Question de civilisation: The Lewis and Clak expedition
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Question de civilisation: The Lewis and Clak expedition
Avant-propos Nathalie Caron est maître de conférences à l'université Paris XNanterre. Spécialiste de Thomas Paine, elle s'intéresse au déisme dans la jeune République américaine et aux formes modernes d'expression religieuse aux États-Unis. Naomi Wulf est est maître de conférences à l'université Paris XIIVal de Marne. Spécialiste de la jeune République américaine et auteure d'une thèse sur la démocratie jacksonienne, elle s'intéresse plus particulièrement au libéralisme à ces débuts. Nathalie Caron et Naomi Wulf ont dirigé ensemble deux autres volumes,un numéro de la Revue Française d'Études Américaines sur « Les Lumières américaines » (n°92, mai 2002) et Nouveaux Regards sur l'Amérique : peuples, nation, société. Perspectives comparatistes (Syllepse, 2004). C'est le 14 mai 1804, à Saint Louis, au confluent du Missouri et du Mississippi, que le capitaine Meriwether Lewis et le lieutenant William Clark, âgés respectivement de 30 et 34 ans, prirent la tête du « Corps of Discovery » à bord d'un bateau à quille et de deux pirogues, pour une aventure qui allait durer vingt-huit mois. La mission de ce corps expéditionnaire composé de 45 hommes avait été officiellement définie par le président des États-Unis, Thomas Jefferson, dans une lettre d'instructions au capitaine Lewis, datée du 20 juin 18031. Il s'agissait, à des fins commerciales et politiques, de remonter le cours du Missouri puis de rechercher, à travers les Rocheuses, un passage navigable menant à l'océan Pacifique. Les explorateurs devaient dresser des cartes permettant une connaissance précise du réseau hydrographique, faire des observations scientifiques – géographiques, climatiques, botaniques, zoologiques, minéralogiques, diplomatiques et ethnologiques – et établir des contacts avec les nations indiennes qui peuplaient le territoire. Ce faisant, ils traverseraient la Louisiane, 1. « Jefferson's Instructions to Lewis », in Bernard DeVoto (ed.), Journals of Lewis and Clark, Boston, Moughton Mifflin, 1997 (1953), p. 481. « Corps of Discovery » est le nom que donnait Jefferson au corps expéditionnaire dirigé par Lewis et Clark. « Corps de découverte », « Corps de la découverte », aucune de ces deux traductions de l'expression n'est vraiment satisfaisante. Nous avons toutefois harmonisé les traductions et opté, lorsque les auteurs ont choisi de traduire, pour « Corps de la découverte », à l'instar de Corine Lesnes, dans le récit de l'expédition qu'elle a rédigé pour Le Monde, 8-14 août 2004. The Lewis and Clark Expedition vaste territoire tout nouvellement acquis par les États-Unis mais mal connu. Dans le premier récit de cette expédition menée entre mai 1804 et septembre 1806, paru en 1814, l'auteur, Nicholas Biddle, affirmait : « On the acquisition of Louisiana, in the year 1803, the attention of the government of the United States was early directed towards exploring and improving the new territory1 ». S'il est exact que l'acquisition de la Louisiane par les États-Unis ne peut être dissociée de l'expédition de Lewis et Clark commanditée par le président Jefferson, les propos de Biddle, contemporain des faits, occultent une partie de la logique géopolitique qui lia les deux événements. Biddle laisse en effet entendre que de l'acquisition de la Louisiane, achetée aux Français en 1803, découla directement l'expédition de Lewis et Clark ; or, la succession des décisions prises par Thomas Jefferson, dès son accession à la présidence en 1801, est autrement plus complexe. Comme le remarque Marie-Jeanne Rossignol, « les voyages d'exploration avaient commencé avant l'achat de la Louisiane et n'en furent donc pas une conséquence directe, même si l'acquisition de la Louisiane en facilita considérablement le déroulement2 ». Lors de cet achat, après avoir été aux mains des Espagnols, la Louisiane était depuis peu redevenue française. Vaste territoire aux frontières floues, qui s'étendait d'est en ouest du Mississippi jusqu'aux montagnes Rocheuses (et peut-être, selon certains, au-delà), et, du nord au sud, du 49e parallèle au golfe du Mexique, elle avait en effet été transmise aux Espagnols en 1762, à l'issue de la guerre de Sept Ans (1756-1763) avant d'être rétrocédée aux Français en octobre 1800. Bien que tenue secrète, l'annonce de la rétrocession finit par se répandre et c'est en mai 1801 que les dirigeants de la nouvelle république américaine, dont Thomas Jefferson, en prirent connaissance. Pour les États-Unis, la présence française à l'ouest de ses frontières représentait un obstacle à leur expansion territoriale, obstacle rendu moins abstrait en 1802 par la présence des troupes françaises à SaintDomingue à partir de janvier, et surtout par la fermeture du port de la Nouvelle-Orléans par l'intendant espagnol en octobre3. Si la menace représentée par les troupes françaises se réduisit rapidement, la fermeture du port mettait en péril le droit d'entreposer des marchandises (right of deposit) dans le port de la Nouvelle-Orléans – droit essentiel 1. 2. 3. B. DeVoto (ed.), Journals of Lewis and Clark, op. cit., p. 1. L'édition DeVoto a été établie, comme l'explique DeVoto lui-même dans la préface, à partir de la première édition des Journals, en 1904-05, par Reuben Gold Thwaites. DeVoto a par ailleurs utilisé plusieurs passages du récit de Nicholas Biddle, History of the Expedition Under the Command of Captain Lewis and Clark (Philadelphie, 1814), élaboré en collaboration ave Clark. Marie-Jeanne Rossignol, Le ferment nationaliste. Aux origines de la politique extérieure des États-Unis : 1789-1812, Paris, Belin, 1994, p. 254. Ibid., p. 245-246. Avant-propos au commerce américain à l'ouest des Appalaches –, de même qu'elle entravait la libre navigation sur le Mississippi. Dès mai 1802, les États-Unis avaient lancé des négociations auprès de Bonaparte et de son ministre du Trésor, Barbé-Marbois, afin d'acheter la NouvelleOrléans et les deux Florides. Au bout du compte, pour la modique somme de 60 millions de francs, c'est la Louisiane tout entière qu'ils obtinrent, par le traité de cession du 2 mai 1803. Suite à la cuisante défaite de Saint-Domingue, Bonaparte avait en effet décidé d'abandonner ses projets d'expansion coloniale dans l'hémisphère occidental mais il ne souhaitait pas voir la Louisiane tomber aux mains des Anglais. C'est donc dans ce contexte de négociations, alors que le territoire à l'ouest du Mississippi était encore sous contrôle espagnol, que Thomas Jefferson, dès l'automne 1802, lança son projet d'expédition vers l'Ouest. Le président, que fascinaient les voyages d'exploration, en était à son quatrième projet, les trois précédents, dont l'expédition du botaniste français André Michaux en 1792, ayant échoué1. Il souhaitait faire écho à l'expédition de l'Anglo-Canadien Alexander Mackenzie, employé de la compagnie du Nord-Ouest, qui en 1793 avait atteint le Pacifique par le nord et dont le récit de voyage avait été publié en 1801. Le but du président américain était de trouver le fameux passage du Nord-Ouest, c'est-à-dire une voie d'eau continue entre l'océan Atlantique et l'océan Pacifique qui faciliterait les échanges depuis la côte est jusqu'à l'Asie. Les objectifs de Jefferson étaient finalement multiples. Commerciaux, scientifiques, politiques, tout à la fois humanistes et expansionnistes, bref, conformes à l'esprit des Lumières, ils s'inscrivaient dans la vision jeffersonienne d'un empire républicain, « l'empire de la liberté » qu'en 1809 Jefferson appelait de ses vœux : « an empire without a center, or dominant metropolis, commente l'historien Peter Onuf. Dynamic and expansive, it would spread, diffuse, and equalize benefits through the vast system of inland waterways, improved and extended by the art of man, to its farthest reaches2 ». Cet empire, fondé sur la prolifération de républiques libres, devait englober les nations indiennes devenues des communautés républicaines sauvées de la sauvagerie puisque affranchies de la corruption britannique – « Unite yourselves with us, join in our Great Councils and form one people with us, and we shall all be Americans. You will mix with us by marriage, your blood will run in our veins and 1. 2. Alan Taylor, « Jefferson's Pacific: The Science of a Distant Empire, 1768-1811 », Douglass Seefeldt, Peter S. Onuf, Jeffrey L. Hantman (eds.), Across the Continent: Jefferson, Lewis and Clark, and the Making ofAmerica, Charlottesville/London, University of Virginia Press, 2005, p. 36-37. Peter S. Onuf, Jefferson's Empire: The Language of American Nationhood, Charlottesville/London, University Press of Virginia, 2000, p. 68-69. L'expression « empire for liberty » est utilisée par Jefferson dans une lettre à James Madison, le 27 avril 1809. The Lewis and Clark Expedition will spread with us over this great island », déclarait Jefferson à un chef indien en 18081. De façon caractéristique, toutes les expéditions menées sur le continent américain depuis la fin du XVIIIe siècle mêlaient science et commerce à des fins politiques et expansionnistes. À propos des projets d'exploration anglais, Thomas Jefferson avait d'ailleurs écrit : « They pretend it is only to promote knowledge. I am afraid they have thoughts of colonizing that quarter2 ». Lors de son propre projet, il ne fit pourtant pas autre chose : c'est au nom de la science et du commerce, aux effets pacificateurs et civilisateurs, qu'il mit en place les bases de l'empire américain. 1. 2. Ibid., p. 50-52. La citation figure p. 50. Il s'agit d'une adresse de Thomas Jefferson au Capitaine Hendrick, 21 décembre 1808. Lettre de Thomas Jefferson à George Rogers Clark, 4 décembre 1783, cité par A. Taylor, « Jefferson's Pacific: the Science of a Distant Empire, 1768-1811 », op. cit., p. 19.