C`est ma vie, j`étais anorexique - Eki-Lib

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C`est ma vie, j`étais anorexique - Eki-Lib
C’est Ma Vie
« J’étais anorexique »
C’est Ma Vie
« J’étais anorexique »
-Daphnée, 16 ans
LES ARTICLES DES MAGAZINES, LES COMMENTAIRES
DES COPAINS ET DES COPINES… ESTEST-CE SUFFISANT
POUR SE RENDRE MALADE? DAPHNÉE A EU UN GRAVE
PROBLÈME D’ANOREXIE QUI A FAILLI TOURNER AU
DRAME.
HEUREUSEMENT,
HEUREUSEMENT, ELLE A PU S’EN SORTIR. ELLE NOUS
RACONTE SON HISTOIRE.
-Par India Desjardins
Mars 2002
Cool!
Par India Desjardins
Revue
C’est Ma Vie
« J’étais anorexique »
DAPHNÉE, QUELS SONT D’APRÈS TOI LES ÉLÉMENTS QUI T’ONT MENÉE À
L’ANOREXIE?
Grâce à ma thérapie, j’ai compris plusieurs choses. Sans en imputer la
faute aux autres ou à la société, je dirais qu’une série de facteurs ont fait
en sorte qui je devienne obsédée par mon poids. Depuis que je suis toute
petite, ma mère a des problèmes d’embonpoint. Elle ne cessait d’en
parler. Je sais que ça m’a marquée profondément. J’ai voulu, peut-être
inconsciemment, maîtriser mon poids pour ne pas devenir aussi obsédée
que ma mère. C’est un peu contradictoire…
CROIS-TU QU’IL Y A D’AUTRES CAUSES À TON PROBLÈME?
Bien sûr : entendre les gars parler uniquement des super-pétards, voir mes
amis calculer les calories qu’elles ingèrent, lire les trucs qui concernent les
régimes dans les magazines, tout ça n’était pas très sain… Mais la raison
principale, c’était mon attitude. Je manquais d’assurance, d’estime de
moi-même — en thérapie, j’ai appris que ce n’était pas la même chose
—, et surtout, j’avais besoin de tout contrôler et que tout soit parfait.
AVAIS-TU RÉELEMENT DES PROBLÈMES DE POIDS?
Dans le temps, je vous aurais dit que oui, mais la vérité, c’est que je n’en
avais pas vraiment. J’étais mince; pas comme les filles des magazines,
mais j’avais un poids santé. Et on me considérait comme une belle fille.
Malheureusement, j’en suis peu à peu venue à avoir peur d’engraisser.
J’y pensais tout le temps. J’ai commencé à faire beaucoup d’exercices.
Je m’achetais des cassettes d’entraînement et, une fois les exercices
terminés, je me sentais super bien dans ma peau. Mais plus le temps
passait, moins l’entraînement me satisfaisait. C’est pourquoi j’ai décidé
de changer mon alimentation. J’ai commencé à suivre des régimes; j’en
ai essayé plusieurs. Tout ça s’est fait si graduellement que je n’avais pas
du tout l’impression d’avoir un problème; au contraire, il me semblait que
je prenais soin de ma santé. J’étais loin de me douter qu’en fait je la
détruisais.
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Par India Desjardins
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« J’étais anorexique »
PERDAIS-TU DU POIDS?
Je commençais à maigrir, oui. Et plus je perdais du poids, plus ça
devenait comme une drogue. Je me disais toujours : « Encore cinq
livres ». Bizarrement, plus je maigrissais, plus j’avais l’impression d’être
grosse. À ce moment-là, j’ai découvert les laxatifs. J’en prenais souvent.
Puis, je me suis mise à raisonner d’une drôle de manière : chaque fois que
je mangeais, je considérais que je faisais une rechute, que je faisais
quelque chose de mal. Alors, j’ai commencé à me faire vomir…
COMMENT A RÉAGI TON ENTOURAGE?
Au début, personne ne se rendait compte de quoi que ce soit mais, peu
à peu, mes parents se sont mis à me poser des questions. Ils s’inquiétaient
énormément. En quelques mois, j’étais devenue très maigre. Pas mince;
maigre. Et quand on est maigre, on n’est pas belle, alors on pense qu’en
perdant encore un peu de poids, on retrouvera notre beauté. C’est
affreux ce qui se passe dans notre tête dans ces moments-là. Par
exemple, j’adore les biscuits au chocolat mais, chaque fois que j’en
mangeais un, je me sentais tellement coupable que j’allais me faire vomir.
Mes parents ont voulu me faire consulter un psychologue, mais je n’étais
pas prête. Ils m’ont donné plein de renseignements sur l’anorexie et
m’ont priée de manger normalement. Je leur ai dit que j’allais arrêter de
suivre mes régimes, mais je ne l’ai pas fait. Je continuais à m’infliger une
torture car, plus je contrôlais mon alimentation, plus j’étais fière de moi.
Dire que j’aurais pu en mourir…
QUE VEUX-TU DIRE?
Certaines personnes deviennent anorexiques de leur plein gré, pour
perdre du poids, mais cette maladie peut avoir des effets très néfastes sur
la santé. Dans mon cas, le mal s’est installé progressivement, c’est-à-dire
que je n’ai pas décidé, du jour au lendemain, de devenir anorexique. En
fait, je ne savais pas ce que j’avais et, quand on me parlait d’anorexie, je
niais tout. Je disais que j’avais simplement trouvé une bonne façon de
contrôler mon alimentation.
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Par India Desjardins
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« J’étais anorexique »
QUELS EFFETS LA MALADIE A-T-ELLE EUS SUR TA SANTÉ?
J’étais fatiguée, irritable, et j’ai commencé à perdre mes cheveux. Je
n’avais plus de menstruations. Je n’en parlais à personne, car je voyais
ça comme un avantage, mais il paraît que c’est très dangereux. Les filles
ne sont pas menstruées pour rien! Un matin, au réveil, je me suis mise à
cracher du sang. J’ai été envoyée d’urgence à l’hôpital. J’avais des
problèmes d’œsophage.
MAIS C’EST TRÈS GRAVE!
Eh oui… Heureusement, il n’était pas perforé. Mais ça aurait pu arriver.
Certaines personnes sont mortes des suites de l’anorexie. C’aurait pu être
mon cas…
COMMENT AS-TU RÉUSSI À SURMONTER TON MAL?
L’anorexie ne se guérit que d’une façon : il faut apprendre à s’aimer. Il
faut aussi apprendre à lâcher prise. On ne peut pas tout contrôler. Il est
important également d’apprécier la vie. Il n’est pas facile de guérir de
cette maladie, car on est habitué à ne rien manger. Il faut tranquillement
réapprendre à ce nourrir. Parfois, on a envie de recommencer à se faire
vomir, car on veut continuer à avoir le parfait contrôle de notre corps.
Personnellement, aller à l’hôpital m’a fait réfléchir. Je me suis dit : « Soit tu
manges et tu redeviens un être humain normal, soit tu maigris jusqu’à en
mourir. » J’ai décidé que ça ne valait pas la peine de mourir pour ça.
AS-TU FAIS DES RECHUTES?
Oui, deux : une avant les fêtes, et l’autre quelques semaines avant le bal
des finissants. À Noël, il y a toujours plein de bonne bouffe, et je ne me
sentais pas encore prête à manger de la tourtière, de la tarte au sucre,
de la dinde, de la bûche, etc. Dans le cas du bal, je trouvais que j’étais
devenue grosse et je me disais que j’allais être laide si je ne maigrissais
pas un peu. Un soir, je me suis installée près de la toilette pour me faire
vomir et… j’ai réfléchi. J’ai pensé à toutes les épreuves que j’avais
traversées et je me suis dit que je ne voulais pas les revivre.
Mars 2002
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« J’étais anorexique »
COMMENT S’EST PASSÉ TON BAL?
C’est drôle parce qu’il y a un gars, Alain, qui est venu me voir et
qui m’a dit qu’il me trouvait super belle depuis que j’avais
engraissé. Au début, ça m’a fait énormément de peine; je me
sentais insultée. Mais il ne s’est pas arrêté là : il m’a dit que,
lorsque je n’avais que la peau et les os, je faisais pitié et qu’il ne
voulait pas me parler parce qu’il trouvait que j’avais l’air d’avoir
des problèmes.
Il a ajouté que, maintenant que j’étais
redevenue normale, il trouvait que j’avais vraiment un beau style. Je n’en
revenais pas! Moi qui avais toujours pensé que c’était le contraire!
POURRAIS-TU REDEVENIR ANOREXIQUE?
Je crois que non, mais je ne peux pas prévoir l’avenir. Je dois continuer à
m’aimer et à apprécier les moments de la vie. Il y a une chose dont je
suis sûre, par contre : à l’hôpital, les infirmières m’ont vraiment aidée. J’ai
envie de devenir infirmière, moi aussi (ou peut-être diététiste) et
d’apporter mon soutien à des filles comme moi. J’aimerais mettre mon
expérience au service des autres.
MAUREEN, MÈRE DE DAPHNÉE
MAUREEN, VOUS ÊTES-VOUS SENTIE INQUIÈTE AU SUJET DE VOTRE FILLE?
Inquiète, et aussi coupable. J’avais l’impression que tout était ma faute.
Vous savez, ce n’est pas facile de voir son enfant fondre à vue d’œil. On
se sent impuissant. Surtout que Daphnée ne voulait pas d’aide et qu’elle
nous mentait. Maintenant, elle va mieux, et on essaie de la comprendre,
de la respecter. On ne la force pas à manger tout de suite autant qu’elle
le devrait. Il faut y aller graduellement, pour qu’elle réapprivoise à son
rythme les plaisirs de la table. En ce qui me concerne, l’état de ma fille
m’a permis de m’accepter comme je suis et de
redécouvrir moi aussi le plaisir de manger au lieu de
toujours essayer un nouveau régime. Le culte de la
minceur vient beaucoup de la perception qu’on pense
que les gens ont de nous… alors que ce qui compte
vraiment, c’est la perception qu’on a de soi-même.
Mars 2002
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