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LES ORIGINES ET LES TRANSFORMATIONS INSTITUTIONNELLES
DU ROYAUME DE SHU (907-965)
Par
Sébastien Rivest
Département d‟études est-asiatiques
Université McGill, Montréal
Mémoire présenté à l‟Université McGill
en vue de l‟obtention du grade de
Maîtrise ès arts (M.A.)
Septembre 2010
© Sébastien Rivest, 2010
TABLE DES MATIÈRES :
Abstract/Résumé
ii
Remerciements
iii
Conventions
iv
Abréviations
v
Introduction
0.1 La transition Tang-Song
0.2 Les rapports État-société
0.3 Les enjeux historiographiques
1
4
9
I Le contexte historique
1.1 L‟érosion de l‟aristocratie (763-875)
1.2 Le temps des rébellions et la destruction de l‟aristocratie (860-907)
1.3 Les Cinq dynasties et le nouvel ordre politique (907-960)
16
16
29
36
II Le Royaume de Shu antérieur (907-925)
2.1 Les loyalistes en exil à Chengdu
2.2 Le loyalisme de l‟armée Zhongwu
2.3 La morphologie d‟un État loyaliste
a) Les Trois départements
b) Le Secrétariat impérial
c) La Chancellerie impériale
d) Le Département des affaires d‟État
e) La dichotomie entre lettrés de cour et militaires
49
56
65
79
81
83
92
98
102
III Le Royaume de Shu postérieur (934-965)
3.1 Les associés de Meng Zhixiang et les régents de son successeur
3.2 Le développement des préfectures
3.3 Une bureaucratie renouvelée, un État transformé
108
113
129
136
Conclusion
143
Bibliographie sélective
151
i
ABSTRACT :
This thesis is a regional case study on the metamorphosis of state institutions at a
time when China went through an important period of political division. This period
was known as the Five Dynasties and Ten Kingdoms (907-979), which followed the
downfall of the Tang Empire (618-907). At this time, the Kingdom of Shu, which was
located approximately in the present-day province of Sichuan in Southwest China,
was in the process of forming an independent political entity successively governed
by two different regimes. In search of a better understanding of the evolution of this
kingdom, I am analyzing the process by which a change of regime ushered in new
elites to state control, which affected not only the state structure, but also the nature of
the interactions between society and various levels of political power.
RÉSUMÉ :
Ce mémoire ce veut être une étude de cas régional sur la métamorphose des
institutions étatiques à une époque où la Chine traverse une importante période de
division politique. Il s‟agit de la période qui suit la chute de l‟empire Tang (618-907),
laquelle est connue sous le nom de Cinq dynasties et Dix royaumes (907-979). À cette
époque, le Royaume de Shu, lequel correspondait à l‟actuelle province du Sichuan
dans le Sud-ouest de la Chine, formait alors une entité politique indépendante
successivement gouvernée par deux régimes différents. En quête d‟une meilleure
compréhension de l‟évolution de ce royaume, j‟y analyse le processus par lequel un
changement de régime amène de nouvelles élites au contrôle de l‟État, ce qui non
seulement affecte la structure de l‟État, mais également la nature des interactions entre
la société et les divers échelons du pouvoir politique.
ii
REMERCIEMENTS :
Pour la plupart des étudiants à la maîtrise, la rédaction d‟un mémoire est un défi
considérable. Pour cause, rares sont ceux qui eurent au préalable le loisir d‟écrire des
essais excédant la trentaine de pages. Bien que largement compensées par les délices
de l‟engagement intellectuel, ce serait mentir que de dire que cette aventure ne fit à
aucun moment l‟objet d‟angoisses liées au désir de bien faire. Ainsi, si aujourd‟hui je
peux me féliciter d‟avoir accompli une tâche significative, en revanche je ne peux
taire les tapes sur l‟épaule qui m‟ont prémuni contre la tentation de baisser les bras.
Naturellement, je dois rendre une fière chandelle à ceux sans qui moi et mon
mémoire ne vaudraient même pas la défaite des Plaines. Notamment, j‟ai la chance
d‟avoir une perle rare pour épouse, Xing Qin 邢琴, laquelle est admirable en tous
points, elle qui me couvre inlassablement d‟amour et qui me réitère constamment sa
confiance en mes capacités. La nature a également voulu que j‟aie de bons parents,
André Rivest et Odette Moreau, eux qui ont fait en sorte que je ne manque de rien et
qui m‟ont inculqué de bonnes valeurs, sans lesquelles je ne serais pas où j‟en suis.
Une pensée serait également suggérée pour ma marraine Francine Moreau et mon
parrain Pierre Moreau, lequel m‟a le premier encouragé à étudier l‟histoire. À leur
façon, mes amis m‟ont eux aussi apporté un soutient dont je n‟aurais pu me dispenser.
Je tiens tout particulièrement à exprimer ma reconnaissance envers le professeur
Robin D. S. Yates. D‟une part, je tiens à le remercier pour ses bons conseils et tout ce
qu‟il fit et continu de faire pour moi. Il est incontestablement un chic professeur, un
gentleman, qui fait constamment preuve d‟ouverture et d‟un incroyable respect
d‟autrui. D‟autre part, j‟aimerais rendre hommage à ses efforts soutenus pour
constamment enrichir notre collection de sources chinoises, lui qui ne cesse d‟offrir à
ses frais des ouvrages de qualité à la bibliothèque. J‟aimerais également témoigner ma
gratitude à l‟endroit des professeurs Kenneth Dean et Griet Vankeerberghen, lesquels
ont eux aussi contribué à ma formation à McGill, ainsi qu‟au professeur Christian
Lamouroux de l‟École des Hautes Études en Sciences Sociales, lequel me fit
l‟honneur d‟accepter de lire et commenter le présent mémoire. Enfin, mille fois merci
au C. R. S. H. pour la précieuse bourse qui me fut octroyée au cours de l‟année
scolaire 2008-2009.
iii
CONVENTIONS :
Le système de romanisation communément appelé pinyin a été employé pour
l‟orthographe des noms propres d‟origine chinoise. Pour ce qui est des termes
techniques chinois que nous avons traduit en français, le lecteur pourra les trouver
entre parenthèse à la suite des traductions. Dans de tels cas, nous avons inséré aussi
bien les caractères originaux que leur transcription phonétique. Par contre, lorsque
nous avons traduit des passages plus longs tirés des sources primaires, faute d‟espace,
la traduction n‟est généralement suivie que des caractères chinois. Enfin, la plupart
des sources primaires mentionnées en notes sont sous forme abrégée. Le lecteur
trouvera une liste des abréviations utilisées à la page suivante et devra se reporter à la
bibliographie des ouvrages cités en fin de mémoire pour consulter les références
bibliographiques complètes.
iv
ABRÉVIATIONS :
CFYG : Cefu yuangui 冊府元龜
DDSL : Dongdu shilue 東都事略
JGZ : Jiuguo zhi 九國志
JJL : Jianjie lu 鋻誡錄
JTS : Jiu Tang shu 舊唐書
JWDS : Jiu Wudai shi 舊五代史
SGCQ : Shiguo chunqiu 十國春秋
SS : Song shi 宋史
STW : Shu taowu 蜀檮杌
THY : Tang huiyao 唐會要
WDHY : Wudai huiyao 五代會要
WDSB : Wudai shibu 五代史補
WGGS : Wuguo gushi 五國故事
XTS : Xin Tang shu 新唐書
XWDS : Xin Wudai shi 新五代史
ZZTJ : Zizhi tongjian 資治通鑑
v
INTRODUCTION
0. 1 La transition Tang-Song
En 1922, le sinologue japonais Naitō Konan 内藤湖南 (1866-1934) publia un
article influent dans lequel il exposa son théorème de la « transition Tang-Song »1. En
l‟occurrence, il y avançait l‟hypothèse que durant les dynasties Tang 唐 (618-907) et
Song 宋 (960-1279), la Chine vécut de profondes transformations marquant une
rupture entre les périodes « médiévale » et « moderne ». Bien qu‟ardemment insufflée
par l‟expérience européenne2, une telle périodisation historique avait néanmoins la
légitimité de reposer sur deux prémisses largement corroborées. D‟une part, la
dissolution d‟une élite de type aristocratique comme groupe organisé dominant le
théâtre politique3 et sa substitution par des bureaucrates en théorie sélectionnés grâce
à un système d‟examens4. D‟autre part, l‟abandon d‟une vision physiocratique de
l‟économie et de la société, une vive intensification des échanges commerciaux, une
forte hausse démographique ainsi qu‟un formidable essor de l‟urbanisation5.
1
Naitō Konan, « Gaikatsuteki Tō-Sō jidai kan 概括的唐宋時代觀 », Rekishi to chiri 歷史と地理 9.
5 (1922), pp. 1-12. L‟article intégral fut traduit en anglais par Joshua A. Fogel sous le titre « A
Comprehensive Look at the T‟ang-Sung Period », Chinese Studies in History 17. 1 (1983), pp. 88-99.
Voir également Joshua A. Fogel, Politics and Sinology: The Case of Naitō Konan (1866-1934)
(Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1984), pp. 163-210; Miyakawa Hisayuki, « An Outline
of the Naitō Hypothesis and Its Effects on Japanese Studies of China », Far Eastern Quarterly 14. 4
(1955), pp. 533-553.
2
Luo Yinan, « A Study of the Changes in the Tang-Song Transition Model », Journal of Song-Yuan
Studies 35 (2005), pp. 101-102; Richard von Glahn, « Imagining Pre-modern China », dans Paul Jakov
Smith et Richard von Glahn, éds., The Song-Yuan-Ming Transition in Chinese History (Cambridge,
Mass. : Harvard University Press, 2003), pp. 37-39.
3
Le terme « aristocratie » pour désigner les quelques familles dominant les institutions politiques sous
la dynastie Tang tiendrait surtout à leurs conditions de reproduction sociale. Ainsi, ces familles auraient
monopolisé les postes à la cour sur plusieurs générations grâce à des privilèges héréditaires et des
pratiques endogames clairement circonscrites par des généalogies. Sur ces questions, voir Patricia B.
Ebrey, The Aristocratic Families of Early Imperial China : A Case Study of the Po-ling Ts’ui Family
(Cambridge : Cambridge University Press, 1978); David G. Johnson, The Medieval Chinese Oligarchy
(Boulder : Westview Press, 1977); James L. Watson, « Chinese Kinship Reconsidered : Anthropological
Perspectives on Historical Research », China Quarterly 1982. 92, pp. 589-622.
4
John W. Chaffee, The Thorny Gates of Learning in Sung China : A Social History of Examinations
(Cambridge : Cambridge University Press, 1985); Thomas H. C. Lee, Government Education and
Examinations in Sung China (New York : St Martin‟s Press; Hong Kong : The Chinese University Press,
1985).
5
Denis C. Twitchett, « The T‟ang Market System », Asia Major, new series, 12. 2 (1966), pp. 202-248;
« Merchant, Trade and Government in Late T‟ang », Asia Major, new series, 14. 1 (1968), pp. 63-95;
Shiba Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, trad. Mark Elvin (Ann Arbor : The University
of Michigan Press, 1970); Heng Chye Kiang, Cities of Aristocrats and Bureaucrats : The Development
of Medieval Chinese Cityscapes (Honolulu : University of Hawai‟i Press, 1999); Christian Lamouroux,
« Commerce et bureaucratie dans la Chine des Song (Xe-XIIe siècle) », Études rurales 161-162 (2002),
1
Inspirés des travaux de Naitō, de nombreux sinologues cherchèrent à approfondir
la nature des transformations socioéconomiques de cette période pour mieux en saisir
les conséquences globales sur les périodes subséquentes. Notamment, s‟appuyant sur
lesdites prémisses de la « transition », Robert M. Hartwell entreprit d‟en documenter
les axiomes afin de mieux comprendre comment les changements socioéconomiques
affectèrent les institutions politiques de l‟empire et vice-versa6. Ainsi fit-il remonter
les origines du processus de transformation aux crises politiques de la dynastie Tang,
notamment la rébellion d‟An Lushan 安祿山 (755-763)7, dont le contrecoup décisif
aurait été d‟avoir durablement secoué le traditionnel cœur économique et politique de
l‟empire, la plaine septentrionale, et entraîné une modification de l‟ordre géopolitique
en faveur des régions méridionales. Du coup, les exodes migratoires, la mise en valeur
du Sud, et l‟explosion démographique qui l‟accompagna, ainsi que le déclin de
l‟autorité impériale entre les VIIIe et Xe siècles auraient conduit à l‟émergence de
nouvelles élites dites « professionnelles », lesquelles dominèrent l‟État sous la
dynastie Song.
Selon Hartwell, en dépit de leur ampleur, les bouleversements socioéconomiques
eurent, semble-t-il, une incidence politique plutôt restreinte, se limitant pour ainsi dire
à une restructuration spatiale du pouvoir politique. C‟est-à-dire, le développement
d‟entités administratives régionales et locales répondant aux nouvelles structures
démographiques et une progressive relocalisation des centres d‟autorité politique vers
le Sud. Toutefois, en ce qui a trait à la signification historique de la venue de nouvelles
élites, Hartwell se posa en termes résolument révisionnistes. Ainsi, auteur d‟une
critique polémiste des thèses d‟Edward A. Kracke, lequel inférait que le système des
examens de la dynastie Song fut un grand vecteur de mobilité sociale8, il argumenta en
pp. 183-213; Valerie Hansen, Changing Gods in Medieval China, 1127-1276 (Princeton : Princeton
University Press, 1989).
6
Robert M. Hartwell, « Demographic, Political, and Social Transformations of China, 750-1550 »,
Harvard Journal of Asiatic Studies 42.2 (1982), pp. 365-442. Pour une analyse récente de la
contribution d‟Hartwell, voir Luo Yinan (2005 : 101-113).
7
Sur la rébellion d‟An Lushan, voir Robert des Rotours, trad., Histoire de Ngan Lou-chan (Paris :
Presses Universitaires de France, 1962); Edwin G. Pulleyblank, The Background of the Rebellion of An
Lu-shan (London : Oxford University Press, 1955); Jonathan Karam Skaff, « Barbarians at the Gates?
The Tang Frontier Military and the An Lushan Rebellion », War & Society 18. 2 (2000), pp. 23-35.
8
Edward A. Kracke, « Family vs. Merit in Chinese Civil Service Examinations under the Empire »,
Harvard Journal of Asiatic Studies 10. 2 (1947), pp. 103-123; Civil Service in Early Sung China,
2
faveur du fait que les élites se maintenaient au sommet de la hiérarchie sociopolitique
grâce à un accès quasi héréditaire aux fonctions bureaucratiques9.
D‟après le raisonnement d‟Hartwell, les bureaucrates de la dynastie Song ne se
distinguaient fondamentalement pas de l‟ancienne clientèle impériale de la dynastie
Tang. En ce sens qu‟eux et leurs progénitures se seraient également perpétués au
pouvoir grâce au népotisme et à l‟endogamie, tandis que les examens n‟auraient été
qu‟un « non-facteur virtuel de mobilité sociale »10. En fait, selon lui, l‟avènement de
nouvelles élites n‟apparaît que comme le reflet d‟un changement de fortune, d‟un
basculement spatial de la suprématie économique et sociopolitique. Autrement dit,
ailleurs émerge un nouveau groupe de familles maintenant une même attitude face au
pouvoir que leurs prédécesseurs ayant perdu la prééminence en raison d‟un simple
déclin régional. Il ne s‟agirait donc que d‟une substitution traditionaliste ne faisant
l‟objet d‟aucune remise en question de l‟ordre ancien.
Rétrospectivement, il nous semble clair que la transformation des élites entre les
VIIIe et Xe siècles ne saurait s‟expliquer uniquement du fait de causes économiques,
ou de changements géopolitiques, sans tenir compte de facteurs culturels. Car, après
tout, les différences entre les valeurs défendues par les membres de la clientèle
impériale de la dynastie Tang et lesdites élites « professionnelles » de la dynastie Song
sont plutôt significatives. Ainsi, s‟appuyant sur une comparaison des épitaphes dédiées
aux hommes d‟État influents des dynasties Tang et Song, Beverly J. Bossler confirme
l‟idée voulant qu‟une transformation des normes culturelles régissant le prestige des
élites ait survenu entre les deux dynasties11. Selon son analyse, les épitaphes Tang
960-1067 (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1953).
9
Durant les années 1980-1990, le recrutement bureaucratique attira particulièrement l‟attention. Alors,
le principal débat consistait à savoir dans quelle mesure les examens furent une voie de mobilité sociale
sous la dynastie Song. Il fut entre autres établi que la seule réussite aux examens ne garantissait en rien
l‟obtention d‟un poste bureaucratique et que les affinités politiques demeuraient cruciales. Cependant, il
semble que les prestigieux réseaux sociaux n‟étaient pas aussi clos qu‟on aurait pu le croire, la réussite
aux examens pouvant parfois y donner accès. Pour une synthèse du débat et ses enjeux, voir entre
autres Patricia B. Ebrey, « The Dynamics of Elite Domination in Sung China », Harvard Journal of
Asiatic Studies 48. 2 (1988), pp. 493-519; Beverly J. Bossler, Powerful Relations : Kinship, Status, and
the State in Sung China (960-1279) (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1998).
10
L‟expression vient de John W. Chaffee (1985 : 11). Voir également Peter K. Bol, « The Sung
Examination System and the Shih », Asia Major, 3rd series, 3. 2 (1990), pp. 149-171.
11
Beverly J. Bossler (1998 : 12-24). Pour un autre argument allant dans le même sens, voir Peter K.
Bol, “This Culture of Ours” : Intellectual Transitions in T’ang and Sung China (Stanford : Stanford
University Press, 1992), pp. 32-75.
3
insisteraient sur l‟appartenance à un illustre lignage conférant un irréprochable
pedigree prédéterminant les relations sociales et agissant telle une garantie de moralité.
À l‟opposé, les épitaphes Song cesseraient quant à elles d‟insister sur les ancêtres
lointains pour se focaliser sur les descendants dont le statut social ne garantit plus la
moralité. À l‟inverse, le degré de moralité conditionne désormais le statut social,
faisant ainsi en sorte que les prestigieux réseaux sociaux s‟ouvrent dans une certaine
mesure aux plus doués.
0. 2 Les rapports État-société
À l‟avènement de la dynastie Song en 960, la culture aristocratique serait donc
devenue obsolète. Ce qui ne veut en rien dire que le système de recrutement étatique
devint totalement objectif, impersonnel et méritocratique. Après tout, les luttes de
pouvoir sont inhérentes à toute forme organisationnelle et il est fatal que les acteurs
engagés développent constamment de nouvelles stratégies adaptées aux conditions du
temps pour se maintenir dans une position dominante. Seulement, pour être à même
d‟exercer une autorité, celle-ci doit avant tout être légitime, donc être reconnue et
fondée sur un ensemble de valeurs diffusées dans la société. Or, depuis la fin du VIIIe
siècle, comme nous le verrons plus en détail au premier chapitre, les changements
socioéconomiques et politiques qui affectèrent l‟empire furent accompagnés de
nouvelles valeurs et attitudes remettant en cause la légitimité de l‟aristocratie.
Pierre Bourdieu a certainement raison de soutenir que le pouvoir politique ne
représente toujours qu‟un « champ » parmi d‟autres et que ses discours ne sauraient
émaner d‟eux-mêmes12. En fait, ceux-ci devraient plutôt être compris dans leurs
relations avec les autres « champs », ainsi qu‟avec l‟univers social qui les motive.
Autrement dit, il y aurait une homologie entre l‟espace politique et l‟espace social, de
sorte que toute action étatique doit être accompagnée « d‟une disposition à la
reconnaissance » permettant d‟obtenir la collaboration des gouvernés « grâce à
l‟assistance des mécanismes sociaux capables de produire [une] complicité »13. Or,
12
13
Pierre Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique (Paris : Éditions du Seuil, 2001), pp. 155-279.
Pierre Bourdieu (2001: 167).
4
cette complicité, affirme Bourdieu, ne saurait être obtenue durablement moyennant la
force physique. Ainsi développe-t-il la notion de « pouvoir symbolique » pour
expliquer qu‟à l‟intérieur de hiérarchies établies, dans lesquelles existent certaines
valeurs communes, le pouvoir s‟exerce généralement à l‟intérieur même de la vie
sociale par des gestes symboliques rendant le pouvoir non seulement invisible et
méconnu, mais surtout reconnu donc légitime. Du coup, pour pouvoir transformer la
société, il faut d‟abord être en mesure d‟y transformer la compréhension du monde
social, ce de manière à inverser le rapport des forces menant à la domination et à
l‟imposition du pouvoir symbolique, une entreprise qui ne va pas de soi.
Depuis fort longtemps, nous sommes accoutumés à une littérature nous disposant
à percevoir l‟État et ses institutions comme des superstructures d‟autorité imposant de
constantes contraintes aux individus, lesquels revêtent des allures de fantoches
désemparés sous la main du pouvoir politique tirant les ficelles. Pensons par exemple
à Max Weber, pour qui la bureaucratie incarnait une machine indestructible de
contrôle, la quintessence du pouvoir politique, le fer de lance du despotisme, la
marque distinctive de l‟État moderne rationnel14. Ou encore, Étienne Balazs qui
semblait tellement croire en la sociologie wébérienne, approchée tel un ensemble de
lois historiques, qu‟il chercha les leçons à tirer de la bureaucratie en Chine impériale
pour mieux anticiper le futur totalitaire de l‟Occident15. En fait, l‟empreinte de la
cybernétique est telle que nous cherchons rarement à savoir en quoi les individus
contraignent eux aussi les institutions.
Michel Crozier et Erhard Friedberg, notamment, nous avisaient du danger de
concevoir les organisations telles des objets autarciques investis d‟une rationalité
intrinsèque leur permettant invariablement de réaliser leurs finalités, lesquelles
s‟imposeraient à des acteurs déjà conditionnés par la rationalité organisationnelle16.
Car, selon eux, les organisations ne seraient guère plus que des construits sociaux à
l‟intérieur desquels s‟organisent les actions collectives. Ainsi, ce serait avant tout les
14
Max Weber, « Bureaucracy », dans H. H. Gerth et C. Wright Mills, trad.-éd., From Max Weber :
Essays in Sociology (New York : Oxford University Press, 1974), pp. 196-239.
15
Étienne Balazs, La bureaucratie céleste. Recherches sur l’économie et la société de la Chine
traditionnelle (Paris : Éditions Gallimard, 1968), pp. 41-43.
16
Michel Crozier, Erhard Friedberg, L’acteur et le système (Paris : Éditions du Seuil, 1977), pp. 15-37.
5
acteurs qui donnent corps aux organisations. Et comme ceux-ci poursuivent en tout
temps leurs propres objectifs, lesquels sont tantôt conciliables tantôt contradictoires, il
ne peut jamais y avoir une parfaite homogénéité des vues. Pour cette raison, au sein
des organisations se déroule un perpétuel jeu stratégique dont les enjeux sont toujours
redéfinis. C‟est-à-dire que tous les acteurs entendent constamment voir triompher
leurs intérêts, ce qu‟ils ne parviennent jamais à réaliser pleinement, aussi puissants
soient-ils, car sans cesse forcés de négocier avec une part d‟incertitude quant aux
choix des autres, lesquels vont inévitablement chercher à adapter leurs propres
stratégies. Ainsi, chaque organisation est astreinte à une contingence structurelle liée
aux complexes relations de pouvoir inhérentes à toutes formes organisationnelles.
Il serait donc inapproprié de chercher à présenter un idéal-type de la bureaucratie
ou de ne pas chercher à comprendre comment la société pouvait transformer l‟État. En
ce sens, Marie-Ève Ouellet nous fit prendre conscience de l‟urgence de concilier deux
approches pour parvenir à une meilleure intelligence de l‟histoire étatique17. D‟une
part, l‟approche « institutionnelle », laquelle tend à privilégier les structures
gouvernementales. D‟autre part, l‟approche « sociale » qui préfère étudier l‟État à
travers ses relations avec la société plutôt que par le biais de ses institutions. Ainsi, en
analysant l‟évolution des institutions étatiques en parallèle avec le contexte social,
autrement dit en joignant des perspectives structurelles et pratiques, il sera possible de
gagner une nouvelle vision corrélative, donc productive, des rapports État-société. Du
coup, nous pourrons également nous sensibiliser aux limites du pouvoir politique et à
l‟importance des réseaux sociaux dans l‟exercice du pouvoir.
En nous inspirant de ces quelques fondements théoriques, notre objectif sera donc
de parvenir à une meilleure compréhension de la transformation des élites et des
institutions étatiques durant ladite « transition Tang-Song ». D‟emblée, disons que, par
transformation des élites, nous n‟entendons pas un simple processus par lequel un
groupe donné dominant le pouvoir politique se transforme spontanément de par sa
propre nature en assurant sa perpétuité. En fait, nous l‟entendons plutôt comme l‟issue
17
Marie-Ève Ouellet, « Structures et pratiques dans l‟historiographie de l‟État en Nouvelle-France »,
Bulletin d’histoire politique 18. 1 (2009), pp. 37-50.
6
de luttes nées d‟une contestation de la légitimité d‟un groupe dominant par d‟autres
groupes sociaux aptes à se substituer au précédent ou à le forcer à se conformer à de
nouvelles normes. Ainsi, de « élites » pouvons-nous donner la définition suivante : «
Un syntagme permettant d‟embrasser […] les divers types de groupes dirigeants ou
dominants qui se sont succédé […] et dont les appellations datées ont changé au fil
des régimes. [Surtout, il rappelle] la forme plurielle des groupes en lutte dans le
champ du pouvoir et leur légitimité en permanence contestée »18.
Selon nous, un principe fondamental est donc celui de la pluralité des élites que
compte une société, lesquelles peuvent se distinguer de plusieurs manières, à débuter
par la nature de leurs activités, la source et l‟étendue de leur autorité. Naturellement,
les élites auxquelles il nous est le plus facile de faire allusion en contexte impérial sont
celles qui se rattachent à l‟État, c‟est-à-dire aux multiples institutions qui incarnent la
puissance politique de l‟empereur et sa cour. Toutefois, ne considérant que de telles
élites et faisant abstraction de la pluralité, il devient trop aisé d‟associer les sujets de
l‟empire à un vaste « groupement [dont] le maintien de l‟ordre est garanti par le
comportement de personnes déterminées, instituées spécialement pour en assurer
l‟exécution » et de définir l‟État comme « une entreprise politique de caractère
institutionnel lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès,
dans l‟application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime »19.
Certes, nous ne répudions pas l‟intégralité de ce postulat wébérien, à savoir que l‟État
correspond à une forme d‟organisation politique supérieure qui se situe au-dessus de
la société grâce à un appareil administratif et juridique sophistiqué. Seulement, nous
nous opposons à l‟idée voulant que les sphères étatiques soient autonomes vis-à-vis de
la société et détentrices d‟un monopole politique20. Car, en effet, admettre que l‟État
18
Christophe Charle, « Légitimité en péril. Éléments pour une histoire comparée des élites et de l‟État
en France et en Europe occidentale (XIXe-XXe siècles) », Actes de la recherche en sciences sociales
116-117 (1997), p. 39.
19
Max Weber, Économie et société. Tome 1 : Les catégories de la sociologie (Paris : Pocket, 1995), pp.
88, 97.
20
John Gledhill, « Introduction : The Comparative Analysis of Social and Political Transitions », dans
John Gledhill, Barbara Bender et Mogens Trolle Larsen, éds., State and Society : The Emergence and
Development of Social Hierarchy and Political Centralization (London : Unwin Hyman, 1988), pp.
4-11; Theda Skocpol, « Bringing the State Back In : Strategies of Analysis in Current Research », dans
Peter B. Evans, Dietrich Rueschemeyer et Theda Skocpol, éds., Bringing the State Back In (Cambridge :
Cambridge University Press, 1985), pp. 7-8.
7
exerce la violence légitime et l‟autorité légale revient à sous-entendre que coexistent
simultanément une violence illégitime et une autorité illégale. Or, nous devons bien
reconnaître que la légitimité et la légalité ne répondent que très rarement à des critères
objectifs. En fait, il s‟agirait davantage d‟attributs relatifs variant selon un rapport de
forces.
Du vivant même de Max Weber, en 1884, Friedrich Engels écrivit : « ce pouvoir
issu de la société, mais qui se place au-dessus d‟elle et lui devient de plus en plus
étranger, c‟est l‟État »21. Malgré la subtilité de cet énoncé, s‟y révèle tout de même
une évocation du célèbre précepte marxiste servant à l‟explication de la succession des
régimes politiques : la lutte des classes. Certes, chez Weber comme chez Engels et
Karl Marx, l‟État est perçu comme une forme de pouvoir répressive. Toutefois,
contrairement à Weber qui semble faire des individus dominés par l‟État des êtres
passifs conditionnés à la soumission, Engels et Marx insistent davantage sur la
dynamique conflictuelle des rapports État-société en introduisant des notions telles
que résistance et prise de conscience. Voici donc comment nous pourrions interpréter
le sens de la phrase citée ci-dessus. D‟une part, l‟opposition entre l‟État et la société
s‟inscrit dans le cadre d‟une lutte de classes. C‟est-à-dire que l‟État est l‟outil par
lequel la classe dirigeante assoit sa domination économique sur les classes dominées,
lesquelles dans leurs luttes pour l‟inversion dudit rapport de domination prennent
conscience de leur statut, ce qui les conduit à renverser l‟État ennemi pour en instaurer
un nouveau répondant à leurs intérêts. D‟autre part, à l‟instar de la lutte des classes à
laquelle ils sont associés, les affrontements entre l‟État et la société ne prennent jamais
durablement fin. En ce sens que si chaque État se met en place à la suite d‟une
révolution, donc avec le soutien de la société, la volonté de la nouvelle classe
dirigeante de consolider sa domination économique fera en sorte de la distancer
toujours plus de la société et d‟éveiller une nouvelle prise de conscience économique
chez les classes dominées et aliénées.
Il est clair qu‟en abordant la conception marxiste de l‟État, notre objectif n‟est pas
21
Friedrich Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (Paris : Éditions Sociales,
1964), p. 156. Cité par Marc Abélès, Anthropologie de l’État (Paris : Armand Colin, 1990), p. 74.
8
de nous faire les avocats de la théorie de la lutte des classes. Le fait étant que celle-ci
tend à faire de la domination économique l‟enjeu de toutes les luttes politiques et le
fondement à l‟origine des groupements sociaux. Non pas que l‟économie n‟est pas un
facteur important, bien au contraire, seulement d‟autres éléments sont à prendre en
considération, notamment la culture. Il est ainsi tout à fait probable que les réseaux
sociaux et les alliances politiques transcendent les statuts économiques. D‟autant plus
que le pouvoir peut non seulement s‟exercer autrement que par la seule domination
économique, mais peut également présenter des formes rétributives autres
qu‟économiques. Toutefois, outre le dogme économique face auquel nous devons être
circonspects, le modèle marxiste a au moins le mérite d‟opérer une distinction entre
l‟État, au sens de gouvernement, et la société, sans pour autant considérer le premier
comme une entité autonome à l‟égard de la seconde.
0. 3 Les enjeux historiographiques
Ayant choisi de privilégier la genèse de ladite transformation des élites et de l‟État,
nous n‟entendons pas analyser l‟évolution des nouvelles élites et institutions après la
fondation de la dynastie Song. Un tel choix s‟explique par le fait que si de nombreux
prédécesseurs démontrèrent qu‟une telle transformation eut effectivement lieu, en
revanche à peu près personne ne démontra éloquemment comment elle se produisit.
D‟une part, nous chercherons à retracer les conditions d‟émergence de ces nouvelles
élites alors que l‟aristocratie dominait toujours l‟État, ce tout en étant sensibles aux
enjeux et aux luttes qui opposaient les divers groupes. Ainsi, une première portion de
notre analyse portera sur les années allant de 763 à 907, date après laquelle
l‟aristocratie cesse d‟être un groupe dominant dans la plaine septentrionale, le
traditionnel cœur politique de l‟empire. Par la suite, nous serons ainsi amenés à voir
dans quelle mesure l‟éviction de l‟aristocratie du paysage politique du Nord et sa
substitution par de nouvelles élites transformèrent la nature de l‟État sous les Cinq
dynasties (907-960).
Néanmoins, pour bien nous mettre dans le contexte des VIIIe, IXe et Xe siècles tel
que nous proposons de le faire au premier chapitre, il est fondamental de remédier à
9
certaines idées trompeuses pourtant prédominantes dans l‟historiographie. Ainsi,
comme nous le constaterons, l‟empire Tang vécut une importante phase de
décentralisation du pouvoir avant de s‟effondrer pour faire place à une période de
division politique qui dura jusqu‟à la réunification impériale de la dynastie Song. Pour
cette raison, cette période tend à être exclusivement associée à une militarisation de la
société ainsi qu‟à une dramatisation des autonomies régionales. D‟An Lushan aux
Song, on tend ainsi à nous brosser le portrait chaotique de l‟éboulement d‟un ordre
social dont les seuls éléments positifs sont en gestation et doivent patienter plus de
deux cent ans pour s‟épanouir grâce à la nouvelle bureaucratie centralisée de la
dynastie Song. Autrement dit, il s‟agit d‟une vision antagonique où la centralisation
impériale s‟associe à la stabilisation de la société civile, tandis que l‟indépendance de
régimes régionaux s‟associe à l‟annihilation civique22.
Pourtant, très tôt au début des années 1960, Wang Gungwu nous invitait à
concevoir différemment la période des Cinq dynasties23. Non pas comme un
paroxysme du morcellement de l‟autorité politique, mais bien comme le point de
départ d‟un nouveau processus de centralisation et d‟innovations institutionnelles
jetant les fondations de la future dynastie Song. Certes, le Nord de la Chine vécut sous
les Cinq dynasties une période d‟instabilité politique. Ce qui ne veut pas dire que les
luttes de pouvoir se traduisaient toujours par un climat de guerre totale. Ainsi, comme
le démontre Naomi Standen, la grande caractéristique de cette instabilité n‟était pas
tant la violence que la fréquence des changements d‟allégeances, lesquels peuvent
survenir sans coup férir24. D‟un autre côté, nous trouvons également les divers
royaumes indépendants du Sud, lesquels semblaient jouir d‟une plus grande stabilité
politique, économique et sociale que le Nord.
22
Par exemple, voir Edwin G. Pulleyblank, « The An Lu-shan Rebellion and the Origins of Chronic
Militarism in Late T‟ang China », dans John Curtis Perry et Bardwell L. Smith, éds., Essays on Tang
Society (Leiden : Brill, 1976), pp. 59-60. Pour mesurer la persistance de ce genre d‟idées, voir Hugh R.
Clark, « The Southern Kingdoms between the T‟ang and the Sung, 907-979 », dans Denis C. Twitchett
et Paul J. Smith, éds., The Cambridge History of China. Volume 5, part 1 : The Sung Dynasty and Its
Precursors, 907-1279 (Cambridge : Cambridge University Press, 2009), pp. 133-205.
23
Wang Gungwu, Divided China : Preparing for Reunification 883-947 – édition révisée de The
Structure of Power in North China during the Five Dynasties (1963) – (Singapore : World Scientific
Publishing, 2007).
24
Naomi Standen, Unbounded Loyalty : Frontier Crossings in Liao China (Honolulu : University of
Hawai‟i Press, 2007).
10
En fait, en étudiant l‟histoire de cette période, il faut se garder de se méprendre
sur la rhétorique impériale qui se déploie avec force sous la dynastie Song. Il en va
ainsi des jugements de certains historiens comme Ouyang Xiu 歐陽修 (1007-1072),
auteur de la Nouvelle histoire des Cinq dynasties (Xin Wudai shi 新五代史), lequel
percevait les Cinq dynasties et Dix royaumes telle une sombre période dominée par
des potentats immoraux et des renégats dépravés25. Toutefois, les dernières études
comparant les diverses perceptions qu‟avaient Ouyang Xiu et Xue Juzheng 薛居正
(912-981), auteur de l‟Ancienne histoire des Cinq dynasties (Jiu Wudai shi 舊五代史),
tendent à indiquer que les points de vue exprimés par certains historiens Song sont
partiaux. Ainsi, Xue Juzheng, lequel vécu aussi bien sous les Cinq dynasties qu‟au
début des Song, ne perçoit pas en termes tout à fait négatifs son époque, laquelle
n‟apparaît guère comme une ère de déchéance26.
Un des objectifs de ce mémoire est donc de remédier à cette vision obscurantiste
pour parvenir à une meilleure compréhension des institutions politiques sous les Cinq
dynasties et Dix royaumes. Néanmoins, comme il s‟agit d‟une complexe période où
cohabitent de nombreux États, plutôt que d‟en proposer une histoire globale, il nous
apparaît plus réaliste d‟analyser en détail une seule région pour laquelle nous
disposons d‟une documentation plus ou moins abondante. Ainsi, après un premier
chapitre où nous étudierons de manière générale l‟évolution des rapports État-société
entre les VIIIe et Xe siècles, nous consacrerons deux chapitres à l‟évolution des
institutions étatiques du royaume de Shu 蜀國, c‟est-à-dire l‟actuelle province du
25
Richard L. Davis, « Images of the South in Ouyang Xiu‟s Historical Records of the Five Dynasties »,
dans Dongwu daxue lishixue xi 東吳大學歷史學系, éd., Shixue yu wenxian 史學與文獻 (Taipei :
Xuesheng shuju yinhang, 1998), pp. 97-162; « Martial Men and Military Might in the Historical
Writings of Ouyang Xiu », dans Kim Hua Paksa Cengnyen Kinyem Sahak Nonchong 金燁博士停年紀
念 (Chungbuk : Chungbuk Historical Society, 1998), pp. 753-784. Voir également Wang Gungwu, «
Feng Tao : An Essay on Confucian Loyalty », dans Arthur F. Wright et Denis C. Twitchett, éds.,
Confucian Personalities (Stanford : Stanford University Press, 1962), pp. 123-145; Naomi Standen
(2007 : 59-63).
26
Billy K. L. So, « Negotiating Chinese Identity in Five Dynasties Narratives : From the Old History
to the New History », dans Billy K. L. So et al., éds., Power and Identity in the Chinese World Order :
Festschrift in Honour of Professor Wang Gungwu (Hong Kong : Hong Kong University Press, 2003),
pp. 223-238; Hon Tze-ki, « Military Governance versus Civil Governance : A Comparison of the Old
History and the New History of the Five Dynasties », dans Chow Kai-wing, Ng On-cho, John B.
Henderson, éds., Imagining Boundaries : Changing Confucian Doctrines, Texts, and Hermeneutics
(Albany : State University of New York Press, 1999), pp. 85-105.
11
Sichuan, entre 907 et 96527.
Une des raisons à l‟origine d‟un tel choix est qu‟une étude vouée au royaume de
Shu permet d‟observer un peu plus aisément comment la composition et la nature des
élites affectaient la nature même des institutions étatiques. Ainsi, dans un premier
temps, sous les Shu antérieurs 前蜀 (908-925), le gouvernement central du royaume
fut dominé par des réfugiés loyalistes pro-Tang issus de grands clans aristocratiques.
Fuyant les purges antiaristocratiques frappant alors le Nord, ceux-ci s‟exilèrent à Shu
avec l‟idée d‟y prolonger l‟existence des institutions Tang en attendant une éventuelle
restauration. Or, après que la dynastie restaurationiste des Tang postérieurs 後唐
(923-937) eut temporairement réintégré Shu à l‟empire, la plupart des réfugiés
loyalistes retournèrent vers la plaine centrale pour y servir la nouvelle dynastie Tang,
tandis que d‟autres agents formés dans les diverses commanderies du Nord furent
envoyés à Shu pour remplacer les précédents. Autour de ceux-ci allait ainsi se
constituer l‟État d‟un second royaume de Shu indépendant, celui des Shu postérieurs
後蜀 (934-965). Comme nous en ferons la démonstration, ces derniers provenaient en
général de cette nouvelle classe de bureaucrates professionnels qui se substituèrent
aux descendants de grands clans aristocratiques dans la plaine septentrionale. Ainsi
chercherons-nous à savoir en quoi les institutions étatiques des Shu postérieurs se
distinguaient de celles des Shu antérieurs.
En nous appuyant sur les renseignements biographiques que contiennent les
diverses sources incunables ainsi que les quelques épitaphes à notre disposition, nous
procéderons donc à l‟analyse prosopographique d‟un échantillon de ministres et
lieutenants ayant été à l‟emploi de l‟un des deux États de Shu. Pour chacun des
individus sélectionnés, nous chercherons d‟une part à comprendre leurs origines et
orientations socioculturelles, de même que leurs expériences et allégeances passées.
D‟autre part, nous analyserons les titres octroyés à ceux-ci, les responsabilités dont ils
étaient investis, les lieux où ils étaient affectés ainsi que les critères de leur embauche.
27
Pour une étude similaire à celle que nous proposons, mais portant sur une autre région à la même
époque, voir Ng Pak-sheung, « The Continuity of Chinese Cultural Heritage in the T‟ang-Sung Era :
The Socio-political Significance and Cultural Impact of the Civil Administration of the Southern T‟ang
(937-975) », thèse doctorale, University of Arizona, 1997.
12
De la sorte, nous croyons ainsi être en mesure de mieux saisir comment évoluèrent les
pratiques bureaucratiques, les structures du pouvoir politique à travers le royaume, les
rapports État-société ainsi que les critères de légitimité des fonctionnaires et officiers
militaires délégués par la cour.
Ce mémoire sera ainsi l‟occasion de revenir sur les thèses proposées par quelques
auteurs ayant étudié le Sichuan durant la « transition Tang-Song ». Au premier chef,
mentionnons Winston W. Lo, lequel concevait le Sichuan durant l‟intérim comme un
monde sans structures étatiques développées et constamment aux prises avec des
guerres et des rébellions. Ainsi, cherchait-il à démontrer à quel point fut bénéfique
pour le Sichuan l‟unification impériale de la dynastie Song, laquelle vint rétablir la
paix et la prospérité par la mise en place d‟un État bureaucratique sophistiqué28. En
second lieu, Richard von Glahn formula un argument pour nous convaincre qu‟en
l‟absence de structures étatiques élaborées, l‟ordre social du Sichuan fut dominé par
des « magnats locaux » réfractaires à tout processus de bureaucratisation, lesquels
auraient assis leur domination grâce à un contrôle total des ressources économiques et
des organisations de défense villageoise29. Selon lui, un tel ordre social aurait ainsi
trouvé sa raison d‟être dans la récurrence des guerres et l‟éloignement géographique
du Sichuan empêchant l‟État d‟y maintenir l‟ordre, une conjoncture qui n‟aurait pris
fin qu‟avec l‟intégration de la région à l‟empire Song. Ainsi, la dynastie Song aurait
favorisé la destruction de la « société de magnats » en modernisant la société
sichuanaise grâce à l‟imposition d‟un appareil bureaucratique jusqu‟alors inexistant
dans la région.
À notre avis, les jugements que posent ces historiens sur le royaume de Shu sont
tout au plus hypothétiques, car exclusivement fondés sur la rhétorique apologétique de
la dynastie Song. Nous démontrerons d‟une part qu‟un processus de bureaucratisation
et de pénétration institutionnelle avait été amorcé de plein fouet bien avant que la
28
Winston W. Lo, Szechwan in Sung China : A Case in the Political Integration of the Chinese Empire
(Taipei : The University of Chinese Culture Press, 1982).
29
Richard von Glahn, The Country of Streams and Grottoes : Expansion, Settlement, and the Civilizing
of the Sichuan Frontier in Song Times (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1987), pp. 39-67.
Voir également Paul J. Smith, Taxing Heaven’s Storehouse : Horses, Bureaucrats, and the Destruction
of the Sichuan Tea Industry, 1074-1224 (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1991), pp.
77-108, lequel s‟appuie considérablement sur von Glahn et son concept de « magnats locaux ».
13
dynastie Song s‟impose sur le Sichuan. D‟autre part, nous verrons que l‟État fut
suffisamment fort et organisé pour ne pas laisser le contrôle de ses armées et de
l‟ensemble des ressources économiques à des magnats agissant tels des seigneurs de la
guerre.
Récemment, Wang Hongjie produisit une dissertation doctorale entièrement
consacrée aux Shu antérieurs30. Dans celle-ci, Wang cherchait notamment à analyser
l‟histoire de ce régime régional en le situant dans le système pluri étatique de l‟époque.
Ainsi invoquait-il la thèse du pragmatisme politique selon laquelle les actions des
divers régimes étaient avant tout décidées en fonction de la préservation de leur
souveraineté et du maintien de l‟équilibre des puissances. Pour en venir à cette
réflexion, Wang prenait donc pour acquis que chacun des régimes se valaient, en ce
sens que leurs souverains partageaient tous une même conception de l‟ordre politique
et qu‟ils se percevaient mutuellement comme des rivaux plus ou moins égaux. Ce qui
le conduit, à juste titre, à accorder une place aussi significative aux échanges
diplomatiques qu‟aux confrontations armées.
Néanmoins, bien que la thèse soit séduisante dans sa forme, sur le fond du récit
nous sommes en désaccord avec de nombreux points de vue exprimés par l‟auteur.
D‟abord, Wang semble interpréter de façon beaucoup trop rationaliste et fataliste les
décisions et les actions des souverains de cette époque, lesquels apparaissent tous
comme des sécessionnistes qui anticipaient de très longue date de devenir empereur.
Ainsi, les sujets de ceux-ci figurent tous de manière purement instrumentale, les
militaires ne servant qu‟à asseoir leur autorité par la force tandis que les bureaucrates
ne tiennent qu‟un rôle ostentatoire permettant d‟exhiber leur légitimité. Ensuite, en
cataloguant les Cinq dynasties et Dix royaumes sous la seule rubrique du militarisme,
il ne parvient pas à rendre compte de ce qui distinguait les Shu antérieurs des autres
régimes contemporains, que ce soit sur le plan institutionnel, socioculturel voire même
idéologique. Car, en effet, nous ne croyons pas que le militarisme corresponde à une
idéologie en soi, pas plus que nous pensons que les militaires puissent être considérés
30
Wang Hongjie, « Sharing the Mandate : The Former Shu Regime of Wang Jian in the Late Tang and
Early Five Dynasties, 891-925 », thèse doctorale, Brown University, 2008.
14
comme une catégorie sociologique homogène investie d‟un seul système de valeurs.
Ainsi souhaitons-nous procéder à une nouvelle analyse qui responsabiliserait
davantage les clients des divers souverains de cette époque. C‟est-à-dire que ces
clients n‟étaient pas des sujets passifs, mais bien des individus ayant des aspirations et
des valeurs en vertu desquelles ils faisaient un choix en s‟alliant à un parti plutôt qu‟à
un autre. Dans cette optique, ce n‟était pas tant le souverain qui faisait les ministres
que les ministres qui faisaient le souverain, lequel n‟était légitime à leurs yeux que
parce qu‟il épousait leur cause. En ce sens, les luttes politiques interétatiques du début
du Xe siècle ne sauraient être pleinement comprises en étant dissociées des conflits
sociaux qui leur donnèrent naissance en plongeant l‟empire dans une ère de rébellion.
D‟où l‟importance de ne pas négliger la contrepartie des ex-rebelles, c‟est-à-dire les
loyalistes pro-Tang, et de s‟interroger sur les origines profondes de leurs différends.
15
I. Le contexte historique
Les Cinq dynasties et Dix royaumes furent une époque empreinte de profondes
transformations. En vertu de l‟influence inextinguible de ses mutations, nous pouvons
donc la révérer comme un temps fort à la charnière de la plus longue transition
Tang-Song. Le fait étant qu‟elle entérina la fin de la dynastie Tang et les valeurs «
médiévales » dont elle portait encore les vestiges, ce de manière à orienter la société
vers de nouveaux horizons qui trouveront une consécration sous la dynastie Song.
Dans ce chapitre, nous verrons qu‟en dépit des changements socioéconomiques
qui affectèrent la société dès la fin du VIIIe siècle, la communauté politique fut alors
peu réceptive à ces changements dont elle cherchait résolument à se prémunir. Ainsi,
pendant que fleurissaient de nouvelles élites provinciales sans antécédent
bureaucratique, les membres de l‟ancienne clientèle impériale furent souvent motivés
par un désir de préserver leur primauté politique et s‟efforcèrent de leur fermer l‟accès
aux charges étatiques. Toutefois, nous constaterons comment au début du Xe siècle,
après une période troublée de révoltes populaires, de nouvelles valeurs déjà largement
diffusées dans la société gagneront rapidement le monde politique, tandis que
l‟aristocratie se fera simultanément évincer du pouvoir.
1. 1 L‟érosion de l‟aristocratie (763-875)
L‟un des développements les plus éloquents des IXe et Xe siècles fut le retrait
progressif et irréversible de l‟aristocratie comme groupe organisé dominant la vie
politique au profit d‟individus aux origines plus hétérogènes31. Bien que déjà au début
de la dynastie Tang, nous aurions tort de croire que l‟ensemble de la société fut
exclusivement gouvernée par une aristocratie monolithique32, n‟en demeure pas
moins qu‟une aristocratie dominait l‟État et assoyait son autorité sur de nombreux
31
Sur l‟éviction de l‟aristocratie, voir notamment David G. Johnson, « The Last Years of a Great Clan :
The Li Family of Chao-chün in Late T‟ang and Early Sung », Harvard Journal of Asiatic Studies 37.1
(1977), pp. 40-75. Sur les groupes qui vont prendre leur place à l‟avant-scène de la vie politique dans la
plaine septentrionale, voir Wang Gungwu (2007 : 83-176).
32
Denis C. Twitchett, « The Composition of the T‟ang Ruling Class : New Evidence from Tunhuang »,
dans Arthur F. Wright et Denis C. Twitchett, éds., Perspectives on the T’ang (New Haven – London :
Yale University Press, 1973), pp. 47-85.
16
privilèges33. Toutefois, suivant la rébellion d‟An Lushan qui sapa les fondements de
l‟État en manquant de détrôner la dynastie, la société se mit à évoluer très rapidement.
Au point où l‟aristocratie perdit beaucoup de son influence dans la société, à défaut de
conserver une place privilégiée au sein de l‟État. Ainsi, tandis que l‟aristocratie était
déjà sujette à un important processus de bureaucratisation34, sa prééminence au
sommet de la hiérarchie sociale dépendait désormais davantage du maintien du
pouvoir impérial en place que de son aptitude à orienter la société.
Suite à la défaite d‟An Lushan, un monde foncièrement différent commença donc
à se dessiner, tandis que de nouvelles élites provinciales émergèrent parallèlement en
marge de la bureaucratie impériale. Notamment, nous trouvions des propriétaires
terriens, des marchands et des artisans ayant bénéficié de l‟affaiblissement du contrôle
impérial. Ainsi, pendant que la dynastie se remettait lentement d‟une dure épreuve,
que les fondements de son autorité devaient être reconstruits et que les provinces
passèrent temporairement aux mains de gouverneurs militaires dont la dynastie
dépendait pour assurer sa survie, il semble que la cour n‟était plus à même d‟imposer
une gestion étroite des activités économiques menant à un système universel de
taxation directe. Dans ce contexte, elle dut souvent se contenter de négocier des
quotas fiscaux avec des gouverneurs plus ou moins autonomes tout en instaurant un
système de taxation indirecte sur le commerce par l‟entremise de commissions
mercantiles, dont la célèbre Commission d‟exploitation du sel et de l‟acier (jue yantie
榷鹽鐵)35. Sans entrer dans les détails du système fiscal de l‟époque, contentons-nous
d‟insister sur le fait que l‟administration des finances subit alors une importante
régionalisation, que l‟économie connut une intense monétarisation et surtout que le
nouveau système marqua l‟abandon d‟une vision physiocratique en confirmant le rôle
33
Patricia Buckley Ebrey (1978); David G. Johnson (1977 a).
Voir notamment Josephine Chiu-Duke, « The Wu chün Lu Clan as an Example of Bureaucratization
in the T‟ang », B. C. Asian Review 3-4 (1990), pp. 106-152.
35
Sur l‟histoire économique de la dynastie Tang, la référence anglaise de prédilection demeure Denis C.
Twitchett, lequel s‟appuie énormément sur les sinologues japonais de l‟Après-guerre qui donnèrent une
profonde impulsion aux études socioéconomiques dans l‟historiographie de la Chine médiévale. Voir
Financial Administration under the T’ang Dynasty (Cambridge : Cambridge University Press, 2ème
edition, 1970). Du même auteur, voir également « The Salt Commissioners after An Lushan‟s Rebellion
», Asia Major, new series, 4.1 (1959), pp. 60-89; « Provincial Autonomy and Central Finance in Late
T‟ang », Asia Major, new series, 11.2 (1965), pp. 211-232.
34
17
central du commerce dans l‟assainissement des finances impériales36.
À maints égards, s‟annonçait donc une période d‟ouverture et de mobilité durant
laquelle plusieurs marchands profitèrent de la conjoncture pour s‟enrichir, tandis que
des agriculteurs laissèrent leurs champs pour se tourner vers le commerce37. En fait,
on trouve même des fils de fonctionnaires qui firent leur entrée dans le monde du
négoce38. À cette époque, non seulement les lois somptuaires cessèrent souvent d‟êtres
respectées39, mais aussi la conception voulant que la réussite sociale soit l‟apanage
exclusif d‟une carrière bureaucratique n‟était plus aussi ancrée dans les mœurs40.
Pourtant, en dépit de toutes les avancées socioéconomiques du temps et de la relative
mobilité qui en découla, de manière générale il semble que le pedigree aristocratique
demeura le principal critère d‟adhésion à la bureaucratie impériale. Un net clivage
semblait donc s‟installer entre un monde en pleine évolution et un État continuant de
s‟attacher à des principes qui ne correspondaient plus tout à fait aux valeurs objectives
de la société. Du moins, à ce stade, il ne semble pas y avoir eu une moins grande
disparité entre les origines socioprofessionnelles des élites de la capitale et celles des
36
Denis C. Twitchett (1966; 1968).
À notre connaissance, aucune étude sérieuse en Occident n‟a été vouée au devenir des agriculteurs
suivant la fin, à tout le moins théorique, du partage égalitaire des terres (juntian 均田). Si certains
devinrent des tenanciers dans des domaines agricoles, d‟autres devinrent plausiblement de petits
propriétaires terriens, tandis que d‟autres cessèrent d‟être rivés à la glèbe. L‟une des questions qui
obséda constamment l‟État fut celle des paysans en fuite. Serait-il possible qu‟ils changèrent tous de
vocation, car surexploités, pour devenir des rebelles? Certainement pas dans tous les cas. En revanche,
nous savons qu‟à cette époque les économies rurales se commercialisaient. Ce qui est attesté par le
développement considérable des marchés ruraux et la transformation d‟anciennes garnisons de province
en bourgades commerciales. De plus, nous avons à l‟époque un phénomène d‟accroissement des villes
gonflées par des populations marchandes de plus en plus nombreuses. Dès lors, il est peu probable que
l‟expansion des villes n‟ait tenu qu‟à une hausse du taux de natalité urbain, il y eu certainement un
phénomène d‟exode rural en cause. Denis C. Twitchett (1966 : 233-243); (1970 : 9-23); Heng Chye
Kiang (1999 : 73-90).
38
Denis C. Twitchett (1968 : 93-95). Nicolas Tackett mentionne quant à lui une épitaphe appartenant à
Lu Gongbi 盧公弼 (788-866) dont les proches occupèrent d‟importantes charges étatiques. Celui-ci,
plutôt que de tenter sa chance dans la bureaucratie, quitta la capitale pour s‟établir dans la région de
Yangzhou où il se mit à la tête d‟un commerce lucratif. Quelques épitaphes mentionnent également des
fils de fonctionnaires quittant la capitale pour acquérir des domaines agricoles. Voir l‟article de Tackett
intitulé « Great Clansmen, Bureaucrats, and Local Magnates : The Structure and Circulation of the Elite
in Late-Tang China », Asia Major, 3rd series, 21. 2 (2008), pp. 130-133.
39
Twitchett (1968, pp. 85-86) traduit un intéressant poème de Bo Juyi 白居易 (772-846) faisant état
de l‟ostentation de richesses chez les marchands de son temps. Une telle ostentation tranche avec
l‟attitude des marchands plus tôt dans l‟histoire de la dynastie, alors qu‟ils étaient soumis à de rigides
règles somptuaires. Tackett (2008 : 109) fait également état d‟un changement au niveau des pratiques
mortuaires des marchands, lesquelles étaient également sujettes à des règles somptuaires leur
empêchant d‟avoir une épitaphe, ce qui n‟était manifestement plus le cas au début du IXe siècle.
40
C‟est l‟une des principales conclusions de Nicolas Tackett (2008 : 139).
37
18
élites provinciales. Grâce à un considérable corpus d‟épitaphes, Nicolas Tackett
démontre cette contradiction en analysant la nature et la distribution géographique des
élites vers la fin de la dynastie Tang41. Il en ressort qu‟à peu près toutes les épitaphes
provenant de Chang‟an et Luoyang étaient celles d‟individus issus de lignages ayant
une longue tradition bureaucratique. Inversement, la plupart des épitaphes exhumées
en province étaient celles d‟élites marchandes et de propriétaires terriens dépourvus de
liens significatifs avec la bureaucratie impériale et ses agents. D‟après Tackett, s‟il
arrive de découvrir en province quelques épitaphes d‟élites originaires de la capitale,
cela ne ferait qu‟attester de la mobilité géographique de ces élites désignées pour
occuper des fonctions partout à travers l‟empire. Mais de telles épitaphes sont plutôt
rares car les élites de la capitale affectées à des postes provinciaux avaient pour
habitude à leur mort de se faire rapatrier à la capitale pour y être inhumées. À l‟opposé
cependant, sans doute privées de liens familiaux ou socioprofessionnels à la capitale
ou dans des provinces autres que celles où elles vivaient, les élites
non-bureaucratiques semblent avoir été de nature strictement locale ou provinciale.
L‟étude de Tackett suggère ainsi qu‟il était difficile d‟appartenir aux élites de la
capitale sans au préalable jouir de relations politiques permettant d‟entrer dans la
bureaucratie. Mais il démontre également que les réalités provinciales différaient
largement de celles qui prévalaient à la capitale. Ainsi, en province se trouvaient des
familles sans aucun antécédent bureaucratique dont les fortunes permettaient parfois
d‟y rivaliser les bureaucrates. Sous la dynastie Tang, il serait donc inapproprié
d‟affirmer que lesdites nouvelles élites formaient une quelconque gentry qui prit son
envol grâce au recrutement bureaucratique provincial. Du moins, le phénomène ne fut
pas aussi généralisé qu‟on pourrait le croire.
Il ne faudrait d‟ailleurs pas exagérer l‟attitude belliqueuse des gouverneurs et
interpréter le système provincial comme anti-Tang ou antiaristocratique, du moins pas
41
La légitimité de sa démarche réside dans le fait que les épitaphes sont la marque d‟obsèques plus
élaborées dont les coûts ne peuvent être défrayés que par des gens relativement fortunés. Alors que les
règles somptuaires s‟estompent, les épitaphes renvoient à un niveau de richesse sans être le propre
d‟une occupation déterminée. Ainsi, les épitaphes se rapportent à des élites variées, lesquelles peuvent
aussi bien être bureaucratiques que marchandes. Nicolas Tackett (2008 : 101-152). De Nicolas Tackett,
voir également « The Transformation of Medieval Chinese Elites (850-1000 C.E.) », thèse doctorale,
Columbia University, 2006.
19
avant la rébellion de Wang Xianzhi 王仙芝 et Huang Chao 黃巢 (875-884). Car,
bien qu‟au prix d‟une décentralisation, la dynastie parvint tout de même à restaurer
son autorité en province suite aux quelques troubles qui suivirent la rébellion d‟An
Lushan. Ainsi, à quelques exceptions près, la plupart des gouverneurs militaires furent
remplacés par des gouverneurs civils nommés par la cour, laquelle regagna également
la prérogative de nommer les préfets qui allaient jouer un rôle crucial dans le
processus de restauration42. Récemment, Watanabe Takashi démontra comment le
système de recrutement provincial était dans l‟ensemble aligné sur la politique de la
cour, tandis que les postes bureaucratiques provinciaux d‟importance continuaient
d‟être monopolisés par des individus issus de lignages jouissant de relations familiales
et politiques au plus haut niveau. En fait, il se pourrait qu‟alors les affectations
provinciales furent une première étape incontournable pour les jeunes fils de
bureaucrates désireux eux-mêmes de poursuivre une carrière bureaucratique à la cour.
D‟autre part, semble-t-il, le mieux que des natifs provinciaux sans relation politique à
la capitale pouvaient espérer n‟étaient que de menus postes sans avantage réel, aussi
bien du point de vue du prestige, du salaire que des chances de promotion43.
Certes, la restauration impériale s‟explique en parti par une confiscation des
pouvoirs accaparés par les gouverneurs militaires durant la rébellion au profit de
bureaucrates civils ayant repris la direction des affaires provinciales. Toutefois,
paradoxalement, il est également vrai que la restauration se fit au détriment de ces
mêmes bureaucrates dont la cour cherchait dans une certaine mesure à limiter
l‟autorité. Par exemple, nul ne saurait sous-estimer le rôle des eunuques dans le
processus de restauration et l‟influence croissante que ceux-ci exercèrent sur les
affaires politiques et militaires de l‟empire durant la seconde moitié de la dynastie
Tang. Ainsi, à titre de serviteurs personnels de l‟empereur, ceux-ci furent fréquemment
désignés pour superviser les affaires provinciales et assurer la transmission des
42
Wang Gungwu (2007 : 7-19); Charles A. Peterson, « The Restoration Completed : Emperor
Hsien-tsung and the Provinces », dans Arthur F. Wright et Denis C. Twitchett, éds., Perspectives on the
T’ang (New Haven – London : Yale University Press, 1973), pp. 151-191.
43
Watanabe Takashi, « A Re-examination of the Recruiting System in “Military Provinces” in the Late
Tang – Focusing on the Composition of the Ancillary Personnel in Huainan and Zhexi », trad. Jessey
J.C. Choo, The Tōyōshi-Kenkyū 64.1 (2005), pp. 1-73.
20
directives impériales aux gouverneurs et préfets. Rappelons notamment que ceux-ci
étaient désormais à la tête du Bureau des affaires militaires (shumi yuan 樞密院),
vraisemblablement la plus puissante agence impériale du moment, en ce sens qu‟il
s‟ingérait intensément dans de nombreuses sphères d‟activité, y compris celles
relevant traditionnellement de la bureaucratie44.
Dans la tradition historiographique de la dynastie Tang, outre les militaires, les
eunuques sont certainement ceux qui furent l‟objet des attaques les plus virulentes.
Entre autres, c‟est sur eux et les militaires que la plupart des historiens confucianistes
fit reposer la responsabilité des déboires de la dynastie Tang et de sa chute en 907.
Notamment, ceux-ci sont accusés d‟avoir usurpé l‟autorité de la bureaucratie et
d‟avoir sacrifié le bien de l‟État pour satisfaire leur soif de pouvoir et leurs intérêts
personnels. Toutefois, il n‟est pas sans intérêt d‟insister sur le fait que ces discours qui
cherchent constamment à dissocier les bureaucrates et les eunuques sont tous
postérieurs à la dynastie Tang. Ainsi, nous apparaît-il prudent de ne pas formuler de
conclusions hâtives en nous appuyant sur ce type d‟argument. Car, en fait, les
bureaucrates aristocratiques de la fin de la dynastie Tang ne nous apparaissent pas
toujours comme les victimes des eunuques. Bien au contraire, il nous semble plutôt
qu‟eunuques et bureaucrates partageaient certains intérêts et qu‟ils étaient amenés à
collaborer plus souvent que nous pourrions le croire.
En tous les cas cependant, il est clair que les eunuques ne se substituèrent jamais
pleinement aux bureaucrates aristocratiques, lesquels continuèrent malgré tout à se
perpétuer au sommet de la hiérarchie politique grâce à leur mainmise sur les offices.
Par conséquent, l‟élévation socioéconomique de nouvelles élites provinciales dans la
deuxième moitié de la dynastie Tang tiendrait à des causes plus profondes qu‟une
quelconque volonté des gouverneurs de s‟appuyer sur une toute nouvelle classe de
44
Sur le rôle des eunuques sous la dynastie Tang, voir notamment J. K. Rideout, « The Rise of the
Eunuchs during the T‟ang Dynasty », Asia Major, new series, 1. 1 (1949), pp. 53-72; 3. 1 (1953), pp.
42-58; Michael T. Dalby, « Court Politics in Late T‟ang Times », dans Denis C. Twitchett, éd., The
Cambridge History of China. Volume 3, part 1 : Sui and T’ang China, 589-906 (Cambridge :
Cambridge University Press, 1979), pp. 633-636; Dai Xianqun 戴顯群, Tang Wudai zhengzhi zhongshu
yanjiu 唐五代政治中樞研究 (Xiamen : Xiamen daxue chuban she, 2001), pp. 123-139. Sur le Bureau
des affaires militaires plus précisément, Wang Gungwu (2007) en discute de part en part dans son
ouvrage sur les structures du pouvoir.
21
bureaucrates locaux pour consolider leur pouvoir. Certes, il y eu les grands
changements économiques stimulés par la nouvelle politique fiscale déployée pour
soutenir financièrement la cour dans son effort de restauration. Mais, pourquoi cette
politique fiscale ne fut pas seulement temporaire et que l‟État ne fut pas en mesure de
réinstaurer la structure économique qui prévalait avant 755? Ce n‟était certainement
pas parce que là n‟était pas son intérêt ou qu‟il ne pouvait espérer avoir la
collaboration de ses bureaucrates et eunuques délégués en province, lesquels étaient
dans l‟ensemble les grands bénéficiaires et défendeurs de l‟ancien système. À notre
avis, la réponse résiderait davantage dans un certain nombre de changements
socioculturels.
Notamment, il faut se rendre compte que la génération née après les années 750 et
760 vécut dans un monde qui n‟avait sans doute rien à voir avec celui de leurs aïeux.
Entre le début de la rébellion d‟An Lushan et l‟achèvement de la restauration, alors
qu‟un relâchement de l‟autorité se fit sentir, il semble ainsi qu‟une partie de la
population fit l‟expérience d‟une période de fréquentes transgressions des normes
établies par les codes, surtout en ce qui a trait aux déplacements, aux rassemblements
et aux activités économiques. D‟abord, il semble que l‟État perdit le contrôle sur les
mouvements d‟une portion de la population dont on perd la trace dans les registres45.
Ensuite, tandis que l‟État reconnut tacitement le bien-fondé du commerce en
cherchant à le taxer, plusieurs durent y voir la possibilité de s‟enrichir tout en
apprenant à respecter les marchands pouvant contribuer autant que les lettrés au
développement de la société. Du coup, il y eu possiblement une prise de conscience
portant à concevoir une alternative au monde physiocratique idéalisé par plusieurs
confucianistes46.
Si auparavant l‟État parvenait tant bien que mal à faire respecter ses lois, par la
suite il fut aux prises avec un intempestif problème de dissidence auquel les décrets
45
Denis C. Twitchett (1970 : 17).
Sur l‟idéal physiocratique dont les confucianistes de la cour se faisaient les avocats, voir Denis C.
Twitchett, « A Confucian‟s View of the Taxation of Commerce : Ts‟ui Jung‟s Memorial of 703 »,
Bulletin of the School of Oriental & African Studies 32.2 (1973) : 429-445.
46
22
réitérés ne changeaient rien47. Un excellent moyen de constater ce fait est en analysant
comment évolua la gestion étatique des villes et des activités commerciales. Ainsi,
durant la première moitié de la dynastie Tang, les villes étaient à peu près toutes
aménagées selon le même modèle que la capitale, c‟est-à-dire des villes intra-muros
compartimentées de manière très symétrique en de multiples cloisonnements muraux
abritant les habitations, les marchés, les temples et les bureaux administratifs.
L‟intérieur des villes était alors sous constante surveillance policière, les allées et
venues contrôlées, des couvre-feux strictement imposés et des marchés tenus sous la
supervision vigilante de fonctionnaires spécialement affectés. Ainsi, dans les marchés,
le prix des marchandises était déterminé par l‟État, nous avions un regroupement forcé
des marchands en guildes et individuellement identifiés dans des registres, il y avait
une interdiction d‟étaler ses marchandises sur la voie publique et les marchés devaient
fermer à la tombée du soir48.
À l‟opposé, après la rébellion d‟An Lushan, l‟État ne parvenait plus à imposer sa
gestion territoriale des villes et à y faire régner l‟ordre désiré. Par exemple, des
citadins se mirent à percer les murs de leurs habitations, s‟improvisant ainsi des portes
donnant un accès direct à la rue, et cessèrent de respecter les couvre-feux. Quant à eux,
les marchands commencèrent à opérer de nuit, à empiéter sur les voies publiques
tandis qu‟on vit proliférer des tavernes et des bordels aux abords des marchés49. Bien
47
Denis C. Twitchett (1966 : 230-233).
Denis C. Twitchett (1966 : 207-230); Heng Chye Kiang (1999 : 1-66); Charles Benn, Daily Life in
Traditional China : The Tang Dynasty (Westport – London : Greenwood Press, 2002), pp. 45-58; Victor
Cunrui Xiong, Sui-Tang Chang’an : A Study in the Urban History of Medieval China (Ann Arbor: The
University of Michigan, 2000), pp. 165-194; Katō Shigeshi, « On the Hang or the Associations of
Merchants in China, with Especial Reference to the Institution in the T‟ang and Sung Periods »,
Memoirs of the Research Department of the Tōyō Bunko 9 (1936), pp. 45-83.
49
Sur les nombreuses dérogations aux lois et à l‟impuissance des forces de l‟ordre, voir les mémoires
et décrets cités dans THY 86. 1576. Voir également Denis C. Twitchett (1966 : 231-232); Heng Chye
Kiang (1999 : 69-73). Pour ce qui est des tavernes et bordels achalandés la nuit, ils étaient aussi bien
adressés à la classe mondaine, c‟est-à-dire les lettrés, qu‟aux marchands et voyageurs. Ce qui tend à
démontrer que tous participaient à la transformation de la culture et du paysage urbain. Bien qu‟étant
semble-t-il propre au monde des lettrés et des aristocrates, la courtisanerie était une autre pratique
culturelle liée aux bordels, laquelle doit être dissociée de la prostitution contemporaine. Une excellente
source traitant de ce phénomène à Chang‟an est le Beili zhi 北里志 rédigé par Sun Ji 孫棨 vers la fin
du IXe siècle. Voir la traduction de Robert des Rotours sous le titre de Courtisanes chinoises à la fin des
T’ang, entre circa 789 et le 8 janvier 881 (Paris : Presses Universitaires de France, 1968). Le
phénomène est également relativement bien décrit par Yao Ping, « The Status of Pleasure : Courtesan
and Literati Connections in T‟ang China (618-907) », Journal of Women’s History 14. 2 (2002), pp.
26-53. Toutefois, nous sommes en désaccord avec l‟une des thèses de l‟auteure, à savoir que la
courtisanerie fut une pratique développée par une nouvelle élite, soi-disant entrée dans la bureaucratie
48
23
qu‟à Chang‟an les forces de l‟ordre furent débordées, l‟État semble tout de même être
parvenu à y tempérer les excès et à contenir les débordements à l‟intérieur des murs de
la ville. En province, ce fut une toute autre affaire. Notamment, on trouve à cette
époque des villes comme Chengdu et Yangzhou dont la prospérité était effrénée, dont
la progression démographique était phénoménale et où les activités citadines tendaient
à se transposer hors des murs en périphérie de la ville50. C‟était notamment dans ces
nouveaux quartiers extra-muros que désormais le commerce urbain provincial
s‟épanouissait, y entraînant de plus en plus de gens vers la profession du négoce. Dans
un même temps, on vit également de nombreuses garnisons militaires se muter en
bourgs commerciaux florissants tandis que les marchés prenaient une nouvelle
amplitude en milieu rural51.
Dans ce contexte d‟urbanisation, de commercialisation agricole, d‟intensification
des échanges et de renouveau socioculturel, comme le démontre l‟étude de Tackett, un
certain nombre d‟individus et de familles émergentes réussirent à tirer leur épingle du
jeu en consolidant d‟importantes ressources productives. De leurs richesses, ceux-ci
gagnèrent sans doute un prestige considérable dans leur communauté et virent les
opportunités se décupler. Notamment avaient-ils les moyens de soudoyer les largesses
des petits et moyens agents impériaux, d‟acheter des titres dans l‟armée afin de
bénéficier d‟exemptions fiscales, de déroger aux règles somptuaires et d‟investir dans
l‟éducation de leur progéniture. De nouvelles élites prospérant en marge de l‟État
étaient donc aptes à concurrencer un groupe d‟aristocrates endogames qui pour
s‟adonner à la société de cour sacrifièrent leurs soubassements économiques pouvant
grâce aux examens suite à la rébellion d‟An Lushan, dont les membres s‟entourèrent de courtisanes
pour démontrer leur statut socioculturel égal à celui de l‟ancienne clientèle impériale. Ainsi, nous
l‟avons dit et nous y reviendrons, lesdites nouvelles élites ne prirent généralement pas leur envol grâce
à la bureaucratie, ils étaient surtout des marchands qui ne vivaient généralement pas à la capitale et qui
ne partageaient pas les mêmes réseaux sociaux que les hauts fonctionnaires impériaux.
50
Heng Chye Kiang (1999 : 73-83); Denis C. Twitchett (1966 : 239-240); Xie Yuanlu 謝元魯, «
Chengdu : Tang Song chengshi gonggong kongjian de bianqian » 成都 : 唐宋城市公共空間的變遷,
dans Chan Yaozhong 產耀中, éd., Tang dai guojia yu diyu shehui yanjiu. Zhongguo Tang shi xuehui di
shi jie nianhui lunwen ji 唐代國家與地域社會研究 : 中國唐史學會第十屆年會論文集 (Shanghai :
Shanghai guji chuban she, 2008), pp. 121-136; Li Tingxian 李廷先, Tang dai Yangzhou shikao 唐代揚
州史考 (Suzhou : Suzhou guji chuban she, 1992).
51
Denis C. Twitchett (1966 : 233-243); (1968 : 76-77); Li Jingxun 李敬洵, Tang dai Sichuan jingji 唐
代四川經濟 (Chengdu : Sichuan shehui kexueyuan chuban she, 1988).
24
contribuer à une certaine indépendance. Autrement dit, ces nouvelles élites risquaient
de renverser la domination de l‟échiquier politique, une mauvaise tangente à laquelle
ne pouvaient passivement se résoudre les actuels récipiendaires du pouvoir en place.
Nous trouvons ainsi une situation potentiellement conflictuelle appelée à se
résoudre par l‟exclusion et la diffamation. Ainsi, Bo Juyi 白居易 (772-846) dut
certainement faire figure d‟hérétique devant ses pairs lorsqu‟il se prononça dans un
jugement (pan 判) sur le non-sens d‟écarter des charges des individus talentueux sous
prétexte de leurs origines sociales :
Si les proches d‟un tel sont engagés dans une profession artisanale,
le Bureau de sélection considérera qu‟il est inéligible pour devenir
fonctionnaire. [L‟intéressé] rétorque donc qu‟il a changé
d‟occupation. Ce à quoi le Bureau de sélection réplique : « bien
qu‟ayant changé, il ne pourra être considéré pour un poste avant
trois ans. Car nous ne savons pas encore s‟il est qualifié ». […] Si
quelqu‟un vit parmi les marchands, il ne peut entrer dans la
bureaucratie. Parmi les proches de [l‟intéressé], il y en a qui se
disent artisans. […] Mais parmi eux s‟en trouve un qui souhaite
joindre la bureaucratie et qui est passionné par les neufs genres
littéraires. Même s‟il désira changer de profession, le ban de trois
ans ne fut pas encore levé que déjà on demanda « comment
pourrait-il être possible que celui-ci puisse être promu parmi les
grands ducs ». 得甲之周親, 執工伎之業, 吏曹以甲不合仕.
甲云 : 今見修改. 吏曹又云 : 雖改, 仍限三年後聽仕. 未知
合否.[…] 如或居肆, 則不及仕門. 甲爰有周親, 是稱工
者.[…] 且思祿在其中. 有慕九流. 雖欲自其業, 未經三載,
安可同升諸公52.
Nous ne sommes certes pas à même de déterminer si ce genre d‟exclusion était le fruit
d‟une volonté politique délibérée, ou si elle était simplement imputable à la force des
préjugés. En revanche, une forme d‟ostracisme politique devait indéniablement être
ressentie chez des gens de plus en plus influents et sujets à une certaine frustration53.
Dans une étude vouée au Recueil d’énonciations de la dynastie Tang (Tang zhiyan
52
Bo Juyi, Bo Juyi ji 白居易集 (Beijing: Zhonghua shuju, 1979), chapitre 67, p. 1412. Voir
également les autres exemples cités par Denis C. Twitchett (1968 : 89-93).
53
Nous attendons toujours l‟éventuelle publication d‟un article de Jan A. M. De Meyer, « Eastbound
and Frustrated : Regional Identity in Southern China during the Late Tang and Early Five Dynasties
Period », dans Jörn Rüssen, Achim Mittag et Helwig Schmidt-Glintzer, éds., Collective Identity,
Experience of Crisis and Traumata in History. La référence se trouve dans l‟ouvrage d‟Oliver Moore,
Rituals of Recruitment in Tang China: Reading an Annual Programme in the Collected Statements by
Wang Dingbao (870-940) (Leiden – Boston: Brill, 2004), p. 76, note 14.
25
唐摭言) de Wang Dingbao 王定保 (870-940), lequel compila de nombreux textes sur
le recrutement bureaucratique, Oliver Moore confirme l‟ambivalence du système des
examens durant les VIIIe et IXe siècles. Il démontre notamment que si le nombre de
candidats provinciaux recommandés aux examens impériaux augmenta, en revanche
leurs chances de réussite étaient plutôt minces. Du moins, les candidats reçus venaient
presque tous des préfectures contiguës à la capitale et disposaient préalablement
d‟affinités politiques décisives54. Par conséquent, si Moore atteste de l‟existence d‟une
culture des examens à cette époque, celle-ci était encore loin d‟être aussi diffuse et
unificatrice qu‟elle le sera plus tard sous la dynastie Song55. Ainsi, la tenue d‟examens
était selon Moore une activité ritualisée qui visait non seulement à inclure en amenant
les candidats à témoigner de leur loyauté, mais surtout à exclure le plus grand nombre
en marquant la différence entre les candidats reçues et le reste de la société56.
Si le pouvoir impérial se revendiquait d‟une autorité indivisible et du privilège
exclusif de déterminer quelles étaient les élites habilitées à jouer un rôle de leadership
dans la société, plus que jamais une telle prétention devint chimérique. Que quelques
factions politiques de la capitale se ferment et monopolisent les charges étatiques
n‟allait certainement pas freiner la progression de nouvelles élites en province. Le fait
étant que le pouvoir et le prestige de plusieurs d‟entre elles ne reposaient pas sur un
emploi dans la bureaucratie, mais bien souvent sur des activités commerciales,
lesquelles devaient fréquemment échapper au contrôle étatique, ce malgré un désir de
les contrôler indirectement par l‟octroi de monopoles à des commissions impériales
dirigées par des bureaucrates issus de grands clans. Notamment, insistons sur le fait
que la contrebande était alors un fléau grandissant que l‟État ne parvint à aucun
moment à enrayer.
54
Oliver Moore (2004 : 67-102). Voir également Pak-sheung Ng (1997 : 17-28).
Sur la culture des examens sous la dynastie Song, voir John W. Chaffee (1985 : 157-181).
56
L‟aspect rituel des examens sous la dynastie Tang forme le propos central de l‟ouvrage d‟Oliver
Moore. En ce qui concerne l‟idée voulant que les rituels soient davantage un vecteur d‟exclusion que
d‟inclusion, voir la critique que fait Pierre Bourdieu de la théorie des rites de passage développée par
Arnold Van Gennep et Victor W. Turner. « On peut en effet se demander si, en mettant l‟accent sur le
passage temporel, cette théorie ne masque pas un des effets essentiels du rite, à savoir de séparer ceux
qui l‟ont subi non de ceux qui ne l‟ont pas encore subi, mais de ceux qui ne le subiront en aucune façon
et d‟instituer ainsi une différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu‟il ne concerne pas
». Pierre Bourdieu (2001 : 175).
55
26
Ainsi, à défaut de servir dans la bureaucratie, de leurs fortunes certaines familles
acquirent une influence notoire qui leur permit d‟assumer un nouveau rôle dans la
société. Or, parallèlement, le statut des grands clans dominant l‟État ne semblait plus
reposer sur un système légal clairement défini ou sur des propriétés communes, mais
uniquement sur l‟importance que la dynastie accordait aux généalogies. C‟est donc
avec raison que David G. Johnson fait remarquer :
Yet the clan – the clan as an idea rather than a biological entity –
was vulnerable just because in the end it was no more than an idea.
It was an idea without strong institutions to embody it. […] The
social and political systems which had once sustained the great
clans had begun to change as early as Sui times, and by late T‟ang
had virtually disappeared. The prestige of the great clans remained
high because social prejudices changed very slowly57.
Enfin, voilà, les valeurs de plusieurs communautés avaient déjà changé, de telle sorte
qu‟il n‟était plus nécessaire d‟appartenir à un grand clan ou de servir la bureaucratie
pour jouir d‟un statut social élevé. À l‟opposé, ceux qui semblaient toujours justifier
leur statut social par leur appartenance à un grand clan étaient les fonctionnaires
impériaux liés aux élites de la capitale. Toutefois, la capitale elle-même n‟était
apparemment déjà plus ce centre de rayonnement d‟antan sur lequel tous les regards
se focalisaient. Car, en effet, elle se faisait peu à peu éclipser par de nouveaux centres
économiques et politiques dont le dynamisme pouvait parfois l‟égaler. Ainsi, en
sommes-nous aux dernières heures de Chang‟an comme capitale impériale, ce qu‟elle
ne sera jamais plus58.
Il faut certainement faire attention à notre façon d‟interpréter l‟histoire de cette
période. Certes, la capacité de la cour et de sa clientèle à centraliser tous les pouvoirs
s‟était estompée, ce qui ne voulait pas dire que l‟anarchie régnait et que la dynastie
était condamnée d‟avance à disparaître. De la même manière, lorsque nous lisons que
la cour avait des difficultés financières, la réalité n‟était pas que tout l‟empire en
souffrait. Seulement, après An Lushan, la restauration se fit au prix d‟une profonde
altération des structures d‟autorité tandis que la dynastie fut forcée d‟abandonner de
57
58
David G. Johnson (1977 b : 48).
Edward H. Schafer, « The Last Years of Chang‟an », Oriens Extremus 10 (1963), pp. 133-179.
27
nombreuses prérogatives. Aussi bien les règles du jeu politique entre les provinces et
la capitale que les conditions socioéconomiques ayant changées, la cour devait donc
accepter les faits accomplis et s‟y faire puisqu‟aucun retour en arrière n‟était possible.
Toutefois, il ne semble pas que les bureaucrates aient vu les choses ainsi, eux qui
cherchaient non seulement à restaurer la dynastie, mais également à restaurer un ordre
social qui n‟existait plus. Ainsi, de maladresse en maladresse, plus la bureaucratie et
la cour allaient s‟enliser dans cette voie passéiste, plus elles allaient s‟attiser le
mécontentement.
D‟une part, si les grands clans avaient perdu la prééminence socioéconomique en
de nombreux lieux, en revanche ils dominaient toujours l‟État dont ils contrôlaient les
leviers de recrutement. De la sorte, ils pouvaient ainsi freiner la progression des
candidats provinciaux aux examens, lesquels accouraient toujours plus nombreux et
incarnaient bien l‟enrichissement de certaines provinces59. D‟autres parts, la main
mise sur les institutions impériales leur conférait un avantage net sur les nouvelles
élites provinciales en leur donnant les moyens légaux de s‟attaquer aux assises de ces
dernières. Ce qui pouvait très bien se justifier par le fait que si l‟État s‟affaiblit tandis
que certaines communautés prospèrent, il est normal de tirer parti de celles-ci pour
renforcer l‟État. Ainsi au nom de l‟État était-il possible de réitérer les sur-taxations
irrégulières et les confiscations. Par exemple, la cour aurait à plusieurs reprises tenté
de contraindre les détenteurs d‟importantes sources monétaires à céder leurs
monnaies moyennant un rachat en nature60. Twitchett cite également le cas de
marchands floués par des bureaucrates impériaux qui refusent d‟honorer leurs dettes
après avoir contracté des prêts61. Certes, les confiscations ne devaient pas toujours
être le fait d‟intérêts personnels ou de politiques dirigées directement contre les
marchands. Après tout, l‟État était effectivement aux prises avec une crise monétaire
et métallique62. Toutefois, les politiques de confiscation devaient avoir un impact
59
Oliver Moore (2004 : 93-100) discute également du problème des factions dans le processus de
recrutement bureaucratique. Il démontre notamment que s‟il y eut des tentatives de réformes au IX e
siècle, elles avortèrent toutes en raison de l‟influence des factions aristocratiques à la capitale.
60
THY 89. 1629-1633; Denis C. Twitchett (1970 : 80-81).
61
Denis C. Twitchett (1970 : 297, note 56).
62
Denis C. Twitchett (1970 : 74-83).
28
immédiat sur la vie de nombreux marchands. Ce fut possiblement le cas lorsque la
cour ordonna de confisquer les institutions bouddhistes pour résoudre la crise
financière dans les années 842-84563. Notamment en raison du fait que les institutions
bouddhistes étaient alors activement engagées dans diverses affaires commerciales,
entre autres en prêtant de l‟argent aux marchands et aux agriculteurs64.
Enfin, les conséquences de la politique fiscale de la cour ne se firent pas
uniquement sentir chez les marchands, mais également chez les agriculteurs ne
parvenant pas à s‟acquitter de leurs impôts et à joindre la soudure. D‟autant plus que
les agriculteurs devaient représenter une part non négligeable de la clientèle des
marchands, du moins dans les marchés ruraux. À cela, nous devons ajouter la
frustration ressentie par de nombreux candidats aux examens systématiquement
exclus de la bureaucratie et bon nombre de militaires constamment victimes de la
suspicion des bureaucrates. Bref, plus le temps avançait, plus la dynastie Tang perdait
sa légitimité et plus les conditions menant à une vaste rébellion étaient réunies.
1.2 Le temps des rébellions et la destruction de l‟aristocratie (860-907)
Si l‟empire Tang parvint jusqu‟ici à préserver un semblant de cohésion, malgré la
précarité de l‟équilibre des forces entre les provinces et la capitale, un souffle de
mécontentement transformé en un vent d‟agitation séditieuse rendra rapidement
patente la volatilité de l‟autorité impériale. Ainsi, en quelques années à peine, de
vastes mouvements insurrectionnels populaires s‟abattront sur l‟édifice impérial qui
s‟écroulera tel un château de cartes. Au nombre de ceux-ci, mentionnons notamment
la révolte de Qiu Fu 裘甫 (859-860), la mutinerie de Pang Xun 龐勛 (868-869)
ainsi que la rébellion de Wang Xianzhi et Huang Chao65.
63
Sur les causes économiques des répressions antibouddhistes, voir Jacques Gernet, Buddhism in
Chinese Society : An Economic History from the Fifth to the Tenth Centuries, trad. Franciscus Verellen
(New York : Columbia University Press, 1995), pp. 14-62; Kenneth Chen, « The Economic Background
of the Hui-ch‟ang Suppression of Buddhism », Harvard Journal of Asiatic Studies 19. 1-2 (1956), pp.
67-105.
64
Sur cette question, voir notamment Éric Trombert, Le crédit à Dunhuang. Vie matérielle et société en
Chine médiévale (Paris : Collège de France – Institut des Hautes Études Chinoises, 1995).
65
Sur ces insurrections, voir entre autres Wang Yongxing 王永興, Tang dai houqi junshi shilue lungao
29
Parmi ces insurrections, la plus impressionnante et lourde de conséquences fut à
n‟en point douter celle de Wang Xianzhi et son successeur Huang Chao, lequel hérita
du commandement de nombreuses troupes rebelles unifiées et aguerries. Ayant débuté
ici et là par des manœuvres embusquées et des raids isolés, ceux qui alors ne
formaient que quelques groupuscules de maquisards disséminés en vinrent à former
une armée redoutable capable de mener des opérations d‟envergure sur de très longues
distances, tout en procédant à des frappes contre les plus solides bastions impériaux.
Ainsi, après avoir combattu sur plusieurs fronts les ayant mené aussi loin que
Guangzhou (879), les forces de Huang Chao parvinrent à s‟emparer de Luoyang et
Chang‟an qu‟elles occupèrent de 880 à 883, forçant ainsi l‟empereur Tang Xizong 唐
僖宗 (873-888) à s‟exiler avec sa cour à Chengdu (881-885)66.
Décidément, pour les uns la capitale impériale n‟était plus que le symbole d‟un
régime périmé à abattre, pour les autres un emblème évoquant la mémoire des martyrs
loyalistes. Ainsi, l‟entrée en trombe des armées de Huang Chao aurait été suivie d‟un
sac témoignant d‟un rare déploiement de haine contre la cité impériale et sa clientèle
aristocratique. Du moins, telle est l‟impression qui se dégage de certaines sources,
dont les « Lamentations de la Dame de Qin » (Qin fu yin 秦婦吟) de Wei Zhuang 韋
莊 (834?-910)67, lequel décrit avec animosité les massacres et les destructions qui y
eurent lieu. Bien que sans doute fondées sur une part de vérité, ces sources doivent
cependant être interprétées avec circonspection. Le fait étant qu‟elles furent l‟œuvre
de loyalistes exaltés participant à une polémique contre les insurgés, lesquels sont tout
simplement taxés de « bandits » sans aucun effort visant à comprendre leurs
motivations. Il en allait ainsi du taoïste de cour Du Guangting 杜光庭 (850-933),
唐代後期史略論稿 (Beijing : Beijing daxue chuban she, 2006), pp. 109-178; Robert M. Somers, «
The End of the T‟ang », dans Denis C. Twitchett, éd., The Cambridge History of China. Volume 3, part
1 : Sui and T’ang China, 589-906 (Cambridge : Cambridge University Press, 1979), pp. 682-692,
695-700, 720-755; Howard S. Levy, trad., Biography of Huang Ch’ao (Berkeley : University of
California Press, 1955).
66
Sur la conquête de Chang‟an et l‟exil impérial, voir Franciscus Verellen, Du Guangting (850-933).
Taoïste de cour à la fin de la Chine médiévale (Paris : Collège de France – Institut des Hautes Études
Chinoises, 1989), pp. 58-100; Robert M. Somers (1979 : 745-755).
67
Lionel Giles, « The Lament of the Lady of Ch‟in », T’oung Pao 24.4-5 (1925-1926), pp. 305-380;
Robin D. S. Yates, Washing Silk : The Life and Selected Poetry of Wei Chuang (834?-910) (Cambridge,
Mass. : Harvard University Press, 1988), pp. 108-122; David Johnson (1977 b : 61-64); Edward H.
Schafer (1963).
30
lequel annonçait non seulement à répétition l‟imminence de la restauration Tang
assistée de Laozi, mais qui faisait aussi l‟apothéose des loyalistes morts aux mains de
Huang Chao, dépeint tel un sanguinaire usurpateur68.
Ainsi nous-opposons nous à Robert M. Somers qui adhère beaucoup trop
facilement à la rhétorique impériale lorsqu‟il affirme :
Whatever the social background of the individual gang member, by
joining a bandit gang he became a bandit, and we distort the nature
of the challenge to the T‟ang if we insist on labelling the dynasty‟s
adversaries as „peasant rebels‟. […] Wang, Huang and their allies
were at the head of an interlocking confederation of bandit gangs,
not a peasant army; they terrorized the countryside, taking by force
whatever could be had and they must indeed have posed an
ever-present and terrifying threat to the ordinary peasant. They
never sought to advance the interests of the peasantry, and proved
only too eager to accept positions from the dynasty, once the terms
were right69.
Certes, la révolte conduite par Huang Chao ne fut pas à proprement parler une
rébellion paysanne, la composition de son armée étant beaucoup plus complexe et les
intérêts poursuivis n‟étant pas limités à la paysannerie. Toutefois, ce n‟est pas pour
autant qu‟il faut impérativement opposer cette rébellion aux intérêts de la paysannerie
et croire que les rebelles ne défendaient aucune cause sociale et économique.
À coup sûr, il serait vain de chercher à identifier une cause unique pour expliquer
la vague de rébellions qui anéantit la dynastie Tang. Toutefois, ajoutant foi à l‟analyse
de la section précédente, il semblerait que la frustration ressentie chez certaines élites
provinciales fut un facteur pouvant en expliquer au moins partiellement les origines.
D‟une part, grâce à leurs richesses, plusieurs d‟entre elles se trouvaient en compétition
avec les familles dominant la cour, lesquelles cherchèrent à se fermer, tandis que la
cour en difficulté financière cherchait fréquemment à se sortir de l‟embarras au moyen
de perceptions irrégulières à leur insu. D‟autre part, nous avons également vu que
68
Franciscus Verellen (1989 a : 80-84); « A Forgotten T‟ang Restoration : The Taoist Dispensation
after Huang Ch‟ao », Asia Major, 3rd series, 7. 1 (1994), pp. 107-153.
69
Robert M. Somers (1979 : 723). Insistons ici sur le fait que Somers répondait surtout aux historiens
chinois contemporains de la Révolution culturelle, lesquels soutenaient que la rébellion de Huang Chao
était une rébellion paysanne. Notamment, il n‟est pas sans importance de souligner que ces derniers
historiens suivaient l‟agenda historiographique de Mao Zidong sur les forces à l‟origine du changement
dans l‟histoire chinoise.
31
celles-ci pouvaient disposer de moyens financiers importants, leur permettant
croyons-nous de gagner en prestige et d‟assumer un certain leadership. Du moins, si
tel était le cas, alors sans doute les nouvelles élites provinciales avaient le pouvoir de
rallier à leur cause les autres mécontents de l‟époque.
Par exemple, Sima Guang nous informe qu‟un détenteur du degré jinshi du nom
de Wang Lu 王輅 fut un influent conseiller de Qiu Fu, l‟instigateur d‟une révolte qui
secoua la province du Zhedong 浙東 en 859-86070. Certes, nous ne savons à peu près
rien de Wang Lu, lequel n‟est mentionné dans aucune autre source. Toutefois, nous
pouvons au moins extrapoler sur deux points. D‟abord, nous pouvons assumer qu‟en
dépit de sa réussite aux examens de sélection bureaucratique, possiblement faute de
relations politiques, il ne parvint pas à obtenir de poste. Ensuite, nous pouvons
conclure qu‟il était un homme éduqué, donc que sa famille était plutôt bien nantie. S‟il
en était ainsi, il est donc vraisemblable que Wang Lu développa une frustration contre
la cour et sa clientèle qui non seulement cherchèrent à le priver de ses ambitions
professionnelles, mais qui étaient également tentées de s‟en prendre à ses ressources
économiques pour résoudre la crise financière.
De plus, nous pouvons également évoquer le cas de Huang Chao, dont la famille
aurait été dans le commerce du sel71 et qui aurait lui-même été un lettré
frustré n‟ayant point réussi à intégrer la bureaucratie72. Quant à sa biographie de
L’ancienne histoire des Tang, elle nous informe que Huang Chao aurait reçu l‟appui
d‟autres lettrés indignés, apparemment eux aussi victimes des factions dominant la
cour et la bureaucratie. Ainsi, pouvons-nous lire qu‟au moment où Xizong devint
empereur,
[la cour] comptait plusieurs factions n‟embauchant que de vils
calomniateurs. Tandis que les seigneurs étaient dans un état de
perdition morale, les sages et les braves étaient exaspérés et
refoulés parmi la multitude au premier soubresaut de la cour,
laquelle se distançait toujours plus du monde. Au moment où Chao
se souleva, de tels individus se rangèrent à ses côtés. Ainsi, les
appels à la mobilisation de Chao qui se propagèrent dans les quatre
70
71
72
ZZTJ 250. 8083; Robert M. Somers (1979 : 691).
JTS 200. 5391; XTS 225. 6451.
ZZTJ 252. 8188.
32
directions trouvèrent un écho dans les mémoires qu‟ils formulèrent,
lesquels dénonçaient tous les malversations politiques de la cour.
時多朋黨,小人讒勝,君子道消,賢豪忌憤,退之草澤, 既一
朝有變,天下離心.巢之起也,人士從而附之.或巢馳檄四方,
章奏論列,皆指目朝政之弊73.
Ce passage nous laisse donc croire que Huang Chao et plusieurs de ses supporters
en avaient fondamentalement après les institutions dynastiques, lesquelles seraient
devenues dysfonctionnelles. Compte tenu du contexte, ce que la source citée nomme
des « factions » (pengdang 朋黨) pourrait à notre avis être interprété comme les
quelques familles aristocratiques se maintenant au pouvoir moyennant des stratégies
de népotisme et de clientélisme. Sans nous embourber dans une analyse
psychanalytique de Huang Chao, qui se serait mit à détester les bureaucrates de la
dynastie Tang, nous croyons qu‟il tira une profonde rancœur des suites de sa
désillusion quant à l‟éventualité de devenir un fonctionnaire impérial. Une ambition à
laquelle il dut, comme de nombreux autres confrontés à la même réalité, consacrer de
longues années d‟études74.
Certes, les intérêts que poursuivaient Huang Chao et les autres lettrés frustrés
semblaient bien différents de ceux des paysans. Cependant, l‟ambition d‟abattre la
domination aristocratique sur les institutions étatiques ne devait pas être sans lien avec
les conditions paysannes, voire même avec celles des mutins. Le fait étant que les
factions alors en place à la cour étaient non seulement à l‟origine d‟un système de
recrutement discriminatoire, mais étaient également perçues comme la source d‟un
régime corrompu responsable de la misère des plus démunis victimes d‟impositions
fiscales démesurées et d‟une attitude répressive à l‟égard des soldats de l‟empire.
D‟une part, comme le souligne Somers, la pression fiscale toujours plus lourde,
conjuguée aux calamités environnementales, eut pour effet en certains endroits
d‟engendrer des famines et d‟inciter les agriculteurs à abandonner leurs terres. Assez
significativement, il semble que les premiers foyers insurrectionnels correspondent
aux ères les plus affectées par la crise75. Bien que l‟État ne la provoqua certainement
73
JTS 200. 5392; Miyakawa Hisayuki, « Legate Kao P‟ien and a Taoist Magician Lü Yung-chih in the
Time of Huang Ch‟ao‟s Rebellion », Acta Asiatica 27 (1974), p. 76.
74
Pak-sheung Ng (1997 : 38-41).
75
Robert M. Somers (1979 : 682-686).
33
pas volontairement, la maladresse y étant pour beaucoup, il devait être plutôt facile
pour des individus comme Huang Chao ou d‟autres tribuns d‟en imputer la faute à la
dynastie régnante et de coordonner une sédition. Ainsi, Shang Rang 尚讓, un associé
de Huang Chao, aurait rassemblé des habitants de Chang‟an pour les rassurer en leur
disant : « Le prince Huang est là pour le peuple, pas comme la famille Li (la dynastie
Tang) qui ne se préoccupe pas de vous » 黃王爲生靈,不似李家不恤汝輩76.
D‟autre part, nous ne devons pas négliger la crise militaire qui alors envenimait
considérablement les rapports entre l‟État et la société. Certes, mise à part quelques
provinces du Nord-est, nous ne croyons pas que les gouverneurs provinciaux
représentaient une véritable menace à l‟autorité impériale avant 875. Le fait étant que,
sous le règne de Tang Xianzong 唐憲宗 (806-821), la cour parvint à soumettre la
plupart des gouverneurs séditieux encore en activité et à remplacer plusieurs d‟entre
eux par des bureaucrates civils nommés par la cour, lesquels devaient partager leur
autorité avec les préfets également nommés par la cour77. Toutefois, cela n‟empêche
pas de déceler d‟importantes tensions entre la bureaucratie et certaines armées avant
875, lesquelles se soldèrent par de violentes mutineries annonciatrices des événements
à venir.
À ce jour, les causes des mutineries qui eurent lieu avant 875 demeurent difficiles
à identifier et devront faire l‟objet de recherches plus poussées dans les années à venir.
Quant à Somers, il n‟est pas trop clair sur les origines de ces mutineries et semble les
associer à la misère des paysans provoquée par les politiques fiscales78. Toutefois, à
notre avis, le lien entre les agriculteurs déficitaires et les mutins demeure à démontrer.
Certes, il est vraisemblable que l‟État eut parfois voulut écarter la menace de troubles
en intégrant certains paysans à des forces expéditionnaires de l‟armée, résolvant ainsi
une partie de leurs problèmes liés à l‟alimentation tout en les écartant de leurs foyers.
Comme Somers le démontre, ce fut semble-t-il le cas de plusieurs mutins ayant suivi
Pang Xun en 868-869. Pour la plupart originaires des campagnes de l‟actuelle
province du Henan, ceux-ci auraient été envoyés combattre aux franges du Sud-ouest
76
77
78
JTS 200. 5393; Miyakawa Hisayuki (1974 : 76).
Wang Gungwu (2007 : 7-19); Charles A. Peterson (1973).
Robert M. Somers (1979 : 682-692).
34
de manière à être tenus à l‟écart du centre de l‟empire. Cependant, tandis que la cour
s‟obstinait à les garder aux fronts après environ six ans de service, malgré la promesse
de les démobiliser, ceux-ci se seraient mis de leur propre chef en marche vers le Nord,
sur le chemin du retour à domicile. Bravant les autorités impériales, ils entreprirent
ainsi une marche épique de plus de 2000 kilomètres, laquelle prit fin par une
campagne punitive de l‟armée impériale aux abords du Grand canal, la région natale
des mutins que la cour entendait coûte que coûte sécuriser79.
Toutefois, la récurrence des mutineries entre 850 et 870 incite à rechercher des
origines plus symptomatiques intrinsèquement liées aux armées professionnelles et à
leurs relations avec l‟État. Sur ce point, les hypothèses formulées par Fang Cheng-hua
peuvent nous guider vers quelques pistes de réflexion80. Notamment, Fang se pencha
sur les origines socioculturelles de la dégradation des rapports entre militaires et
bureaucrates suite à la rébellion d‟An Lushan. Ainsi postule-t-il que, contrairement à
l‟esprit de symbiose qui prévalait au début de la dynastie, une forme de « ségrégation
» s‟installa entre militaires et bureaucrates. Selon lui, tandis que les bureaucrates se
mirent à percevoir les militaires comme des êtres sans scrupule représentant une
menace permanente au bon fonctionnement de l‟État et de la société, les premiers
auraient entrepris de constamment affirmer leur supériorité sur les seconds qu‟ils
cherchèrent à domestiquer en les maintenant dans un état de dépendance et de
subordination. Une mise sous tutelle aurait ainsi eu pour but d‟empêcher les militaires
de prendre part à la vie politique. D‟après Fang, une telle attitude aurait ainsi été à
l‟origine de l‟hostilité que certains militaires nourrirent à l‟endroit des bureaucrates de
la cour à l‟approche de la rébellion de Huang Chao81.
Sans aucun doute, cette animosité et ce mépris dont étaient l‟objet les militaires
fut à l‟origine de dérapages considérables ayant nuit au prestige de la dynastie parmi
ses troupes. D‟une part, nous rencontrons fréquemment des arguments émanant de la
79
Voir l‟article que Robert des Rotours consacre à cette mutinerie, « La révolte de P‟ang Hiun 龐勛
(868-869) », T’oung Pao 56. 4-5 (1970), pp. 229-240.
80
Fang Cheng-hua, « Power Structures and Cultural Identities in Imperial China : Civil and Military
Power from Late Tang to Early Song Dynasties (A.D. 875-1063) », thèse doctorale, Brown University,
2001.
81
Fang Cheng-hua (2001 : 26-44).
35
bureaucratie en faveur d‟une démobilisation des troupes, ce qui pour plusieurs soldats
professionnels devait vouloir dire la perte d‟un gagne-pain. Du moins, une question de
subsistance ne devait pas être totalement étrangère au refus de certaines armées de se
voir démantelées, tandis que la cour continuait de faire appel à des mercenaires
étrangers pour défendre les frontières de son empire. D‟autre part, il est possible que
le fait de confier le commandement de certaines armées à des bureaucrates sans
expérience militaire, peu au fait des réalités de la guerre et porteur d‟une vision
négative des soldats, fut à l‟origine d‟erreur stratégique et logistique, voir de mauvais
traitements, mettant en péril la vie des soldats. Ainsi est-il courant de rencontrer des
mutineries donnant suite à des tentatives de la cour cherchant à limoger certains
commandants pour les remplacer par des bureaucrates de la capitale.
Certes, nous sommes encore mal renseignés sur les causes des mutineries qui
parsemèrent le IXe siècle. Toutefois, il est permit de croire que de l‟armée provenaient
de nombreux mécontents enclins à joindre les hordes de révoltés. Ce fut certainement
ce flot de soldats professionnels mis au ban de l‟État qui contribua à rendre les troupes
rebelles à la disposition de Huang Chao si redoutables. Devant l‟hétérogénéité des
forces rebelles, aussi bien composées d‟agriculteurs, de soldats que de marchands,
lesquels semblent souvent associés à des contrebandiers, il y eut probablement des
intérêts fort divergents en leur sein. Mais une telle variété de profils en dit également
long sur la perte de légitimité de la dynastie Tang, laquelle perdit l‟appui de larges
segments de la société.
1. 3 Les Cinq dynasties et le nouvel ordre politique (907-960)
Certes, après la victoire impériale sur les forces rebelles en 884, la dynastie Tang
subsista pour encore une vingtaine d‟années, tandis que sa cour continua d‟être
dominée par les mêmes factions que jadis, bien que lourdement affligées. Toutefois,
cette fois-ci aucune restauration digne de ce nom n‟eut lieu. Dès lors, le destin de la
dynastie ne se jouait ni à la cour ni à la capitale, mais bien au niveau des diverses
36
commanderies partagées entre généraux loyalistes et ex-rebelles82. Malheureusement
pour la dynastie, à moyen terme ce fut ces derniers qui remportèrent la lutte en prenant
non seulement le contrôle de toute la plaine septentrionale, mais également en
subjuguant littéralement la cour. Dans ce contexte, de 903 à 905, un ex-rebelle du nom
de Zhu Wen 朱溫 (852-912) et ses hommes vont exécuter l‟empereur Tang Zhaozong
唐昭宗 (889-904) et purger la cour de son ancienne clientèle83.
Dès le régicide de 904, à toute fin pratique la dynastie Tang était déjà destituée,
tandis que les bureaucrates aristocratiques ayant survécu aux purges prirent la fuite
pour aller se mettre sous la protection de généraux loyalistes dominant essentiellement
les provinces de l‟Ouest et du Sud de l‟empire. Ainsi, en 907, une nouvelle page
d‟histoire s‟ouvrit avec la proclamation de la dynastie Liang 梁 (907-923) par Zhu
Wen, lequel contribua à instaurer un nouvel ordre sociopolitique dans la plaine
septentrionale après environ six siècles de domination aristocratique. Au même
moment, mettant en doute la légitimité de la dynastie Liang, plusieurs des généraux
dominant les régions qui servirent d‟exutoire aux réfugiés loyalistes vont se dissocier
et se proclamer empereurs de dynasties régionales. Nous voilà donc plongés dans la
période des Cinq dynasties et Dix royaumes, au nombre desquels se situent les
Royaumes de Shu antérieur et postérieur au cœur de notre étude. Mais avant d‟en
arriver là, parcourons d‟abord les transformations qui se produisirent dans le Nord
sous les Cinq dynasties, ce qui nous aidera à mieux situer l‟évolution de Shu au cours
de cette période.
À ce jour, peu d‟études ont été conduites sur l‟histoire des Cinq dynasties. En fait,
l‟engouement pour cette période dont on admet aujourd‟hui l‟importance commence à
peine à se faire sentir parmi les historiens occidentaux. Ainsi pouvons-nous souligner
les récents efforts de Naomi Standen, Peter Lorge et Richard L. Davis dont les travaux
contribueront à donner un souffle nouveau aux études de cette période84. Pourtant,
82
Wang Gungwu (2007 : 19-37); Robert M. Somers (1979 : 762-789); Naomi Standen, « The Five
Dynasties », dans Denis C. Twitchett et Paul J. Smith, éds., The Cambridge History of China. Volume 5,
part 1 : The Sung Dynasty and Its Precursors, 907-1279 (Cambridge : Cambridge University Press,
2009), pp. 39-62.
83
ZZTJ 265. 8635-8636, 8643; Wang Gungwu (2007 : 72-73, 83).
84
Outre quelques articles de critique historiographique sur La nouvelle histoire des Cinq dynasties,
37
plus de 45 ans auparavant, Wang Gungwu publia un ouvrage mémorable intitulé The
Structure of Power in North China during the Five Dynasties (1963), lequel à notre
avis ne reçut pas la notoriété qu‟il aurait dû. Espérons que la réédition de ce classique,
publiée sous le titre Divided China : Preparing for Reunification, 883-947 (2007),
renversera la vapeur et attirera davantage l‟attention sur la réingénierie des institutions
étatiques entre les règnes de Liang Taizu 梁太祖 (907 et 912) et Zhou Shizong 周世
宗 (954-959)85. Notamment, en s‟inspirant des thèses d‟Hino Kaisaburō 日野開三郎,
un pionnier de l‟historiographie des Cinq dynasties, Wang avance que, contrairement
aux idées reçues, les Cinq dynasties étaient davantage une période de centralisation
politique qu‟une période de décentralisation et d‟exacerbation du militarisme86.
C‟est-à-dire que, selon lui, le véritable paroxysme du morcellement de l‟autorité
politique et militaire se situerait durant les trente dernières années de la dynastie Tang,
suite à quoi s‟amorça une nouvelle marche vers la consolidation du pouvoir impérial
et la mise en place de nouvelles structures étatiques. Ainsi démontre-il comment à
cette époque prit place dans le Nord un important processus de bureaucratisation dans
lequel la mentalité aristocratique perdit sa raison d‟être et dut faire place au principe
de la spécialisation. Dans cette perspective, non seulement les Cinq dynasties
représentent une profonde rupture par rapport à la dynastie Tang, mais surtout
Richard L. Davis (1997; 1998 a; 1998 b; 2000) a notamment procédé à une première traduction
complète de cet ouvrage publiée sous le titre Historical Records of the Five Dynasties (New York :
Columbia University Press, 2004). Peter Lorge a tout récemment édité un ouvrage intitulé Five
Dynasties and Ten Kingdoms (Hong Kong : Chinese University Press, 2010). Malheureusement
cependant, nous n‟avons pas eu accès à cet ouvrage au moment de la rédaction du présent mémoire.
Enfin n‟oublions pas l‟étude monumentale de Naomi Standen sur la dynamique des changements
d‟allégeances durant les Cinq dynasties (2007) et sa synthèse parue dans la Cambridge History of
China (2009). De Standen, voir également l‟article « Raiding and Frontier Society in the Five Dynasties
», dans Nicola Di Cosmo, Don J. Wyatt, éds., Political Frontiers, Ethnic Boundaries, and Human
Geographies in Chinese History (New York : Routledge Curzon, 2003), pp. 160-191.
85
Liang Taizu réfère à Zhu Wen. À propos de ce dernier, outre l‟ouvrage de Wang Gungwu, voir Li
Bingquan 李炳泉, Zhu Wen 朱溫 (Taibei shi : Wenlü chuban she youxian gongsi, 1994). Quant à
Zhou Shizong, également connu sous le nom de Chai Rong 柴榮, il fut le second et dernier empereur
des Zhou postérieurs 後周 (951-960), la dernière des Cinq dynasties. Sur ce dernier, voir notamment
Han Guopan 韓國磐, Chai Rong 柴榮 (Shanghai : Shanghai renmin chuban she, 1956); Richard L.
Davis, « The Heroism of Chou Shih-tsung in the Eleventh Century : Perspectives from the Historical
Records of the Five Dynasties », dans Song Xuxuan jiaoshou bashi rongshou lunwen ji 宋旭軒教授八
十榮壽論文集 (Taipei : Huatai yinshua chang youxian gongsi, 2000), pp. 1148-1134.
86
Les travaux d‟Hino furent réédités en 20 volumes, voir Hino Kaisaburō Tōyōshigaku ronshū 日野開
三郎東洋史學論集 (Tokyo : San‟ichi shobō, 1984-1987-1995). Pour un résumé des principales thèses
d‟Hino, voir Yamazaki Satoshi, « Topics and Results of the Studies of the Five Dynasties and Ten
Kingdoms Period during the Past 25 Years », Journal of Song-Yuan Studies 36 (2006), pp. 145-146.
38
marquent-elles le point de départ des institutions de la dynastie Song.
Selon Wang Gungwu, la prise de pouvoir de Zhu Wen fut donc un point tournant
majeur dans l‟histoire impériale. Ainsi, avant d‟en venir aux réformes introduites par
celui-ci, tâchons de comprendre comment cet ex-rebelle devint le « fils du ciel ». Pour
ce faire, il faut donc remonter à l‟armée de la commanderie Xuanwu 宣武 (Henan)
dont il était le gouverneur depuis 88387. Car, effectivement, c‟était en s‟appuyant sur
celle-ci qu‟il parvint à étendre graduellement son autorité aux commanderies voisines
tout en augmentant constamment son armée par l‟intégration de soldats venus des
commanderies conquises. Toutefois, il importe de noter que l‟expansion territoriale de
Zhu Wen était sournoise et allait à petit train. De sorte que, jusque vers la fin du IXe
siècle, ce n‟était qu‟officieusement qu‟il contrôlait d‟autres commanderies par
l‟intermédiaire de gouverneurs et préfets lui étant attachés. Ce ne fut qu‟à partir de
897, alors qu‟il maîtrisait déjà huit commanderies, que les intentions de Zhu Wen
devinrent plus apparentes. Ainsi, en 898 il devint officiellement gouverneur de trois
commanderies, tandis qu‟en 901 il parvint à soumettre le Guanzhong 關中,
c‟est-à-dire la région incluant Chang‟an, et à s‟immiscer plus énergiquement dans les
affaires de la cour88.
Ce fut donc au moyen d‟une judicieuse stratégie déployée sur deux décennies que
Zhu Wen vint à bout de consolider durablement ses bases politiques provinciales. Pour
y parvenir, sa tactique fut de constamment s‟entourer de dépendants issus de sa
cohorte et de ne nommer que ceux-ci aux postes clefs de son organisation. D‟une part,
lorsque vint le temps d‟asseoir son autorité sur l‟armée Xuanwu, il prit grand soin
d‟affecter aux postes de commande ses propres hommes de confiance tout en retenant
les services des hauts-gradés déjà en fonction. D‟autre part, au fur et à mesure qu‟il
parvenait à soumettre d‟autres commanderies, aussitôt remplaçait-il les gouverneurs
en place par des hommes de son choix. Et comme la loyauté des gouverneurs pouvait
87
Également connue sous le nom de province de Bian 汴, cette commanderie comprenait la ville de
Kaifeng 開封, pour la première fois promue au rang de capitale impériale sous la dynastie Liang. En
raison de la position vitale de cette province par son accès au Grand canal et les greniers dont elle
disposait, elle fut dotée par le pouvoir impérial de la plus importante armée professionnelle de l‟empire,
c‟est-à-dire l‟armée Xuanwu. Voir Wang Gungwu (2007 : 47).
88
Cette lente marche vers le pouvoir de Zhu Wen est décrite plus en détail par Wang Gungwu (2007 :
46-74); Naomi Standen (2009 : 39-52).
39
s‟avérer aléatoire, de manière à confiner l‟autorité de ceux-ci à leur capitale
provinciale, il augmenta le pouvoir des préfets sous les ordres directs desquels il plaça
des troupes. De telle sorte que les gouverneurs ne détenaient pas plus d‟autorité que
les préfets89.
L‟originalité et la force de la dynastie Liang étaient que sa cour et son système
provincial reposaient sur la même organisation que celle qui prévalait avant que Zhu
Wen ne devienne Liang Taizu. Ainsi, lorsque ce dernier fit purger la cour Tang et
procéda à un réaménagement complet de l‟État à partir de 903, il remplaça un à un
tous les eunuques et bureaucrates indésirables par des dépendants issus de son
gouvernement provincial90. Notamment, c‟était en s‟appuyant sur ceux-ci que Zhu
Wen instaura un système de commissions impériales – au nombre de 26 selon Wang
Gungwu – sur lequel reposait l‟ensemble de l‟appareil politico-administratif de la
dynastie Liang91. De la sorte, il concentra le pouvoir entre les mains d‟officiers de
palais dont le statut hiérarchique était déterminé par les titres dont ils étaient investis
dans la garde impériale. Par l‟entremise des commissaires, dont ceux de la
Commission des affaires militaires et de la Commission de surveillance des officiers
de palais (xuanhui yuan 宣徽院), Zhu Wen parvint ainsi à soumettre la bureaucratie
et les provinces à une étroite supervision. D‟autre part, tout en continuant à affaiblir
les gouverneurs dont il réduisit toujours plus la taille des commanderies, Zhu Wen
parvint à donner le ton aux relations provinciales en s‟assurant que l‟armée la plus
puissante fut l‟armée de palais (jinjun 禁軍) dominée par lui et ses dépendants92.
89
Selon Wang Gungwu (2007 : 67-69), Zhu Wen aurait donc eu recours à la même stratégie que la
dynastie Tang au moment où elle cherchait à rétablir son autorité en province après la rébellion d‟An
Lushan.
90
Au moment de s‟immiscer à la cour vers 903, une des premières entreprises de Zhu Wen fut de
prendre le contrôle de l‟armée impériale (Shence jun 神策軍) en exécutant les eunuques qui la
dirigeaient et en abolissant le Bureau des affaires militaires (shumi yuan), lequel ne sera rétabli qu‟en
907 sous un nouveau nom (Chongzheng yuan 崇政院). À propos de ces institutions centrales sous la
dynastie Liang, voir notamment Mu Jing 穆靜, « Wudai bingzhi kao » 五代兵制考, dans Ren Shuang
任爽, éd., Wudai dianzhi kao 五代典制考 (Beijing : Zhonghua shuju, 2007), pp. 200-209; Du Wenyu
杜文玉, Wudai Shiguo zhidu yanjiu 五代十國制度研究 (Beijing : Renmin chuban she, 2006), pp.
117-136, 372-389; Dai Xianqun (2001 : 140-152, 178-192).
91
Wang Gungwu (2007 : 85-93).
92
Comme le fait le remarquer Wang Gungwu (2007 : 121), entre 907 et 910, de nouvelles
commanderies étaient fondées par Zhu Wen alors que le territoire qu‟il dominait ne s‟était pas agrandi
d‟un seul pouce. Quant aux armées palatines durant les Cinq dynasties, voir Zhang Qifan 張其凡,
Wudai jinjun chutan 五代禁軍初探 (Guangzhou : Jinan daxue chuban she, 1993).
40
Considérant la prééminence d‟individus issus de l‟armée de Zhu Wen à la cour de
Kaifeng, plusieurs ont cru y déceler la preuve du militarisme de la dynastie Liang.
Ainsi, une insistance particulière est généralement mise sur l‟argument voulant que les
militaires aient alors dominé l‟ensemble des institutions étatiques, tandis que les
bureaucrates furent relégués au second plan. Toutefois, Wang Gungwu a certainement
raison de nous faire comprendre que la réalité n‟était pas aussi simple.
It has often been pointed out that the Wu-tai was a period of
„military men‟s politics‟. A strong indication of this seems to have
been present in the Liang palace service […]. But the duties these
officers were allowed to perform and the power they wielded did
not depend on their military power. Although they continued to
hold military titles which connected them with the Sixteen
Imperial Guards, these titles were only sinecures with little
military or political influence. […] Their „politics‟ was not that of
„military men‟ but merely that of „inner officials‟. This kind of
„politics‟ has to be distinguished from what generals and
commanders of the imperial armies were able to do93.
À cet énoncé clairvoyant, nous pourrions ajouter que non seulement lesdits militaires
n‟occupaient pas leurs fonctions à la cour en raison de leurs aptitudes guerrières, mais
surtout qu‟ils n‟étaient apparemment pas des soldats de vocation voués à une carrière
militaire, mais bien d‟ex-rebelles devenus soldats par accident dans le contexte de la
rébellion de Huang Chao. Prenons, par exemple, les présidents de la Commission des
affaires militaires Li Zhen 李振 (mort en 923) et Jing Xiang 敬翔 (mort en 923).
Tous les deux étaient des lettrés frustrés ayant été plusieurs fois recalés aux examens
jinshi avant de se joindre à Huang Chao94. Bien que Li Zhen ait été célèbre pour son
rôle dans le massacre de bureaucrates à la cour en 905, en revanche nous présumons
que celui-ci n‟ait pas été contre les valeurs bureaucratiques, seulement il détestait les
bureaucrates corrompus de la dynastie Tang95.
Un autre cas illustrant le risque de se prononcer trop hâtivement en ne se référant
qu‟aux titres dans l‟armée est celui de Duan Ning 段凝 (mort en 927), lequel entra
également à la cour de Kaifeng, d‟où il était originaire, en tant qu‟officier de palais
93
94
95
Wang Gungwu (2007 : 96).
JWDS 18. 246-254 (les biographies de Jing Xiang et Li Zhen se suivent).
ZZTJ 265. 8643; Pak-sheung Ng (1997 : 39-41); Wang Gungwu (2007 : 83-84).
41
avant de devenir haut-gradé de l‟armée. Or, avant de se mettre au service de Zhu Wen,
Duan Ning n‟était pas soldat, mais bien préposé aux registres (bu 簿) d‟un hameau
non loin de Luoyang96. À notre avis, le simple fait qu‟un individu fut un militaire ou
un rebelle ne nous dit rien à propos de ses compétences professionnelles. Cela dit, il
n‟est pas exclu qu‟un militaire puisse avoir développé d‟autres aptitudes que celles
strictement liées à la guerre. Nous pouvons ainsi penser à Zhang Quanyi 張全義
(850-926), lequel représenta notamment la dynastie Liang à Luoyang en plus d‟être un
gouverneur expérimenté que Zhu Wen employa à la tête de diverses commanderies
selon les besoins. Nous ne savons pas si Zhang Quanyi prit part aux examens jinshi
sous la dynastie Tang. En revanche, nous savons qu‟il joint le camp de Huang Chao
peu après la chute de Chang‟an en qualité de président du Ministère des fonctionnaires
(libu shangshu 吏部尚書) et de commissaire du transport fluvial (shuiyun shi 水運
使)97.
Sous la dynastie Liang, la composition sociale de la cour était fort différente et
beaucoup plus hétérogène que celle qui prévalait sous la dynastie Tang. Ainsi, suite
aux purges des années 903-905, les éléments aristocratiques eurent tendance à
s‟effacer de la bureaucratie centrale au profit de nouvelles élites aux profils sociaux
divers. Par là, nous n‟affirmons pas que la dynastie Liang n‟eût compté aucun
descendant de grands clans ou de hauts-fonctionnaires dans sa bureaucratie, ce qui
serait faut puisqu‟il y en avait. Ce fut notamment le cas de Jing Xiang, lequel, en dépit
de ses origines, échoua aux examens jinshi et joignit Zhu Wen alors qu‟il était dans le
camp de Huang Chao98. Cependant, de tels individus ne se comptaient certainement en
grand nombre, et il ne semble pas non plus que leur statut se justifiait par celui de
leurs ancêtres.
En fait, la dynastie Liang était apparemment plus en quête de loyauté, d‟expertise
et de support populaire que de pedigrees pompeux dans la construction de son État.
Pour ce faire, la cour était donc prête à ouvrir les portes de sa bureaucratie à des
96
JWDS 73. 962-963.
JWDS 63. 837-844.
98
JWDS 18. 246-247. Wang Gungwu (2007 : 91) mentionne le cas d‟un autre officier de palais du nom
Li Yu 李郁 (mort en 940), lequel provenait de la famille impériale de la dynastie Tang. Voir JWDS 96.
1280.
97
42
individus qui n‟auraient jamais pu espérer être appelés à jouer un rôle de premier plan
dans la bureaucratie centrale sous la dynastie Tang. De telle sorte que la dynastie
Liang comptait au sommet de ses institutions des individus relevant de toutes sortes de
catégories difficiles à démarquer : des ex-rebelles, des lettrés frustrés, des soldats
professionnels, des fils de petits fonctionnaires locaux et des fils de marchands.
Mentionnons par exemple le cas de Zhang Yun 張筠 dont le père – Zhang Chuangu
張傳古 – était un grand marchand (dashang 大商) de la région de Haizhou 海州
(région limitrophe entre le Shandong et le Jiangsu). Avant d‟être au service de Zhu
Wen à partir de 893 et de se voir nommé commissaire de la Commission de
surveillance des officiers de palais en 907, Zhang Yun eut une longue carrière dans la
commanderie (jun 軍)99 Wuning 武寧 sous la direction du gouverneur loyaliste Shi
Pu 時溥, à la solde de qui il débuta comme lieutenant-général (pianjiang 偏將) pour
finalement occuper le poste de préfet de Suzhou (宿州刺史) durant une dizaine
d‟années. Nous avons donc de bonnes raisons de croire que Zhu Wen le recruta en
raison de son expérience en milieu préfectoral, ce qui incitera d‟ailleurs Zhu Wen à
fréquemment l‟envoyer dans diverses préfectures alors même qu‟il était officier de
palais100. Enfin, nous ne croyons pas que Zhu Wen était contre la bureaucratie, mais
plutôt qu‟il était en quête d‟efficience bureaucratique, ce qui tend à se confirmer par
les fréquents examens de recrutement tenus sous la dynastie Liang101.
Effectivement, la dynastie Liang ne parvint pas à régner sur un empire aux
frontières aussi colossales qu‟elles étaient sous la dynastie Tang à son apothéose. Pour
cause, les territoires du Sud, de l‟Ouest et du Hedong n‟en faisaient pas partie.
Cependant, les réformes introduites en territoire Liang allaient survivre à sa chute en
923 et servir de modèle pour les dynasties nordistes subséquentes. Certes, lorsque le
99
Plus tôt sous la dynastie Tang, le caractère jun 郡 était employé pour désigner une commanderie.
Néanmoins, durant la période qui nous intéresse, ce caractère cesse généralement d‟être utilisé au profit
du caractère jun 軍, lequel en l‟occurrence semble aussi bien faire référence à l‟armée d‟une
commanderie qu‟à la commanderie elle-même.
100
Pour la biographie de Zhang Yun, voir JWDS 90. 1181-1182. Quant à Shi Pu, il se fit défaire par les
armées de Zhu Wen en 893. C‟est à ce moment que Zhang Yun aurait joint l‟organisation de Zhu Wen.
101
Voir le juan 30 du Wenxian tongkao 文獻通考 de Ma Duanlin 馬端臨(1254-1323), la principale
source sur laquelle se base Wang Gungwu (2007 : 94, 112, note 28). Voir également Zhang Yongmei 張
詠梅, « Wudai keju zhidu kao » 五代科舉制度考, dans Ren Shuang 任爽, éd., Wudai dianzhi kao 五
代典制考 (Beijing : Zhonghua shuju, 2007), pp. 116-164; Du Wenyu (2006 : 48-98).
43
prince de Jin 金王, Li Cunxu 李存勗 (885-926), vint fonder les Tang postérieurs 後
唐 (923-936), celui-ci se fit le chantre de la restauration Tang et chercha à réinstaurer
un gouvernement aristocratique102. Toutefois, après que Zhu Wen eut résolu un des
problèmes internes ayant le plus miné l‟effort de reconstruction de la dynastie Tang
avant 907, c‟est-à-dire celui des favoris et des factions aristocratiques, la politique de
restauration fut un échec lamentable. D‟une part, parce que Li Cunxu dut réemployer
le personnel de la dynastie Liang, ses bureaucrates, ses préfets, ses gouverneurs et ses
soldats. D‟autre part, car il devait également composer avec ses anciens effectifs
provinciaux qu‟il dut intégrer au nouvel État. Dans ces conditions, s‟ensuivit donc des
intrigues et des révoltes au bout desquelles les éléments provinciaux l‟emportèrent,
mettant ainsi un terme à la restauration aristocratique. De telle sorte qu‟après la mort
de Li Cunxu en 926, son successeur, Li Siyuan 李嗣源 (867-933), dit Tang
Mingzong 唐明宗, ne fera aucun effort en vue de la poursuivre.
En dépit des plus ou moins rapides changements dynastiques, jusqu‟à
l‟avènement de la dynastie Song, une base politique toujours plus centralisée semblait
se diffuser dans l‟espace territorial du Nord, d‟où allait éclore le projet de reconquête
impériale après 960. Ainsi, malgré l‟alternance de dynasties éphémères, la dynamique
des changements d‟allégeance fit en sorte que les officiers de palais, les bureaucrates,
les gouverneurs et les préfets assumèrent une continuité institutionnelle, laquelle fut
au fil des années un facteur de stabilisation. Certes, durant les premières années du Xe
siècle, les gouverneurs et préfets des marches frontalières jouissaient d‟une plus
grande lassitude quant au choix de leurs allégeances. Toutefois, avec l‟annexion du
Hebei et du Hedong à l‟ancien territoire des Liang suite à la fondation des Tang
postérieurs, les options pouvant s‟offrir à d‟éventuels transfuges se réduisirent
considérablement. De plus, si nous excluons la fondation des Tang postérieurs,
laquelle était le résultat de plusieurs décennies de guerre remontant à la confrontation
102
Li Cunxu était le fils de Li Keyong 李克用 (856-908), général turque adopté par la famille
impériale Li et farouche adversaire de Zhu Wen qui dominait les provinces du Hedong et du Hebei,
dont le centre politique était Taiyuan. Sur la restauration et les causes de sa faillite, voir Wang Gungwu
(2007 : 98-108). À propos de Li Cunxu, que nous connaissons également sous le nom de Tang
Zhuangzong 唐莊宗, Richard L. Davis s‟apprête à publier une biographie sous le titre de Emperor and
Bard : A Biography of Zhuangzong.
44
entre Zhu Wen et le père de Li Cunxu, Li Keyong, les successions dynastiques de la
plaine centrale furent toutes le fait de petits coups d‟État internes orchestrés par des
généraux en poste à la cour103. N‟étant pas à proprement parler l‟issue de guerres entre
différents régimes, les changements de dynasties ne semblaient donc pas se traduire
par un chamboulement des structures d‟autorité régionales, ou par des remaniements
ministériels radicaux. Ce qui explique que la grande majorité des protagonistes
servirent successivement plusieurs dynasties104.
Sans aucun doute, le processus de centralisation et de consolidation territoriale du
Nord sous les Cinq dynasties est un élément fondamental pour comprendre
l‟avènement de l‟empire Song. Toutefois, un autre aspect interdépendant tout aussi
important fut l‟intense bureaucratisation de l‟État sous les Cinq dynasties. Nous avons
déjà observé que sous la dynastie Liang, les institutions étatiques passèrent sous le
contrôle de professionnels provinciaux ayant cumulé diverses expériences, aussi bien
dans le domaine des armes que de l‟administration. Or, dès la fin des Tang postérieurs,
et plus particulièrement après la fondation de la dynastie Jin, il semble que les plus
hautes fonctions de cour commencèrent à êtres accaparées par des lettrés jadis recrutés
par la voie des examens. Prenons par exemple le cas de trois grands ministres à la cour
de Shi Jingtang : Sang Weihan 桑維翰 (899-947), He Ning 和凝 (898-955) et Cui
Zhuo 崔梲 (?-?). Sang Weihan, lequel obtint son degré jinshi entre 923 et 926, est
particulièrement intéressant en ce sens qu‟il fut un des premiers fonctionnaires civils
sans expérience militaire significative à occuper le poste de commissaire des affaires
militaires (shumi shi) à partir de 936105. Quant à He Ning et Cui Zhuo, l‟un comme
l‟autre débutèrent leur carrière sous la dynastie Liang après avoir obtenu leur degré
103
Shi Jingtang 石敬瑭 (892-942) était l‟un des généraux les plus influents à la cour des Tang
postérieurs avant de la destituer pour fonder la dynastie des Jin postérieurs 後晉 (936-947); Liu
Zhiyuan 劉知遠 (895-948) était lui aussi un ancien général influent des Tang postérieurs, lequel
assista Shi Jingtang au moment de fonder les Jin postérieurs, à la cour desquels il occupait une position
prédominante lorsqu‟il proclama la très éphémère dynastie des Han postérieurs 後漢 (947-951); Guo
Wei 郭威 (904-954) était un ancien collaborateur de Shi Jingtang qui devint président de la
Commission des affaires militaires sous les Han postérieurs avant d‟instaurer la dynastie des Zhou
postérieurs.
104
Naomi Standen (2007).
105
JWDS 89. 1161-1169; XWDS 29. 319-321; Wang Gungwu (2007 : 154).
45
jinshi entre 915 et 921106.
À juste titre, il serait donc déconseillé de négliger l‟importance des fonctionnaires
détenteurs du degré jinshi, et encore moins de les passer sous silence comme il est
coutume de le faire. D‟autant plus que, comme le fait remarquer Wang Gungwu, plus
nous approchons de 960, plus l‟influence de ceux-ci devient prépondérante107. Ainsi,
parmi les grands ministres et plus proches collaborateurs de Zhou Shizong, nous
trouvons essentiellement des lettrés, des bureaucrates en bonne et due forme, lesquels
feront partie de la première génération de fonctionnaires à l‟emploi de la dynastie
Song. Pensons entre autres à Wang Pu 王溥 (922-982), le compilateur du Tang
huiyao et du Wudai huiyao, lequel obtint son degré jinshi entre 948 et 950 sous les
Han postérieurs108. De la même façon, nous pouvons également nous référer à Fan Zhi
范質 (911-964), lequel réussit à intégrer les hautes sphères de l‟État après sa réussite
aux examens jinshi entre 930 et 933109.
En insistant sur la présence marquée de lettrés civils à la cour des Jin, des Han et
des Zhou, il est évident que nous ne cherchons pas à dire que les militaires de carrière
cessèrent de jouer un rôle dans la vie politique. Seulement, il semblait se produire une
situation de retour à la normale par laquelle le partage des responsabilités entre
militaires et bureaucrates redevint plus ou moins clairement délimité. Certes, il va sans
dire que les forces armées demeurèrent au centre des préoccupations de chacun des
souverains. Sans elles, nous pouvons affirmer sans grand risque de nous tromper qu‟il
n‟y aurait point eu de reconquête impériale. Toutefois, suite aux efforts soutenus des
diverses dynasties pour maintenir les gouverneurs et les préfets en position de
dépendance, ces derniers étaient de moins en moins en mesure de menacer l‟autorité
de la cour sur son propre territoire. Ce qui permit à cette dernière de toujours plus
accentuer la centralisation du commandement militaire, lequel demeurait plus ou
moins intact malgré les changements dynastiques qui n‟avaient généralement pas été
l‟objet de guerres coûteuses. Dans ce contexte, le ratio des forces devant être affectées
106
107
108
109
JWDS 93. 1231-1232, 127. 1671-1673; XWDS 56. 639-640; Wang Gungwu (2007 : 94).
Wang Gungwu (2007 : 165-169).
SS 249. 8799-8802; DDSL 18. 2-3.
SS 249. 8793-8799; DDSL 18. 1-2.
46
au maintien de la paix intérieure eut considérablement réduit, tandis que des effectifs
de plus en plus percutants pouvaient êtres dirigés vers l‟extérieur dans le but
d‟entreprendre la reconquête impériale. Il serait donc une grande injustice d‟affirmer
que l‟entreprise d‟unification ne débuta qu‟avec la dynastie Song, car déjà sous les
Zhou postérieurs la cour s‟était engagée dans cette voie en dirigeant ses troupes vers
les royaumes du Sud110.
Comme nous avons souhaité le démontrer dans cette section, il est donc possible
d‟étudier les Cinq dynasties autrement qu‟en se référant à l‟étiquette du militarisme.
Le fait étant que d‟importantes transformations institutionnelles caractérisées par un
processus de centralisation et de bureaucratisation étaient en branle. Avant de clore
cette portion d‟analyse, nous aimerions revenir rapidement sur la question du
commerce, de l‟urbanisation et de l‟attitude de ces régimes face à de tels phénomènes.
Ce sera ainsi une autre opportunité de mettre un bémol aux discours affirmant que
sous les Cinq dynasties se proliféraient la destruction économique et l‟oppression
fiscale pour répondre aux besoins incessants de la guerre continuelle. Car, en réalité, il
semble plutôt que les échanges commerciaux continuaient de s‟intensifier tandis que
l‟urbanisation demeurait en hausse, ce qui est loin d‟être habituel en temps de chaos.
D‟autre part, contrairement à la dynastie Tang, l‟État semble non seulement avoir
cessé de percevoir les marchands comme une menace, mais surtout semble-t-il se
soucier d‟améliorer les infrastructures urbaines afin de faciliter leurs activités.
Ainsi, quarante-huit ans après que Liang Taizu prit la décision d‟établir sa capitale
à Kaifeng, voici comment Zhou Shizong, lui-même un ancien marchand de thé111,
s‟exprimait à propos de cette même ville dans un édit.
Indigènes et étrangers accourent tous vers la capitale de l‟Est, où
ils arrivent par voies fluviales et terrestres. En raison de la paix qui
se poursuit, la prospérité continue d‟augmenter à tous les jours.
Toutefois, comme la ville est vieille, les infrastructures ne sont plus
adaptées. Les casernes de la garde sont trop étroites et il n‟y a pas
d‟emplacement pour relocaliser les divers bureaux administratifs.
À cela s‟ajoute le fait qu‟il n‟y a pas suffisamment de magasins
110
Edmund H. Worthy, Jr., « The Founding of Sung China, 950-1000 : Integrative Changes in Military
and Political Institutions », thèse doctorale, Princeton University, 1976.
111
WDSB 5. 4; Han Guopan (1956 : 12-15).
47
dans les marchés et les enclos. Pourtant, les marchands et les
artisans qui arrivent de l‟extérieur ne cessent d‟affluer. […] Pour le
bien de tous, il est donc impératif d‟agrandir la cité. 東京華夷輻
輳, 水陸會通, 時向隆平, 日增繁盛. 而都城因舊, 制度未恢,
諸衛軍營, 或多窄狭, 百司公署, 無處興修. 加以坊市之中, 邸
店有限, 工商外至, 絡繹無窮. […] 將便公私, 須廣都邑112.
Il serait difficile d‟imaginer qu‟une telle pression démographique ne débuta qu‟au
moment où les Zhou postérieurs furent fondés, un tel essor commercial dut débuter
bien avant. Ainsi, deux conclusions s‟imposent quant au dynamisme de Kaifeng.
Premièrement, cette ville était déjà prospère bien avant l‟arrivée de la dynastie Song.
Deuxièmement, il n‟y avait pas que les royaumes du Sud qui connaissaient la
prospérité à cette époque.
112
WDHY 26. 417; Heng Chye Kiang (1999 : 87).
48
II. Le Royaume de Shu antérieur (907-925)
Tandis que s‟écroulait l‟empire Tang, un épisode qui s‟échelonna sur environ
trente ans de luttes entre forces rebelles et loyalistes, il s‟ensuivit une segmentation de
l‟autorité et une redéfinition de l‟échiquier politique. Ainsi, à la dynastie Tang se
substituèrent de nombreux régimes régionaux emportés par les chefs d‟armées ayant
dominé le théâtre des opérations durant les dernières années de guerre civile.
Toutefois, en dépit de leurs oppositions, tous se disaient êtres les légitimes
successeurs de la dynastie Tang et aspiraient à reconquérir son empire. À cet égard, il
nous semble donc inapproprié d‟appréhender la scission de l‟empire comme la simple
expression de régionalismes séparatistes113, ce qui nous semble aussi anachronique
que de recourir à la notion de nation. Certes, à l‟intérieur de leurs bases territoriales
respectives, les régimes en place développèrent tous leurs propres stratégies d‟action
en instituant certaines institutions et en cherchant par divers moyens à convaincre de
leur légitimité les habitants avec lesquels ils interagissaient. D‟un tel scénario, il était
donc normal de voir s‟accentuer les différences régionales. Néanmoins, prenons garde
de ne pas confondre diversité régionale et régionalisme. Manifestement, nul ne saurait
objecter que la dynastie Liang fondée par Zhu Wen se distinguait de l‟État de Shu,
dont Wang Jian 王建 (847-918) était le souverain au même moment. Toutefois, leurs
oppositions et leurs différences ne sauraient être comprises en termes strictement
géographiques, voire géopolitiques, puisque l‟un comme l‟autre entendaient occuper
le même espace, c‟est-à-dire rien de moins que l‟empire. De ce fait, à notre avis, les
différences entre les deux régimes doivent davantage être recherchées dans la façon
113
C‟est l‟une des rares critiques que nous trouvons à adresser à Franciscus Verellen pour son article «
Shu as a Hallowed Land : Du Guangting‟s Record of Marvels », Cahiers d’Extrême-Asie 10 (1998), pp.
213-254. Dans cet article, Verellen semble concevoir que le fondateur des Shu antérieurs, Wang Jian,
par l‟intermédiaire de Du Guangting, parvint à légitimer son régime en faisant l‟apologie du
régionalisme de Shu. Ainsi, en relatant la longue histoire de Shu et ses particularismes régionaux, le
Livre des merveilles (Luyi ji 錄異記) aurait été un outil démagogique venant attester aux habitants de
Shu que l‟indépendance politique du royaume était inscrite dans l‟ordre naturel des choses. Toutefois, il
est fondamental de souligner que l‟autorité de Wang Jian reposait d‟abord et avant tout sur l‟idéologie
confucianiste du mandat céleste (tianming 天命), ce que ne doit pas occulter le fait que Wang Jian fut
un dévot taoïste proche de Du Guangting. Or, il est bien difficile de trouver une notion plus opposée à
l‟idéologie du mandat céleste que celles de régionalisme ou de souveraineté territoriale. Ceci dit, nous
sommes prêts à accepter l‟idée qu‟il puisse y avoir eu une corrélation entre l‟ouvrage de Du Guangting
et la reconnaissance de la légitimité politique de Wang Jian, mais encore faut-il nous donner une idée
plus ou moins précise de la diffusion du Livre des merveilles au début du Xe siècle.
49
qu‟ils avaient de concevoir l‟ordre sociopolitique.
Tant s‟en faut, il serait fallacieux d‟affirmer que Wang Jian planifia de longue date
son couronnement impérial et de ne voir en lui qu‟un conspirateur sécessionniste. Car,
en fait, jusqu‟à la toute fin de la dynastie Tang, il s‟avéra être un champion de la
restauration, raison pour laquelle il bénéficia du support, certes avantageux mais
combien conditionnel, de l‟ancienne clientèle impériale. Par exemple, au moment où
Zhu Wen fut accusé de régicide et commit son coup d‟État en 904, véritable date de la
destitution dynastique, Wang Jian ne répondit pas immédiatement par la proclamation
d‟un nouveau régime dont il serait l‟ultime dépositaire. Au contraire, il se ligua
sur-le-champ avec d‟autres gouverneurs pour abattre le régime de Zhu Wen114. Ainsi,
selon Sima Guang, Wang Jian se serait non seulement allié avec son vieil ennemi Li
Maozhen 李茂貞 (856-924)115, mais aussi aurait-il échangé de multiples lettres ayant
pour objet la restauration avec Yang Chongben 楊崇本 (?-?)116, Li Keyong, Liu
Rengong 劉仁恭 (?-?)117, Yang Xingmi 楊行密 (851-905)118 et Zhao Kuangning
趙匡凝 (?-?)119.
114
Sur cette alliance impliquant de nombreux gouverneurs, voir ZZTJ 265. 8634-8635; Wang Hongjie,
(2008 : 148-160). Il nous semble cependant que ce dernier porte des propos gratuits en mettant en cause
la sincérité de Wang Jian, lequel n‟aurait fait usage du loyalisme Tang que dans le seul but de légitimer
son propre pouvoir. Nous ne voulons pas dire que cette idée ne renferme pas une part de vérité,
toutefois un peu de nuance serait le bienvenu.
115
Li Maozhen était le gouverneur de Fengxiang 鳳翔 (Shaanxi 陝西). Son véritable nom était Song
Wentong 宋文通, nom qu‟il échangea contre le nom de la famille impériale Tang, Li, que lui conféra
Xizong en récompense de ses états de service. Pour sa biographie, voir JWDS 132. 1737-1740. Son
mausolée, contenant deux épitaphes, à lui et à son épouse, a également été exhumé en 2003. Voir Baoji
shi kaogu yanjiu suo 寶鷄市考古研究所, éd., Wudai Li Maozhen fufu mu 五代李茂貞夫婦墓
(Beijing : Kexue chuban she, 2008).
116
Yang Chongben était alors gouverneur de Jingnan 靜難 (Shaanxi). Sa participation à la coalition
semble confirmer par La nouvelle histoire des Tang (XTS 10. 302).
117
Liu Rengong était gouverneur de la commanderie Lulong 盧龍 (Hebei) lorsqu‟il passa au service
de Li Keyong avant 895. Néanmoins, en 896 il transféra son allégeance à Zhu Wen. Sa biographie dans
La nouvelle histoire des Tang ne permet pas de confirmer qu‟en 904 il se rangea dans la coalition contre
Zhu Wen. Certes, il retourna au service de Li Keyong, mais sa biographie semble nous dire que ce ne
fut qu‟en 906 (XTS 137. 5985-5987). Néanmoins, la biographie de Yang Xingmi semble indiquée qu‟il
fit bel et bien parti de l‟alliance (voir la note suivante pour la référence).
118
Originaire de Luzhou 盧州 (Anhui), Yang Xingmi fut nommé préfet militaire de cette préfecture
par le général loyaliste Gao Pian 高駢 (822-887) alors que ce dernier était gouverneur du Huainan 淮
南 et général en chef des armées du Sud durant la rébellion de Huang Chao. Suite à la mort de Gao Pian,
lorsque Zhu Wen fut nommé gouverneur du Huainan et que ce dernier tenta de prendre le contrôle de la
région, Yang Xingmi prit la tête d‟un mouvement de résistance armée contre Zhu Wen. Sa biographie
dans La nouvelle histoire des Tang confirme qu‟il entra en relation avec Wang Jian, Zhao Kuangning,
Liu Rengong et Li Keyong suite à l‟usurpation de Zhu Wen (XTS 188. 5451-5460). Plus tard, lorsque
sera proclamée la dynastie Liang, Yang Xingmi sera proclamé empereur du Royaume de Wu 吳.
119
Sous Tang Zhaozong, Zhao Kuangning fut nommé gouverneur du Shannan oriental 山南東道
50
Certes, Robin D. S. Yates constate qu‟en 903 Wang Jian était sur un pied de
guerre avec Li Maozhen, à qui nous pouvons ajouter Zhao Kuangning120, tandis qu‟il
entretenait des rapports diplomatiques avec Zhu Wen121. Toutefois, cette situation ne
prévalait qu‟avant la mort de Tang Zhaozong, suite à quoi se produisit un indéniable
revirement d‟alliances. D‟une part, il semble que Wang Jian cessa définitivement de
chercher un compromis avec Zhu Wen, tandis que tous les efforts de ce dernier pour
rétablir de bonnes relations avec Shu se soldèrent par un échec122. D‟autre part, en 904
Wang Jian offrit sa fille, la princesse Puci 普慈公主 (?-?), en mariage à Li Jichong
(Hubei), également désigné par le nom de commanderie Zhongyi 忠義. Avant même le coup d‟État de
Zhu Wen en 904, nous dit sa biographie, il fut déjà un allié militaire de Yang Xingmi et Li Keyong. En
904, probablement après le régicide, Zhu Wen lança une attaque contre Kuangning. Ainsi, suivant le
conseil de son frère Kuangming 匡明, alors gouverneur de Jingnan 荊南 (Hubei), il s‟allia à Wang
Jian. En dépit de cette alliance cependant, Kuangning et Kuangming furent défaits et se réfugièrent à
Yangzhou auprès de Yang Xingmi. Tandis que Kuangning mourut peu après, Kuangming prit la route
de Shu où il fut nommé par Wang Jian gouverneur de la commanderie Wuxin 武信. Voir XTS 186.
5427-5428; ZZTJ 265. 8651.
120
ZZTJ 265. 8633.
121
Robin D. S. Yates (1988 : 32-33); Wang Hongjie (2008 : 164-165).
122
Sima Guang mentionne deux missions diplomatiques envoyées par Zhu Wen à Shu après 904. La
première, conduite par un dénommé Sima Qing 司馬卿, que nous ne connaissons pas autrement, aurait
eu lieu en 905 et aurait eu pour motif de disculper Zhu Wen de la mort de Zhaozong. Wei Zhuang 韋莊
(834?-910), alors chargé de l‟affaire, aurait dépêché Wang Zongwan 王宗綰, un lieutenant de Wang
Jian, à la réception de l‟ambassade Liang qui reçut une fin de non-recevoir (ZZTJ 265. 8652). L‟usage
de soldats plutôt que de diplomates dans un échange diplomatique illustre bien un refus total de
négociation. Selon Sima Guang, la seconde mission aurait eu lieu en 912 et aurait été dirigée par Lu Pin
盧玭 (?-?), lequel aurait voulu profiter de la reprise des hostilités entre Wang Jian et Li Maozhen pour
renouer l‟amitié entre Wang Jian et Zhu Wen (ZZTJ 268. 8751). Ouyang Xiu nous dit quant à lui que la
mission de Lu Pin fut en 914 (XWDS 2. 20), tandis que le Jinli qijiu zhuan 錦里耆舊傳 de Gou
Yanqing 勾延慶 (Xe siècle) nous donne l‟année 910 (JLQJZ 2. 1-2). Ce dernier prétend citer
intégralement la missive diplomatique que transporta Lu Pin, ce qui est plausible puisque Gou Yanqing,
un bureaucrate des Shu postérieurs, rédigea son ouvrage sur place avant 970 où il pourrait avoir eu
accès aux archives du royaume. Sur le Jinli qijiu zhuan et son auteur, voir Chen Zhensun 陳振孫
(1186-1262), Zhizhai shulu jieti 直齋書錄解題 7. 10. D‟après le Shiguo chunqiu 十國春秋, qui ne
date pas l‟événement, ce fut Zhang Ge 張格 (mort vers 925) qui fut chargé de recevoir l‟ambassade de
Lu Pin, lequel faillit se faire mettre à mort par Wang Jian (SGCQ 41. 4). Mais admettons que Lu Pin
arriva à Shu en 910, il est possible que ce fut Wei Zhuang qui rencontra Lu Pin, ou bien que Wei
Zhuang travailla de concert avec Zhang Ge. Ainsi, mentionnant ni la date ni le nom des ambassadeurs
Liang, Zhang Tangying 張唐英(1029-1071), auteur du Shu taowu 蜀檮杌, parle d‟une seconde
mission diplomatique par laquelle Wei Zhuang reçu froidement un ambassadeur Liang muni d‟une
missive dont la description correspond à celle citée par Gou Yanqing (STW 45. 23). Si Zhang Tangying
dit vrai, alors cette seconde mission ne peut avoir eu lieu après 910, l‟année du décès de Wei Zhuang. À
notre connaissance, le seul effort de Wang Jian visant à normaliser les relations entre les cours de Shu et
Liang survint après la mort de Zhu Wen en 913, suite à quoi il envoya une ambassade à Kaifeng (JLQJZ
2. 5-6). Wang Hongjie (2008 : 165-180) discute également de ces échanges diplomatiques tout en
offrant quelques traductions de missives. Toutefois, en s‟appuyant sur les sources auxquelles nous
venons de référer, Wang mentionnent plusieurs échanges diplomatiques dans le temps, lesquels en fait
ne correspondent souvent qu‟à un seul et même échange dont les sources donnent des dates différentes.
Avant de pouvoir prononcer des conclusions sur la signification historique de tels échanges, il faudra
définitivement procéder à des recherches plus poussées.
51
李繼崇 (?-?), un fils adoptif de Li Maozhen, instaurant ainsi une alliance qui ne sera
rompue qu‟en 911123.
Selon Sima Guang et He Guangyuan, ce fut suite aux exhortations de son
assistant administratif (panguan 判官) Feng Juan 馮涓 (jinshi 850)124 que Wang Jian
chercha à contracter une alliance maritale avec la famille de Li Maozhen. Ainsi, tandis
que Zhu Wen attaquait Li Maozhen, des généraux de Wang Jian lui auraient conseillé
de profiter de la situation pour s‟emparer de Fengxiang, ce à quoi Feng Juan aurait
rétorqué de se méfier de Zhu Wen et de sceller la paix avec Li Maozhen par une
alliance nuptiale125. Évidemment, nous pourrions en déduire que Feng Juan laissait
déjà entrevoir un pragmatisme politique fonction de l‟intégrité territoriale de Shu,
123
À propos de ce mariage, voir l‟anecdote livré par le Jianjie lu 鑒誡錄 de He Guangyuan 何光遠
(Xe siècle) (JJL 4. 6-7). Néanmoins, tout comme l‟alliance entre Wang Jian et Li Maozhen, ce mariage
fut rompu en 911 avec le retour de la princesse à Chengdu. Les motifs de ce divorce nous apparaissent
plutôt incertains. Sont-ils de nature strictement conjugale, politique ou un peu des deux? Sima Guang
nous dit que la princesse retourna vers son père en raison des mauvais traitements de son époux, ce qui
mit Li Maozhen hors de lui, ne lui laissant d‟autres choix que de rompre ses relations avec Shu (ZZTJ
267. 8737). Cependant, comment savoir si, contrairement à ce que Sima Guang semble croire, la
princesse Puci ne retourna pas vers la cour de son père après la reprise des hostilités entre ce dernier et
Li Maozhen. Quant à Li Jichong, il demeura au service de Li Maozhen jusqu‟en 915, après quoi il
transféra son allégeance à Wang Jian dont les armées eurent le dessus sur Li Maozhen qui perdit la
préfecture de Qinzhou 秦州 à la tête de laquelle était Jichong (ZZTJ 269. 8798-8799). Après cet
événement, il ne semble pas que Jichong reprit avec la princesse, laquelle semblait vivre à Chengdu
tandis que Jichong fut envoyé à Qianzhou 黔州, à la tête de la commanderie Wutai 武泰 près de
l‟actuel Chongqing (ZZTJ 269. 8800). La véracité de ces informations semble corroborée par la
découverte à Chengdu de la tombe de la fille de Li Jichong nommée Dame Li (898-917), laquelle
n‟aurait pas été la fille biologique de la princesse Puci, à défaut de la considérer comme sa mère
adoptive. Ainsi, au moment où la princesse arrive dans la vie de Jichong en 904, Dame Li est déjà âgée
d‟environ six ans, ce que nous pouvons déduire du fait qu‟elle succombe à une maladie en 917 dans sa
19ème année. Son épitaphe mentionne bien le nom de la princesse, toutefois un caractère est désormais
illisible devant le nom de cette dernière précédé du caractère « mère » (mu 母). Selon Ma Wenbin, le
caractère manquant serait di 嫡 pour dimu, dont le sens est « mère adoptive ». Selon toute
vraisemblance, Dame Li serait arrivé à Chengdu accompagnée de la princesse Puci en 911, suite à quoi
elle fut mariée au fils d‟un des fils adoptifs de Wang Jian dont ne connaissons pas le nom. Pour une
étude de cette épitaphe, voir Ma Wenbin 馬文彬, « Wudai Qian-Shu Li shi muzhiming kaoshi » 五代
前蜀李氏墓誌銘考釋, Sichuan wenwu 四川文物, 2003. 3, pp. 87-90. Compte tenu du déshonneur
essuyé par Li Maozhen dans cette affaire, il n‟est guère surprenant de constater que son épitaphe ne
mentionne pas le mariage entre son fils adoptif et la princesse Puci. Voir Baoji shi kaogu yanjiu suo
(2008 : 159-177).
124
Au moment où Wang Jian parvint à conquérir Chengdu en 891 (ZZTJ 258. 8417-8418), Feng Juan
se trouvait à l‟intérieur de la ville. Immédiatement après le siège victorieux de la ville, Juan serait entré
au service de Wang Jian en tant qu‟assistant administratif (SGCQ 40. 2). Dans le Quan Tang wen 全唐
文, la notice biographique de Feng Juan précédant trois des mémoires qu‟il rédigea mentionne
également le poste d‟assistant-administratif (QTW 89. 2). Toutefois, la notice qui lui est accordée dans
le Quan Tang shi 全唐詩 nous dit qu‟il fut nommé académicien de Hanlin sans mentionner le poste
d‟assistant-administratif (QTS 760. 8631).
125
ZZTJ 265. 8634; JJL 4. 6-7. Voir également le Quan Tang wen où se trouve le prétendu mémoire
que Feng Juan aurait adressé à Wang Jian à cette occasion (QTW 889. 2-3).
52
laissant ainsi présager la fondation d‟un État régional. Néanmoins, détrompons-nous,
car en 904 comme en 907, Feng Juan se serait opposé à l‟idée d‟instituer une nouvelle
dynastie au détriment de la lutte pour la restauration. Ainsi, selon Sima Guang,
lorsque les généraux et conseillers de Wang Jian le pressèrent de se proclamer
empereur en 907,
Feng Juan fut le seul à se manifester pour inviter le prince de Shu à
se retenir, arguant que « la restauration impériale ne dépend que de
la sujétion de ceux qui se disent sujet [de la dynastie Tang], tandis
que le statut des bandits qui s‟en délient est odieux ». 馮涓獨獻議
請以蜀王稱制, 曰 : 朝興則未爽稱臣, 賊在則不同爲惡126.
Ainsi, poursuit Sima Guang, incapable de faire triompher son point de vue et
refusant de servir une autre dynastie que les Tang, « Juan se retira chez lui pour ne
plus en sortir 涓杜門不出 »127. Selon le Shiguo chunqiu, sa retraite aurait duré
jusqu‟en 911, soit jusqu‟à la reprise des hostilités avec Li Maozhen. Alors il serait
revenu à la cour pour mettre en garde Wang Jian contre les méfaits de la guerre et pour
lui rappeler les obligations qui incombent à un empereur128. Cependant, pouvons-nous
nous appuyer sur Sima Guang et Wu Renchen pour assumer que Feng Juan coupa les
liens avec Wang Jian et son entourage. Car même s‟il choisit de s‟effacer pour un
temps de la scène politique, cela ne veut en rien dire qu‟il cessa de fréquenter à titre
non-officiel la cour et les lettrés de Chengdu. Le fait que Du Guangting affirme que
Feng Juan rapporta des miracles à la cour de Shu et qu‟il commissionna des rituels
taoïstes patronnés par l‟État devrait nous amener à reconsidérer cette proposition129.
Franciscus Verellen, lequel étudia longuement le rôle dudit prêtre taoïste à la cour de
Wang Jian, démontre ainsi comment les présages divins étaient alors interprétés
126
ZZTJ 266. 8685.
ZZTJ 266. 8685.
128
SGCQ 40. 3. Le discours que rapporte Wu Renchen correspond à un des mémoires de Feng Juan
que prétend rapporter le Quan Tang wen (QTW 889. 3). Cette image de confucianiste pacifiste
constamment apposée à Feng Juan se dégage également des anecdotes le concernant dans le Jianjie lu
(JJL 4. 4-5).
129
À propos d‟un miracle observé par Feng Juan, voir Du Guangting, Shenxian ganyu zhuan 神仙感
遇傳 3. 9-10. Par ailleurs, Du Guangting cite une pétition (ci 詞) formulé par Feng Juan demandant de
procéder à un rituel taoïste zhai 齋. Ce texte est particulièrement intéressant en ce sens que ladite
pétition donne suite au décès d‟une certaine Dame Li décédée pour cause de maladie. Voir Du
Guangting, Guangcheng ji 廣成集 4. 15. La coïncidence serait trop grande pour ne pas assumer qu‟il
s‟agit de la fille de Li Jichong. Que Feng Juan rédigea cette pétition indique décidément qu‟il était très
proche de la cour et de la famille impériale.
127
53
comme des preuves de légitimité, tandis que les rituels taoïstes étaient inséparables du
culte impérial130. N‟excluons donc pas la possibilité que Feng Juan ait pu prendre part
au sacrifice au ciel sanctifiant le couronnement de Wang Jian131.
Selon nous, il importe à présent de retenir que la fondation du Royaume de Shu
résultait d‟une désillusion quant à l‟éventualité d‟une restauration. Ainsi, après même
que la faillite fut consommée en 907, un espoir de voir triompher les forces loyalistes
se faisait toujours sentir132, tandis que la proclamation d‟une nouvelle dynastie à
Chengdu dut soulever des passions, desquelles le sens des réalités eut raison. Enfin, le
sacre impérial de Wang Jian comme empereur de Shu ne doit pas être interprété
comme le fruit d‟une décision unilatérale à sa seule initiative. Car, en fait, il semblait
surtout répondre à une demande venant des réfugiés loyalistes suite aux incidents
dramatiques qui conduisirent à l‟extinction de la dynastie Tang.
Comme nous l‟affirmâmes au chapitre précédent, au cours des années 880 les
rapports entre l‟État et la société s‟exaspérèrent sous la montée de mouvements
populaires dirigés contre la dynastie Tang et sa clientèle. Or, après 904, alors que Zhu
Wen consolidait son emprise au Nord, l‟État tendit de plus en plus à être gagné par des
éléments populaires, contribuant en un sens à institutionnaliser les persécutions
antiaristocratiques. De la sorte, les enjeux ne se limitaient pas à la seule succession
dynastique, mais consistaient surtout en la transposition d‟un nouvel ordre social à la
sphère étatique au détriment d‟éléments conservateurs appréhendant non seulement la
fin de leur domination sociale, mais surtout la fin de leur emprise sur les institutions
impériales. Dans un tel contexte, tandis que le loyalisme pro-Tang était devenu
l‟expression par excellence d‟un attachement à l‟ordre ancien, dès lors que les chances
de restauration devenaient nulles naissait le besoin d‟une alternative que pouvait
incarner Wang Jian.
Comme nous le verrons, parmi ceux qui, contrairement au vœu initial de Feng
130
Franciscus Verellen, « Liturgy and Sovereignty : The Role of Taoist Ritual in the Foundation of the
Shu Kingdom (907-925) », Asia Major, 3rd series, 2. 1 (1989), pp. 59-78.
131
Ce sacrifice aurait eu lieu au début de l‟année 908, voir ZZTJ 266. 8688; JLQJZ 1. 7.
132
Sima Guang soutient qu‟en 907, après la proclamation de la dynastie Liang, Wang Jian cherchait
toujours à organiser une ultime offensive visant à détrôner Zhu Wen et à restaurer la dynastie Tang. Voir
ZZTJ 266. 8675.
54
Juan, pressèrent Wang Jian d‟accéder au trône, se trouvaient plusieurs individus issus
des prestigieuses familles formant l‟épine dorsale de l‟ancienne clientèle impériale. En
d‟autres termes, ils appartenaient à la classe jusqu‟alors privilégiée qui avait le plus à
perdre advenant la chute de la dynastie Tang et le bouleversement de l‟ordre
sociopolitique. De ce fait, ils furent à peu près tous des loyalistes engagés dans la lutte
pour la restauration, tandis qu‟ils furent simultanément des cibles de prédilection pour
les rebelles. Un passage tiré du prétendu texte de l‟amnistie qui précéda le sacrifice au
ciel entérinant la fondation du royaume dit ainsi :
Suite au changement de fortune de la dynastie Tang, les vertueux
gentilshommes ont cessé de s‟y compter en grand nombre. Elle a
même commencé à faire appel à des bandits pour importuner ses
propres soldats. Pour résultat, on en vint à déplacer la capitale et
à mettre fin au royaume [dynastique]. Dès lors, les hommes
éminents et vertueux se trouvèrent dans des difficultés extrêmes.
自唐朝運改, 士德數終, 初乃召寇以纏兵. 竟至遷都而滅國,
賢良塗炭133.
Dans la proclamation de cette amnistie, laquelle constituait un acte indispensable à la
légitimation du nouveau régime, nous y trouvons une source de motivation ayant
conduit des membres de l‟ancienne clientèle impériale à supporter le couronnement de
Wang Jian. C‟est-à-dire la menace d‟être socialement et physiquement éradiqué suite à
l‟échec de la restauration et le désir d‟y échapper par la création d‟un nouvel État
fondé sur les mêmes principes que la défunte dynastie Tang.
Dans les paragraphes qui suivront, nous approfondirons cet argument en étudiant
d‟abord les origines sociales des lettrés qui formèrent la cour de Wang Jian, ce de
manière à identifier les caractéristiques communes qui les unissaient. D‟autres parts,
afin de comprendre ce qui amena Wang Jian à entrer en relation avec ces gens, et
même à devenir leur souverain, nous chercherons à mieux comprendre de quel
contexte sociopolitique lui et ses compères émergeaient. Pour ce faire, nous nous
attarderons donc à l‟évolution de l‟armée Zhongwu 忠武軍, d‟où provenait Wang
Jian, à savoir les liens qui unissaient cette dernière à la dynastie Tang. Dans un
troisième temps, nous nous intéresserons également aux fonctions occupées par les
133
JLQJZ 1. 7.
55
réfugiés loyalistes à la cour de Shu. Ainsi, nous parviendrons à mieux comprendre le
fonctionnement de la bureaucratie de Shu et à mieux déterminer dans quelle mesure
l‟organisation de l‟État central y était fondée sur les institutions de la dynastie Tang.
Par la même occasion, nous entamerons également une analyse préliminaire de la
configuration de l‟autorité dans les diverses commanderies du royaume. De la sorte,
nous espérons ainsi parvenir à mieux comprendre la nature des relations entre la
bureaucratie et l‟armée sous les Shu antérieurs.
2.1 Les loyalistes en exil à Chengdu
Pour bien comprendre les origines du régime et la nature de ses institutions, il
nous apparaît fondamental de nous attarder au contexte familial et à l‟expérience de
ceux qui firent de Wang Jian un empereur en lui procurant une sanction idéologique.
C‟est-à-dire les réfugiés loyalistes qui entourèrent et conseillèrent Wang Jian. De notre
analyse, apparaîtra ainsi une communauté politique élitiste formée des descendants
des plus puissantes familles de l‟ancienne clientèle impériale, ce qui nous permettra de
mieux comprendre certaines des orientations du royaume.
Débutons ainsi par Feng Juan, lequel apparut plus tôt comme un parangon du
loyalisme, dont le Shiguo chunqiu nous informe que le grand-père fut le lettré Feng Su
馮宿 (mort en 836)134. Ce dernier, nous dit L’ancienne histoire des Tang, fut titulaire
du degré jinshi et eut une longue et brillante carrière bureaucratique. Notamment,
entre 820 et 822, il fut nommé superviseur du Directoire d‟évaluation du personnel
(pan kaogong 判考功)135, l‟une des plus prestigieuses fonctions de la cour. Bien que
nous ne savons pas exactement qui était le père de Juan, en revanche nous savons que
Su eut trois fils (Tu 圖, Tao 陶 et Tao 韜), lesquels eurent tous leur degré jinshi.
Compte tenu des relations politiques de Su à la capitale, il est donc plausible que le
père de Juan fut un fonctionnaire impérial.
Toujours selon le Shiguo chunqiu, Juan serait originaire de Wuzhou 婺州
(Zhejiang), tandis que L’ancienne histoire des Tang nous dit que Su était originaire de
134
SGCQ 40. 1.
135
JTS 168. 4389-4390. Le Shiguo chunqiu dit plutôt qu‟il était président du Ministère des fonctionnaires (libu
shangshu 吏部尚書). Toutefois, nous ne trouvons aucune mention de ce titre dans les biographies de Feng Su.
56
Dongyang 東陽, un autre nom pour désigner Wuzhou. Or, comme tout au long de sa
carrière Su semble n‟y avoir jamais mit les pieds, il apparaît improbable que le père de
Juan y naquit. Nous croyons plutôt que Dongyang ne fut que le berceau du clan Feng,
tandis que Su et ses descendants étaient domiciliés de la capitale, ce qui expliquerait
leur facilité à se maintenir dans la bureaucratie impériale.
Quant à Juan, il aurait obtenu son degré jinshi en 850, après quoi il serait devenu
intendant de la préfecture supérieure de la capitale (jingzhao fu canjun 京兆府參軍).
À l‟avènement de Tang Zhaozong (889), il aurait d‟abord été secrétaire du Ministère
des sacrifices (cibu langzhong 祠部郎中), suite à quoi il aurait été envoyé à Shu pour
y occuper le poste de préfet de Meizhou 眉州. Toutefois, en raison du puissant
eunuque Tian Lingzi 田令孜 (mort en 893) et de son frère, le natif gouverneur du
Xichuan, Chen Jingxuan 陳敬瑄 (mort en 893), qui alors refusaient d‟obéir à la cour,
Juan fut contraint de demeurer à Chengdu sans jamais atteindre Meizhou. Il fut ainsi
tenu en otage jusqu‟en 891, soit jusqu‟à ce que Wang Jian soumette Chengdu.136 C‟est
à ce moment que Feng Juan entra en relation avec Wang Jian, en qui il semblait voir
un ami de la restauration pour lequel il accepta de devenir l‟assistant. Ainsi, lorsque
deux ans plus tard (893), Jian fit exécuter Chen Jingxuan et Tian Lingzi, Juan fit
parvenir à la cour impériale un communiqué dans lequel « ces événements [étaient]
salués comme une extermination de la vermine et une œuvre de salut public »137.
136
Tian Lingzi était le commandant en chef de l‟Armée impériale de la divine stratégie (Shence jun), à
laquelle appartenait alors Wang Jian, que Lingzi aurait prit pour fils adoptif. Durant le règne de Xizong,
le véritable maître de la cour aurait été cet eunuque impopulaire que Zhaozong entendait limoger une
fois monté sur le trône. À ce moment, lui et son frère étaient solidement installés au Xichuan, province
qu‟ils dominaient d‟une main de fer depuis l‟exil impérial à Chengdu en 881 (voir les biographies de
Tian Lingzi dans JTS 184. 4771-4772; XTS 208. 5884-5889). Dans ce contexte, la cour mandata Wang
Jian, assisté de Wei Zhaodu 韋昭度 (mort en 894) à la tête d‟un corps expéditionnaire, pour
reconquérir le Xichuan. Ainsi, au début de l‟année 889, Wang Jian parvint à reconquérir plusieurs
préfectures dont Meizhou, laquelle était d‟une grande valeur stratégique, en ce sens qu‟elle ouvrait la
voie vers Chengdu, la capitale provinciale (ZZTJ 257. 8382-8383; Franciscus Verellen (1989 a :
142-143). L‟affectation de Feng Juan à Meizhou (QTW 889. 1; SGCQ 40. 2) répondait sans doute à une
stratégie par laquelle la cour entendait restaurer son autorité en nommant des fonctionnaires civils à la
tête des préfectures clefs. Ainsi, pour éviter de se voir limoger, Tian Lingzi et Chen Jingxuan auraient
refusé le passage à Feng Juan. La bataille pour le contrôle du Xichuan n‟aurait prit fin qu‟en 891
lorsque Wang Jian parvint à s‟emparer de Chengdu après un long siège victorieux qui lui valut les
éloges de ses pairs (ZZTJ 258. 8417-8418; SGCQ 40. 2).
137
Franciscus Verellen, 1989 a, p. 145. Un extrait dudit communiqué se trouve entre autres dans QTW
889. 2.
57
Comme Feng Juan, Zhou Xiang 周詳 (mort en 920)138 fut un lettré très tôt à la
solde de Wang Jian. Bien que nous ne disposions pas d‟information précise concernant
ses origines sociales, sa biographie dans le Jiuguo zhi révèle malgré tout quelques
indices permettant d‟extrapoler. Celle-ci nous dit bien qu‟il était originaire de
Yingchuan 潁川, c‟est-à-dire Xuzhou 許州 (actuel Henan), l‟endroit d‟où venait
Wang Jian et la plupart de ses compagnons d‟armes. Toutefois, la mention de
Yingchuan comme lieu d‟origine semblant être anachronique, nous ne saurions
prendre pour acquis que Zhou Xiang provenait de Xuzhou. Ainsi, le nom de
Yingchuan fut remplacé par celui de Xuzhou en 621, pour ne revenir en usage que
provisoirement entre 742 et 758139. Il est donc possible que Yingchuan ne fut que le
foyer des ancêtres de Zhou Xiang, lequel pourrait en réalité provenir de la capitale.
Bien que nous ne savons pas si Xiang fut détenteur d‟un degré jinshi, il devait
cependant être éduqué et disposer de réseaux sociaux stratégiques pour obtenir son
poste d‟intendant de grenier (sicang canjun 司倉參軍) à Longzhou 龍州 (Sichuan)
durant l‟exil de Xizong et sa cour (881-885). Si nous ne connaissons pas exactement
la date à laquelle Xiang entra en fonction à Longzhou, nous savons en revanche qu‟il
y demeura jusque vers 885, après quoi, « sa période de tenure étant terminée, il
s‟apprêtait à retourner à la capitale » 考滿將歸闕140. Nous avons donc un indice
laissant croire que Xiang vivait à la capitale avant de se rendre à Shu, possiblement au
sein du cortège accompagnant l‟empereur en exil. Au moment de s‟en retourner
cependant, les routes étant par trop troublées, Xiang ne parvint pas à quitter la région
et fut coincé à Miangu 緜谷, d‟où il obtint un entretien avec Wang Jian141, alors en
poste dans la ville voisine de Lizhou 利州 (886)142.
Si nous en croyons un dialogue cité par le Jiuguo zhi, Zhou Xiang aurait dès ce
moment fondé de grands espoirs sur Wang Jian :
138
Plus tard connu sous le nom de Zhou Boya 周博雅. Selon sa biographie dans le Jiuguo zhi 九國志,
la raison fut que le nom de Xiang se prononçait comme le caractère xiang que dans le nom de Meng
Zhixiang 孟知祥 (874-934), le fondateur des Shu postérieurs, ce qui constituait un tabou. Lorsque les
sources continuent de l‟appeler Xiang, il est courant de voir le caractère Xiang 庠. Voir JGZ 6. 12-13.
139
XTS 28. 987-988. La seule source nous disant que Wang Jian provenait de Yingchuan est le Shu
taowu, lequel semble le faire à tort.
140
JGZ 6. 12.
141
JGZ 6. 12.
142
ZZTJ 256. 8335; Franciscus Verellen (1989 a : 141).
58
La félicité Tang va toucher à sa fin. […] Cependant, le duc
éclairé (Wang Jian) a la capacité de protéger le peuple et peut
s‟avérer déterminant à l‟approche des événements. Alors que
j‟étais à Longzhou, j‟ai donc préparé un plan pour le duc éclairé.
Depuis que la cour est recouverte de poussière, le duc éclairé a
lui-même prit les rênes et conduit le dragon en escaladant les
ponts au bord des falaises pour protéger le joyau impérial
(l‟empereur) qu‟il escorta. […] Bien que vous soyez très diligent,
pour seule récompense que vous ayez reçu, après qu‟on eu
raconté vos exploits, fut un poste de préfet. Aujourd‟hui, vous
demeurez en poste dans ce coin reculé (Lizhou) à attendre dans
les plus grandes difficultés. […] Toutefois, ce ne sera pas un lieu
où vous resterez longtemps. 唐祚將終. […] 明公御眾有術, 臨
事能斷. 僕昨在龍州, 已為明公籌之矣. 自主上蒙塵, 明公親
鞚乘龍, 匍匐棧道, 懷國璽以從. […] 勤亦至矣, 及論功受賞,
不過刺史. 今端守一隅, 坐待窘迫. […] 非久安之地143.
Zhou Xiang semblait donc anxieux, conscient des périls menaçant la dynastie Tang et
en quête d‟une alternative qui saurait préserver un certain ordre. Toutefois, comme
l‟indique la fin du passage cité, Xiang ne semblait pas à ce moment anticiper la
fondation d‟un royaume indépendant et nous ne croyons pas non plus qu‟il incitait
Wang Jian à se faire empereur.
En fait, Xiang semblait seulement croire que Wang Jian était le dernier rempart de
la restauration, que par conséquent la cour avait tort de ne pas l‟utiliser à bon escient.
Selon le Jiuguo zhi, il entendait ainsi convaincre Wang Jian d‟accepter un plan de
pacification de Shu censé garantir l‟ascension du général dans la hiérarchie impériale.
D‟après cette source, ce fut Zhou Xiang qui non seulement planifia la campagne
contre Chen Jingxuan et Tian Lingzi, mais surtout qui proposa à la cour de nommer
Wang Jian à la tête de l‟opération. Si l‟information s‟avère fondée, c‟est donc que
Xiang jouissait d‟une notoriété politique, raison pour laquelle Wang Jian le prit au
sérieux et s‟empressa de retenir ses services. Non pas en prévision de son futur
couronnement impérial, lequel aura seulement lieu vingt ans plus tard, mais bien dans
l‟espoir d‟une promotion à Chang‟an.
Quant à Zhang Ge 張格 (mort vers 925), qui arriva à Shu entre 903 et 904, il
143
JGZ 6. 12.
59
était issu d‟un des plus illustres lignages de l‟empire Tang144. Son arrière-grand-père,
Zhang Zhongsu 仲素 (769?-819) fut sous l‟empereur Xianzong 憲宗 (806-820)
académicien de Hanlin et secrétaire au Secrétariat impérial (zhongshu sheren 中書舍
人)145. Bien que d‟un statut inférieur à Zhongsu, son grand-père, Zhang Liao 鐐 (?-?),
servit lui aussi dans la bureaucratie146, tandis que son père, Zhang Jun 濬 (mort en
903) fut non seulement un lettré très actif à la cour, mais surtout l‟un des chefs de file
du mouvement loyaliste. De 885 à 895, il occupa notamment les postes de
vice-président du Ministère des finances (hubu shilang 戶部侍郎), premier ministre
chargé d‟examiner et régler les affaires (pingzhang shi 平章事) et président du
Ministère de la guerre (bingbu shangshu 兵部尚書)147.
Il semble donc que Zhang Ge provenait d‟une famille dont la préservation du
statut dépendait de l‟issue de la lutte pour la restauration. Ainsi, jusqu‟au moment de
son exil, il fut par l‟entremise de son père aux premières lignes du mouvement
loyaliste. Notamment, Jun aurait été favorable à une solution militaire radicale pour
rétablir l‟autorité impériale et prit lui-même la tête de troupes dirigées contre des
gouverneurs séditieux. Toutefois, devant l‟impuissance alarmante de la cour à donner
le ton aux événements, Jun aurait démissionné du gouvernement impérial en 896 afin
de se réfugier avec sa famille dans sa villa de Changshui 長水 (Henan), d‟où il
entendait organiser une armée en prévision d‟un sauvetage de la dynastie. Hélas, plus
les années se succédaient plus le sauvetage envisagé devenait hors de portée. Ainsi, en
903, Zhu Wen envoya une armée attaquer Changshui148. C‟est alors que Ge prit le
chemin de l‟exil, emportant avec lui le traumatisme de l‟exécution de son père, tandis
que son frère, Bo 播, demeura à Yangzhou sous les auspices de Yang Xingmi. À son
arrivée à Shu, il fut aussitôt traité avec déférence et affecté à un certain nombre de
responsabilités pour finalement devenir une figure clef du royaume. Néanmoins, notre
impression est qu‟il n‟arriva pas à Shu avec une riche expérience professionnelle
144
Les biographies de Zhang Ge se trouvent dans SGCQ 41. 3-5; JWDS 71. 944. Il est également
mentionné dans les biographies de son père, voir JTS 179. 4661; XTS 185. 5414.
145
JTS 179. 4656; XTS 59. 1564.
146
JTS 179. 4656.
147
JTS 179. 4656-4660; XTS 185. 5411-5414.
148
L‟évènement est également décrit par Sima Guang, ZZTJ 264. 8622-8623.
60
derrière lui. En fait, nous croyons plutôt que sa réputation était fondée sur le prestige
qui jaillissait sur ses aïeux et l‟association qui existait entre eux et la cause loyaliste.
Selon le Shiguo chunqiu, Zhang Ge serait arrivé à Shu en compagnie d‟un certain
Yang Bin 楊玢 (?-?)149. Advenant que ce fut effectivement le cas, cela pourrait
indiquer que Bin et Ge partagèrent ensemble l‟expérience de Changshui, bien que
nous ne puissions pas sérieusement considérer ce lieu tel un bastion de loyalistes.
Certes, Zhu Wen aurait décidé d‟y déployer des effectifs parce qu‟il craignait que
Zhang Jun lève une armée. Toutefois, il ne semble pas avoir eu besoin d‟envoyer des
forces considérables pour piller la villa et tuer Zhang Jun150. De plus, en quittant
Changshui, Zhang Ge n‟aurait été flanqué que d‟une escorte de trente hommes151.
Cependant, il ne fait pas de doute que Zhang Jun n‟y était pas seul avec sa famille,
laquelle était possiblement accompagnée par celle de Yang Bin. Nous pouvons donc
émettre l‟hypothèse que le père de Bin fut un allié de Jun, tandis que Bin et Ge étaient
des intimes partageant une même condition sociale.
Si le Shiguo chunqiu ne nous renseigne pas sur les origines sociales de Yang Bin,
en revanche une courte notice précédant trois de ses poèmes apparus dans le Quan
Tang shi nous dit qu‟il était un arrière-petit-fils de l‟illustre lettré Yang Yuqing 楊虞
卿 (mort en 835)152. Or nous savons que Yuqing eut cinq fils (Zhitui 知退, Zhijin 知
進, Kan 堪, Tan 壇 et Hangong 漢公), lesquels détenaient tous leur degré jinshi et
étaient tous à l‟emploi de la bureaucratie impériale. Parmi ceux-ci, le plus notoire fut
Hangong, le seul dont nous connaissons les fils, Fan 範 et Chou 籌, lesquels furent
tous des lettrés munis du degré jinshi en poste à la cour153. Est-ce que l‟un de ces deux
individus était le père de Bin? Il est impossible pour nous de le savoir. Cependant,
pour nous avancer avec certitude, nous pouvons affirmer que le grand-père de Bin
était un fonctionnaire au rang élevé et possiblement son père aussi. Ainsi, lorsque Bin
arriva à Shu, en raison de son appartenance à une prestigieuse famille au service de la
149
SGCQ 41. 14.
ZZTJ 264. 8623.
151
JTS 179. 4661.
152
QTS 760. 8632. Pour les biographies de Yang Yuqing, voir JTS 176. 4561-4563; XTS 175.
5247-5249.
153
Voir JTS 176. 4564; XTS 175. 5249-5250.
150
61
cour depuis fort longtemps, il eut droit aux mêmes égards que Zhang Ge.
Niu Qiao 牛嶠 (?-?) était un autre réfugié loyaliste au service de Wang Jian qui
provenait d‟une des familles les plus en vue de l‟ancienne clientèle impériale.
Toujours selon le Shiguo chunqiu, Qiao aurait été un descendant du grand ministre
Niu Sengru 牛僧孺 (780-848)154, lequel demeura célèbre pour son rôle dans les
luttes factionnelles qui l‟opposèrent à Li Deyu 李德裕 (787-850) sous le règne de
Wenzong 文宗 (826-841)155. Comme nous le constaterons, les fils et petit-fils de Niu
Sengru étaient l‟exemple par excellence d‟individus privilégiés parvenant à maintenir
un statut social élevé grâce à une quasi mainmise sur les emplois bureaucratiques les
plus significatifs.
D‟après L’ancienne et La nouvelle histoire des Tang, Niu Sengru eut deux fils,
lesquels suivirent tous les deux la voie tracée par leur père. D‟une part, Niu Wei 牛蔚,
l‟oncle de Qiao, reçut son degré jinshi en 835 et obtint aussitôt un poste de censeur
d‟investigation (jiancha yushi 監察御史) à la cour. Durant les règnes de Xuanzong
宣宗 (847-860) et Yizong 懿宗 (860-874), il occupa entre autres les postes de
secrétaire du Bureau des fonctionnaires (libu langzhong 吏部郎中), vice-président du
Ministère des finances (hubu shilang 戶部侍郎), président du Ministère de la guerre
(bingbu shangshu 兵部尚書) et gouverneur de la province du Shannan occidental 山
南西道 au début des années 870156. Les deux fils de Wei, Hui 徽 et Xun 循, furent
eux aussi destinés à une grande carrière au service de la dynastie Tang. Hui décrocha
son degré jinshi en 867 et fut aussitôt nommé secrétaire-auxiliaire du Bureau des
fonctionnaires (libu yuanwai lang 吏部員外郎), suite à quoi il devint notamment
conseiller-censeur de l‟empereur (jianyi daifu 諫議大夫). Ce dernier se serait
également rendu à Shu, probablement avec la suite de Xizong, toutefois il n‟y
demeura que brièvement et revint vers la capitale où il sembla prendre une part active
à la lutte restaurationniste. Ainsi, à un certain moment il fut l‟assistant-administratif
(panguan) de Zhang Jun, alors engagé dans une véritable croisade contre les
154
SGCQ 44. 6.
Voir les biographies de Niu Sengru dans JTS 172. 4469-4473; XTS 174. 5229-5232. Voir également
Michael T. Dalby (1979 : 639-655).
156
JTS 172. 4473-4474; XTS 174. 5232.
155
62
rebelles157. Quant à Xun, que nous connaissons moins bien, il occupa notamment les
postes de secrétaire de la Chancellerie impériale (jishizhong 給事中) et du Secrétariat
impérial (zhongshu sheren)158.
Niu Qiao ne fut certainement pas moins choyé que ses cousins, en ce sens que son
père, Niu Cong 藂, était lui aussi une grande figure politique159. Deux ans après son
frère cadet en 837, Cong eut son degré jinshi, ce qui lui valut à un jeune âge le poste
de secrétaire-auxiliaire du Bureau des titres honorifiques (sixun yuanwai lang 司勳員
外郎) pour ensuite devenir préfet de Muzhou 睦州 (Zhejiang). Au début des années
870, Cong fut envoyé en fonction au Xichuan, c‟est-à-dire au cœur du futur Royaume
de Shu160. Il semblerait bien que Cong habita la région jusque vers 885, date à laquelle
il retourna vers la capitale. Ainsi, durant l‟exil de Xizong à Chengdu, Cong aurait
fréquenté la cour en qualité de grand ministre de la Cour des sacrifices impériaux
(taichang qing 太常卿)161.
Si les histoires dynastiques peuvent nous renseigner à elles seules sur les parents
de Niu Qiao, en contrepartie elles ne nous apprennent pas grand-chose sur ce dernier.
Seul L’ancienne histoire des Tang nous apprend évasivement qu‟il était gentilhomme
au service de la cour (shangshu lang 尚書郎)162. Pour en savoir un peu plus, nous
dépendons donc du Shiguo chunqiu et du Tang caizi zhuan 唐才子傳 sur lequel le
précédent semble s‟appuyer163. Selon ces sources, Qiao aurait ainsi mit la main sur
157
JTS 172. 4474-4476; XTS 174. 5232-5234.
XTS 174. 5233.
159
Voir les biographies de Niu Cong dans JTS 172. 4476; XTS 174. 5234. Dans ces deux sources, le
lecteur rencontre des corruptions de caractère. D‟une part, Ouyang Xiu utilise un autre caractère Cong
叢 pour désigner une seule et même personne. D‟autre part, Liu Xu 劉昫 (887-946), auteur de
L’ancienne histoire des Tang, semble avoir commit une erreur dans la graphie du nom de Qiao en
substituant au radical « montagne » (shan 山) le radical « insecte » (chong 虫), indiquant ainsi le nom
de Qi 蟜 plutôt que de Qiao 嶠.
160
Ces biographies disent qu‟il fut envoyé au Xichuan en tant que gouverneur (JTS 172. 4476; XTS
174. 5234). Cette information est corroborée par le Zizhi tongjian (ZZTJ 252. 8172). Toutefois il n‟y
aurait été gouverneur que pour quelques semaines, après quoi il fut remplacé par le général Gao Pian
高駢 (ZZTJ 252. 8175) venu combattre les Nanzhao 南詔. Sur ce dernier point, voir notamment
Charles Backus, The Nan-chao Kingdom and T’ang Southwestern China’s Frontier (Cambridge :
Cambridge University Press, 1981), pp. 145-158.
161
JTS 172. 4476.
162
JTS 172. 4476.
163
Le Tang caizi zhuan de Xin Wenfang 辛文房 (XIIIe-XIVe siècle) est un ouvrage datant de la
dynastie Yuan 元 (1271-1368) qui compile de brèves entrées biographiques se rapportant surtout à des
écrivains de la dynastie Tang. Dans le juan 9, nous retrouvons une notice à propos de Niu Qiao, laquelle
fournit de manière laconique les mêmes détails que le Shiguo chunqiu (44. 6). Voir l‟édition annotée de
158
63
son degré jinshi en 878, suite à quoi il eut rapidement des affectations officielles
auprès de l‟empereur Xizong. Il aurait ainsi débuté sa carrière comme chargé de
reprendre les oublis et les omissions de l‟empereur (shiyi buque 拾遺補闕), fonction
qui lui mérita le titre de gentilhomme au service de la cour. Prenant en considération
que le père de Qiao fut en poste à Shu d‟environ 870 à 885 et que la cour impériale fut
en exil à Chengdu de 881 à 885, il nous semble raisonnable d‟assumer que Qiao
débuta sa carrière à Chengdu bien avant que Wang Jian ne soit devenu l‟homme fort
de la région. Ainsi, dans les premières années qui suivirent la reconquête du Xichuan,
Niu Qiao fut, comme Feng Juan et Zhou Xiang, nommé assistant-administratif de
Wang Jian.
Nous ne pouvons évidemment pas procéder ici à une analyse exhaustive des
origines sociales de tous les réfugiés loyalistes qui appuyèrent Wang Jian. Nous
pourrions bien sûr nous intéresser davantage à des individus comme Wei Zhuang,
lequel, en dépit du fait qu‟il obtint son degré jinshi à un âge avancé (894), venait
également d‟une famille distinguée de la région de Chang‟an164. D‟autant plus que,
comme plusieurs avec qui il partageait une même condition sociale, Wei Zhuang
percevait d‟un œil négatif les mouvements subversifs de son temps et ne cachait pas
son loyalisme pro-Tang165. Enfin, nous aurions également pu approfondir les origines
des frères Mao Wenxi 毛文錫 et Mao Wenyan 毛文晏 dont le père, Mao Guifan 毛
龜範, aurait été grand chambellan (taipu qing 太僕卿) à la cour de la dynastie
Tang166, ou encore aborder la question de Zhang Pin 張蠙, lequel descendrait du très
illustre clan Zhang de Qinghe 清河167. Néanmoins, notre objet consistait simplement
Fu Xuancong 傅璇琮, Tang caizi zhuan jiaojian 唐才子傳校箋 (Beijing : Zhonghua shuju, 1987), vol.
4, pp. 450-451.
164
Selon le Shu taowu, Wei Zhuang serait notamment un descendant du lettré Wei Jiansu 韋見素
(687-762), lequel fut une personnalité influente à la cour de Tang Xuanzong 唐玄宗 dont les quatre
fils réussirent à se positionner dans la bureaucratie impériale (STW 45. 23; JTS 108. 3275-3279; XTS
118. 4267-4269). Pour en apprendre davantage à propos de Wei Zhuang, se référer à Robin D. S. Yates
(1988 : 7-35).
165
Rappelons que Wei Zhuang est l‟auteur des « Lamentations de la Dame de Qin », texte dans lequel
il dépeint avec animosité les forfaits commis par les rebelles après la prise de Chang‟an en 881. Voir
Robin D. S. Yates (1988 : 16, 108-122).
166
SGCQ 41. 11-12.
167
SGCQ 44. 6. Sur l‟importance du clan Zhang de Qinghe, voir Guo Feng 郭鋒, « Jin-Tang shizu de
junwang yu shizu dengji de panding biaozhun : yi Wujun Qinghe Fanyang Dunhuang Zhang shi
junwang zhi xingcheng wei li » 晉唐氏族的郡望與氏族等級的判定標準 : 以吳郡清河范陽敦煌張
64
à vérifier s‟il est effectivement possible de déceler une tendance aristocratique parmi
les supporters de Wang Jian.
Par là cependant, nous ne cherchons nullement à dire que seuls les descendants de
grandes familles luttant pour le maintien de leurs privilèges étaient loyalistes et
enclines à soutenir la fondation du Royaume de Shu. D‟une part, nous demeurons aux
prises avec certains individus ayant joué un grand rôle à la cour de Wang Jian et dont
nous ne pouvons déterminer les antécédents familiaux et sociaux. C‟est entre autres le
cas du lettré Xu Ji 許寂 (mort en 936)168. Deuxièmement, il se trouvait à la cour de
Chengdu de nombreux ritualistes religieux comme Du Guangting qui n‟étaient
certainement pas aussi préoccupés par les privilèges aristocratiques que par le
patronage religieux permettant le maintien des rituels devant assurer la communion
entre les dieux et les humains169. Or, le loyalisme exalté de Du Guangting pouvait très
facilement s‟expliquer par le fait que les empereurs Tang, lesquels se disaient
descendre de Laozi, n‟avaient jamais manqué d‟être prodigues envers les prêtres
taoïstes170. Finalement, les marchands, les agriculteurs et les militaires n‟étaient
certainement pas tous des rebelles radicalement opposés à l‟ordre ancien.
2. 2 Le loyalisme de l‟armée Zhongwu
Comment expliquer que des individus issus des plus prestigieuses familles de la
氏郡望之形成為例, Tang yanjiu 唐研究 2 (1996), pp. 245-264.
168
Dans L’ancienne histoire des Cinq dynasties il est certes écrit que son grand-père se nommait Xu
Mi 許祕 (JWDS 71. 944), mais il est impossible de retracer ce dernier. En revanche, contrairement à la
plupart des autres individus que nous venons de discuter, nous ne croyons pas que Xu Ji naquit pas à
Chang‟an. Ainsi, toujours selon la même source, nous apprenons qu‟il serait originaire de Kuaiji 會稽
(Zhejiang). Le Beimeng suoyan 北夢瑣言 (yiwen 逸文 2. 2) tend à valider cette information en nous
apprenant qu‟il reçut son éducation au Mont Siming 四明山 dans la même région sous les auspices
d‟un dénommé Jin Zhengjun 晉徵君 dont nous ne savons rien. Nous ne savons pas si Xu Ji, un
spécialiste du Livre des changements (Yi jing 易經), prit part à un moment à un autre aux examens
organisés par la cour. Néanmoins, il aurait été convoqué par Tang Zhaozong qui en fit un fonctionnaire
du palais intérieur (JWDS 71. 944). Nous ne savons pas sur quels critères il fut sélectionné, mais
compte tenu des conditions d‟embauche qui semblent encore prévaloir dans les années 890 à la cour, il
est permit de croire que Xu Ji disposait de certaines relations politiques. Cependant, en raison d‟une
dégradation du climat à la cour, Xu Ji quitta rapidement la capitale pour se réfugier à Jiangling 江陵
(Jingnan 荊南), d‟où il joindra l‟organisation provinciale de Zhao Kuangning (JWDS 71. 945), avant
de se diriger vers Shu.
169
Franciscus Verellen, « Société et religion dans la Chine médiévale. Le regard de Du Guangting
(850-933) sur son époque », Bulletin de l’École Française d’Extrême-Orient 87. 1 (2000), pp. 267-282.
170
Franciscus Verellen (1994); T. H. Barrett, Taoism under the T’ang : Religion and Empire during the
Golden Age of Chinese History (London : Wellsweep Press, 1996).
65
bureaucratie Tang se tournèrent vers un militaire comme Wang Jian pour les aider à
préserver un ordre sur le point de disparaître? En un sens, il fallait que Wang Jian soit
différent de Zhu Wen. Ainsi, malgré le fait qu‟ils furent tous les deux engagés dans la
profession de soldat, ils devaient malgré tout incarner des valeurs divergentes. Ce qui
nous conduit à reconsidérer l‟un des points faibles de l‟historiographie de la fin de la
dynastie Tang, c‟est-à-dire celui des relations entre pouvoirs civils et militaires171.
Ainsi avons-nous tendance à percevoir les bureaucrates et les militaires comme deux
catégories et groupes d‟intérêts antagoniques. Toutefois, comment passer sous silence
les difficultés auxquelles sont confrontés les historiens lorsqu‟il s‟agit de définir ces
deux catégories en identifiant leurs intérêts respectifs. Qu‟est-ce que des intérêts
typiquement bureaucratiques et des intérêts propres aux militaires? Serions-nous en
mesure de cerner une mentalité militaire universelle et une mentalité bureaucratique
caractéristique? En scrutant la réponse à de telles questions sans démordre du
dualisme, n‟est-il pas facile de basculer vers des propositions subjectives du genre :
les bureaucrates fondent la paix sociale par leurs vertus civiles, tandis que les
militaires la menacent par leur appétit guerrier. Ce qui nous place au niveau du
discours manichéen réduisant les catégories au bien et au mal. Mais est-il besoin de
dire que le bien et le mal ne sont pas des intérêts au sens sociologique du terme, ce
sont des appréciations, des jugements de valeur. De la même manière, «
bureaucrates » et « militaires » sont des concepts qui ne peuvent avoir de sens s‟ils
sont utilisés afin de désigner des catégories sociales exclusives.
Afin de comprendre ce qui conduisit Wang Jian à devenir empereur de Shu, il
convient donc de remonter à l‟organisation militaire à partir de laquelle il entreprit son
ascension. C‟est-à-dire l‟armée Zhongwu basée dans la commanderie du même nom,
d‟où était originaire Wang Jian, laquelle englobait les préfectures de Xuzhou,
Chenzhou 陳州 et Caizhou 蔡州 dans l‟actuel Henan172. Malheureusement, nous
171
Sur ce sujet, voir notamment David A. Graff, « The Sword and the Brush : Military Specialisation
and Career Patterns in Tang China », War and Society 18. 2 (2000), pp. 9-21; Fang Cheng-hua (2001).
172
Selon Ouyang Xiu et Lu Zhen, Wang Jian était originaire de Wuyang 舞陽 dans la préfecture de
Xuzhou (XWDS 63. 783; JGZ 6. 1). Zhang Tangying nous dit également qu‟il venait de la préfecture de
Xuzhou, qu‟il désigne par son ancien nom (Yingchuan), cependant il ajoute que sa famille venait de
Yancheng 郾城 avant de déménager à Xiangcheng 項城 (STW 45. 19). Quant à Xue Juzheng, il nous
66
détenons peu d‟informations concernant les origines sociales de Wang Jian, tandis que
le peu d‟informations que nous détenons sur ses prétendues activités avant de joindre
l‟armée Zhongwu sont suspectes. Le Cefu yuangui 冊府元龜 mentionne certes le
nom de son père, Wang Qing 王慶, et ajoute sans précision qu‟il appartenait à l‟élite
locale (li zhi haoyou 里之豪右) de Chenzhou173. Toutefois, Ouyang Xiu semble
démentir cette affirmation en écrivant que Wang Jian était « un jeune nécessiteux
tuant des bœufs, volant des ânes et trafiquant du sel de contrebande pour vivre 少無賴,
以屠牛, 盜驢, 販私鹽爲事 »174. Quant à Zhang Tangying, il nous dit qu‟il « vivait
de rapines avec la bande de Jin Hui, ce jusqu‟au moment où il se fit condamné [et
emprisonné] à Xuchang pour ses crimes » 與晉暉輩以剽盜爲事, 被重罪繫許昌175.
Plusieurs historiens ont jusqu‟ici accordé beaucoup de crédit à Ouyang Xiu et
Zhang Tangying pour affirmer que Wang Jian était un jeune bandit associé à des
bandes similaires à celles qu‟unifièrent Wang Xianzhi et Huang Chao176. Toutefois, il
se pourrait que les propos d‟Ouyang Xiu correspondent davantage à des jugements de
valeur qu‟à la vérité historique, lui qui n‟avait apparemment aucune estime pour les
militaires, et plus particulièrement pour ceux de cette époque177. Du moins, dans ce
passage que nous venons de traduire, il semble surtout faire de Wang Jian une
caricature burlesque de l‟ignoble soldat-bandit. De plus, rappelons que La nouvelle
histoire des Cinq dynasties est un ouvrage révisionniste de L’ancienne histoire des
Cinq dynasties, laquelle était considérée comme déviante à l‟époque d‟Ouyang Xiu.
Or, la mention du Cefu yuangui à laquelle nous nous sommes référés proviendrait de
L’ancienne histoire des Cinq dynasties, un ouvrage perdu qui fut reconstitué avec
quelques imperfections sous la dynastie Qing 清 (1644-1911)178. Pour ce qui est de
Zhang Tangying, bien que nous ne connaissions pas ses sources d‟informations, il se
pourrait qu‟il extrapole sur les faits. Considérons par exemple la façon dont est relaté
dit que Wang Jian provenait de la préfecture de Chenzhou 陳州 (JWDS 136. 1815).
173
CFYG 219. 17.
174
XWDS 63. 783.
175
STW 45. 19.
176
Voir notamment Hugh R. Clark (2009 : 156-157); Wang Hongjie (2008 : 62-68).
177
Sur l‟attitude d‟Ouyang Xiu à l‟égard des militaires, voir Richard L. Davis (1998 b).
178
À propos de la reconstitution de L’ancienne histoire des Cinq dynasties et les sources employées,
voir Wang Gungwu, « The Chiu Wu-tai shih and History-writing during the Five Dynasties », Asia
major, new series, 6. 1 (1957), pp. 1-22.
67
le passage de Wang Jian en prison dans le Jiuguo zhi, une source antérieure à Zhang
Tangying. Ainsi, nous dit Lu Zhen :
[Meng] Yanhui était responsable de la prison de Xuzhou lorsque
Wang Jian des Shu antérieurs, alors attaché à l‟armée Zhongwu, fut
condamné. Jian dit ainsi à Yanhui : « si vous pouvez me libérer, un
autre jour je vous récompenserai généreusement ». Yanhui le laissa
donc s‟en aller. Ainsi, une fois à la tête de Shu, [Jian] envoya un
messager l‟accueillir et le nomma préfet de Jianzhou. [孟]彥暉嘗
爲許州獄吏, 前蜀王建隷忠武軍, 坐事被繫. 謂彥暉曰 : 卿能
免我, 他日將厚報. 彥暉遂縱之, 令亡去. 及建霸蜀, 遣使迎之,
授簡州刺史179.
Prime abord, notons que Lu Zhen ne mentionne pas la raison pour laquelle Wang Jian
fut arrêté. Cela dit, pouvons-nous envisager un autre motif que le banditisme pour
expliquer son arrestation? Notamment, comme il était apparemment déjà soldat à ce
moment, est-il possible qu‟il fut simplement accusé d‟insubordination à l‟endroit d‟un
supérieur? De plus, une telle anecdote peut nous laisser croire que Wang Jian n‟était
pas un simple voyou, mais bien un individu dont le statut était suffisamment élevé
pour corrompre un fonctionnaire local, qu‟il connaissait peut-être déjà.
Dans le passage précédemment cité de Zhang Tangying, ce qui nous semble le
plus invraisemblable est l‟association faite entre Jin Hui 晉暉 (844-919) et une
prétendue bande criminalisée à laquelle participait Wang Jian. Non pas que Jin Hui et
Wang Jian ne se fréquentaient pas, ce qui est tout à fait possible puisqu‟ils avaient à
peu près le même âge et provenaient des mêmes environs. Seulement, si nous ne
pouvons nous prononcer avec certitude sur les origines sociales de Wang Jian, en
revanche nous sommes mieux renseignés sur Jin Hui et sa famille, laquelle semblait
appartenir aux élites locales. Ainsi, le tombeau de Jin Hui fut fortuitement découvert
en banlieue de Chengdu en 1974. Pour notre plus grande satisfaction, une longue et
détaillée épitaphe fut remontée à la surface, permettant ainsi aux historiens de cette
période de réévaluer le contenu des sources incunables se rapportant à Jin Hui et
Wang Jian180.
179
Ce passage est tiré de la biographie du fils de Meng Yanhui, Meng Sigong 孟思恭, lequel servit
aussi bien les Shu antérieurs que les Shu postérieurs. Voir JGZ 7. 22.
180
Un court rapport d‟excavation du tombeau de Jin Hui, accompagné d‟une estampille de l‟épitaphe,
fut publié par Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui 四川省文物管理委員會, « Qian-Shu Jin Hui
68
Dans les paragraphes qui suivront, une attention particulière sera donc accordée à
l‟épitaphe de Jin Hui, laquelle renferme de très intéressantes informations inédites sur
ses ancêtres immédiats. À partir de celles-ci, nous serons d‟une part en mesure de
mieux mesurer l‟importance de l‟armée Zhongwu pour la dynastie Tang. D‟autre part,
nous serons aptes à obtenir quelques renseignements sur le statut social ainsi que sur
les réseaux sociaux auxquels participaient Jin Hui, et possiblement Wang Jian par
extension. Ainsi croyons-nous mettre le doigt sur certaines pistes permettant d‟émettre
des hypothèses sur l‟attitude de Jin Hui et Wang Jian à l‟égard des rebelles anti-Tang.
Assez significativement, selon l‟auteur de son épitaphe, Yan Juzhen 嚴居貞, Jin
Hui n‟était pas un jeune parvenu de basse extraction. En fait, il serait le descendant
d‟une ancienne et honorable famille engagée dans le métier des armes que l‟on semble
de manière inaccoutumée associer à un grand clan immémorial. Ainsi, après avoir
identifié le défunt, le panégyrique s‟ouvre dans les termes suivants :
Jusqu‟au moment où son honorable père le mit au monde,
s‟écoulèrent cinq cent ans de bonnes fortunes symbolisant des
milliards d‟années de filiations ancestrales dont les sources
jaillirent très loin et dont les branches se disséminèrent dans une
pureté infinie. Toutefois, en raison de nombreuses tragédies, la
généalogie de son clan ne subsiste maintenant qu‟à moitié.
[Heureusement], en quête de la plus sincère dévotion, celle-ci se
transmet désormais oralement. 及甫以生焉, 間五百年禎祥, 狀
億萬嵗宗社, 源流甚遠, 枝流素繁. 族譜半遺, 爰因多難, 徵尋
誠素, 聊以敍陳181.
Certes, il nous est impossible de déterminer si effectivement Jin Hui provenait d‟un
grand clan aristocratique. En fait, il se pourrait très bien que cet extrait ne fasse que
refléter les valeurs de son auteur, lequel était vraisemblablement un grand dignitaire à
la cour de Shu. Ainsi, l‟épitaphe de Jin Hui nous apprend que Yan Juzhen était
qingli jianbao » 前蜀晉暉清理簡報, Kaogu 考古 1983. 10 : pp. 915-918. Pour une brève analyse du
contenu de l‟épitaphe, voir Yuan Shuguang 袁曙光, « Qian-Shu Jin Hui muzhi kaoshi » 前蜀晉暉墓
誌考釋, Sichuan wenwu 四川文物 1989. 6 : pp. 17-21. Mentionnons que le tombeau de Wang Jian fut
également découvert à Chengdu en 1942. Toutefois, aucune épitaphe n‟y fut découverte, les seuls écrits
qui s‟y trouvaient consistent en une eulogie funéraire gravée sur des lattes de bambous, laquelle est
rédigée dans un style beaucoup trop formaliste qui ne nous apprend strictement rien sur les origines et
la vie de Wang Jian. Cependant, ce tombeau demeure un monument funéraire d‟une exceptionnelle
richesse, surtout en ce qui a trait aux sculptures qu‟il renferme et aux ornements du cercueil. Voir le
rapport d‟excavation de Feng Hanji 馮漢驥, Qian-Shu Wang Jian mu fajue baogao 前蜀王建墓發掘
報告 (Beijing : Wenwu chuban she, 2ème édition, 2002).
181
Voir à la ligne #5 de l‟épitaphe, Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918).
69
secrétaire impérial et grand maître du Conseil de la cour (chaoyi daifu jianjiao
shangshu 朝議大夫檢校尚書), secrétaire supérieur du Bureau des finances en charge
du district de Chengdu (hubu langzhong xing Chengdu xianling 戶部郎中行成都縣
令) et vice-président du Tribunal des censeurs (yushi zhongcheng 御史中丞)182. En
dépit du fait que Yan Juzhen nous est inconnu autrement que par cette épitaphe, il
nous est donc permit de croire que celui-ci partageait un même univers que les
réfugiés loyalistes dont nous avons discuté plus tôt. Or, en nous appuyant sur le
passage cité, nous pouvons légitimement inférer que les fonctionnaires civils de la
cour de Chengdu considéraient toujours le pedigree comme le principal déterminant
des vertus conditionnant le statut183. Par conséquent, en admettant l‟ancienneté de la
généalogie de Jin Hui, on célébrait pour ainsi dire la noblesse et la légitimité de son
statut d‟homme supérieur.
Pourtant, Jin Hui provenait d‟un environnement complètement différent de celui
d‟où émergeaient la plupart des loyalistes accaparant les fonctions bureaucratiques à
la cour de Shu. Rappelons que ceux-ci provenaient souvent des plus prestigieuses
familles de la capitale sous la dynastie Tang, lesquelles fournirent plusieurs grands
ministres et dont la réputation reposait en grande partie sur leur pedigree et leur
culture littéraire. Or, Jin Hui venait d‟une famille provinciale dont les membres
servaient la dynastie Tang en qualité de soldats professionnels, au nombre desquels
nous ne pouvons repérer aucun individu ayant occupé de hautes fonctions
bureaucratiques, ni même aucun individu ayant tenté les examens jinshi. D‟ailleurs, il
s‟agit d‟un fait que ne cherche absolument pas à démentir Yan Juzhen en écrivant
qu‟« en s‟établissant dans le métier des armes, la bonne réputation [de cette famille]
se transmit de génération en génération » 樹戟一門, 傳芳累世184. Avec pareille
affirmation venant d‟un lettré, que pouvons-nous donc trouver à répondre à l‟opinion
voulant que les militaires de cette période étaient tous perçus comme une menace à
182
Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, ligne #3).
Plusieurs de ceux qui ont abordé la question de l‟aristocratie vers la toute fin de la dynastie Tang et
durant le Xe siècle ont assumé que les élites cessèrent de définir leur statut en fonction de leur
généalogie, le pedigree étant pour ainsi dire une valeur déjà consumée. Voir Beverly J. Bossler (1998 :
12-24); Peter K. Bol (1992 : 36-48); David Johnson (1977 a : 48). Néanmoins, ce n‟était possiblement
pas le cas à la cour du Royaume de Shu antérieur.
184
Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, ligne #6).
183
70
l‟ordre social? En fait, un examen du cheminement des ancêtres de Jin Hui et une
reconstitution des réseaux sociaux auxquels prenaient part les individus gravitant
autour de l‟armée Zhongwu nous inciteraient davantage à conclure que celle-ci servait
de rempart loyaliste contre la déflagration de l‟autorité impériale.
Selon l‟épitaphe de Jin Hui, « son arrière-grand-père était [Jin] Zhang, lequel était
officier de la Garde militaire de gauche, une fonction qui le conduisit à établir sa
famille à Xuzhou dans le district de Xuchang » 曾祖璋, 左武衛長史, 因家於許州
之許昌縣185. Jin Zhang aurait donc été le premier de la famille à s‟établir dans la
région. Compte tenu de l‟année de naissance de Jin Hui (844)186, il est tout à fait
vraisemblable que Zhang migra vers Xuzhou suite à la rébellion d‟An Lushan,
possiblement vers la fin du VIIIe siècle alors que les commanderies Chengde 成德 et
Wei-Bo 魏博 (Hebei) étaient ouvertement insurgées contre la cour187. Ainsi, l‟envoi
de la Garde militaire à Xuzhou aurait eu pour motif le renforcement de la sécurité des
zones traversées par le canal Bian 汴河. La raison étant que sur celui-ci devaient être
transportées les ressources envoyées vers Luoyang et Chang‟an depuis la prospère
région du Bas-Yangzi dont dépendait la cour désormais privée des ressources du
Hebei et du Shandong188.
Quant au grand-père de Jin Hui, Hongzuo 弘祚, l‟épitaphe nous apprend qu‟il
était « administrateur militaire de la préfecture Tang de Qingzhou, poste auquel était
adjoint le titre de cavalier de gauche à la disposition de l‟empereur » 唐青州司馬檢
校左散騎常侍189. Ainsi, le grand-père de Jin Hui fut envoyé occupé un poste militaire
185
Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, ligne #6).
Selon la ligne #23 de son épitaphe, il trépassa en 923 (qiande wu nian 乾德五年). Quant à sa
biographie dans le Jiuguo zhi, elle nous informe qu‟il était alors dans sa soixante-dix-neuvième année
(JGZ 6. 14).
187
Sur les commanderies du Hebei à cette époque, voir Mao Hanguang 毛漢光, « Tang mo Wudai
zhengzhi shehui zhi yanjiu : Wei-Bo erbai nian shilun » 唐末五代政治社會之研究 : 魏博二百年史
論, Zhongyang yanjiuyuan lishi yuyan yanjiusuo jikan 中央研究院歷史語言研究所集刊 50. 2 (1979),
pp. 301-360; Jonathan Mirsky, « Rebellion in Ho-pei : The Successful Rising of the T‟ang Provincial
Governors », thèse doctorale, University of Pennsylvania, 1967; David A. Graff, « Provincial
Autonomy and Frontier Defense in Late Tang : The Case of the Lulong Army », dans Don J. Wyatt, éd.,
Battlefronts Real and Imagined : War, Border, and Identity in the Chinese Middle Period (New York :
Palgrave Macmillan, 2008), pp. 43-58.
188
Voir notamment Quan Hansheng 全漢昇, Tang-Song diguo yu yunhe 唐宋帝國與運河 (Shanghai :
Shangwu yinshu guan, 1946), pp. 42-76; Denis Twitchett (1970 : 94-96).
189
Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, ligne #7).
186
71
dans la préfecture de Qingzhou, c‟est-à-dire dans la commanderie Pinglu 平盧軍
(Shandong). Il est donc fort possible que Jin Hongzuo y fut affecté par la cour pendant
ou peu après la campagne de 818-819 que Tang Xianzong ordonna contre le
gouverneur dissident Li Shidao 李師道 (mort en 819)190. Ce qui est d‟autant plus
vraisemblable que plusieurs troupes envoyées dans la commanderie Pinglu
provenaient entre autres de la commanderie Zhongwu191. Ainsi le grand-père de Jin
Hui pourrait avoir prit part à l‟un des points tournants de la restauration Tang que
parvint dans une certaine mesure à réaliser Tang Xianzong. En ce sens que la vaste et
populeuse commanderie Pinglu était sous le contrôle d‟un gouverneur militaire qui
refusait toute ingérence extérieure, qui refusait de livrer les impôts à la cour et qui se
liguait couramment avec les autres gouverneurs du Hebei que la cour cherchait en
vain à soumettre. Vu l‟importance économique et militaire de cette commanderie, il
était donc intolérable pour la cour de la voir échapper à son autorité. Grâce au succès
de la campagne de 818-819, elle demeura ainsi sous l‟étroite supervision de la cour
jusqu‟à la rébellion de Huang Chao, privant par là les commanderies autonomistes du
Hebei d‟un puissant allié. Ainsi, il est fascinant de constater que Yan Juzhen prend
grand soin de souligner deux points : d‟une part, que Qingzhou est une préfecture
Tang, d‟autres parts, que Jin Hongzuo relevait de l‟autorité de la cour192.
Enfin, selon Yan Juzhen, le père de Jin Hui était un notable provincial d‟un
certain acabit. Ainsi pouvons-nous lire que « son défunt père, [Jin] He, était un
vice-gouverneur de la commanderie Zhongwu ainsi qu‟un président du Ministère des
travaux » 考和, 忠武軍節度副使檢校工部尚書193. Dans ce passage, nous trouvons
donc un complément au Jiuguo zhi qui ne fait que nous dire laconiquement qu‟il était
un officier (liexiao 列校) dans l‟armée Zhongwu194. Il est certes difficile d‟affirmer
190
Charles A. Peterson, « Court and Province in Mid and Late T‟ang », dans Denis Twitchett, éd., The
Cambridge History of China. Volume 3, part 1 : Sui and T’ang China, 589-906 (Cambridge :
Cambridge University Press, 1979), pp. 525, 533-534. Voir également la biographie de Li Shidao dans
XTS 213. 5992-5995.
191
ZZTJ 240. 7751.
192
C‟est l‟idée à laquelle semble renvoyer la mention du titre « cavalier de gauche à la disposition de
l‟empereur ». Normalement, ce titre renvoi à un poste de conseiller impérial au gouvernement central,
mais il est très difficile de concevoir que Jin Hongzuo remplit les responsabilités associées à un tel titre
à la cour. Ainsi sommes-nous amenés à conclure que la mention de ce titre dans l‟épitaphe ne vise qu‟à
renforcir l‟idée qu‟il relevait de la cour et non d‟un gouverneur rebelle.
193
Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui, (1983 : 918, ligne #7).
194
JGZ 6. 13.
72
qui de Yan Juzhen ou Lu Zhen dit vrai. En revanche, le Jiuguo zhi ajoute que Jin Hui
reçut son premier poste de commandement de Du Shenquan 杜審權 (mort en 875)
lui-même195. Ce qui eut probablement lieu en 874-875, au moment où Shenquan fut
envoyé dans la commanderie Zhongwu à titre de gouverneur196. En fait, selon le Shu
taowu, non seulement Jin Hui mais également Wang Jian aurait été promu par Du
Shenquan, alors que ce dernier organisait une expédition punitive contre l‟armée
rebelle de Wang Xianzhi197.
Bien que nous ne trouvions aucune mention de Du Shenquan dans l‟épitaphe de
Jin Hui, son apparition dans d‟autres sources se rapportant à Jin Hui et Wang Jian
contribue néanmoins à nous mettre sur une piste permettant de conjecturer sur les
réseaux sociaux de ces derniers et les intérêts qu‟ils défendaient. À cet égard, il est
significatif de constater que Du Shenquan fut grand ministre à la cour de 861 à 868,
un poste qu‟il abandonna pour s‟impliquer dans la lutte contre les mutins dirigés par
Pang Xun en 868-869198. Il s‟agissait donc d‟un individu qui non seulement jouissait
de relations politiques au plus haut niveau de l‟État, mais qui était aussi préoccupé
par les rébellions et qui collaborait avec les cercles militaires loyalistes. Ainsi, est-ce
que Jin He fut vice-gouverneur sous Du Shenquan? Si tel était le cas, sommes-nous
en droit de croire que Jin Hui, qui amorça sa carrière à la tête d‟un régiment (huang
tou 黃頭) d‟environ 500 soldats199, eut droit à un traitement de faveur dut à la
relation qui existait entre son père et Du Shenquan? Enfin, est-ce que le fait de naître
dans une commanderie traditionnellement loyaliste de parents concernés par le
maintien de l‟ordre ne peut pas être un facteur disposant le jeune adulte vivant en
temps de crises à s‟engager dans la lutte contre la subversion et à adopter des
positions exaltées comme le loyalisme?
Du moins, si tel ne fut pas le cas, ce fut néanmoins une des principales raisons
pour laquelle les lettrés du Royaume de Shu après 907 semblaient louanger les
militaires issus de l‟armée Zhongwu, et plus particulièrement ceux depuis longtemps
sous les ordres de Wang Jian. Cet aspect se laisse notamment percevoir à la lecture de
l‟épitaphe de Wang Zongkan 王宗侃 (mort en 923), un lieutenant et fils adoptif de
195
JGZ 6. 13.
JTS 177. 4610-4611; Wu Tingxie 吳廷燮, Tang fangzhen nianbiao 唐方鎮年表 (Beijing :
Zhonghua shuju, 2003), pp. 258-259.
197
STW 45. 19.
198
JTS 177. 4610-4611.
199
Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983, p. 918, ligne #11). Huang tou était le nom donné
aux régiments de l‟armée Zhongwu, voir Du Wenyu (2006 : 470-471); ZZTJ 253. 8213.
196
73
Wang Jian dont le nom d‟origine était Tian Deyi 田德怡, lequel aurait appartenu à
une « famille de l‟élite villageoise » 世為鄉豪 de Xuchang, d‟où « il aurait connu
[Wang Jian] de longue date » 以公鄉里故舊200. Voici donc en quels termes le lettré
Duan Rong 段融, l‟auteur de l‟épitaphe, fait l‟éloge de Wang Zongkan et Wang Jian :
En raison de son dévouement au grand empereur [Wang Jian], de
son ardeur et sa conviction à endiguer les troubles, […] lui fut
donc conférer le nom de famille dynastique [Wang]. […]
[Vers la fin des années 880 à Shu] les affaires militaires battaient
leur plein, tandis que de près et de loin on se rendait [à Wang Jian]
pour améliorer les équipements, accumuler les rations et se
promettre mutuellement d‟extirper les pécheurs maudits. 因效誠與
高帝, 立戡難之忠勤 […] 爰賜國姓. […] 軍事振振, 遠邇歸投,
繕甲聚糧, 誓除妖孽201.
Certes, ce passage que nous venons de rapporter est considérablement abrégé.
Toutefois, le type de vocabulaire que nous y retrouvons est tout à fait représentatif des
termes employés pour désigner les ennemis de Wang Jian à travers le long narratif
que livre l‟épitaphe de la croisade anti-rebelle conduite par l‟armée Zhongwu.
Que Wang Jian et Jin Hui partagèrent une même condition sociale est difficile à
attester. En revanche, leur cheminement à l‟intérieur de l‟armée Zhongwu fut très
similaire. Ainsi, alors qu‟il avait moins de trente ans, nous dit le Wuguo gushi 五國故
事, Wang Jian « fut nommé à la tête d‟une division de l‟armée Zhongwu et envoyé
combattre Shang Junzhang au Shandong » 爲忠武軍部將, 討尚君長於山東 202.
Voici ce que nous dit Sima Guang à propos de cette opération datée de 875 :
[Au sixième mois], Wang Xianzhi et son allié Shang Junzhang
attaquèrent Puzhou et Caozhou avec un groupe qui se chiffrait en
milliers [d‟individus]. […] Originaire de Yuanqu (Shandong),
Huang Chao rassembla des milliers de personnes pour accueillir
Xianzhi. […] Du côté de Chao on était moins nombreux que du
côté de Xianzhi et on ne comptait que des contrebandiers
(marchands?) de sel. Mais plusieurs individus ayant échoué aux
examens jinshi suivirent les bandits pour joindre Xianzhi et
saccager le Shandong, en y pillant préfectures et districts. Les
paysans qui vivaient dans une misère exécrable les joignirent
également, de telle sorte qu‟en quelques mois ils se chiffraient par
200
À propos de l‟excavation du tombeau de Zongkan à Chengdu en 1997 et de l‟épitaphe qu‟il
renfermait, voir Xue Deng 薛登, « Wudai Qian-Shu Wei wang mu » 五代前蜀魏王墓, Chengdu
wenwu 成都文物 2000. 2, pp. 8-19; 2000. 3, pp. 32-40. Pour une transcription complète de l‟épitaphe,
voir aux pages 11-13 dudit rapport d‟excavation. De plus, le lecteur peut se référer à la biographie de
Zongkan dans le Jiuguo zhi dont la plupart des informations sont corroborées par l‟épitaphe (JGZ 6. 7).
201
Xue Deng (2000 : 12).
202
WGGS 1. 9.
74
dizaines de milliers. […] [Au onzième mois], les bandes de
brigands progressaient peu à peu, elles avaient déjà mis à sac plus
de dix préfectures et atteignaient désormais le Huainan. […] Ainsi,
on fit appel aux gouverneurs des cinq commanderies du Huainan,
de Zhongwu, de Xuanwu, de Yicheng et de Tianping. 王仙芝及其
黨尚君長攻陷濮州, 曹州, 眾至數萬. […] 冤句人黃巢亦聚衆
數千人應仙芝. […] 巢少與仙芝皆以販私鹽爲事, […] 屢擧進
士不第, 遂爲盜, 與仙芝攻剽州縣, 橫行山東. 民之困於重斂
者爭歸之, 數月之間, 眾至數萬. […] 羣盜侵淫, 剽掠十餘州,
至于淮南. 詔淮南, 忠武, 宣武, 義成, 天平五軍節度使203.
Dans un tel climat, il est difficile d‟imaginer qu‟un homme d‟État de la trempe de Du
Shenquan ait confié le commandement d‟une division à un homme ne partageant pas
ses convictions, surtout à un jeune bandit, et risquer que celui-ci fasse défection au
camp adverse204. Si dans la commanderie Zhongwu se trouvait effectivement de
jeunes révoltés enclins à la rébellion, en revanche nous pouvons raisonnablement
présumer que ceux-ci ne figuraient pas parmi les officiers de l‟armée Zhongwu. Par
exemple, Li Hanzhi 李罕之 – originaire de Chenzhou, un des présumés lieux de
naissance de Wang Jian – était un lettré révolté qui échoua aux examens et qui se
tourna vers la sédition, ce qui le conduisit également au Shandong dans les
événements que décrit Sima Guang. À la différence bien sûr qu‟il n‟était pas du côté
de l‟armée Zhongwu, mais bien du côté de Huang Chao et Wang Xianzhi205.
Il semblerait donc que Wang Jian fut dévoué à une cause, raison pour laquelle il
mit beaucoup d‟ardeur à combattre la rébellion sur plusieurs fronts. Notamment, le
Jiuguo zhi nous apprend que « Jian combattit Xu Tangju dans le Jiangxi » 建討徐堂
擧於江西 206. Ainsi, Wang Jian pourrait avoir prit part à la plus grande bataille de
l‟heure, c‟est-à-dire la bataille du Jiangxi de 878, au court de laquelle Wang Xianzhi
et Shang Junzhang furent capturés et exécutés207. Quant à Xu Tangju, celui-ci était
l‟allié de Wang Xianzhi qui occupait la préfecture de Hongzhou 洪州, contre laquelle
intervint l‟eunuque et superviseur des troupes anti-rebelles Yang Fuguang 楊復光
203
ZZTJ 252. 8180, 8182.
Pour répondre à l‟interrogation de Hugh R. Clark (2009 : 156) qui se demande si Wang Jian forma
une alliance avec Huang Chao, nous lui répondons catégoriquement que non! Wang Jian fut dès le
début de la rébellion dans le camp loyaliste et à aucun moment il ne fit défection.
205
JWDS 15. 206. Ouyang Xiu discute également de Li Hanzhi dans La nouvelle histoire des Tang,
toutefois il est décidément antipathique à son endroit et passe sous silence que celui-ci fut un lettré
frustré ayant reçu une éducation confucianiste (XTS 187. 5442).
206
JGZ 6. 4. Cependant, Lu Zhen semble commettre une erreur dans la transcription du nom de Xu
Tangju, le caractère ju n‟étant pas 擧, mais bien 莒. Voir JTS 184. 4772; ZZTJ 253. 8203.
207
JTS 19. 701.
204
75
(842-883)208, sous les ordres de qui était semble-t-il Wang Jian à ce moment.
Tandis que la rébellion prenait des proportions alarmantes et que les foyers
insurrectionnels se multipliaient, l‟armée Zhongwu semble avoir été d‟un intérêt
particulier pour la dynastie Tang dans sa stratégie d‟endiguement des troubles. Par
conséquent, la cour impériale entendait contrôler la nomination des gouverneurs de la
commanderie et maintenir sous étroite supervision les diverses divisions de son armée.
D‟une part, même après le décès de Du Shenquan en 875 et la prolongation des luttes
armées, la cour semble avoir gardé l‟habitude de nommer des gouverneurs civils à la
tête de la commanderie. Ainsi, en 875 la cour passa le relais à Cui Anqian 崔安潛
(jinshi 849), lequel était non seulement déjà familier avec la commanderie pour y être
arrivé quelques années plus tôt en qualité de préfet de Xuzhou 許州刺史209, mais qui
également provenait d‟une famille solidement établie dans la bureaucratie
impériale210. Toutefois, en dépit de son loyalisme et de sa détermination à vaincre les
« bandits », celui-ci demeurait un bureaucrate dont l‟expérience du soldat de métier
semblait faire défaut211. Ainsi, après quelques démêlés avec d‟autres gouverneurs
loyalistes vers la fin de l‟année 877212, il fut rappelé par la cour qui projetait
désormais de l‟envoyer au Xichuan prendre la place du gouverneur et général Gao
Pian213, auquel la cour entendait faire appel pour commander les troupes anti-rebelles.
Entre temps, un dénommé Xue Neng 薛能 (jinshi 846) fut nommé gouverneur
de la commanderie à la place de Cui Anqian, un emploi qu‟il occupa jusqu‟en 880214.
Bien que Xue Neng fut un poète prolifique en son temps215, malheureusement il ne
subsiste que peu d‟informations à son sujet. Néanmoins, la notice biographique qui
précède ses poèmes dans le Quan Tang shi nous apprend qu‟il fut affecté à des postes
208
JTS 184. 4772.
JTS 177. 4580. À noter qu‟Ouyang Xiu se trompe en écrivant qu‟il était gouverneur avant 875 (XTS
114. 4199). Voir également Wu Tingxie (2003 : 259).
210
Mentionnons que le grand frère de Cui Anqian, Cui Shentian 崔慎田 (jinshi 828), fut grand
ministre vers la fin des années 850, tandis que leur père, Cui Cong 崔從 (jinshi 786) fut un haut
fonctionnaire de la cour durant les règnes de Xianzong et Muzong 穆宗 (821-824). Voir JTS 177.
4577-4580; XTS 114. 4196-4199.
211
XTS 114. 4199.
212
Une querelle éclata entre Cui Anqian et Song Wei 宋威 – gouverneur de la commanderie Pinglu –
qui devait prendre le contrôle des armées devant être envoyées au Jiangxi et auquel Anqian refusait de
céder des troupes. (ZZTJ 253. 8193). Le compromis semble avoir été de rappeler Anqian et de confier le
commandement des troupes de l‟armée Zhongwu destinées au Jiangxi à Yang Fuguang (JTS 184. 4772).
213
Selon Sima Guang, Cui Anqian reçoit la proposition de se rendre au Xichuan comme gouverneur
vers la fin de l‟année 878 (ZZTJ 253. 8209; XTS 114. 4199). On entendait vraisemblablement envoyer
Cui Anqian au Xichuan sous prétexte que la guerre avec les Nanzhao avait prit fin.
214
Wu Tingxie (2003 : 260).
215
Pour apprécier ses nombreux poèmes, voir QTS du juan 558 au juan 561.
209
76
au Ministère de la justice (xingbu 刑部) ainsi qu‟au Tribunal des censeurs (yushi tai
御史臺) vers la fin des années 850216. Enfin, L’Ancienne histoire de la dynastie Tang
nous dit qu‟en 870, alors qu‟il était secrétaire à la Chancellerie impériale (jishizhong),
il fut promu au poste d‟administrateur supérieur de la capitale (jingzhao yin 京兆
尹)217. Toutefois, bien qu‟étant un bureaucrate loyaliste très expérimenté, Xue Neng
n‟était guère plus un soldat professionnel que ne l‟était Cui Anqian.
À partir de 878 les affaires allaient de mal en pis, de telle sorte qu‟en 880-881 les
événements se précipitèrent au point de prendre une tournure dramatique. Au premier
chef, l‟empereur se fit chassé de sa capitale par les forces de Huang Chao. En second
lieu, Gao Pian n‟ayant pas été en mesure de contenir l‟avancée ennemie, les forces
rebelles prirent le contrôle de nombreuses régions méridionales prospères et
stratégiques. Enfin, la loyauté d‟une des commanderies jusqu‟alors des plus fidèles à
la cour devint incertaine. C‟est-à-dire qu‟en 880, Xue Neng aurait été assassiné par un
obscur soldat du nom de Zhou Ji 周岌, lequel usurpa la position de gouverneur de la
commanderie Zhongwu218. Par chance pour la cour cependant, Zhou Ji n‟usurpa que
la position d‟un gouverneur civil qui n‟avait semble-t-il pas de troupes significatives
sous la main. En fait, le véritable chef des armées de la commanderie Zhongwu était
Yang Fuguang, cet eunuque député par la cour pour superviser les armées de la
commanderie et coordonner la lutte.
Selon toute vraisemblance, à aucun moment Wang Jian et Jin Hui ne furent sous
l‟autorité de Zhou Ji. Ainsi, au moment où Zhou Ji monta son putsch, ceux-ci auraient
accompagné un autre général du nom de Qin Zongquan 秦宗權 vers la préfecture de
Caizhou dans le Sud de la commanderie219. Si nous en croyons les sources, la raison
de ce départ inusité fut un refus catégorique de servir un traître comme Zhou Ji, une
réaction sans équivoque qui fut aussi bien celle Qin Zongquan que de Yang Fuguang.
Certes, les sources ne nous disent pas ce qu‟en pensaient Wang Jian et Jin Hui plus
précisément, néanmoins leur opinion à l‟égard de Zhou Ji ne devait pas être tellement
différente de celle de leurs patrons. Ainsi, peu après le coup de force qui scinda la
commanderie Zhongwu, Yang Fuguang réquisitionna au près de Qin Zongquan le
216
217
218
219
QTS 558. 6467.
JTS 19. 676.
JTS 19. 708; ZZTJ 254. 8237; QTS 558. 6467.
ZZTJ 254. 8237; JTS 114. 4773, 200. 5398.
77
transfert sous son autorité de trois à huit mille soldats220 qu‟il divisa en huit divisions
dont il confia le commandement à Lu Yanhong 鹿晏弘, Jin Hui, Li Shitai 李師泰,
Wang Jian, Han Jian 韓建, Zhang Zao 張造, et possiblement Li Jian 李簡221. À
partir de Caizhou, ces huit brigades entreprirent ainsi une marche forcée vers l‟Ouest,
où se dirigeait alors la cour sur le chemin de l‟exil. À travers cette très longue
expédition, l‟armée de Yang Fuguang passa d‟abord par la commanderie voisine du
Shannan oriental où elle livra bataille aux troupes rebelles dirigées par Zhu Wen dans
les environs de Nanyang 南陽 et Dengzhou 鄧州222. Suite à quoi, l‟armée continua
sa marche en direction de Xingyuan 興元, dans la province du Shannan occidental,
où les troupes se stationnèrent à la frontière du Xichuan, lieu d‟exil impérial223.
Un problème qui peut ici attirer l‟attention est de comprendre pourquoi les
troupes récupérées par Yang Fuguang firent marche vers l‟Ouest plutôt que d‟attaquer
Zhou Ji et ainsi reprendre le contrôle de la commanderie Zhongwu. Une partie de la
réponse réside notamment dans le fait que la stratégie et les enjeux de la lutte avaient
considérablement changé. Ainsi, la priorité était désormais d‟assurer la survie de la
dynastie et de reconquérir la capitale. Pour ce faire, il était donc fondamental de
commencer par renflouer l‟armée impériale, renforcer la sécurité de la cour et
consolider une base territoriale devant servir de point de départ à la reconquête. C‟est
donc pour ces raisons, semble-t-il, que la cour fit appel à Yang Fuguang pour détacher
les divisions de choc de l‟armée Zhongwu, les transférer à l‟Ouest et les intégrer à
l‟armée personnelle de l‟empereur, la célèbre Armée de la divine stratégie224.
220
Selon JTS 184. 4773 et STW 45. 19, il s‟agissait de trois mille soldats. Toutefois, selon XWDS 63.
783, huit mille soldats furent conduits à Yang Fuguang.
221
L’ancienne histoire des Tang ne donne que cinq noms sur huit : Lu Yanhong, Jin Hui, Li Shitai,
Wang Jian et Han Jian (JTS 184. 4773). Ce qui est déjà mieux que L’ancienne histoire des Cinq
dynasties et La nouvelle histoire des Cinq dynasties qui ne nous donnent que les noms de Lu Yanhong
et Wang Jian (JWDS 136. 1815; XWDS 63. 783). Le Shu taowu va un peu dans le même sens que
L’ancienne histoire des Tang en nous donnant les noms de Wang Jian, Jin Hui, Han Jian et Li Shitai, à
la différence qu‟il ajoute celui de Zhang Zao (STW 45. 19), une information qui semble également
corroborée par la biographie de Zhang Zao dans le Jiuguo zhi (JGZ 6. 14). Grâce au Jiuguo zhi, nous
pouvons possiblement ajouter le nom de Li Jian, dont la biographie nous dit qu‟il accompagna Lu
Yanhong dans ladite expédition (JGZ 6. 15). Toutefois, il nous manque toujours le huitième nom. Nous
pourrions avancer l‟hypothèse que Yang Fuguang prit lui-même la tête d‟une des huit divisions. En plus
de Jin Hui, Li Shitai, Zhang Zao et Li Jian sont tous des personnages d‟un intérêt particulier pour nous
en ce sens qu‟ils contribuèrent directement à la fondation du Royaume de Shu antérieur. Pour ce qui est
de Lu Yanhong, en 884 il retourna prendre le contrôle de la commanderie Zhongwu dont il devint le
gouverneur (ZZTJ 256. 8315-8316).
222
JTS 184. 4773; ZZTJ 255. 8300.
223
Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, ligne #13); ZZTJ 255. 8300; JWDS 136.
1815.
224
Dès l‟arrivée de Wang Jian et Jin Hui à Xingyuan, ceux-ci ne relevaient définitivement plus de
l‟armée Zhongwu, mais bien de l‟autorité directe de Tian Lingzi, lequel était chargé du commandement
78
Ce n‟était donc pas un hasard si les divisions commandées par Wang Jian et Jin
Hui firent parti des principales forces devant escorter l‟empereur à son retour vers la
capitale impériale en 885225. Non seulement car l‟armée de la commanderie Zhongwu
était traditionnellement loyaliste et comptait parmi les plus fidèles à la cour, mais
aussi en raison du fait que des individus influents gravitant dans l‟entourage immédiat
de la cour au moment de l‟exil avaient des liens personnels avec la commanderie.
Entre autres, Cui Anqian, lequel passa quelques années de sa vie à Xuzhou, était du
nombre. Rappelons que celui-ci fut envoyé assumer la responsabilité de gouverneur
du Xichuan en 878. Certes, en 880 il fut remplacé à ce poste par Chen Jingxuan, le
frère de l‟eunuque en chef de la cour Tian Lingzi, toutefois il demeura à Chengdu au
près de l‟empereur tout au long de l‟exil226. En fait, selon Sima Guang, dès 879
Anqian aurait exprimé l‟idée de transférer des troupes de la commanderie Zhongwu
vers Shu227. De plus, mentionnons qu‟un des trois fils de Du Shenquan, Du Rangneng
杜讓能 (jinshi 873), fut investi de très hautes fonctions bureaucratiques à la cour de
Tang Xizong, que par ailleurs il accompagna en exil à Chengdu avant de devenir
lui-même grand ministre228. Enfin, il va s‟en dire que la participation de Wang Jian au
haut-commandement de l‟Armée de la divine stratégie lui permit d‟étendre ses
relations tout en gagnant les sympathies de nombreux lettrés loyalistes.
2. 3 La morphologie d‟un État loyaliste
Dans ses almanachs intitulés Miroir exhaustif pour l’illustration du gouvernement
(Zizhi tongjian), Sima Guang pose les premiers jalons d‟une hypothèse concernant les
suprême de l‟armée impériale. Comme l‟explique Franciscus Verellen (1989 a : 65-71), durant l‟exil
impérial, Lingzi saisit l‟importance capitale de cette région dans le processus de reconquête et s‟assura
d‟en avoir un contrôle total. D‟une part, celle-ci était le point de passage obligé pour se rendre à
Chengdu à partir du Nord-est, d‟autre part, en direction opposée, elle menait directement à Chang‟an.
Ainsi, en participant au renforcement militaire de Xingyuan, Wang Jian et Jin Hui aurait été intégré à
l‟Armée de la Divine stratégie, un point sur lequel l‟épitaphe de Jin Hui ne laisse planer aucune
ambigüité. Voir Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, lignes #14-15). C‟est également
dans ce contexte que Wang Jian, et possiblement Jin Hui bien que son épitaphe n‟en dise rien, aurait été
adopté Tian Lingzi. Voir STW 45. 20; JWDS 136. 1816; XWDS 63. 783; ZZTJ 256. 8314.
225
Comme le fait remarquer Yuan Shuguang (1989 : 18), les sources les plus courantes insistent à
outrance sur l‟importance de Wang Jian au sein de l‟escorte devant accompagner l‟empereur sur le
retour de son exil. Selon son épitaphe, Jin Hui aurait joué un rôle tout aussi important, lui qui ne tenait
semble-t-il pas son autorité de Wang Jian, de qui il était alors l‟égal. En fait, cinq divisions (suijia wudu
隨駕五都), dont une commandée par Jin Hui, auraient escortées la suite impériale. Sichuan sheng
wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, ligne # 14-15); STW 45. 20; ZZTJ 256. 8314.
226
JTS 177. 4580; XTS 114. 4200.
227
ZZTJ 253. 8213.
228
JTS 177. 4612.
79
institutions bureaucratiques mises en place sous Wang Jian après 907. Ainsi écrit-il :
Bien que le souverain de Shu fût illettré, il aimait discuter avec
les hommes de lettres dont il apprit grossièrement les principes.
À ce moment, [lors de la chute de la dynastie Tang], des clans de
bureaucrates de la dynastie Tang se réfugièrent à Shu afin
d‟éviter le désastre. Ainsi, le souverain de Shu les considéra avec
déférence et les employa afin qu‟ils firent la promotion des
anciens modèles, de sorte que les institutions civiles y revêtirent
les allures de la dynastie Tang. 蜀主雖目不知書, 好與書生談
論, 粗曉其理. 是時唐衣冠之族多避亂在蜀, 蜀主禮而用之,
使脩擧故事, 故其典章文物有唐之遺風229.
Que des lettrés réputés se réfugièrent à Shu est un fait déjà largement corroboré, reste
cependant à déterminer dans quelle mesure ils établirent une structure bureaucratique
analogue à celle de la défunte dynastie Tang.
Afin d‟apprécier la véracité de cet énoncé, nous ausculterons donc le dispositif
bureaucratique de la cour des Shu antérieurs par analogie à la structure étatique dite
des Trois départements (san sheng 三省), laquelle était en théorie à la base du vaste
appareil politico-administratif de la dynastie Tang230. À propos de ce système, nous
pouvons nous référer à deux sources capitales qui en présentent les rouages. D‟une
part, nous disposons du Da Tang liudian 大唐六典, un ouvrage qui aurait été compilé
par le grand ministre Li Linfu 李林甫 (mort en 752) à la demande de l‟empereur
Tang Xuanzong 玄宗 (712-756). D‟autre part, nous pouvons compter sur le Tong
dian 通典, une somme encyclopédique des institutions impériales réalisée par Du You
杜佑 (735-812). Dans un cas comme dans l‟autre, ces ouvrages parcourent
229
ZZTJ 266. 8685. Voir également la traduction anglaise d‟Anna M. Shields, Crafting a Collection :
The Cultural Contexts and Poetic Practice of the Huajian ji 花間集 (Collection from among the
Flowers) (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 2006), p. 83.
230
Les traductions de Robert des Rotours sont la référence française de prédilection pour étudier
l‟histoire institutionnelle des Tang, voir Traité des fonctionnaires et Traité de l’armée : traduits de la
Nouvelle histoire des T‟ang, chap. 46-50 (Leyden : E. J. Brill, 1947-1948), 2 volumes. À part des
Rotours, très peu d‟historiens occidentaux ont à ce jour étudié les structures et les rouages de la
bureaucratie Tang. Le titre de l‟ouvrage de David McMullen, State and Scholars in T’ang China
(Cambridge : Cambridge University Press, 1988), semble certes suggérer un tel sujet. Toutefois, de
manière générale, cet ouvrage n‟aborde que des questions liées aux rituels d‟État, à l‟éducation
confucianiste et aux activités littéraires dans le cadre de la cour impériale. Sur l‟histoire politique et
institutionnelle de la bureaucratie Tang, nous sommes forcés de nous référer à des historiens chinois,
lesquels ont été beaucoup plus sensibles aux complexes structures d‟État. Voir notamment Dai Xianqun
(2001); Luo Yongsheng 羅永生, Sansheng zhi xintan : yi Sui he Tang qianqi menxia sheng zhizhang yu
diwei wei zhongxin 三省制新探 : 以隋和唐前期門下省職掌與地位為中心 (Beijing : Zhonghua
shuju, 2005).
80
l‟évolution des institutions impériales de leurs origines à la dynastie Tang et décrivent
le rôle des diverses institutions et fonctionnaires leur étant rattachés. Cependant, aussi
importantes soient-elles, il va de soi que la prudence doit être de rigueur en mettant à
contribution ces deux sources. Premièrement, elles nous procurent un point de vue par
trop théorique des institutions telles qu‟elles devaient exister sous une forme idéale.
Deuxièmement, elles ne peuvent logiquement pas rendre pleinement compte des
institutions impériales après la rébellion d‟An Lushan. Néanmoins, c‟est l‟un de nos
objectifs que d‟apprendre dans quelle mesure cette structure des Trois départements
continuait d‟exister après la dynastie Tang au Royaume de Shu entre 907 et 925.
De manière à mieux comprendre l‟organisation de la bureaucratie centrale à Shu,
nous nous attarderons principalement aux titres dont étaient porteurs les individus en
fonction à la cour. Dans la mesure où il y aura concordance, ceux-ci seront ainsi
répartis en trois catégories correspondant aux Trois départements. C‟est-à-dire le
Secrétariat impérial (zhongshu sheng 中書省), la Chancellerie impériale (menxia
sheng 門下省) et le Département des affaires d‟État (shangshu sheng 尚書省).
Toutefois, nous allons simultanément devoir tenir compte d‟autres institutions ayant
connu un essor considérable depuis la fin du VIIIe siècle et ayant irrécusablement
affecté les Trois départements. Il est ici question du Tribunal des censeurs, du Bureau
des affaires militaires et de l‟Académie Hanlin 翰林院. À travers cette analyse, nous
souhaiterions donc parvenir à une meilleure compréhension des hiérarchies et du
partage des responsabilités à la cour, ce aussi bien du point de vue de l‟intérieur des
institutions qu‟entre elles.
a) Les Trois départements
Avant d‟en arriver aux considérations d‟ordre pratiques telles que proposées,
tâchons d‟abord de définir brièvement les institutions sur lesquelles s‟appui notre
reconstitution. Ainsi, débutons par le Secrétariat impérial dont la principale fonction
aurait été de renseigner l‟empereur sur les questions d‟actualités tout en formulant les
chartes et décrets devant faire office de réponses impériales aux problèmes. En
principe, à la tête du Secrétariat se trouvait un président (zhongshu ling 中書令)
81
investi du titre de grand ministre au près de l‟empereur, lequel était assisté de deux
vice-présidents (zhongshu shilang 中書侍郎), six secrétaires (zhongshu sheren 中書
舍人) ainsi que plusieurs conseillers, scribes et archivistes231.
Étroitement lié au Secrétariat se trouvait la Chancellerie impériale dont le mandat
était de débattre et vérifier le bien-fondé légal des actes rédigés par le Secrétariat, suite
à quoi il pouvait soit les abroger et les retourner au Secrétariat, soit les promulguer et
les acheminer vers le Département des affaires d‟État chargé de faire appliquer les
décisions impériales. Comme pour le Secrétariat, à la tête de la Chancellerie se
trouvait un président (shizhong 侍中) également investi du statut de grand ministre,
lequel était secondé par deux vice-présidents (menxia shilang 門下侍郎), quatre
secrétaires (jishizhong 給事中) ainsi que divers conseillers d‟admonestation
(jianguan 諫官)232.
Le Département des affaires d‟État devait en théorie être la plus vaste et puissante
agence bureaucratique de l‟empire. En principe, il devait également avoir à sa tête un
président (shangshu ling 尚書令). Toutefois, il était rare sous la dynastie Tang de voir
ce titre octroyé, les fonctions associées à ce poste étant d‟ordinaire assumées par les
deux vice-présidents (shangshu puye 尚書僕射). Non seulement ce département
était-il responsable de l‟application des décisions impériales, mais aussi devait-il se
charger de filtrer les informations de l‟extérieur sur la base desquelles le Secrétariat et
la Chancellerie devaient fonder leurs jugements. Enfin, cette institution était
particulièrement importante en ce sens qu‟elle était à la tête des Six ministères et
Vingt-quatre bureaux (liu bu ershisi si 六部二十四司). C‟est-à-dire le Ministère des
fonctionnaires (libu 吏部), le Ministère des finances (hubu 戶部), le Ministère des
rituels (libu 禮部), le Ministère de la guerre (bingbu 兵部), le Ministère de la justice
(xingbu 刑部), le Ministère des travaux (gongbu 工部) et les vingt-quatre bureaux
rattachés à ces ministères233.
À mains égards, une telle structure étatique semblait fondée sur un judicieux
partage des compétences empêchant toute concentration abusive des pouvoirs. D‟autre
231
232
233
DTLD 9; TD 21. 560-568; Dai Xianqun (2001 : 29-36).
DTLD 8; TD 21. 544-559; Dai Xianqun (2001 : 36-45).
DTLD 1-7; TD 22-23; Dai Xianqun (2001 : 45-57).
82
part, elle semblait également impliquer une gouvernance collégiale limitant la capacité
de l‟empereur à gouverner de façon autocratique. Dans les faits cependant, le système
politique de la dynastie Tang ne fut pas toujours aussi contraignant et il était parfois
possible pour l‟empereur de se délier des Trois départements. Il pouvait notamment
contourner le Secrétariat et la Chancellerie pour faire rédiger et approuver des décrets
en faisant appel aux académiciens de Hanlin et Hongwen 弘文, lesquels étaient des
lettrés à la disposition de l‟empereur qui échappaient au contrôle des organes
bureaucratiques réguliers234. Il pouvait aussi contourner le Département des affaires
d‟État et se tourner vers le Tribunal des censeurs pour superviser les divers ministères,
acheminer les informations venant de l‟extérieur ou faire condamner certains
fonctionnaires235. Ou encore, l‟empereur pouvait employer les eunuques dominant le
Bureau des affaires militaires pour transmettre certains décrets impériaux et contrôler
les relations entre la cour et les provinces236. Ainsi, si les Trois départements
semblaient relativement fonctionnels durant la première moitié de la dynastie, en
retour l‟influence croissante des commissaires aux affaires militaires (shumi shi 樞密
使), des académiciens et des censeurs vint considérablement saper leur autorité après
la rébellion d‟An Lushan.
b) Le Secrétariat impérial
Cherchons à présent à savoir dans quelle mesure les institutions de la dynastie
Tang servirent de précédent dans l‟établissement de la bureaucratie à Shu. Débutons
donc notre anatomie des institutions par le Secrétariat, à propos duquel nos sources
sont unanimes pour dire que Wang Zongji 王宗佶 (mort en 908) en fut nommé
président au moment de la fondation du régime237. En théorie, les responsabilités de
234
Une source incontournable pour l‟étude de l‟Académie Hanlin est le Hanlin zhi 翰林志 rédigé par
Li Zhao 李肇 au début du IXe siècle. Sur cette source voir F. A. Bischoff, La forêt des pinceaux.
Études sur l’Académie du Han-lin sous la Dynastie des T’ang et traduction du Han lin tche (Paris :
Presses Universitaires de France – Institut des Hautes Études Chinoises, 1963). Voir également le
chapitre consacré à l‟Académie Hanlin dans l‟ouvrage de Dai Xianqun (2001 : 103-122).
235
Sur le Tribunal des censeurs, voir notamment Eugène Feifel, Po Chü-i as a Censor : His Memorials
Presented to Emperor Hsien-tsung during the Years 808-810 (Hague : Mouton, 1961).
236
J. K. Rideout, (1949, 1953); Wang Gungwu (2007); Dai Xianqun (2001 : 123-139).
237
ZZTJ 266. 8685; XWDS 63. 787; STW 45. 21; JGZ 6. 4. Selon sa biographie du Jiuguo zhi, Wang
Zongji, dont le nom d‟origine était Gan Yingli 甘穎利, aurait été fait prisonnier par Wang Jian suite à
83
Zongji auraient donc été de prendre connaissance des conjonctures du royaume, de
conseiller l‟empereur sur les positions à adopter et de superviser la rédaction des
ordonnances238. Ainsi, devant se fonder sur des documents écrits pour se tenir au fait
de l‟actualité et diriger la formulation des actes appropriés, lesquels devaient être
conformes à certains préceptes pour être approuvés par la Chancellerie, celui-ci devait
en principe être versé en lettres et maîtriser la tradition. Or, selon nos sources, Zongji
était un militaire qui n‟aurait jamais pu espérer une telle assignation au temps de la
dynastie Tang. D‟autre part, devant demeurer à la disposition de l‟empereur, sa
fonction de président du Secrétariat impérial aurait normalement dû faire en sorte qu‟il
fut en poste à la cour sur une base permanente. Ce qui, à l‟heure actuelle, peut être ni
attesté ni infirmé, bien que nous ne connaissions aucune commanderie dont il aurait
été le gouverneur au même moment239.
Nous ne saurions dire quelles étaient au juste les limites du mandat de Zongji à
titre de président du Secrétariat, toutefois le pouvoir dont il fut investi semble avoir
été dangereusement considérable. Ainsi, de connivence avec un vice-président du
Tribunal des censeurs (yushi zhongcheng 御史中丞) du nom de Zheng Qian 鄭騫
(mort en 908)240, il serait parvenu à obtenir le titre de grand généralissime (da sima
大司馬) lui conférant le contrôle des armées palatines et des greniers impériaux241.
Redoutant un coup d‟État, le Bureau des affaires militaires, alors sous l‟autorité de
Tang Xi 唐襲, condamna véhément une telle concentration de pouvoir, ce qui valut
l‟offensive au Jiangxi contre Xu Tangju en 878. Ainsi, il s‟agirait d‟un ex-rebelle et nous aimerions
savoir pourquoi. Était-il un jeune lettré frustré comme tant d‟autres? Jusqu‟à la fondation du royaume,
nous dit le même texte, il aurait notamment été préfet de Jiazhou 嘉州, député d‟armée (bingma liuhou
兵馬留後) et superviseur des affaires de commanderie (zhi jiedu shi 知節度事) à Mianzhou. Quant à
Sima Guang (ZZTJ 266. 8685), il nous dit qu‟avant d‟être affecté au Secrétariat, Zongji était
gouverneur du Dongchuan 東川 et président de la Chancellerie.
238
DTLD 9. 7; TD 21. 562.
239
Comme nous l‟avons dit à la note # 232, selon Sima Guang, Zongji aurait jusqu‟alors été
gouverneur du Dongchuan. Toutefois, selon le Jiuguo zhi, au moment de la proclamation du royaume,
ce n‟était pas Zongji qui occupait ce poste, mais bien Wang Zongyu 王宗裕 (JGZ 6. 1).
240
À l‟exception de la biographie de Wang Zongji dans le Jiuguo zhi, la seule autre source à
mentionner Zheng Qian est La nouvelle histoire des Cinq dynasties, laquelle nous dit seulement qu‟il
fut nommé vice-président du Tribunal des censeurs lors de la fondation du régime (XWDS 63. 787).
241
JGZ 6. 4-5; XWDS 63. 787. Voir également le Quan Tang wen qui prétend rapporter intégralement
la pétition de Wang Zongji par laquelle il se vit confier une telle concentration de pouvoir (QTW 889. 1).
Néanmoins, nous avons des raisons de suspecter que ladite pétition est une contrefaçon.
84
l‟exécution des deux complices242. Néanmoins, nous devons éviter de fonder des
conclusions hâtives sur cette anecdote sans d‟abord nous demander si Tang Xi n‟avait
pas un motif l‟ayant incité à forger une accusation contre Zheng Qian et Wang Zongji.
Selon l‟épitaphe de Wang Zongkan que nous avons eu l‟occasion de mentionner
plus tôt, ce dernier aurait été désigné comme président du Secrétariat suivant la mort
de Wang Zongji243. Cependant, bien que possiblement instruit, rien ne laisse à penser
qu‟il avait les connaissances et l‟expérience requises pour assumer les fonctions liées
à un tel titre. En fait, le long narratif de son épitaphe met une emphase
presqu‟exclusive sur ses faits d‟armes et son héroïsme, laissant ainsi sous-entendre
qu‟il était un authentique soldat professionnel. Certes, tandis que Wang Zongji portait
le titre de président du Secrétariat, Zongkan aurait été président de la Chancellerie244.
Toutefois, les responsabilités auxquelles il était alors affecté ne semblait pas d‟ordre
bureaucratique, lui qui était surtout affecté au commandement des troupes de la
capitale (jun cheng nei-wai du shihui shi 軍城内外都指揮使). D‟autant plus que, peu
de temps après, probablement suite à la prétendue usurpation de Zongji, il aurait été
transféré à la tête de la commanderie Tianzhen 天貞245. Ainsi, lorsqu‟il fut nommé
président du Secrétariat, il fallut l‟appelé pour qu‟il « abandonne sa garnison et rentre
à la cour » 罷鎮歸朝246. Mais encore là, son retour à la cour ne fut que de courte
durée, puisqu‟il fut rapidement transféré aux commandes des armées de campagne de
242
L‟événement est notamment relaté dans SGCQ 46. 1-2; ZZTJ 266. 8689; XWDS 63. 787-788.
Toutefois, le Shiguo chunqiu comme le Zizhi tongjian semblent faire erreur en désignant le responsable
du Bureau des affaires militaires par le nom de Tang Daoxi 唐道襲. En fait, selon le Beimeng suoyan
北夢瑣言 rédigé par Sun Guangxian 孫光憲 (mort en 968), Dao 道 et Xi 襲 étaient deux frères
ayant pour père Tang Feng 唐峯, lequel était originaire de Langzhou 閬州 au Sichuan (BMSY 12.
9-10). Compte tenu de cette évidence textuelle antérieure à Wu Renchen et Sima Guang, nous sommes
forcés de donner crédit à Ouyang Xiu, lequel nous dit que celui qui dominait le Bureau des affaires
militaires se nommait Tang Xi (XWDS 63. 787).
243
En nous apprenant que Zongkan fut nommé président du Secrétariat en 908 (Xue Deng, 2000 : 12),
l‟épitaphe vient confirmer les dires du Jiuguo zhi qui divulgue également ce renseignement, sans
toutefois donner de date (JGZ 6. 7).
244
Xue Deng (2000 : 12).
245
Xue Deng (2000 : 12). Le chef-lieu de la commanderie Tianzhen était Zizhou 梓州, l‟ancienne
capitale provinciale du Dongchuan. Toutefois, l‟auteur de l‟épitaphe semble commettre une légère
erreur en indiquant que Zongkan fut nommé gouverneur de la commanderie Wude 武德. Le fait étant
que la commanderie dominée par Zizhou fut baptisée Tianzhen en 907. Ce ne fut qu‟en 912 qu‟elle fut
rebaptisée Wude. Voir Zhu Yulong 朱玉龍, Wudai shiguo fangzhen nianbiao 五代十國方鎮年表
(Beijing : Zhonghua shuju, 1997), p. 548; ZZTJ 268. 8763.
246
Xue Deng (2000 : 12).
85
la route du Nord (beilu xingying dutong 北路行營都統)247.
Ayant été absent de la cour jusqu‟au moment de sa retraite vers 920, Zongkan ne
remplit apparemment jamais les fonctions traditionnellement associées au titre de
président du Secrétariat. Le fait étant qu‟il était en poste dans la périphérie nord-est du
royaume. D‟abord en tant que général de troupes combattant les armées de Li
Maozhen, ensuite en tant que gouverneur de la commanderie Xingyuan 興元軍248.
D‟ailleurs, il est d‟autant plus anormal que plusieurs individus portaient au même
moment le titre de président du Secrétariat, lesquels étaient tous des militaires
assignés à des postes de gouverneur de commanderie. Nous pouvons notamment
penser à Jin Hui, lequel fut nommé président du Secrétariat tout en occupant le poste
de gouverneur de la commanderie Wutai 武泰 (907-911)249. Ce fut également le cas
de Wang Zonghui 王宗鐬 (mort en 923) alors qu‟il était gouverneur du Shannan
occidental (913-916)250, ainsi que de Wang Zongbo 王宗播 (854-922) lorsqu‟il était
gouverneur de la commanderie Wuxin 武信 (912-916)251.
De ce scénario, nous sommes donc portés à conclure que le titre de président du
Secrétariat n‟était devenu qu‟un titre honorifique octroyé à une élite militaire en vertu
de son rôle dans la préservation de l‟État. Par exemple, on octroya ce titre à Wang
Zongshou 王宗壽 (?-?) pour être parvenu à repousser la marine de guerre de Gao
Jichang 高季昌 (858-928), le souverain de l‟État de Jingnan 荊南 (Hubei), lorsque
celui-ci tenta d‟envahir Shu en passant par les Trois gorges en 913252. Néanmoins, que
des militaires furent investis du titre de président du Secrétariat ne doit pas nous
amener à croire que la bureaucratie centrale était alors sous autorité martiale et que les
247
Xue Deng (2000 : 12); JGZ 6. 7.
Xue Deng (2000 : 12); JGZ 6. 7.
249
Le chef-lieu de la commanderie Wutai était Qianzhou 黔州, non loin de l‟actuel Chongqing. Nous
savons qu‟il reçut le titre de président du Secrétariat peu après la fondation du régime grâce à son
épitaphe, ce qui n‟est pas confirmé par sa biographie du Jiuguo zhi. Voir Sichuan sheng wenwu guanli
weiyuan hui (1983 : 918, ligne # 24).
250
JGZ 6. 4; Zhu Yulong (1997 : 599).
251
JGZ 6. 9; Zhu Yulong (1997 : 557); ZZTJ 269. 8785. La commanderie Wuxin était la plus
importante en superficie du royaume, elle s‟étendait de Suizhou 遂州 à l‟actuel Chongqing qui à
l‟époque se nommait Yuzhou 渝州. Wang Zongkan aurait été gouverneur de cette commanderie avant
la fondation du royaume. Voir Xue Deng (2000 : 12); JGZ 6. 7.
252
JGZ 6. 3. Gao Jichang, également connu sous le nom de Gao Jixing 高季興 était un vieil allié de
Zhu Wen. Voir ses biographies dans JWDS 123. 1751-1752; XWDS 69. 855-858. Selon Sima Guang,
l‟attaque de Jichang en question eut lieu en 913, voir ZZTJ 268. 8776-8777; 269. 8782-8783.
248
86
lettrés de la cour étaient maintenus en dépendance à l‟égard des généraux du royaume.
En fait, nous croyons plutôt que la direction du Secrétariat impérial n‟était non plus
assumée par un « président », mais bien par les vice-présidents en permanence à la
cour de Chengdu. Nous pouvons notamment en nommer quatre, soit Zhou Xiang253,
Zhang Ge254, Wang Kai 王鍇255 et Yu Chuansu 庾傳素256.
D‟abord, notons que les quatre vice-présidents mentionnés ci-dessus étaient
également investis du titre de chargé d‟examiner et régler les affaires avec le
Secrétariat et la Chancellerie impériale. Insistons sur le fait que ce dernier titre était à
l‟époque synonyme de grand ministre et que c‟était entre les individus portant ce titre
que les grandes questions étaient débattues à la cour257. Deuxièmement, deux d‟entre
eux (Wang Kai et Zhang Ge) auraient au même moment été académicien de Hanlin, ce
qui pourrait indiquer qu‟une seule et même agence était chargée de la rédaction des
actes impériaux, rompant ainsi avec le dualisme opposant jadis les deux institutions.
253
Le Jiuguo zhi écrit évasivement que Zhou Xiang fut nommé administrateur en chef de Chengdu
(Chengdu yin 成都尹) en 908, suite à quoi il fut nommé vice-président du Tribunal des censeurs,
vice-président du Secrétariat impérial et chargé d‟examiner et régler les affaires (pingzhang shi 平章事)
(JGZ 6. 13). Il est à noter que Lu Zhen ne date pas les dernières affectations de Zhou Xiang. En
revanche, le Shiguo chunqiu donne la date de 910 (SGCQ 40. 5).
254
Selon Ouyang Xiu, Zhang Ge fut nommé académicien de Hanlin au moment de la proclamation du
Royaume (XWDS 63. 787). Cependant, le Shiguo chunqiu nous dit qu‟il fut académicien dès son arrivée
à Shu en 904, tandis qu‟au moment de l‟investiture de Wang Jian il fut nommé vice-président du
Secrétariat impérial, vice-président du Département des affaires d‟État (puye 僕射) et chargé
d‟examiner et régler les affaires avec le Secrétariat et la Chancellerie impériale (tong [zhongshu menxia]
pingzhang shi 同[中書門下]平章事) (SGCQ 41. 4). Quant à Sima Guang, qui organisa son ouvrage de
manière chronologique, il semble indiquer que Zhang Ge obtint le titre de vice-président du Secrétariat
quelques mois après la fondation du régime, soit après la destitution de Wang Zongji. Toutefois, Sima
Guang ne dit pas que Zhang Ge fut simultanément vice-président du Département des affaires d‟État,
mais bien vice-président du Ministère des finances (hubu shilang 戶部侍郎) (ZZTJ 266. 8689).
255
Le Shiguo chunqiu soutient que Wang Kai, un académicien de Hanlin sous la dynastie Tang, fut
affecté aux fonctions de vice-président du Secrétariat impérial et chargé d‟examiner et régler les affaires
avec le Secrétariat et la Chancellerie impériale en 909. Selon cette même source, comme Zheng Qian et
Zhou Xiang, il aurait également été affecté au poste de vice-président du Tribunal des censeurs peu
après la fondation du Royaume (SGCQ 41. 6). Contrairement à Wu Renchen cependant, Sima Guang
écrit qu‟il fut nommé vice-président du Secrétariat en 913, avant quoi il aurait été président du
Ministère de la guerre (bingbu shangshu 兵部尚書) et vice-président de la Chancellerie (ZZTJ 268.
8758, 8772). Enfin, Ouyang Xiu nous dit qu‟il fut, comme Zhang Ge, nommé académicien de Hanlin
au tout début des Shu antérieurs (XWDS 63. 787).
256
La seule source par laquelle nous connaissons Yu Chuansu est le Shiguo chunqiu. Selon cette source,
il aurait débuté au service de Wang Jian alors qu‟il était préfet de Shuzhou 蜀州, suite à quoi il aurait
été promu aux postes de vice-président du Département des affaires d‟État, vice-président du
Secrétariat impérial et chargé d‟examiner et régler les affaires avec le Secrétariat et la Chancellerie
impériale (SGCQ 41. 10).
257
Dai Xianqun (2001 : 58-80, 153-177); Wen Yunjuan 溫運娟, « Shiguo zaixiang zhidu kao » 十國
宰相制度考, dans Ren Shuang 任爽, éd., Shiguo dianzhi kao 十國典制考 (Beijing : Zhonghua shuju,
2004), pp. 209-211.
87
Enfin, soulignons que deux des vice-présidents que nous connaissons (Wang Kai et
Zhou Xiang) auraient également été vice-président du Tribunal des censeurs, tandis
que deux autres (Zhang Ge et Yu Chuansu) auraient été vice-président du Département
des affaires d‟État.
Quels liens existaient donc entre le Secrétariat, le Département des affaires d‟État
et le Tribunal des censeurs sous les Shu antérieurs? Rappelons que sous les Tang, le
Département des affaires d‟État et le Tribunal des censeurs étaient les deux grandes
agences impériales de surveillance de la conduite des affaires de l‟empire. À la
différence que la première relevait de la bureaucratie régulière, tandis que la seconde
opérait directement pour le compte de l‟empereur. En principe, les pouvoirs des
censeurs étaient donc relativement élargis, eux qui avaient entre autres la
responsabilité de s‟enquérir des agissements des Six ministères relevant de l‟autorité
du Département des affaires d‟État258. Ce qui devait forcément les mettre en étroite
collaboration avec le Secrétariat et la Chancellerie, sans doute intéressés à vérifier la
véracité des informations reçues de la part du Département des affaires d‟État et à
s‟assurer que celui-ci transmette de manière appropriée les décrets impériaux. Or, au
Royaume de Shu, se pourrait-il que le Tribunal des censeurs et le Département des
affaires d‟État furent intégrés au Secrétariat afin de lui permettre d‟avoir directement
prise sur la circulation des informations entre la cour et les commanderies?
Bien que tentante, cette dernière hypothèse repose sur des bases fragiles. D‟une
part, une telle fusion aurait du faire du Secrétariat la plus puissante agence du
royaume en lui permettant d‟investiguer de son propre chef dans les commanderies.
Or, si le Secrétariat impérial était dominé par les vice-présidents, ceux-ci ne devaient
pas avoir la force de s‟imposer sur les commanderies dont les gouverneurs étaient
investis du titre de président, donc en théorie jouissant d‟un statut hiérarchique
supérieur. De plus, rien ne laisse supposer que le Tribunal des censeurs et le
Département des affaires d‟État aient eu préséance sur le Bureau des affaires militaires,
sans doute la principale institution de la cour habilitée à intervenir dans les affaires des
258
Eugène Feifel (1961); Du Wenyu (2006 : 149-166).
88
commanderies et à transmettre les directives de la cour aux gouverneurs 259. Cependant,
les commissaires du Bureau des affaires militaires ne devaient pas agir en toute
immunité. Il est ainsi possible que le Tribunal des censeurs fut à la disposition des
gouverneurs en cas de litige avec le Bureau des affaires militaires. De cet angle, le
Tribunal des censeurs et le Bureau des affaires militaires auraient été deux institutions
rivales, ce qui pourrait en partie expliquer les accusations que Tang Xi porta contre
Zheng Qian et Wang Zongji. C‟est également ce qui pourrait expliquer les relations
qui unissaient Jin Hui à Yan Juzhen, le vice-président du Tribunal des censeurs qui
rédigea son épitaphe. En revanche, pour ce qui est du Département des affaires d‟État,
la situation semble un peu plus confuse, de telle sorte que nous devrons procéder à une
analyse du personnel des Six ministères avant de pouvoir nous prononcer. Ce qui sera
fait un peu plus loin dans notre exposé.
À mains égards, les vice-présidents du Tribunal des censeurs semblaient donc liés
au Secrétariat impérial ainsi qu‟aux intérêts de certains gouverneurs de commanderie.
Mais qu‟en était-il du président du Tribunal des censeurs (yushi daifu 御史大夫)? Le
principal individu que nous connaissons pour avoir reçu un tel titre est Feng Juan,
lequel aurait été investi de cette fonction après son soi-disant retour à la cour en 911260.
Or, autant que nous puissions le savoir, Feng Juan ne semble avoir été employé à
aucun autre département simultanément. Il pourrait donc avoir été un censeur du style
de ceux de la dynastie Tang, c‟est-à-dire opérant dans le secret pour le seul compte de
l‟empereur. Ce qui tendrait à infirmer l‟hypothèse voulant que le Tribunal des
censeurs fut intégré au Secrétariat impérial. Du moins d‟un point de vue technique.
Par contre, d‟une perspective disons structurelle, le président du Tribunal des
censeurs ne semblait pas moins lié au Secrétariat, surtout aux gouverneurs portant le
titre de président du Secrétariat. Prenons par exemple le cas de Li Jichong, lequel
devint gouverneur de la commanderie Wutai et président du Secrétariat en 916261.
259
Du Wenyu (2006 : 132-134); Dai Xianqun (2001 : 178-192); Jia Daquan 賈大泉, Zhou Yuansun
周原孫, « Qian-Hou Shu de shumi shi » 前後蜀的樞密使, dans Chengdu Wang Jian mu bowuguan 成
都王建墓博物館, éd., Qian-Hou Shu de lishi yu wenhua 前後蜀的歷史與文化 (Chengdu : Ba-Shu
shushe, 1993), pp. 33-39.
260
SGCQ 40. 3.
261
ZZTJ 269. 8800.
89
Rappelons que ce dernier était le fils adoptif de Li Maozhen qui reçut la main de la
princesse Puci en 904 grâce à l‟intercession de Feng Juan auprès de Wang Jian. Si
nous nous référons à Du Guangting, il se pourrait également que Feng Juan rédigea la
pétition rituelle des funérailles de la princesse Li en 917, laquelle était certes la fille
biologique de Li Jichong, mais seulement la fille adoptive de la princesse Puci262. De
toute évidence, Feng Juan et Li Jichong n‟étaient donc pas l‟un et l‟autre étrangers.
Par conséquent, nous ne devons exclure la possibilité que ce fut encore une fois grâce
au concours de Feng Juan que Li Jichong reçut ses titres et fonctions en 916.
Néanmoins, se pourrait-il que Wu Renchen nous induise en erreur en affirmant
que Feng Juan était président du Tribunal des censeurs? Est-il possible que, comme
dans le cas du Secrétariat, les fonctions de président furent désormais remplies par les
vice-présidents, tandis que le titre de président du Tribunal des censeurs devint un titre
honorifique octroyé à des généraux prometteurs? Ainsi, Feng Juan pourrait comme ses
confrères avoir été vice-président du Tribunal des censeurs remplissant les fonctions
liées à la présidence. Ce qui nous autorise à penser ainsi est la mention dans l‟épitaphe
de Jin Hui de deux autres individus portant le titre de président du Tribunal des
censeurs, lesquels furent des militaires mariés à deux des quatorze filles de Jin Hui.
D‟une part, nous trouvons un dénommé Jie Yanming 解延明, lequel aurait été
commandant de la quatrième division de l‟armée Xiongsheng (Xiongsheng di si jun
shi 雄勝第四軍使)263. D‟autre part, nous trouvons le fils d‟un des fils adoptifs de
Wang Jian dont le nom était Wang Chengyin 王承胤, lequel aurait été commandant
de la troisième division de l‟armée Shenwu (Shenwu di san jun shi 神武第三軍使)264.
Si nous accordons foi à ces deux exemples, l‟octroi du titre de président du Tribunal
des censeurs n‟aurait pas signifié la délégation d‟un pouvoir considérable. Du moins,
il est évident que le statut hiérarchique de ces deux gendres de Jin Hui était largement
inférieur à celui d‟un gouverneur et président du Secrétariat, ou d‟un vice-président du
Secrétariat et du Tribunal des censeurs en poste à la cour.
Pour revenir au Secrétariat impérial siégeant à la capitale, en plus des
262
263
264
Voir note # 118.
Sichuan wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 917, ligne # 8).
Sichuan wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 917, ligne # 11).
90
vice-présidents nous devrions également retrouver les secrétaires qui, tout en prenant
part aux débats à la cour, étaient délégués à la rédaction proprement dite des
documents et à la supervision du personnel de soutient265. Bien qu‟ils fussent sans
doute plus nombreux que les vice-présidents, probablement en raison de leur statut
hiérarchique moins élevé, nous ne pouvons en nommer que quelques-uns qui nous
sont connus pour des raisons spécifiques. Notamment, nous trouvons Duan Rong, le
compositeur de l‟épitaphe dédiée à Wang Zongkan266. Vient ensuite le nom de Wang
Renyu 王仁裕 (880-956), un ancien protégé de Li Jichong du temps où ce dernier
était à la solde de Li Maozhen267. Nous trouvons également Yu Chuanchang 庾傳昌
(mort en 916), lequel était apparemment le frère du vice-président du Secrétariat Yu
Chuansu268. Finalement, pour la simple raison qu‟ils entamèrent leur carrière à ce
poste avant de devenir deux grandes personnalités sous les Shu postérieurs, nous
trouvons Li Hao 李昊 (891-965)269 et Ouyang Jiong 歐陽迥 (896-971)270.
Avant de poursuivre avec la Chancellerie, quelques remarques s‟imposent à
265
DTLD 9. 15-16; TD 21. 564; Dai Xianqun (2001 : 33-35).
Xue Deng (2000 : 11). Cette information ne tient cependant qu‟à ce que nous dit l‟épitaphe, donc
l‟auteur lui-même, ce qui n‟est pas corroboré par sa courte notice biographique du Shiguo chunqiu. En
fait, selon celle-ci (SGCQ 43. 5), Duan Rong n‟aurait jamais été en fonction à la cour, il aurait plutôt été
un magistrat de comté (xianling 縣令) en poste dans la préfecture de Hanzhou 漢州 après la mort de
Wang Jian. Est-il possible qu‟en réalité Duan Rong fit partie du staff de commanderie de Wang
Zongkan, lequel, en vertu de son statut de président, lui conféra le titre de secrétaire du Secrétariat?
Hélas, même si tel fut le cas, il est impossible de se concilier aux propos de Wu Renchen, lequel est
d‟une manière ou d‟une autre dans l‟erreur. D‟abord, si Wang Zongkan se lia à Duan Rong alors que ce
dernier était à Hanzhou, cela ne peut avoir eu lieu qu‟en 907-908 alors que Zongkan était gouverneur de
la commanderie Tianzhen, à laquelle appartenait Hanzhou. Ensuite, si Duan Rong suivit Zongkan au fil
des années, après la mort de Wang Jian il n‟aurait pas été en poste à Hanzhou, mais bien quelque part
aux environs de Xingyuan. Enfin, il est tout à fait possible que Duan Rong fut tout simplement en poste
à la cour, où il fit la connaissance de Zongkan après 919, lorsque ce dernier se retira à la capitale.
267
SGCQ 44. 4; Glen Dudbridge, « The Rhetoric of Loyalty and Disloyalty in Five Dynasties China »,
dans Institute of Chinese Studies : Visiting Professor Lecture Series (II) (Hong Kong : The Chinese
University of Hong Kong, 2009), p. 161. Grâce à ses qualités littéraires, Renyu aurait joint la cour de
Wang Yan en occupant simultanément les postes de secrétaire du Secrétariat impérial et d‟académicien
de Hanlin.
268
Selon SGCQ 44. 3, Yu Chuanchang, qui aurait été fort doué pour les compositions littéraires, fut
secrétaire du Secrétariat impérial et académicien de Hanlin. Voir également STW 45. 25.
269
Selon SGCQ 52. 4, Li Hao naquit d‟une famille de bureaucrates de Chang‟an. Vers la fin des Tang,
son père (Li Gao 李羔) se réfugia à Fengtian 奉天, à l‟Ouest de Chang‟an. Quelques années après que
sa famille fut décimée, Li Hao devint un protégé de Liu Zhijun 劉知俊 (mort en 917), un général qui
servit successivement sous les bannières de Zhu Wen et Li Maozhen avant de faire défection dans le
camp de Wang Jian, lequel le nomma gouverneur de la commanderie Wuxin (JWDS 13. 178-180;
XWDS 44. 479-480). Li Hao serait demeuré au service de Liu Zhijun jusqu‟en 917, après quoi il fut
nommé secrétaire au Secrétariat impérial et académicien de Hanlin.
270
Selon SGCQ 52. 14, d‟une part Ouyang Jiong serait originaire de Chengdu, d‟autre part il serait le
fils d‟un magistrat de comté établit à Tongquan 通泉 dans la même région. Sa biographie nous dit
laconiquement qu‟il débuta au service de Wang Yan qui le nomma secrétaire au Secrétariat impérial.
266
91
propos des secrétaires du Secrétariat impérial. D‟abord, trois des cinq secrétaires que
nous connaissons, soit Wang Renyu, Yu Chuanchang et Li Hao, étaient également
académicien de Hanlin. Ce qui tendrait à confirmer une hypothèse émise plus tôt, à
savoir que l‟Académie Hanlin était intégrée au Secrétariat. Ensuite, Ouyang Jiong et
Li Hao étaient alors plutôt jeunes. Ainsi pouvons-nous en déduire que ce poste pouvait
être accessible à de jeunes recrues venant y acquérir leur expérience sous la
supervision de fonctionnaires séniors. Toutefois, il semblerait que ce poste n‟était pas
pour autant une porte d‟entrée accessible à tous les jeunes gens éduqués. Du moins, ne
trouvant pas de référence explicite à la tenue d‟examens de recrutement sous les Shu
antérieurs271, sommes-nous en droit de croire que les relations politiques, voire le
statut des ancêtres, demeuraient le pré requis d‟adhésion à la bureaucratie, laquelle
recruterait ses membres au moyen d‟un système de recommandation? Après tout, Yu
Chuanchang était le frère d‟un des vice-présidents du Secrétariat, Ouyang Jiong était
le fils d‟un magistrat de la région de Chengdu, Li Hao était le descendant d‟un grand
clan de Chang‟an protégé par un puissant gouverneur272 tandis que Duan Rong et
Wang Zongyu étaient probablement des dépendants de gouverneurs investis du titre de
président du Secrétariat. Cependant, si le clientélisme demeurait la norme, les
aptitudes littéraires n‟en étaient pas moins importantes. En rédigeant l‟épitaphe de son
présumé patron, Duan Rong fit amplement la preuve qu‟il était un bon écrivain. Yu
Chuanchang est également vanté comme tel par Wu Renchen, tandis qu‟Ouyang Jiong,
Li Hao et Wang Renyu étaient de fins poètes prisés par les souverains273.
c) La Chancellerie impériale
En théorie, à côté du Secrétariat impérial investi des pouvoirs législatifs, la
Chancellerie était cet autre département sur lequel devaient reposer les pouvoirs
exécutifs. Ainsi, rappelons que sous la dynastie Tang elle avait le devoir d‟examiner
les documents et décrets émanant du Secrétariat en vue de statuer sur leur applicabilité.
271
Chen Xiuhong 陳秀宏, « Shiguo keju zhidu kao » 十國科舉制度考, dans Ren Shuang 任爽, éd.,
Shiguo dianzhi kao 十國典制考 (Beijing : Zhonghua shuju, 2004), pp. 182-185.
272
Sur les origines aristocratiques de Li Hao, voir notamment David G. Johnson (1977 b : 72).
273
Sur l‟importance de la création littéraire dans le contexte de la vie de cour à Chengdu, voir Anna M.
Shields (2006 : 66-118).
92
Il s‟agissait donc d‟une institution essentielle assurant un contrepoids au Secrétariat,
dont la cour devait se prémunir des abus que pouvait permettre le fait de rédiger les
lois. Pour cette raison, il aurait été fort déraisonnable de permettre à un individu de
cumuler simultanément les fonctions de président du Secrétariat et de la Chancellerie.
Le fait étant que, dans l‟éventualité où se serait le cas, le Secrétariat ne connaitrait
plus aucun frein et toute la raison d‟être de la Chancellerie s‟évanouirait. Ainsi, si
Wang Zongji, Wang Zongkan et Jin Hui furent tous porteurs du titre de président de la
Chancellerie avant de recevoir celui de président du Secrétariat274, en acceptant ce
dernier titre ils furent certainement contraints de renoncer à leur titre précédent.
Néanmoins, au risque de nous contredire, nous devons admettre que nous ne
sommes pas tout à fait certains de la pertinence de cette dernière observation, puisque
nous ne pouvons prendre pour acquis que ces derniers remplirent réellement les
fonctions de président de la Chancellerie, bien qu‟investis du titre. Prenons par
exemple le cas de Jin Hui, lequel était déjà gouverneur de la commanderie Wutai au
moment de recevoir ce titre en 907. Or, si moins d‟un an plus tard Jin Hui reçut le titre
de président du Secrétariat, en revanche ses responsabilités ne semblent avoir subi
aucune modification puisqu‟il continua d‟occuper le poste de gouverneur de la
commanderie Wutai. Quant à Wang Zongkan, nous avons déjà dit qu‟au moment où il
fut président de la Chancellerie au tout début du régime, celui-ci n‟était pas affecté à
des responsabilités bureaucratiques, mais bien militaires. Selon son épitaphe, en 920 il
aurait de nouveau reçu ce titre, ainsi que ceux de préposé à l‟entretien du temple
impérial (xiufeng taimiao shi 修奉太廟使), d‟académicien de l‟Académie Hongwen
et de superviseur de la Commission des finances (pan duzhi 判度支)275. Toutefois, il
semblait ici s‟agir de sinécures octroyées à Zongkan qui se retira à la capitale après de
longues années en fonction au niveau des commanderies.
Outre ceux que nous venons de mentionner, en nous appuyant sur Sima Guang,
nous pouvons également référer à un certain Pan Kang 潘炕, un commissaire du
Bureau des affaires militaires qui, quelques temps après le départ de Jin Hui en 911,
274
ZZTJ 266. 8685; Xue Deng (2000 : 12); Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918,
lignes # 23-24).
275
Xue Deng (2000 : 12).
93
aurait été affecté à la direction de la commanderie Wutai tout en étant nommé
président de la Chancellerie276. Après avoir postulé plutôt que le Tribunal des censeurs,
associé au Secrétariat impérial, se livrait à une lutte d‟influence avec le Bureau des
affaires militaires, il devient particulièrement significatif de constater qu‟au même
moment, le frère de Pan Kang, Pan Qiao 潘峭, était lui aussi commissaire au Bureau
des affaires militaires277. Par ailleurs, il n‟est pas vain d‟insister sur le fait qu‟environ
deux ans plus tard, en 913, Pan Kang aurait à nouveau été nommé commissaire du
Bureau des affaires militaires278, tandis qu‟en 914 Pan Qiao aurait à son tour été
nommé gouverneur de la commanderie Wutai avec possiblement le titre de président
de la Chancellerie279.
Pourrions-nous envisager le fait que les gouverneurs portent tantôt le titre de
président de la Chancellerie, tantôt celui de président du Secrétariat, n‟impliquerait
pas de différence au niveau du statut ou des responsabilités, la dissociation marquant
simplement l‟allégeance à un parti plutôt qu‟à un autre? Ce qui ne voudrais bien sûr
pas dire que les allégeances étaient inamovibles ou que les oppositions entre le
Secrétariat et la Chancellerie se traduisaient forcément par de l‟aversion personnelle.
Peut-être serait-il plus juste de penser à des réseaux de patronage et d‟influence qu‟à
des ligues de factions? Ainsi, que Jin Hui fut officiellement rattaché au Secrétariat à
titre de président ne l‟aurait pas empêché de contracter un mariage pour un de ses fils,
Jin Kuangyu 晉匡遇, avec la fille d‟un certain Chen Ning 陳凝, anciennement
président de la Chancellerie à Qiannan 黔南280.
Si nous nous référons au Jiuguo zhi, Qiannan ne ferait en l‟occurrence pas
276
ZZTJ 268. 8750, 8773; SGCQ 41. 12. Sima Guang semble sans équivoque lorsqu‟il affirme que Pan
Kang prit la place de Jin Hui. Mais, malheureusement, l‟épitaphe de Jin Hui n‟est pas explicite sur la
date à laquelle ce dernier quitta la commanderie Wutai. Tout ce qui nous est révélé est qu‟en 911 Jin
Hui fut inféodé prince de la commanderie Hongnong 弘農郡王. Voir Sichuan wenwu guanli weiyuan
hui (1983 : 918, ligne # 23). Comme l‟épitaphe ne fait référence à aucune autre activité officielle de la
part de Jin Hui après cette date, nous croyons possible qu‟il se retira de la vie politique à la capitale.
Toutefois, basé sur le silence de l‟épitaphe, nous ne pouvons qu‟en formuler une hypothèse qui, au
stade actuel, ne peut avoir valeur de conclusion.
277
ZZTJ 268. 8750; SGCQ 41. 13.
278
ZZTJ 268. 8773.
279
ZZTJ 269. 8784. Certes, nous ne pouvons pas être certains que Pan Qiao hérita simultanément du
titre de président de la Chancellerie. Toutefois, à cette occasion, il aurait reçu le titre de grand ministre
(tong ping zhangshi), ce qui normalement implique qu‟il porte un titre adjoint de président ou
vice-président d‟un des trois départements.
280
Sichuan wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 917, ligne # 4); JGZ 6. 13-14.
94
référence à la commanderie Wutai comme c‟est souvent le cas281. Il s‟agirait plutôt
d‟une portion du territoire faisant géographiquement partie de cette commanderie,
mais dont le contrôle échappait à l‟autorité de Jin Hui. Ainsi aurait-elle été dominée
par Chen Ning, un secrétaire-auxiliaire du Bureau de contrôle judiciaire (bibu
yuanwailang 比部員外郎) en poste dans une préfecture contigüe à la commanderie
Wutai du nom de Fuzhou 涪州, lequel refusait de se soumettre à Jin Hui282. Une
explication des origines du litige entre les deux individus pourrait être une tentative de
la Chancellerie et du Bureau des affaires militaires pour contrer l‟influence du
Secrétariat et du Tribunal des censeurs sur les affaires de la commanderie en
investissant Chen Ning d‟un statut hiérarchique égal à celui de Jin Hui. Mais encore,
ce n‟était pas une fatalité que ce type de conflit institutionnel doive se solder par des
purges, la négociation devant davantage servir les intérêts de tous que l‟agressivité.
Ainsi les familles Chen et Jin auraient négocié une alliance maritale.
En tentant d‟illustrer les aléas de la vie politique dans les commanderies, deux
hypothèses se sont imposées. D‟une part, les présidents de la Chancellerie étaient liés
au Bureau des affaires militaires, d‟autre part, ils étaient des agents impériaux opérant
hors de la capitale. Toutefois, contrairement aux présidents du Secrétariat, le titre de
président de la Chancellerie n‟était sans doute pas octroyé uniquement à des militaires
ou des gouverneurs de commanderie. Bien que le seul fait qu‟un gouverneur ait porté
le titre de président de la Chancellerie plutôt que celui de président du Secrétariat n‟ait
pas comporté de différences majeures au niveau des responsabilités. Néanmoins,
faisant abstraction de ces quelques questions, le fait que nous préférons pour l‟instant
mettre en exergue est que les individus investis du titre de président de la Chancellerie
ne remplissaient plus les fonctions de cour traditionnellement associées à ce titre.
Ainsi pouvons-nous référer à un autre exemple, celui de Wang Zongyou 王宗祐,
lequel, en qualité de président de la Chancellerie, aurait partagé en 911 le
commandement d‟une armée avec Tang Xi, alors conjointement commissaire du
281
La commanderie Wutai est parfois nommée commanderie Qiannan. Voir par exemple JWDS 90.
1188.
282
JGZ 6. 13-14.
95
Bureau des affaires militaires et gouverneur du Shannan283. Dans les faits, à l‟instar du
Secrétariat, nous croyons donc que la direction de la Chancellerie à la cour était
désormais assumée par les vice-présidents.
Malheureusement, nos sources renvoient rarement aux vice-présidents de la
Chancellerie à Shu. D‟une part, selon le Zizhi tongjian, Wang Kai aurait occupé ce
poste en 911284. Toutefois, il est impossible de confirmer les dires de Sima Guang à
propos de Wang Kai, lequel est d‟ordinaire identifié comme un académicien de Hanlin,
un vice-président du Secrétariat et un vice-président du Tribunal des censeurs285.
D‟autre part, nous trouverions Wei Zhuang sur lequel toutes nos sources s‟accordent,
toutefois nous ne saurions dire s‟il y fut affecté immédiatement après la fondation du
royaume. Le fait étant qu‟il fut d‟abord nommé cavalier de gauche à la disposition de
l‟empereur et superviseur des affaires du Secrétariat et de la Chancellerie (zuo sanji
changshi pan zhongshu menxia shi 左散騎常侍判中書門下事)286. Si nous nous en
tenons à cette dernière formulation telle qu‟elle apparait dans les textes, au départ Wei
Zhuang ne semblait pas affecté à un département particulier. Il aurait plutôt été un
conseiller relevant directement de l‟empereur pour lequel il aurait supervisé lesdits
départements. Toutefois, selon la tradition, la bureaucratie centrale comptait deux
cavaliers à la disposition de l‟empereur, celui de droite œuvrant au Secrétariat et celui
de gauche en poste à la Chancellerie287. Ainsi, il pourrait y avoir incongruité en
l‟occurrence, de telle sorte qu‟à titre de cavalier de gauche à la disposition de
l‟empereur, Zhuang n‟aurait alors été qu‟un conseiller impérial soumit à l‟autorité du
président ou des vice-présidents de la Chancellerie. Son statut n‟aurait donc pas été
beaucoup plus élevé que celui de Xu Ji, lequel aurait au même moment été conseiller
d‟admonestation (jianyi daifu 諫議大夫) et superviseur au département de la
Chancellerie (pan menxia sheng 判門下省)288.
Selon Sima Guang, ce ne fut qu‟environ un an après la proclamation du régime
283
284
285
286
287
288
ZZTJ 268. 8740.
ZZTJ 268. 8758.
XWDS 63. 787; SGCQ 41. 6.
ZZTJ 266. 8685; XWDS 63. 787; STW 45. 21.
DTLD 8. 16-19, 9. 18; TD 21. 551-554.
SGCQ 41. 5.
96
que Wei Zhuang fut promu au poste de vice-président de la Chancellerie, faisant enfin
de lui un autre grand ministre289. Néanmoins, il n‟est pas dit que ce nouveau titre
impliquait un changement fondamental au niveau de ses tâches, lesquelles devaient
être de prendre part aux débats à la cour et d‟évaluer les propositions du Secrétariat.
Certes, à titre de vice-président de la Chancellerie, ses recommandations devaient
faire l‟objet d‟une plus grande considération. Toutefois, bien que détenteur légitime
des pouvoirs exécutifs, son autorité ne devait possiblement pas excéder celle d‟un
conseiller impérial. Ainsi avons-nous du mal à saisir ce qui autorisait Zhang Tangying
à écrire que « les châtiments, les politiques, les rituels et la musique étaient tous
décidés par Zhuang » 刑政禮樂, 皆由莊所定290.
À moins que cet énoncé ne fasse que renvoyer à la responsabilité de révoquer,
d‟amender ou de promulguer les diverses dispositions prises par le Secrétariat. De la
sorte, il serait plus approprié de parler d‟un droit de remontrance, non du pouvoir de
tout décider, du moins pas sans en référer à l‟empereur à qui devait revenir la décision
finale de supporter ou désavouer le Secrétariat. Ainsi, la Chancellerie se présenterait
plutôt comme un conseil exécutif auquel l‟empereur pouvait se référer pour avoir une
seconde opinion n‟émanant pas du Secrétariat, lequel formerait en quelque sorte un
conseil législatif. Par conséquent, une part non négligeable du personnel de la
Chancellerie devait être composée de moralistes comme ledit érudit confucianiste Xu
Ji et le prêtre taoïste Du Guangting, lesquels étaient tous les deux des conseillers
d‟admonestation (jianyi daifu) « que le souverain de Shu affectionnait et avec qui il
discutait fréquemment de politique » 蜀主重之, 頗與議政291.
Nous ne doutons point de la proximité qui devait exister entre le prêtre taoïste et
Wang Jian, bien que cette idée ne tienne le plus souvent qu‟à ce que Du Guangting
lui-même nous dit. Toutefois, dans la hiérarchie de la Chancellerie, les conseillers
d‟admonestation servaient en théorie d‟employés de soutient aux vice-présidents et
aux secrétaires (jishizhong), dont ils étaient les subordonnés292. Certes les conseils
289
290
291
292
ZZTJ 266. 8688.
STW 45. 23; SGCQ 40. 6-7.
ZZTJ 268. 8773; Franciscus Verellen (1989 a : 163-165).
DTLD 8. 19-20; TD 21. 554-555.
97
éthiques et politiques devaient êtres d‟une grande importance, toutefois l‟appréciation
des divers édits rédigés par le Secrétariat devait également s‟appuyer sur un travail de
critique diplomatique, un domaine plus pratique qui devait exiger une expertise de
chartiste. Ainsi Niu Qiao aurait simultanément occupé les postes de secrétaire de la
Chancellerie et de directeur de la Bibliothèque impériale (mishu jian 祕書監)293, lieu
où étaient vraisemblablement conservés et étudiés les documents impériaux. De plus,
notons que Niu Qiao n‟était certainement pas un charlatan dans le métier
d‟amendement des chartes, lui qui aurait au préalable entamé sa carrière dans la
Chancellerie de la dynastie Tang au poste de chargé de reprendre les oublis et les
omissions (shiyi buque). Enfin, soulignons que Du Guangting ne devait pas plus être
un béotien en matière de chartes, puisque ce fut possiblement dans le cadre de ses
fonctions à la Chancellerie qu‟il eut l‟occasion de procéder à la collection des
nombreux édits impériaux qu‟il édita dans sa collection intitulée Guangcheng ji.
d) Le Département des affaires d‟État
S‟il nous apparut commode d‟opérer une distinction entre la Chancellerie et le
Secrétariat pour tenter de donner un sens aux titres dont étaient investis les agents de
la cour impériale, en revanche nous devons nous abstenir de conclure trop
promptement qu‟une distinction aussi nette était opératoire, ou que les bureaucrates la
percevaient réellement et s‟opposaient selon celle-ci. Disons que nous avons plutôt
poursuivi une méthode heuristique pour débroussailler un terrain d‟enquête peu
exploré et encore bien loin d‟être élucidé. Ainsi, en poursuivant notre analyse avec le
Département des affaires d‟État, nous chercherons à savoir davantage dans quelle
mesure était rigide la division entre le Secrétariat et la Chancellerie.
En fait, pour être franc, durant la majeure partie de l‟histoire du Royaume de Shu
antérieur nous ne sommes pas convaincus qu‟il y ait effectivement eu un Département
des affaires d‟État. Du moins, dans le cas contraire, celui-ci n‟était probablement plus
ce vaste et puissant département autonome qui comme jadis supervisait les divers
ministères tout en servant de pont entre la cour et l‟extérieur. D‟une part, comme nous
293
Tang caizi zhuan 9. 450-451; SGCQ 44. 6; JJL 6. 6.
98
avons eu l‟occasion d‟en prendre conscience, les échanges entre la cour et les
gouverneurs de commanderie semblaient désormais s‟effectuer par l‟entremise du
Bureau des affaires militaires et du Tribunal des censeurs. D‟autre part, le contrôle des
Six ministères impériaux semblait à toute fin pratique confiée au Secrétariat et à la
Chancellerie. Toutefois, à cet égard nous aimerions savoir si la Chancellerie et le
Secrétariat s‟en partageaient désormais la responsabilité, ou si la première était à cette
occasion subordonnée au second.
À la lecture des sources, il est saisissant de constater à quel point sont rares les
références à un prétendu Département des affaires d‟État. En fait, les seules allusions
que nous trouvons renvoient à des individus investis du titre de vice-président du
Département des affaires d‟État. Premièrement, selon le Shiguo chunqiu, Zhang Ge et
Yu Chuansu auraient reçu ce titre dans les premières années du royaume, alors même
qu‟ils étaient vice-président du Secrétariat294. Toutefois, les dires de Wu Renchen sur
ce point ne sont corroborés par aucune autre source. Deuxièmement, selon sa
biographie du Jiuguo zhi, Zhou Xiang, anciennement vice-président du Tribunal des
censeurs et du Secrétariat, aurait également été investi du titre de vice-président du
Département des affaires d‟État après la mort de Wang Jian, sous prétexte de son âge
avancé295. Certes, il se pourrait que ces dernières informations soient fondées,
néanmoins rien ne nous dit qu‟il ne s‟agissait pas de titres honorifiques, ou que le
Département des affaires d‟État incarnait à nouveau une agence bureaucratique en soi,
après avoir été considérablement affaiblie depuis la rébellion d‟An Lushan sous la
dynastie Tang.
Par contre, il est plutôt suggestif que deux desdits vice-présidents du Département
des affaires d‟État auraient simultanément été vice-président du Secrétariat. Ce qui, à
notre avis, attesterait non pas de la vigueur du Département des affaires d‟État, mais
bien de l‟importance accrue du Secrétariat impérial dans les diverses sphères de l‟État.
Néanmoins, avant de conclure en ce sens, il reste à déterminer la nature des relations
entre le Secrétariat et la Chancellerie en ce qui a trait à la gestion des ministères
294
295
SGCQ 41. 3, 10.
JGZ 6. 13.
99
impériaux. De cette manière, nous serons en mesure de mieux cerner le poids relatif
de l‟autorité respective de chacun de ces deux départements. Ainsi, parmi les membres
de la Chancellerie occupant des fonctions ministérielles, nous pouvons notamment
penser à Wei Zhuang qui aurait été vice-président du Ministère des fonctionnaires
(libu shilang 吏部侍郎)296, à Du Guangting qui fut à un moment vice-président du
Ministère des finances (hubu shilang 戶部侍郎)297, ou encore à un secrétaire de la
Chancellerie du nom de Lu Yanrang 盧延讓, lequel aurait occupé les postes de
secrétaire-auxiliaire du Bureau des réseaux hydrauliques (shuibu yuanwailang 水部
員外郎), de vice-président du Ministère des travaux (gongbu shilang 工部侍郎) et du
Ministère de la justice (xingbu shilang 刑部侍郎)298. À l‟opposé, du côté du
Secrétariat, nous pouvons surtout penser à Wang Kai, lequel aurait été président du
Ministère de la guerre (bingbu shangshu 兵部尚書)299, ou à Yu Chuansu qui aurait
entre autres été président du Ministère des travaux (gongbu shangshu 工部尚書)300.
Le fait que des vice-présidents du Secrétariat occupaient conjointement des
fonctions de président de ministère, tandis qu‟aucun représentant de la Chancellerie ne
détenait un titre supérieur à celui de vice-président, pourrait indiquer que le Secrétariat
se situait au-dessus de la Chancellerie dans la hiérarchie ministérielle. Une indication
supplémentaire qui tendrait à confirmer cette hypothèse est que la plupart des autres
présidents de ministère semblaient souvent être des alliés politiques de dirigeants du
Secrétariat. Par exemple, nous pouvons penser à Yang Bin, lequel aurait été président
du Ministère des rituels (libu shangshu 禮部尚書). Or, comme nous l‟avons déjà
mentionné, Bin aurait été un intime de Zhang Ge, avec qui il aurait par ailleurs formé
une faction301. Un autre cas suggestif pourrait également s‟avérer être celui de Yu
Ningji 庾凝績, un fils ou un neveu de Yu Chuansu qui aurait occupé le poste de
président du Ministère des fonctionnaires (libu shangshu 吏部尚書)302.
L‟organisation des ministères impériaux semble donc encore une fois faire état
296
297
298
299
300
301
302
STW 45. 22.
STW 45. 25.
SGCQ 44. 2-3.
ZZTJ 268. 8758, 8772.
SGCQ 41. 10.
SGCQ 41. 14.
SGCQ 41. 13-14.
100
d‟un clivage entre la Chancellerie et le Secrétariat. Mais est-ce que ce clivage fut la
source de tensions entre les bureaucrates de la cour? Se pourrait-il que le contrôle des
ministères fut l‟objet de luttes factionnelles opposant la Chancellerie au Secrétariat? Si
la réponse est affirmative, cela pourrait donc signifier que la constitution des factions
coïncidait précisément à ce clivage, donc que les luttes résultaient autant d‟intérêts
institutionnels que personnels. Or ce n‟est pas exactement ce que laisse entendre
l‟allure des luttes de factions ayant bouleversé la cour. Du moins, la composition des
factions tendrait plutôt à démontrer que les allégeances en jeu transcendaient les
institutions de la cour et ne correspondaient pas audit clivage.
Prenons par exemple les oppositions et les associations qui suivirent la crise de
succession de 913, par laquelle l‟héritier au trône Wang Zongyi 王宗懿 (mort en
913), dit Yuanying 元膺, fut remplacé par Wang Yan303. En l‟occurrence, il est non
pas curieux que Wang Yan devint héritier grâce à des intrigues, mais surtout que les
grands responsables de sa nomination fussent Zhang Ge ainsi que l‟eunuque et
commissaire du Bureau des affaires militaires Tang Wenyi 唐文扆, lesquels se
seraient associés à la suite d‟un pot de vin venant de l‟impératrice Shunsheng 順聖太
后, également connue sous le nom de concubine Xu Xian 徐賢妃, qui voulait faire de
son fils le nouvel héritier304. Or, le complot aurait été dénoncé par un certain Mao
Wenxi 毛文錫, lequel aurait provoqué l‟exécution de Wenyi ainsi que la destitution
temporaire de Ge et ses associés, au nombre desquels se seraient notamment trouvés
Yang Bin, Xu Ji et Pan Qiao305. Le cas de Xu Ji est ici assez révélateur, en ce sens
qu‟il aurait alors été vice-président du Ministère des fonctionnaires à l‟emploi de la
Chancellerie, suite à quoi il passa au service du Secrétariat. Ainsi fut-il plus tard
nommé président du Ministère des rituels avant de devenir à son tour vice-président
303
À l‟origine de cette crise qui mit en péril la stabilité du royaume se trouvait une rivalité entre
l‟héritier Yuanying et le commissaire du Bureau des affaires militaires, Tang Xi. Ainsi, cherchant en
vain à destituer Tang Xi de ses fonctions, l‟héritier Yuanying aurait cherché à planifier l‟assassinat de ce
dernier. Ce qui provoqua la colère de Wang Jian qui trancha la situation en privant Wang Zongyi de son
titre d‟héritier. Toutefois, loin d‟être résigné à accepter son désaveu, Zongyi aurait cherché à orchestrer
un coup d‟État qui échoua et qui fut cause de son exécution. À propos de ces événements, voir
notamment ZZTJ 268. 8773-8775; XWDS 63. 789-790; WGGS 1. 10; STW 45. 24.
304
ZZTJ 268. 8777; XWDS 63. 971.
305
SGCQ 41. 4.
101
du Secrétariat306. Quant à Mao Wenxi, celui-ci aurait jusqu‟alors été un académicien
de Hanlin qui, à la faveur des accusations contre Zhang Ge et Tang Wenyi, serait
devenu président du Ministère des rituels et commissaire du Bureau des affaires
militaires307. Or, ce qu‟il y a de plus saisissant au sujet de cet ennemi juré de Zhang
Ge est qu‟il aurait aussi été un allié de Yu Chuansu, au fils duquel il aurait marié sa
fille308.
e) La dichotomie entre lettrés de cour et militaires
À coup sûr, la cour de Chengdu devait être le site d‟intrigues, ce qui est loin d‟être
anormal. Ainsi, en dépit de certaines rivalités dont nous ne connaissons pas tous les
tenants et aboutissants, cette société de cour semblait malgré tout former un monde
cohérent relativement homogène. En fait, une des divisions encore plus fondamentale
sous les Shu antérieurs n‟était pas tant celle qui affectait la cour que celle qui opposait
la cour au monde des commanderies. Ainsi, nous avons cru observer une dichotomie
entre un univers dominé essentiellement par des lettrés issus des plus prestigieuses
familles de la dynastie Tang et un autre où figurent majoritairement des militaires aux
origines plus ou moins obscures. Sans aller jusqu‟à user de la métaphore des deux
montagnes dont les sommets ne se rencontrent jamais, il nous semble malgré tout
s‟agir de deux milieux distincts dans lesquels les acteurs tendaient à suivre des voies
différentes et à développer leurs propres stratégies de reproduction sociale.
Une des premières manifestations de cette différenciation est la tendance des
bureaucrates à se concentrer à la capitale, tandis que la grande majorité des militaires
évoluaient dans les commanderies. D‟une part, bien que souvent investis des titres
bureaucratiques les plus élevés, la plupart des lieutenants de Wang Jian ne semblaient
pourtant pas affecté à des fonctions de cour, mais bien à des postes de gouverneur.
Ainsi, avons-nous observé, il s‟agissait davantage de titres honorifiques octroyés par
la cour pour services rendus et pour rétribuer la loyauté envers l‟État et son souverain.
En fait, les rares moments où les gouverneurs semblent se rendre à la cour sont lors de
306
307
308
SGCQ 41. 5.
ZZTJ 269. 8784; SGCQ 41. 11-12.
SGCQ 41. 12.
102
grands événements politiques et rituels comme le couronnement impérial de Wang
Jian et son décès, la succession impériale de Wang Yan ou la célébration de triomphes
militaires. Il est donc plausible que la raison de ces visites fut de participer à des
processions par lesquelles les officiers militaires venaient prêter allégeance à la
dynastie en échange de nouveaux titres. En d‟autres cas, leur présence à la capitale
semble s‟expliquer soit par un rappel pour cause d‟insubordination ou pour y recevoir
une nouvelle affectation dans une autre commanderie, soit pour y occuper une
sinécure en fin de carrière ou encore pour y être inhumé.
En sens inverse, nous trouvons très peu de références renvoyant à des hauts
fonctionnaires civils affectés à des fonctions hors de la capitale. Ainsi, à notre
connaissance, Zhou Xiang fut un des seuls bureaucrates de la cour à occuper un poste
de gouverneur de commanderie. Toutefois, pour des raisons que nous ignorons, il
n‟aurait assumé la direction de la commanderie Yongping 永平軍 que pour une très
brève période de temps vers 920309. Par ailleurs, certains individus comme Zhang Ge
et ses acolytes auraient également occupé des fonctions au niveau préfectoral.
Notamment, après 913, Zhang Ge aurait temporairement occupé le poste de préfet de
Maozhou310. Cependant, de telles affectations semblaient surtout donner suite à des
accusations de factionnalisme par lesquelles des bureaucrates furent limogés et bannis
de la cour. Gardons ainsi à l‟esprit que la présence de ces bureaucrates dans les
préfectures ne s‟expliquait pas par un effort d‟implanter une structure administrative
préfectorale qui neutraliserait les gouverneurs de commanderie. Le fait étant que leurs
fonctions préfectorales ne furent pas permanentes et qu‟ils furent à peu près tous
réhabilités par la cour peu après.
Autrement dit, contrairement aux Tang, et même aux Liang, la cour de Chengdu
ne semblait pas systématiquement nommer de préfets civils. Non pas que les
commanderies étaient dépourvus d‟institutions bureaucratiques, seulement les
bureaucrates en poste dans les commanderies ne semblaient pas nommés par la cour,
mais plutôt sélectionnés par les gouverneurs eux-mêmes. Il en allait possiblement de
309
310
ZZTJ 271. 8855; JGZ 6. 13.
SGCQ 41. 4.
103
même des préfets, lesquels provenaient en général des armées du royaume et qui
pourraient avoir été des officiers subordonnés aux gouverneurs. Du moins, si les
préfets sous les Shu antérieurs sont peu représentés dans les sources, cela était sans
doute lié au fait que l‟unité administrative de base à travers le royaume était la
commanderie, tandis l‟autorité y reposait surtout en la personne du gouverneur. Mais,
encore là, ne commettons pas l‟erreur d‟associer les gouverneurs du royaume à des
seigneurs de la guerre qui ne répondaient que d‟eux-mêmes. Car, en fait, non
seulement la cour semblait contrôler leur nomination, mais surtout semblait-elle en
mesure de leur imposer son autorité. C‟est du moins ce que tend à indiquer le fait que
la plupart des gouverneurs furent fréquemment transférés d‟une commanderie à une
autre, tandis que la cour aurait également eu la force d‟intervenir contre ceux qui
outrepassaient les limites de leurs pouvoirs. Il en aurait ainsi été du successeur
immédiat de Jin Hui à la tête de la commanderie Wutai, Wang Zongxun 王宗訓,
lequel, en quelques mois à peine, fut rappelé à Chengdu où il fut condamné pour
malversations311.
Finalement, se pourrait-il qu‟une distinction entre gouverneurs de commanderie et
lettrés de cour se laisse percevoir à la comparaison des mariages des deux groupes et
du devenir de leurs descendants? Ainsi serait-il vraisemblable que les gouverneurs
eurent tendance à privilégier les mariages pour leurs progénitures avec d‟autres
familles de militaires, tandis que leurs fils aspiraient à se faire eux aussi officiers
d‟armée? Cette idée semble du moins se concrétiser à la lecture de l‟épitaphe de Jin
Hui, laquelle présente vaguement ses sept fils et quatorze filles. Parmi celles-ci, si de
sept d‟entre elles nous ne pouvons rien apprendre, en revanche nous savons qu‟au
moins cinq furent mariées à des officiers militaires, dont trois étaient les fils d‟anciens
lieutenants et fils adoptif de Wang Jian. Quant à ses sept fils, nous savons que les deux
plus vieux devinrent eux-mêmes officiers d‟armées, que deux autres se marièrent à des
filles d‟agents subalternes de commanderie, tandis qu‟un autre, bien qu‟étant aussi
bien doué pour les lettres que pour les armes, devint un ritualiste312. Enfin, de
311
312
ZZTJ 269. 8784.
Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 917, lignes # 1-12).
104
l‟épitaphe de Wang Zongkan semble se dégager une même réalité. C‟est-à-dire que les
trois fils de Zongkan devinrent tous des officiers militaires, tandis que sa fille unique
fut mariée à un capitaine de milice (tuanlian shi 團練使) de Jiazhou 嘉州. Ainsi,
parmi ces fils, celui qui parvint au statut le plus élevé est Wang Chengzhao 王承肇,
lequel fit d‟abord parti de la garde impériale avant de devenir capitaine de milice à
Pengzhou 彭州 et gouverneur de la commanderie Wuding 武定軍313.
Malheureusement, contrairement aux lieutenants de Wang Jian, les descendants
des bureaucrates en poste à la cour de Chengdu nous sont souvent inconnus. Il est
donc difficile d‟avoir la certitude que ceux-ci continuèrent de se perpétuer dans la
bureaucratie grâce à des stratégies de népotisme. Néanmoins, certaines indications
permettent à tout le moins de soutenir l‟hypothèse voulant que les lettrés de cour
formassent un cercle exclusif, à l‟intérieur duquel leurs fils et leurs filles ne se
mariaient qu‟entre eux. À titre d‟exemple, nous pouvons nous référer à l‟alliance
maritale que conclurent Yu Chuansu et Mao Wenxi, laquelle fut mentionnée
précédemment. Certes, s‟agissant d‟un rare exemple à notre disposition, certains
seraient en droit d‟avancer que ce cas demeure difficile à généraliser. Mais nous
pouvons également soutenir que nous ne trouvons aucune allusion à de quelconques
relations nuptiales entre bureaucrates de la capitale et gouverneurs de commanderie.
D‟autre part, tandis que nous ne connaissons aucun fils de militaire devenu lettré à la
cour, les rares fils de hauts fonctionnaires en poste à la capitale que nous nous croyons
en mesure d‟identifier sont ceux qui suivirent les traces de leur père. Entre autres, au
cours de nos analyses, nous avons eu l‟occasion de rencontrer un certain Yu Ningji,
lequel pourrait avoir obtenu le poste de président du Ministère des fonctionnaires
grâce au concours de Yu Chuansu, son oncle ou son père. De plus, nous pouvons
également penser à Niu Xiji 牛希濟, un présumé fils de Niu Qiao qui aurait
particulièrement été actif à la cour de Wang Yan314.
Les données étant incomplètes, nous ne pouvons pas prouver que le népotisme
était la règle dans le recrutement de la seconde génération de hauts bureaucrates à la
313
Xue Deng (2000 : 14). Suite à la biographie de Wang Zongkan, avec justesse, Wu Renchen présente
également Wang Chengzhao, SGCQ 39. 4.
314
SGCQ 44. 7.
105
cour de Wang Yan. Néanmoins, dans un État où la mentalité aristocratique semblait
prédominante, et où la sélection bureaucratique semblait fondée sur un système de
recommandation, nous ne saurions remettre en cause que les relations familiales furent
une assise non négligeable. Ainsi, en dépit de ce que prescrivait le texte d‟amnistie
ayant marqué la proclamation du royaume en 907, nous ne trouvons aucune trace
d‟examens de sélection bureaucratique, ni même d‟un réseau d‟écoles supportées par
l‟État en dehors de la capitale. Par contre, il semble que Chengdu disposait alors
d‟établissements d‟enseignement étatiques dont l‟accès était réservé aux fils de
bureaucrates servant à la cour315. Ainsi, tandis que ces derniers jouissaient d‟un accès
privilégié aux ressources permettant d‟intégrer la bureaucratie, nous trouvions donc un
contexte systémique propice au népotisme.
Contrairement à son homologue Zhu Wen de la dynastie Liang, Wang Jian ne
chercha donc pas à rompre avec le modèle hérité de la dynastie Tang en confiant les
postes clefs de sa cour aux dépendants issus de son organisation militaire. Car, en effet,
en épousant la cause loyaliste et en s‟érigeant en défenseur de l‟ancien système, Wang
Jian s‟entoura expressément de descendants de l‟ancienne clientèle aristocratique.
Toutefois, en dépit d‟un désir apparent de maintenir les institutions de la dynastie Tang
et de préserver un modèle étatique où la palme reviendrait aux lettrés descendants de
grands clans, les structures gouvernementales ainsi établies furent à mains égards
différentes de ce qu‟elles devaient êtres au moment de la compilation du Tong dian et
du Da Tang liu dian. En fait, elles auraient plutôt été en continuité avec l‟évolution
suivie par les institutions impériales après la rébellion d‟An Lushan, ce qui se laisse
notamment percevoir à l‟influence croissante du Bureau des affaires militaires et du
Tribunal des censeurs dans les relations entre la cour et les commanderies. Par contre,
la simplification administrative et l‟allègement du personnel de la cour qui semblaient
en œuvre ne prenaient probablement pas appui sur un quelconque précédent remontant
à la dynastie Tang.
315
À propos des prescriptions en la matière que contiendrait ledit texte d‟amnistie, voir JLQJZ 1. 14.
Voir également Li Quande 李全德, « Shiguo xuexiao zhidu kao » 十國學校制度考, dans Ren Shuang
任爽, éd., Shiguo dianzhi kao 十國典制考 (Beijing : Zhonghua shuju, 2004), pp. 137, 145; Chen
Xiuhong (2004 : 182-185).
106
Ainsi, avons-nous constaté, une poignée d‟individus aurait simultanément cumulé
divers offices clefs, ce qui non seulement permettait de rompre avec le dualisme entre
la bureaucratie régulière et les serviteurs personnels de l‟empereur, mais qui aussi
allait à l‟encontre de l‟esprit des institutions Tang, lesquelles étaient pensées en
fonction d‟empêcher que survienne une trop grande concentration des pouvoirs. En
revanche, ce dilemme ne semblait pas trop affecté l‟autorité politique du royaume,
puisque lesdits lettrés loyalistes ne jouissaient plus de l‟autorité étendue que jadis
détenaient leurs ancêtres sous la dynastie Tang. C‟est-à-dire qu‟ils ne semblaient actifs
qu‟à la cour, où ils servaient de conseillers impériaux, tandis que les institutions
militaires disséminées à travers le royaume échappaient à leur autorité. Ainsi, en 908,
un administrateur supérieur (yin 尹) de Chengdu du nom de Cui Yin 崔隱 aurait
cherché à imposer son autorité aux hommes sous l‟autorité de Wang Zongyu. Ce qui
amena Wang Jian à réprimander Cui, lui rappelant qu‟étant un homme de lettres, il
n‟était pas habileté à punir des dépendants de l‟armée316. Comme cet exemple
l‟illustre, force nous est de conclure que sous les Shu antérieurs était maintenue une
séparation entre les sphères civiles et militaires, lesquelles ne devaient pas interférer.
Ce qui allait plutôt dans le sens contraire de ce qui avait cours sous la dynastie Liang,
où bureaucrates et militaires se confondaient souvent.
316
JGZ 6. 1-2.
107
III. Le Royaume de Shu postérieur (934-965)
L‟année 923 marqua certainement un point tournant dans l‟histoire du Royaume
de Shu. Le fait étant qu‟en cette année, après avoir détrôné les Liang, le prince de Jin,
Li Cunxu, se proclama empereur de la dynastie Tang avec pour mandat la restauration
de l‟empire Tang. Or, un des fondements idéologiques à l‟origine de la fondation des
Shu antérieurs avait justement été le loyalisme pro-Tang et la poursuite de la
restauration. Nous ne croyons donc pas que Wang Jian, son successeur et leurs
partisans défendaient un quelconque régionalisme. Car, en principe, l‟idéologie du
mandat céleste dont se revendiquait le régime s‟en trouvait être l‟antithèse, puisque
prescrivant une forme de pouvoir universel qui ne tient aucunement compte de notions
aussi anachroniques que la souveraineté territoriale. Autrement dit, du point de vue
théorique d‟un monarque qui se dit être le fils du ciel, il ne peut y avoir deux
empereurs, au pire il peut y avoir un empereur et des usurpateurs. Ainsi, la légitimité
du régime de Shu ne posait jusqu‟alors aucun problème puisque, pour les loyalistes
réfugiés à Shu, les souverains de la dynastie Liang étaient des usurpateurs en
puissance. Cependant, Li Cunxu défendait également cet idéal de la restauration, à la
seule différence qu‟il fut le premier en mesure de la tenter, ce qui dut plonger la cour
de Chengdu dans la perplexité. Ainsi, est-il possible que certains réfugiés aient conçu
Zhuangzong comme le nouvel empereur légitime? Non pas que les empereurs Wang
étaient illégitimes, seulement le mandat céleste retournait désormais aux descendants
de Li Keyong, lequel fut jadis adopté par le clan impérial Li en dépit de ses origines
turques.
En tant que restaurateur investi du mandat céleste, un objectif prioritaire du
nouvel empereur était la réunification politique de l‟empire. Dans ce but, des relations
diplomatiques s‟ouvrirent rapidement entre les cours de Chengdu et Luoyang317. Ainsi,
à la mesure des aspirations alors nourries à Luoyang, il ne semble pas que les
pourparlers entamés portaient sur l‟établissement de rapports amicaux ou d‟une
alliance, mais bien sur les termes de la réintégration de Shu à l‟empire. Du moins, ce
317
Yang Weili 楊偉立, Qian-Shu Hou-Shu shi 前蜀后蜀史 (Chengdu : Sichuan sheng shehui kexue
yuan chuban she, 1986), pp. 97-100; ZZTJ 273. 8918; JWDS 70. 929; JJL 1. 1-2; STW 45. 30; JLQJZ 2.
9-10; WGGS 1. 12.
108
fut ainsi que Li Yan 李嚴 (mort en 927), un ambassadeur Tang envoyé à Shu, aurait
comprit le but de sa mission. C‟est-à-dire « vanter les mérites de la restauration de
Zhuangzong » 述莊宗興復之功 et amener Wang Yan et sa cour à s‟y conformer318.
Selon L’ancienne histoire des Cinq dynasties, voici sur quel ton Li Yan aurait exposé
la situation : « Notre empereur vient vertueusement afin de vous rallier à sa puissance.
Ceux qui s‟y conformeront seront récompensés de son amour infini, alors que ceux
qui s‟y désisteront seront punis par les armes » 吾皇以德懷來, 以威款附. 順則涵之
以恩澤, 逆則問之以干戈319.
À cet ultimatum, la cour de Shu aurait sur le champ répondu par l‟envoi d‟une
délégation à Luoyang dirigée par l‟académicien de Hanlin Ouyang Bin 歐陽彬,
preuve du sérieux avec lequel était considérée l‟affaire à Chengdu320. En revanche, si
la réunification devait être sans équivoque pour les uns, pour les autres il ne semble
pas y avoir eu de consensus quant à l‟attitude à adopter. D‟une part, il ne semble pas
que les bureaucrates de Shu furent à priori hostiles à Li Cunxu et ses ambassadeurs.
Rappelons qu‟à l‟avènement de la dynastie Liang, de nombreux loyalistes se
réfugièrent également dans le territoire alors contrôlé par Li Keyong, le père de Li
Cunxu321. Or, comme les affaires diplomatiques étaient sans doute confiées à des
maîtres de la rhétorique, c‟est-à-dire des gens instruits provenant d‟une certaine élite
et convaincus par la cause colportée, nous pouvons avancer avec une relative
assurance que les ambassadeurs d‟un côté comme de l‟autre partageaient des origines
communes, une même culture intellectuelle et un même idéal sociopolitique qui ne
pouvait être matérialisé que par la restauration. Ainsi, il est fort possible que Li Yan
entra en contact avec des individus tels qu‟Ouyang Bin, Zhang Ge, Wang Kai, Xu Ji,
Li Hao et Ouyang Jiong, lesquels passèrent tous au service des Tang postérieurs.
D‟autre part, cependant, plusieurs haut-gradés de l‟armée de Shu optèrent pour
une toute autre attitude, c‟est-à-dire un rejet catégorique des négociations et un ardent
désir d‟organiser les défenses en prévision d‟une invasion. Ainsi, Wang Zongchou 王
318
319
320
321
JWDS 70. 929.
JWDS 70. 930.
ZZTJ 273. 8926-8927; JWDS 32. 438; JJL 1. 1; JLQJZ 2. 9; SGCQ 53. 2.
Wang Gungwu (2007 : 99); Ng Pak-sheung (1997 : 45).
109
宗儔 (mort en 924) aurait proposé d‟exécuter Li Yan pour son insolence, tandis que
Song Guangbao 宋光葆, alors commissaire au Bureau des affaires militaires, aurait
suggéré de préparer la marine de guerre (zhanjian 戰艦)322. Toutefois, même parmi
les militaires, il n‟y avait visiblement pas d‟unanimité, de sorte que plusieurs
transférèrent leur allégeance dès le début des hostilités sans même croiser le fer. Ce fut
notamment le cas de Wang Chengzhao, le fils de Wang Zongkan, lequel livra aux
armées Tang les préfectures de Yangzhou 洋州, Bizhou 壁州 et Pengzhou 蓬州 en
plein cœur du royaume323.
En fait, il semble que les transfuges furent un des facteurs déterminants dans la
conquête de Shu. Ce qui expliquerait partiellement la déroute totale des armées de Shu,
dont les troupes et les généraux capitulèrent tour à tour, tandis que Wang Yan fut forcé
d‟abdiquer en moins de 70 jours324. Ainsi, une fois l‟acte de reddition transmit aux
autorités militaires de la dynastie Tang, Wang Yan, certains membres de la famille
impériale et quelques grands généraux furent exécutés325. À l‟opposé cependant, les
troupes du royaume se seraient vues intégrées aux forces d‟invasion, tandis que la
cour de Luoyang aurait émis un décret ordonnant de réembaucher les bureaucrates
ayant servi au Royaume de Shu326. Ainsi, des bureaucrates séniors comme Zhang Ge
et Xu Ji furent transférés à Luoyang, où ils remplirent certaines fonctions à la cour327,
tandis que d‟autres dans la fleur de l‟âge comme Li Hao, Ouyang Bin et Ouyang Jiong
furent réaffectés à Shu328.
Comme nous le constaterons plus amplement, suite aux événements de 925, le
Royaume de Shu entra dans une nouvelle période caractérisée par de profondes
transformations. Ainsi, pendant que plusieurs réfugiés loyalistes s‟en retournèrent vers
la plaine centrale pour y servir les Tang postérieurs et que le commandement militaire
des Shu antérieurs fut désagrégé, une nouvelle vague de migrants arriva dans la région.
Cette fois-ci cependant, il ne s‟agissait plus de réfugiés fuyant les troubles frappant le
322
323
324
325
326
327
328
ZZTJ 273. 8918; JWDS 136. 1820.
ZZTJ 273. 8941; JWDS 33. 458-459.
Yang Weili (1986 : 101-105); ZZTJ 274. 8946.
QTW 129. 13-14; ZZTJ 274. 8945; XWDS 63. 793.
Anna M. Shields (2006 : 99); WDHY 17. 281-282; ZZTJ 274. 8951.
JWDS 71. 944-945.
Anna M. Shields (2006 : 99); SGCQ 52. 5, 52. 14, 53. 2.
110
Nord, mais bien de militaires et de bureaucrates mandatés par la cour de Luoyang
pour y prendre la direction des affaires d‟État et y chapeauter les institutions. Ainsi,
sous l‟impulsion de ces individus prit naissance en 934 le nouvel État des Shu
postérieurs.
Dans l‟ensemble, disons que le jugement des historiens à l‟égard de Meng
Zhixiang 孟知祥 (874-934), le premier souverain des Shu postérieurs, fut
particulièrement sévère. Prenons par exemple la biographie qu‟Ouyang Xiu lui
consacre dans la Nouvelle histoire des Cinq dynasties. Il y apparaît comme un
militaire cupide qui, pour satisfaire sa convoitise, cherche à s‟assurer un contrôle
exclusif de Shu dont les richesses regorgent. De telle sorte que dès son affectation à
Chengdu en 926, celui-ci aurait comploté contre la cour de manière à obtenir la
sécession de Shu329. D‟ailleurs, chez Ouyang Xiu, comme chez plusieurs de ses
contemporains, les caractéristiques de Meng Zhixiang tendent à se confondre de
manière stéréotypée avec les étiquettes apposées aux autres individus issus d‟un même
milieu. C‟est-à-dire des militaires déloyaux ne cherchant qu‟à satisfaire des intérêts
personnels qui menacent le bon fonctionnement de l‟État et de la société.
Pourtant, nous ne croyons pas qu‟une telle description soit tout à fait fidèle à qui
étaient réellement Meng Zhixiang et ses collaborateurs. À tout le moins, certains
indices laissent penser que la fondation des Shu postérieurs n‟était pas un événement
prémédité de longue date qui pouvait être anticipé. Entre autres, c‟est ce que tend à
démontrer l‟épitaphe de la princesse Fuqing 福慶長公主 décédée à Chengdu en 932,
laquelle était non seulement l‟épouse de Meng Zhixiang, mais également la fille de Li
Keyong330. En l‟occurrence, le scribe y réaffirme avec force l‟appartenance de la
princesse à la famille impériale Li, la fierté qu‟elle en éprouvait et l‟honneur de son
époux à défendre les intérêts de la dynastie Tang. C‟est également ce que tendent à
329
XWDS 64. 797-803; Richard L. Davis (1998 a : 128-130).
Cette épitaphe provient du mausolée conjoint de Zhixiang et son épouse, lequel fut découvert en
1970 à Chengdu. Pour en consulter l‟estampille et la transcription complète, voir Chengdu shi wenwu
guanli chu 成都市文物管理處, « Hou-Shu Meng Zhixiang mu yu Fuqing zhang gongzhu muzhiming
» 後蜀孟知祥墓與福慶長公主墓誌銘, Wenwu 文物 1982. 3, pp. 18-20. La plupart des sources ont
jusqu‟ici affirmé que l‟épouse de Zhixiang n‟était qu‟une nièce de Li Keyong (XWDS 64. 797; ZZTJ
268. 8755; STW 45. 33), toutefois l‟épitaphe vient confirmer ce que nous apprenait déjà le Wudai
huiyao (2. 22), c‟est-à-dire que celle-ci était sa plus vieille fille biologique.
330
111
indiquer les autres épitaphes de la même période découvertes à Chengdu, notamment
celle de Sun Hanshao 孫漢韶 (884-956), lequel se percevait comme un fier et loyal
sujet de Tang Mingzong jusqu‟en 934331. Certes, il est possible que de telles épitaphes
cherchent à embellir les faits, toutefois elles auraient également pu chercher à
discréditer la dynastie Tang de manière à légitimer les actions des intéressés. Or, il en
est rien, Mingzong est constamment dépeint tel un souverain vertueux et légitime.
À notre avis, nous devons donc rechercher les causes de la sécession de Shu en
934 ailleurs que dans la machiavélique préméditation d‟un douteux gouverneur avide
de richesses. Au contraire, par exemple, nous pourrions chercher à savoir dans quelle
mesure les luttes factionnelles qui secouaient alors la cour de Luoyang furent un
facteur dans la prise de décision de Meng Zhixiang et ses associés. Car si nous ne
disposons pas de preuves suffisantes pour affirmer que Zhixiang avait des visées
séparatistes dès son arrivée à Chengdu, dans le cas contraire il est presque sûr que des
détracteurs cherchèrent à convaincre la cour qu‟il en était ainsi. Ce fut notamment le
cas du commissaire du Bureau des affaires militaires, An Chonghui 安重誨 (mort en
931), et de son successeur, l‟eunuque Meng Hanqiong 孟漢瓊, lesquels jouissaient de
pouvoirs démesurés à la cour de Luoyang332. Ainsi, sans que nous en connaissions les
causes profondes, ces derniers auraient tenté de démettre Zhixiang de ses fonctions au
Xichuan en envoyant des troupes y occuper certaines préfectures clefs et en jouant sur
la rivalité qui l‟opposait à Dong Zhang 董璋 (mort en 932), lequel était à la tête du
Dongchuan, la moitié orientale de Shu333.
Les luttes de factions sous les Tang postérieurs furent notamment approchées par
Wang Gungwu, lequel les associait à certaines contradictions systémiques de la
restauration. C‟est-à-dire que, selon lui, la source de plusieurs conflits se trouvait alors
dans le fait de vouloir redonner la préséance bureaucratique à l‟ancienne aristocratie,
ce malgré la nécessité d‟intégrer le personnel de l‟ancienne dynastie Liang et le besoin
de garder à l‟emploi les anciens officiers de l‟organisation provinciale du Hebei et du
331
Voir Chengdu shi bowuguan kaogu dui 成都市博物館考古隊, « Wudai Hou-Shu Sun Hanshao mu
» 五代後蜀孫漢韶墓, Wenwu 文物 1991. 5, pp. 16, 26.
332
Sur An Chonghui et Meng Hanqiong, voir JWDS 66. 873-876, 72. 955-956.
333
Naomi Standen (2009 : 76-83); Wang Gungwu (2007 : 152-158). Quant à la biographie de Dong
Zhang, voir JWDS 62. 831-834.
112
Hedong334. Or, comme nous le verrons, Meng Zhixiang et ses acolytes relevaient pour
la majorité de ces deux dernières catégories. Ainsi pouvons-nous nous demander si les
individus au contrôle de la cour sous Tang Mingzong avaient des raisons quelconques
de redouter la vieille garde de Li Keyong et Li Cunxu, ou une quelconque faction
régionale du Nord-est, ainsi que les anciens serviteurs de la dynastie Liang.
À défaut de pouvoir répondre à de telles questions dans l‟immédiat, nous nous
efforcerons pour l‟instant de réévaluer le profil socioprofessionnel des agents venus
assister Meng Zhixiang dans la gouvernance de Shu. Notamment, nous chercherons à
savoir comment ces individus vinrent y bouleverser la nature des institutions étatiques
et ainsi altérer les rapports entre l‟État et la société. À travers les pages qui suivront,
nous verrons ainsi comment la cour de Chengdu et les institutions étatiques de Shu
passèrent sous le contrôle d‟une nouvelle élite, certes composée d‟individus issus
d‟organisations militaires provinciales, mais dont les compétences furent souvent
acquises hors des champs de bataille. D‟une part, tandis que l‟expertise prit le pas sur
l‟appartenance à une famille de vieille souche, nous constaterons que les valeurs
désormais véhiculées dans les hautes sphères de l‟État changèrent. D‟autre part, nous
verrons également que les responsabilités endossées par les préfets gagnèrent en
importance, eux qui devinrent les principales figures d‟autorité hors de la capitale, tout
en étant secondés par des institutions administratives régionales beaucoup plus
développées que par le passé. Enfin, nous constaterons qu‟était alors en cours un
important processus de bureaucratisation par lequel l‟État parvint à s‟imposer plus
profondément dans la vie sociale.
3. 1 Les associés de Meng Zhixiang et les régents de son successeur
Suite à la « pacification » de Shu en 925, la cour de Luoyang estimait la région
suffisamment importante pour y envoyer un de ses grands dignitaires, Meng Zhixiang,
et y maintenir en place une part substantielle des effectifs déployés durant la conquête,
auxquels s‟ajouteront de nouveaux éléments. À partir de ce noyau d‟individus, nous
chercherons ainsi à identifier les plus influents à qui Zhixiang entendait s‟en remettre
334
Wang Gungwu (2007 : 99-108, 148-151).
113
pour jeter les bases du nouvel État. Ainsi nous attarderons-nous à ceux qui dominèrent
la cour de Chengdu après 934 et nous efforcerons-nous de définir la nouvelle élite au
pouvoir pour mieux apprécier la nature de l‟État.
Par ses origines socioprofessionnelles, Meng Zhixiang semble assez représentatif
des valeurs et intérêts du groupe dont il était le meneur, lui qui venait d‟une famille de
militaires de la région de Xingzhou 邢州 (Hebei). De son grand-père, Meng Cha 孟
察, tout ce que nous savons est qu‟il aurait été un officier de commanderie (junxiao
郡校) au statut moyen335. Parmi ses parents, ceux que nous connaissons le mieux sont
ses oncles Meng Fangli 孟方立 (mort en 889) et Meng Qian 孟遷 (mort en 901).
En 883, notamment, Fangli se serait lui-même improvisé gouverneur de la
commanderie Zhaoyi 昭義 en s‟emparant par la force de Luzhou 潞州 et en
déplaçant le siège de la commanderie vers Xingzhou336. De la sorte, Fangli aurait
provoqué la furie de Li Keyong qui lui déclara aussitôt la guerre et qui parvint en
quelques mois à reconquérir Luzhou, où il nomma un autre gouverneur de la
commanderie Zhaoyi. Ainsi, cette commanderie fut divisée en deux, Luzhou et
Xingzhou ayant chacun son gouverneur337. Il en fut ainsi jusqu‟en 889, date à laquelle
les troupes de Li Keyong firent leur entrée à Xingzhou, tandis que Meng Fangli se
suicida338. Quant à Meng Qian, qui secondait son frère en tant que préfet de Mingzhou
洺州, selon Ouyang Xiu, il n‟aurait eu d‟autres choix que de se livrer aux forces de Li
Keyong. Ainsi, il aurait d‟abord été conduit à Taiyuan, suite à quoi on le réaffecta dans
les préfectures de Zezhou 澤州 et Luzhou qu‟il finit par offrir à Zhu Wen339. Par
contre, Xue Juzheng ne nous dit pas qu‟il se rendit, mais plutôt qu‟il fit aussitôt appel
à Zhu Wen, lequel s‟apprêtait alors à prendre le contrôle de Xingzhou340, tandis que
Sima Guang nous dit qu‟il passa définitivement au service de Li Keyong à Taiyuan341.
Si nous planons dans l‟incertitude à propos de Meng Qian, en revanche il est à
peu près certain que le père Zhixiang, Meng Dao 孟道, passa une fois pour toutes au
335
336
337
338
339
340
341
JWDS 136. 1822; CFYG 219. 18.
ZZTJ 255. 8299; JWDS 62. 827; XTS 187. 5448.
ZZTJ 256. 8313; XTS 187. 5449.
ZZTJ 258. 8387; JWDS 62. 827.
XTS 187. 5449; XWDS 64. 797.
JWDS 62. 827-828.
ZZTJ 258. 8387-8388.
114
service de Li Keyong après 889342. Du moins, cette information tend à être confirmée
par le fait que Zhixiang lança véritablement sa carrière à Taiyuan, où il reçut en
mariage la princesse Fuqing. Il fallait donc que le statut de Dao fut plus ou moins
élevé pour que Li Keyong accepte de donner sa fille en mariage à Zhixiang. Toutefois,
en dépit de l‟importance de Zhixiang dans l‟histoire, il est frustrant de constater à quel
point nous sommes mal renseignés à son sujet avant 926. En général, toutes nos
sources s‟accordent pour dire qu‟il fut nommé gouverneur (yin 尹) de Taiyuan après
la proclamation de la restauration à Luoyang en 923343. Toutefois, il est bien difficile
de connaître les fondements réels de sa nomination à un tel poste et la nature des
responsabilités qui lui incombaient. De la même manière, aucun document ne nous dit
explicitement pourquoi « au moment où sa majesté dut choisir un dirigeant suivant la
pacification du Xichuan, aucun ne valait Zhixiang » 西川平, 陛下擇帥, 無如知祥
344
, sinon qu‟il était « un fin stratège de grande confiance » 信厚有謀345. En fait, la
plupart des chroniqueurs insiste sur l‟idée que Zhixiang était un soldat et que c‟était en
tant quel qu‟il parvint à s‟élever dans la hiérarchie. Notamment, en se livrant à la
collusion avec Guo Chongtao 郭崇韜 (mort en 926), le puissant commissaire du
Bureau des affaires militaires et présumé instigateur de la conquête de Shu346.
Que Meng Zhixiang fut dans la garde personnelle (qinwei jun 親衛軍) de Li
Keyong ou qu‟il fut instructeur d‟armée (jiaolian shi 教練使) et conseiller militaire
(zhongmen shi 中門使) ne doit pas forcément nous amener à croire qu‟il n‟était bon
qu‟à monter un destrier. Nous ne devons également pas tenir pour sûr que seules ses
qualités guerrières suffirent à lui mériter un statut enviable dans l‟entourage des
princes de Jin. En fait, nous avons du mal à saisir la pertinence de charger un simple
guerrier de la gouvernance de centres administratifs et économiques à l‟écart des
zones de combat comme Taiyuan et Chengdu. D‟ailleurs, il ne semble pas qu‟en 926
Zhixiang fut nommé « gouverneur-militaire » du Xichuan comme certains modernes
342
343
344
345
346
XWDS 64. 797.
XWDS 64. 797; JWDS 32. 439; ZZTJ 272. 8883; STW 45. 33.
STW 45. 33.
ZZTJ 273. 8937.
XWDS 64. 797; ZZTJ 270. 8843, 272. 8883, 273. 8937; JWDS 57. 763-772.
115
l‟assument347, du moins ce n‟est pas ce que la plupart des sources dit. Ainsi, hormis
Sima Guang, dans la plupart des sources il est juste écrit qu‟il fut nommé gouverneur
(yin) de Chengdu et vice-gouverneur (jiedu fu da shi 節度副大使) du Xichuan348.
Notre impression est plutôt qu‟aucun gouverneur-général ne fut assigné au Xichuan au
lendemain de la conquête, la cour ayant simplement décidé d‟y nommer des préfets
parmi les officiers des forces d‟invasion, lesquels dominaient vraisemblablement leurs
propres troupes et relevaient directement de la cour. D‟autre part, il semble bien que
l‟autorité dont était investi Zhixiang n‟excédait pas à proprement parler Chengdu, du
moins pas en son nom propre, son mandat hors de la capitale provinciale se limitant à
la supervision des préfets au nom de la cour, à laquelle il était tenu de se rapporter. À
notre avis, ce ne fut qu‟à force de collaboration avec les préfets qu‟il parvint peu à peu
à assumer un rôle de leadership supérieur à un simple rôle de régulateur dans la région,
faisant ainsi de lui un gouverneur de plein droit.
Non seulement il ne semble pas que Meng Zhixiang fut investi de responsabilités
strictement militaires, mais il ne semble également pas que ses expériences préalables
furent exclusivement associées au métier des armes. Grâce au Cefu yuangui, nous
savons notamment que « depuis son enfance, Meng Zhixiang était raffiné, savait écrire
et aimait la musique » 孟知祥自幼溫厚知書樂喜349. Ainsi, selon le Shu taowu,
alors qu‟il était à Xingzhou, il aurait occupé un petit emploi dans l‟administration
locale (jun yali 郡衙吏), possiblement à titre d‟apprenti compte tenu de son jeune
âge350. Enfin, l‟épitaphe de la princesse Fuqing nous laisse savoir qu‟au moment où il
était dans la principauté de Jin, il fut successivement préfet de Daizhou 代州, préfet
de Xinzhou 忻州 et président du Tribunal des censeurs351. Certes, nous ne
connaissons pas l‟ensemble des responsabilités assumées par les préfets au Hedong
avant 923. Toutefois, nous pouvons assumer qu‟à titre de préfet, Zhixiang fut amené à
interagir sur une base quotidienne avec divers administrateurs et à se familiariser avec
347
Notamment Hugh R. Clark (2009 : 164-165).
XWDS 64. 797; ZZTJ 270. 8843, 272. 8883, 273. 8937; JWDS 57. 763-772. D‟ailleurs, selon JWDS
36. 501, 38. 525, il en allait également ainsi de Dong Zhang qui n‟aurait été que vice-gouverneur du
Dongchuan.
349
CFYG 220. 21. Voir également STW 45. 35.
350
STW 45. 33.
351
Chengdu shi wenwu guanli chu (1982 : 20).
348
116
le monde de la bureaucratie. En tout les cas, la préfecture n‟était certainement pas une
satrapie militaire libre, mais bien une entité administrative restreinte par laquelle l‟État
pouvait rationaliser sa gestion territoriale. De cette optique, il serait donc impensable
qu‟un préfet puisse n‟avoir eu aucune autre compétence que militaire, la gestion de
l‟armée et de la sécurité n‟étant qu‟une tâche parmi d‟autres. De plus, à moins que ce
ne fut qu‟un titre honorifique, il est difficile d‟imaginer un censeur illettré ne
connaissant ni les procédures administratives, ni même les enjeux de l‟action étatique.
Heureusement, le fait de ne pas connaître à merveille la vie de Meng Zhixiang ne
devrait pas trop affecter notre compréhension de l‟État sous les Shu postérieurs. D‟une
part, celui-ci était secondé par de nombreux autres individus provenant semble-t-il
d‟un univers comparable au sien, et pour lesquels peu de doutes subsistent quant à
leurs compétences professionnelles. D‟autre part, Meng Zhixiang ne vécut pas assez
longtemps pour que nous puissions lui attribuer à lui seul l‟établissement des
institutions du royaume. Ainsi est-il fondamental d‟être conscient qu‟à peine six mois
après la proclamation du régime, Zhixiang trépassa en léguant le trône à Meng Chang
孟昶 (919-965), un jeune orphelin de père et de mère qui était non seulement pas en
mesure de prendre la direction d‟un État naissant, mais qui était encore incapable de
voler de ses propres ailes. Une telle conjoncture aurait pu s‟avérer désastreuse et
mener à une révolution de palais, voire à une guerre entre les officiers du royaume.
Cependant, rien de tout cela ne se produisit. Pourquoi? Sûrement parce qu‟il y avait
une volonté politique consensuelle de poursuivre l‟œuvre déjà entamé et qu‟il existait
un collège de ministres suffisamment organisés pour maintenir la cohésion.
S‟il y eut une éminence grise de Zhixiang qui devint particulièrement influente au
sein d‟une régence collégiale, ce fut sans aucun doute Zhao Jiliang 趙季良 (884-947),
lequel était l‟exemple par excellence d‟un nouveau type de bureaucrate devant surtout
sa position à son expérience et son expertise. Selon sa biographie dans le Jiuguo zhi,
Jiliang était natif de Jiyin 濟陰 dans la préfecture de Caozhou 曹州 (Henan), tandis
que son père aurait été magistrat (ling 令) de Gushu 穀熟 dans la préfecture de
Songzhou 宋州, à une centaine de kilomètres au sud de chez lui. Quant à lui, c‟est
117
dans la commanderie Baoyi 保義 qu‟il aurait débuté sa carrière, entre 908 et 912, à
titre d‟officier judiciaire (tuiguan 推官) à la solde du gouverneur Wang Tan 王檀
(mort en 916)352. En fait, cette dernière commanderie correspondait à une portion de
l‟ancienne commanderie Zhaoyi et avait pour chef-lieu Xingzhou. Ce fut Zhu Wen qui
la rebaptisa en 908 et qui nomma à sa tête Wang Tan353. Jiliang y serait ainsi demeuré
en fonction jusqu‟en 912, suite à quoi il fut muté à Ye 鄴 (Weizhou 魏州), dans la
commanderie voisine de Tianxiong 天雄, sous les ordres de Yang Shihou 楊師厚
(mort en 915)354. Jiliang aurait alors rempli les fonctions d‟administrateur chargé de
consigner les expéditions (silu canjun 司錄參軍) du protectorat-général (dudu fu 都
督府) de Weizhou355, ce jusqu‟en 915, soit jusqu‟au moment où l‟armée de la
principauté de Jin fit son entrée à Weizhou356.
Comme « Jiliang était aussi bien doué pour les lettres que pour les armes » 以季
良有文武才略, Li Cunxu le nomma enquêteur judiciaire de la cour suprême de justice
(dali pingshi 大理評事), commandant de l‟armée Yisheng 義勝軍 et administrateur
chargé de consigner les expéditions. De plus, ajoute le Jiuguo zhi, « lorsque des bruits
de complots couraient dans l‟armée, c‟était souvent avec lui qu‟il (Li Cunxu) en
discutait » 軍中謀議, 多以諮之357. Par la suite, après 923, il fut entre autres promu
au poste d‟assistant-gouverneur (xiaoyin 小尹) de la préfecture-supérieure de
Xingtang (興唐府)358. Lorsque Tang Mingzong accéda au trône en 926, il fut affecté à
la cour où il fit la connaissance du grand ministre et président de la Commission de
352
JGZ 7. 1.
WDHY 24. 382; JWDS 22. 302-305; XWDS 2. 18; ZZTJ 267. 8716.
354
Le contrôle du Hebei était alors une importante source de tension entre la dynastie Liang et la
principauté de Jin. Ainsi, le très stratégique département de Weizhou était alors ardemment convoité par
Li Cunxu, tandis que pour Zhu Wen il s‟agissait d‟un des rares lieux d‟où pouvait s‟organiser une
puissante offensive contre les Jin. C‟est dans ce contexte que le grand général Yang Shihou y fut envoyé
en 912 afin d‟y consolider les forces. Voir Wang Gungwu (2007 : 117-122); Naomi Standen (2007 :
68-72); JWDS 22. 295-298; XWDS 23. 235-237; ZZTJ 268. 8760.
355
JGZ 7. 1.
356
De 912 et 915, Yang Shihou parvint à établir à Weizhou une solide base de pouvoir effrayant la cour
de Kaifeng qui le nomma prince de Ye 鄴王. À la mort de Yang, la cour chercha à rétablir son autorité
sur Weizhou en divisant l‟armée de Yang. Il s‟en suivit une importante mutinerie par laquelle les mutins
appelèrent Li Cunxu à la rescousse. Dès lors, la dynastie Liang perdit tout espoir de contrôler les
provinces du Hebei. Voir Wang Gungwu (2007 : 122); ZZTJ 269. 8786-8787.
357
JGZ 7. 1-2.
358
Il s‟agissait toujours de Weizhou, préfecture rebaptisée en 923 Xingtang, c‟est-à-dire « Restauration
Tang ». Voir ZZTJ 272. 8883; JWDS 69. 912; XWDS 60. 738.
353
118
l‟exploitation du fer et du sel (yantie shi 鹽鐵事) Ren Yuan 任園359, lequel en fit son
assistant. Enfin, l‟année suivante, il fut d‟abord nommé président du Ministère des
revenus (hubu shangshu 戶部尚書), après quoi il fut envoyé au Xichuan comme
délégué du Bureau des nominations (guangao shi 官告使) et commissaire du système
de transport des trois provinces de Chuan (san Chuan du zhuanyun zhizhi shi 三川都
轉運制置使)360.
La présence de Zhao Jiliang au Xichuan reflétait sans doute un désir de la cour
d‟y accroître l‟efficacité de son système de perceptions fiscales. De ce point de vue, il
ne semblait pas faillir à sa tâche puisque quelques mois après son arrivée, il aurait
acheminé vers Luoyang un lourd convoi chargé de métaux et de tissus361. Il ne reste
qu‟à déterminer dans quelle mesure les chargements étaient réguliers. Mais ce qu‟il
importe de retenir est qu‟à son arrivée à Chengdu, Jiliang était déjà un homme d‟État
versatile et expérimenté. Non seulement dans le domaine de l‟administration
financière et la gestion de ressources humaines et matérielles, mais également au
niveau des pratiques juridiques, voire même diplomatiques et militaires. Grâce à son
expérience de scribe militaire notamment, on comprend bien que celui-ci en apprit
énormément sur la logistique et la stratégie. De plus, le fait d‟avoir servit dans une
zone frontalière périlleuse caractérisée par d‟incessants revirements d‟alliances, où il
fit possiblement l‟expérience d‟une vaste mutinerie en 915, lui donna certainement
l‟occasion d‟apprendre à négocier les allégeances. Compte tenu de ses précieux atouts,
nous comprenons donc pourquoi Zhixiang s‟empressa de retenir ses services, ce
malgré les oppositions réitérées de la cour qui avait d‟autres projets pour lui362.
Décidément, Zhao Jiliang était de ceux sur qui Meng Zhixiang fondait de grands
espoirs au moment d‟être proclamé empereur. De telle sorte qu‟en 934, Jiliang fut
nommé vice-président de la Chancellerie impériale et ministre des travaux (sikong 司
空). De plus, il aurait été affecté à la supervision de l‟une des Trois agences fiscales
(pan sansi 判三司), c‟est-à-dire le Ministère du cens, tandis que la supervision de la
359
360
361
362
Pour les biographies de Ren Yuan, voir JWDS 67. 894-896; XWDS 28. 305-307.
JGZ 7. 2; ZZTJ 275. 8994.
ZZTJ 275. 8997.
JGZ 7. 2; XWDS 28. 317.
119
Commission de l‟exploitation du fer et du sel et le Ministère des revenus (pan duzhi
判度支) furent respectivement confiés à Wu Zhaoyi 毋昭裔 et Zhang Zhiye 張知業
(889-946)363, lesquels seront discutés plus loin.
Enfin, lorsque la vie de Zhixiang prit fin, six mois après la proclamation du
régime, Jiliang devint aussitôt ministre de l‟instruction (situ 司徒) et gouverneur du
Shannan occidental364. D‟une part, sa nomination au poste de ministre de l‟instruction
semblait directement liée à la conjoncture mettant sur le trône un jeune orphelin,
duquel il devint apparemment le précepteur. D‟autre part, une contradiction semble
apparaître devant la désignation simultanée de Jiliang à un poste de gouverneur de
commanderie. Toutefois, il ne semble pas que Jiliang fut réellement en fonction au
Shannan, il ne s‟agissait probablement que de placer cette région frontalière sous
l‟autorité immédiate de la cour et de n‟y affecter que des préfets devant se rapporter
directement à celle-ci.
Malgré son rôle capital, Zhao Jiliang n‟était définitivement pas investi d‟une
autorité hégémonique, lui qui devait partager le pouvoir avec les autres collaborateurs
de Meng Zhixiang. En fait, toute la stabilité et le futur du royaume dépendaient du bon
fonctionnement d‟une gouvernance collégiale à laquelle participaient de nombreux
individus. Naturellement, nous pouvons penser aux préfets qui se coalisèrent avec
Zhixiang à l‟occasion des crises avec la cour de Luoyang. À l‟instar de Zhixiang et
Jiliang, ceux-ci semblaient dans l‟ensemble tous provenir de familles provinciales
émergeantes ayant soutenu les régimes septentrionaux, dont la dynastie Liang qui fit
table rase sur l‟héritage aristocratique de la dynastie Tang. Appartenant à une nouvelle
génération d‟individus souvent nés après la rébellion de Huang Chao, ceux-ci étaient
en un sens les produits d‟un contexte de professionnalisation.
Ce fut apparemment le cas de gens comme Zhao Tingyin 趙庭隠 (884-950)365
et Zhang Zhiye, lesquels entreprirent tous les deux leur carrière au service de la
363
Zhiye est généralement appelé Ye 業, le caractère zhi 知 étant soustrait car son emploi constituait
la violation d‟un tabou liée au fait qu‟il s‟agissait du même caractère zhi que dans le nom de Meng
Zhixiang, voir SGCQ 51. 7. Seule L’ancienne histoire des Cinq dynasties (JWDS 44. 603) le désigne
par son nom d‟origine.
364
JGZ 7. 2; ZZTJ 279. 9103, 282. 9212-9213; XWDS 64. 802; STW 45. 34-35.
365
Le caractère ting dans le nom de Zhao Tingyin se lit parfois 廷 plutôt que 庭.
120
dynastie Liang. Ce qui n‟est guère surprenant puisque l‟un et l‟autre seraient nés à
Kaifeng, à l‟époque où Zhu Wen n‟était encore que le gouverneur de la commanderie
Xuanwu366. Grâce au Jiuguo zhi, nous pouvons notamment apprendre que Tingyin
provenait d‟une famille de fonctionnaires mineurs possiblement en poste au niveau
local367. Toutefois, il est difficile de savoir par quelle voie précise il fut recruté et à
quel type de fonctions il fut d‟abord affecté. À l‟opposé, dans le cas de Zhiye, bien
qu‟ayant aucune indication sur les origines sociales de sa famille, le Jiuguo zhi nous
apprend qu‟il fit son entrée à la cour de Kaifeng en tant qu‟officier de palais (gongfeng
guan 供奉官)368. Outre ces menus détails, nous savons également qu‟ils furent tous
les deux en poste au Hebei à l‟époque où la guerre pour le contrôle de cette région
battait son plein entre les Liang et les Jin. Toujours selon le Jiuguo zhi, Tingyin aurait
ainsi été un superviseur impérial (dujian 都監) de la dynastie Liang affecté à
Xingzhou369. Ce qui devrait nous placer avant 915, année durant laquelle les Jin
prirent le contrôle de la majeure partie du Hebei. Quant à Zhiye, à pareille date, il
aurait été chargé par Kaifeng de prendre la direction d‟un protectorat (jianhu 監護)
situé sur la frontière entre le Hebei et le Hedong370. Toutefois, contrairement à Zhao
Jiliang qui était également en poste au Hebei, Zhiye comme Tingyin s‟en retournèrent
à Kaifeng après 915 pour y recevoir de nouvelles affectations de la dynastie Liang, au
service de laquelle ils demeurèrent pour encore quelques années.
Ce serait certainement mentir que de dire que Li Cunxu embaucha Zhao Tingyin
et Zhang Zhiye pour leurs aptitudes administratives comme ce fut le cas avec Zhao
Jiliang. Bien au contraire, il semblerait plutôt que ce fut parce qu‟ils étaient des
soldats d‟expérience et de fins stratèges. Ainsi, une de leur première mission fut de se
mettre à la tête de troupes et de prendre part à la reconquête de Shu, où ils allaient par
la suite demeurer. Si nous ne saurions détailler l‟ensemble de leurs tâches au cours des
premières années d‟occupation, en revanche il est clair que leur principal mandat était
alors le maintien de l‟ordre et de la stabilité politique. Ce qui se perçoit amplement
366
367
368
369
370
JGZ 7. 3, 5; STW 45. 37; ZZTJ 272. 8895; SGCQ 51. 4.
JGZ 7. 3.
JGZ 7. 5.
JGZ 7. 3.
JGZ 7. 6.
121
lorsque nous considérons le rôle critique qu‟ils jouèrent dans la répression de la
révolte de Kang Yanxiao 康延孝 (mort en 926), également connu sous le nom de Li
Shaochen 李紹琛 que lui conféra Li Cunxu en 923371. Comme Tingyin et Zhiye,
Yanxiao était un ancien officier de la dynastie Liang qui passa à l‟emploi de Li Cunxu
et qui fut envoyé à Shu au sein du corps expéditionnaire. Or, peu après que Zhixiang
entra en fonction à Chengdu, frustré d‟être ignoré par la cour pour une nomination à
un poste de gouverneur, Yanxiao aurait tenté de soumettre par la force la région à son
propre compte afin de se faire lui-même gouverneur du Xichuan372.
En vertu de l‟assistance salutaire qu‟ils apportèrent à Zhixiang et à la cour de
Luoyang en reprenant le contrôle de préfectures clefs sur lesquelles Yanxiao s‟abattit,
Tingyin et Zhiye se virent l‟un et l‟autre confirmés à un poste de préfet. Le premier en
tant que préfet de Hanzhou 漢州, le second en tant que préfet de Jianzhou 簡州373.
Étant à la tête de préfectures du Xichuan, ceux-ci devaient certes êtres des alliés de
Meng Zhixiang, toutefois, nous ne saurions dire s‟ils étaient à proprement parler ses
dépendants. En fait, un peu comme le fit jadis la dynastie Liang pour affermir son
autorité en province, il semble que la cour de Luoyang chercha alors à contrôler la
nomination des préfets et à augmenter leurs pouvoirs dans le but de réduire
l‟autonomie des gouverneurs. Ainsi, en 927 aurait été imposé à Suizhou 遂州 un
nouveau préfet du nom de Xia Luqi 夏魯奇 (mort en 931)374, tandis qu‟en 929 à
Langzhou 閬州 aurait été imposé Li Renju 李仁矩 (mort en 930)375, deux protégés
d‟An Chonghui. Selon toute vraisemblance, en envoyant ses clients occuper certaines
préfectures stratégiques de la région, ce commissaire du Bureau des affaires militaires
aurait ainsi tenté d‟isoler Meng Zhixiang et Dong Zhang pour mieux les limoger. À
tout le moins, c‟est ce que semble expliquer les nominations de Yang Hanbin 楊漢賓
(mort en 936) au poste de préfet de Qianzhou 黔州, de Zhang Wen 張溫 à la tête de
371
ZZTJ 272. 8905.
ZZTJ 274. 8960-8966; JWDS 74. 967-970; XWDS 44. 485-487.
373
JGZ 7. 4, 6; SGCQ 51. 4, 7.
374
JWDS 38. 531, 70. 928.
375
JWDS 40. 555; ZZTJ 276. 9034. Officiellement, Renju serait devenu gouverneur de la commanderie
Baoning 保寧 établie en cette même année 929. Cependant, cette commanderie correspondait grosso
modo à l‟ancienne préfecture de Langzhou, à laquelle fut annexée Guozhou 果州. Ainsi, en dépit de
son titre, le statut de Renju semblait davantage correspondre à celui de préfet.
372
122
Yangzhou 洋州 et de An Chongruan 安崇阮 (mort en 944) envoyé d‟abord à
Qianzhou, ensuite à Kuizhou 夔州376. En imposant notamment ce dernier comme
préfet, nous pouvons clairement y déceler les intentions de Chonghui à l‟endroit de
Zhixiang. Ainsi pouvons-nous apprendre que Chongruan fut l‟un de ceux qui, en 889,
planifia l‟offensive contre Meng Fangli, l‟oncle de Zhixiang377.
Compte tenu de ce contexte, nous comprenons donc pourquoi Meng Zhixiang se
plaignit de se voir imposer des préfets, ce qui à ses yeux constituait une atteinte à ses
prérogatives378. Ainsi la guerre fut déclenchée! Dans un premier temps, Zhixiang et
ses partisans se seraient alliés au camp de Dong Zhang pour vaincre les protégés d‟An
Chonghui, lesquels furent secondés par une puissante armée dirigée par le grand
général Shi Jingtang, le futur empereur fondateur des Jin postérieurs. Dans un
deuxième temps, une fois l‟offensive du Bureau des affaires militaires mise en échec
et son président mort, une nouvelle guerre débuta entre Meng Zhixiang et Dong Zhang
qui s‟accusaient mutuellement de vouloir subjuguer l‟autre379. En 932 Zhixiang obtint
ainsi une cinglante victoire sur Dong Zhang, grâce à laquelle il unifia de nouveau le
Xichuan et le Dongchuan pour finalement se proclamer empereur de Shu en 934.
De toutes ces batailles, Zhao Tingyin et Zhang Zhiye furent des généraux de
premier plan. À l‟image de cette influence martiale prépondérante, suivant la
pacification et l‟unification de Shu en 932, ils échangèrent leur titre de préfet pour
celui de gouverneur. Ainsi, de 932 à 935 Tingyin fut gouverneur de la commanderie
Baoning, tandis que de 935 à 941 il occupa le poste de gouverneur de la commanderie
Wude 武德, dont le centre était Zizhou, l‟ancienne capitale provinciale du
Dongchuan380. De la même manière, Zhiye fut gouverneur de la commanderie
Ningjiang 寧江 de 932 à 934, suite à quoi il devint gouverneur de la commanderie
Wuxin 武信 de 934 à 938381. Mais, en dépit de leurs origines obscures, de leurs
expériences passées et de leurs titres militaires, les fonctions dont ils étaient
376
JWDS 40. 550.
JWDS 90. 1186.
378
JWDS 40. 547.
379
Sur ces événements, voir JWDS 62. 831-834; XWDS 64. 798-802; ZZTJ juan 276- juan 278.
380
JGZ 7. 5; XWDS 64. 802; JWDS 44. 603; ZZTJ 277. 9072, 282. 9220; Zhu Yulong (1997 : 553,
567).
381
JGZ 7. 6; XWDS 64. 802; JWDS 44. 603; ZZTJ 281. 9185; Zhu Yulong (1997 : 560, 584-585).
377
123
réellement investis après 934 dépassaient de loin le strict cadre de la commanderie et
ne se bornaient nullement aux questions militaires. En fait, non seulement ceux-ci ne
semblaient plus être en poste dans les commanderies dont ils étaient les gouverneurs,
mais aussi étaient-ils concurremment affectés aux plus hautes fonctions civiles de la
cour. D‟une part, Tingyin aurait été président du Secrétariat382. D‟autre part, Zhiye
aurait été vice-président du Département des affaires d‟État et vice-président du
Secrétariat, ce tout en partageant la supervision des Trois agences fiscales avec Zhao
Jiliang et Wu Zhaoyi383.
Certes, comme ce fut le cas sous les Shu antérieurs, ces derniers titres octroyés à
des gouverneurs de commanderie pourraient s‟avérer être des titres honorifiques
n‟impliquant pas de responsabilité à la cour. Toutefois, ce n‟est pas l‟opinion de Sima
Guang. En effet, celui-ci soutient que depuis l‟instauration du régime en 934, dans
plusieurs cas les gouverneurs étaient en poste à Chengdu, d‟où ils dominaient les
armées palatines déléguées dans les commanderies par l‟entremise de subalternes
députés sur le terrain384. En l‟occurrence, comme nous le constaterons dans la section
suivante, il s‟agissait des préfets qui, chacun à l‟intérieur de leur préfecture respective,
se partageaient l‟administration des commanderies en vertu des titres qui les liaient
aux armées palatines, donc aux gouverneurs en poste à la cour qui étaient semble-t-il
les commandants en chef de ces armées. Ainsi, Zhao Tingyin aurait été commandant
en chef des troupes de l‟armée palatine Weisheng (Weisheng mabu du zhihui shi 衛聖
馬步都指揮使)385.
Il est difficile de savoir quel type d‟éducation Zhao Tingyin et Zhang Zhiye
reçurent et en quoi ils se qualifiaient pour occuper des emplois bureaucratiques à la
cour. Cependant, nous présumons qu‟ils étaient minimalement instruits et que le seul
fait d‟avoir joué un grand rôle militaire dans la fondation de l‟État ne suffit pas à leur
valoir des responsabilités administratives à la capitale. Ainsi pouvons-nous nous
reporter au contre-exemple que représentait Li Zhao 李肇 (875-945), lui-même un
382
JGZ 7. 5; ZZTJ 282. 9220.
ZZTJ 281. 9185, 282. 9212-9213.
384
ZZTJ 282. 9220.
385
ZZTJ 282. 9220; JGZ 7. 5. À propos des nombreux noms donnés aux diverses armées palatines, voir
Du Wenyu (2006 : 479-480).
383
124
ancien de la commanderie Xuanwu ayant grandement contribué à la fondation du
régime grâce à ses exploits militaires. Or, sa biographie dans le Jiuguo zhi nous
apprend qu‟il était analphabète et que, par conséquent, il ne parvint à obtenir aucun
emploi à la capitale386. À défaut d‟avoir des renseignements explicites, certaines
informations tendent néanmoins à indiquer que Tingyin était un homme valorisant la
culture. D‟une part, le Shu taowu nous informe qu‟il était très proche d‟un dénommé
Sun Yanying 孫延應, lequel aurait été directeur de l‟Institut impérial de musique
(jiaofang butou 教坊部頭)387. D‟autre part, il s‟avère que le compilateur de la célèbre
compilation Parmi les fleurs (Huajian ji 花間集) était son fils, Zhao Chongzuo 趙崇
祚, et que la préface fut rédigé par Ouyang Jiong 歐陽炯, lequel était alors son
assistant-administratif (panguan)388.
Aussi pertinent soit-il, le cas de Zhao Tingyin ne devait pas être très exceptionnel
pour l‟époque, pas plus à la cour de Chengdu qu‟ailleurs. Ainsi pouvons-nous penser à
Zhang Gongduo 張公鐸 (883-945), un ancien lieutenant de Meng Zhixiang devenu
grand ministre, gouverneur de la commanderie Baoning de 935 à 941 et commandant
en chef de l‟armée palatine Bangsheng-Konghe (Bangsheng Konghe du zhihui shi 棒
聖控鶴都指揮使)389. Selon ce que nous apprend le Jiuguo zhi, Gongduo serait né à
Taiyuan d‟un père du nom de Zhang Xiang 張項, lequel était un officier de cavalerie
de Yizhou 儀州 au Hedong, à la frontière de Xingzhou. Juste avant de se mettre en
route vers Shu, apprenons-nous, Gongduo aurait été embauché dans la garde
personnelle de Meng Zhixiang, alors que ce dernier était gouverneur de Taiyuan entre
923 et 926. Néanmoins, en dépit de ce à quoi nous pourrions nous attendre, nous
386
JGZ 7. 7.
STW 45. 36.
388
Ledit Ouyang Jiong pourrait être une autre personne que le Ouyang Jiong 歐陽迥 que nous avons
rencontré plus tôt. Du moins, le Shiguo chunqiu leur accorde deux biographies différentes. Voir SGCQ
52. 14, 56. 2-3. Pour consulter cette préface qui date de 940, voir l‟édition de la dynastie Song publiée
sous le titre Song ben Huajian ji 宋本花間集 (Taibei : Yiwen yinshu guan, 1959), ainsi que Lois
Fusek, trad., Among the Flowers : The Hua-chien chi (New York : Columbia University Press, 1982).
Pour en apprendre davantage sur le contexte de production de cette compilation, voir Anna M. Shields
(2006). Selon SGCQ 56. 2, Ouyang Jiong aurait débuté comme académicien de Hanlin et
assistant-administratif du gouverneur de la commanderie Wude, lequel en 940 était nul autre que Zhao
Tingyin, dont la biographie du Jiuguo zhi nous communique le nom des fils, incluant Chongzuo.
389
JGZ 7. 9-10; ZZTJ 282. 9221. À l‟origine les armées Bangsheng et Konghe formaient deux armées
distinctes, lesquelles furent unifiées par Meng Zhixiang, voir Du Wenyu (2006 : 481-482).
387
125
apprenons également que Gongduo était passionné d‟histoire et de littérature390.
Bien qu‟entré tardivement au service de Meng Zhixiang, Sun Hanshao demeure
un cas assez représentatif de cette nouvelle élite au contrôle des institutions étatiques
de Shu. Ce qui est d‟autant plus formidable dans son cas, c‟est que la découverte
d‟une épitaphe dans son tombeau en 1991 permet d‟établir un dossier fort détaillé à
son sujet391. Entre autres, nous pouvons apprendre que son grand-père, Sun Fang 孫
昉, était un notable (shijun situ 使君司徒) de Lanzhou 嵐州 au Hedong392.
Toutefois, celui qui attire spécialement notre attention est son père, Sun Chongjin 孫
重進, également connu sous le nom de Li Cunjin 李存進, un fils adoptif de Li Keyong
qui finit par devenir le gouverneur de la commanderie Zhenwu 振武 (actuelle
Mongolie intérieure) après avoir été préfet de diverses préfectures dont Lanzhou393.
Selon toute vraisemblance, c‟est à Taiyuan que Hanshao naquit, grandit et reçut
son éducation, laquelle comportait notamment le maniement de l‟arc et de l‟épée.
Certes, l‟épitaphe ne précise pas si Hanshao reçut un enseignement littéraire. Toutefois
ce silence ne peut être interprété comme une preuve du contraire, car il pouvait
également s‟agir d‟une évidence qui ne valait pas la peine d‟être précisée. En 900,
alors qu‟il était âgé de 16 ans, Hanshao aurait amorcé sa carrière dans la garde
personnelle (suishi junjiang 隨使軍將) de Li Keyong, auprès duquel il demeura
jusqu‟en 904. Alors, il aurait été nommé assistant commandant de la cavalerie (fu
bingma shi 副兵馬使) de l‟armée Dinghai 定海軍, tandis que trois ans plus tard il
fut nommé par décret vice-président du Tribunal des censeurs. Au cours des années à
venir, alors que la guerre était au paroxysme entre l‟empereur Liang et le prince de Jin,
ce fut effectivement au combat qu‟il laissa sa marque et gagna ses galons. Mais il
convient également de noter qu‟au fur et à mesure que le vent tournait en faveur de Li
Cunxu, Hanshao se vit promouvoir à des responsabilités d‟un autre ordre. Ainsi, en
917 il fut nommé conseiller politique (sanji changshi) et président du Tribunal des
censeurs, en 920 commandant en chef des forces protégeant la capitale (laocheng du
390
JGZ 7. 9; STW 45. 37.
Chengdu shi bowuguan kaogu dui (1991 : 16, 26).
392
Dans JWDS 53. 717, il est dit à tort que le grand-père de Hanshao se nommait Quan 佺. Par contre,
selon JGZ 7. 14, il se nommait effectivement Fang, lequel aurait en fait été préfet de Lanzhou.
393
Voir sa biographie individuelle dans JWDS 53. 717-719.
391
126
zhihui shi 牢成都指揮使) et vice-président du Ministère de la guerre (bingbu
shangshu), en 926 vice-président du Département des affaires d‟État (shangshu puye)
et préfet de Caizhou dans la commanderie Zhongwu.
En ce qui nous concerne, le point tournant de la carrière de Hanshao survint en
931 lorsqu‟il fut nommé commandant en chef des troupes d‟infanterie faisant route
vers l‟Ouest (ximian xingying bujun du zhihui shi 西面行營步軍都指揮使). Selon
toute vraisemblance, Hanshao aurait été désigné par Meng Hanqiong pour conduire un
corps expéditionnaire devant permettre d‟endiguer Meng Zhixiang. Ainsi, tout en étant
vice-commandant des troupes impériales du front ouest postées dans la province du
Shannan, en 932 il fut nommé par la cour gouverneur de la commanderie Zhaowu 昭
武 à Lizhou, tandis qu‟en 933 il fut transféré à la tête de la commanderie Wuding 武
定 à Yuanzhou 源州. Au cours de ces deux années, il aurait été sous la supervision
du gouverneur de Fengxiang 鳳翔, Li Congke 李從珂, (885-936), c‟est-à-dire le
dernier empereur des Tang postérieurs Tang Modi 唐末帝 (934-936).
À propos de ce dernier, l‟épitaphe nous révèle explicitement le motif ultime ayant
incité Hanshao à passer dans le camp de Zhixiang, un motif qui pourrait d‟ailleurs être
une des causes à l‟origine de la proclamation du Royaume de Shu postérieur. Ainsi,
nous dit-on, Hanshao entendait continuer d‟assister la maison impériale en demeurant
loyal au successeur de Tang Mingzong, Li Conghou 李從厚 (914-934), que nous
connaissons sous le nom de Tang Minzong 唐閔宗. Toutefois, il n‟entendait pas
soutenir Li Congke, lequel aurait planifié à partir de Fengxiang l‟exécution de
Minzong devant lui permettre d‟usurper le trône pour ce faire empereur. Dans ce
contexte, lui et le gouverneur du Shannan, un autre ancien de la garde de Li Keyong
du nom de Zhang Qianzhao 張虔釗 (882-948)394, choisirent de prêter allégeance à
Meng Zhixiang, lequel fut proclamé empereur de Shu peu après. Il est également à
noter que ce fut suite à ce changement d‟allégeance que le Shannan fut annexé au
394
Le tombeau de Qianzhao fut également découvert à Chengdu en 1977. Une épitaphe mutilée fut
également exhumée. Bien que dans un état acceptable, la qualité de l‟impression de l‟estampille publiée
dans le rapport d‟excavation est de trop piètre qualité pour être utilisée à l‟heure actuelle. Voir Chengdu
shi wenwu guanli chu 成都市文物管理處, « Chengdu shi dongjiao Hou-Shu Zhang Qianzhao mu »
成都市東郊後蜀張虔釗墓, Wenwu 文物 1982. 3, pp. 21-27. Voir ses biographies dans JWDS 74.
973-974; JGZ 7. 10-11.
127
Royaume de Shu, une zone frontalière dont la défense incomba à Qianzhao, lequel
s‟acquitta avec honneur de sa tâche.
À son arrivée à Chengdu, Sun Hanshao se vit aussitôt offrir de nombreux titres,
dont ceux de grand ministre et gouverneur de la commanderie Yongping 永平. En fait,
de la mort de Zhixiang à sa propre mort en 955, Hanshao fut lui aussi appelé à jouer
un grand rôle à la cour et contribua à assurer une stabilité politique au royaume. Mise
à part le fait qu‟il fut gouverneur de quatre commanderies différentes, il fut
notamment président du Secrétariat et commandant en chef de l‟armée palatine
Kuangsheng (Kuangsheng mabu jun du zhihui shi 匡聖馬步軍都指揮使).
Ainsi, une analyse prosopographique de la première génération de grands
ministres à la cour des Shu postérieurs révèle d‟importants changements par rapport
aux Shu antérieurs. Au premier chef, nous avons eu l‟occasion de constater que
plusieurs grands ministres en poste à Chengdu étaient simultanément gouverneurs de
commanderie. Toutefois, étant le plus souvent absents des commanderies, ces
gouverneurs auraient exercé leur autorité en s‟appuyant sur les armées palatines. En
second lieu, nous avons également été en mesure d‟observer que la composition
sociale de la cour avait été chamboulée. Ainsi était-il désormais difficile de trouver
parmi les grands ministres des descendants de grands clans originaires de Chang‟an.
En fait, nous avons plutôt découvert que les grands ministres étaient en général soit
des provinciaux, soit des natifs de l‟une des deux nouvelles capitales qu‟étaient alors
Kaifeng et Taiyuan. De plus, nous avons par la même occasion été amené à constater
que les parents de ceux-ci étaient soit des militaires, soit des petits fonctionnaires de
province. Ainsi, à notre grande surprise, contrairement à la dynastie Jin qui dominait
le Nord au même moment, parmi les grands ministres auxquels nous nous sommes
intéressés, aucun n‟aurait été fils de marchand et aucun n‟aurait obtenu un degré jinshi.
Du moins, nous n‟en trouvons aucune mention. Parmi ceux que nous avons discutés,
tous amorcèrent leur carrière au service de gouverneurs militaires pour lesquels ils
assumèrent diverses responsabilités. Mais malgré le fait qu‟ils avaient pour la plupart
été soldat à un moment de leur vie, leurs champs de compétence semblaient de loin
excéder la seule maîtrise des armes. De telle sorte que si plusieurs grands ministres
128
étaient des hauts-gradés de l‟armée, tous les hauts-gradés de l‟armée n‟étaient
évidemment pas en mesure de prétendre à de tels honneurs. Car, en effet, l‟un des
préalables incontournable semblait demeurer l‟expertise. Par ailleurs, nous ne
voudrions pas induire le lecteur en erreur en disant que seuls des militaires détenaient
le pouvoir politique, ce qui serait faux. Par exemple, le grand ministre Wu Zhaoyi, un
ancien secrétaire (zhang shuji 掌書記) de Zhixiang originaire de Longmen 龍門
(Luoyang), est dépeint dans le Shiguo chunqiu comme un pur érudit n‟ayant jamais été
au combat395.
3. 2 Le développement des préfectures
Sous les Shu antérieurs, nous avons constaté une très nette dissociation entre les
gouverneurs de commanderie et les ministres en poste à la cour. De la même manière,
il était également très commode de discerner les militaires et les bureaucrates, lesquels
apparaissaient comme deux catégories distinctes. À l‟opposé, sous les Shu postérieurs
une telle différenciation semble surannée, en ce sens que militaires et bureaucrates se
confondent trop facilement. Ainsi, non seulement les gouverneurs de commanderie
semblaient désormais en poste à la cour, mais ils étaient également parmi ceux qui
occupaient les plus hautes fonctions. Dans ce contexte, il apparait également que
l‟unité politique et administrative de base dans les relations entre la cour et les régions
n‟était plus la commanderie, mais bien la préfecture. De sorte que les véritables
représentants de l‟autorité hors de la capitale n‟étaient plus les gouverneurs, mais bien
les préfets. Toutefois, bien que titulaires de titres militaires, dans les faits ceux-ci ne
semblaient plus à même d‟exercer une trop grande autorité martiale, puisque l‟étendue
du territoire sur lequel ils avaient juridiction était considérablement réduite. Enfin, ce
fut certainement en augmentant le nombre de subdivisions administratives que la cour
parvint à centraliser le contrôle des forces armées régionales en les annexant aux
armées palatines.
L‟émergence des préfets, la hausse de leurs responsabilités et la valorisation de
leur statut se laissent percevoir à la lecture de l‟épitaphe d‟un dénommé Xu Duo 徐鐸
395
SGCQ 52. 3-4.
129
(888-951), lequel nous serait toujours inconnu si son tombeau n‟avait pas été
découvert à Chengdu en 1985396. Selon l‟épitaphe, son arrière grand-père, Chengzhao
承肇, aurait été un mandataire du Ministère de la justice (xingbu shangshu 刑部尚書)
et un attaché militaire (yaya 押衙) de Zhenzhou 鎮州 (Hebei), tandis que son
grand-père, Lingzhao 令釗, aurait été un recteur du Directoire de l‟éducation (guozi
jijiu 國子祭酒) et un superviseur des armées indigènes et aborigènes (tuke mabu shi
土客馬步使) de Zhenzhou. Quant à son père, Youde 宥德, il aurait été un mandataire
du Ministère des travaux (gongbu shangshu 工部尚書) et un assistant-administratif
(biejia 別駕) en poste à Zizhou. Toutefois, si tel était le cas, nous aimerions bien
savoir à quel moment précis, ce que l‟épitaphe ne dit pas, tandis qu‟aucune autre
source à notre disposition ne mentionne ce dernier. Était-ce sous les Shu antérieurs, ou
à l‟époque où Dong Zhang y était en poste? La seconde option apparait certainement
être la plus vraisemblable si nous considérons que l‟épitaphe débute son récit de la vie
de Xu Duo à partir de 923, alors qu‟il servait dans la garde impériale de Tang
Zhuangzong. Il est donc improbable que son père fut en poste à Shu avant 923. Selon
son épitaphe, ce fut après la mort de Zhuangzong (926) que Xu Duo fut envoyé au
Xichuan à titre de censeur impérial d‟investigation (jiancha yushi 監察御史).
Pourtant, en dépit de ses responsabilités initiales, lesquelles ne sont pas explicites, il se
trouva rapidement au sein des armées de Meng Zhixiang engagées dans la guerre
contre Dong Zhang. Il serait donc invraisemblable que Xu Duo et son père furent à
l‟emploi de Dong Zhang. Mais admettons qu‟il en fut ainsi et que le rédacteur de
l‟épitaphe ait cherché à dissimuler ce détail pour ne pas souiller la réputation de
l‟intéressé, alors pourquoi préciserait-il que Youde était en poste à Zizhou?
Il est donc plus sage d‟assumer que Xu Youde fut un allié de Meng Zhixiang
affecté à Zizhou après que le Dongchuan fut annexé au Xichuan en 932. Quant à Xu
Duo, comme plusieurs lieutenants ayant pris part à la lutte, il se serait vu octroyer un
poste de préfet qui le conduisit d‟abord à Puzhou 普州 (932-935) dans la
commanderie Wuxin, ensuite à Yuzhou 渝州 (935-938) dans la même commanderie.
396
Voir Mao Qiuxue 毛求學, Wang Liming 王黎明, « Chengdu Wufenggang guanchang faxian
Wudai Hou-Shu mu » 成都無縫鋼管厰發現五代後蜀墓, Sichuan wenwu 四川文物 1991. 3, p. 62.
130
En théorie, il aurait donc dû dépendre d‟un gouverneur établi à Suizhou 遂州, le
chef-lieu de la commanderie. Or, les deux gouverneurs de la commanderie qu‟il dut
connaître étaient vraisemblablement en poste ni à Suizhou, ni ailleurs dans la
commanderie. Certes, Li Renhan 李仁罕 (872-934) aurait occupé Suizhou entre 931
et 933, toutefois à ce moment il n‟y était vraisemblablement que député-militaire
(bingma liuhou 兵馬留後) et son autorité ne semblait pas excéder la préfecture même
de Suizhou397. Et si en 934 il portait effectivement le titre de gouverneur, comme le
soutient Sima Guang, en revanche il ne se trouvait probablement plus dans la
commanderie puisqu‟il avait été concurremment nommé à la cour superviseur des Six
armées impériales (pan liujun shi 判六軍事)398. Enfin, après que Renhan fut accusé
de complot et exécuté quelques mois plus tard, Zhang Zhiye devint à son tour
gouverneur de la commanderie tout en étant grand ministre à la cour399.
En étudiant les autres titres dont Xu Duo était titulaire, nous pouvons en fait
comprendre que celui-ci relevait directement de la cour et tenait son autorité en vertu
de sa liaison avec les armées palatines. Ainsi, lorsqu‟il entra en fonction à Puzhou,
celui-ci le fit non seulement en tant que préfet, mais également en tant que
commandant d‟une division de l‟armée Xuanwei 宣威. De plus, il aurait au même
moment été mandataire du Ministère des travaux (gongbu shangshu) et du Ministère
de la guerre (bingbu shangshu), ce qui en théorie devait faire de lui un employé du
Département des affaires d‟État. Ce qui est d‟autant plus vraisemblable qu‟au moment
d‟être muté à Yuzhou, il eut une promotion qui fit de lui un vice-président du
Département des affaires d‟État. Enfin, ce n‟est qu‟à partir de ce moment que
l‟épitaphe précise qu‟à titre de préfet, il avait droit de regard sur toutes les affaires
militaires de la préfecture.
De 938 à sa mort en 951, il occupa le poste de préfet dans encore deux autres
397
Selon JGZ 7. 8, en 931, Li Renhan aurait été chargé de conduire ses troupes vers Suizhou et de
prendre possession des lieux, après quoi il y fut nommé député-militaire. Selon JWDS 44. 603, jusqu‟en
933 il n‟aurait été que député-militaire de Suizhou et superviseur (zhi 知) de la commanderie Wuxin,
tandis qu‟en 933 il aurait été promu gouverneur (jiedu shi) de Suizhou. Toutefois, notons que Renhan
n‟est toujours pas désigné comme étant gouverneur de commanderie, il apparaît plutôt comme le
gouverneur d‟une préfecture, ce qui ne le distingue fondamentalement pas d‟un préfet.
398
ZZTJ 279. 9123; JGZ 7. 8.
399
JGZ 7. 6; ZZTJ 281. 9185.
131
préfectures tout en étant constamment rattaché au Département des affaires d‟État et
aux armées palatines. Au terme de son mandat à Yuzhou en 938, il fut d‟abord rappelé
à la cour pour y recevoir la confirmation de son titre de vice-président du Département
des affaires d‟État, y être nommé au poste de commandant-adjoint (zhihui fushi 指揮
副使) de l‟armée palatine Kuangsheng et y accepter une affectation dans la préfecture
de Quzhou 渠州, où il fut préfet de 939 à 943. Xu Duo aurait donc dû être sous
l‟autorité du gouverneur de la commanderie Baoning dont le chef-lieu était Langzhou.
Or, depuis 935 le gouverneur de cette commanderie était le grand ministre Zhang
Gongduo, lequel fut remplacé en 941 par un simple superviseur et conseiller impérial
(sanji changshi) du nom de Liu Yingtu 劉英圖400. En fait, Xu Duo ne dépendait pas
du tout de Langzhou, mais bien de la cour de Chengdu qui lui confia le plein contrôle
des affaires militaires de Quzhou. Il en fut également de même entre 943 et 947 alors
qu‟il était préfet de Meizhou dans la commanderie Yongping, dont le gouverneur
n‟était qu‟un eunuque et officier de palais du nom de Tian Jingquan 田敬全401.
Au cours de ces années durant lesquelles l‟importance des préfectures prit de
nouvelles proportions, le prestige des préfets en sortit grandi. Ainsi, en 944, Xu Duo
fut l‟objet d‟un anoblissement par la cour qui l‟intronisa Grand maître de l‟ordre du
ruban mauve argenté (jinzi guanglu daifu 金紫光祿大夫), Baron fondateur du comté
de Gaoping (Gaoping xian kaiguo nan 高平縣開國男) et Fondateur solennel d‟une
illustre et noble famille (rongwang zhong shijia yonglong zongzu 榮望重世家永隆宗
祖). Toutefois, sa carrière ne s‟arrêta pas là et il continua de recevoir des affectations
de la cour. Notamment, en 950, il fut affecté à la commanderie Ningjiang dans le
secteur des Trois gorges en tant que fonctionnaire de l‟intérieur et commandant en
chef des armées frontalières. L‟année suivante, il reçut une nouvelle affectation devant
l‟envoyer prendre la direction de la préfecture de Pengzhou 彭州, toutefois il décéda
à 63 ans sans même avoir le temps de quitter l‟armée Ningjiang. Son décès est une
autre occasion de constater l‟étroite association qui unissait ce préfet à la capitale et la
notoriété qu‟il y jouissait. Ainsi, sa dépouille fut rapatriée vers Chengdu pour y être
400
401
JGZ 7. 9; ZZTJ 282. 9221.
ZZTJ 283. 9243.
132
inhumée dans un tombeau majestueux selon les rites funéraires appropriés.
Malheureusement, l‟état actuel des sources ne permet pas de constituer des
dossiers aussi détaillés pour les autres préfets contemporains de Xu Duo. Néanmoins,
grâce aux informations que nous avons pu tirer de son épitaphe, il est tout de même
possible de reconsidérer quelques détails renfermés dans certaines biographies
individuelles et de voir s‟il est possible d‟identifier un nombre de caractéristiques
communes aux autres préfets du Royaume de Shu postérieur. Quatre notices
biographiques issues du Jiuguo zhi ont particulièrement retenu notre attention en
raison du fait qu‟elles se rapportent à des individus ayant été préfet durant la majeure
partie de leur carrière. Il s‟agit de dénommés Zhao Jin 趙進 (893-954), Shi Chuwen
石處溫, Meng Sigong 孟思恭 (885-957) et Shen Gui 申貴.
Zhao Jin serait un natif de Dingzhou 定州 (Hebei) qui, probablement après que
la principauté de Jin ait conquis le Hebei (915), amorça sa carrière comme archiviste
(ji 籍) dans la commanderie Tianxiong. En 926, en raison de ses succès au combat, il
aurait notamment été nommé préfet de Beizhou 貝州 et commandant de la garnison
(yanei zhihui shi 衙内指揮使) de la capitale provinciale de Ye (Weizhou). Toutefois,
environ un an plus tard, il fut envoyé au Xichuan par la cour de Luoyang afin d‟y être
préfet de Yazhou, ce qui aurait enragé Meng Zhixiang frustré de se voir imposer un
préfet. Néanmoins, grâce à la médiation de Zhao Jiliang, qui connaissait peut-être déjà
Zhao Jin du temps où lui-même était en poste dans la commanderie Tianxiong,
Zhixiang finit par accepter sa nomination. Ce qui ne s‟avéra manifestement pas trop
nuisible puisqu‟il demeura loyal à Zhixiang à l‟occasion de tous les conflits et qu‟il
servit le royaume jusqu‟à sa mort à l‟âge de 61 ans. Ainsi, suite à l‟avènement de
Meng Chang, à titre de commandant de l‟armée palatine Kuangsheng, il aurait été
successivement préfet des préfectures de Zhongzhou 忠州(commanderie Ningjiang),
Fengzhou 鳳州 (commanderie Xiongwu 雄武), Qiongzhou 邛州 (commanderie
Yongping) et Puzhou (commanderie Wuxin)402.
Shi Chuwen serait quant à lui né à Shu dans la préfecture de Wanzhou 萬州
(commanderie Ningjiang). Ainsi fut-il d‟abord employé par les Shu antérieurs à un
402
JGZ 7. 20-21.
133
poste d‟administrateur militaire (sima) dans la préfecture de Lizhou, le chef-lieu de la
commanderie Zhaowu. Par contre, à l‟arrivée de Meng Zhixiang au Xichuan, il serait
retourné dans sa préfecture natale pour y assumer les responsabilités de fonctionnaire
de l‟intérieur et y commander les milices, tandis qu‟après l‟ascension de Meng Chang,
il fut nommé préfet de Jiangzhou 獎州403. Là-bas, selon le Jiuguo zhi, il aurait été très
actif dans la vie sociale et économique, notamment par son implication dans le forage
de puits et l‟accumulation de grains, dont il céda une bonne partie devant constituer
les réserves alimentaires de l‟armée, sans parler des joyaux envoyés en tribut, ce qui
lui mérita le titre de ministre des travaux (sikong). Peu après, il fut de nouveau en
poste à Wanzhou, cette fois-ci en tant que préfet, suite à quoi il fut transféré dans la
préfecture de Jianzhou 簡州, à une cinquantaine de kilomètres de Chengdu404.
Pour sa part, Meng Sigong était originaire de Xuzhou, où son père aurait connu
Wang Jian en qualité de gardien de prison dans les années 870. À la chute de la
dynastie Tang, il aurait ainsi suivit son père à Shu, lequel fut d‟abord préfet de
Jianzhou, ensuite capitaine de milice (tuanlian shi) à Hanzhou. Selon le Jiuguo zhi,
apparemment en raison de sa culture littéraire et de ses aptitudes militaires, Sigong
aurait été un favori de Wang Jian, lequel lui donna une de ses filles en mariage.
Toutefois, pour des raisons qui nous sont inconnues, au moment où Wang Yan hérita
du trône, il aurait été muté sur les marches du royaume en tant que commandant de
l‟armée de route du Nord (beilu xingying du zhihui shi 北路行營都指揮使). Ainsi,
Sigong fit fort possiblement parti des armées engagées dans la défense de Shu contre
les forces d‟invasion des Tang postérieurs, avant d‟être vaincu et intégré à celles-ci.
Après 926, il fit donc parti des rangs à la disposition de Meng Zhixiang, et comme tel
il fut engagé au combat contre Dong Zhang, vraisemblablement en tant qu‟adjudant de
Zhao Tingyin. Lorsque Meng Chang succéda à son père, il aurait d‟abord été nommé
commandant de l‟armée palatine Xiongyi 雄義 en garnison à Zizhou, chef-lieu de la
commanderie Wude dont Tingyin était gouverneur. Par la suite, étant investi du titre
403
Nous ne parvenons pas à identifier une préfecture du nom de Jiangzhou à l‟intérieur des frontières
du Royaume de Shu. La seule préfecture de ce nom que nous connaissons à cette époque se trouve au
sud de Shu, dans le Royaume de Chu 楚. Il se pourrait donc que le caractère « Jiang » tel qu‟écrit dans
le Jiuguo zhi soit corrompu.
404
JGZ 7. 21-22.
134
de commandant de l‟armée palatine Feizhao 飛棹, Sigong fut notamment préfet des
préfectures de Jianzhou 劍州 (commanderie Wude) et Zhongzhou405.
Enfin, Shen Gui était originaire de Luzhou dans le Sud du Hedong, aux frontières
du Hebei. Il aurait débuté sa carrière comme aide de camp de Li Yanke, l‟un des
principaux généraux engagés dans la guerre contre la dynastie Liang qu‟il contribua à
renverser avant de devenir préfet de Weizhou 衛州 (Hebei), légèrement au sud-est de
Luzhou406. Vraisemblablement, il se pourrait que Shen Gui se rendit à Fengxiang en
926 lorsque Yanke y fut nommé gouverneur. Toutefois, à un moment situé entre 926 et
930, Shen Gui aurait choisi de passer au service de Meng Zhixiang qui lui conféra un
poste de commandement. Sous le règne de Meng Chang, en plus d‟avoir été
commandant de l‟armée palatine Weisheng, il aurait été préfet des préfectures de
Changzhou 昌州, Yuzhou 渝州, Wenzhou 文州 (commanderie Tianxiong) et
Meizhou. Selon le Jiuguo zhi, dans le cadre de ses fonctions de préfet, il aurait entre
autres été accusé de pratiquer l‟extorsion fiscale, d‟infliger des mauvais traitements
aux sujets sous son autorité et de libérer des gens de prison contre rançons407.
En comparant les données recueillies sur cinq préfets discutés, tâchons de tenter
une brève synthèse. Premièrement, nous avons non seulement constaté que parmi
lesdits préfets tous émergèrent d‟un contexte provincial, mais également que les natifs
du Nord-est semblaient prédominants. Rappelons ainsi qu‟il s‟agissait d‟individus
ayant soit fait l‟expérience de la dynastie Liang ou de la principauté de Jin, deux
régimes sous lesquels les préfets s‟imposèrent très tôt comme les principales figures
d‟autorité. Toutefois, bien que moins bien représentés dans les sources, comme
l‟illustre le cas de Shi Chuwen, nous devons certainement reconnaître que le nouvel
État ne pouvait se dispenser de recruter des préfets parmi les élites indigènes,
lesquelles pouvaient sans doute mobiliser plus efficacement nombre de ressources
indispensables.
Deuxièmement, tous les préfets analysés avaient préalablement des expériences
liées à l‟armée, et tous, à l‟exception de Shi Chuwen, étaient attachés aux armées
405
406
407
JGZ 7. 22.
JWDS 46. 626.
JGZ 7. 22-23.
135
palatines dans le cadre de leurs fonctions. Cependant, il ne semble pas que les
compétences dont ils firent l‟acquisition par le passé se limitaient à la conduite de la
guerre. Rappelons par exemple que Zhao Jin avait été un archiviste militaire, Xu Duo
un censeur d‟investigation et Shi Chuwen un administrateur militaire. De la même
manière, à titre de préfets, ceux-ci ne devaient pas avoir que des responsabilités liées à
la sécurité locale. Ainsi, les cas de Shen Gui et Shi Chuwen nous ont clairement révélé
que les préfets étaient chargés de faire rentrer les impôts, ce tout en jouant un rôle
crucial dans la vie économique et en organisant certaines exploitations.
Enfin, nous avons également vu qu‟il s‟agissait d‟individus ayant été préfet dans
plusieurs préfectures souvent séparées par des distances considérables et appartenant à
des commanderies différentes. Ce qui tend à démontrer que la cour contrôlait les
nominations. Certes, de manière à remplir leurs diverses obligations, les préfets
devaient êtres investis de pouvoirs étendus et ainsi disposer de pouvoirs judiciaires.
Ainsi Shen Gui pouvait de son propre chef faire arrêter et libérer des gens. Toutefois,
si leurs pouvoirs étaient considérables, ceux-ci n‟étaient pas pour autant illimités et la
cour avait les moyens de les surveiller et de les faire condamner pour des abus de
pouvoir. Ce qui fut notamment le cas pour Shen Gui, lequel, après avoir été incriminé,
paya de sa vie pour ses forfaits.
3. 3 Une bureaucratie renouvelée, un État transformé
L‟influence de la première génération de ministres et d‟officiers du Royaume de
Shu postérieur fut à n‟en point douter extrêmement profonde. De telle sorte qu‟au
moment où les derniers d‟entre eux rendirent l‟âme, les structures étatiques étaient
devenues méconnaissables par rapport à ce quelles étaient en 925. Notamment, on
assista à l‟émergence d‟un État dominé par une nouvelle classe de bureaucrates
professionnels n‟ayant jamais été à l‟emploi de l‟armée, au nombre desquels des natifs
de Shu commencèrent à occuper une place considérable. En fait, comme nous le
démontrerons, un des corollaires d‟une telle évolution avait été la pénétration accrue
de l‟État dans les sociétés locales grâce au développement des préfectures comme
unités politico-administratives de base. C‟est-à-dire que, dans son effort de
136
centralisation, la cour dut doter les préfectures d‟une organisation administrative plus
vaste et plus complexe, ce qui augmenta les besoins en personnel qualifié. Dans ce
contexte, on vit ainsi se mettre en place un système d‟examens de sélection
bureaucratique soutenu par un système d‟éducation plus ample que par le passé.
La tendance à la professionnalisation bureaucratique se fit davantage sentir
lorsqu‟une nouvelle génération de grands ministres prit la direction des affaires d‟État
à la cour vers la fin des années 940. Parmi les plus connus, mentionnons notamment
Li Hao, lequel comptait déjà plus de trente années d‟expérience bureaucratique quand
il devint vice-président de la Chancellerie impériale et président du Ministère des
finances en 948408. Deux autres cas tout aussi révélateurs auxquels nous pouvons
penser sont Fan Renshu 范仁恕 et Xu Guangpu 徐光溥. Le premier aurait entre
autres servi une dizaine d‟années la cour de Meng Chang en tant que vice-président du
Tribunal des censeurs avant de devenir vice-président du Secrétariat impérial et
président du Ministère des fonctionnaires en 952409. Quant au second, il était un lettré
originaire de Shu qui débuta sa carrière sous Meng Zhixiang comme assistant
superviseur (guancha panguan), suite à quoi il devint académicien de Hanlin,
vice-président du Ministère de la guerre et finalement, en 948, vice-président du
Secrétariat impérial et président du Ministère des rites410. Ainsi sommes-nous en
présence de trois grands ministres n‟ayant apparemment jamais été au combat et dont
les vocations semblaient exclusivement liées aux lettres et aux métiers administratifs.
Enfin, notons qu‟au moins l‟un d‟eux était natif de Shu.
En fait, il semblait y avoir un effet de causalité entre la présence accrue de l‟État
dans des zones de plus en plus reculées et l‟augmentation significative à la cour de
fonctionnaires nés dans de tels endroits. Prenons par exemple Xing Yinxun 幸寅遜,
lequel aurait débuté sa carrière sous Meng Chang comme intendant de grenier (canjun)
408
ZZTJ 288. 9395; SS 479. 13890-13893; SGCQ 52. 10. Li Hao était apparemment un des rares
descendants de grands clans aristocratiques originaires de Chang‟an qui parvint à se maintenir dans la
bureaucratie durant toute la période et dont les propres descendants réussirent également à se perpétuer
dans la bureaucratie. D‟ailleurs, il fut un des rares à vivre suffisamment longtemps pour connaître de
son vivant la dynastie Tang et la dynastie Song. Toutefois, nous ne croyons pas que son statut élevé
continuait de justifier par son appartenance à un grand clan. Voir David G. Johnson (1977 b : 71-72).
409
ZZTJ 290. 9463; STW 45. 38; SGCQ 52. 14.
410
ZZTJ 288. 9395; SGCQ 52. 12-13.
137
dans la préfecture de Maozhou, suite à quoi il fut embauché à la cour où il occupa de
nombreuses fonctions. Notamment, il aurait été directeur du Bureau de surveillance
des portes de la capitale (simen langzhong 司門郎中), secrétaire au Secrétariat
impérial chargé de la rédaction des édits impériaux (zhizhigao 知制誥), secrétaire de
la Chancellerie et employé du Bureau d‟historiographie (shiguan xiuzhuan 史館修撰)
affecté à la compilation de L’histoire des Shu antérieurs (Qian-Shu shu 前蜀書)411.
Or, un fait intéressant dans le cas de Yinxun est qu‟il provenait d‟un endroit nommé
Yun‟an jian 雲安監 dans la préfecture de Kuizhou, à plus de cinq cent kilomètres à
l‟est de Chengdu et Maozhou412. Comme le suffixe jian l‟indique, son foyer natal se
serait donc situé dans une zone minière dont les intérêts économiques requéraient une
présence étatique et administrative particulière. Or, il semblerait effectivement que
Yun‟an était alors sujet à un strict encadrement de la cour. Ainsi savons-nous que cette
enclave eut très tôt à sa tête un commissaire à l‟exploitation du sel nommé par la cour
dont le nom était Yi Shenzheng 伊審徴 (914-988)413, lequel aurait été succédé en
951 par Wu Shousu 毋守素 (921-973), le fils de Wu Zhaoyi414. Le cas particulier de
Xing Yinxun et Yun‟an attesterait donc d‟une importante mobilité géographique chez
certaines élites indigènes et d‟un degré d‟intégration de certaines zones frontalières du
royaume supérieur à ce que pensait Richard von Glahn415.
Outre une plus grande visibilité des préfets et des préfectures dans les sources,
l‟expansion spatiotemporelle de la bureaucratie semble également se laisser percevoir
dans une diversification des postes et une plus grande répartition des tâches au sein
des administrations. Par exemple, l‟épitaphe de Xu Duo nous apprend que cinq de ses
fils étaient des employés administratifs subalternes travaillant dans cinq préfectures
différentes416. De plus, un autre indicateur de la croissance des infrastructures est le
fait que les gouverneurs de commanderie, déjà retenus par leurs responsabilités à la
411
SGCQ 54. 1-3; SS 479. 13889. À titre d‟employé du Bureau d‟historiographie, Xing Yinxun aurait
été sous la direction de Li Hao, le responsable du projet de compilation de L’histoire des Shu antérieurs.
Voir Anna M. Shields (2006 : 73).
412
SGCQ 54. 1.
413
ZZTJ 290. 9460; SGCQ 55. 5; SS 479. 13884.
414
SS 479. 13893.
415
Richard von Glahn (1987 : 52-53, 66-67).
416
Mao Qiuxue, Wang Liming (1991: 62).
138
cour, durent semble-t-il embaucher des assistants se chargeant spécialement pour eux
de superviser les préfectures. Ainsi, l‟épitaphe de Sun Hanshao fut rédigée par un
dénommé Wang Yi 王乂, lequel était son commissaire adjoint (zhishi 支使) de
l‟administration civile (menli 門吏) agissant comme inspecteur régional (anyu shi 按
御史) des préfectures de Suizhou, Hezhou, Yuzhou, Luzhou et Changzhou, autrement
dit les cinq préfectures majeures de la commanderie Wuxin dont Hanshao était le
gouverneur au moment de son décès en 955417.
Sous les Shu postérieurs, le renforcement des structures bureaucratiques semblait
en grande partie reposer sur la mise en place d‟un réseau d‟enseignement plus ouvert
et l‟efficience d‟un système de recrutement pluri local fondé sur les examens. Ainsi
est-il presque irréfutable que la cour de Chengdu ait cherché à établir à large échelle
des écoles à travers le royaume, il ne nous reste qu‟à déterminer dans quelle mesure
elle y parvint. Sima Guang nous informe notamment que Wu Zhaoyi apporta son
soutien à un projet d‟inscription sur pierre de nombreux textes classiques destinés à
être exposés devant des écoles418. Juste sur la base du Zizhi tongjian, il est certes
difficile de savoir si oui ou non de telles inscriptions étaient promises uniquement à
des écoles de la capitale. En revanche, le Shiguo chunqiu précise explicitement
qu‟elles étaient également préparées pour les districts de commanderies (junxian 郡
縣)419. Néanmoins, l‟important est que nous détenons des preuves matérielles
permettant de corroborer les dires de ces deux sources. D‟une part, après 965, ces
stèles suscitèrent rapidement l‟intérêt de collectionneurs et classicistes de la dynastie
Song qui en produisirent des estampilles, dont quelques-unes subsistent toujours.
D‟autre part, six fragments des stèles originales sont aujourd‟hui entreposés au Musée
provincial du Sichuan420. Bien que ces six fragments furent tous découverts à
Chengdu, rien ne nous dit que les stèles n‟étaient pas à l‟origine réparties plus
largement à travers le royaume. Le Shiguo chunqiu nous dit notamment que le
417
Chengdu shi bowuguan kaogu dui (1991: 26).
ZZTJ 291. 9495.
419
SGCQ 49. 20.
420
Voir Zhou Esheng 周萼生, « Jindai chutu de Shu shijing canshi » 近代出土的蜀石經殘石,
Wenwu 文物 1963. 7, pp, 46-50; Xu Senyu 徐森玉, « Shu shijing he Bei-Song er ti shijing » 蜀石經
和北宋二体石經, Wenwu 文物 1962. 1, pp. 9-11.
418
139
commanditaire d‟une gravure du Er ya 爾雅 du nom de Zhang Dezhao 張德昭 était
alors magistrat à Pingquan 平泉 dans la préfecture de Jianzhou 簡州421. Quant à lui,
Cao Xuequan 曹學佺 (1574-1647) disait avoir fait la découverte dans un
établissement de Hezhou de quelques fragments d‟une inscription du Li ji 禮記
datant du règne de Meng Chang422. De plus, nous devons également garder à l‟esprit
que toutes les écoles n‟employaient pas forcément de telles stèles comme support
didactique, par conséquent elles ne peuvent à elles seules servir de guide pour calculer
le nombre d‟écoles que comptait alors le royaume.
Enfin, nous avons de bonnes raisons de croire que, déjà durant cette période, le
Royaume de Shu disposait d‟un système d‟examens de sélection bureaucratique. Ainsi
savons-nous qu‟un natif de Shu du nom de Yang Jiuling 楊九齡 assembla une
compilation d‟essais rédigés par des candidats à l‟occasion d‟examens de recrutement
tenus à Shu sous le titre de Shu guitang bianshi 蜀桂堂編事423. Certes, cette
anthologie qui nous aurait été salutaire n‟est désormais plus accessible, toutefois elle
faisait parti de la bibliothèque impériale de la dynastie Song et était possiblement
toujours existante au XVIIe siècle, lorsque Wu Renchen écrivit son ouvrage424. Bien
sûr, peu de traces concernant les candidats ayant intégré la bureaucratie de Shu par la
voie des examens subsistent encore dans les sources, de sorte qu‟il est difficile de
dépasser le niveau des généralités pour apprécier pleinement l‟importance du
phénomène. À tout le moins, cependant, le Shiguo chunqiu présente trois individus qui
auraient obtenu un degré jinshi sous Meng Chang. D‟abord, nous trouvons un certain
Gou Zhongzheng 句中正 originaire de Chengdu, lequel fut admit comme étudiant de
l‟Académie Chongwen 崇文舘 entre 934 et 938, d‟où il obtint son degré jinshi425.
Toutefois, nous ne connaissons pas très bien les responsabilités auxquelles il fut
affecté par la suite. Tout ce qui nous est dit est qu‟il collabora avec Wu Zhaoyi dans la
réalisation d‟une compilation littéraire et qu‟après 965 il passa au service de la
dynastie Song en acceptant un poste au Hebei, à la frontière de l‟empire Liao. Nous
421
422
423
424
425
SGCQ 49. 19.
Shijing kaoyi 石經考異 2. 10.
SGCQ 56. 7.
SS 203. 5116; Anna M. Shields (2006 : 86).
SGCQ 56. 4-5.
140
trouvons également Wang Zhu 王著, le fils d‟un préfet de Yazhou du nom de Wang
Bi 王賁 qui obtint son degré jinshi avant de devenir préposé aux registres (zhubu 主
簿) à Longping 隆平426. Troisièmement, mentionnons un certain Bian Zhen 卞震,
également originaire de Chengdu, lequel obtint son de degré jinshi avant de devenir
superviseur dans la préfecture de Yuzhou427.
Enfin, nous avons noté que le compositeur de l‟épitaphe dédiée à Xu Duo fut
rédigée par un certain Zhao Yanling 趙延齡, lequel aurait été un récipiendaire
provincial du degré jinshi (xianggong jinshi 鄉貢進士)428. Selon toute vraisemblance,
il semble donc que Zhao Yanling était un protégé de Xu Duo recruté à l‟occasion
d‟examens tenus au niveau préfectoral alors que ce dernier était préfet. Ce qui
viendrait attester que l‟État ne recrutait pas uniquement à la capitale, mais également
dans les diverses préfectures du royaume, où il cherchait à identifier des candidats
compétents pour les intégrer à son appareil bureaucratique. Du coup, cela pourrait
également indiqué que les élites indigènes n‟étaient pas forcément réfractaires au
processus de bureaucratisation en marche et que plusieurs d‟entre elles valorisaient
l‟éducation et aspiraient à voir leurs progénitures servir l‟État. De plus, les cas de
Zhao Yanling et Xu Duo viendraient également confirmer notre hypothèse, selon
laquelle, les préfets jouèrent un rôle crucial dans ce processus bureaucratisation et de
centralisation politique en liant toujours plus les préfectures à la cour.
Une autre question à laquelle nous aimerions nous intéresser est celle de la vie
économique au Royaume de Shu. À plus forte raison, nous voudrions savoir si le
royaume comptait une importante classe marchande ayant vu son prestige augmenté
comme ce fut le cas dans d‟autres régions. Ainsi, non seulement serions-nous en
mesure de mieux comprendre les relations entre marchands et bureaucrates, mais aussi
pourrions-nous vérifier si les marchands intégraient la bureaucratie et savoir dans
quelle mesure ceux-ci furent un moteur de changement dans le développement du
nouveau système d‟éducation et de recrutement bureaucratique. Toutefois, en raison
des limites des sources employées pour la rédaction de ce mémoire, lesquelles ne
426
427
428
SGCQ 53. 9.
SGCQ 53. 9.
Mao Qiuxue, Wang Liming (1991 : 62).
141
discutent pas des marchands et de leur rôle, nous sommes malheureusement forcés de
laisser ces questions en suspens.
Néanmoins, il semble en effet que les Shu postérieurs évoluèrent dans un contexte
d‟extraordinaire prospérité économique, ce qui ne fut certainement pas un phénomène
étranger à l‟expansion spatiale de la bureaucratie. D‟une part, dans différents lieux du
royaume furent découvertes de nombreuses pièces de monnaie datant de cette époque.
Ce qui tend non seulement à démontrer que les biens circulaient, mais surtout qu‟une
dynamique économie commerciale dominée par des marchands était en place429.
D‟autre part, les sources historiques s‟entendent pour dire que les armées Song
trouvèrent à Chengdu en 965 un trésor impérial d‟une rare richesse, lequel comptait
d‟innombrables métaux et produits de luxe locaux430. Ce qui laisse penser que
l‟artisanat de Shu était très développé et que le commerce y était suffisamment
dynamique pour permettre au royaume de supporter la mise en place d‟un imposant
système fiscal. En tous les cas, bien que l‟agriculture continuait certainement d‟être le
plus grand fondement de la richesse, les diverses communautés du royaume n‟étaient
certainement pas toutes des microsociétés agraires repliées et vivant dans l‟autarcie la
plus complète431.
429
Liu Min 劉敏, « Wudai shiqi de Qian-Hou Shu zhubi » 五代時期的前後蜀鑄幣, Sichuan wenwu
四川文物 1994. 1, pp. 42-44; Lin Wenxun 林文勛, « Qian-Shu Hou-Shu shangye de fazhan » 前蜀後
蜀商業的發展, dans Chengdu Wang Jian mu bowuguan 成都王建墓博物館, éd., Qian-Shu Hou-Shu
de lishi yu wenhua 前蜀後蜀的歷史與文化 (Chengdu : Ba-Shu shushe, 1994), pp. 40-47.
430
Xie Yuanlu 謝元魯, « Lun Tang Wudai Song Shu zhong de shechi zhi feng » 論唐五代宋蜀中的
奢侈之風, dans Chengdu Wang Jian mu bowuguan 成都王建墓博物館, éd., Qian-Shu Hou-Shu de
lishi yu wenhua 前蜀後蜀的歷史與文化 (Chengdu : Ba-Shu shushe, 1994), pp. 48-56.
431
Yang Weili (1986 : 174-210).
142
CONCLUSION
Au cours de ce mémoire, nous nous sommes donc intéressés à la question de la
transformation des élites en Chine entre les VIIIe et Xe siècles ainsi qu‟à ses
conséquences sur les institutions étatiques. Ainsi avons-nous observé que l‟éviction de
l‟aristocratie du pouvoir politique et la chute de la dynastie Tang furent précédées
d‟une perte de prestige aux yeux de larges segments de la société, à l‟intérieur de
laquelle prenaient peu à peu place de nouvelles attitudes et valeurs culturelles nées
d‟un nouveau contexte socioéconomique. Pour nous situer dans la perspective de
Pierre Bourdieu, nous pourrions ainsi expliquer la crise de l‟État dynastique et de son
aristocratie par le fait que les gouvernés ne se reconnaissaient plus dans les valeurs et
discours qu‟ils véhiculaient, entraînant ainsi une perte de légitimité et d‟autorité. De la
sorte, alors qu‟il n‟y avait plus d‟homologie entre l‟espace politique et l‟espace social,
il devenait donc de plus en plus difficile pour l‟État et ses agents d‟obtenir la
collaboration des gouvernés, une collaboration pourtant si nécessaire à l‟exercice du
pouvoir. Le fait étant qu‟aucun pouvoir politique ne saurait perdurer en ne s‟appuyant
que sur la coercition.
Entre autres, nous avons vu comment, suite à la rébellion d‟An Lushan qui
affaiblit considérablement l‟autorité de la cour, les marchands trouvèrent
d‟importantes opportunités de s‟enrichir et de voir leur rôle tacitement reconnu. Le
fait étant que la cour fut forcée d‟abandonnée son ancien système de taxation directe
et de recourir à un autre système d‟imposition indirecte sur le commerce. Pour la
dynastie alors en place, c‟était en quelques sortes la condition de sa survie, puisque
sans une augmentation significative de ses revenus, aucune restauration n‟était
envisageable. Toutefois, bien qu‟étant parvenue à reprendre le contrôle des
nominations de la majorité des gouverneurs et préfets provinciaux, nous avons
également observé qu‟il avait été impossible pour la cour et sa clientèle de remodeler
une société à l‟image de celle qui prévalait anciennement.
Dans ce contexte d‟impossible retour au physiocratisme, vieil adage confucianiste
défendu par la clientèle aristocratique de la dynastie Tang, les échanges continuèrent
donc de s‟intensifier, les villes de se créer et de se transformer, tandis que les
143
transgressions sociales et juridiques semblaient suivre leur cours. Le paysan voulant se
faire citadin, l‟agriculteur entendant s‟improviser marchand et le marchand parfois
prêt à se faire fonctionnaire. D‟ailleurs, ces marchands étaient d‟autant plus
inquiétants qu‟ils tiraient le plus souvent leur autorité de leurs richesses plutôt que
d‟un quelconque emploi dans la bureaucratie. Allez donc expliquer à Confucius que
désormais le marchand sera le maître de son village, de l‟armée, de la bureaucratie et
qu‟il instruira l‟empereur sur la conduite des affaires politiques. Autant dire que
Boniface VIII était gibelin! Et bien on ne pouvait pas en faire accepter davantage aux
familles formant la clientèle impériale, elles qui étaient assurées de leur supériorité
morale et convaincues du caractère héréditaire du statut de tous et chacun. Pourtant,
d‟autres n‟étaient certainement pas aussi convaincus du caractère inné de la condition
humaine, et même que certains devaient être la preuve vivante de leurs convictions.
Or, nous l‟avons vu, les IXe et Xe siècles furent en Chine une intense période de
transformations sociales caractérisée par une assez grande mobilité. De la sorte
émergèrent certaines familles provinciales, surtout marchandes, aspirant à faire de
leurs fils des bureaucrates impériaux et capables de permettre à ceux-ci de recevoir
une éducation à la hauteur de leurs aspirations. Ce qui semblait tout à fait normal
puisque non seulement ces familles disposaient d‟importantes ressources, mais surtout
qu‟elles incarnaient souvent de nouvelles valeurs culturelles trouvant un terrain
favorable dans la société. Néanmoins, ce qui semblait leur faire défaut était de ne pas
avoir de liens de parenté avec les élites de la capitale, lesquelles entendaient se
maintenir au sommet de la hiérarchie politique moyennant des stratégies de népotisme.
En fait, derrière ce phénomène d‟exclusion sournois, se proliférait l‟éveil de la
frustration chez de nombreux candidats provinciaux accourant toujours plus nombreux,
mais en vain, aux examens de sélection bureaucratique. Ainsi avons-nous démontré
que ces derniers furent un des éléments moteurs dans le déclenchement de la rébellion
de Huang Chao, en ce sens qu‟ils surent récupérer plusieurs des mécontents de
l‟époque, les rallier et en faire une armée redoutable contre laquelle la dynastie et sa
clientèle, toujours plus en perte de légitimité, ne pouvaient espérer gagner.
Du moins, gardant à l‟esprit que plusieurs des principaux officiers de la dynastie
144
Liang furent d‟anciens rebelles, nous pouvons facilement concevoir que la rébellion
fut un succès aux conséquences très lourdes sur l‟histoire institutionnelle subséquente.
C‟est-à-dire qu‟ils vinrent contribuer à la mise en place d‟une nouvelle structure
étatique dans laquelle la mentalité aristocratique n‟avait plus véritablement de
fondement. Ainsi, avons-nous vu comment sous les Cinq dynasties se mit en place un
nouveau processus de bureaucratisation beaucoup plus ouvert que par le passé.
Toutefois, il nous a également semblé que la transformation bureaucratique ne se fit
pas partout au même rythme. Ce particulièrement dans les régimes loyalistes qui alors
refusaient catégoriquement de suivre la voie de Zhu Wen et de la dynastie Liang.
En comparant les élites au contrôle des institutions étatiques des deux régimes qui
se sont succédé à Shu, nous avons constaté qu‟il y avait d‟importantes différences
entre elles, ce qui s‟en faisait ressentir sur l‟organisation de l‟État. Ainsi sommes-nous
forcés de rejeter la proposition d‟Anna M. Shields, selon qui il y aurait eu une grande
continuité institutionnelle d‟un régime à l‟autre432. Certes, il est vrai que certains
lettrés comme Li Hao furent en poste à la cour de Chengdu sous les deux régimes.
Toutefois, il est important de souligner que ceux-ci ne représentaient qu‟une poignée
d‟individus et que ce fut assez tardivement, pas avant le début des années 950, que
ceux-ci se trouvèrent parmi les grands ministres en position d‟autorité à la cour. Par
contre, nous avons surtout été amené à constater que la plupart de ceux qui étaient à
des postes de commande sous les Shu postérieurs n‟avaient jamais été à l‟emploi des
Shu antérieurs et que, dans l‟ensemble, les protagonistes des deux régimes se
distinguaient profondément par leurs origines socioprofessionnelles.
D‟une part, ceux qui dominaient la cour sous les Shu antérieurs étaient pour la
grande majorité des réfugiés loyalistes originaires de Chang‟an dont les familles
dominaient la bureaucratie Tang depuis plusieurs générations. De plus, nous avons vu
que ceux qui dominaient alors les commanderies étaient le plus souvent des généraux
issus de l‟armée Zhongwu, laquelle semblait jadis liée à la cour de Chang‟an par des
intérêts particuliers. Notamment, nous avons vu que non seulement celle-ci joua un
rôle particulier dans la répression de la révolte de Huang Chao, mais également dans
432
Anna M. Shields (2006 : 78-79).
145
l‟entreprise de restauration de la dynastie Tang suite à la défaite d‟An Lushan. Ainsi,
bien que les gouverneurs de commanderie sous les Shu antérieurs étaient des
militaires aux origines diverses, ceux-ci en n‟étaient pas forcément moins loyalistes.
Comme nous avons cherché à le démontrer de parts et d‟autres, il n‟y a pas
d‟idéologie ou de mentalité typiquement militaire ou militariste. Il peut y avoir autant
d‟armées que de causes à défendre. Dans le cas actuel, nous croyons ainsi que les
gouverneurs de commanderie comme les bureaucrates de la cour étaient à la défense
d‟un ordre social ancien incarné par la dynastie Tang.
D‟autre part, au moins durant les premières années du régime des Shu postérieurs,
aussi bien les postes à la cour que dans les commanderies passèrent sous l‟autorité
d‟individus aux origines plus hétéroclites composés essentiellement d‟anciens
militaires originaires du Nord-est (Hedong, Hebei) et de la région de Kaifeng, lesquels
débutèrent leur carrière sous la dynastie Liang ou dans la principauté de Jin. Ainsi, il
s‟agissait essentiellement d‟individus ayant fait l‟expérience de régimes obéissant à
une nouvelle raison d‟État à l‟origine d‟un contexte de professionnalisation accrue.
C‟est-à-dire des régimes où l‟appartenance à une illustre famille traditionnellement
engagée dans la bureaucratie ne suffisait plus à justifier l‟octroi de responsabilités
étatiques d‟envergure et où l‟expérience et les compétences primaient par-dessus
toutes considérations. De ce fait, parmi cette nouvelle élite se trouvait un nombre très
restreint de descendants de fonctionnaires de la dynastie Tang, tandis que ceux qui
l‟étaient ne justifiaient plus leur statut en fonction de leurs ancêtres. Certes, la plupart
des individus ayant directement contribué à la mise en place des institutions du régime
des Shu postérieurs avaient par le passé été des militaires. Toutefois, rien ne permet
d‟affirmer que ceux-ci étaient jusqu‟alors uniquement des meneurs de charges sans
autres fonctions que de guerroyer. Et même si tel aurait été le cas, n‟empêche qu‟après
la fondation des Shu postérieurs, ceux-ci étaient surtout affectés à des responsabilités
d‟ordre civiles.
Autant les élites à la tête de l‟État sous les Shu antérieurs étaient différentes de
celles sous les Shu postérieurs, autant l‟étaient les institutions des deux régimes. Sous
les Shu antérieurs, nous avons notamment vu que la cour chercha à dupliquer les
146
institutions bureaucratiques de la dynastie Tang. Toutefois, il est plutôt difficile
d‟évaluer dans quelle mesure elle y parvint. En tous les cas, en dépit de ce que tend à
refléter les titres dont étaient investis les lettrés en poste à la cour, les structures
administratives en place ne correspondaient pas exactement à la structure dite des
Trois départements (san sheng) telle que décrite dans le Tong dian et le Da Tang
liudian. En revanche cependant, le fonctionnement de l‟appareil étatique semblait
dans une certaine mesure en continuité avec celui en place durant la seconde moitié de
la dynastie Tang. Entre autres avons-nous constaté que le Département des affaires
d‟État continuait d‟être éclipsé par le Bureau des affaires militaires et le Tribunal des
censeurs en ce qui avait trait aux relations entre la cour et les commanderies. Mais
encore plus, nous avons même cru observer que ledit département cessa tout
simplement de former une agence administrative indépendante. Ainsi avons-nous
observé que le contrôle des divers ministères sembla littéralement échoir au
Secrétariat et à la Chancellerie, laquelle aurait en l‟occurrence été subordonnée au
premier.
En fait, plutôt que d‟assister à une complexification de la bureaucratie, sous les
Shu antérieurs se serait plutôt proliféré un phénomène de simplification des
institutions héritées de la dynastie Tang. Ainsi, une des grandes difficultés d‟analyse
rencontrée sur notre passage fut de donner un sens aux fusions administratives dont
semblent témoigner les titres que pouvait simultanément porter un seul individu. Par
exemple, nous avons vu qu‟il était courant de rencontrer des académiciens de Hanlin
simultanément affectés au Secrétariat, ce qui indiquerait qu‟une seule agence à la cour
se chargeait désormais de la rédaction des édits impériaux. Nous avons également vu
que certains vice-présidents du Tribunal des censeurs étaient au même moment à la
tête du Secrétariat, ce qui pouvait être une mesure visant à réduire le nombre
d‟intermédiaires entre la cour et les commanderies, tout en limitant les pouvoirs du
Bureau des affaires militaires, lequel semblait relativement proche de la Chancellerie,
elle-même en apparence appelée à exercer à la cour un contrepoids au Secrétariat.
En vertu de ces jeux d‟associations, nous avons ainsi formulé l‟hypothèse d‟une
polarisation de la cour en deux camps, d‟un côté le Secrétariat et le Tribunal des
147
censeurs, de l‟autre la Chancellerie et le Bureau des affaires militaires. Cependant,
nous avons également vu que ce postulat résiste difficilement à certains faits
historiques, dont les oppositions qui prenaient place à l‟intérieur d‟un même
département et les alliances nuptiales qui transcendaient les départements. De telle
sorte que nous avons préféré mettre un bémol à cette hypothèse pour nous rabattre sur
une autre qui nous semblait davantage correspondre à la réalité. C‟est-à-dire que la
polarité qui nous a semblé la plus apparente était celle qui séparait la cour de ses
commanderies, lesquelles semblaient former deux mondes fort différents ayant très
peu de relations, du moins uniquement de manière interposée. Dans notre analyse, cet
axiome a notamment trouvé une part de sa confirmation dans l‟état des réseaux
sociaux des deux milieux respectifs et dans les mécanismes de reproduction sociale.
Ainsi, étant dans un système de recrutement largement fondé sur le mode de la
recommandation, du pistonnage et du népotisme, nous avons remarqué que les
familles de bureaucrates en poste à la cour se mariaient entre elles tout en facilitant
l‟intégration de leurs enfants à la bureaucratie centrale. À l‟opposé, cependant, il nous
a semblé que les familles de militaires évoluant dans les commanderies se mariaient
entre elles, tandis que leurs fils étaient également affectés dans les commanderies,
munis de titres les associant aux armées du royaume.
Certes, sous les Shu antérieurs, il devait y avoir des mécanismes de contrôle des
gouverneurs de commanderie plus ou moins opérationnels. Pourtant, nous ne sommes
pas pour autant en mesure de parler d‟un système particulièrement centralisé dans
lequel la bureaucratie centrale parvenait à s‟imposer de manière effective sur
l‟ensemble du royaume. En fait, il se pourrait très bien que la cour ne contrôlait alors
que la nomination des gouverneurs en poste dans les chefs-lieux de commanderie,
lesquels n‟apparaissaient que comme des avant-postes de commande régionaux. Ainsi,
se pourrait-il que la cour n‟ait alors cherché qu‟à tenir en laisse les forces armées du
royaume et à s‟assurer de la rentrée régulière des impôts, laissant la résolution des
autres questions à la discrétion des gouverneurs, lesquels ne devaient probablement
pas chercher à déstabiliser les communautés locales. Par contre, sous les Shu
postérieurs, il ne semble pas que la cour ait eu des objectifs aussi limités, elle qui
148
aurait plutôt cherché à accroître son degré de centralisation politique et à pénétrer
beaucoup plus profondément l‟ensemble des communautés locales du royaume.
Notamment, avons-nous découvert qu‟après 934, la commanderie cessa d‟être
l‟unité administrative de base, laquelle était désormais la préfecture. Ainsi est-il à
noter qu‟une telle transformation s‟apparentait plus ou moins à celle que la dynastie
Liang avait encouragée sur son territoire afin de réduire l‟autonomie des gouverneurs
de commanderie. C‟est-à-dire d‟augmenter les pouvoirs des préfets de manière à isoler
les gouverneurs en confinant leur autorité au chef-lieu où ils étaient en poste et de
faire de tous, gouverneurs et préfets, des dépendants de la cour impuissants
individuellement, puisqu‟administrant des entités trop restreintes en superficie433. Il
n‟est donc pas surprenant d‟apprendre que plusieurs des grands ministres guidant la
cour de Meng Chang avaient par le passé été à l‟emploi de la dynastie Liang, d‟où ils
apprirent possiblement à concevoir la mise en place de solides préfectures comme le
meilleur moyen d‟assurer la stabilité de l‟État. À tout le moins, il est certain que pour
plusieurs d‟entre eux, la préfecture était la principale référence institutionnelle à
laquelle ils avaient été accoutumés. Ce qui explique un peu mieux la logique derrière
le fait que les grands ministres de la cour de Chengdu sous les Shu postérieurs se
réservèrent à eux-seuls les titres de gouverneurs tout en déléguant l‟exercice de
l‟autorité dans leur commanderie respective à de nombreux préfets associés aux
armées palatines.
Grâce au développement des préfectures comme principaux centres d‟autorité,
nous avons ainsi remarqué que la cour parvint plus aisément à centraliser le pouvoir
politique et à mettre en place un ordre bureaucratique permettant de dominer les
communautés locales sans efforts coûteux, sans être constamment obligée de recourir
à la force. Comme nous l‟avons vu, le résultat de cette nouvelle logique
institutionnelle fut d‟avoir permis à l‟État d‟occuper une place accrue dans la vie
sociale, de consolider sa légitimité en amenant une plus grande proportion de sujets à
devenir partie intégrale de l‟État et, pour ainsi dire, les amener à participer à leur
propre sujétion. Dans ce contexte, il nous a ainsi semblé qu‟un système
433
Wang Gungwu (2007).
149
d‟enseignement relativement élargi se mit peu à peu en place dans les préfectures,
tandis que les examens de sélection bureaucratique se popularisèrent en amenant
toujours plus de natifs de Shu à jouer un rôle à la cour de Chengdu.
Au cours de ce mémoire, nous avons souhaité présenter un autre Xe siècle que
celui auquel nous sommes pour la plupart habitués. Pour ce faire cependant, nous
devons absolument admettre que cette entreprise aurait été impossible sans les
illuminations que nous a procurées l‟ouvrage de Wang Gungwu sur les structures du
pouvoir sous les Cinq dynasties. Pour nous, un objectif était ainsi de vérifier si le
même processus de centralisation et de bureaucratisation qui affecta le Nord de la
Chine à la même époque concernait également le Royaume de Shu. Évidemment,
quiconque amorcerait une première initiation à l‟histoire du Royaume de Shu par les
ouvrages de Winston W. Lo, Richard von Glahn et Paul J. Smith aurait l‟impression
que le Sichuan formait alors un monde fermé dont les structures étatiques étaient
archaïques et dans lequel la bureaucratie n‟était encore qu‟un phénomène marginal,
voire inexistant, devant le poids écrasant des magnats et des seigneur de la guerre434.
Toutefois, le moins que nous puissions dire est qu‟à aucun moment au cours de cette
recherche nous avons ressenti que Shu était dans l‟attente de la miséricordieuse
conquête de la dynastie Song pour finir par se civiliser. Certes, il vrai que les sources
dont nous nous sommes servis mentionnaient surtout les migrants arrivés dans la
région par voies successives pour assumer la direction politique du royaume. Ainsi
aurions-nous du accorder une place plus importante aux natifs de la région et nous
sommes disposé à en accepter la critique. Cependant, pour ce faire nous aurions dû
nous tourner vers d‟autres types de sources, auxquelles nous avions difficilement
accès et dont le traitement aurait de loin excédé le temps alloué pour la rédaction de ce
mémoire. Néanmoins, pour ceux qui seront désireux de poursuivre des recherches plus
poussées sur le Royaume de Shu, un examen complet des gazettes locales de la région
sera une étape incontournable afin de vérifier la véracité de nos informations.
434
Winston W. Lo (1982); Richard von Glahn (1987 : 39-67); Paul J. Smith (1991: 77-108).
150
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