LE TRANSFERT DES APPRENTISSAGES

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LE TRANSFERT DES APPRENTISSAGES
Trois approches complémentaires ont été adoptées dans les dix chapitres de cet ouvrage pour traiter de la question du transfert des apprentissages. La première cherche avant tout à mieux connaître la nature du
processus de transfert et les facteurs qui l’affectent. La deuxième privilégie la discussion de propositions pédagogiques, inspirées des travaux
récents sur le transfert et leur mise à l’épreuve empirique. Enfin, dans
une troisième approche, les auteurs ont choisi d’établir des points de
jonction entre la littérature sur le transfert et celle relative aux savoirs
professionnels des enseignants ainsi qu’à la pratique réflexive, gageant
par là que cet exercice intellectuel permettra d’ouvrir de nouvelles avenues de recherche et de questionnement.
Destiné avant tout aux chercheurs et aux étudiants des cycles supérieurs préoccupés par l’apprentissage et l’enseignement, cet ouvrage
saura en outre alimenter les interventions de formateurs, qu’il s’agisse
de conseillers pédagogiques, de professeurs ou d’enseignants.
Ont participé à cet ouvrage : Michel AUBÉ, Britt-Mari BARTH, Josianne
BASQUE, Denis BÉDARD, Danièle BRACKE, Nancy BROUILLETTE, Paul DE
LA CHEVROTIÈRE, Robert DAVID, Mariane FRENAY, Stéphane MARTINEAU,
Jean-Marie MIRON et Annie PRESSEAU.
LE TRANSFERT
DES APPRENTISSAGES
COMPRENDRE POUR MIEUX INTERVENIR
Sous la direction de
Annie PRESSEAU
et Mariane FRENAY
COMPRENDRE POUR MIEUX INTERVENIR
Même si cela fait plus de cent ans que la question du transfert des
apprentissages est au cœur même des préoccupations recensées dans les
ouvrages de psychologie et d’éducation, plusieurs questions demeurent
encore aujourd’hui d’actualité : Comment définir le transfert ? Comment
le situer par rapport à l’apprentissage et à d’autres concepts proches ?
Quels sont les facteurs qui le déterminent ou le suscitent ? Quels dispositifs pédagogiques favorisent l’apparition de ce processus ?
LE TRANSFERT
DES APPRENTISSAGES
COMPRENDRE POUR MIEUX INTERVENIR
Annie PRESSEAU
et Mariane FRENAY
LE TRANSFERT
DES APPRENTISSAGES
LES PRESSES DE L’UNIVERSITÉ LAVAL
COLLECTION FORMATION ET PROFESSION
PUL
Couver. Presseau
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Comprendre pour mieux intervenir
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LE TRANSFERT
DES APPRENTISSAGES
Comprendre pour mieux intervenir
Sous la direction
Annie PRESSEAU et Mariane FRENAY
LES PRESSES DE L’UNIVERSITÉ LAVAL
SAINTE-FOY, 2004
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Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble
de leur programme de publication.
Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication.
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Conception de la page couverture :
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TABLEDESMATIÈRES
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
Le transfert des apprentissages :
courants théoriques et pratiques pédagogiques
Annie Presseau et Mariane Frenay
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CHAPITRE 1
Du transfert des apprentissages au transfert des connaissances
Mariane Frenay
CHAPITRE 2
Le transfert d’apprentissage : qu’en disent
les « contextualistes » ?
Josianne Basque
49
CHAPITRE 3
Un modèle fonctionnel du transfert pour l’éducation
Danièle Bracke
CHAPITRE 4
« Le monde de Darwin » : un dispositif exploitant les TIC
pour favoriser le transfert des apprentissages
Michel Aubé, Robert David et Paul de la Chevrotière
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TABLEDESMATIÈRES
CHAPITRE 5
Quelles interventions pédagogiques qui tirent profit
des interactions sociales doit-on poser pour favoriser
le transfert de compétences ?
Annie Presseau
133
CHAPITRE 6
Expérimentation en contexte scolaire d’un modèle axé
sur le transfert des apprentissages
Nancy Brouillette et Annie Presseau
161
CHAPITRE 7
Les savoirs professionnels et les pratiques pédagogiques
axées sur le transfert des apprentissages : mise en discours
et expériences d’enseignants qui interviennent auprès
de jeunes en difficultés
Annie Presseau et Stéphane Martineau
CHAPITRE 8
Des dispositifs de formation universitaire s’inscrivant
dans la perspective d’un apprentissage et d’un enseignement
contextualisés pour favoriser la construction de connaissances
et leur transfert
Mariane Frenay et Denis Bédard
CHAPITRE 9
Le transfert des connaissances : quels présupposés ?
quelles implications pédagogiques ?
Britt-Mari Barth
CONCLUSION
Le transfert des apprentissages : renforcer la pluralité
et la complémentarité des approches théoriques
et des pratiques pédagogiques
Mariane Frenay et Annie Presseau
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241
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CHAPITRE 10
Le développement de compétences professionnelles :
quelles jonctions possibles entre l’articulation théorie/pratique
et le transfert ?
Annie Presseau, Jean-Marie Miron et Stéphane Martineau
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Remerciements
Nous tenons à remercier sincèrement les auteurs qui ont participé à la rédaction
de cet ouvrage collectif. Sans leur précieuse collaboration, sa parution n’aurait été
possible. Nous les remercions pour leur réflexion, pour leurs idées, mais également
pour leur confiance et leur patience. Vous avez entre les mains, en effet, le fruit
d’un long processus !
La publication de cet ouvrage - dit savant - n’aurait été possible non plus
sans une contribution financière externe. Nous remercions donc le décanat des
études de cycles supérieur et de la recherche de l’Université du Québec à TroisRivières et le Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE) de l’Université Laval pour leur soutien financier.
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INTRODUCTION
LE TRANSFERT DES APPRENTISSAGES :
COURANTS THÉORIQUES ET PRATIQUES
PÉDAGOGIQUES
Annie PRESSEAU et Mariane FRENAY
Plus que jamais, au cours de la dernière décennie, la question du transfert des
apprentissages a suscité un vif intérêt. Ce dernier se manifeste notamment à l’intérieur de la communauté scientifique. Par exemple, à diverses occasions des colloques sur le transfert ont été organisés, tant en Amérique du Nord qu’en Europe
afin de mieux cerner ce concept et de proposer des interventions pédagogiques
judicieuses. Quelques monographies ont également été publiées avec comme destinataires les chercheurs préoccupés par la question du transfert des apprentissages.
L’intérêt pour cette question est également manifeste chez un nombre croissant de
formateurs du milieu scolaire et de l’entreprise. Les réformes des programmes de
formation du primaire et du secondaire en cours dans plusieurs pays du monde
illustrent bien la place dorénavant reconnue qui est accordée à ce processus. Il en
est de même des divers types de formation continue dispensés en entreprise, quel
que soit le domaine d’expertise des employés. Qu’une attention particulière soit
portée à ce processus n’est pas l’effet du hasard. Il est désormais devenu une norme
que les formations offertes – qu’elles soient fondamentales ou continues – permettent aux apprenants de réutiliser leurs acquis dans une multitude de situations. Or,
il faut bien l’admettre, intervenir pour favoriser le transfert n’est pas une mince
affaire. Plusieurs facettes inhérentes à la mise en place de ce processus doivent être
prises en compte pour générer des transferts. La méconnaissance du processus de
transfert, par exemple, ou encore des facteurs internes et externes à l’apprenant
qui limitent ses possibilités de transfert sont autant d’éléments qui peuvent expliquer les obstacles rencontrés lorsque l’on cherche à intervenir pour générer des
transferts.
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ANNIEPRESSEAUETMARIANEFRENAY
ORIGINE DU PROJET ET OBJECTIFS DE L’OUVRAGE
Le projet de publier un ouvrage consacré au transfert des apprentissages n’est pas
récent. Depuis plusieurs années, nous sommes préoccupées par cette question et
nous constatons que parmi les publications francophones, les ouvrages traitant
spécifiquement de cette question sont plutôt rares. Encore plus rares sont ceux qui
traitent à la fois des courants théoriques du transfert et des pratiques pédagogiques
qui favorisent la mise en place de ce processus. Le présent ouvrage collectif résulte
en partie d’un colloque organisé dans le cadre de l’ACFAS. Toutefois, plutôt que
d’opter pour la publication des actes de ce colloque, nous avons choisi d’inviter
d’autres auteurs à participer à cet ouvrage en raison des perspectives complémentaires de leurs travaux par rapport à ceux ayant fait l’objet d’une communication
dans le cadre du colloque. Cet ouvrage a pour principal objectif de soutenir le
lecteur dans sa compréhension de ce phénomène en offrant une occasion de cohabitation de recherches théoriques et d’expérimentations en contexte de formation
à différents ordres d’enseignement, mais également qui tirent leur origine de courants théoriques diversifiés. Parallèlement à cet objectif, nous souhaitons susciter
une réflexion riche sur l’apport et les limites des divers courants de recherche qui
alimentent les travaux qui portent sur le transfert des apprentissages ainsi que sur
les implications pédagogiques qui en sont dégagées.
STRUCTURE DE L’OUVRAGE
L’ouvrage compte dix chapitres principaux. Chacun des chapitres peut être lu
indépendamment des autres, mais nous avons néanmoins cherché à les regrouper
de manière à faire ressortir clairement la proximité de certains d’entre eux. Cette
proximité aurait pu prendre différentes formes. Nous avons choisi d’en privilégier
une, soit des regroupements en fonction de la nature des informations présentées.
Le premier chapitre, rédigé par Mariane Frenay, situe le concept de transfert par rapport à celui d’apprentissage en l’étudiant à l’intérieur de deux courants
théoriques : le courant empiriste et le courant rationaliste. Ce texte aborde de
nombreux aspects théoriques essentiels, de même qu’il traite des caractéristiques
méthodologiques des recherches sur le transfert effectuées dans chacun des courants. Une perspective historique critique est adoptée par l’auteure.
Le chapitre de Josianne Basque poursuit dans la même veine. Ce dernier,
à nature également théorique, rend compte des principales idées à la base du courant contextualiste. Il identifie également les propositions centrales défendues par
les tenants de ce courant et les situe par rapport à celles véhiculées à l’intérieur du
courant cognitiviste. Il identifie finalement certaines implications de ce courant
pour la conduite de recherches sur le transfert.
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INTRODUCTION
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Ces deux chapitres fournissent un tour d’horizon exhaustif des recherches
conduites dans chacun des courants étudiés. Un réel approfondissement du concept de transfert a été réalisé par ces deux auteures.
Les travaux qui tirent leurs racines des courants cognitiviste, sociocognitiviste et contextualiste sont ensuite présentés. Le troisième texte, de Danièle Bracke,
présente un modèle théorique de la dynamique du transfert. Largement fondé sur
des travaux portant sur la mémoire, l’auteure introduit des concepts ayant jusqu’ici été peu mis en relation avec celui de transfert. Tel est le cas, notamment, des
concepts de modèles mentaux et d’affordances. L’apport particulier de ce chapitre
est sans contredit cette mise en relation de concepts ayant permis la création d’un
modèle original et inédit.
Les chapitres qui suivent font état de recherches réalisées en milieu scolaire.
Alors que les travaux de Michel Aubé, Robert David et Paul de la Chevrotière se
sont intéressés au transfert des apprentissages chez des élèves de l’élémentaire, la
recherche de Annie Presseau et celle de Nancy Brouillette et Annie Presseau ont
été réalisées auprès de jeunes du niveau secondaire, du secteur régulier. L’étude
conduite par Annie Presseau et Stéphane Martineau a quant à elle porté sur les
pratiques pédagogiques mises en place par des enseignants œuvrant auprès de jeunes de 16 à 18 ans en difficultés graves d’apprentissage. La recherche effectuée par
Mariane Frenay et Denis Bédard se déroule, pour sa part, en milieu universitaire.
Le quatrième chapitre, la recherche de Michel Aubé, Robert David et Paul
de la Chevrotière, après avoir dégagé de recherches sur le transfert un certain
nombre d’obstacles à la mise en branle de ce processus, présente un dispositif,
« Le monde de Darwin », qui exploite les technologies de l’information et de la
communication afin de favoriser le transfert. Une analyse de la contribution de
ce dispositif est effectuée en fonction des obstacles identifiés préalablement. Des
pistes de recherche sont enfin soulevées relativement à l’implantation de projets
en classes réelles. Ce chapitre illustre avec brio l’utilisation potentielle des technologies de l’information et de la communication dans la mise en branle du processus de transfert et dans le soutien pédagogique qu’il semble essentiel d’offrir aux
jeunes pour que ces derniers construisent des connaissances et des compétences
transférables.
La recherche de Annie Presseau, présentée dans le cinquième chapitre de
l’ouvrage, porte sur le rôle des interactions sociales entre pairs pour favoriser le
transfert des apprentissages en contexte de résolution de problèmes mathématiques. Après avoir brièvement décrit la problématique du transfert et avoir situé
sur le plan théorique le processus de transfert et la contribution potentielle des
interactions sociales à la mise en place de ce processus, une description de l’expérimentation réalisée est présentée. Une analyse de l’apport des interactions posées
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est effectuée. Les résultats obtenus, qui suscitent l’émergence de nombreuses questions, sont ensuite discutés dans l’optique de dégager des interventions pédagogiques qui, tirant profit des interactions entre élèves, pourraient s’avérer génératrices
de plus fréquents transferts. L’originalité de ce texte se situe dans la prise en compte
du rôle que peuvent jouer les pairs dans le transfert, rôle fréquemment laissé pour
compte dans les recherches préoccupées par la thématique du transfert.
Le sixième chapitre, rédigé par Nancy Brouillette et Annie Presseau, rend
compte d’une expérimentation réalisée auprès de jeunes de troisième secondaire
dont le rendement scolaire est faible en classe de biologie. S’appuyant sur le modèle
de la dynamique du transfert élaboré par Jacques Tardif (1999)1, une validation
d’actions pédagogiques cohérentes avec ce modèle est d’abord effectuée. La contribution de la mise en place de ces actions est ensuite évaluée à la suite d’une
intervention en classe. Les résultats obtenus sont discutés et une interprétation
des résultats est amorcée. Cette étude contribue notamment à mieux comprendre
la dynamique du transfert en contexte scolaire réel en ayant mis à l’épreuve un
modèle théorique. Le chapitre fait aussi ressortir quelques-uns des enjeux propres
à la mise en place d’un dispositif pour favoriser l’apparition de transferts chez des
jeunes à faible rendement scolaire.
Le septième chapitre, dont la plume a été tenue par Annie Presseau et
Stéphane Martineau, contrairement à la majorité des chapitres précédents colligés
dans cette section, n’évalue pas l’apport de modalités X, Y ou Z sur le transfert des
apprentissages, ni ne privilégie un modèle du transfert en particulier. La recherche est plutôt de nature descriptive. Dans ce chapitre, après avoir exposé le cadre
conceptuel et le cadre de référence sur lesquels les auteurs s’appuient, ces derniers
fournissent un portrait des savoirs professionnels et des pratiques pédagogiques
axées sur le transfert des apprentissages dont les enseignants rendent compte dans
leur discours et celles qui sont mises en place par ces mêmes acteurs. À l’heure
actuelle, peu de travaux se sont concentrés sur les pratiques pédagogiques qui
favorisent le transfert auprès de la population étudiante en difficultés graves d’apprentissage.
Le chapitre huit s’inspire quant à lui en priorité du courant contextualiste.
En se référant en ce courant, Mariane Frenay et Denis Bédard proposent des dispositifs de formation universitaire qui visent à favoriser la construction de connaissances transférables. Ils insistent notamment sur deux principes qui doivent
être à la base de l’élaboration de tels dispositifs : d’une part, la validité écologique
et l’authenticité du contexte et, d’autre part, la centration sur les démarches et
processus d’apprentissage au moyen du compagnonnage cognitif. À titre d’exem1.
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Tardif, J. (1999). Le transfert des apprentissages. Montréal : Éditions Logiques.
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INTRODUCTION
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ple, un dispositif mis en place à l’Université catholique de Louvain est présenté
et évalué. L’une des contributions significatives de ce chapitre est d’avoir su poser
clairement les principes à retenir pour l’élaboration d’un dispositif d’apprentissage
et d’enseignement contextualisés authentiques et d’avoir réussi à les illustrer en
action, à travers un exemple.
Le neuvième chapitre, qu’a rédigé Britt-Mari Barth, situe d’abord la problématique du transfert pour ensuite mettre un accent fort sur les implications
pédagogiques d’une conception particulière du savoir et du transfert. L’auteure
met notamment en exergue quelques rôles et compétences devant caractériser
l’enseignant-médiateur. La question du sens occupe, dans ce texte, une importance
capitale. Un apport certain de ce texte est d’avoir su mettre en évidence le rôle central de l’enseignant dans le processus de transfert des connaissances chez les élèves,
mais également de démontrer le lien entre l’enseignement dispensé et le rapport
qu’entretient l’enseignant au savoir.
Un dernier chapitre, développé par Annie Presseau, Jean-Marie Miron et
Stéphane Martineau, amène finalement le lecteur à mettre en relation le concept de
transfert avec celui de pratique réflexive. Des points de jonction sont établis entre
des recherches sur le transfert et d’autres travaux qui s’attardent à l’articulation
théorie/pratique en l’examinant sous trois différents angles. La mise en relation de
la pratique réflexive avec le transfert des apprentissages constitue la contribution
originale de ce texte. En effet, rares sont les études qui ont établi, à ce jour, des
ponts entre ces deux univers conceptuels, pourtant complémentaires.
Ce rapide tour d’horizon des chapitres de l’ouvrage fournit un aperçu de
la diversité des angles qui ont été privilégiés pour étudier le transfert des apprentissages et l’épineuse question du soutien pédagogique qui favorise son apparition.
L’ouvrage, malgré un apparent éclectisme en raison de la nature des textes, des
approches théoriques diversifiées mises à contribution, des types de méthodologie
utilisés ou encore de l’accent mis tantôt sur les processus d’élèves, tantôt sur les
interventions d’enseignants fournit finalement un regard pluriel fort intéressant
que nous vous invitons à apprécier. L’ouvrage témoigne également du dynamisme
de ce champ de recherche et d’intervention en pleine expansion. Les questions
laissées en suspend par chacun des auteurs des chapitres montrent quant à elles
la nécessité de poursuivre la réflexion et la conduite de travaux qui permettront à
l’enseignant d’exercer de la façon la plus éthique possible son métier de pédagogue.
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CHAPITRE1
DU TRANSFERT DES APPRENTISSAGES
AU TRANSFERT DES CONNAISSANCES
Mariane FRENAY
INTRODUCTION
Depuis plus d’un siècle, la question du transfert des apprentissages a préoccupé
tant les chercheurs en psychologie que les praticiens du champ de l’éducation et
de la formation. En effet, cette question s’avère cruciale pour les uns comme pour
les autres. Pour les premiers, cet objet d’études permet de tester et de valider les
modèles théoriques de l’apprentissage et du développement cognitif et, en ce sens,
est le reflet des évolutions et courants de la psychologie de l’apprentissage. Pour
les seconds, il s’agit de légitimer des pratiques d’enseignement et de formation qui
ne prennent tout leur sens qu’à partir du moment où les « apprenants » peuvent
mobiliser les connaissances acquises dans les situations d’enseignement et/ou de
formation dans les situations dans lesquelles elles sont nécessaires.
Dans leur chapitre de synthèse, Greeno, Collins et Resnick (1996) proposent
de distinguer trois grandes traditions de recherches en psychologie de l’apprentissage : empiriste, rationaliste et pragmatico-sociohistorique (ou qualifié par d’autres
d’interactionniste). Chacune d’elles propose une conception de l’apprentissage et
du transfert qui lui est spécifique, même si elle intègre différents paradigmes (ou
« écoles »), chacun de ceux-ci correspondant à la fois à des modèles théoriques et
des lignes de recherche bien distincts. L’objet du présent chapitre est de présenter,
de manière trop sommaire sans doute, les deux courants théoriques qui, dès l’origine de la psychologie de l’apprentissage, à la fin du XIXe siècle se sont affrontés et
ont influencé de manière dominante les travaux sur le transfert des apprentissages
tout au long du vingtième siècle. Ce n’est que plus récemment, comme le montrera
Josianne Basque dans cet ouvrage, que l’approche contextuelle de la cognition ou
encore le courant pragmatico-sociohistorique - selon la terminologie de Greeno
et al. (1996) - s’est préoccupé de cette question du transfert d’apprentissage. Loin
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de constituer une présentation exhaustive de ces travaux, ce chapitre vise plutôt
à introduire le lecteur à ces courants en présentant, de manière sans doute trop
caricaturale, le type de travaux qu’ils ont produit sur la question du transfert des
apprentissages ou des connaissances. Les autres chapitres de cet ouvrage viendront
compléter et illustrer ces grandes traditions de recherches et leurs implications
pédagogiques.
Nous verrons , ainsi que l’ont développé Bourgeois et Frenay (1999), que
les paradigmes inscrits dans ces courants n’ont pas tous traité de manière explicite
et systématique des deux niveaux de questions qui préoccupent les praticiens, à
savoir d’une part quelle est la nature du processus d’apprentissage (qu’est-ce qu’apprendre ? que se passe-t-il « dans la tête » du sujet lorsqu’il apprend ?) et d’autre
part les questions relatives aux facteurs d’apprentissage, c’est-à-dire les conditions
qui facilitent l’apprentissage ou, au contraire, lui font obstacle, qu’il s’agisse de
conditions liées aux caractéristiques de l’apprenant, ou de la situation d’apprentissage, ou de l’interaction entre ces deux registres. C’est la question du comment
apprendre (et faire apprendre).
Or, si l’on considère cette distinction, on s’aperçoit que tous les paradigmes
n’ont pas le même statut. Certains d’entre eux peuvent être considérés comme des
théories compréhensives (ou « complètes ») de l’apprentissage, en ce sens qu’elles
traitent explicitement et systématiquement les deux niveaux de questions (nature
et facteurs de l’apprentissage). C’est le cas typique, par exemple, du paradigme
béhavioriste classique et du paradigme constructiviste. D’autres se focalisent surtout sur le premier niveau d’analyse. C’est le cas, par exemple, du paradigme du
traitement de l’information qui, dans une large mesure, laisse à d’autres le soin
de s’interroger sur les conditions d’apprentissage et les implications pédagogiques
qu’on peut en tirer qui apparaissent pertinentes à la lumière des modèles théoriques qu’ils proposent. D’autres enfin traitent surtout le deuxième niveau d’analyse.
Les paradigmes inscrits dans l’approche contextuelle de la cognition formulent des
propositions très détaillées en ce qui concerne les conditions d’apprentissage (voir
à cet effet la contribution de Britt-Mari Barth dans cet ouvrage) et se « contentent » de propositions, somme toute fort générales, concernant la nature de l’acte
d’apprendre. À cet égard, ils proposent donc plus une « philosophie » de l’apprentissage qu’une réelle théorie. Tout se passe comme si le processus d’apprentissage
lui-même était traité dans une large mesure comme une « boîte noire » et que la
réflexion portait essentiellement sur les entrées (conditions) et les sorties (effets)
de la boîte. Ce point sera discuté par Basque, dans cet ouvrage.
Comme nous le verrons, ceci aura des incidences importantes sur la portée
de leurs travaux sur le transfert dans les pratiques de classes et pourrait expliquer
en partie la difficulté que pointent beaucoup de chercheurs qui ont mené leurs
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DUTRANSFERTDESAPPRENTISSAGESAUTRANSFERT…
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travaux à partir de pratiques réelles d’observer de réels transferts d’apprentissage
ou de connaissances auprès d’élèves ou d’étudiants.
1.
LE COURANT EMPIRISTE ET SA PRÉOCCUPATION
POUR LE TRANSFERT DES APPRENTISSAGES
D’une manière générale, chez les empiristes, connaître, c’est disposer d’une collection de connexions (ou d’associations) d’unités mentales ou comportementales
élémentaires, spécifiques et isolables activées par les stimuli de l’environnement. Il
peut s’agir de comportements spécifiques associés à des stimuli environnementaux
spécifiques (cf. béhaviorisme et apprentissage social) ou de configurations particulières d’unités mentales spécifiques reliées entre elles en réseau, activées par des
configurations particulières de stimuli (cf. connexionisme). L’apprentissage est
alors vu essentiellement comme un processus de modification du comportement
par l’établissement et le renforcement de nouvelles associations entre des stimuli et
des réponses ou entre des stimuli et des modèles d’activation mentale (apprendre
à répondre de telle ou telle manière en présence de tel stimulus) ou l’extinction
d’associations existantes (apprendre à ne plus réagir de telle ou telle manière en
présence de tels stimuli).
Transférer devient possible si l’on peut réutiliser ces associations apprises
de stimuli-réponses dans les situations ultérieures, qui partagent des éléments
communs avec les situations d’apprentissage. Cela implique donc des niveaux de
similarité entre les stimuli : une réponse apprise en association avec un stimulus se généralisera plus fortement à d’autres stimuli qui sont similaires en tous
points, et moins fortement aux stimuli qui diffèrent de ce stimulus sur l’une ou
l’autre dimension. Cette idée a été le point de départ de la plupart des travaux sur
le transfert inscrits dans ce courant, notamment à partir de la théorie de base de
Thorndike sur les éléments identiques (Thorndike et Woodworth, 1901). D’autres
théoriciens et chercheurs ont ensuite développé la théorie de base de Thorndike, en
incluant notamment l’importance de la similarité objective entre stimuli et réponses (Osgood, 1949) mais aussi plus récemment, dans le paradigme connexionniste,
le nombre et le type de règles de production condition-action qui sont partagées
entre des procédures qui ont été apprises initialement et les procédures qui sont
apprises dans une situation de transfert (Singley et Anderson, 1989).
La façon privilégiée d’aborder alors la question du transfert pour les recherches inscrites dans une telle approche stimulus-réponse est d’opérer une analyse
très fine des propriétés des stimuli et des réponses impliquées dans les situations
d’apprentissage et de transfert et d’analyser leur similarité :
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Events which share stimulus properties will be recognized by the learner as
being similar and the response learned to the first event can then be generalized to the second. (Royer, 1979, p. 56)
C’est à travers l’analyse de ces caractéristiques partagées que la question de
la similarité est approchée par ces recherches. Il s’agit avant tout d’une similarité
qui sera étudiée à travers les caractéristiques «objectivement» partagées entre les
tâches1. Les travaux menés par Osgood (1949) en constituent une excellente illustration.
1.1
Eléments et mécanismes impliqués dans le transfert
L’étape primordiale dans le processus de transfert est avant tout la reconnaissance
qu’une tâche inscrite dans une situation d’apprentissage partage des éléments
communs avec une autre. En d’autres termes, il s’agit d’identifier les stimuli et les
réponses partagés entre les deux tâches. La distance qui sépare les deux tâches (ou
degré de similarité) fait référence aux différences plus ou moins importantes qui
existent entre les réponses attendues et les stimuli fournis dans les deux tâches :
deux tâches seront considérées comme proches (near transfer) si les stimuli présentés et les réponses attendues sont similaires alors que les tâches seront dites
éloignées (far transfer) si stimuli et réponses ne sont pas similaires.
C’est donc l’association conditionnée entre les stimuli et les réponses qui
serait un des mécanismes responsables du transfert (Butterfield et Nelson, 1989).
Dans cette approche, les processus mentaux, s’ils existent, sont réduits aux réponses données à des stimuli spécifiques : « le comportement devient en lui-même l’objet
de la psychologie behavioriste, il n’est pas considéré comme l’expression de structures
psychiques sous-jacentes. […] l’observation et la description suffisent à la prédiction et
au contrôle » (Parot et Richelle, 1992, p. 191) Dans cette optique, tout apprentissage
serait réduit à établir des connections entre la variété des stimuli et des réponses.
C’est la combinaison de la similarité entre stimuli et réponses qui serait responsable des différences observées quant à la quantité et à la direction du transfert
(positif ou négatif). La probabilité qu’un transfert survienne serait donc moindre
quand l’apprentissage des associations entre stimuli et réponses n’a pas été complet
et quand la dissimilarité entre les stimuli présentés lors de l’apprentissage et de la
tâche de transfert est importante. Aucun transfert ne peut survenir sans conditionnement préalable stimulus-réponse ou quand les stimuli entre les deux tâches ne
sont pas du tout reliés. Des mécanismes complémentaires nuancent quelque peu
1.
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Nous distinguerons, dans une première approximation, la tâche d’apprentissage de la situation d’apprentissage de la manière suivante : la tâche proprement dite ne comprend que les stimuli présentés au sujet et
les réponses à fournir par celui-ci indépendamment du temps et du lieu de sa réalisation. Cette tâche peut
être inscrite dans une situation d’apprentissage, dans laquelle le contexte (temps et lieu) devient important.
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ces affirmations. En effet, des mécanismes tels que la généralisation2 des stimuli3,
des réponses et la prédifférenciation des stimuli interviennent dans le mécanisme
global d’association conditionnée pour augmenter la probabilité qu’un transfert
survienne.
1.2
La question de la « similarité » entre les tâches
L’ampleur du transfert et la direction qu’il prendra seront fonction des similarités
qui existent entre la tâche initiale et la tâche de transfert : similarités des stimuli et
des réponses. On peut s’attendre à voir apparaître plus de transfert quand les deux
tâches se ressemblent globalement par rapport à l’ensemble de leurs caractéristiques.
Cependant, plus on analyse finement la similarité des stimuli, d’une part,
et des réponses, d’autre part, mieux on peut prévoir leur impact sur le transfert : la
similarité des stimuli influencerait l’ampleur du transfert alors que la similarité
des réponses déterminerait la direction de celui-ci (Irion, 1971).
Osgood (1949) dégage à partir des recherches menées sur la question de la
similarité et du transfert trois lois empiriques qu’il intégre dans un modèle général
devant prédire l’effet combiné de la similarité du stimulus et de la réponse sur le
transfert. Il propose de construire un espace à trois dimensions (Osgood’s transfer
surface) : la dimension du stimulus et la dimension de la réponse devraient permettre de prévoir la direction du transfert (troisième dimension). Le transfert
serait d’autant plus positif que les stimuli et les réponses sont identiques ; il serait
d’autant plus négatif que les stimuli sont identiques mais que les réponses attendues sont antagonistes et il n’y aurait pas de transfert lorsque les stimuli ne sont pas
du tout reliés, quelle que soit la similarité des réponses (Singley et Anderson, 1989 ;
Gick et Holyoak, 1987).
Cependant, certaines limites ont été avancées aux travaux d’Osgood et au
bien-fondé du caractère prédictif de son modèle (Singley et Anderson, 1989). Tout
d’abord, d’après Ellis (1965), le modèle n’est applicable qu’aux études du transfert
qui font varier la similarité du stimulus et de la réponse. Il ne l’est pas dans des
situations d’apprentissage dans lesquelles les tâches ne peuvent pas être décomposées en éléments séparés de stimuli et de réponses. De plus, il ne prend pas en
compte d’autres variables indépendantes telles que la quantité de pratique ou des
phénomènes qui lui sont reliés tels que le fait d’apprendre à apprendre. Enfin, selon
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2.
La généralisation peut être considérée, selon Ward et Gow (1982, p. 233) comme un « processus adaptatif
par lequel les propriétés des stimuli sont abstraites et rendues disponibles pour des discriminations ultérieures ».
3.
« Quand une réponse a été conditionnée à un stimulus particulier, les stimuli qui possèdent des caractéristiques reliées ou similaires acquièrent par là même une certaine capacité de provoquer la réponse
conditionnée. » (Ellis, 1965, p. 25)
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Ellis (1965), pour que le caractère prédictif de ce modèle puisse intervenir, il faut
pouvoir définir a priori le niveau de l’échelle de similarité de la réponse, ce qui ne
peut être fait qu’arbitrairement par l’expérimentateur. Ainsi, déjà cet auteur signale
que
[…] the development of more adequate conceptual models of transfer will
occur only after we have developed better ways of measuring stimulus and
response similarity. (Ellis, 1965, p. 31).
Les recherches centrées sur l’analyse des caractéristiques des tâches ont
donc mis en évidence la complexité de l’étude de la similarité entre les tâches. La
similarité est définie comme « the homogeneities existing among the materials successively practiced » (Osgood, 1949, p. 132). La question de la pertinence du type d’éléments retenus pour mesurer cette similarité n’est pas encore posée explicitement.
La similarité des stimuli ou des réponses est, dans ce type de recherches, spécifiée
soit de manière informelle par les expérimentateurs, soit estimée de manière plus
formelle par des juges indépendants. Il n’est nullement fait référence à l’apprenant
pour juger du caractère similaire ou non des stimuli ou encore des réponses. Seul
«l’environnement» déterminé «arbitrairement» par l’expérimentateur fait l’objet
d’une étude très approfondie, le sujet n’étant que le passage obligé pour produire
les apprentissages prédéterminés par l’expérimentateur. Le sujet en soi n’intervient
nullement comme variable susceptible de modifier la causalité linéaire postulée
entre stimuli et réponses.
1.3
Caractéristiques essentielles de ces recherches
Dans ce point, nous présentons ce que nous considérons comme les caractéristiques essentielles des travaux sur le transfert des apprentissages menés dans une
tradition béhavioriste de telle façon que nous puissions, par la suite, distinguer
ceux-ci des travaux qui les ont suivis.
1.3.1 Dispositifs classiques
Comme le précisent Gick et Holyoak (1987, p. 11),
The essential feature of a transfer paradigm is that performance on a tranfser
task is compared with and without performance on some related prior task.
Pour effectuer cette comparaison, la plupart des dispositifs utilisés dans
ces expériences sont des dispositifs qui ont recours à des plans expérimentaux qui
cherchent à étudier l’influence d’une seule variable indépendante, tout en contrôlant très rigoureusement les variables parasites grâce à la répartition aléatoire des
personnes dans les groupes et par l’attribution au hasard du traitement expérimental à un ou plusieurs groupes (Léon, 1977). Parmi les cinq dispositifs classiques
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relevés par Murdock (1957), nous ne retiendrons que les deux plus courants : un
plan simplifié comprenant deux groupes avec échantillonnage et répartition des
sujets au hasard entre les groupes, sans prétest (tableau 1) et un plan avec prétest,
post-test et groupe témoin (tableau 2).
Les sujets sont confrontés de manière individuelle à une tâche d’apprentissage initial et ensuite à une tâche d’apprentissage ultérieur. Ces tâches ont en
commun qu’elles se déroulent en laboratoire, qu’elles sont décontextualisées et
qu’elles impliquent de la part des sujets des processus de traitement « simples », à
savoir la mémorisation par cœur de suites de paires de syllabes dénuées de sens ou
de figures et la capacité de reproduire strictement ces associations à la suite de la
présentation du premier élément de la paire, en un temps très court. On est donc
très loin des situations naturelles.
Le tableau suivant illustre un dispositif de transfert avec plan expérimental simplifié. La tâche A est reliée d’une certaine manière à la tâche A’, alors que
la tâche B n’est pas reliée à cete tâche A’ (ou n’existe pas). Des effets de transfert
sont obtenus si le niveau d’apprentissage des items de la tâche A’ est différent entre
le groupe expérimental et le groupe de contrôle. Si l’apprentissage des items de
la tâche A augmente l’apprentissage de la tâche A’, un transfert positif est trouvé
alors qu’un transfert négatif surviendra si l’apprentissage des items de la tâche A
a diminué l’apprentissage de la tâche A’. Un transfert nul est obtenu si la tâche A
n’influence pas l’apprentissage de la tâche A’.
TABLEAU 1
Design expérimental classique pour l’étude du transfert
dans le cadre de l’apprentissage verbal
Groupe expérimental
Apprend la tâche A
Apprend la tâche A’
Groupe de contrôle
Apprend la tâche B
Apprend la tâche A’
Cependant, ce dispositif ne tient pas compte des différences individuelles
qui pourraient exister entre les deux groupes de sujets. Pour réduire la probabilité
d’une différence systématique entre les groupes et isoler les éléments de variance
qui viennent des différences entre groupes liées au hasard, un autre dispositif repris
au tableau 2 est proposé dans certaines études.
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TABLEAU 2
Design expérimental, avec test initial sur la tâche critériée
(traduit de Stephens,1960, p. 1536)
Etapes
Groupe «transfert»
Groupe «contrôle»
1
Test initial sur la tâche critériée
Test initial sur la tâche critériée
2
Pratique sur la tâche d’entraînement
Pas de pratique spécifique
3
Test final sur la tâche critériée
(expérience non contrôlée)
Test final sur la tâche critériée
Le but principal de l’étape 1 est d’égaliser les groupes quant à leur capacité
à résoudre la tâche. Cependant, cette première étape peut provoquer une certaine
pratique sur la tâche critériée pour les deux groupes et donc, réduire la différence
entre groupes. Nous reviendrons à cet effet qui a été qualifié de « learning sets »
dans le point suivant, comme source non spécifique de transfert.
Ainsi, les dispositifs expérimentaux utilisés dans ces recherches répondent
aux exigences strictes des recherches expérimentales. Ces recherches postulent
implicitement que le transfert des apprentissages est un phénomène général dont
les lois peuvent être étudiées en laboratoire en dehors de tout contexte, avec des
sujets «anonymes» n’ayant pas de caractéristiques individuelles cognitives, affectives, motivationnelles dont il est nécessaire de tenir compte, si ce n’est celles qui sont
clairement objectivables (âge, sexe, etc.). La relation postulée entre les variables est
celle d’une causalité linéaire stricte. Ces variables (dépendantes ou indépendantes)
peuvent être opérationnalisées par l’expérimentateur, de manière précise et répétable (exigence de validité et de fiabilité).
1.3.2 Opérationnalisation des variables dépendantes
et indépendantes
L’opérationnalisation des variables mesurées dans ces recherches permettra de
mieux comprendre encore les caractéristiques essentielles de ces recherches et leurs
postulats implicites.
1.3.2.1 Mesure de la variable dépendante « transfert »
La variable dépendante «transfert» a été le plus souvent opérationnalisée par les
mesures suivantes :
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•
nombre d’essais requis pour atteindre le niveau de maîtrise de la tâche ;
•
temps mis pour atteindre ce niveau de maîtrise ;
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•
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niveau de maîtrise atteint en termes de nombre de réponses correctes et de
nombre d’erreurs faites avant d’atteindre un niveau fixé de maîtrise de la
tâche.
La mesure du transfert est calculée à partir de la comparaison des performances réalisées par les deux groupes (groupe de contrôle et groupe expérimental) engagés dans les expériences. L’ampleur et la direction du transfert ont été
mesurées par une demi-douzaine de formules ayant chacune leurs forces et leurs
faiblesses (Murdock, 1957 ; Ellis, 1965, Singley et Anderson, 1989).
La qualité de la mesure du transfert dépend donc essentiellement du choix
de la variable qui entrera dans le calcul de la formule ainsi que de la constitution
des deux groupes de sujets. Il s’agit essentiellement de mesures de temps, de nombre d’essais ou d’erreurs prises lors de l’apprentissage par les deux groupes et d’une
comparaison entre leurs résultats. Plus les mesures prises seront finement opérationnalisées, meilleures seront les prédictions en termes de transfert dans le cadre
précis défini par la situation expérimentale.
Cependant, les principales difficultés de ces mesures résident dans leur
possible généralisation à d’autres situations que les situations de laboratoire.
Comment mesurer le pourcentage de transfert obtenu dans une situation scolaire
qui ne peut contrôler toutes les variables (hormis celle qui est l’objet de mesure)
par la constitution de deux groupes pairés (groupe expérimental et groupe de
contrôle) ? Comment éviter de tomber dans le piège d’une hypersophistication
des mesures dans les situations de laboratoire et l’absence quasi totale de mesures
précises dans les situations naturelles, qui sont par nature complexes ? Comment
expliquer et mesurer dès lors le transfert dans les situations naturelles ? Ces questions n’ont pas directement été abordées par les psychologues béhavioristes qui
ont travaillé presque exclusivement en laboratoire et dont le souci premier reste de
définir les lois générales du transfert des apprentissages.
Ces quelques réflexions soulèvent à nouveau la double problématique de
la recherche sur le transfert déjà évoquée en introduction, à savoir : la volonté
de mieux comprendre les phénomènes d’apprentissage et de transfert dans une
optique plus fondamentaliste et la nécessité de rendre plus efficaces les dispositifs
d’enseignement/apprentissage. Pour les psychologues expérimentaux inscrits dans
une approche béhavioriste, le choix est clair : comprendre d’abord les mécanismes
généraux qui régissent le transfert des apprentissages avant de chercher à rendre
plus efficaces les dispositifs d’instruction. Ce n’est que lorsque ces mécanismes
seront mieux cernés que l’on proposera des directives pour l’enseignement.
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1.3.2.2 Mesure des déterminants (variables indépendantes)
Parmi ces déterminants, nous ne développerons que celui relatif à la similarité des
stimuli et des réponses, puisqu’il constitue un des points communs entre cette
approche behavioriste et l’approche cognitiviste, traitée dans le point suivant.
D’autres ont bien sûr fait l’objet de nombreuses recherches, dont notamment
l’intervalle de temps écoulé entre les deux tâches, l’effet de la variété des tâches
initiales présentées, la quantité de pratique et la prédifférenciation des stimuli (voir
Frenay, 1994).
La similarité de la tâche est une variable complexe qui a été définie opérationnellement de différentes manières dans les recherches, d’où la difficulté de
comparer rigoureusement les résultats de celles-ci.
La façon classique de déterminer la similarité des stimuli et des réponses
est de demander à des juges indépendants d’estimer sur des échelles à plusieurs
degrés le degré de similarité du matériel à apprendre. Partant de cette évaluation
«externe», l’expérimentateur peut choisir le matériel à fournir aux sujets de son
expérience en fonction du degré de similarité des stimuli et des réponses qu’il veut
manipuler.
Pour les syllabes dépourvues de sens, on peut modifier le degré de similarité formelle de ces syllabes en faisant varier le nombre de lettres communes ou
non aux différentes syllabes ; plus il y a de modifications dans les lettres, moins
grande est la similarité entre les paires de syllabes.
Quelle que soit la façon d’opérationnaliser cette variable, Ellis (1965, p. 18)
souligne le point suivant :
In order to demonstrate any relation between similarity and transfer it is
necessary to have some measure of similarity that is independent of the
measure of transfer.
De ces considérations, il ressort que plus on contrôle « objectivement » les
paramètres de la situation, plus on s’écarte de l’apprentissage en situation naturelle !
Deux remarques fondamentales s’imposent et limitent la portée de ces
travaux (Baldwin et Ford, 1988). Tout d’abord, le type de tâches utilisées dans ces
recherches limite considérablement la possible généralisation des résultats aux seules tâches qui se déroulent à court-terme et qui font suite à un entraînement d’habiletés de mémorisation ou de comportements moteurs simples. L’usage de ces tâches
se révèle problématique si l’on veut généraliser les résultats et implications de ces
recherches dans le monde scolaire ou celui de la formation. En effet, les apprenants
sont dans ces contextes confrontés non pas à des tâches simples à court-terme mais
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tout au contraire, à des tâches qui requièrent des habiletés complexes se déroulant
à plus ou moins long terme. Or, nous ne disposons d’aucunes données empiriques
qui montrent de quelle manière et jusqu’à quel point les apprenants peuvent intégrer des principes d’apprentissage tels que la variabilité du stimulus dans des situations naturelles d’apprentissage. Enfin, les mesures critériées prises pour évaluer
l’impact de ces variables ont essentiellement été des mesures de performance et de
rétention à très court terme (mesures des variables dépendantes). En effet, le long
terme aurait signifié une plus grande difficulté de contrôler l’effet des variables
indépendantes sur ces mesures. Même si ces dernières étaient appropriées dans le
contexte spécifique et les buts de ces recherches, toute tentative de tirer directement
parti des résultats de ces recherches en vue d’applications sur le terrain pour augmenter le transfert des apprentissages doit être menée en prenant suffisamment de
précautions. En effet, des mesures positives de performance et de rétention à court
terme peuvent constituer des conditions nécessaires mais non suffisantes au transfert des apprentissages.
1.3.2.3 Au-delà d’un transfert strictement spécifique…
Cependant, à côté des sources spécifiques de transfert identifiées (spécialement la
similarité du stimulus et de la réponse), certains phénomènes de transfert ont été
observés qui renvoient à l’idée d’effets de transfert beaucoup plus généraux et dont
les relations de similarité entre les tâches sont beaucoup plus difficiles à établir. Ces
phénomènes observés4 sont, pour ne citer que les deux plus importants, les effets
de « warm-up » ou de « learning-to-learn » (Ellis, 1965 ; Stevenson,1970).
- «Warm-up»
L’effet de « warm-up » renvoie au fait que la performance face à la tâche critériée
peut être facilitée par toute activité juste avant le test. Même si cette facilitation
peut être considérée comme du transfert dans son sens très large, cela ne peut être
attribué aux caractéristiques distinctives de la tâche d’entraînement. Ce phénomène est cependant relativement transitoire.
- « Learning-to-learn » ou « learning sets »
Des sujets augmentent leur capacité à apprendre de nouvelles tâches lorqu’ils ont
effectué une série de tâches similaires ou reliées. Une étude réalisée par Ward en
1937 illustre ce fait (Ellis, 1965). Des sujets ont à apprendre des listes successives de
syllabes dépourvues de sens, une liste chaque jour. Chaque liste contient 12 syllabes ;
4.
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Ils sont qualifiés de «sources non spécifiques de transfert» (Ellis, 1965 ; Klausmeier et Davis, 1969).
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ces listes sont approximativement de difficulté égale. Les résultats de Ward mettent
en évidence que 38 essais sont nécessaires pour maîtriser complètement la première
liste alors que 20 essais suffisent après six listes et 14 après la quinzième liste. Les
sujets semblent avoir appris comment apprendre ce type de matériel même s’il
s’agissait de listes de syllabes dépourvues de signification, ils ont acquis un mode
d’apprentissage spécifique qui leur permet de faire face à cet apprentissage.
Ces phénomènes ne sont pas, à nos yeux, directement explicables par l’analyse stricte des éléments similaires partagés entre les deux moments : apprentissage
et transfert. Comment dès lors les interpréter dans le strict sens de réponses conditionnées aux stimuli présentés ? Ne font-ils pas référence à des mécanismes cognitifs sous-jacents ? Le transfert positif ne dépend-il pas à la fois de ce qu’un individu
apprend mais aussi de la façon dont il l’apprend et de la façon dont il interprète les
éléments de la situation dans laquelle il est amené à transférer les connaissances
construites préalablement ?
2.
LE COURANT RATIONALISTE ET SA PRÉOCCUPATION
POUR LE TRANSFERT DE CONNAISSANCES
D’après Greeno et al. (1996), les paradigmes qui s’inscrivent dans ce courant
(Gestalt psychologie, paradigme du traitement de l’information, paradigme constructiviste) ont en commun de s’intéresser à l’activité cognitive du sujet dans ses
interactions avec l’environnement. Connaître, dans cette perspective, c’est disposer
de structures et de capacités cognitives permettant la sélection et le traitement de
l’information en vue de comprendre les situations auxquelles le sujet est confronté,
et d’agir sur ces situations. La réponse du sujet face à une situation n’est donc plus
déterminée seulement par l’environnement (les stimuli) mais bien par l’interaction
entre le sujet et l’environnement. Pour ce courant, l’apprentissage est vu comme
le processus par lequel se développent, se transforment, s’acquièrent les structures
et les capacités cognitives individuelles du sujet au travers de ses interactions avec
l’environnement. Le postulat central est que tout apprentissage se réalise à partir
de structures cognitives déjà-là . Apprendre, dans cette perspective, c’est transformer des structures cognitives préalables en structures nouvelles.
Le transfert, dans un tel courant, est essentiellement un processus qui
implique l’interprétation d’une situation donnée dans laquelle est inscrite une
tâche à accomplir (Pea, 1987). Cette interprétation de la situation par le sujet se
fondera non seulement sur l’analyse des composantes de la tâche (buts, données,
contraintes, types de stratégies à mettre en œuvre) mais aussi sur l’analyse du contexte dans lequel elle s’inscrit, tout cela étant sous-tendu par la lecture que le sujet
en fera en fonction de ses caractéristiques personnelles. Le transfert de connaissances renvoie à la capacité qu’a un apprenant de résoudre de nouvelles situations en
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mobilisant les connaissances apprises antérieurement dans des situations différentes
(Frenay, 1994, p. 73).
Cependant, les deux paradigmes les plus actuels de ce courant (traitement
de l’information et constructiviste) n’ont pas accordé la même importance à cette
question du transfert. C’est en effet essentiellement les recherches inscrites dans le
paradigme du traitement de l’information qui se sont préoccupées de cette question. Nous allons donc tout d’abord présenter leurs principaux apports avant de
synthétiser la manière dont le paradigme constructiviste considère cette question
et la repositionne par rapport aux approches plus classiques, approche béhavioriste
et celle du traitement de l’information.
Contrairement au paradigme béhavioriste présenté dans le point précédent,
les travaux conduits dans la lignée des théories du traitement de l’information mettent en évidence que le processus de transfert implique non seulement de reconnaître qu’une situation partage des éléments communs avec une autre (Butterfield et
Nelson, 1989 ; Singley et Anderson, 1989; Cormier, 1987) mais qu’il faut en outre
pouvoir retrouver les connaissances ou habiletés nécessaires pour faire face à la
nouvelle situation.
The likelihood that transfer of learning will occur is determined by the probability of retrieving the relevant prior learning during the search process.
(Royer, 1979, p. 62).
On le voit, l’accent n’est plus mis uniquement sur les différences existant
entre les deux tâches en termes de stimuli ou de réponses, mais davantage sur
les processus internes qui gouvernent l’apprentissage et le transfert. C’est ce qui
se passe dans la tête du sujet qui devient essentiel. La psychologie cognitive contemporaine, et plus particulièrement le paradigme du traitement de l’information,
se donne principalement pour tâche, depuis une trentaine d’années, d’étudier en
profondeur les différentes formes d’activités cognitives que le sujet exerce dans ses
interactions avec l’environnement (comprendre et interpréter, inférer et prédire,
lire et écrire, résoudre des problèmes, raisonner, évaluer, …) et les différents types
de structures et de capacités cognitives mobilisées dans ces activités (connaissances déclaratives et procédurales, représentations, capacités et stratégies métacognitives, croyances épistémologiques, etc.). Comme le montrent Singley et Anderson
(1989, p. 19) :
With the advent of the information-processing approach in psychology, many
traditional learning and transfer issues were temporarely set aside. Researchers
adopted the strategy of first working out the details of performance theories
before turning their attention to the study of higher-order phenomena. As a
result, the transfer of cognitive skill has been largely neglected by cognitive psychologists throughout the last quater-century.
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Ainsi, ce n’est pas tant la définition stricte de l’apprentissage qui différencie
les deux courants théoriques que la relation qui unit les facteurs environnementaux
ou internes ! Alors que dans la tradition béhavioriste, l’apprenant est vu comme un
organisme passif répondant aux influences de l’environnement, dans une approche
du traitement de l’information, il est vu d’abord comme un organisme actif qui
agit sur son environnement et le définit à travers son action.
Comme dans le point précédent, pour mieux cerner la pertinence et l’intérêt de ces recherches, nous allons d’abord présenter dans les grandes lignes une
recherche classique menée dans cette approche du traitement de l’information et
les mécanismes cognitifs impliqués dans le transfert avant d’aborder la question
centrale de la similarité des tâches et de présenter les caractéristiques essentielles
de ces recherches pour mieux les comparer et les différencier des recherches sur
le transfert menées dans une tradition béhavioriste. Nous clôturerons cette partie
en mettant en évidence les limites et les points laissés dans l’ombre par ces deux
courants de recherches.
2.1
Un exemple classique de recherche
Une des expériences classiques sur le transfert, menée dans cette orientation, est
celle de Gick et Holyoak (1983).
Dans cette expérience, il est demandé aux sujet de lire deux histoires (situations-source) illustrant des problèmes qui ont été résolus par une procédure de
«convergence» (ex. histoire d’un général5 et histoire d’un capitaine des pompiers6).
Les histoires sont présentées au sujet comme faisant partie d’une expérience sur
la compréhension de textes. Les sujets sont amenés à écrire un résumé de chaque
histoire ainsi que les similarités qu’ils perçoivent entre ces deux histoires. Cette
dernière tâche est demandée dans le but d’induire une représentation schématique des histoires qui permet aux sujets d’abstraire les similarités entre les deux
problèmes source analogues. Immédiatement après ces tâches, on demande aux
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5.
Un général d’armée veut prendre une forteresse qui est située au centre d’un pays. Il y a plusieurs routes
qui conduisent à la forteresse. Cependant, elles sont toutes minées de telle sorte que seulement des petits
groupes peuvent passer sur les routes sans faire exploser les mines. Si un grand nombre de gens parcourent
ces routes simultanément, les mines exploseront. De plus, le général doit rassembler toutes ses troupes en
même temps autour de la forteresse s’il veut avoir la possibilité de réussir une attaque et de s’emparer de
la forteresse. Il résout son problème en divisant les hommes de son armée en petits groupes et, en même
temps, il dirige chaque groupe sur des routes différentes vers la forteresse.
6.
Les sauveteurs disposent d’un réservoir d’eau mais n’ont que des petit seaux. L’incendie est si violent que
chaque fois qu’on jette un seau d’eau sur le feu, l’eau s’évapore immédiatement. Le chef pompier a l’idée
de faire diposer les sauveteurs tout autour du foyer d’incendie, tout le monde jette alors le contenu de son
seau en même temps.
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sujets de résoudre le problème de radiation de Duncker (problème-cible) : « Vous êtes
un médecin et vous devez traiter un patient qui souffre d’une tumeur maligne à
l’estomac. Il vous est impossible de pratiquer une intervention chirurgicale et, si la
tumeur n’est pas détruite, le patient va mourir. Il existe des rayons X qui, utilisés à
une très haute intensité, peuvent détruire la tumeur. Cependant, à cette intensité,
les tissus sains que les rayons X rencontrent sont tous détruits. Si les rayons sont
utilisés à une intensité plus faible, ils ne détruisent pas les tissus sains, mais ils ne
sont pas assez puissants pour détruire la tumeur maligne. Comment les rayons X
peuvent-ils être utilisés pour détruire la tumeur sans supprimer les tissus sains ? »
Une première tentative de résolution est faite par les sujets sans qu’on ne leur fournisse aucun indice sur les relations de similitude entre les deux histoires présentées
au départ et le problème à résoudre. Ensuite, on leur redemande de résoudre ce
problème après leur avoir fourni ces indices.
Le transfert observé avant la présentation d’indices (c’est-à-dire la production de la solution de convergence au problème de radiation) traduit la capacité
spontanée des sujets de remarquer et d’appliquer l’analogie entre les histoires et le
problème alors que le transfert observé après la présentation d’indices externes traduit la capacité d’appliquer cette analogie lorsque sa pertinence a été mise en évidence. Ainsi, le transfert après présentation d’un indice (transfert informé) serait
plus facile que le transfert sans présentation d’indice (transfert spontané) parce
que la première étape du raisonnement par analogie n’est pas requise, à savoir le
fait de percevoir spontanément la pertinence d’une analogie.
Gick et Holyoak (1983) ont montré que le fait de fournir deux histoires analogues plutôt qu’une produit un transfert significativement plus important, avec ou
sans ajout d’indices. De plus, pour les sujets ayant lu deux histoires analogues, la
probabilité qu’un transfert survienne peut être prédite à partir du contenu des descriptions qu’ils ont rédigées sur les similarités entre les histoires. Ces descriptions
ont été catégorisées sur base de la qualité des schémas sous-jacents ; cette dernière
reflète la façon dont ils ont intégré les solutions de convergence comme étant des
solutions similaires. La probabilité d’un transfert immédiat et informé augmente
avec la qualité des schémas décrits ; Gick et Holyoak l’interprètent comme une
induction préalable d’une représentation schématique d’une catégorie de problèmes qui peut faciliter le transfert.
2.2
Eléments et mécanismes impliqués dans le transfert
Dans ce paradigme du traitement de l’information, les « éléments » qui sont partagés entre les tâches ne seront plus de l’ordre des stimuli et des réponses mais sont
les représentations, connaissances et stratégies disponibles chez l’apprenant pour
faire face à celles-ci (Butterfield et Nelson, 1989), en d’autres termes les connaissances déclaratives et procédurales (Gray et Orasanu, 1987). De même, les méca-
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nismes impliqués seront différents puisqu’il s’agit essentiellement des mécanismes
cognitifs à l’œuvre pour traiter une nouvelle situation. Nous voulons parler des
mécanismes d’encodage7, de traitement (automatique ou contrôlé) et de régulation
métacognitive de ces mécanismes (Butterfield et Nelson, 1989; Cormier, 1987, Gick
et Holyoak, 1987).
Le transfert des apprentissages est affecté plus ou moins directement par
chacun de ces mécanismes, que ce soit par la façon dont les représentations des
situations en cours sont encodées ou la façon dont les représentations des apprentissages antérieurs sont stockées, par l’évocation ou le recouvrement automatique
ou contrôlé et par les possibilités de supervision métacognitive et de contrôle des
processus d’encodage, de stockage et de recouvrement. Nous évoquerons en quelques lignes ces mécanismes qui sous-tendent le processus de transfert.
2.2.1 Variabilité et spécificité d’encodage
Deux principes ont été avancés pour caractériser le processus d’encodage : le
principe de variabilité et le principe de spécificité (Cormier, 1987 ; Butterfield et
Nelson, 1989). Selon le principe de variabilité, différentes personnes dans différents contextes encoderont les mêmes connaissances ou stratégies de différentes
façons. Cependant, pour qu’un apprentissage antérieur puisse être évoqué, il faut
que les connaissances ou stratégies pertinentes aient été encodées de manière similaire (principe de spécificité). Ce dernier principe insiste donc sur le contexte d’encodage pour déterminer les conditions selon lesquelles des connaissances pourront
être évoquées ainsi que la nécessité d’indices d’évocation qui soient directement
imbriqués avec les informations encodées initialement. Le succès de l’évocation
dépend largement de la relation ou de la compatibilité (Phye et Sanders, 1989, 1990,
1991, 1992) entre l’information encodée et l’information évoquée. Selon Gick et
Holyoak (1987), la qualité de l’encodage est déterminante pour qu’un transfert
positif puisse survenir, celle-ci étant elle-même déterminée par le nombre, la
variabilité, la pertinence et l’ordre des exemples présentés lors de cette phase d’encodage.
2.2.2 Traitement de la situation : automatique ou contrôlé
Quand les connaissances et habiletés nécessaires au traitement d’une situation ont
été automatisées, trois implications peuvent être dégagées en ce qui concerne le
transfert :
7.
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Nous intégrons dans ces mécanismes d’encodage, les mécanismes de décodage de la tâche et/ou de la situation par le sujet, qui interviennent chronologiquement les premiers. Nous renvoyons le lecteur intéressé
par le décodage de la situation aux travaux de Peltier (1991), Jonnaert, Lauwaers et Pesenti (1990, 1991).
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•
le transfert a d’autant plus de chances d’être positif que les connaissances et
habiletés nécessaires pour traiter la tâche de transfert ont été automatisées
lors de l’apprentissage ;
•
par contre, un transfert négatif peut se produire quand des relations entre
connaissances qui avaient été automatisées sont modifiées ;
•
face à des tâches complexes, un transfert positif peut plus facilement survenir lorsque les connaissances sont automatisées puisqu’elles ont libéré
de l’espace dans la mémoire de travail, lieu de traitement de la situation
(Cormier, 1987, Tardif, 1999).
Mis à part8 les postulats théoriques sous-jacents, deux de ces implications
peuvent être rapprochées des constatations faites par beaucoup de travaux expérimentaux béhavioristes sur le transfert : (1) le transfert a d’autant plus de chances
d’être positif que les associations conditionnées entre stimuli et réponses sont
fortes (importance de la quantité de pratique) ; (2) par contre, un transfert négatif
peut se produire quand les relations stimuli-réponses qui avaient été acquises sont
modifiées (stimuli et/ou réponses différentes). Par contre, la troisième implication est spécifique à une approche cognitiviste du transfert, car les béhavioristes
ne postulent pas de processus de traitement internes aux sujets : les réponses sont
dues à l’association conditionnée avec les stimuli ou provoquées par une généralisation de stimuli présentés.
Quand l’apprenant ne dispose pas des connaissances et habiletés automatisées pour faire face à une situation, ce sont des processus de traitement – sous
contrôle conscient – qui sont mis en œuvre. Ces processus nécessitent de pouvoir
identifier les éléments d’une situation et de déterminer leur pertinence pour le
traitement de la situation. Ils influencent non seulement les représentations des
connaissances mais aussi la sélection des connaissances et stratégies utiles pour
le traitement de la situation. Parmi ces processus de traitement contrôlés, le raisonnement par analogie joue un rôle considérable dans les situations de transfert
(Butterfield et Nelson, 1989 ; Gick et Holyoak 1983, 1987 ; Singley et Anderson,
1989). En effet, ce raisonnement peut être mis en œuvre quand l’apprenant est
confronté à une situation pour le traitement de laquelle il ne dispose pas en
mémoire de « modèle mental » sur mesure : le sujet peut alors évoquer un problème
similaire dont la solution est connue et, ensuite, apparier la solution de ce problème (la source) avec le problème actuel (la cible).
8.
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Nous sommes bien consciente qu’il s’agit là d’une vue de l’esprit, car ils sont indissociables de l’analyse qui
peut être faite des résultats obtenus.
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Analogy is used to generate knowledge applicable to a novel target domain
by transferring knowledge from a source domain that is better understood
(Holyoak et Koh, 1987, p. 332).
2.2.3 Le raisonnement par analogie
Le raisonnement par analogie9 peut être caractérisé par :
•
la considération de deux situations dites « analogues »10 , l’une appelée «situation source » et l’autre « situation cible » ;
•
l’utilisation des connaissances qu’on a sur la situation-source, qu’on connaît
bien et qu’on a mémorisée, pour engendrer de nouvelles connaissances concernant la situation cible (Caverni et al., 1990, p. 147).
Ce raisonnement comprend essentiellement trois phases, chacune d’entre
elles se réalisant de manière très interactive et non strictement séquentielle.
La première phase – phase d’évocation de la situation source ou du problème source (retrieval) – « permet de retrouver dans la mémoire à long terme une
situation connue analogue à celle, nouvelle, qui doit être traitée. […] Une fois la
situation source évoquée, il est nécessaire de réaliser une série de mises en correspondance plus systématiques entre les deux situations (mapping ou appariement)
de manière à pouvoir exporter vers la situation cible les informations présentes
dans la situation source11 : il s’agit de la phase d’application. […] Enfin, la troisième
phase consiste à évaluer la pertinence de l’analogie : phase d’évaluation. […] C’est
en fonction du succès ou de l’échec de l’analogie, que le système peut modifier l’organisation des connaissances en mémoire à long terme » (Ripoll, 1992, p. 266).
Beaucoup de recherches, menées en laboratoire, ont montré que les sujets
ne remarquent pas spontanément les similarités entre les problèmes et ne sont pas
capables d’exploiter des solutions analogues (Singley et Anderson, 1989 ; Gick et
Holyoak, 1980, 1983). Les difficultés se situent donc soit pendant la phase d’évocation quand il faut remarquer que des problèmes sont analogues, soit lorsqu’il s’agit
d’apparier les problèmes sources et les problèmes cibles. Ce qui équivaut aux deux
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9.
D’autres termes ont été utilisés pour qualifier cette activité cognitive (Caverni et al., 1990) : on parle de
« comprendre par analogie », « résoudre un problème par analogie » et d’« apprendre par analogie ». Toutes
ces activités ont en commun les deux caractéristiques que nous précisons ci-dessus.
10.
Deux situations seront considérées comme analogues si on peut les décrire à l’aide d’une même structure
de relations (Moore et Newell, 1974, in Caverni et al., 1990).
11.
Cet appariement s’effectue sur les différentes constituantes du problème : les données initiales et les contraintes du problème, la structure des buts et les procédures.
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mécanismes qui sous-tendent le transfert par analogie selon Caverni et al. (1990) :
possibilité de trouver une situation-source et possibilité pour le sujet de définir le
point de vue qui permet de voir deux situations comme analogues.
Selon Ripoll (1992), cette phase d’évocation renvoie au problème de la
représentation et de l’organisation des connaissances en mémoire à long terme, des
processus d’activation et de récupération de ces connaissances : le succès de l’évocation d’un problème analogue source dépend d’une part de la similitude entre la
représentation du problème cible présent en mémoire de travail et la représentation
du problème source stocké en mémoire à long terme, et d’autre part de la nature
des processus qui opèrent sur ces représentations.
2.2.4 Supervision métacognitive
Une supervision métacognitive, incluant la prise de conscience et le contrôle de ses processus, est nécessaire à la fois lors de la sélection des connaissances
et stratégies à mettre en œuvre pour faire transfert et lors du processus de transfert
lui-même (mise en œuvre des connaissances et stratégies). Cette supervision peut
prendre plusieurs formes et intervenir à différents moments (Butterfield et Nelson,
1989 ; Prawat, 1989 ; Palincsar et Brown, 1984) :
•
Les apprenants peuvent estimer que la solution au problème est imminente
ou que la solution qu’ils ont imaginée est suffisamment correcte pour justifier une réponse ou qu’au contraire, ils ont encore besoin d’un temps de
traitement supplémentaire avant de fournir une réponse au problème.
•
Ils peuvent autoévaluer la confiance qu’ils ont dans leur traitement.
•
Une fois fournie la réponse au problème, les apprenants peuvent encore
évaluer dans quelle mesure ils ont atteint leur but et si leur réponse est correcte.
•
Les apprenants peuvent se baser sur leur sentiment de connaître pour
évaluer si leur échec est dû au manque de connaissances nécessaires dans
leur mémoire à long terme ou s’il est lié à une difficulté d’évocation temporaire.
•
S’ils ont échoué dans la résolution du problème, il s’agit alors de mettre en
œuvre des procédures métacognitives pour chercher les solutions de remplacement qui peuvent être proposées au problème ou s’il s’agit de modifier
leur représentation du problème, etc.
Ces mécanismes, et tout particulièrement le raisonnement par analogie,
nécessitent une certaine similarité entre les tâches pour qu’ils puissent « entrer en
jeu ». Cependant, contrairement à ce que nous avons vu dans le chapitre précédent,
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