Vers une nouvelle Pax Africana: construire la paix en Afrique Par

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Vers une nouvelle Pax Africana: construire la paix en Afrique Par
Vers une nouvelle Pax Africana: construire la paix en Afrique
Par Adekeye Adebajo
Article préparé pour une discussion par Web de TrustAfrica
sur “La Construction d’une Paix Durable,” septembre 2006.
I. Introduction : Construire la Paix dans une Afrique post-Guerre Froide
L’Afrique post-coloniale a traversé un âge d’extrêmes. Depuis 1960, à peu près 40 guerres
ont donné lieu à 10 millions de morts et créé plus de 10 millions de réfugiés. Ali Mazrui, le
tout premier prophète de la Pax Africana1, fut l’un des plus anciens analystes à articuler la
nécessité pour les Africains de prendre en charge la responsabilité de garder, de construire
et de consolider la paix sur leur propre continent. Kwame Nkrumah fut un visionnaire
politique des toutes premières heures qui, sans y parvenir, a poussé pour un Haut
Commandement Africain pour le maintien de la paix continentale. Les leaders africains
étaient trop occupés à tenter de transformer en nations leurs Etats nouvellement créés, leur
souveraineté étant encore trop tendre pour céder à un corps militaire supranational. Mais
avec les conflits qui continuaient de faire rage dans certaines parties du continent africain,
la nécessité d’une Pax Africana est aussi pressante aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a
quatre décennies.
La présente contribution soutient que les conflits de l’Afrique ont tant des racines
intérieures que des racines extérieures. Par conséquent, nous allons situer les causes des
conflits africains dans les structures et événements tant contemporains qu’historiques.
Nous examinons donc l’architecture évolutive de gouvernance de l’Afrique sous forme du
Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD). La contribution fait
ensuite une brève évaluation des derniers efforts dans le Processus largement décevant de
réforme des Nations Unies (ONU) en 2005 pour la mise en œuvre de trois initiatives
importantes ; la « responsabilité de protéger » et la création d’un Nouveau Conseil des
Droits Humains des Nations Unies ; la mise sur pied d’une Commission de Construction
de la Paix ; et la création et l’Organisation d’un Cadre de Reconstruction de la Paix après
les conflits au sein de l’Union Africaine (UA) / du NEPAD. Nous concluons la présentation
en offrant quatre leçons sur la construction de la paix selon les expériences post-guerre
froide de l’Afrique.
Il convient de définir brièvement ce que nous entendons par l’expression « construction de
la paix » avant de continuer. La construction de la paix est souvent associée avec la
« deuxième génération » des missions de l’ONU dans l’ère post-Guerre Froide des débuts
des années 1990 dans les endroits comme l’Angola, le Mozambique et la Somalie où des
efforts ont été faits pour adopter une approche holistique à la construction de la paix.
Aujourd’hui, les constructeurs de paix emploient non seulement des moyens
diplomatiques et militaires, mais ils se penchent aussi sur des aspects politiques, sociaux et
économiques de la société qui sort de la guerre civile dans le but de s’attaquer aux causes
profondes des conflits et de promouvoir la sécurité humaine. La construction de la paix
vise donc à aboutir non pas uniquement à la paix politique, mais à la paix sociale et le
redressement des inégalités économiques qui pourraient conduire à davantage de conflits.
De telles tâches ont impliqué: le renforcement et la réforme des services publics et du
système judiciaire; la supervision des élections; le rapatriement des réfugiés; le
développement des systèmes de réconciliation et de justice restauratrice; la surveillance et
des enquêtes dans le cadre des abus des droits humains; le désarmement et la
démobilisation des factions belligérantes; la restructuration et la réforme des forces de
sécurité ; la construction et la réparation des infrastructures ; et la mise en œuvre des
programmes de réformes foncières.i Il est donc particulièrement important de dispenser les
ressources adéquates et entreprendre une reconstruction efficace de paix, spécialement
étant donné que dans la moitié des cas de post-conflits d’après la guerre froide, les conflits
ont repris en moins de cinq ans à la suite d’une pacification inadéquate.
Le Secrétaire – Général des Nations Unies, Kofi Annan, a noté dans son rapport de 1998
sur « Les Causes du Conflit et la Promotion de la Paix Durable et du Développement
Viable en Afrique que les causes des conflits africains ont plusieurs facettes et
comprennent tant des facteurs internes que des facteurs externes ». Il a souligné le profond
effet du colonialisme et la guerre froide dans la formation du système étatique en Afrique.
Le colonialisme a créé des conditions pour un grand nombre de problèmes ethniques de
l’ère post-indépendance à travers les frontières coloniales tracées de façon arbitraire. La
guerre froide a affecté le système étatique africain en prolongeant les guerres
déstabilisatrices de libération et en créant des Etats à régimes militaires. Comme la guerre
froide se terminait, l’Ouest a abandonné les autocrates qui avaient servi comme clients
sûrs de la guerre froide. Même si l’aide étrangère qui appuyait les fondés de pouvoir de la
guerre froide était coupée, leurs réseaux commerciaux ont dû faire face à des défis
croissants en provenance des rebellions armées qui remplaçaient de plus en plus des
coups militaires comme méthode principale de remplacer les régimes en place. Les
réformes économiques mandatées par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire
International (FMI) ont davantage érodé le contrôle des autocrates africains puisque les
grèves urbaines et l’instabilité sociale accompagnaient des trous en santé et en éducation
et la suppression des subsides des gouvernements en nourriture et en carburant. Dans un
nombre croissant d’Etats, les gouvernements ne pouvaient plus exercer les fonctions
normales de l’Etat de garantir à leurs citoyens la sécurité, l’ordre et les services sociaux, et
ils ont perdu le contrôle du monopole de la violence et des bureaucraties étatiques. Les
hommes forts de l’Afrique se sont révélés comme des empereurs sans vêtements. Des
protestations de rues ont mené à des réformes multipartites de divers degrés de
transparence, tandis que les seigneurs de guerres ont dirigé des rebellions populaires à
partir de la campagne pour renverser les dinosaures de la guerre froide comme Mobutu du
Zaïre, Barre de la Somalie, et Doe du Liberia.
A côté de ces sources extérieures du conflit, les leaders de l’Afrique post-indépendance ont
aussi contribué aux conflits sur le continent. La formation des fédérations et la concession
de l’autonomie à des groupes minoritaires furent rejetées par beaucoup de constructeurs
d’Etats qui posaient comme argument que les Etats à parti unique étaient le seul moyen
d’éviter les guerres ethniques déstabilisatrices et de préserver l’unité nécessaire à la
construction de leurs nations. Le Ghana, la Guinée, la Tanzanie et le Kenya furent
quelques-uns des pionniers des premières heures de la politique de monopole. Les
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différences ethno-régionales furent également exacerbées par le népotisme et le favoritisme
dans les affectations aux postes militaires, politiques et bureaucratiques. L’Etat devint une
vache à cash que l’on doit traire pour le patronage politique. Le mensonge urbain dans les
politiques de développement créa plus tard une campagne mécontente et pleine d’une
armée prête de jeunes sans emploi qui, aujourd’hui, sont devenus la chair à canon des
seigneurs de guerres de l’Afrique.
Il est important de noter que les solutions militaires ne peuvent être que des palliatifs
passagers à des problèmes sociaux, économiques et politiques plus complexes et ayant des
racines plus profondes, problèmes que les agents de maintien de la paix peuvent stopper
mais pas résoudre. Le pouvoir militaire extérieur peut uniquement offrir des conditions
pacifiques pour travailler sur les différences entre les parties. Il sera toujours nécessaire de
construire des institutions viables pour gérer les conflits et les empêcher de devenir
violents. Les armes du faible en Afrique pourraient s’avérer être des diplomates intelligents
pour entreprendre la diplomatie préventive et négocier des accords astucieux plutôt que
des bombes intelligentes pour entreprendre une guerre humanitaire. Les acteurs de la
Société civile de l’Afrique – les regroupements féministes, les leaders religieux, les
journalistes, le monde des affaires et la communauté des intellectuels – sont donc devenus
plus directement impliqués dans les efforts de promotion de la justice sociale et de la
réconciliation nationale ; la reconstruction socio-économique ; la réintégration des enfants
– soldats dans la société ; et la collecte de l’information pour les systèmes d’alerte précoce.
Ils pourraient fournir une riche ressource pour une nouvelle Pax Africana.
La fin de la guerre froide a aussi laissé des vides de sécurité en Afrique, vides que les
organisations régionales ont tenté de combler ! Mais l’incapacité des soldats et médiateurs
africains à casser les ambitions des seigneurs de guerres locaux a souvent conduit à des
efforts de les inclure dans les accords de paix. L’apaisement des seigneurs de guerres et les
arrangements de partage de pouvoir qui ont été atteints dans les pays comme le Liberia, la
Sierra Léone, le Burundi et l’Angola se sont montrés grandement instables. Il est ainsi
important que les accords de paix ne fassent pas que simplement restaurer le status quo
ante bellum et les structures qui ont mené au conflit en premier lieu. Des institutions
inclusives doivent toujours être bâties et les défauts corrigés afin d’assurer la paix durable
en Afrique.v
2. Not yet uhuru (Pas encore d’indépendance): NEPAD, MARP, et Gouvernance
Démocratique
Beaucoup de leaders africains de l’après-guerre froide ont reconnu que le continent ne
peut pas réaliser le développement économique et la sécurité sans promouvoir la
gouvernance démocratique. En octobre 2001, les leaders africains en provenance de
l’Afrique du Sud, du Nigeria, du Sénégal et de l’Algérie ont été à la tête de la création du
Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique qui recherche l’accroissement de
l’aide de l’Occident, l’investissement et le relèvement de la dette en échange d’un système
volontaire et auto-contrôlé de revue par les pairs dans le domaine de la « bonne
gouvernance ».Le Programme Démocratie et Gouvernance du NEPAD appelle les leaders
africains à s’engager à la « bonne gouvernance » politique et économique ; à des élections
libres et justes ; et à la gestion responsable et transparente de leurs économies. Les pays
doivent également se soumettre à un Mécanisme Africain de Revue par les Pairs (MARP).
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26 pays africains ont jusqu’à présent signé pour la revue, et les missions MARP ont visité le
Ghana, le Rwanda, l’Ile Maurice, le Kenya, l’Ouganda, le Nigeria et l’Afrique du Sud. Le
travail se poursuit également avec l’Algérie, l’Egypte, le Mali, le Mozambique et le
Sénégal.
Suivant le processus du MARP, chaque pays prépare un programme national d’action
après avoir entrepris une auto-évaluation qui implique des fonctionnaires du
gouvernement, la société civile et le secteur privé. Le groupe MARP d’éminentes
personnalités soumet alors un rapport de revue du pays pour aider les gouvernements à
identifier les faiblesses institutionnelles, au niveau des politiques et des capacités, avant de
recommander des remèdes à ces défaillances. Le mécanisme de revue par les pairs a pour
finalité d’encourager les pays à adopter des politiques, des priorités et des normes
convenables pour le développement politique, économique, et l’intégration sous-régionale
et continentale à travers des expériences partagées. Le processus comprend cinq étapes :
premièrement, le groupe d’éminentes personnalités étudie la gouvernance politique,
économique et générale ainsi que l’environnement du développement des pays visés par la
revue, sur base des documents à l’appui produits par le Secrétariat du MARP en Afrique du
Sud, de même que les éléments matériels en provenance des organisations nationales,
sous-régionales et internationales ; deuxièmement, les partis politiques, les parlementaires,
le secteur privé et la société civile sont consultés ; troisièmement, le rapport de l’équipe est
préparé ; quatrièmement, le rapport est soumis pour adoption aux Chefs des Etats du
MARP ; et finalement, six mois après l’adoption du rapport, le document est examiné par
les corps régionaux-clés tels que le Parlement Pan-Africain (PPA), le Conseil de Paix et de
Sécurité (CPS) des 15 membres de l’UA ; son Conseil Economique, Social et Culturel
(ECOSOCC), et la Commission Africaine des Droits Humains et des Peuples. vii
Le NEPAD cherche à se distinguer des plans de développement du passé à travers son
insistance explicite sur la « propriété » africaine des idées et sa détermination à observer
les normes de gouvernance démocratique et les politiques du marché en échange d’un
partenariat avec les donateurs extérieurs. Mais au moment où le NEPAD est ostensiblement
un programme de l’UA, les officiels du NEPAD et de l’UA ont souvent présenté des
initiatives au gouvernement africain, aux groupes de la société civile et aux donateurs
indépendamment, ce qui crée une impression de rivalité entre les deux corps. Il y a eu des
critiques de dédoublement dans les activités des deux initiatives. Loin d’être la branche du
développement de l’UA, il y a eu des querelles acrimonieuses entre la commission de l’UA
à Addis-Abeba et le Secrétariat du NEPAD à Midrand, Afrique du Sud. La décision
d’intégrer le NEPAD dans l’UA en 2006 au plus tard ne va donc pas être une chose facile à
mettre en œuvre.
L’assistance au NEPAD a aussi manqué de se matérialiser au niveau des 64 milliards de $
US par an que les leaders africains avaient espérés, ce qui a conduit à une mise en cause à
grande échelle de l’initiative des groupes de la société civile sur le continent. L’Afrique du
Sud qui finance effectivement le Secrétariat du NEPAD est aussi de plus en plus accusée de
chercher à dominer l’initiative pour ses propres intérêts de politique étrangère. viii
Les donateurs ont souligné l’importance chez les leaders africains d’adhérer aux principes
de « bonne gouvernance » de NEPAD en vue de préserver leur soutien. Ceci a conduit à
des préoccupations sur le continent comme quoi l’initiative sera utilisée de manière
sélective par les donateurs comme une condition d’accorder l’assistance en retour pour
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punir des leaders africains particuliers que l’occident n’aime pas. Le NEPAD a également
été critiqué par les activistes de la société civile africaine comme étant un plan « de faire
tomber » par les leaders continentaux qui n’ont pas pu consulter leurs citoyens. Il a été
décrit comme un Programme néo-libéral, auto-imposé d’ajustement structurel (PAS) qui a
abandonné les objectifs de confiance en soi du Plan d’Action de Lagos (PAL) en 1980.ix
Pour jouir de la crédibilité et de la légitimité, le NEPAD doit promouvoir les droits humains
et la gouvernance démocratique ; enrayer la corruption ; construire les ponts ; réparer les
routes ; et attirer l’investissement dont l’Afrique a tant besoin pour son décollage industriel.
3. « Responsabilité de Protéger » de l’Afrique et Initiatives de Construction de la Paix de
l’ONU/UA.
Le rapport de décembre 2004 du Groupe d’Experts de Haut Niveau de l’ONU a adopté les
idées de la Commission Internationale sponsorisée par le Canada sur l’Intervention et la
Souveraineté des Etats (ICISS) relatives à la « responsabilité de protéger ». La Commission a
posé comme argument que si les gouvernements n’ont pas la volonté ou la capacité de
protéger leurs citoyens contre un danger grave, alors la communauté internationale a un
devoir de les protéger, en ignorant le principe de non-intervention pour un plus grand
objectif. Dans son document marquant « An Agenda for Peace » [un programme de Paix]
publié en 1992, le Secrétaire – Général Boutros Boutros – Ghali a soutenu avec force
l’intervention humanitaire et plaidé pour l’utilisation des arrangements régionaux de
sécurité pour alléger la lourde charge de maintien de la paix pour l’ONU. La promotion de
l’intervention humanitaire de Kofi Annan a rencontré une forte opposition de la part des
leaders africains. Ils craignent que de telles interventions ne puissent être utilisées pour
menacer leur propre souveraineté par des Etats puissants. Ceci est ironique si l’on
considère que l’Acte Constitutif de l’UA de 2000 a l’un des systèmes les plus
interventionnistes du monde dans les cas de génocide, de graves violations des droits
humains ; de changements inconstitutionnels de gouvernement ; et de situations ayant la
potentialité de conduire à une instabilité régionale.
Les efforts de créer un Conseil Onusien des Droits Humains en 2005 étaient largement
poussés par les préoccupations des USA et d’autres pays occidentaux comme quoi la
Commission des Droits Humains était inefficace et manquait de crédibilité.
Washington – qui a été largement critiqué pour les abus de droits humains à Guantanamo
Bay et à Abu Ghraib – et ses alliés favorisaient plutôt un corps élu par les deux tiers des
membres de l’ONU plutôt que par des blocs régionaux. Les gouvernements africains ont
mis en cause la nécessité d’un corps de droits humains dont les membres proviennent du
monde entier. Ils ont au contraire lancé un appel pour un organe qui ferait rapport au
Conseil Economique et Social de l’ONU (ECOSOCC). Un Conseil formé de 47 membres a
finalement émergé en avril 2006, Conseil au sein duquel les membres seraient nommés
par des blocs régionaux ; le corps va se réunir plus fréquemment que la Commission des
Droits Humains ; et les deux tiers de l’Assemblée Générale peuvent voter pour que les
pays offenseurs soient chassés du Conseil.
En rapport avec l’idée d’intervention humanitaire se trouve le concept de construction de
la paix qui, s’il est efficacement entrepris, peut aider à éviter de telles interventions à
travers la prévention non tardive des conflits. Le processus de réforme de l’ONU en 2005 a
soutenu la création d’une Commission de Construction de la Paix de même qu’un Bureau
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d’Appui à la Construction de la Paix au sein du Secrétariat de l’ONU à New York. La
Commission de Construction de la Paix vise à améliorer la planification post-conflit au
niveau de l’ONU, en mettant un accent particulier sur la création des institutions ; en
assurant le financement pendant la période entre la fin des hostilités et la convocation des
conférences des donateurs ; et en améliorant la coordination des corps onusiens et d’autres
acteurs régionaux et mondiaux clés. Cette commission va avoir une interaction tant avec le
Conseil de Sécurité des Nations Unies qui est composé de 15 membres, que son Conseil
Economique et Social, et elle va impliquer la participation des institutions financières
internationales. La Commission de Construction de la Paix est composée de 31 membres –
dont 7 en provenance de l’Afrique, avec l’Angola comme son premier président – du
Conseil de Sécurité ; l’ECOSOC ; et les plus grands contributeurs en termes de finances et
de troupes auprès de l’ONU. Le Burundi et la Sierra Léone sont les premiers cas à être
examinés depuis septembre 2006. Un fonds permanent couvrant plusieurs années et où les
contributions sont volontaires doit être créé. Suite à la pression des pays en
développement, la Commission va se pencher largement sur la reconstruction post-conflit
et non sur la prévention des conflits. Beaucoup d’Africains sont, cependant, sceptiques –
sur base des expériences de l’ONU au Rwanda, en Sierra Léone, au Liberia, et en
République Centrafricaine (RCA) – et sentent que cette Commission pourrait représenter
une nouvelle alchimie qui ne fera pas une grande différence dans la mobilisation des
ressources requises pour les efforts de reconstruction post-conflit en Afrique.
Comme l’ONU, l’Union Africaine est aussi en train de développer sa propre stratégie de
reconstruction post-conflit, en adoptant en juin 2005 un Cadre Africain de Politiques de
Reconstruction Post-Conflit.x Cette approche souligne l’interdépendance entre les aspects
sécurité, humanitaire et développement de la reconstruction de la paix. L’UA s’oppose
dans son argument à une approche où tout le monde est satisfait en même temps et
promeut par contre la « propriété » locale des processus de construction de la paix qui
sont conçus pour répondre aux circonstances spécifiques des pays chacun de son côté. Vu
que la force de l’UA comprenant 7.000 personnes (AMIS II) a eu des difficultés pour
maintenir – sans parler de construire – la paix dans la région troublée de Darfur au Soudan
depuis 2004 au milieu des problèmes politiques, financiers et logistiques, beaucoup de
gens se sont demandés si le corps pan-continental et les organisations sous-régionales en
Afrique ne devraient pas plutôt mettre en priorité la pacification et le maintien de la paix et
laisser les tâches plus coûteuses de construction de la paix à l’ONU, à la Banque Mondiale
et au FMI qui disposent de meilleures ressources et qui ont plus d’expérience. xi
4. Les leçons à en tirer: Créer un « noyau interne » du MARP et Imbiber les expériences
de la Pax West Africana.
En concluant cette contribution, il est important d’offrir quatre recommandations pratiques
pour la construction de la paix en Afrique. Les leaders africains doivent mettre en place
des voies plus efficaces de contrôler leurs responsabilités de gouvernance. Ils doivent
également tirer des leçons des efforts de construction de paix dans les sous-régions comme
l’Afrique de l’Ouest. Les héritiers de Nkrumah ont été à l’avant-garde de la construction de
la paix mondiale : l’intervention du Groupe d’Observateurs du Cessez-le-feu de la
Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (ECOMOG) au Liberia entre
1990 et 1998 fut la première action du genre par une organisation sous-régionale en
Afrique, et a représenté la première fois que l’ONU avait envoyé des observateurs
6
militaires pour soutenir une force sous-régionale déjà établie. L’intervention de l’ECOMOG
en Sierra Léone pour restaurer au pouvoir le gouvernement démocratiquement élu
d’Ahmed Tejan Kabbah en 1998 fut de la même manière, sans précédent. La CEDEAO a
lancé des interventions ultérieures en Guinée Bissau (1999) et en Côte d’Ivoire (2003).
Premièrement, un petit nombre d’Etats africains bien gouvernés devrait finalement créer un
« organe principal interne » au sein de l’UA pour fixer les limites de mandats pour les chefs
d’Etats dans les constitutions régionales et locales. L’Afrique a besoin de personnes servant
de modèles politiques et économiques. Au cours de la prochaine décennie, les leaders
africains doivent créer un mécanisme efficace de revue par les pairs qui possède des
« dents », en concevant un mécanisme pour exclure du processus de revue par les pairs les
régimes qui commettent des erreurs. Des initiatives comme le NEPAD et les protocoles de
gouvernance sous-régionaux doivent être renforcés dans la poursuite de ces objectifs. Les
leaders africains ont rejeté des régimes militaires en Côte d’Ivoire et aux Comores en 2000,
et refusé de traiter avec les putschistes militaires en Guinée-Bissau en 2003. De telles
tendances doivent continuer en ligne avec la position de l’UA contre des changements
inconstitutionnels de régime.
Deuxièmement, les gouvernements africains et la communauté internationale doivent
fournir les ressources nécessaires à la restructuration des armées nationales. Il est critique
pour la stabilité de l’avenir qu’une armée et une police réellement nationales soient créées,
construites suivant une représentation équitable sur le plan régional et celui des factions, et
jouissant de la confiance de la population. Les gouvernements post-conflit ont besoin des
forces de sécurité qui sont capables de défendre les institutions démocratiques contre les
menaces inspirées de l’intérieur et de l’extérieur. Les fautes commises dans la
restructuration de l’armée libérienne en 1997, avec Charles Taylor qui recrutait
essentiellement des combattants de l’ancienne faction de belligérants, doivent être évitées
dans l’avenir.
Troisièmement, toute stratégie post-conflit qui veut réussir doit être sous-régionale et
prendre en considération l’interconnexion des conflits en Afrique. La guerre civile du
Libéria a traversé vers la Sierra Léone, en Côte d’Ivoire et en Guinée ; les gouvernements
sous-régionaux ont soutenu diverses factions belligérantes et, chose plus importante, les
seigneurs de guerre au Liberia et en Sierra Léone se sont aidés les uns les autres. Il faut
trouver les voies et moyens pour soutenir la CEDEAO et les corps régionaux semblables en
vue de canaliser les ressources pour des projets conjoints dans les domaines du commerce
et des infrastructures, projets qui peuvent rassembler les pays afin de promouvoir la
coopération pacifique plutôt que la confrontation violente. L’établissement au Sénégal
d’un bureau des Nations Unies en 2002 pour soutenir la CEDEAO et les groupes de la
société civile est une évolution positive. D’autres bureaux de l’ONU cherchent à
promouvoir la construction de la paix dans les Grands Lacs et en Afrique Centrale, en
collaboration avec des acteurs locaux.
Finalement, les agents de maintien de la paix en Afrique de l’Ouest et dans d’autres parties
de l’Afrique doivent être fournis, sans qu’il y ait de retard, avec les ressources logistiques et
financières dont ils ont besoin si l’on veut que de telles missions atteignent leurs objectifs.
Le cas du Liberia a révélé que, si ces ressources et ces fonds sont fournis par des acteurs
externes, et s’il y a une bonne volonté chez les parties de désarmer leurs factions, même
un corps régional disposant de faibles ressources comme la CEDEAO peut réussir dans une
7
certaine mesure. Bien que les programmes aient été élaborés au Liberia et en Sierra Léone
pour fournir des emplois aux combattants démobilisés et pour les réintégrer dans leurs
communautés locales, ces emplois étaient à court terme. Les groupes de la société civile
doivent être soutenus dans le cadre des efforts de bien asseoir la paix puisqu’ils peuvent
jouer un rôle important dans la réintégration des ex-combattants dans leurs communautés
et dans la médiation en matière des querelles locales. La communauté internationale doit
creuser plus en profondeur pour augmenter les montants dérisoires consacrés aux tâches
de construction de la paix après les conflits en Afrique. En 1999, l’appel humanitaire de
l’ONU pour Kosovo a cherché 690 millions de $ US, tandis que celui en faveur de la
Sierra Léone a demandé une maigre somme de 22 millions de $ US.
Travaillant avec des institutions comme la Commission de l’ONU pour la Construction de
la Paix, les donateurs externes doivent également montrer plus de compréhension pour la
souffrance des gouvernements à court d’argent dans les pays dévastés par les guerres
civiles comme le Liberia et la Sierra Léone. Les dettes devront être pardonnées ou
sensiblement réduites – comme cela se fait déjà dans certains cas- tandis que les
restrictions de crédits et les conditions rigoureuses de l’aide doivent être relaxées pour ces
pays jusqu’à ce qu’ils récupèrent suffisamment des ravages de la guerre. Plus, et non moins
de ressources doivent toujours être trouvées pour soigner ces patients internationaux
jusqu’à leur faire recouvrer la bonne santé. Il est critique que l’occasion en or pour
construire la paix dans des pays comme la Sierra Léone, le Liberia, la République
Démocratique du Congo (DRC), le Burundi, la République Centrafricaine, et le Soudan ne
soit pas gâchée par la frugalité d’une communauté internationale indifférente et
l’insouciance des leaders africains non-démocratiques.
Dr Adekeye Adebajo est Directeur Exécutif de Centre for Conflict Resolution- CCR (Centre
pour la Résolution des Conflits) à l’Université du Cap, Afrique du Sud. Il est l’auteur de
« Building Peace in West Africa, et Liberia’s Civil War (tous deux en 2002) ; et co-rédacteur
de West Africa’s Security Challenges (2004), et A dialogue of the Deaf : Essays on Africa
and the United Nations (2006)
NOTES EXPLICATIVES
________________________________________
i
Voir Ali Mazrui, Towards a Pax Africana, (Chicago: Imprimerie de l’Université de Chicago, 1967).
Voir Boutros Boutros-Ghali, An Agenda For Peace, (New York: Nations Unies, 1992); Olara
Otunnu et Michael Doyle (Rédacteurs), Peacemaking and Peacekeeping for the New Century,
(Lanham, New York, Boulder et Oxford: Rowman and Littlefield Publishers Inc., 1998); La Banque
Mondiale, Reconstruction Post-Conflict :Le Rôle de la Banque Mondiale, (Washington D.C: La
Banque Mondiale, 1998); et I. William Zartman, Collapsed States: The Disintegration and
Restoration of Legitimate Authority, (Boulder et London: Lynne Rienner Publishers, 1995).
iii
Voir “Les Causes du Conflit et la Promotion d’une Paix Durable et du Développement Viable en
Afrique.” Rapport du Secrétaire – Général de l’ONU. 13 avril 1998, S/1998/318.
iv
Voir Centre pour la Résolution des Conflits (CCR en anglais), “Construire une Union Africaine
pour le Vingt-et-Unième Siècle : Relations avec le RECS, NEPAD et Société Civile Africaine”
Rapport de Séminaire, 20-22 août 2005. (http://ccrweb.ccr.uct.ac.za); et Musifiky Mwanasali,
ii
8
“Emerging Security Architecture in Africa,” Centre d’Etudes en Politiques, Politique: Questions et
Acteurs, vol. 7 no.4, février 2004.
v
Le présent volet emprunte à Adekeye Adebajo et Chris Landsberg, “Pax Africana dans l’Age
d’Extrêmes”, Journal Sud-Africain des Affaires Internationales, vol. 7 no. 1, « Eté 2000.
vi
Voir par exemple, Adebayo Adedeji, “From Lagos to NEPAD”, Nouveau Programme, Edition 8,
Quatrième Trimestre 2002, pp. 32-47; et International Peace Academy, “NEPAD: Initiative
Africaine, Nouveau Partenariat?”, rapport d’un Séminaire portant sur les politiques tenu à New
York, juillet 2002.
vii
Le présent paragraphe se base sur Adebayo Adedeji, “Mécanisme Africain de Revue par les Pairs
du NEPAD: Progrès et Perspectives.” Discours de circonstance lors du Séminaire du CCR la
Construction d’une Union Africaine pour le 21eme Siècle: Relations avec le RECS, NEPAD et Société
Civile, Le Cap, Afrique du Sud, 20-22 août 2005.
viii
Voir l’article plein d’inspiration produit par Chris Landsberg, “L’Afrique du Sud devrait prêter
l’attention aux Critiques Acerbes contre le NEPAD,” City Press, 12 mars 2006, p.28.
ix
Voir Patrick Bond (Rédacteur), Fanon’s Warning: A Civil Society Reader on the New Partnership
for Africa’s Development, 2ème Edition, (Trenton et Asmara: Africa World Press, 2005).
x
Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique, Cadre Politique Africain de
Reconstruction Post-Conflit, (Midrand: Secrétariat du NEPAD , juin 2005).
xi
Voir le CCR/ Rapport de conférence de Friedrich Ebert Stiftung du Séminaire de Maputo des 3 et 4
août 2006, “Perspectives Africaines sur la Commission de l’ONU pour la Construction de la Paix .”
Rapporteurs: Tim Murithi et Helen Scanlon. (Disponible à l’adresse http://ccrweb.ccr.uct.ac.za).
xii
Huitième Rapport du Secrétaire-Général sur la Mission d’Observation des Nations Unies en Sierra
Léone. 23 septembre 1999. S/1999/1003, p.5.
9