Paul Verlaine, Ariettes oubliées, VIII, in Romances sans paroles, 1874.

Transcription

Paul Verlaine, Ariettes oubliées, VIII, in Romances sans paroles, 1874.
Objet d’
d’étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours.
CORPUS DE TEXTES
Texte A : Théophile Gautier, « Le pin des Landes », in España, 1845.
Texte B : Paul Verlaine, Ariettes oubliées, VIII, in Romances sans paroles, 1874.
Texte C : José-Maria de Heredia, Les Trophées, 1893.
Texte D : Blaise Cendrars, Feuilles de route, in Au cœur du monde, éd. Au Sans Pareil, 1924.
TEXTE A
Le pin des Landes
On ne voit en passant par les Landes désertes,
Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
Surgir de l’herbe sèche et des flaques d’eaux vertes
D’autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc,
5
10
15
Car, pour lui dérober ses larmes de résine,
L’homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu’aux dépens de ceux qu’il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !
Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.
Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;
Lorsqu’il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu’il ait au coeur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d’or !
Théophile Gautier, « Le pin des Landes », in España, 1845.
TEXTE B
Dans l’interminable
Ennui de la plaine,
La neige incertaine
Luit comme du sable.
5
10
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune,
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.
Comme des nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.
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20
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.
Corneille poussive
Et vous, les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive ?
Dans l’interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.
Paul Verlaine, Ariettes oubliées, VIII, in Romances sans paroles, 1874.
TEXTE C
Brise Marine
1
L’hiver a défleuri la lande et le courtil .
Tout est mort. Sur la roche uniformément grise
Où la lame sans fin de l’Atlantique brise,
Le pétale fané pend au dernier pistil.
5
10
Et pourtant je ne sais quel arôme subtil
Exhalé de la mer jusqu’à moi par la brise,
D’un effluve si tiède emplit mon cœur qu’il grise ;
Ce souffle étrangement parfumé, d’où vient-il ?
Ah ! Je le reconnais. C’est de trois mille lieues2
Qu’il vient, de l’Ouest, là-bas où les Antilles bleues
Se pâment sous l’ardeur de l’astre occidental ;
Et j’ai, de ce récif battu du flot kymrique3,
Respiré dans le vent qu’embauma l’air natal4
La fleur jadis éclose au jardin d’Amérique.
José-Maria de Heredia, Les Trophées, 1893.
TEXTE D
Paysage
5
5
La terre est rouge
Le ciel est bleu
La végétation est d’un vert foncé
Ce paysage est cruel dur triste malgré la variété infinie des formes végétatives
Malgré la grâce penchée des palmiers et les bouquets
éclatants des grands arbres en fleurs fleurs6 de carême
Blaise Cendrars, Feuilles de route, in Au cœur du monde, éd. Au Sans Pareil, 1924.
1
Un courtil est un petit jardin clos, attenant à une maison paysanne.
Une lieue est une mesure de distance approximativement égale à quatre kilomètres.
3
Kymrique est un adjectif savant, signifiant Gallois, ou relatif au pays de Galles ou à la Bretagne.
4
José-Maria de Hérédia était né dans l’île de Cuba.
5
Feuilles de route, recueil de poèmes illustrés de dessins, a été écrit à l’occasion d’un voyage de Cendrars au Brésil.
6
La répétition du mots « fleurs » est volontaire.
2
Question sur le corpus (4 points).
Vous montrerez par quels moyens poétiques, à travers la description d’un paysage, se traduit la
volonté des auteurs de personnaliser leur regard, de dévoiler une part intime d’eux-mêmes, ou de
faire dériver leur texte vers l’expression d’une opinion personnelle. Votre réponse s’appuiera
précisément sur des relevés et des analyses de procédés d’écriture ou de versification.
Écriture : vous traiterez ensuite un seul des trois sujets suivants (16 points).
Commentaire : Vous ferez le commentaire du texte A de Théophile Gautier.
Pour les séries technologiques :
Vous pourrez, sans obligation, construire votre commentaire autour du parcours de lecture
suivant : le poète procède à une peinture très schématique, presque un croquis, de manière à faire
ressentir sensuellement ce paysage des Landes, mais il fait aussi un portrait symbolique de sa
condition d’écrivain. Vous vous appuierez pour cela sur la spécificité de la forme poétique du
sonnet, sur les procédés visant au pittoresque, sur la richesse des images, et d’autre part sur la
composition argumentative, les jeux de mots à double sens, les symboles qui humanisent le pin.
Dissertation : « La poésie doit avoir pour but la vérité pratique », disait Éluard. La poésie se doit
d’exprimer la beauté du monde, pensent beaucoup de gens.
En quoi votre expérience de lecteur vous permet-elle de trancher – ou non – entre ces deux
positions assez divergentes sur les "devoirs" de la poésie, ou d’en proposer une autre ? Vous
organiserez votre réponse argumentée en vous appuyant sur les textes du corpus, ceux que vous
avez étudiés en classe ou lus personnellement.
Écriture d’
d’invention : Vous êtes critique littéraire dans une revue et vous écrivez un article
polémique dirigé contre les prétendus poètes qui se contentent de faire des clichés sur la nature,
comme des touristes en vacances rapportent des souvenirs visuels des paysages qu’ils ont
traversés.
Votre article doit en partie s’appuyer sur des extraits du corpus, avoir une tonalité critique de
bonne tenue, et conduire à une définition engagée de l’écriture poétique.