Guillaume de machaut le grand astre de la période médiévale
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Guillaume de machaut le grand astre de la période médiévale
Guillaume de Machaut Le grand astre de la période médiévale par FRANCIS ALBOU, professeur agrégé de musicologie Un authentique champenois Nul ne connaît avec certitude le lieu de naissance de Guillaume de Machaut (1300-1377). On suppose que sa famille est originaire du village de Machaut, non loin de Reims, où une plaque erronée des Monuments Historiques s’obstine à indiquer la sépulture du compositeur dans l’église du lieu. Il est plus probable que le musicien poète ait été enseveli quelque part dans la cathédrale. Machaut a acquis ses savoirs dans les écoles de Reims. A vingt quatre ans, il entre au service du roi Jean de Luxembourg dont les états s’étendent jusqu’en Bohême. Il restera son secrétaire particulier et son ami, jusqu’à la mort héroïque de celui-ci à la bataille de Crécy (1346) dans laquelle il s’engagea pourtant avec bravoure malgré sa cécité. Un voyageur invétéré Durant cette période très active, Machaut se rend dans tous les coins d’Europe : Chypre, Alexandrie, Italie mais également Prusse, Silésie, Pologne et, bien sûr Prague, capitale des états de Bohême… Il traverse indemne ces territoires - ainsi que son siècle - pourtant dévasté par la terrible peste bubonique de 1348 qui anéantit un tiers de la population européenne. C’est au cours de ces pérégrinations qu’il apporte partout l’art polyphonique français, et plus particulièrement celui de l’Ile de France donc, de la Champagne… Hors ces régions privilégiées, terres d’élection du gothique, il faut savoir qu’à cette période la musique polyphonique n’existe pas, du moins sous sa forme écrite et organisée. Ce n’est pas rien que l’Europe musicale soit fille de la polyphonie de l’Ile de France, là ou naquit le gothique !... Ce n’est pas rien que l’Europe musicale soit fille de la polyphonie de l’Ile de France, là où naquit le gothique !... A la mort du roi Jean, Machaut se retire à Reims après avoir été quelques temps au service de sa fille Bonne de Luxembourg. Il se retire à Reims où ses revenus de chanoine lui permettent de vivre très confortablement. Là, il continue de se livrer à ses trois activités favorites, la musique, la poésie et la chasse. p 1/2 Un rémois amoureux C’est alors qu’il reçoit une lettre enflammée de l’une de ses admiratrices, une noble donzelle d’Armentières nommée Péronne. Bien qu’il la mette en garde en se disant « vieux, borgne et goutteux», une idylle s’épanouit entre eux. Machaut lui écrit des lettres enflammées dans lesquelles il explique, commente, détaille sa démarche créatrice. Ces considérations et remarques sont riches de précieux détails pour l’exécution de sa musique. Outre ses lettres, il consigne ses réflexions dans un ouvrage fameux de 9000 vers, le « Veoir Dit » qu’il adresse bien sûr à Péronne. C’est probablement dans ces années 1360 qu’il compose sa « Messe Notre Dame », sans doute sa plus célèbre partition et pourtant l’une des moins caractéristiques de sa muse. Nul ne sait aujourd’hui avec certitude pour quelle circonstance il l’écrivit… Mais à Reims, on jasait sur cette idylle insolite… Péronne se maria en 1365 et Machaut continua à mener son existence paisiblement, rue d’Anjou, tout en supervisant avec une extrême attention les éditions enluminées de son œuvre dont pas un ouvrage ne manque. Il s‘éteignit à l’âge de 77 ans, un âge tout à fait exceptionnel au XIVe siècle où l’espérance de vie était à peine de moitié. On suppose que son corps fut déposé, avec celui de son frère, chanoine lui aussi, près de l’emplacement de l’actuel orgue de chœur mais les sévices de la Première Guerre Mondiale ont eu raison de ces précieuses reliques. Une œuvre gigantesque et prophétique Son œuvre musicale compte 141 opus répartis en 23 motets, 21 rondeaux, 19 lais, 33 virelais, 42 ballades, 1 hoquet et une messe à quatre voix. A cette somme il faut bien sûr joindre la totalité de l’œuvre poétique !... Comme tous les grands maîtres, Machaut jette les bases de la musique à venir, tout en magnifiant celle du passé. « Et si est des musiciens Meilleurs assez et plus sciens En la vieille et nouvelle forge Que Musique qui les chants forge. » écrit-il dans « Le Veoir Dit »… A la manière des trouvères, son œuvre oscille encore entre la monodie et la polyphonie. En effet, dans ses motets, il est possible d’isoler une des trois voix et de l’exécuter séparément, comme une chanson de Jaufré Rudel ou Adam de la Halle… Tantôt, la mélodie se déploie fluide, simple, cantabile, tantôt elle se meut, heurtée, tranchante, tout à fait dans le style à la mode des nouvelletés de l’Ars Nova. Ici, les durées s’étalent avec noblesse, ailleurs, la course aux petites valeurs de notes est engagée… Mais rien n’est jamais systématique, voire excessif, et l’art triomphe dans tous les cas, même là où l’audace semble mener le discours… comme par exemple dans cet essai savant, le téméraire motet à 3 voix, « Ma fin est mon commencement, et mon commencement ma fin » où la seconde partie de la composition est la lecture strictement inverse et rétrograde de la première… cela, bien avant Bach et Webern ! Flâneries Musicales 2011 / tous droits réservés p 2/2