour sans rien te demander. Oui, on t’a jeté parmi les hommes, et là, tu as du accomplir là non pas ce que l’on attendait de toi, mais ce que tu as cru bon de faire.