Dossier - Les initiatives énergétiques pour sauver l`Afrique
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Dossier - Les initiatives énergétiques pour sauver l`Afrique
Dossier - Les initiatives énergétiques pour sauver l’Afrique L’Afrique subsaharienne représente une terra incognita à éclairer en priorité pour des raisons humanistes évidentes. Sur 940 millions d’habitants : 620 millions n’ont pas accès à l’électricité et 730 millions dépendent de l’usage du bois pour la cuisine. [1] Dans le même temps le continent noir connait un dynamisme économique et démographique qui laisse entrevoir un avenir brillant. L’Energie africaine se trouve donc au carrefour d’enjeux politique, économique et stratégique. Aux côtés des grandes puissances, les Africains entendent de plus en plus prendre eux-mêmes leur destin en main. Nous vous proposons dans cet article un tour d’horizon des initiatives qui ambitionnent de sortir l’Afrique noire de l’obscurité, en découvrant les initiatives européennes, américaines et africaines. L’initiative européenne : Africa-EU Energy Partnership Origine et objectifs En 2010, les commissions de l’Union Européenne et l’Union Africaine lancent l’Africa-EU Energy Partnership (AEEP). Les deux organisations continentales s’engagent à développer des actions communes pour contribuer à la réalisation des objectifs suivants à l’horizon 2020 [2] : - Accès à l’Energie : Permettre l’accès à l’électricité de 100 Millions d’Africains supplémentaires - Sécurité énergétique : o Doubler la capacité d’interconnexion électrique intra-africaine et avec l’Europe o Doubler l’usage du gaz naturel et les exportations de gaz vers l’Europe - Energies renouvelables et Efficacité énergétique : o puissance hydroélectrique supplémentaire : 10 GW o puissance éolienne supplémentaire : 10 GW o puissance solaire supplémentaire : 0,5 GW o Tripler la capacité installée dans les autres Energies renouvelables (EnR) Mécanisme d’action L’AEEP souhaite instaurer un dialogue régulier entre les différents acteurs de la scène énergétique africaine et favoriser ainsi les synergies. Gouvernements, Industriels, Investisseurs, Experts, Universitaires, ONG et Société Civile sont réunis à l’occasion de forums réguliers de portée nationale, régionale ou panafricaine ; notamment en 2012 : - 1st AEEP Stake-holders forum au Cap en Afrique du Sud - 4th African Rift Geothermal Conference à Nairobi De plus, des missions de conseils sont menées au profit d’Etats africains et d’organisations sous-régionales. La CEDEAO et la République d’Afrique du Sud, ont bénéficié du support de l’UE pour la définition de leurs politiques EnR et Electrification Rurale, respectivement. [3] 1 © 2015 Copyright AfroCaribe Energy – Marcus Brochant Point d’avancement Si l’AEEP n’a pas vocation à être une caisse de financement direct des projets énergétiques africains, elle est se pose en facilitateur. Par exemple : L’UE a investi 30 Millions d’Euros pour des forages exploratoires dans le cadre du projet géothermique dans la Vallée du Rift (Afrique de l’Est). Cela a permis la validation d’un jalon technique et de rassurer les investisseurs privés pour la suite du projet. Une 1ère évaluation des progrès sur le terrain a été réalisée en 2014. [4] Même si l’avancement est relativement modéré sur la période 2010-2012, selon l’organisation la plupart des objectifs devraient être atteints voire dépassés vu l’échéance prochaine des projets en cours. On note que l’atteinte des objectifs EnR solaires et éoliens repose essentiellement sur la réussite des projets IPP (Independent Power Producer) marocains et sud-africains, illustration de la grande disparité des avancées sur le continent. L’AEEP reconnait un manque de fiabilité des données disponibles et s’est engagée à mesurer plus précisément, d’une part la contribution financière des pays de l’UE aux projets (montages financiers complexes) et les progrès énergétiques des pays Africains (AEEP Power Project Database). Perspective Par l’action de l’AEEP, l’Union Européenne apporte une aide discrète mais bien réelle au continent africain. La mise à disposition de son expertise, la facilitation des financements et l’animation du débat énergétique sont ses principaux moyens d’action. Ils permettent à l’UE d’assurer sa position d’influence sur la scène énergétique africaine, notamment dans le domaine des EnR. L’UE investit environ 1 Milliard USD par an dans le secteur énergétique en Afrique (moyenne 2010-2012). L’initiative américaine : Power Africa Origine et objectifs Alors que le partenariat Europe-Afrique s’établit essentiellement au niveau institutionnel, l’initiative américaine est elle incarnée par un homme, charismatique s’il en est : le président Barack Obama. Tel un objectif de conquête, le slogan « POWER AFRICA » sonne comme un défi pour l’Amérique. Avec l’objectif long-terme de doubler l’accès à l’électricité en Afrique subsaharienne, six pays ont été identifiés et des cibles à 5 ans ont été fixées [5] : - Augmenter la capacité installée de 30 GW, avec des moyens de productions plus propres et plus efficaces (La capacité actuelle est de 90 GW selon l’IEA). Permettre l’accès à l’électricité de 60 millions de foyers et d’entreprises, avec notamment des solutions décentralisées (mini-grid et off-grid). 2 © 2015 Copyright AfroCaribe Energy – Marcus Brochant Mécanisme d’action Le plan américain est piloté par USAID. L’agence chargée de l’aide au développement international coordonne l’action d’une douzaine d’agences qui apportent un support juridique, financier et technique aux porteurs de projets. Les six pays cibles (Le Ghana, le Liberia, le Nigeria, l’Ethiopie, le Kenya et la Tanzanie) ont signés des accords bilatéraux avec les EtatsUnis. Ces Memoranda of Understanding prévoient contre un engagement à développer les infrastructures et à réformer le secteur énergétique, le soutien financier des Etats-Unis [6]. Par exemple : Power Africa cite comme « fait d’armes » la privatisation en 2013 de la Power Holding Company of Nigeria et son découpage en 6 sociétés de production, 1 transporteur et 11 distributeurs. [7] On note cependant que le processus de privatisation avait été engagé depuis 2005 par les Nigérians eux-mêmes. [8] D’un point de vue du financement, le programme comprend 7 Milliards USD de la part du secteur public américain. Cette avance qui doit être intégralement remboursée, a permis de lever 20 Milliards USD du secteur privé, principalement américain. Les soutiens financiers s’étendent au-delà du cercle américain : des accords ont été conclus avec la Banque mondiale (5Milliards USD), la Banque africaine de Développement (3 Milliards USD), la Suède (1 Milliards USD) et l’Union Européenne (3 Milliards USD). Au total, les Etats-Unis déclarent avoir mobilisé 32 Milliards USD sous diverses formes (subventions, prêts, garanties financières). Les pays sélectionnés comme tête de pont de l’entreprise américaine en terre africaine, ont des liens économiques forts avec les Etats-Unis ou à défaut une croissance soutenue comme l’Ethiopie. Ils concentrent 40% des personnes sans accès à l’électricité en Afrique sub-saharienne. [9] Point d’avancement et futur D’un point de vue des « MW supplémentaires signés », deux ans après son lancement, Power Africa annonce avoir contribué à + 4100 MW : - 1600 MW correspondent à la construction de moyens nouveaux dont : o la centrale géothermique de Cobetti en Ethiopie (+ 500MW, 1er Independent Power Producer d’Ethiopie) o la plus grande ferme éolienne d’Afrique de l’Ouest au Sénégal (+152MW) o le projet gas-to-power au Ghana (+ 1000 MW) [9]. - 2500MW en 2018, sont escomptés de l’amélioration de la disponibilité des capacités nigérianes déjà existantes et récemment privatisées Dans les cartons, Power Africa s’avance sur une prévision de 16 000MW supplémentaires. Il est important de prendre du recul par rapport aux chiffres annoncés car du fait de montages financiers complexes, il est rare qu’un acteur soit seul responsable de l’augmentation de capacité de production. Par exemple : Dans le cas des +2500MW nigérians, ni la contribution des sociétés privées ellesmêmes, ni celle des éventuels autres bailleurs de fond ne sont mis en exergue par Power Africa. 3 © 2015 Copyright AfroCaribe Energy – Marcus Brochant Perspective Au-delà du verbe et du style, le programme américain se distingue également par des objectifs ambitieux et l’importance des moyens financiers annoncés. Cependant, les débuts du programme montrent des résultats timides en termes de MW installés ce qui fait naitre les 1ères critiques. [11] Celles-ci sont aussi nourries par le fait qu’USAID a pour vocation essentielle de faire travailler les entreprises américaines. Ainsi, les filières technologiques promotionnées participent de la stratégie industrielle des Etats-Unis et non des intérêts de l’Afrique. [12] Les EnR décentralisées (Beyond the grid) et l’exploitation du gaz (Cycles combinés, terminaux méthaniers flottants) sont pour l’instant privilégiés au détriment de l’hydroélectricité de barrage. [13] En effet, les Etats-Unis s’appuient sur les forces et stratégies de leurs fleurons industriels. Par exemple : General Electric, leader mondial de la turbine à gaz, a co-organisé sur le continent le Power Africa Off-grid challenge. Avec Power Africa, les Etats-Unis entendent amener plus d’électricité aux citoyens africains, mais surtout augmenter leur part de marché tout à fait marginale sur le continent. [14]Les partenariats conclus avec le NEPAD (Union Africaine), l’ONU (SE4ALL) et l’Union Européenne, montrent qu’à défaut d’être sacrés rapidement MVP (Most Valuable Player), ils devront jouer en équipe avec le camp occidental. Les initiatives africaines On ne saurait parler des initiatives pour « sauver l’Afrique », sans évoquer les actions entreprises par les Africains eux-mêmes. En effet, les engagements politiques mais aussi ceux provenant de la sphère privée se multiplient, signe de la popularité croissante de cette cause dans l’opinion publique. L’Union Africaine : PIDA et fond NEPAD-IPPF Origine et objectifs A l’orée du 21ième siècle, les dissensions et blocages internes avaient fini d’achever l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). De ses cendres naitront dans les années 20012002 l’Union Africaine, nouvelle organisation continentale, et le NEPAD, son agence technique chargée d’accélérer le développement de l’Afrique. [15] Mécanisme d’action Dix ans après sa création, l’Union Africaine se dote d’un plan stratégique nommé PIDA : Programme pour le Développement des Infrastructures en Afrique avec l’ambition de [16] : Interconnecter, Intégrer et Transformer un continent Le PIDA définit les investissements prioritaires à réaliser dans les quatre secteurs stratégiques Energie, Eau, Transports et Télécommunications d’ici 2020 et 2040. L’objectif général est de créer la Communauté Economique Africaine. Avec 15 projets prioritaires, 40 Milliards USD d’investissement, soit 60% de la somme des investissements prévus, le 4 © 2015 Copyright AfroCaribe Energy – Marcus Brochant secteur de l’Energie, représente le secteur le plus important. Le plan se concentre sur les interconnexions électriques et hydrocarbures ainsi que les grands barrages hydroélectriques. L’Union Africaine ne finance pas directement les projets mais s’est dotée d’une plate-forme qui subventionne les études de faisabilité des projets : Infrastructure Project Preparation Facility. Le fond NEPAD-IPPF est piloté par la Commission de l’UA, le NEPAD et la Banque Africaine de Développement et travaille avec les quatre Communautés Economiques Régionales [17]. Le financement des projets proprement dit doit être réalisé par les grands bailleurs de fond internationaux. Point d’avancement Le fond totalise 100 Millions USD et a déboursé 40% de la somme disponible. De 2004 à 2014, 21 subventions pour des études de faisabilité ont été approuvées [18]: - Etudes réalisées : Le fond a déboursé 4 Millions USD pour les études de 9 projets qui sont aujourd’hui réalisés. L’investissement aval s’élève à 5 Milliards USD. 4 autres projets sont en cours de réalisation. - Etudes en cours : 8 études sont en cours pour une subvention totale de 16 Millions USD. Le niveau d’investissement généré n’est que de 5 Milliards USD contre les 40 Milliards USD d’ici 2020 reconnus nécessaires par l’UA. Le rythme d’investissement est donc nettement inférieur au besoin estimé. Cependant, le mécanisme de financement des études semble être un bon levier pour amener à une coopération objective entre pays/ communautés régions et lever l’investissement aval (bailleurs de fonds). La dépendance financière vis-à-vis des pays donateurs est tout de même forte malgré la diversification des sources. Enfin, il serait opportun, à la fois pour des raisons de couts, que pour une montée en compétence technologique, que les études soient réalisées par des ingénieries africaines. Les autres initiatives africaines African Energy Leaders Group (AELG) Le secrétaire général de l’ONU, Ban-Ki Moon, lance en 2011 l’initiative Sustainable Energy For All (SE4ALL). Les objectifs sont notamment d’assurer un accès universel à l’électricité et de doubler la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique mondial d’ici 2030. [19] Dans le cadre de l’initiative onusienne, les Etats africains ont crée l’African Energy Leaders Group. [20] L’idée est de réunir à haut niveau les leaders des sphères politique et économique afin de libérer le potentiel énergétique africain. En juin 2015, le président ivoirien, Alassane Outtara aux côtés d’autres personnalités politiques de la sous-région a inauguré le sous-groupe pour l’Afrique de l’Ouest, réunissant notamment les entrepreneurs Aliko Dangote et Tony Elumelu. L’Afrique de l’Est devrait leur emboiter le pas en créant également un sous-groupe régional. A en croire les déclarations de Tony Elumelu, la création du WAELG répond au besoin criant de développement social mais va bien au-delà. [21]Pour le défenseur du concept d’Africapitalism [22]: 5 © 2015 Copyright AfroCaribe Energy – Marcus Brochant « Il s’agit de s’assurer que l’Afrique tire les enseignements des bas revenus issus des exportations extractives et d’une consommation ruineuse basée sur les importations et la dépendance vis-à-vis de l’aide, pour passer à une nouvelle ère de création de valeur locale et d’auto-suffisante économique. » Initiatives privées L’artiste sénégalais Akon (Alioune Thiam) était parmi les entrepreneurs invités au congrès inaugural du WAELG. En effet, avec ses associés, il a lancé en 2014 la société Akon Lighting Africa qui entend permettre l’accès à l’électricité en milieu rural grâce au solaire photovoltaïque. Après une année de travail intense sur le terrain, l’objectif de 1 million de personnes électrifiées a été atteint, selon une interview accordée à DEVEX [23]. Ce chiffre est tout à fait cohérent avec les données rapportées sur le site de la société : « Électrification : 100.000 lampadaires, 1000 micro-centrales solaires et 200.000 kits domestiques pour l’électricité domestique ont été installés dans plus de 480 localités, créant ainsi des milliers d’emplois directs et indirects prioritairement destinés aux jeunes des localités. » Avec un investissement moyen de 75 000 USD par village, le Business Model n’est pas nouveau selon les dirigeants : investissement initial subventionné par les gouvernements, création d’entités commerciales locales chargées de l’entretien et de la collecte des paiements (compteurs prépayés). La force d’Akon Lighting Africa repose très certainement sur le support financier qu’ils offrent aux gouvernements, ce qui peut expliquer la rapide extension géographique du projet : « Jusqu’à présent nous avons utilisé 240 millions de dollars sur la base du milliard de dollars de ligne de crédit dont nous disposons. Nous sommes présents dans 14 pays. Et nous comptons être présents dans 30 autres prochainement » Samba Bathily L’autre atout d’Akon Lighting Africa réside dans le fait que la société mise sur la formation et l’emploi d’une main d’œuvre locale. L’annonce de la création de la Solar Academy, école de formation aux techniques d’électrification solaire, a été faite dans le cadre de la conférence SE4ALL des Nations Unies en mai 2015. Perspective Du côté des acteurs africains, le leadership est clairement assumé par les Entrepreneurs. La situation actuelle participe de l’échec des politiques nationales qui ont été, dans la plupart des pays, incapables de faire face aux besoins primaires de la population et de l’économie. Il est intéressant de constater : - l’influence grandissante des entrepreneurs de l’Afrique anglophone sur les milieux économiques et politiques francophones. - les limites technico-économiques de la construction d’infrastructures électriques pays par pays, obligent les pays africains à davantage de coopération et d’intégration régionale. 6 © 2015 Copyright AfroCaribe Energy – Marcus Brochant So What ? Depuis le début des années 2010, l’électrification de l’Afrique subsaharienne fait partie du la top priorities list de la communauté internationale, mais surtout de l’Occident. En effet, la Chine est la grande absente des initiatives pour « sauver » l’Afrique. Pourtant, elle joue un rôle majeur sur le théâtre énergétique africain. Elle représentait 41% de l’aide au développement dans le secteur de l’énergie contre 18% pour l’UE et 1% pour les Etats-Unis, sur la période 2000 – 2012. [24] Son action se concentre surtout sur l’Afrique subsaharienne et les grands projets hydroélectriques (Barrages GIBE III et Barrage de la Renaissance en Ethiopie). Dès lors, les initiatives américaines et européennes peuvent être analysées comme des tentatives pour s’implanter pour les premiers, et conserver une place de choix sur le continent, pour les seconds. Du côté africain, les budgets publics consacrés à l’énergie ne cessent de croitre avec une croissance moyenne de 17% par an pour les 20 1ères économies subsahariennes, selon la BAD. [4]Les projets transfrontaliers, transrégionaux prennent sens et voient progressivement le jour. De nouvelles formes d’organisation, de forum, plus ouverts sur la société civile et la sphère privée voient le jour. L’Afrique noire est à un tournant de son Histoire. D’une part, si elle était entrée dans l’ère des Indépendances, divisée, balkanisée, aujourd’hui les difficultés de financement d’une industrie fortement capitalistique mais vitale, obligent à d’avantage de coopération politique. Ce processus devrait amener à terme à une Afrique physiquement et économiquement intégrée d’ici le milieu du 21ème siècle. D’autre part, la mobilisation autour du thème de l’électrification participe d’un débat plus large : la volonté de l’émergence d’une Afrique plus productive, industrielle et technologique. Tout l’enjeu pour l’Afrique est de réussir à profiter de l’attention et de la concurrence internationale pour poser les bases de sa propre révolution technologique et industrielle. 7 © 2015 Copyright AfroCaribe Energy – Marcus Brochant Bibliographie [1] International Energy Agency, «Africa Energy Outlook,» 2014. [2] UE, «The Africa-EU Partnership, summit edition 2014,» 2014. 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