Le choc culturel dans l`expérience d`hospitalité touristique. Une
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Le choc culturel dans l`expérience d`hospitalité touristique. Une
Session 3 - 1 Le choc culturel dans l‘expérience d‘hospitalité touristique. Une approche netnographique Auteurs : Lilia Touzani IREGE - Université de Savoie 4, chemin de Bellevue – BP 80439 74944 Annecy-Le-Vieux Cedex E-mail: [email protected] Jean-Luc Giannelloni IREGE -Université de Savoie 4, chemin de Bellevue – BP 80439 74944 Annecy-Le-Vieux Cedex E-mail: [email protected] Résumé Cette recherche appuie l‘intérêt de recourir à la méthode de la netnographie afin de mieux comprendre les perceptions et les comportements des consommateurs. Plus particulièrement, elle permet de comprendre les facteurs qui affectent l‘expérience hospitalière vécue par un touriste ayant subi un choc culturel. Dans cette perspective, de nombreux témoignages ont été collectés sur Internet et ont fait l‘objet d‘une analyse de contenu. Les résultats obtenus soutiennent la richesse de l‘information sur les déterminants du choc culturel susceptible d‘être obtenue grâce à l‘approche netnographique. Mot-clés :, choc culturel, hospitalité, expérience touristique Netnographie. Abstract This research emphasizes the opportunity to use the netnography method in order to better understand consumers‘ perceptions and behaviours. Particularly it highlights the interest to apply this method to understand factors that influence hospitality experience experienced by a tourist who has a culture shock. In this context, several testimonies and the reactions they stimulated have been gathered and a content analysis has been carried out. The findings support the richness of the information obtained throughout a netnography method on the determinants of culture shock. Keywords : culture shock, hospitality, tourism experience, netnography Session 3 - 2 Le choc culturel dans l‘expérience d‘hospitalité touristique. Une approche netnographique Cette recherche, à vocation exploratoire, a pour ambition de décrire les caractéristiques du « choc culturel » que tout un chacun peut vivre lors d‘une expérience d‘hospitalité touristique, et de tenter une première interprétation théorique des causes de ce choc. Elle se propose ainsi de faire émerger les facteurs susceptibles d'affecter négativement la perception de l‘hospitalité reçue et, par conséquent, susceptibles d‘induire un choc culturel chez le touriste. Bien que l‘expérience de choc culturel ne soit pas limitée à l‘expérience de consommation touristique1, il semble qu‘il s‘agisse néanmoins d‘un domaine particulièrement intéressant à explorer, en particulier au plan managérial, tant son importance économique s‘est accrue ces dernières années. Le tourisme international est en effet un secteur globalement en forte croissance. En 2009, année pourtant impactée par la crise mondiale, l‘organisation mondiale du tourisme (OMT) annonce 880 millions d‘arrivées, 852 milliards de dollars US de recettes d‘exportation et prévoit une reprise de la croissance en 2010 (3 à 4%)2. L‘importance de ce secteur, devenu stratégique pour nombre de pays, justifie l‘intérêt que lui prêtent de nombreuses disciplines scientifiques (géographie, économie, sociologie, anthropologie, sciences de gestion…). La recherche en comportement du consommateur s‘intéresse plus particulièrement à l‘expérience de consommation touristique (e.g. Arnould et Price, 1993 ; Ladwein, 2002) et, dans ce cadre, le travail proposé ici se focalise sur les réactions des touristes à un environnement de service international dont la complexité est accrue par des différences de culture, potentiellement sources de difficultés. En effet, « Lorsque la personne se déplace vers un autre espace culturel, ses schémas établis et acquis ne peuvent pas fonctionner aussi bien que dans son ancien environnement. Elle fait face à de nouveaux stimuli, ce qui peut provoquer un choc culturel » (Chang, 2009). Cette recherche s‘est focalisée sur les chocs liés à l‘hospitalité touristique. Lors d‘une expérience de consommation touristique, tous les éléments liés à la rencontre de l‘autre, en particulier son accueil et son hébergement ont une importance cruciale car ils se situent en début de séjour et peuvent donc largement influencer la perception de l‘ensemble de l‘expérience. Par ailleurs, si l‘on se focalise sur l‘hébergement, il a été montré que la seule hôtellerie est un élément clé de la servuction touristique par son importance économique et son impact environnemental (MKG consulting, 2007 ; APAT, 2002). De plus, un nombre croissant de clients choisit d‘aller à l‘hôtel pour vivre une expérience de bien-être (Olsen, 1999). Si l‘hospitalité reçue sur le lieu d‘hébergement est vecteur de problème, on peut penser que le bien être recherché ne sera pas vécu. Les recherches sur l‘acte d‘hospitalité dans l‘hébergement touristique semblent donc essentielles pour l‘économie touristique. Les conditions dans lesquelles l‘hébergement pose problème peuvent être d‘une double nature. D‘une part, l‘offre « tangible » peut ne pas être conforme au référentiel de qualité promis (e.g. agencement et propreté de la chambre, dysfonctionnement des équipements, prix non conforme, etc.). D‘autre part, des facteurs culturels peuvent (notamment mais pas exclusivement) rendre difficile à vivre la relation entre le personnel en contact et le client. En dépassant la dimension 1 Le choc culturel est commun dans des situations d'apprentissage de nouvelles réalités culturelles et sociales. La recherche en gestion s‘est surtout intéressée au choc culturel des salariés expatriés (e.g. Sims et Schraeder, 2004 ; Ward et Rana-Deuba, 1999 ; Church, 1982). 2 Source : http://www.unwto.org/media/news/fr/press_det.php?id=5912&idioma=F, consultation du 12 mai 2010. Session 3 - 3 « ingénierique », déshumanisée et standardisée du simple accueil, souvent oublieuse de la nature humaine de l‘hôte (Gouirand, 2008, p. 172), l‘hospitalité peut contribuer à la création d‘un climat convivial qui inhibe les confusions et les irritations dues aux différences culturelles entre l‘hôte et le client, et permet ainsi à ce dernier de mieux faire face aux situations inconnues. A l‘inverse, l‘absence d‘hospitalité peut exacerber le défaut de maîtrise des codes culturels et conduire à un sentiment de frustration et d‘anxiété difficile à vivre, que l‘on appelle choc culturel. L‘article se compose de quatre parties. La première définit brièvement et passe en revue les principales caractéristiques des concepts de choc culturel et d‘hospitalité, puis tente de montrer en quoi les deux sont théoriquement liés. La seconde présente la méthodologie utilisée, une étude netnographique, pour faire émerger des témoignages de touristes ayant subi un choc culturel. Cinq catégories d‘événements négatifs vécus lors d‘une expérience d‘hospitalité potentiellement à l‘origine d‘un choc culturel émergent: (1) les difficultés à communiquer et la barrière de la langue, (2) les différences comportementales (3) les différences culturelles, (4) un mauvais accueil et un comportement non hospitalier des autochtones et (5) la nature des relations établies avec les autochtones. La troisième partie présente et détaille le contenu de ces catégories. La quatrième et dernière partie s‘attache à identifier des pistes d‘interprétation théorique permettant de mieux comprendre le phénomène. Il semble que l‘asymétrie de pouvoir dans la relation d‘hospitalité (Gotman, 2001) ainsi qu‘une conception de l‘altérité divergente entre l‘hôte et son invité (touriste) (Urbain, 2008) soient deux angles pertinents. Une analyse des apports, des limites et des voies de recherche prometteuses conclura l‘article. 1. Le choc culturel dans l‘expérience d‘hospitalité : définitions et liens conceptuels 1.1. Le choc culturel On accorde généralement à Oberg (1960) la paternité du terme « choc culturel ». D‘essence dépressive, le choc culturel est « (…) l‘anxiété et la perturbation émotionnelle vécue par un individu confronté à deux ensembles de réalité et de conceptualisations qui se rencontrent » (Irwin, 2007, p. 1). Les symptômes d‘un choc culturel sont l‘anxiété, le sentiment d‘impuissance, l‘irritabilité et un puissant désir de retrouver un environnement plus sécurisant (Adler, 1975). Cette perte de repères et de sens est due au brouillage de multiples signes symboliques, notamment sociaux, qui peuvent être des mots, des gestes ou des expressions faciales, tels que la manière de dire bonjour ou d‘opposer un refus, par exemple. Ces signes font partie intégrante d‘un « bagage culturel » acquis essentiellement dans l‘enfance. Habitué à une certaine représentation symbolique de la réalité, l‘individu confronté à des représentations alternatives va ressentir un certain isolement, voire une perte d‘identité (Irwin, 2007, p. 1). Cette recherche se focalise sur les séjours à l‘étranger, que l‘on peut supposer être la plus grande source potentielle de choc culturel. Il est cependant possible de penser que tout décalage culturel quel qu‘il soit suffit à le provoquer. Changer d‘entreprise, fréquenter pour la première fois un grand restaurant, aller à l‘opéra, sont des situations au cours desquelles de tels chocs peuvent être vécus.. Cela a son importance car l‘on peut penser également que l‘intensité du choc va dépendre de la nature et de la durée du séjour en culture inconnue. Par rapport au séjour d‘un humanitaire ou d‘un expatrié de longue durée, voire d‘un immigrant, le choc culturel vécu par le touriste est plus court et plus intense. Il est généralement moins préparé que ceux qui partent pour une durée longue et, surtout, il n‘a pas le temps de mettre en œuvre de mécanismes de défense ou de Session 3 - 4 résilience3. Selon la nature du voyage, le touriste s‘attend à vivre une expérience positive, voire extraordinaire, et vivre un choc culturel va donc lui être d‘autant plus douloureux. Celui-ci peut se manifester de diverses manières, y compris par anticipation (e.g. peur de prendre l‘avion, peur d‘avoir oublié quelque chose chez soi, etc.). Dans tous les cas, sa nature émotionnelle va se traduire par des manifestations psychosomatiques potentiellement désagréables (perte du sommeil et/ou de l‘appétit, transpiration intempestive, peur, angoisse, frustration, colère, et envie de rentrer chez soi sur le champ) (Black et al., 1999 ; Winkelman, 1994). Il a même parfois été qualifié de maladie (Khols, 1979). Si les symptômes du choc culturel se manifestent généralement lors de la phase initiale du voyage, il y a une certaine variabilité inter-individuelle dans son origine et sa durée (Marx, 1999). Les manifestations ci-dessus évoquées se traduisent diversement en termes de comportements. Une méfiance excessive vis à vis de l‘alimentation et de l'eau potable conduit à ne pas profiter des multiples trésors d‘une gastronomie locale par trop exotique. La peur d‘être harcelé, voire volé, conduit à éviter toute interférence avec la population locale (Furnham, 1993). Dans tous les cas, le choc culturel est un processus, et non un événement discret, généralement lié à des événements et des circonstances inattendues et peu familières (Pedersen, 1994). Aujourd‘hui, le terme est souvent utilisé pour exprimer les difficultés rencontrées lors d'une visite d‘un pays étranger en tant que touriste (Furnham et Bochner, 1986 ; Wearing, 2001). Ce qui précède ne doit pas laisser penser que tout touriste se déplaçant à l‘étranger va inévitablement subir un choc culturel. Des facteurs personnels, environnementaux et situationnels vont interagir pour, parfois, provoquer ce choc. Dans ce cas, le catalyseur peut bien sûr être lié à des caractéristiques tangibles du séjour (e.g. la configuration des lieux d‘aisance, la lecture des panneaux indicateurs), mais il est plus probablement davantage lié à la rencontre initiale avec « l‘autre », fut-elle indirecte4. Les conditions de l‘organisation de l‘hospitalité du touriste sont donc vitales pour éviter ou au moins retarder le choc, s‘il doit se produire. 1.2. L‘hospitalité, source de chocs culturels en tourisme Les définitions de l‘hospitalité sont nombreuses et difficiles à synthétiser car issues de plusieurs horizons disciplinaires et culturels. Les anglo-saxons sont généralement attachés à sa dimension tangible, articulée autour de la fourniture du gîte et du couvert, tout en soulignant l‘importance de l‘interaction hôte-invité dans la relation d‘hospitalité (Lashley, 2000 ; Brotherton, 1999). L‘école française insiste davantage sur la dimension sociale, strictement codifiée et nécessairement temporaire de l‘hospitalité (Montandon, 2004 ; Gotman, 2001). En guise de synthèse, et en s‘inspirant de Hepple, Kipps et Thomson (1990), elle peut être définie ici comme une « interaction sociale temporaire consistant à accueillir chez-soi un étranger et à lui offrir sécurité, confort matériel et bien être psychologique pour le temps de son séjour ». On a suggéré ailleurs d‘en retenir la dimension relationnelle, interpersonnelle et ritualisée, impliquant un échange de valeur fondée sur des éléments tangibles et intangibles (Cova et Giannelloni, 2008). Si l‘hospitalité est un cadre d‘analyse s‘appliquant à des situations de rencontre très diverses au triple niveau micro-, meso- et macro-social (e.g. rendez-vous d‘affaires, services publics, immigration), son intérêt dans le contexte de la servuction touristique est immédiat. Elle est même « l‘un des critères déterminants de l‘attractivité des lieux » (Viard, 2000, p. 120). Pour autant, ses codes sont délicats à interpréter dans un contexte interculturel car chaque société, 3 Oberg (1960) décrit un schéma en quatre étapes : « lune de miel », crise, guérison, ajustement. Les deux dernières semblent clairement relever d‘un processus de résilience. 4 L‘un des auteurs a expérimenté une arrivée de nuit à l‘aéroport de Louxor. Parler de choc serait exagéré mais le nombre d‘hommes en uniforme, armés et aux mines peu avenantes n‘est pas rassurant pour autant. Session 3 - 5 chaque culture, a développé sa propre approche de l‘hospitalité. Si l‘on accepte l‘idée que l‘Odyssé d‘Homère est le premier traité formalisé sur l‘hospitalité, on comprend que la codification de cette dernière plonge des racines très profondes dans l‘histoire de chaque société. D‘abord prescription religieuse imposée et obligation collective, l‘hospitalité est devenue, à l‘issue d‘un long processus d‘évolution, affaire de choix individuel (Gotman, 2001, p. 14). Rendue nécessaire par le développement des échanges économiques, donc des voyages, au fil des siècles, l‘apparition d‘une hospitalité marchande structurée explique en grande partie cette évolution. Il n‘en reste pas moins que certaines cultures, sociétés ou micro-sociétés gardent encore aujourd‘hui une réputation d‘hospitalité à laquelle leurs membres restent particulièrement attachés. En tourisme, le processus d‘hospitalité démarre avec l‘accueil du voyageur. Celui-ci est en double situation de vulnérabilité. D‘abord, il n‘est plus chez lui et le « chez-soi » est « construit physiquement, psychologiquement et socialement dans des formes à la fois réelles et idéales » (Sommerville, 1997, p. 226) pour procurer un sentiment de protection et de familiarité, « dans l‘intimité avec soi-même » (Le Scouarnec, 2007, p. 90). Mais, a contrario, un « besoin d‘ailleurs » a poussé le voyageur à quitter son chez-soi pour aller à la recherche de quelque chose (Gouirand, 2008, p. 20). Si cet ailleurs ne correspond pas à ses attentes, le voyageur se retrouve déstabilisé et vulnérable, situation que l‘on peut supposer propice au choc culturel. Il semble donc essentiel que l‘hôte, quel qu‘il soit, crée un environnement et un climat susceptibles d‘éliminer toutes les sources de confusion, voire d‘irritation, liées aux différences culturelles. En effet, les étrangers « (…) sont inconnus, extérieurs, de passage, non conformes, décalés, dérangeants, insolites (…) ; par eux le scandale risque d‘arriver » (Cinotti, 2008). Évidemment, les sources de confusion évoquées ne sont pas limitées à l‘accueil. Elles peuvent émerger à tout moment de la relation hôte-invité. Par ailleurs, s‘agissant d‘une relation, les touristes comprennent rarement que leurs hôtes peuvent également être déstabilisés par leurs manières et de nombreuses situations peuvent ainsi dégénérer parce que les deux protagonistes n‘ont pas perçu leurs angoisses respectives à l‘égard de l‘autre (Gouirand, 2008, p. 29). En d‘autres termes l‘insatisfaction ou les frustrations suscitées par l‘hospitalité touristique sont directement liées aux relations interpersonnelles. Lever ces angoisses, et ainsi faciliter l‘adaptation culturelle, implique, de part et d‘autre, de posséder des connaissances sur les habitudes de l‘autre et de faire preuve d‘ouverture d‘esprit à l‘égard des différences constatées. De ce point de vue, l‘hospitalité paraît être un déterminant de l‘adaptation culturelle. D‘un point de vue managérial, il semble ainsi intéressant de pouvoir proposer aux acteurs du tourisme un inventaire des dimensions de la relation d‘hospitalité sur lesquelles cette incompréhension peut advenir. On peut imaginer qu‘une meilleure formation des personnels en contact en résulterait. Ceci posé, il reste à identifier ces dimensions. C‘est l‘objet du terrain de cette recherche, dont la méthodologie est maintenant exposée. 2. Méthodologie de la recherche Le choix s‘est porté sur une approche netnographique. La netnographie présente l‘avantage de permettre l‘accès à des discussions de consommateurs par l'observation et/ou de participer à des communications sur les forums en ligne accessibles au public (Kozinets, 2010). Il s‘agit d‘une méthode simple, rapide, peu coûteuse et moins intrusive que plusieurs autres méthodes qualitatives (Kozinets, 2002). Ainsi, 8 forums de discussions, 5 blogs de voyageurs et 3 carnets de voyages ont permis de collecter différents témoignages de touristes décrivant un choc culturel subi au cours de leur Session 3 - 6 voyage. Parmi les forums de discussion fréquentés, on trouve par exemple www.tripadvisor.com, www.ciao.fr ou www.voyageforum.fr. Ce sont des guides de voyage gratuits sur lesquels les internautes peuvent échanger plusieurs informations concernant leurs expériences de voyages dans différentes destinations visitées dans le monde entier. Les discussions sur les forums de voyages rassemblent généralement 5 à 10 participants. Sur un même forum de discussion ou dans un même carnet de voyage, il est possible de trouver 4 ou 5 discussions portant sur le choc culturel. Cependant, le pays dans lequel le choc culturel a eu lieu diffère d‘un sujet à un autre. Nous avons ainsi collecté 160 témoignages de touristes de différentes nationalités (Belges, Suisses, Français, Canadiens, Marocains…). Outre les témoignages en français, des témoignages en anglais et en arabe ont été mobilisés. Ces derniers ont été traduits en français pour les besoins de l'analyse de contenu. Tous ces messages ont été répertoriés au fur et à mesure sur NVIvo (version 8) et ont fait l‘objet d‘une analyse thématique. L‘analyse a permis d‘apporter des éclairages au niveau des principaux thèmes et de découper le corpus en unités d‘enregistrement. Les thèmes obtenus ont été codifiés, résumés et classés selon leur similitude. Afin de garder l‘anonymat des informants, nous n‘avons utilisé que leur pseudonyme ou leur prénom pour reprendre leurs témoignages. La plupart des internautes divulguent rarement des informations personnelles sur le web tels que leur vrai prénom, leur nom de famille ou leur âge. « Cet anonymat offert par le réseau (qui est une limite à la méthode d'une manière générale) permet aux adeptes d'un objet de consommation sensible (illégal, socialement honteux, etc.) de s'exprimer plus librement qu'ils ne le feraient dans l'espace réel » (Bernard, 2004, p. 54). La netnographie permet d'accéder à des témoignages de touristes ayant vécu une expérience marquante lors de leur voyage. Ainsi, l‘anonymat leur permet de mieux s‘exprimer et de divulguer certaines expériences intimes qu‘ils n‘oseraient peut-être pas dévoiler dans la vie réelle. Kozinets (1997) recommande de révéler la présence du chercheur à la communauté virtuelle mais aussi son affiliation et ses intentions. Il doit également leur donner un feedback des résultats de sa recherche. Cette recommandation a fait l‘objet de beaucoup de critiques (Paccagnella,1997 ; Elliott et Jankel-Elliott, 2003 ; Langer et Beckman, 2005). En effet, la présence du chercheur peut biaiser les résultats et influencer les réponses du chercheur. Elle peut également susciter certains blocages de la part des répondants. Les demandes d'aide sont souvent mal prises par les internautes (Maclaren et Catterall, 2002). En outre, la divulgation de la présence du chercheur ou la prise de contact avec les membres de la communauté afin d'obtenir leur permission d'utiliser les témoignages comme suggéré par Kozinets (1997) affaiblirait l'un des principaux avantages et points forts de la netnographie, à savoir sa discrétion. En effet plusieurs chercheurs préfèrent s‘engager dans « la spirale du silence » pour une meilleure neutralité des résultats (Langer et Beckman, 2005). Ainsi, afin de ne pas biaiser les résultats, exposés ci-après, le choix de l‘anonymat a été fait pour cette recherche. 3. Les résultats Suite à l‘analyse de contenu, quatre éléments constitutifs de l‘hospitalité touristique susceptibles d‘affecter l‘expérience touristique et d‘être à l‘origine d‘un choc culturel ont pu être identifiés. Il s‘agit (1) des difficultés à communiquer et de la barrière de la langue, (2) des différences culturelles, (3) du comportement inhospitalier, voire hostile, des autochtones et (4) des manières de gérer les relations établies avec les autochtones. 3.1. La barrière de la langue et la difficulté à communiquer Session 3 - 7 L‘absence de communication possible, due à la non maîtrise de la langue de l‘autre, n‘est pas un facteur de choc en tant que tel. Mais elle empêche l‘interaction qui permettrait aux acteurs de comprendre la source du malentendu et de résoudre le problème. Elle influence également le comportement du touriste et peut être source d‘erreurs à l‘origine d‘un choc. Le touriste qui ne parvient pas à communiquer et à se faire comprendre se sent vite désorienté, comme en atteste ce témoignage : « la vie au Japon est incroyablement différente. Peut-être est-ce dû au fait que je ne parle que peu japonais et ainsi qu‘un certain nombre d‘informations passent tout prés de mes oreilles sans y entrer, me laissant souvent perplexe. » (Izo, Japon)5. Au travers de ce témoignage, on comprend que la personne, par défaut d‘information, s‘est probablement auto-censurée en matière de comportement. De fait, elle est probablement passée à côté d‘opportunités de découvertes qui auraient enrichi son séjour. Le ton ne laisse pas penser à un rejet des différences évoquées, mais au regret de ne pas avoir pu les comprendre mieux. La problématique de la barrière linguistique est intuitive pour les destinations culturellement (et souvent géographiquement) éloignées. Paradoxalement, la même situation peut se produire dans des pays auxquels on ne penserait pas a priori. Sur le Québec, par exemple, une touriste déclare : « Avant d‘aller à Montréal, je pensais que c‘était un endroit francophone et je me suis rendu compte que ce n‘était pas un pays francophone. (…). Ils utilisent des mots du vieux français et donc c‘est incompréhensible pour moi. Les Québécois parlent mal l‘anglais et c‘est mal perçu de parler une autre langue que le français. J‘ai eu un blocage par rapport à la langue, étant donné que leur français était incompréhensible. (…) Je n‘arrivais pas à communiquer là-bas et je ne pouvais même pas communiquer en Anglais » (Fatoumata, Canada). La frustration semble plus importante que dans le cas précédent, voire suggère un rejet de la destination par la personne. On peut penser que la source de cette frustration est liée à un décalage entre la représentation initiale du Canada francophone et la réalité vécue sur place, provoquant ainsi une « altération substantielle du songe de l‘idéal » (Urbain, 2008, p. 34). Ainsi, la langue parlée par les autochtones affecte beaucoup l‘hospitalité perçue. Contrairement au « voyageur »6, le touriste, dans la grande majorité des cas, ne fera pas l‘effort d‘apprendre la langue parlée par ses hôtes. Lorsque ceux-ci ne font pas l‘effort inverse, le contact ne peut s‘établir et le touriste reste dans une sorte de solitude propice à l‘anxiété caractéristique du choc culturel (Chang, 2009). Ces difficultés de communication sont un thème récurrent dans la littérature relative au choc culturel. Elles peuvent prendre plusieurs formes. Il s‘agit par exemple de la manière de juger les propos d‘une personne, de l‘emploi de certaines structures grammaticales, de certains dialectes linguistiques non standards, de certaines dénotations ou connotations et de certains modes de discussion. Mélangées à la fatigue, à la surprise et aux efforts de compréhension qu‘exigent le voyage, les différences de langage verbal ou non-verbal engendrent un stress psychologique qui peut être déroutant (Soldevila, 1998). Des situations parfaitement banales comme le fait de commander un repas, faire du shopping, ou même utiliser les toilettes peuvent devenir des obstacles insurmontables (Furnham et Bochner, 1982). 3.2. Les différences culturelles Définir la culture est complexe. On peut la considérer comme un ensemble évolutif de valeurs, de normes, d‘institutions, de traditions, de symboles et d‘artefacts (Moutinho, 1987) partagés au 5 Pour chaque citation, le prénom et/ou le pseudonyme de l‘informant et la destination ou l‘expérience a eu lieu sont donnés entre parenthèses. 6 Sorte d‘idéal-type auquel tout touriste se compare, le touriste « con-kodak » du commissaire San Antonio étant nécessairement « l‘autre » (Urbain, 2002, pp. 59-63). Session 3 - 8 sein d‘un groupe humain homogène et constitutifs d‘une société distincte (Rocher, 1992, p. 105). Les cultures humaines se comptent en milliers « à travers des modes extraordinairement diversifiés de sociétés et de civilisations » (Lévi-Strauss, 1987, p. 11). Les manifestations des différences culturelles sont nombreuses. Deux situations, l‘une liée à des différences de valeurs et de normes, l‘autre à des différences de traditions, seront illustrées ici. Les différences culturelles influencent les comportements et les choix des touristes (Ng, Lee et Soutar, 2007). Une touriste témoigne ainsi de ce qu‘elle a vécu au Japon : « A un certain moment on perd complètement tous nos repères habituels. Tellement, les Japonais sont polis, on ne sait plus comment se comporter avec eux. On a l‘impression d‘être impoli face à ces gens là. On doit toujours se contrôler, contrôler nos propos. Ça crée un malaise tellement on doit se surveiller pour être à leur niveau. » (Emna, Japon). Cette touriste est confrontée à un décalage important entre la valeur que les sociétés japonaise et française accordent à la politesse. Confuse, elle a le sentiment que quoi qu‘elle fasse ou dise, elle sera toujours considérée comme impolie par ses hôtes. Cela la met dans une situation d‘inconfort qui, à la longue, peut déboucher sur un sentiment d‘isolement et d‘impuissance, caractéristiques du choc. La distance sur d‘autres valeurs de base peut également rapidement devenir problématique : « les Japonais et les occidentaux ont une des idées très divergentes sur des concepts de base, tel que la vie, la mort, la place de l'individu dans la société, l'éducation, les relations etc. ... et ce n'est pas si facile comme certains pourraient penser à assimiler, comprendre et accepter » (Dohkoj, Japon). Face à ces différences culturelles, le voyageur est en état de stress jusqu'à ce qu'il ait eu le temps de développer une grille de lecture du comportement social et culturel de la population locale qui puisse lui permettre d‘y répondre correctement. Malheureusement, le séjour touristique est souvent trop court pour avoir le temps de développer ces schémas d‘adaptation. Deux stratégies d‘adaptation sont possibles : se préparer avant le départ en recherchant de l‘information ou choisir une destination culturellement proche de son pays d‘origine (Ng, Lee et Soutar, 2007). Les habitudes et traditions culinaires sont parmi les facteurs culturels sources de choc les plus évoqués par les touristes. Ceux-ci peuvent éviter tout contact avec l‘autochtone mais ne peuvent se dispenser de manger et de boire. Ainsi : « La nourriture, quoi qu'on commandait, tout était jaunâtre et avait la même saveur. Ça en devenait flippant » (Ginette, Thaïlande). Un « voyage raté » a souvent pour origine une intolérance psychologique voire physique à la nourriture locale. Excepté les relations sexuelles, manger est la relation la plus intime que l‘on puisse avoir avec l‘autre. Le principe d‘incorporation fait que l‘on s‘expose de l‘intérieur aux « dangers de l‘ailleurs ». Sauf en cas de nourriture avariée, ce danger est purement imaginaire dans la mesure où « la séparation du mangeable et du non mangeable est purement culturelle » (Urbain, 2008, p. 367). Une solution est bien évidemment la standardisation et l‘industrialisation de la cuisine au plan international. Outre qu‘elle permet d‘une part « d‘esquiver l‘épreuve de la différence » (Urbain, 2008, p. 366), de riches traditions locales finissent par disparaître faute d‘ingrédients appropriés7. Les habitudes vestimentaires peuvent également être source d‘inconfort, qu‘elles soient dictées par des normes religieuses ou non : « Toutes les femmes sont voilées là-bas. Cela m‘a donc un peu dérangée parce que je ne porte pas le voile et donc je faisais l‘exception et cela m‘a beaucoup dérangée. » (Rubi, Lybie). Le schéma est ici différent. Ce qui pose problème à cette touriste est le regard que l‘on porte sur elle (ou qu‘elle imagine que l‘on porte sur elle). Elle aurait pu résoudre le problème facilement en s‘habillant de manière à se rendre « invisible », comme ces voyageurs québécois en Inde qui revêtent pantalons, chemises amples, dhotis ou 7 Normes européennes obligent, trouver en Savoie un vrai Vacherin des Bauges (fromage) relève aujourd‘hui de l‘exploit alors que sa présence à la table des Ducs de Savoie était déjà établie au moyen-âge. Session 3 - 9 longis locaux, tout en restant bien conscients « qu‘il ne s‘agit que d‘un rôle, d‘une manière d‘être temporaire, incarné le temps d‘un plus ou moins bref séjour » (Rajotte, 2008, pp. 118-119). Manifestement, Rubi n‘a pas souhaité franchir le pas. 3.3. Le comportement inhospitalier voire hostile des autochtones Parfois, l‘hôte peut être inhospitalier, arrogant, voire hostile et xénophobe ce qui peut évidemment altérer le déroulement du voyage. Par exemple, certaines personnes vivant dans les grandes villes telles que Paris ou Londres deviennent non accueillantes, assez agressives voire même xénophobes, pendant la haute saison touristique (Furnham, 1984). Les touristes sont considérés par les autochtones comme des intrus, étranges ou décalés, ce qui suscite en eux un sentiment de méfiance et conduit à des réactions typiques de manque de courtoisie, voire d'agression. Un témoignage relatif à l‘Iran illustre cette situation : « Ici, nous ne sommes que des clowns ambulants et personne ne respecte notre fatigue et nos besoins primaires (simplement boire de l‘eau ou même dormir au chaud). Même si nous respectons les coutumes du pays, les hommes et les femmes rigolent de notre condition de cyclistes et les prix sont multipliés par 10 parce que nous sommes des « touristes occidentaux » comme ils disent. L‘échange d‘idées avec un « occidental » ne semble intéresser que les intellectuels… et inutile de vous dire comme ils sont peu nombreux sur les routes de campagne » (Nomadno, Iran). Ce comportement inhospitalier, voire méprisant, des iraniens rencontrés, contraire à la représentation que l‘on peut avoir de l‘hospitalité moyen-orientale en général, est d‘autant plus choquant que la personne a l‘impression d‘avoir fait le premier pas en respectant les coutumes du pays. Les représentations que les hôtes se font des touristes jouent également. Ici, les iraniens se comportent d‘une manière conforme à la représentation qu‘ils peuvent avoir du touriste occidental, nécessairement riche. Le vélo, moyen de déplacement du pauvre, est donc au mieux sujet de moquerie sinon de mépris et les échanges se font sur la base de tarifs d‘autant plus opportunistes que le commerce est peu encadré et le touriste peu susceptible de se plaindre. Pourtant, un comportement hospitalier fait clairement partie de l‘expérience du voyage, telle que l‘attendent les touristes. Son absence engendre une frustration évidente : « Les Marocains sont très renfermés. Ils ne sont pas ouverts. Ils ne sont pas du tout accueillants. J‘ai rien appris de nouveau au Maroc. Déjà de un je pense qu‘ils n‘aiment pas les noirs. Peut être que si j‘avais été blanche j‘aurais vécu une expérience un peu différente… Je suis rentrée plus tôt et je n‘ai pas pu rester trop longtemps au Maroc » (Zainabou, Maroc). Ici, le comportement de réponse est à la hauteur de la frustration éprouvée : un retour anticipé ! Le touriste arrive souvent « porteur [du] désir d‘être désiré » et « veut que celui qui l‘accueille éprouve du plaisir à le recevoir et le montre » (Gouirand, 1996, p. 137). Au mieux, il ne récolte souvent que de l‘indifférence, parfois habilement masquée par une amabilité artificielle résultant d‘une formation « industrielle » à l‘accueil. Le remède est dans ce cas presque pire que le mal pour le touriste en mal d‘authenticité dans la découverte de l‘autre. Lorsque cette indifférence devient de l‘hostilité, éventuellement teintée de racisme, c‘est d‘autant plus insupportable. 3.5. La nature des relations établies avec les autochtones Session 3 - 10 Le touriste est amené à vivre des relations interpersonnelles avec le personnel en contact des prestataires de services8 mais aussi parfois avec des « anonymes » habitant le pays. Ces relations peuvent influencer son expérience du voyage et peuvent avoir un impact sur l‘hospitalité perçue, sachant que les spécificités et les attentes par rapport aux relations hôte-touriste varient selon les cultures (Heuman, 2004). Ces décalages peuvent être d‘une telle ampleur que « la mésentente culturelle provoque des discordes violentes » (Urbain, 2008). Pour autant, on peut supposer que les relations établies avec des autochtones « neutres » (i.e. désintéressés au plan commercial) faciliteront l‘ajustement aux variables culturelles sources de stress. Malgré cela, les choses ne sont pas toujours faciles : « il n‘est pas facile d‘établir des relations avec des Américains. On ne devient pas facilement ami avec eux. Vous discutez pendant une heure avec une personne vous la voyez le lendemain elle ne vous dit même pas bonjour. Ce côté là des Américains m‘a vraiment choqué » (Sarah, USA). Cette personne a été surprise par le décalage dans les codes sociaux gérant les rapports entre personnes. Pour l‘américaine, et l‘on se gardera bien de généraliser, passer une heure avec quelqu‘un ne semble pas suffisant pour la « connaître » et n‘implique manifestement pas qu‘on la « reconnaisse » ultérieurement. A l‘inverse, lorsque les relations établies sont bonnes, la personne peut s‘ouvrir sur la culture de ses hôtes :« J‘ai passé trois jours dans une maison d‘une famille japonaise, ils étaient très gentils et très hospitaliers. Ils ont fait beaucoup d‘efforts pour m‘accueillir. J‘ai beaucoup apprécié ce qu‘ils ont fait ! » (Emna, Japon). Ainsi, les relations interpersonnelles établies par cette personne lui ont permis, très transitoirement, de se sentir intégrée et de s‘ouvrir sur une culture différente de la sienne. Parce que les interactions interculturelles sont souvent difficiles à gérer, donc stressantes, de nombreux touristes optent pour des voyages où le contact établi avec les autochtones est limité. Ils choisissent de rester dans l‘hôtel où le personnel parle leur langue et anticipe avec précision leurs besoins (Ward et al, 2001). En se réfugiant dans un « non lieu » au sens d‘Augé (1992), ils cèdent ainsi à leur peur de l‘ailleurs. Difficultés de communication, différences culturelles, problèmes relationnels sont autant de sources potentielles de chocs culturels lors d‘une expérience d‘hospitalité touristique. Comment peut-on interpréter, au plan théorique, ces difficultés ? C‘est l‘objet de la discussion qui suit. 4. Discussion La partie précédente, finalement, a mis en évidence quelques symptômes du choc culturel. Mais quelle en est l‘étiologie ? Sans prétention à la complétude, cette discussion tentera de répondre à la question en portant sur trois points : l‘asymétrie de « pouvoir » dans la relation hôte-invité, le rôle de la conception de l‘altérité chez les protagonistes et l‘influence de l‘ethnocentrisme sur cette conception. 4.1. Asymétrie de la relation hôte-invité Si l‘hospitalité est une valeur de « partage du chez soi » (Ricoeur, 1998), « une manière de vivre ensemble, qui commence par laisser entrer l‘autre chez soi » (Montandon, 2004), ce n‘est pas pour autant que l‘autre est chez lui. « Faites comme chez vous ! » est l‘invitation paradoxale que fait celui qui accueille son invité. Paradoxale au sens où, évidemment, l‘hôte s‘attend à ce que l‘invité n‘en fasse rien. L‘hospitalité se construit ainsi autour de règles et de rites de cohabitation, qui définissent un rapport de pouvoir asymétrique. Comme le montre Gotman (2001, p. 57) au 8 Qui n‘est pas nécessairement autochtone, ce qui peut ajouter à la confusion. C‘est le cas en Corse où très peu de personnes en contact direct avec les touristes sont réellement Corses, en raison du décalage entre la taille de la population et les besoins en personnel générés par l‘afflux massif de visiteurs (environ 3 millions annuellement pour une population de 300 000 personnes environ). On retrouve le même phénomène dans les stations de ski en saison d‘hiver. Session 3 - 11 travers de l‘exemple du Horsain, ce rite peut commencer bien avant l‘accueil effectif dans l‘espace d‘hospitalité et peut être très déstabilisant pour l‘invité9. Ce pouvoir est en faveur de l‘hôte car, étant chez lui, c‘est lui qui dicte les règles (Pitt-Rivers, 1957). A défaut, l‘invité pourrait s‘installer, faisant ainsi cesser l‘hospitalité. En effet, si l‘on admet que le « chez-soi » et le « soi » de l‘hôte sont inextricablement liés (Cova et Giannelloni, 2010), l‘autre n‘est plus autre mais devient une partie du soi de l‘hôte dès lors qu‘il fait partie intégrante de la « maisonnée ». Le rituel d‘hospitalité est complexe, même lorsque hôte et invité partagent a priori les mêmes codes culturels. Une relation d‘hospitalité commence par de la méfiance d‘un côté et de l‘appréhension de l‘autre (Gotman, 2001, p. 61). On peut comprendre qu‘un touriste arrivant en pays inconnu éprouve davantage que de l‘appréhension, d‘autant plus que la méfiance peut parfaitement être masquée par un accueil chaleureux, ce que le verbatim d‘Emna sur la politesse des japonais rencontrés illustre assez bien. Mais c‘est à l‘accueilli de déchiffrer une règle rarement explicite en se montrant, dans un premier temps, respectueux des goûts locaux et en acceptant ce qu‘on lui offre. Ce faisant, il fait honneur à son hôte et fait ainsi un premier pas vers l‘acceptation (Gotman 2001, p. 97). Faire ce premier pas dans la situation d‘infériorité qui est la sienne impose au touriste de reconnaître l‘autre pour ce qu‘il est. Faute de quoi, il reste dans un monde qui est le sien, géré par ses propres règles, et n‘accède ainsi pas réellement à l‘hospitalité. C‘est bien la question de l‘altérité et sa gestion par le touriste qui est posée ici. 4.2. Définition et gestion de l‘altérité La question de l‘altérité ne sera qu‘effleurée, tant la nature et « le rapport à l‘Autre, en tant que phénomène ne se laisse pas enfermer dans des catégories simples » (Licata et Sanchez-Mazas, 2005, p. 10). Cela étant, sa conception de l‘altérité va être au cœur des attitudes et des comportements du touriste pendant toute la durée de son expérience. Comme l‘écrit Urbain (2008, pp. 34-42, 66-113, 350-358), le choc culturel éprouvé par le touriste est largement lié à une perte de sens face au monde auquel il est confronté. C‘est un concept « fort relatif » car il est fonction de la personne, de ses attentes, de sa culture, de son expérience, de son caractère, de sa situation, de la conjoncture, du contexte et de sa disposition d‘esprit. Pour Urbain, le touriste sujet au choc est une « victime active de type psychorigide », « impuissant à imaginer l‘autre et le niant dans sa différence », à l‘image d‘un Robinson Crusoé acharné à reproduire ailleurs la société d‘où il vient et se comportant avec Vendredi comme un « exterminateur d‘altérité » dans une « affirmation impérialiste de soi face à l‘autre ». Si l‘autre se rebelle et n‘accepte pas cette domination, on comprend que le choc en soit d‘autant plus violent, comme l‘illustre la réaction des Iraniens face à un touriste qu‘ils se représentent comme riche mais qui « joue » au pauvre en roulant à vélo. Mais qu‘est-ce que « l‘autre », qu‘est-ce que « l‘altérité » ? La notion d‘altérité est indissociable du débat philosophique sur l‘autonomie morale et la capacité qu‘à l‘homme à assumer ses responsabilités de manière choisie ou non. Il s‘agit de reconnaître l‘autre dans sa différence et ainsi assumer les responsabilités imposées par la relation sociale que cela engendre. L‘altérité ne se conçoit donc pas en dehors des réflexions sur la reconnaissance dans le cadre des théories sur le lien social. Elle est ainsi une « propriété qui s‘élabore au sein d‘une relation sociale et autour d‘une différence » (Jodelet, 2005, p. 26). Est autre « qui n‘est pas la même personne ou la même chose » dit Le Littré10. Aucune différence ne pouvant être analysée dans l‘absolu, l‘altérité ne peut donc être abordée que dans une réflexion dialectique avec l‘identité. Pour Augé (1994, p. 84), toute définition identitaire passe d‘abord par 9 Alexandre Bernard (1988), Le Horsain. Vivre et survivre en pays de Caux, Coll. Terre Humaine, Paris, Plon. 10 http://francois.gannaz.free.fr/Littre/xmlittre.php?requete=autre ; consultation du 24 septembre 2010 Session 3 - 12 une réflexion sur l‘altérité. Collectivement, la « mise en altérité » résulte d‘un processus construit autour des représentations sociales de la différence dès lors que celle-ci est perçue comme une menace pour l‘identité du groupe. « L‘ignorance de ce qu‘est l‘autre » est largement présente dans ce processus (Jodelet, 2005, p. 44). Dans le contexte du tourisme, Urbain (2008, p. 357) emprunte à Watzlawick (1988, p. 50) une conception duale de l‘altérité : « Le monde est peuplé de deux sortes de gens : ceux qui pensent qu‘il existe deux sortes de gens et ceux qui ne le pensent pas ». En ce sens, reconnaître l‘altérité c‘est admettre que la diversité des cultures et des hommes implique l‘existence d‘un abîme entre soi et l‘autre. Pour d‘autres, partisans de l‘universel humain, les différences sont relatives et s‘observent par comparaison au soi. Ces derniers sont potentiellement davantage exposés au choc. Leur « impuissance à imaginer l‘autre » (Urbain, 2008, p. 354) autrement que comme un autre soi les amène souvent, ethnocentrisme aidant, à considérer l‘autre comme un soi primitif. Fatoumata, pour qui les Québécois parlent un « vieux français » (et non pas le Québécois) illustre ce cas. Mais les premiers ne sont pas pour autant à l‘abri des chocs. Peu cherchent à réellement être intégrés en adoptant les comportements autochtones, jusqu‘aux plus intimes11, décrits par Rajotte (2008, p. 118). La plupart, incapables de franchir ce pas, s‘accrochent à leur interprétation du réel et renoncent à tout projet de contact avec une « altérité impénétrable » (Urbain, 2008, pp. 357-358). Pour D‘Hauteserre (2009), « Les touristes ne recherchent pas une véritable altérité, mais plutôt la possibilité de flirter avec son mystère romantique dont la mise en scène est agencée de façon régulière ». Par « crainte de ce qui se situe au-delà » de l‘altérité, ils « sont partagés entre quête de l‘authentique et construction de soi dans des conditions protégées, même si elles sont artificielles ». Dans le cadre d‘une hospitalité marchande, il semble donc important que tout soit organisé pour que le touriste soit initialement le moins en contact possible avec les formes extrêmes que peut prendre l‘altérité et que cette rencontre se fasse progressivement, quitte à ce que l‘altérité en question soit faussement « authentique », pour correspondre du mieux possible aux représentations stéréotypées et aux capacités d‘adaptation des touristes12. Cela étant, l‘interaction entre la conception de l‘altérité du touriste et son ethnocentrisme semble de nature à influencer ses comportements. 4.3. Rôle de l‘ethnocentrisme L‘ethnocentrisme est défini comme un « penchant universel des individus à considérer leur propre groupe social comme le centre de l‘univers, à interpréter d‘autres groupes sociaux à l‘aune de leur propre groupe et à rejeter les individus culturellement différents » (Shimp et Sharma, 1987, p. 280). Le concept a des racines évolutionnistes : l‘ethnocentrisme se serait développé par sélection adaptative en amenant à se méfier « naturellement » de tout ce qui est « autre » au groupe d‘appartenance (Jahoda, 2005, pp. 62-63). Placé en situation inattendue, l‘individu a tendance à rejeter les formes culturelles éloignées de celles auxquelles il s‘identifie (Lévi-Strauss, 1987, p. 19). Cet ancrage évolutionniste incite à penser que la tendance à l‘ethnocentrisme peut être variable d‘un individu à l‘autre mais n‘est jamais totalement absente. 11 Comment manger et s‘accommoder de l‘absence de papier hygiénique aux toilettes (quand il y a des toilettes) ? Réponse : nous avons deux mains… 12 Par exemple, les occidentaux ont la représentation d‘une cuisine orientale épicée et souhaitent la déouvrir en se rendant sur place (e.g. Egypte, Liban, Syrie, Jordanie…). Mais ce qui est servi aux touristes relève de « l‘hyperréalité » en étant beaucoup moins épicé que ce que mangent les autochtones, car la plupart des gosiers occidentaux ne sont pas préparés à la « real thing ». Session 3 - 13 Le touriste fortement ethnocentrique va avoir d‘autant plus de mal à reconnaître l‘altérité. Au contraire, il l‘assimilera à une forme dévalorisée ou « retardée » de lui-même par des expressions telles que « ils ont cinquante ans de retard ». Cet ethnocentrisme, dans ses formes extrêmes, se mue en peur de l‘autre, qui paralyse. L‘autre, également ethnocentrique, peut interpréter cette peur comme de l‘arrogance. Le dialogue, fondamental dans la relation d‘hospitalité, est alors irrémédiablement compromis. L‘un des deux doit faire l‘effort d‘aller vers l‘autre. Dans un contexte d‘hospitalité marchande, c‘est bien sûr l‘hôte qui doit aller vers son client en personnalisant son accueil et en se mettant sur un plan d‘égalité interpersonnelle afin « d‘accepter les différences et les valoriser » (Gouirand, 2008, p. 44). Conclusion Cette recherche se proposait d‘étudier le concept de choc culturel dans un contexte d‘expérience d‘hospitalité touristique. Les recherches sur le choc culturel traitent, pour la plupart, du cas des salariés expatriés. Le sujet a été peu abordé en marketing, ce qui explique le caractère exploratoire de ce travail. Les résultats de l‘étude empirique suggèrent qu‘il existe une relation entre le choc culturel et l‘hospitalité touristique, au sens où celle-ci peut être source de choc. La barrière communicationnelle, les différences culturelles et la relation avec les autochtones s‘avèrent, dans le discours des informants, être les éléments de la relation d‘hospitalité les plus souvent associés à l‘idée de choc. Ces résultats convergent partiellement avec la littérature qui voit dans la communication, le rapport au temps et la nourriture les trois points de rencontre obligatoires avec l‘hôte. Apports Une tentative d‘interprétation théorique a mobilisé les concepts d‘asymétrie de la relation hôteinvité, d‘altérité et d‘ethnocentrisme. Les deux derniers apparaissent fortement explicatifs du choc culturel, au sens où un touriste fortement ethnocentrique aura du mal à reconnaître l‘autre pour ce qu‘il est et s‘engagera donc d‘autant moins dans des comportements adaptatifs, tel que l‘acquisition de connaissances sur le pays de destination. Il sera en situation de faiblesse dans sa relation avec ses hôtes qui, eux-mêmes influencés par leur propre ethnocentrisme, auront tendance à abuser de l‘asymétrie évoquée, par exemple, en imposant des prestations commerciales non prévues initialement (Urbain, 2008, p. 360). Limites et voies de recherche Ce travail a deux limites. La première est empirique. La netnographie a de nombreux avantages, mais a peiné, en tout cas ici, à faire émerger des discours riches et construits de la part des informants. Le rapport au temps, par exemple, n‘est pas apparu dans les discours des informants alors qu‘il est évoqué par Urbain comme cause potentielle de voyage raté (Urbain, 2008, p. 365). La nature du sujet, très personnel (il s‘agit d‘évoquer ce qui peut être perçu comme un échec ou au moins une situation de faiblesse), et ses racines culturelles laissent penser qu‘il serait intéressant de procéder à des interviews en profondeur, voire à des récits de vie. Au plan théorique, seconde limite, il serait probablement riche de creuser davantage qu‘il n‘a été possible de le faire ici les racines anthropologiques du choc culturel en tourisme. L‘interprétation en termes d‘altérité et d‘ethnocentrisme méritera d‘être précisée et affinée. La référence à d‘autres concepts, liés à l‘ethnocentrisme, et relevant davantage de la psychologie (style de temps, tolérance à l‘ambiguïté, aversion au risque) mériterait également d‘être fouillée. Session 3 - 14 Références Adler Peter S. (1975), ―The transitional experience: An alternative view of culture shock‖. Journal of Humanistic Psychology, Vol. 15, n°4, pp. 13-23. APAT (2002), Tourist accommodation EU eco-label award scheme – Final Report, Italian National Agency for the Protection of the Environment and for Technical Services, Rome, http://www.apat.gov.it/certificazioni/site/_contentfiles/01378500/1378592_TouristAccomo dation_1StActivityReport_Rev1.1, consultation du 7 avril 2008. Arnould Eric J. et Linda L. Price (1993), « River Magic': Hedonic Consumption and the Extended Service Encounter », Journal of Consumer Research, Vol.20, n° 1, pp.24-45. Augé Marc (1992), Non-lieux. 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