De la marche à pied considérée comme un des

Transcription

De la marche à pied considérée comme un des
De la marche à pied
considérée comme un des beaux-arts
> Une conférence + un atelier
"Pratiques d'espace" à l'Ecole nationale des beaux-arts du Mans, février-mars 2005. Etudiants de 1°année propédeutique et de 3°année DNAP Design.
A l'invitation de Jean-Louis Raymond, artiste-enseignant, j'ai proposé aux étudiants de l'école des beaux-arts du Mans deux ateliers
inscrits dans la programmation "pratiques d'espaces", sous l'intitulé "De la marche à pied considérée comme un des beaux-arts".
Pour la première session de février, je me suis rendu au Mans à pied, depuis Paris, soit 200 kilomètres parcourus en 6 jours.
Cette session de deux jours comprenait une conférence sur le motif pédestre dans l'histoire des représentations, suivi d'une reconstitution à variantes de la pièce pour télévision de Samuel Beckett, "Quad".
Pour la seconde session de 4 jours en mars 2005, j’ai pris le TGV (1heure). J’ai invité les étudiants à tirer parti d'une marche collective de
deux jours suivant le tracé du contour administratif de la ville du Mans, pour déployer une série d'actes de représentation ou d'intervention
artistiques in situ, en relation avec les problématiques d'identification du paysage péri-urbain ou encore avec le geste déambulatoire entendu
comme "acte de déplacement".
Première session, du 9 au 11 février 2005.
Conférence : "De la marche à pied considérée comme un des beaux-arts"
Durée : 1 jour
Au delà d'une fonction motrice exclusive à l'homme, on peut commencer à considérer la marche à pied comme un des beaux-arts dès
lors qu'on reconnaît dans l'érection bipède des premiers hominidés l'origine de la techné (libération des membres antérieurs pour la saisie et
le maniement d'outils), et qu'on appréhende le motif de "l'homme qui marche" comme une permanence symbolique et un outil épistémologique dans l'histoire des représentations.
Débutant sur les aspects anthropomorphiques et paléontologiques de la bipédie, la première partie de la conférence étudie les avatars
picturaux et conceptuels de "l'homme qui marche" dans l'évolution des représentations, non seulement du point de vue de l'histoire de l'art,
de la philosophie et de la littérature, mais aussi dans ses relations à l'invention du paysage en Occident et aux pratiques sociales (religieuses,
politiques ou touristiques) de la marche à pied.
La seconde partie de la conférence montre comment le 20° siècle de la modernité et des avant-gardes fait passer la marche à pied
d'une posture symbolique à un geste impliqué, de diverses manières, dans des actes ou des processus artistiques : le flâneur baudelairien
devient dériveur, l'artiste de Land-art investit la nature, et les artistes nomades de la fin du 20° siècècle font du territoire social, politique ou
simplement géographique leur terrain de jeu.
Atelier : Autour du "Quad" de Samuel Beckett
Durée : 1 jour
Quad, pièce pour télévision de Samuel Beckett, est, comme le dit Gilles Deleuze dans son texte "l'épuisé", une façon d'épuiser le possible en épuisant toutes les trajectoires d'un quadrilatère et de ses diagonales, effectuées par quatre interprètes dans un jeu combinatoire
épuisant toutes les configurations de solos, duos, trios et quator possibles.
Après une séance d'échauffement, de sensibilisation aux mécanismes de transfert de poids impliqués dans la marche, et d'exercices
collectifs d'écoute rythmique et spatiale, je propose aux étudiants diverses modalités de reconstitution de cette oeuvre, en variant les vitesses,
le nombre d'interprètes et les états de corps.
Seconde session, du 22 au 25 mars 2005.
Marche : la lisière du Mans
Tandis que la métropole étend ses archipels périurbains jusqu’à rendre de plus
en plus indécidables les notions de centre et de périphérie, une ligne décidée, fixée, et
cependant virtuelle, demeure nécessaire à l’identification d’une ville : son contour administratif.
A l’exception notable de Paris, que la ligne « dure » du périphérique (ultime avatar
du mur d’enceinte) circonscrit inéluctablement, la ligne de contour des métropoles contemporaines ne se manifeste plus sur le territoire, et ne s’emprunte plus comme parcours :
elle ne fonde pas de lieu. Dans un paysage périurbain mélangé, diffus, où s’agglomèrent
en archipels des « zones » pavillonnaires, commerciales, industrielles, rurales…, passe une
ligne théorique, le plus souvent imperceptible en tant que telle, même au moment de
son franchissement, qui n’établit plus aucune rupture ou frontière sensible entre l’espace
urbain et l’espace rural : on peut parler d'une lisière des villes : un intervalle variable entre
son contour administratif et les lignes changeantes où se manifestent, comme objets
matériels, comme itinéraires, comme perceptions ou représentations, les fins de l’espace
urbain.
Parcourir la lisière de la ville à pied, c’est produire en acte une expérience de sa
dé-finition : faire le tour d’une circonscription qui perd ses bords. C’est redonner, par la
fréquentation collective d’espaces périphériques délaissés une forme concrète à la notion
de passage, non plus en tant que franchissement d’une limite, mais en tant qu’expérience
du glissement, de la marge.
La lisière de la ville se déploie donc dans l’écart entre, d’un côté, la ligne fixe et
décidée du contour administratif et de l’autre un trait fouillé et vibratile, faisceau de
représentations et d’expériences : ligne de notre itinéraire, lignes de rupture ou de transition paysagère, sociales, économiques, lignes d’indices signalétiques, lignes d’écriture,
lignes sonores, lignes d’actions…
C’est cet ensemble de lignes sensibles, et l’écart qu’elles ouvrent par rapport à la
notion abstraite de limite que je propose d’expérimenter, de représenter et/ou de produire au cours de la marche. J’invite les étudiants à se concentrer, seuls ou en petits groupes, sur une ligne de leur choix et à utiliser les outils adéquats pour en rendre compte ou
pour la manifester.
Ligne d’itinéraire : le chemin que nous allons parcourir, son tracé, ses errements, sa
distance relative à la ligne de contour administratif, sa prévision sur la carte et son report.
Les outils impliqués dans ce travail peuvent être la carte, le dessin ou l’écriture, ainsi que
tout moyen de manifester sur le territoire cette ligne de parcours comme frontière expérimentée (ligne de peinture, signalisation, déposition d’indices…)
Ligne de paysage : au moyen d’appareils photo ou de caméras, il s’agit de relever,
de représenter ou d’inventer le paysage en tant que s’y manifeste une transition, une
rupture, une sensation de fin ou de limite, un état de lisière.
Ligne de récit : le récit de l’itinéraire, ses accidents, ses événements, ses rencontres,
ses surprises peut être raconté sous forme de carnet de bord ou d’enregistrement sonore.
Il s’élabore dans l’instant, au fur et à mesure de la marche, en mobilisant le maximum de
cette attention flottante propre à la dérive et en incluant toutes les informations lues,
vues, ou entendues au cours de la marche.
Ligne sonore : un parcours sonore peut être produit en tant que paysage pur, ou
rapporté à d’autres lignes comme celles du récit ou du paysage visuel.
Ligne de signes : La ville se constitue et se donne à lire comme un ensemble de
signes, d’informations, d’injonctions, d’interdits, de commentaires, de pictogrammes…
Une ligne de signes consisterait à repérer l’ensemble des signes qui occupent, écrivent
ou « chiffrent » cette lisière. Il peut s’agir également de produire et d’installer des signes
sur la lisière afin de la manifester en tant que telle ou de l’informer de façon poétique,
décalée, critique…
Outre ces lignes qui relèvent plutôt de la représentation, des lignes d’action
seront envisagées ensemble, autour des notions d’usage, de comportement, de corps, de
mobilité…
atelier en école d'art
Mathieu Bouvier

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