Compte-rendu formation Dans les cordes

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Compte-rendu formation Dans les cordes
Compte-rendu de la formation sur Dans les cordes de Magaly Richard-Serrano, 2006
Intervention de Pierre Alain Monneraye, enseignant de cinéma
Association Gros Plan Quimper, 25 novembre 2009-11-25
1. La réalisatrice : Magaly Richard-Serrano
Magaly Richard-Serrano vient de Vitry. Elle a grandi dans le milieu de la boxe. Son
grand-père possédait une salle de boxe et sa mère a sans doute été la première femme à
pratiquer ce sport. Le film est donc largement autobiographique. Grâce à sa mère qui s’est
décidée à suivre des études de lettres pour aider sa fille, Magaly Richard-Serrano assiste avec
elle à quelques cours universitaires dont ceux de Jean Douchet. Sa mère, devenue finalement
éducatrice de sport, reprend la salle de boxe du grand-père et y entraîne sa fille. Deux fois
championne de boxe, Magaly Richard-Serrano choisit finalement la voie littéraire avec option
cinéma.
Elle y fait quelques courts-métrages, suit des études d’histoire de l’art et tente d’entrer à la
Femis. Elle rate de peu son intégration mais est aidée par Jean-Jacques Beineix qui
l’embauche comme stagiaire dans ses films et la guide vers la réalisation. Elle renouvelle ainsi
sa candidature à la Femis dans la section « scénario » avec succès cette fois. Elle réalise
plusieurs courts-métrages. L’écriture de Dans les cordes commence dès 2000. Le scénario est
proposé au CNC qui accorde une aide à l’écriture. Une maquette est alors réalisée en vue
d’obtenir une avance sur recettes.
Magaly Richard-Serrano trouve une société de production qui lui demande de retravailler
le scénario. Elle dit d’ailleurs à ce propos qu’il était nécessaire d’avoir un regard extérieur car
elle-même manquait de recul. La production est ainsi lancée, le casting peut démarrer.
Le film est tourné à Vitry et à Ivrey-Sur-Seine pour les extérieurs. La région Rhone-Alpes
participant au film, les intérieurs sont tournés à Bourg-en-Bresse. Le tournage dure 9
semaines.
2. Le récit
Dans les cordes suit le principe de la plupart des films de boxe : les combats sur le ring
sont en réalité les combats à mener dans la vie. La structure est toujours la même : en gagnant
le combat final, le héros gagne sa vengeance sur la vie. A cette différence près que Dans les
cordes montre que le refus du combat final par Angie est un signe de l’évolution du
personnage : c’est l’abandon et non plus la victoire qui est une métaphore de son ascension.
Magaly Richard-Serrano avoue s’être inspirée de 1 ou 2 scènes de Raging Bull de Martin
Scorcese (1980). Jusque là, les combats étaient filmés de l’extérieur du ring. Scorcese met la
caméra à l’intérieur du ring, faisant ainsi un combat à quatre : les deux combattants, l’arbitre
et la caméra. Raging Bull adopte une structure inverse : plus il gagne, plus sa vie devient une
catastrophe.
Dans les cordes est l’histoire d’un personnage qui doit faire un choix, aller dans le sens de
son désir, faire autre chose que la boxe : le film montre cette lente évolution jusqu’à ce que le
personnage renonce définitivement à la boxe.
3. La mise en scène
La mise en scène illustre l’évolution des relations et la fissure entre les deux héroïnes.
A. Les séquences répétées
Les personnages sont tous écrasés par le principe de répétition que la mise en scène éclaire
par des scènes et des gestes répétés.
- La séquence du jogging
Elle se répète à quatre reprises et montre à chaque fois une évolution en éclairant sur la
transformation et la rupture qui s’opère entre les deux héroïnes. Dans le générique, tout
d’abord, les trois personnages (Angie, le père et Sandra) sont cadrés en plan serré.
Visuellement, l’impression d’unité est donnée : les trois personnages sont à l’unisson, les
gestes et le souffle sont les mêmes, synchronisés. Le père donne l’impulsion. Vient ensuite la
même scène après la défaite d’Angie. Il ne reste plus que Sandra et le père, Angie est absente.
Le plan est beaucoup plus serré. La relation qu’entretient Joseph avec ses filles change : il
semble écarter Angie (plus tard, les discussions en messes basses en profondeur de champ
entre Sandra et Joseph alors que l’on voit Angie au premier plan le montrent). Puis Angie,
courant seule au lever du jour, est montrée de manière totalement différente. Le plan est plus
large et peut se lire comme porteur d’espoir. Enfin, la dernière scène fait voir Angie et Sandra
dans un duel hors ring. Le plan d’abord serré puis élargi annonce la rupture entre les deux
héroïnes.
- Séquences dans la cuisine
Angie et sa mère se retrouvent dans la cuisine après sa défaite. On assiste à une tentative
de rapprochement dans une scène de séduction. Un gros plan sur les deux personnages les fait
apparaître ensemble. Plus tard, la famille se retrouve au complet dans la même cuisine. Mais
il s’agit cette fois d’une scène de conflit : les visages ne sont jamais présents en même temps.
La scène montée en cut, ne fait coexister aucun personnage dans le cadre.
D’autres séquences répétées pourraient être analysées de la même manière (la séquence de
la vérité sous la douche, la séquence au cimetière). Il peut ainsi être intéressant de demander
aux élèves de rechercher les scènes qui se répètent et d’analyser ce qui change d’une scène à
l’autre.
Le principe de répétition donne l’impression que les personnages piétinent et qu’ils
n’arrivent pas à échapper à leur destin.
B. L’espace
Dans les cordes est un film sur l’intime. Les plans très rapprochés, serrés donnent une
vision claustrophobique de l’espace et renvoient à l’idée que les personnages sont prisonniers
de leur destin et qu’ils ne parviennent pas à y échapper. La sensation d’étouffement est donc
volontaire.
Les scènes d’extérieur ne sont que de passage, des lieux de transition. Les personnages
sont toujours en mouvement à l’extérieur, ne s’arrêtent jamais (sauf dans le jardin mais cette
fois ils seront punis). Teresa est la seule qui s’arrête sur la tombe de sa sœur, mais c’est
justement un personnage qui saura partir.
Tout se passe à l’intérieur. Dans l’appartement, on ne verra jamais un personnage avec un
autre dans le même cadre. Chaque personnage est isolé dans son cadre. C’est aussi pour cette
raison que le spectateur n’arrive pas à se situer dans l’appartement. Ce choix de cadrage
montre la difficulté qu’ont les personnages à cohabiter.
- la chambre de Teresa : alors que le film est dominé par des couleurs froides (bleu,
gris…), on remarque dans cette chambre une dominante rouge. L’espace est à l’image
du personnage. C’est un espace privé, fermé dans lequel Teresa fume en cachette.
- La chambre des filles est scindée en deux (dans sa structure et dans la mise en scène).
Deux univers s’affrontent au sein de la même pièce. La décoration est différente : une
décoration plus romantique pour Angie et un mur couvert de photos, une profusion
d’objets pour Sandra qui renseignent sur son caractère emporté. Dans cette chambre
unique, les personnages ne coexistent pas. Chaque visage est toujours laissé horschamp. Une seule scène montre une rencontre entre les deux jeunes filles mais cette
rencontre conduit au conflit.
- L’espace du père : Joseph n’a pas de place dans l’appartement. Sa maison est son
bureau. Au mur, des dessins et des photos de ses filles qui marquent le lieu de l’intime.
- Le ring a un statut particulier. C’est un lieu fermé mais c’est pourtant un lieu qui peutêtre ressenti comme le plus ouvert car c’est là que se règlent les conflits.
C. La lumière
La lumière donne une indication sur le statut psychologique du personnage. Ainsi, Sandra est
un personnage qui veut être dans la lumière, sous les feux de la rampe.
- La première scène montre un jeu de lumière flottante qui illustre l’état flottant d’Angie à ce
moment où elle n’arrive pas à prendre de décision.
- Lors de la coupure d’électricité, les bougies sont allumées : s’installe alors un clair-obscur.
Deux visages sont éclairés : ceux d’Angie (le moment correspond à sa décision de reprendre
le combat) et de Teresa (au moment où elle découvre le numéro de téléphone : quelque chose
est mis en lumière).
- Le jeu avec la lampe de poche : la lumière passante sur le visage de la mère révèle le trouble.
- Lorsque les personnages s’endorment, la lumière nous fait entrer dans la séquence
énigmatique des lampadaires. Le personnage éteint les lampadaires les uns après les autres : la
plongée verticale de la lumière renvoie à celle présente sur le ring. Sandra a le désir d’éteindre
la lumière, mais celle-ci se rallume à chaque fois.
- Autre scène énigmatique : celle de la lumière zénithale sur le ring qui tend à écraser le
personnage d’Angie. La lumière apporte un éclairage sur la suite et la réaction d’Angie.
Les personnages aspirent à la lumière, se retrouvent hors ou dans la lumière : celle-ci donne
des indications psychiques (cf expressionnisme allemand).
D. Les personnages
Trois binômes sont à relever pour lesquels on peut noter les ressemblances et les différences.
-
Teresa et la groupie : Une ressemblance dans le physique et l’accoutrement un peu
vulgaire. Des similitudes de couleurs également dans le décor des deux femmes.
Teresa se refuse à Joseph qui se retrouve chez Vicky comme s’il se retrouvait chez
Teresa : effet de miroir. Mais Teresa s’émancipe alors que Vicky est dans la répétition.
Joseph répète la relation avec la sœur : c’est pour cette raison que la ressemblance
entre les deux femmes n’est pas anodine.
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Joseph et Billy : ils sont anciens boxeurs tous les deux. Il y a donc un effet de miroir
mais ils n’ont pas évolué de la même manière. Leur destin bifurque malgré leurs
nombreux points communs : Joseph intègre le milieu de la boxe au détriment de sa
famille alors que Billy fait l’inverse. Billy est donc l’image inversée de Joseph.
Le musicien et l’amoureux : on note un effet de miroir physique. Angie est prise entre
la boxe et la culture représentée par ce personnage du musicien.
E. Les séquences de rêve
L’exemple de la séquence avec le regard caméra : c’est un repli sur soi, d’intériorité pour
montrer ce qu’Angie a dans la tête. Ce plan subjectif nous ramène à elle-même. On assiste à
un dédoublement du personnage.
A ce sujet, une scène est particulièrement intéressante à étudier. Quelque temps avant le
combat, les deux jeunes filles s’entraînent. Au premier plan, on voit le mannequin ; au
deuxième plan, Angie et au troisième plan, Sandra. Angie est la seule qui apparaît deux fois à
l’image par un jeu de miroirs, au moment même où elle a décidé de se préparer au combat.
F. L’entame des deux premiers combats
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Le combat de Sandra : on assiste à l’entrée en scène des deux personnages : Angie et
Sandra. Les deux personnages n’en font qu’un par l’ombre chinoise et par le rituel de
l’embrassade qui les lie. Puis l’entrée en scène de Sandra est filmée de dos. Intervient
ensuite la séquence énigmatique. Sandra fonce vers la lumière : elle n’est pas le
personnage principal du film.
Angie : son entrée sur le ring. La séquence se répète. Le point de vue est inversé :
Angie est filmée de face en gros plan, ce qui indique le point de vue : le film est à voir
à travers les yeux d’Angie (phénomène d’identification).
La séquence du combat final. Angie s’est enfuie, court, enlève ses gants et ses
bandelettes. Puis on la retrouve : le son est sourd et on voit le visage du père en gros
plan. Deux explications peuvent être données : soit la logique cinématographique avec
l’ellipse est respectée soit on assiste à la vision psychologique d’Angie et son envie de
fuir. Lors du combat, le dispositif est frontal : le point de vue extérieur au ring est
d’abord montré. Puis un plan poitrine, on voit la main de l’arbitre. Raccord dans l’axe,
escamotage : l’adversaire d’Angie lui ressemble : c’est donc un combat contre ellemême. Puis un mouvement de caméra passant d’un point de vue objectif à un point de
vue subjectif : Angie se retourne et on voit à travers ses yeux : Champ / contrechamp :
ce que le personnage regarde et la chose vue mais c’est elle-même qu’elle regarde.

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