Familles monoparentales et insertion : la galère des crèches

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Familles monoparentales et
insertion : la galère des crèches
Olina : une crèche et plus encore…
lundi, 20 février 2012
Dans l’article du Soir du 13 février, on le rappelle : les villes n’échappent pas à la problématique
des sans-abri et aux enjeux des familles monoparentales (1). Une étude a été réalisée par l’UCL
(2) à l’occasion du futur transfert de compétences de la politique des grandes villes du fédéral vers
les régions. Le constat de cette politique qui met en place des contrats entre le fédéral et les
communes est peu reluisant : « les contrats de ville ont eu peu d’impact sur les personnes les plus
en difficulté et une question comme celle des familles monoparentales a été sous-estimée » (3).
Sous l’égide des régions, le défi sera de « mettre en place un modèle de participation faisant de
tous les habitants les acteurs de leur quartier » (4). C’est le défi que relève brillamment la crèche
Olina située à Molenbeek. Dans cette commune, la proportion de familles monoparentales s’élève
à 19%, soit bien au-dessus de la moyenne belge de 13,9%. Une enquête menée par l’asbl Flora
(2012) sur base d’entretiens avec des familles monoparentales a mis en évidence six
problématiques rencontrées par ces familles : le logement, l’accueil et soin des enfants, le capital
social et familial, le bien-être, les rôles familiaux et le rapport au travail et à la formation. La
crèche Olina met en lien ces enjeux et proposent des services adaptés. Aby Kamara nous
explique…
Aby Kamara est depuis 2005 directrice de la Maison Communale de l’Accueil de l’Enfance Olina asbl
située à Molenbeek. D’une formation d’assistante sociale et d’une licence en science du travail, elle
gère avec une main de fer dans un gant de velours les missions de la crèche. Entretien avec
Marianne Hiernaux.
M.H. La priorité à ceux qui travaillent a ses raisons mais conduit à des paradoxes. Si un
parent veut entrer en formation pour trouver un emploi, il est obligé de mettre son
enfant à la crèche. Et pour inscrire son enfant à la crèche, il doit avoir trouvé un emploi.
Que fait Olina à l’écoute de ces paradoxes ?
A.K. Nous faisons de l’« accueil petite enfance » de 0 à 3 ans. Notre spécificité c’est de donner la
priorité aux familles dont les parents sont en insertion socioprofessionnelle. Beaucoup ou la plupart
des crèches donnent la priorité aux parents qui travaillent. On ne demande pas à la personne si
elle est au chômage ou si elle suit des formations. Pour nous, tous les enfants ont le droit de
fréquenter une crèche peu importe la situation de leurs parents.
Les parents seuls, et surtout les mères seules, ont beaucoup de difficultés à trouver des places
pour leurs enfants, et cela a une conséquence sur le travail, la formation, l’éducation des enfants,
la vie sociale… alors elles restent à la maison… On ne cible pas particulièrement les familles
monoparentales mais on s’en rend vite compte à l’inscription. C’est très courant chez nous. C’est
au fil des demandes qu’on se rend compte que l’enjeu est important.
M.H. Vous accueillez combien d’enfants ?
A.K. 28 enfants de 0 à 3 ans.
M.H. Avez-vous une approche différente avec les familles monoparentales ?
A.K. Notre approche est différente en fonction des demandes et des difficultés que ces familles
rencontrent. L’accueil des enfants n’est en soi pas différent selon les parents. Nous avons une
assistante sociale à temps plein qui reçoit et accueille les parents à l’inscription.
M.H. Sur base des entretiens réalisés par Flora pour la région de Bruxelles-Capitale, on
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découvre que 6 facteurs de problèmes sont accrus chez les familles monoparentales :
le logement,
l’accueil et le soin des enfants,
le capital social et familial,
le bien-être,
les rôles familiaux et
le rapport au travail et à la formation.
M.H. Avez-vous pris des dispositions pour travailler ces facteurs de risques ?
A.K. Pas directement en fait. Mais c’est venu au fur et à mesure. Nous n’avons pas créé la crèche,
les services et nos activités sur base de ceci.
M.H. Si je comprends bien, c’est en analysant vos services lors de l’enquête que vous
avez remis toutes les pièces du puzzle ensemble ?
A.K. Oui. Nous avons ressenti des besoins et y avons répondu de la manière la plus adéquate
possible en fonction de nos possibilités. Par exemple, nous prenons plus de temps qu’une crèche
normale pour l’accueil. La flexibilité des horaires est aussi une particularité. En fonction de la
demande pour les familles qui rencontrent des diffcultés dans leurs trajets et leurs horaires et qui
courent de gauche à droite. On a des horaires flexibles. Tant qu’on sait, on prévoit dans la mesure
du possible. L’adapatation des horaires c’est aussi pour leur permettre de payer moins cher. On
tient compte de leurs urgences. C’est négocié à l’avance avec les parents. Les parents issus de
familles monoparentales ont très difficile avec les horaires car ils sont seuls pour conduire les
enfants à gauche à droite. Et la situation de travail des parents est souvent précaire, en formation
ou en période d’essai après un projet d’insertion… L’adaptation des horaires, c’est important.
M.H. Comment gérez-vous cette souplesse, cette flexibilité ?
A.K. L’assistante sociale reçoit et fait les les inscriptions. Elle prend toutes les infos sur les familles.
Elle a le rôle de la personne sympa et moi je suis le gendarme (elle rit). Je peux plus facilement
me positionner grâce à la fonction de l’assistante sociale. Elle est la personne de confiance. Dès le
départ mon rôle a été de faire suivre le règlement. Au fur et à mesure, je peux avoir une relation
plus sympa, plus de confiance. L’assistante sociale prend note des demandes et en informe la
directrice. C’est un peu bon flic méchant flic. Parce qu’on a aussi des impératifs. Il y a des règles.
Ce n’est pas facile de recevoir les demandes et de réprimander en même temps. Les deux
fonctions en parallèle, ça crée l’équilibre avec le services qui sont offerts. On peut mieux
comprendre les difficultés. Mais pour qu’une structure comme celle-ci puisse survivre, il faut que
chacun y mette du sien.
M.H. Qu’en est-il de votre politique de prix ?
A.K. Le prix de la crèche, les frais d’inscription sont relativement démocratiques. C’est en fonction
du revenu. Si les familles nous font part de leurs difficultés, on fait un tarif social. S’ils ont
accumulé des factures de crèche, on fait appel à des aides ponctuelles pour épurer leurs dettes…
M.H. Comment pensez-vous vos activités ?
A.K. On organise des activités spéciales avec les parents d’enfants. On organise des activités et
chaque année depuis 3 ans on met l’accent sur des objectifs : l’éveil à la culture et lutte contre la
sédentarité pour cette année. On part du principe que ces familles ont des difficultés financières et
on suppose aussi des difficultés pour avoir des logements adéquats… 80% des bruxellois ont des
logements petits où les enfants ont peu d’espace pour mettre à profit ce qu’ils ont acquis, pour
dépenser l’énergie, pour courir sans déranger le voisin. Alors on va à la piscine, on va dans des
parcs quand il fait beau. Au niveau culturel, on a une bibliothèque ici pour que les parents puissent
emprunter des livres gratuitement. On fait aussi des sorties à la bibliothèque de la commune. Et
une bibliothécaire vient de temps en temps pour faire la lecture aux plus petits. C’est une
conteuse. La jeunesse musicale fait aussi une activité tous les mois avec chaque groupe d’enfants.
On travaille sur la précarité pour donner aux enfants les mêmes droits que ceux qui ne vivent pas
dans une situation de précarité. On veut donner accès à la culture, à des activités qui leur
permettent de s’ouvrir et de se développer. On a également une supervision pour les
puéricultrices. Et enfin, on a une certaine souplesse face aux difficultés que les enfants vivent avec
leurs parents. On essaie d’être compréhensif.
M.H. Rencontrez-vous beaucoup d’isolement chez les parents ?
A.K. J’avais fait une étude, une analyse de récits de vie et chaque fois que j’interrogeais les
parents d’origine immigrée, je ressentais une solitude. Même si le réseau social est large, la
famille, le lien est là-bas. Chacun est dans sa difficulté et on ne se connait pas. Dans la culture, on
expose pas sa misère. On cache ses difficultés surtout celles liées à l’éducation des enfants. C’est
très délicat et ça crée de l’isolement. Une fois qu’une relation de confiance s’établit, le réseau
s’élargit. On a vu que ça a marché. Il y a beaucoup de parents dont l’un va chercher l’enfant de
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l’autre et inversément. On met en contact. On permet aux enfants et aux parents de voir comment
font les autres. Les codes ne sont pas les mêmes selon les origines. Les valeurs éducatives sont
différentes. Ça permet de copier les pratiques qu’on apprécie chez l’autre. On se dit : « Ah vous
vous faites comme ça… » et puis on réfléchit à ce qu’on fait. Les parents s’interrogent. Manger
avec la main pour certains, ce n’est pas grave. Pour d’autres apprendre à manger avec ses
couverts est une priorité. Échanger sur des banalités permet aux parents de se situer et à l’enfant
de comprendre dans quoi il joue.
On fait aussi des déjeûners tous les mois pour permettre aux parents de se rencontrer. Chacun
reste le temps qu’il veut. Ça permet de s’arrêter le temps d’un café, de se poser et de renconter
l’autre entre deux courses. Ça fait un contact plus informel. Et ça crée le réseau social, le médecin
de l’ONE ou le PMS sont régulièrement présents. Tous les parents ont donc l’occasion de leur poser
des questions en rapport à l’éducation de leur enfant. Sans se faire juger. Le but est d’élargir le
réseau social des parents. On a aussi nos gardiennes qui vont faire des gardes d’enfants malades
ou durant les vacances. Un vrai petit réseau d’aide s’est créé.
Pour les parents seuls, nous sommes plus attentifs. Ils n’ont pas de conjoint à qui parler, à qui
demander conseil. Ils s’isolent et ont un focus sur leur enfant.
M.H. La mobilité est un problème pour les familles monoparentales. Avez-vous pris des
mesures ou réalisé des projets en lien avec la mobilité ?
A.K. On voulait instaurer un ramassage des enfants. Mais on ne l’a pas mis en place concrètement
parce que ça demande beaucoup de personnel. Au niveau des assurances aussi, c’est complexe.
Mais cela s’est fait de manière informelle. Nous avons une carte des lieux où vivent les parents. On
dit aux parents de regarder dans le plan de la commune s’il y a un parent dans le coin. Si oui, on le
contacte nous-mêmes pour organiser le co-voiturage. On ne force pas bien sûr car c’est une
responsabilité d’aller chercher l’enfant d’un autre. On trouve des solutions comme ça. Des parents
voisins prennent les enfants des uns et des autres. Pour ceux qui travaillent par exemple dans le
secteur de la vente et qui finissent la journée à 19h, voire 20h, c’est mieux qu’un autre parent aille
chercher l’enfant à la crèche. Sans ça, ça fait beaucoup d’argent de payer quelqu’un pour le faire.
Sur un salaire de vendeuse, c’est beaucoup. On a aussi des puéricultrices qui font des gardes le
week-end. Elles connaissent les parents en dehors mais ça n’a plus rien à voir avec la crèche. On
met juste en réseau.
M.H. Dans le terme « accueil des enfants », on ne voit pas le mot parents ? Qu’est-ce
que les parents ont à faire dans ce système ?
A.K. Quand j’ai repris le projet en 2005, c’était la crèche des parents. On voulait que les parents se
réapproprient le lieu. Par exemple, les photos des enfants sont accrochées au mur depuis le début.
Surtout ne jamais l’enlever. Les parents repassent. Pour eux, c’est une fierté de voir que les
enfants sont passés par là. On est en réflexion sur l’accueil des parents. On tente de se mettre à la
place des parents. Allaiter à la crèche, prendre un café tout en respectant le temps de travail des
puéricultrices : pourquoi pas ? Notre optique c’est l’accueil des parents à tout moment. On met en
place des moments pour leur donner le temps. On prend quelques minutes. On crée la confiance.
M.H. Est-ce que cette confiance est essentielle avec vos publics ?
A.K. Sans aucun doute. Les personnes d’origine immigrée ont difficile à confier leur enfant. Alors
on porte tous les enfants sur le dos par exemple et peu importe les origines. On fait comme les
parents font. Ça les rassure. Ça crée un climat, une continité dans leur éducation. On ne rechigne
pas à les prendre sur notre corps, à avoir un contact particulier avec les enfants, ça casse une
barrière. Mais tout ça se fait avec l’autorisation des parents bien sûr. On leur fait visiter les locaux.
Ils rencontrent tout le personnel : les puéricultrices, les femmes de ménage, … On leur explique
toutes les particularités de la crèche. Mais surtout on leur demande : « comment vous concevez
l’accueil des enfants ? » On les déculpabilise en leur disant : « vous connaissez votre enfant,
dites-nous… apprenez-nous à le connaitre. » C’est le parent qui est expert. On est là pour qu’il
puisse partager son expertise avec nous. Il nous donne ce qu’il veut bien nous donner dans l’intérêt
de l’enfant. Ça créé une confiance. On partage les principes. Ils partagent leur savoir-faire avec
nous.
M.H. Comment mettez-vous en place ce partenariat avec les parents ?
A.K. Tout d’abord de manière informelle. On a une boite à suggestions et un cahier de
communications. Une fois par semaine on ouvre la boite. On reçoit des questions, des avis, des
éloges (ça fait du bien), mais aussi du mécontentement. Dans le cahier, on informe quant aux
activités. On informe les parents pour qu’ils n’hésitent pas à venir nous parler, nous poser une
question sur notre mode d’accueil, etc. Lors de nos journées pédagogiques on essaie de répondre à
leurs questions. On donne la possibilité aux parents de revendiquer même si on donne beaucoup
aux enfants. Ils nous disent qu’on devrait faire attention à ci ou ça, on reçoit des signaux. Dans
notre pratique, c’est parfois un rappel à l’ordre. Ça nous donne des avis, des opinions et ça nous
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fait évoluer. Dans ma fonction de Directrice, je nous octroie des moments privés avec les parents
pour qu’ils puissent exprimer leurs demande.
MH. Peut-on parler ici de co-construction ?
A.K. Certainement. Le savoir vient de part et d’autre.
M.H. Comment supportez-vous un tel processus ? Quelles sont les concessions à faire
pour garantir ces services ?
A.K. On a la chance d’avoir du personnel en suffisance. Bruxelles offrait des emplois ACS et PTP et
on avait ce projet d’engager tous les deux ans 5 jeunes filles pour l’accueil des enfants. On donnait
nous-mêmes une formation en auxiliaire de l’enfance à celles qui n’avaient pas d’expérience. A la
fin de leurs deux années, elles avaient acquis un diplôme et deux ans d’expérience. On a fait ça
jusqu’en 2007 car c’était trop lourd comme travail et comme organisation. On a alors décidé
d’embaucher tous les deux ans des personnes qui ont fini leur formation d’auxiliaire de l’enfance.
On a une convention avec les écoles qui forment au métier d’auxiliaire de l’enfance. Elles font une
année en crèche. Nos activités sont faisables car on a le personnel en suffisance. On a aussi une
convention avec Actiris et on a aussi le soutien de l’ONE et de la Commune. On a, c’est vrai, plus
de personnel que dans une crèche classique.
Généralement, les crèches fonctionnent selon un modèle unique, calqué sur le modèle de la
« famille de référence » (d’origine belge et en couple). Du coup, elles sont difficilement accessibles
pour des familles qui sortent de ce cadre de références. Les familles monoparentales sont
exposées alors à une forme d’exclusion et de marginalisation. Le modèle d’Olina permet à la
société de retrouver une résilience et de formuler des réponses innovatrices au problème social
des familles monoparentales d’origine étrangère. Olina permet de renouer avec société (le
quartier, le marché de l’emploi, les formations ISP, la culture et le réseau social). Elle permet une
reliance entre ces familles et la société. Olina opère dans une approche globale et transversale
au-delà de l’accueil des enfants. Cette prise en compte de la réalité sociale des parents semble
avoir un impact positif sur les six axes problématiques du vécu des familles monoparentales (5).
Accueil et soin d’enfants : en offrant un accueil de qualité, des activités pédagogiques
« supplémentaires » et un soutien aux parents.
Capital social : en organisant des activités dans lesquelles les parents sont impliqués, en
organisant des rencontres entre les parents et avec l’assistante sociale.
Rôles familiaux : en se positionnant en tant que « partenaire » des parents, Olina aide les
parents à mieux assumer tous les (nouveaux) rôles auxquels ils sont confrontés.
Bien-être : en permettant aux parents de prendre du temps pour soi, et en les sortant de leur
isolement.
Rapport au travail : en cherchant des solutions aux problèmes pratiques de conciliation des
horaires de travail et de l’accueil, en garantissant la continuité des places même au cas où le
parcours d’insertion socioprofessionnelle des parents est interrompu/fragmenté.
Logement : en offrant des activités pédagogiques qui autrement pèseraient sur le budget des
familles, et/ pour lesquelles le logement n’offre pas d’espace adéquate.
(1) Extrait article, Les défis des villes : la pauvreté et les sans-abri, Le Soir, 13 février 2012.
(2) Etude réalisée par Bernard Francq et Martin Wagener (UCL), publiée dans l’annuaire 2012
Pauvreté en Belgique.
(3) Extrait article, Les défis des villes : la pauvreté et les sans-abri, Le Soir, 13 février 2012.
(4) Extrait article, Les défis des villes : la pauvreté et les sans-abri, Le Soir, 13 février 2012.
(5) Enquête réalisée auprès des familles monoparentales d’origine étrangère par l’asbl Flora et
mandatée par la Région de Bruxelles-Capitale.
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