Présentation du film

Transcription

Présentation du film
IT’S A FREE WORLD
(Ken LOACH)
Projection-débat du 9 juin 2015
Résumé du film
À Liverpool, Angie se fait licencier de l'agence d'intérim où elle travaillait comme recruteuse
depuis plusieurs années. Elle propose à Rose, sa colocataire, de monter leur propre agence,
pour offrir aux entreprises de la région une main-d'œuvre à très bon marché, en puisant dans le
vivier des immigrés, qui recherchent tous du travail et vivent dans un état de pauvreté qui les
rend prêts à accepter n’importe quoi pour n'importe quel salaire. Angie et Rose s'enrichissent.
Mais, en tentant de s’en sortir en aidant les autres à s’en sortir, elles se font aussi rouler par un
système implacable, mélange de mafia et de loi du plus fort.
L’arroseur arrosé au pays de l’emploi précaire !
Le film, dans lequel l’héroïne Angie n’apparait pas toujours sympathique, est construit autour
d’un fil rouge : comment va-t-elle reprendre la maitrise de sa vie après avoir été licenciée pour
une cause injuste (avoir refusé une promotion canapé).
Tourné en 2005 et sorti en 2007, le film a été quasiment interdit de sortie en Angleterre au
prétexte qu’il montrait des situations non significatives aux plans économique et sociale.
Le débat (points de vue recueillis)
Ethique
Le film pose des questions dans le registre éthique plutôt que dans celui des lois ou des
normes. La question éthique y est omniprésente :
– Autour du thème de l’immigration ;
– Autour de la dureté des entreprises, encensées dans la presse, mais qui n’embauchent que
ceux qui leur plaisent et trouvent toujours de bonnes raisons pour licencier.
– Autour de la responsabilité individuelle dans les choix personnels : Angie vit-elle une
démarche empathique vis-à-vis des immigrés ou est-ce qu’elle en profite pour faire du fric sur
leur dos ? Dans tous les contextes, chaque individu a des marges de manœuvre : faut-il ou non
respecter les règles ? En acceptant de passer outre ces règles, Angie semble réussir. Mais elle se
retrouve aux prises avec un système entièrement dérégulé.
Le film n’est pas manichéen. A l’intérieur d’un champ de contraintes très fort, il montre Angie
et Rose comme cherchant à prendre leurs responsabilités.
Au départ, Angie est bien intentionnée. Elle a une haute idée de ce qui serait bien ou pas, mais
elle évolue. Elle est sans arrêt confrontée à des choix. Elle choisit d’ignorer le cadre légal et
passe son temps à se faire prendre par une chaine de petites mafias, où chacun court après le
paiement de ce qui lui est dû. La pente la plus naturelle pour s’en sortir est présentée comme
celle de la tentation mafieuse. Angie finit par accepter les pires choses. À la fin du film son
activité se rapproche de celle d’un passeur de migrants.
Rose, en revanche, souhaite rester dans le cadre légal. Elle sort du jeu parce que les choix
d’Angie dépassent à ses yeux ce qui est acceptable. Mais sans rien reconstruire.
Il y a une difficulté à sortir de la spirale de l’échec. L’exploitation des autres se répercute sans
fin à travers l’intérim dérégulé. Il y a un transfert. Les personnages qui cherchent à s’en sortir
restent du côté des pauvres. Même Angie n’arrive pas à légaliser son activité. Cette impuissance
creuse le fossé entre riches et pauvres. Après le moment d’espoir où Angie et Rose visitent de
nouveaux bureaux éventuels, le film rebondit vers le pire.
Bernard Sanson
22 juin 2015
1/3
La valeur solidarité – l’économie collaborative
Le film renvoie à un mouvement actuel – l’économie collaborative – qui revêt une apparence
très moderne (taxi, location d’appartement), portée par des jeunes avec le point de vue, plutôt
sympathique, de « la débrouille en direct ». Aujourd’hui avec une modernité due aux nouvelles
technologies, les systèmes de mise à disposition de biens ou de services s’organisent de manière
proche de ce qui est décrit dans le film.
L’économie collaborative est construite autour de valeurs : le partenariat, le partage, la
débrouille. Avec des formes plus anciennes qu’aujourd’hui, le film met en scène le même type
de recherche, mais celle-ci transforme des immigrés sans papiers en clandestins du travail.
Pour s’en sortir aujourd’hui, la création d’entreprise est devenue un rêve possible, beaucoup
plus que se mettre sous la protection d’un syndicat. Dans le film, ce choix de créer sa propre
entreprise se retourne complètement contre son auteur.
Le parallèle est possible entre l’économie collaborative et les corporations d’autrefois, dans
lesquelles les métiers se sont organisés en édictant des règles. Les « Faubourgs » , situés hors des
villes, étaient des lieux où on allait travailler hors des règles des corporations.
La place du travail dans le film
Deux points de vue différents :
1) Le film pose bien la question du politique, mais ne parle pas du travail. Sa force provient de
ce qu’il est « hors du temps ». Les situations présentées ne sont pas spécifiques à l’époque.
Angie et Rose « font un coup », ce qui n’a rien à voir avec le montage d’une entreprise. Angie
veut se refaire dans un business où elle s’est fait avoir. Ca ne relève même pas de la ruse,
puisqu’elle refait ce qu’elle a toujours fait. Le film ne met pas en relation la politique avec le
travail.
2) La question du travail n’est pas absente du film : le travail n’y est pas vu en tant qu’activité,
mais celui que viennent chercher les immigrés est déqualifiant. La création de leur entreprise
par Angie et Rose, même si elle est primitive, leur demande un « surtravail » qui déborde les
conventions classiques. Le film montre ces deux femmes en train de travailler et de travailler
aussi sur leur rapport aux institutions.
Situation actuelle globale du monde
La situation actuelle du monde est celle d’un grand chaudron :
– L’information est mondiale et instantanée
– Les transports, notamment sur mer, sont développés et très bon marché ;
– L’immigration augmente beaucoup et nous laisse aujourd’hui impuissants. Au-delà des
discours, personne ne sait quoi en faire. Elle est une main d’œuvre volontaire, corvéable à
merci. Peut-on l’utiliser dans un cadre traditionnel ?
– Les espaces géographiquement protégés, dans lesquels des progrès économiques et sociaux
étaient possibles dans la durée, ont disparus.
– Sortir les pays de la pauvreté est une machine qu’on ne maitrise plus, ou très mal. C’était
possible pour l’Espagne ou le Portugal, c’est problématique pour la Chine.
Dérèglementation
Le film montre de nouvelles formes de travail dégradées et réelles et dessine ce que peut
devenir une classe moyenne qui dévisse vers la misère des banlieues.
Le principal sujet du film n’est pas la dérèglementation du travail ou la casse de la législation,
mais ce qui se passe quand un individu décide de se soustraire à la législation.
Le contexte décrit est encore très actuel en 2015. Le libéralisme de la dérèglementation, les
attaques contre les cadres légaux du travail sont dans l’actualité, accentué par les mouvements
migratoires.
Bernard Sanson
22 juin 2015
2/3
En France, les protections existent pour rendre le contexte moins violent que dans le film,
mais le comportement des entreprises n’est pas plus correct pour autant.
Le mouvement actuel de dérèglementation est une phase d’un phénomène récurrent, fait de
vagues de liberté et de vagues de sécurité. Sécurité totale et liberté totale sont des impasses.
La règlementation s’affaiblit. Les règles existent, mais la règlementation cède par sa non
application. Les mafieux ne sont pas condamnés, ce qui les incite à désobéir.
Imaginer des voies de sortie
Aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de faire mieux respecter les règles, mais aussi d’en faire
émerger de nouvelles. Si les règles existantes lâchent, c’est qu’il y a des raisons qu’il faut
comprendre. Elles ne sont plus pertinentes pour les situations nouvelles, et même plus légitimes
pour être respectées par conscience personnelle (cf. le comportement d’Angie).
Le personnage masqué « Robin des bois », qui vient récupérer l’argent dû pour le redistribuer,
remet de l’ordre là où tout est en désordre, autour de la question de la justice. Contrairement à
ce que l’on croit, ce n’est pas une action mafieuse. Angie et son fils sont bien traités, à l’opposé
de ceux qui la tabassent dans la rue.
En tentant de redonner des règles, même seul, ce personnage masqué remet en selle la
question du politique : quelles nouvelles règles peuvent émerger, y compris pour l’économie
collaborative.
Mais cette action isolée n’est que le fait d’un seul individu. Comme les jacqueries au moyenâge, ça ne suffira pas. Il manque l’adossement politique pour reposer les questions sociétales.
Aujourd’hui on ne voit pas les conditions d’émergence de nouvelles règles. Comment élaborer
les fondements d’un nouveau Contrat social du 21ème siècle ?
 
Bernard Sanson
22 juin 2015
3/3