Pour la protection du Peuple Palestinien - Compte

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Pour la protection du Peuple Palestinien - Compte
Pour la protection du Peuple Palestinien - Compte-rendu de la 35e mission - http://www.protection-palestine.org - novembre 2002
Comptes-rendus des missions civiles
35e Mission civile de protection du peuple Palestinien
1° au 15 Novembre 2002
Le mur et les olives
Récits de Philippe
Le texte que je vous livre ici est mon récit de voyage en Palestine du 1er au 15 novembre 2002. Je me suis joint
à un groupe de Français partant avec le CCIPPP (Campagne Civile Internationale pour la Protection du Peuple
Palestinien) dans le cadre de Missions civiles. Notre groupe était la 35e mission. Depuis un an, un millier de
personnes sont parties ainsi. D’autres organisations font la même chose : sur place, nous avons croisé des gens
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venus du monde entier : Anglais, Suédois, Belges, Américains, Australiens, Italiens, Suisses, Espagnols,
Irlandais, Portoricains ainsi que des Israéliens.
Qu'allions-nous faire là-bas ? Les gens que nous avons retrouvés sont tous là parce que scandalisés par le sort
réservé au peuple palestinien. Ce conflit envenime les rapports mondiaux depuis des dizaines d’années et rien
n’est fait pour le régler. Après des années d’occupation militaire, de résolutions internationales restées lettres
mortes, les espoirs de paix ont été bafoués par une colonisation à outrance du territoire du futur état palestinien.
L’eau et la terre sont confisquées. Avec les couvre-feux, les maisons des familles palestiniennes sont devenues
leur propre prison.
Les missions civiles sont parfois constituées de groupes intervenant dans leur propre secteur d’activité (santé,
éducation, agriculture…), dans notre cas, personne ne se connaissait avant et l’objectif était de protéger la
récolte des olives. C’est une des principales sources de revenus pour les paysans palestiniens. Cette année, la
récolte s’annonçait particulièrement bonne.
Dès le début de la cueillette (mi-octobre), l'armée israélienne et les colons vivant illégalement en Cisjordanie ont
multiplié agressions, tabassages, arrestations, tirs depuis les colonies dans différents villages (1 mort et 3
blessés graves dans le village de Beit Furik), vol des récoltes, incendie des oliveraies à Mazraa Alsharqia. Le 22
octobre de cette année, l'armée d'Israël interdit aux Palestiniens de récolter leurs olives. Cette décision sera
annulée le lendemain par la cour suprême, saisie par un député arabe israélien.
Ont-ils peur qu'après les pierres, les Palestiniens leur jettent des noyaux d'olives ?
Notre voyage n'a pas été facile. Nous avons vécu leur impuissance face à une armée d'occupation aux moyens
disproportionnés, l'humiliation et l’arbitraire imposés aux check-points… mais aussi la joie de finir une bonne
journée de récolte -déjà une petite victoire- et l'accueil chaleureux des familles palestiniennes. Lorsque nous les
quittions, nous avions l'impression de les abandonner à leur triste sort.
La moindre des choses que je puisse faire est de raconter, ici, leur histoire. J'espère réussir à vous faire
ressentir toutes les impressions qui nous ont assaillies au cours de ce voyage.
Samedi 2 novembre : Jérusalem (la Vieille Ville)
3h du matin, arrivée à l’aéroport de Tel Aviv, l’accès par la Jordanie étant plus difficile. On nous a prévenus du
risque de subir un interrogatoire très insistant. J’ai préparé une petite histoire. Un premier contrôle, quelques
questions et on me laisse passer. Croyant que c’est terminé, je souffle mais deux jeunes en civil m’arrêtent et le
vrai interrogatoire commence. A l’évidence, ils appliquent les cours de psychologie qui leur ont été dispensés et
se relaient pour me poser rapidement les mêmes questions mais dans un ordre différent pour m’embrouiller :
raisons du voyage, chez qui je vais, pourquoi je viens ici en ce moment, quel travail je fais ? Au bout d’un quart
d’heure, j’ai mon visa d’entrée. Est-ce l’heure tardive ou alors mes explications les ont-ils convaincus ? Je
pensais y passer plus de temps. Je prends un taxi collectif jusqu’à Jérusalem. Comme il fait nuit je ne vois rien
du trajet. J’arrive à l’hôtel dans la Vieille Ville à 5h du matin.
A 8h, je retrouve le groupe. Nous faisons connaissance, nous sommes douze : provinciaux, Parisiens ainsi que
deux Suisses, des gens travaillant dans divers secteurs et un couple de retraités, dix femmes et deux hommes
mais il parait que c’est courant. Les femmes se sentent-elles plus concernées ? Une réunion est prévue en fin de
journée, aussi nous en profitons pour visiter la Vieille Ville enfermée dans ses murailles. C’est vraiment une très
belle cité.
De la porte de Jaffa à l'Ouest, des ruelles couvertes s'enfoncent dans le souk et descendent vers l'Esplanade
des Mosquées, lieu de déchirement de toutes les religions qui se partagent la ville. Au sud le Quartier Arménien,
au nord-ouest le Quartier Chrétien, au nord le Quartier Musulman et à l'Est, sous l'Esplanade des Mosquées (ou
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Mont du Temple) le vieux Quartier Juif.
Nous n’avons pas pu atteindre l'Esplanade des Mosquées avec le Dôme du Rocher car c’est interdit aux nonmusulmans. Dommage que ça n'ait pas été le cas, le 28 septembre 2000, lorsque Ariel Sharon, accompagné de
1000 policiers, est venu faire sa provocation. Peut-être aurait-on évité le déclenchement de la 2e Intifada et, en
deux ans, la mort de 2000 Palestiniens, 600 Israéliens ainsi que les milliers de blessés et d’emprisonnés.
Aujourd’hui, jour de shabbat, la population juive de Jérusalem Ouest se rend en masse dans la Vieille Ville. Les
juifs orthodoxes ont un grand manteau noir et sont coiffés d’un chapeau, noir aussi, parfois en fourrure. Des plus
jeunes ont un petit poncho de prière, blanc et frangé, mais le pistolet-mitrailleur à l’épaule. Les femmes sont en
tenue très stricte. Certains « en civil » ont revêtu le gilet pare-balles et le pistolet à la ceinture. Des soldats et des
policiers patrouillent partout. La profusion des armes ne me donne pas envie de me promener dans le Quartier
Juif. Dommage ! J’ai quand même pu me perdre dans les ruelles du reste de la Vieille Ville et sentir les odeurs
de l’Orient dans le souk. Bonne prise de contact.
Dimanche 3 novembre : Ramallah
Le matin, passage du check-point de Qalandia au nord de Jérusalem. Un taxi collectif nous a amenés jusque là
mais il ne peut pas aller plus loin. Des deux côtés, les taxis débarquent un flot de gens obligés de faire la queue
patiemment pour traverser ce long couloir grillagé. Des plots de béton canalisent les gens vers des guérites où
ils doivent présenter leurs papiers à des soldats affichant leur mépris. Une jeune soldate arbore un casque
marqué ONU, voilà qui ne devrait pas plaire à Kofi Annan ! Des vieux clopinent sur la route avant de se faire
refouler, des jeunes sont mis à l'écart pour interrogatoire, des vieilles femmes se déhanchent en portant de
lourds sacs plastiques sous les regards ironiques des soldats placés en surplomb de la route. Bref, tout est
calme au check de Qalandia ce jour-là.
De 9h jusqu'au soir, nous passons la journée à Ramallah dans le petit local d'une association palestinienne à
suivre un stage organisé par une organisation anglophone, ISM (International Solidarity Movement). Nous
sommes plus d'une cinquantaine, venus d'horizons divers. Là, toute la journée, on nous donne des informations
sur la situation dans les territoires occupés, l'environnement culturel, les moyens d'intervention pacifique, les
risques encourus. Tout ça est assez laborieux, très directif, mais quand même utile.
Nous n’avons pas pu voir grand chose de Ramallah. La situation était apparemment calme et les rues du centre
étaient en pleine activité. Visiblement, c’est une ville assez étendue. Les maisons aux toits en terrasse sont
souvent recouvertes de fausses pierres en parement, ce qui leur donne un aspect plus cossu qu’en Egypte.
Nous passons la nuit dans un bel hôtel mais les clients ne s'y bousculent pas. Vu le portrait d'un martyr au
dessus du comptoir, le patron a dû perdre un fils au cours de l'Intifada. Partout à travers tout le pays, de tels
portraits sont affichés. Chez nous, ce sont les portraits des gens voulant nous gouverner qui décorent les villes,
ou les pin-up des sites roses. Ici, ce sont les visages des morts qui honorent les murs.
Lundi 4 novembre : Falamya (5 kms au nord de Qalqilya)
Entre Ramallah et Falamya nous avons sillonné des tas de petites routes. Nous avons pu apercevoir, sur les
hauteurs, l’implantation des colonies. Il y en a beaucoup et certaines, comme Ariel, sont de vraies villes. Elles
sont facilement reconnaissables aux toits rouges des maisons neuves et aux grandes antennes de
communication. La nuit c’est encore plus frappant, ce sont les seules lumières de Cisjordanie. Même durant la
journée, leur éclairage public est allumé.
A 13h, après bien des détours, nous arrivons avec un groupe de Belges à Falamya, village de 500 habitants. La
région est assez verte, je suis surpris, ne m'attendant pas à trouver une telle végétation sous ces latitudes.
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Possédant de nombreuses sources dont ils n'ont le droit d'utiliser qu'une infime partie (contrôle de l'occupant), le
village est un gros producteur agricole (olives, agrumes, maraîchage, cultures sous serres). Cette région, entre
Qalqilya et au nord de Tulkarem, est située le long de la ligne verte (la frontière avec Israël d’avant 1967) et
fournit 60% de la production agricole palestinienne.
Le village est à 2 ou 3 kms de la ligne verte. Déjà, en 1948, beaucoup de terres ont été confisquées par Israël.
La construction du mur va entraîner le vol de 2.700 dunums (270 ha) et la zone de sécurité qui leur sera interdite
va arriver aux portes du village. Alors que le village est relativement aisé, les 150 familles ne pourront plus vivre
des terres qu'il leur reste. Beaucoup iront grossir les rangs des milliers de chômeurs. De plus, sept sources qui
font leur richesse sont annexées par Israël.
Depuis deux ans d'Intifada :
- le taux de chômage dans les territoires occupés atteint 65%,
- 75% des Palestiniens vivent en dessous du seuil de pauvreté (- 2 $/jour),
- de décembre 2000 à mars 2002, les dommages causés par l'armée aux infrastructures et propriétés sont
estimés à 350 millions de $,
- en avril 2002 en un seul mois d'invasion et de bouclage de tous les territoires, il y a eu 361 millions de $ de
destructions par l'armée.
- 75% des ressources d'eau des territoires occupés sont utilisés par Israël,
- 3 millions de Palestiniens ne sont autorisés à utiliser que 83 m3 par personne et par an, tandis que 6 millions
d'Israéliens bénéficient de l'usage de 330 m3 par personne et par an.
Les chiffres que je cite dans ces encadrés sont tirés d’une étude-bilan publiée par le PNGO (un regroupement
de 90 organisations non gouvernementales en Palestine. Site web : www.palestinemonitor.org ) et de divers
articles du Monde Diplomatique. J’ai essayé au maximum de croiser les informations pour les vérifier.
Ce matin avant notre arrivée, l'armée et la milice du mur israéliennes sont venues, avec bulldozers et
tronçonneuses, abattre les oliviers. Un petit groupe d'internationaux s'y est opposé et certains ont été molestés
(frappés à coups de crosse et menacés avec les tronçonneuses) mais ils ont quand même provoqué le départ
des agresseurs ; ceux-ci n'ont pu couper qu'une quinzaine d'oliviers. Plus tard, on a appris qu'en partant, ils sont
allés se venger en rasant les oliviers à Jayyus, un village voisin, et ce jusqu'à dix mètres des maisons. Le
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lendemain, Jayyus était déclaré zone militaire fermée
Les villageois sont très touchés par la solidarité des internationaux et ont encore une petite lueur d'espoir car la
France a investi de grosses sommes d'argent dans un projet hydraulique pour la région, projet évidemment
menacé par le mur. Demain, le consul français doit venir en personne discuter avec les représentants du village
et des officiels israéliens. Ils espèrent des négociations qui servent d'exemple pour les autres villages menacés.
Ils ne s’opposent même pas à la construction du mur car ils savent qu’ils n’en ont pas les moyens, ils demandent
seulement qu’il soit repoussé sur le tracé de la ligne verte pour conserver leurs moyens de subsistance. Ils
doivent demander au maire d’une localité israélienne voisine, avec qui ils ont de bons rapports, de venir demain.
L’après-midi, les villageois nous font visiter leurs terres et les enfants nous gavent d’oranges, de clémentines, de
goyaves. « Allez-y tant que c’est encore à nous » disent les vieux.
Le soir nous nous répartissons, les femmes d’un côté les hommes de l’autre, dans différentes familles. J’arrive
avec quatre internationaux chez deux frères qui habitent chacun un étage de la maison. Le repas est l’occasion
de faire plus ample connaissance avec nos hôtes. L’un d’entre nous parle arabe et traduit. Beaucoup d’hommes
parlent anglais ici mais les francophones comme d’habitude ne sont pas très forts à ce jeu-là. Mon anglais est
assez limité mais au moins j’arrive à échanger quelques propos sans traducteur.
«Ce qui est construit aujourd’hui, demain nous le garderons !»
Telle est la devise d'Israël pour la construction du mur et l'extension des colonies au mépris du droit
international.
A terme, le mur de "séparation" entraînera l'annexion de 10% de la Cisjordanie, surtout des terres les plus
riches. Dans les villages qui entourent Qalqiliya et Tulkarem, 30 puits vont être confisqués alors qu’ils ont un
débit de 4 millions de m3 par an. Des milliers de Palestiniens seront enfermés entre la ligne verte et le mur,
contraints de fuir ou de vivre dans un bantoustan. Des villes palestiniennes comme Qalqilya seront quasi isolées.
Le mur, c'est une zone de "sécurité" de 100 à 200 m de large avec un mur de béton de 8m de haut au milieu,
des miradors tous les 300m, des tranchées et des routes pour les véhicules militaires de chaque côté. Il coûte 1
million de dollars par kilomètre.
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Mardi 5 novembre : Falamya, village prospère sur une terre aride, calme malgré la tourmente
tout autour
Que dire à X lorsqu'il nous raconte qu'il n'a plus d'espoir, que toutes ses terres vont être confisquées, que, sans
travail, il ne pourra plus nourrir sa famille, qu'il devra partir en ville ou dans un camp, à passer son temps à
ruminer sa rancoeur et qu'il finira par aller se faire sauter à Tel Aviv en tuant le plus possible de gens
responsables de ses malheurs ? Hier encore, il vivait à peu près heureux dans ce village avec sa femme et ses
gosses. Nous sommes abattus. Que lui répondre quand il nous demande, les larmes dans les yeux, quelle
solution il lui reste ?
Ce matin, le consul français est venu comme promis. Alors qu'il discutait avec les autorités dans le village, nous
étions une cinquantaine d'internationaux dans les oliviers face à l'armée pour empêcher la moindre destruction.
Le consul est ensuite venu dans l'oliveraie pour constater les dégâts d'hier. Résultat des négociations : le tracé
du mur reste le même, les oliviers seront coupés et arrachés mais les Palestiniens pourront les récupérer (en
général, ils sont vendus en Israël et transformés en souvenirs pour les touristes !) et les replanter sur les terres
qu'il leur reste (des oliviers centenaires...) Une citerne au dessus du village reste propriété d'Israël mais on
accorde un tuyau vers le village. Toujours le contrôle de l'eau ! Le consul dit qu'il y aura d'autres négociations
mais qu'il est très pessimiste, dit aussi que l'armée viendra demain reprendre le saccage. Voilà pourquoi, l’aprèsmidi, tout le monde est abattu.
Le soir, réunion entre les villageois et nous où l'on décide de retarder au maximum la coupe des oliviers en
attendant d'éventuelles négociations entre le consul et les autorités israéliennes à Jérusalem. Un Palestinien
émet l'idée d'organiser un faux mariage au milieu des oliviers avec tout le village pour déstabiliser les soldats.
Solution un peu délirante face à la haine et à la violence rencontrées toujours. Mais qui a le mérite d'atténuer la
peur qui montait dans nos rangs. Malgré la dérision de la proposition, on s'attend à une journée très dure.
Rendez-vous à 6h30.
Mercredi 6 novembre : Falamya, 1er jour du Ramadan
C'est au son des youyous et d'une derbouka que dansent les "mariés" au milieu des oliviers dont certains ont
déjà été coupés. Un jeune Palestinien, la moustache lustrée, est tout pimpant dans son élégant costume noir.
Une jeune Belge a revêtu une belle robe blanche de mariée, prêtée par une famille.
Nous sommes arrivés à 7h30 dans l'oliveraie, en cortège depuis le village. De la masse des villageois attendue,
ne sont là que quelques dizaines, plus une poignée de journalistes et la cinquantaine d'internationaux en
protection autour. Quelques Israéliens de Gush Shalom nous ont rejoints. Le spectacle est surréaliste mais tout
le monde est assez tendu.
Puis les jeeps apparaissent et s'arrêtent en haut de la piste. Les soldats nous observent pendant un long
moment. Deux jeeps et une dizaine d’entre eux s'avancent. D'autres, la milice du mur et les ouvriers chargés de
couper les arbres, restent en retrait. Trois personnes dont le maire du village vont négocier et gagner du temps.
La tension monte. Ils nous donnent dix minutes pour dégager parce qu’ils déclarent la zone militairement fermée
(l'équivalent du couvre-feu). Cela signifie en plus des coups, arrestation et expulsion si nous restons.
Nous formons des chaînes en face d’eux. Tout en se moquant de nous et en nous insultant, ils nous jettent
grenades lacrymogènes et grenades assourdissantes. Certains d’entre eux y prennent manifestement plaisir. A
chaque fois, la chaîne s'éparpille pour éviter les grenades mais se reforme aussitôt. Puis ils s'aperçoivent que le
vent est avec nous et l'officier nous annonce qu'ils vont tirer avec des balles en caoutchouc si on s'obstine. Le
maire ne veut pas qu'on prenne trop de risques. Décision est prise de se retirer le plus lentement possible pour
les retarder. On se retrouve au corps à corps, poussés par les jeeps et les soldats armés de leurs fusils
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mitrailleurs, bardés de grenades et de chargeurs sur leur gilet pare-balles. Nous mettons plusieurs heures à
reculer mais à peine avons-nous fait dix mètres que les tronçonneuses entrent en action, protégées par la milice
du mur, très agressive.
Ce ne sont plus les grenades lacrymogènes qui mouillent nos yeux. C'est terrible d'assister, impuissants, à la
destruction de ces arbres centenaires que les familles se transmettaient de génération en génération. C'est la
ruine pour ces familles. Plus loin est programmé le saccage des serres, des agrumes, papayes et cultures
maraîchères. X, avec qui nous discutions hier, alterne entre l'abattement et la colère. Il sait que son tour
approche et dit qu’il ne viendra pas assister à la destruction de ses arbres dans quelques jours. On se sent très
mal.
Au bout de quelques heures, nous sommes épuisés, consigne est donnée de rentrer au village. Chacun part de
son côté, la tête basse. Je m'arrête plus loin et reste longtemps à contempler cette vallée couverte de cultures.
Je l'imagine éventrée par cette saignée et ce mur de béton. Comment des juifs peuvent-ils justifier la
construction de ce mur ? N'évoque-t-il pas pour eux les murs des ghettos de Rome, Venise, Prague, Francfort,
Vienne, Avignon, Trieste, les mellahs au Maroc ?
La réunion du soir après le repas de rupture de jeûne, consacre la débandade. Quelques internationaux restent
à Falamya. Certains vont aller protéger la récolte des olives dans d’autres villages, d'autres iront à Yanun. Notre
groupe est attendu par des organisations paysannes au nord de Tulkarem, toujours le long du mur. Trois
membres de notre groupe suivront le groupe belge et une jeune belge viendra avec nous. Aucune contrainte
n’est imposée aux membres des missions, juste une certaine discipline dans l’action.
Jeudi 7 novembre : Irtah (village dans la banlieue sud de Tulkarem)
Tôt le matin, adieux brefs et gênés à Falamya. Un minibus nous conduit par les petites routes défoncées qui
relient les villages (les grandes routes sont réservées à l'armée d'occupation et aux colons) jusqu'à un barrage
de terre à Far'un, au sud de Tulkarem, qui empêche les véhicules d’aller plus loin. On trimbale à pied nos sacs
jusqu'à la route interdite de circulation aux Palestiniens mais qu’il faut forcément traverser. Deux soldats en
armes contrôlent les papiers des gens se rendant à Tulkarem. Une longue file attend qu'on leur fasse signe
d'avancer un par un. On sent les Palestiniens habitués à toutes ces vexations mais pas résignés. Comme tout
est au bon vouloir de celui qui tient les armes et les choses dégénérant très vite, ils font contre mauvaise fortune
bon cœur. Nous passons devant tout le monde, parlementons et toute la file peut traverser. Ensuite, il faut
grimper un chemin chaotique et passer en plein milieu d’une énorme décharge pestilentielle. De l'autre côté, les
taxis attendent. Ce sont les seuls transports en commun de tous les territoires occupés.
Après, le taxi prend un chemin défoncé, roule dans des flaques d'eau jusqu'au bas de caisse, puis fait des
détours par de petites rues, sans doute pour éviter d'autres barrages. Nous arrivons à Irtah.
Partout sur les routes que nous avons prises, il y a d'énormes plots de béton sur la chaussée. Il faut les
contourner. Ce sont les restes d'anciens ou de futurs check-points. Les pistes sont souvent rendues inaccessible
aux véhicules par un barrage érigé au bulldozer avec terre, gravats, carcasses de voitures. La chaussée ellemême a été défoncée au bulldozer. Impossible pour les voitures d'aller au delà. Les voitures ne peuvent souvent
pas passer aux check-points. Nous avons vu l'entrée de villages fermée par ces barrages. Tout cela fait partie du
morcellement du territoire. Il est impossible de traverser la Cisjordanie du nord au sud pour un véhicule
palestinien.
Si les pierres sont le symbole de l’Intifada, le bulldozer restera le symbole de l’occupation israélienne.
Outil de bâtisseur, il n’est ici utilisé que pour démolir : les routes, les maisons, tuant même des gens qui n’ont
pas eu le temps de sortir de ces maisons.
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Nous sommes accueillis chez un agriculteur. Malgré le Ramadan, il nous offre un repas (nous n'avions pas
mangé) et nous discutons de la situation dans le village. Toujours la même histoire. Situé dans la banlieue de
Tulkarem, il est légèrement en hauteur, très près de la ligne verte. Il lui restait un bout de plaine, qui n'avait pas
été pris en 1948, où sont situés leurs champs dans lesquels ils font du maraîchage (nombreuses serres).
Evidemment la construction du mur est sur leurs champs et la zone de sécurité vient jusqu'au pied du village, les
privant de toutes leurs terres.
Pour l'instant, seul le terrassement de la route est fait mais les travaux vont à toute allure. Jour et nuit les
bulldozers se succèdent. Depuis deux ans, l'accès à leurs champs dépend du bon vouloir des soldats de garde
et ils s'y aventurent à grands risques. Mais ont-ils une solution ?
Nous décidons de les accompagner dans leurs champs pour les aider à tuteurer des plants de tomates. Nous
nous relayons pour porter le bébé du couple qui est avec nous. En descendant, ils nous montrent des champs,
entre les maisons, où plusieurs fois des agriculteurs au travail se sont fait tirer dessus par les gardes du mur.
Pourtant, ces champs ne sont pas dans la zone de sécurité.
Une route borde le village avec de chaque côté, une zone industrielle déserte. Toute activité y a été interdite…
sauf celle d’une usine chimique (composants pour les engrais...) implantée par les Israéliens il y a douze ans.
Très polluante, elle a été déplacée plusieurs fois sur le territoire israélien, les riverains autour s’étant plaints,
avant d'échouer au bord de cette zone fortement peuplée en territoire palestinien. Une enquête médicale dans la
région a révélé quarante neuf nouveaux cas de cancer par mois. Un des taux les plus élevés du monde. Les
manifestations de protestation ont été violemment réprimées.
A peine arrivés à une quinzaine dans les champs, plusieurs jeeps nous encerclent. Les soldats nous chassent,
non sans avoir contrôlé les papiers des seuls Palestiniens et leur avoir dit qu'ils avaient fait une erreur en nous
emmenant. La mère du bébé est très en colère et son mari doit la calmer. Une fois, en s’opposant à l’avancée
d’un bulldozer, elle avait été emportée par la pelle de l’engin.
Au retour, nous apprenons qu'à Falamya, ce matin, les soldats sont allés faire une virée dans les champs et, sur
photos prises hier à la manifestation, ont tabassé des paysans. Nous commençons à avoir de sérieux doutes sur
notre action !
Fin d'après-midi, repas de rupture de jeûne puis réunion avec les agriculteurs du village. Nous leur proposons de
les accompagner dans leurs champs sans leur cacher que nous ne resterons pas là tout le temps. Le constat est
amer. C'est tous les jours qu'il faudrait être présents car le maraîchage est un travail sur toute l’année. Ce n'est
pas comme pour les olives où la récolte est vitale et sa protection nécessaire durant les quelques jours où elle a
lieu. Nous décidons d'aller dans un village plus au nord où on est attendu depuis trois jours. Trois d'entre nous
vont directement à Yanun renforcer la présence d'internationaux.
Vendredi 8 novembre : Attil (5 kms au nord de Tulkarem)
Nous poursuivons notre périple vers le nord pour arriver à Attil. On longe la ligne verte. Chez la personne qui
nous accueille, nous entamons une réunion sous une véranda, curieusement au bord d'une route importante
juste au carrefour d'une route menant à Zeita, un village près de la frontière. A peine avons-nous commencé que
plusieurs jeeps et une auto-mitrailleuse arrivent, non pas pour nous mais pour bloquer la route de Zeita. Aussitôt,
les voitures des Palestiniens s'arrêtent à vingt mètres et se met en place un barrage volant. Une à une, les
voitures s'avancent, les papiers des passagers sont contrôlés, les coffres fouillés, fusils pointés. Les agriculteurs
quittent la réunion, j’en profite pour faire des photos du check-point lorsqu'une jeep s'arrête devant moi : le
chauffeur ouvre sa porte, me fait signe de venir. Je me retrouve face à un rasta blond, les dreadlocks débordant
de son casque, qui me tend la main. Que fait ici ce gars plutôt du genre à quitter sa planche de surf pour fumer
un joint sur la plage d’Haïfa ? Je dédaigne sa main et lui dit qu'il fait un sale boulot dans un pays qui n'est pas le
sien. Il hausse les épaules et s'en va. Comment arrivent-ils à concilier leurs idées et leurs actes ? A chaque fois
que l’on est face à des soldats qui paraissent mal à l’aise dans leur rôle, ils nous disent qu’ils font leur « job ».
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Nous partons visiter des villages de la région. Encore un barrage avec char d'assaut. Puis nous arrivons à
Nazlat'Isa tout près de la ligne verte. Ici et plus au nord le mur s'avance loin dans les terres palestiniennes.
Nazlat'Isa va être isolé entre la ligne verte et le mur. Depuis deux ans déjà, leur seule route d’accès est barrée à
l'entrée du village, de plus séparé en deux parties par un check-point qui leur impose des détours considérables
rien que pour visiter d’autres membres de la famille. Sur le côté du village, une route mène à la frontière et,
jusqu'à il y a deux ans, il y avait une importante activité commerciale mais aujourd'hui toutes les boutiques qui
bordent la route sont à l'abandon. Visiblement tout est fait pour décourager les habitants, les ruiner et les obliger
à partir. L'histoire de 1948 se répète. L'annexion progresse et le monde entier reste impassible.
Puis nous retournons à Zeita, le barrage est levé. Le village est au dessus d'une vallée où sont les terres
agricoles. Le mur s'avance au pied du village et les terres agricoles (maraîchage) seront perdues. De quoi se
taper la tête contre le mur ! Nous rendons visite à la famille d'un martyr. Son corps n'a pas été rendu. Un jour, il
est rentré chez lui, s'est changé, a dit adieu à sa femme et, armé, s'est dirigé vers un poste de l'armée et a été
abattu tout de suite. L'oppression et le désespoir dans lequel on les maintient ne peut que les amener à de tels
actes insensés.
Après un copieux repas de rupture de jeûne chez notre famille d’accueil, nous allons à Attil dans un café
internet. Pendant que certains d'entre nous envoient un compte rendu, les jeunes sont plutôt occupés à des jeux
vidéos, des courses de voitures ou des jeux de guerre (eh oui, même ici !). J'ai une discussion très chaleureuse
avec certains. Ils me racontent aussi que même en dehors des périodes de couvre-feu, les soldats les agressent
quand ils vont à l'école, imposant sa fermeture.
Partout en Palestine depuis deux ans la situation de l'éducation, comme le reste, est catastrophique. 850 écoles
ont été temporairement fermées, 197 écoles ont subi des dommages, 11 ont été complètement détruites, 9
saccagées, 25 ont servi de centre de détention ou de baraquements pour l'armée, 239 étudiants ou écoliers
tués, 2500 blessés sur le chemin de l'école.
Ensuite, nous avons une réunion avec des représentants de la région d'où il ressort que c'est la même situation
qu'à Irtah. Nos moyens d'action sont très limités et surtout, il faudrait une présence permanente. Le
découragement nous guette, nous étions venus ici pour avoir une action concrète et jusqu’ici ce n’est pas très
concluant.Nous décidons de partir pour Yanun où notre présence est vraiment nécessaire.
Demain les deux jeunes Palestiniens qui nous chaperonnaient depuis une semaine nous quittent. Ils
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organisaient notre périple, nos rencontres et les traductions. Nous estimant rodés ils retournent à leur travail. Ils
font partie d'un organisme agricole et gèrent aussi les groupes d'internationaux venant soutenir les Palestiniens.
Ils font partie de cette nouvelle génération développant l'action pacifique. Nous étions assez admiratifs devant
leur conscience politique, leur responsabilité face au danger. Un grand merci à tous les deux.
Voir cette jeune et belle Palestinienne de 24 ans, habillée à l'occidentale, ses longs cheveux noirs libres du
foulard, diriger avec aisance et autorité des assemblées de fermiers et de responsables régionaux, nous a
épaté. La guerre forme des cadres très vite.
Samedi 9 novembre : traversée Attil - Yanun
La Cisjordanie est un petit territoire de 5.879 km2 (5.860 km2 pour la Corrèze) de 130 kms de long et de 50 de
large. Aujourd'hui, nous partons d'Attil dans le nord jusqu'à Yanun au sud de Naplouse. Il y a moins de 40 kms à
vol d'oiseau. Bien sûr, c'est légèrement montagneux (de 500 à 800 mètres d’altitude) mais nous allons mettre 7h
½ à effectuer le voyage. A aucun moment, nous ne pourrons utiliser les routes normales, tout juste les petites
routes joignant les villages et des pistes ravagées la plupart du temps.
Au départ d'Attil, ce qui m'a frappé, ce sont les paysages. Depuis quelques jours, nous longions la frontière, c'est
une zone assez verte et tout de suite, nous pénétrons le vrai paysage de Cisjordanie où seuls poussent les
oliviers et encore, pas partout. Bref, une terre à chèvres et à moutons. Plus loin, le long du Jourdain, c'est
désertique. C'est là que je comprends la vraie nature du mur qui est d'annexer les richesses du territoire.
Nous ne sommes plus que six du groupe. Donc départ d'Attil à 7h 30 en minibus. Petite route vers l'est jusqu'à
Illar, piste vers Kafr Ra'i, Rama, petite route vers Jaba où on coupe la grande route Jénine-Naplouse qu'on ne
peut prendre, piste dans la montagne vers Beit Umrin, petite route jusqu'à Sabastya puis repiste dans la
montagne pour arriver à la barricade habituelle qui bloque la piste à quelques kilomètres au nord de Naplouse.
Là, tous les taxis s'arrêtent, il y a un ou deux kms à faire à pied, des gosses se font un peu d'argent en
transportant les bagages sur leur âne. Nous en prenons un car l’une d’entre nous a une valise à roulettes (on lui
avait conseillé avant le départ de ne pas faire routard) et ce n’est pas le plus pratique sur les pistes. Traversée
habituelle d'une décharge jusqu'à l'autre barricade où nous reprenons un taxi pour Naplouse.
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Naplouse est une grande ville surmontée au nord et au sud par des montagnes sur les flancs desquelles la ville
grimpe. Sur le sommet nord, j’aperçois un camp militaire qui domine la ville. Le centre ville est dans le creux.
Nous restons une heure à Naplouse le temps de changer de l'argent. Le centre ville est animé. Il faut un long
moment pour trouver un taxi qui veuille bien aller dans le sud. Nous essayons de sortir par l'est de la ville,
passons devant un grand bâtiment bombardé, complètement détruit et voyons les taxis devant nous faire demitour soudainement car un char s'avance. Retour au centre ville. Nous parlementons, changeons de taxi.
Essayons de sortir à l'ouest. Des gosses sur le trottoir font de grands signes, nervosité, une auto-mitrailleuse,
une autre rue, maintenant c’est une jeep, demi-tour vers le centre, puis rues vers le sud, embouteillage des
voitures cherchant à sortir de la nasse. Malgré le ramadan, le chauffeur allume une cigarette, nous aussi
sommes assez nerveux. Une grande avenue dans les hauteurs au sud de Naplouse. Des taxis descendants
nous disent que ça ne passe pas. Tout est bloqué. Petite rue. Nous passons une espèce de pont de terre entre
plusieurs immeubles. Et là, une large avenue de banlieue en construction sur les hauteurs. Ici ça a l’air calme.
Interrogé, un taxi nous dit que la voie est libre. Ouf ! Et tout à coup, venant de droite, une jeep surgissant d'une
rue en pente nous coupe la route et freine. Le chauffeur de taxi hésite, et finalement s'arrête juste derrière la
jeep à hauteur de la rue. Il était temps, j'ai cru entendre la rafale. Je tourne la tête à droite et voit la gueule du
canon d'un char en contrebas. Finalement, on peut passer. Nous sommes sortis.
Le chauffeur grille une autre cigarette avant d'entamer la piste entre les oliviers. Nous avons les mains moites.
Nous traversons plusieurs villages. Après Tell, la route est coupée. Nous laissons le taxi. Cinq kilomètres dans la
montagne jusqu'à l'autre taxi. Nous montons dans deux petites charrettes bâchées, chacune tirée par un âne. Il
faut descendre dans les passages difficiles. Au milieu du trajet, une jeep et des soldats empêchent les gens de
passer. Nous passons après contrôle et après coup, on se dit qu'on aurait pu essayer de faire passer plus de
gens. Mais il faut dire que nous étions un peu tendus à ce moment-là. Nous trouvons un minibus qui veut bien
essayer de nous conduire jusqu'à Yanun bien qu'il ne connaisse pas la fin du trajet. Par des pistes nous passons
à Huwara, Beïta et nous arrivons à l'arrière d’Aqraba. Le chauffeur se renseigne sur la piste qui mène à Yanun.
On aperçoit une grande colonie au sud d’Aqraba. La piste est au dessus de la vallée du Jourdain vers l'Est. Au
premier plan, des collines pelées, éclairées par le soleil, passent pour des dunes. Au loin, les montagnes de
Jordanie.
Nous arrivons à l'entrée du vallon qui mène à Yanun par le sud. Il y a un petit groupe de vieilles maisons où nous
avons le plaisir de retrouver trois membres de notre groupe qui nous avaient quittés à Irtah et des gens
rencontrés à Falamya. Un vrai bonheur d'être arrivé après ce voyage épuisant. La sortie de Naplouse a été
éprouvante pour les nerfs. On a dû sortir au moment où l'armée entamait le bouclage de la ville. Nous n'étions
pas très bavards dans les taxis. Pour faire 40 kms entre Attil et Yanun, nous avons quand même pris cinq taxis,
une carriole tirée par un âne et fait un petit trajet à pied. Un seul contrôle par l'armée, une chance.
YANUN
Un villageois charge nos bagages dans sa voiture pour nous emmener au village. Nous sommes quelques uns à
préférer y aller à pied pour nous détendre. La piste suit un étroit passage bordé d’oliviers centenaires aux troncs
magnifiques et de quelques amandiers. Au milieu, des traces de bulldozer montrent que la piste a été coupée
pour isoler le village (c’est le seul accès). Nous débouchons dans un vallon plus large où les champs ont été
labourés. Rien n’y pousse actuellement mais je crois qu’ils y cultivent des pois chiches. Le village est accroché
sur les flancs de la colline, au nord ouest. Juste au dessus du village, de grands hangars semblent prêts à
bondir, tapis derrière le sommet. En regardant bien, nous apercevons des miradors. Sur l’autre colline à l’est,
juste au dessus d’un petit groupe de maisons isolées du village, même chose : miradors, vastes tentes, camions.
On n’aperçoit pas les maisons de ces colonies mais on se rend bien compte que Yanun vit sous les regards des
colons vraiment très proches. C’est un tout petit village d’une quinzaine de maisons. Nous rejoignons les autres
devant une maison mise à la disposition des internationaux. Des fauteuils sont autour d’un brasero éteint, c’est
le salon où l’on cause. Nous faisons connaissance avec les gens présents, villageois et internationaux. Les
enfants nous montrent leur école (deux petites salles). Ils nous demandent sans arrêt : « What’s your name ? »
et éclatent de rire.
Petit historique de Yanun
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Depuis le début des années 80, la colonie extrémiste d’Itamar, située au sud est de Naplouse, s’est agrandie au
fur et à mesure vers la vallée du Jourdain, occupant les sommets sur une longueur de dix kilomètres jusqu’à
avoir une surface aussi grande que la ville de Naplouse.
En général, les colons s’installent dans un endroit stratégique et demandent la protection de l’armée. Les
autorités israéliennes leur fournissent le réseau d’eau potable, l’électricité, les routes d’accès et la protection
militaire. Le noyau de colonisation s’agrandit et s’étale plus loin. Pourtant, tout ceci est illégal car la convention
de Genève interdit au vainqueur d’un conflit de confisquer les terres des vaincus.
En 1998, les colons ont occupé les sommets à l’est et à l’ouest de Yanun et depuis, la vie du village est devenue
un enfer. Les attaques des colons se sont intensifiées après le début de l’Intifada et dans les derniers mois, ont
pris une tournure très dangereuse. Seize familles vivaient à Yanun et toutes ont subi les agressions des colons.
Au début, les attaques se déroulaient dans les champs mais dernièrement, les colons pénétraient dans les
maisons, brisaient les vitres à coup de cailloux, molestaient les hommes et les femmes devant les enfants et les
menaçaient de les tuer l’un après l’autre, s’ils ne partaient pas. Les derniers mois, ils ont détruit toutes les
sources de vie du village : canalisations, réservoirs d’eau, ils ont pollué la seule source d’eau et incendié le
générateur électrique, offert par l’Union Européenne. Un vieillard de 70 ans a eu un œil crevé, en septembre, un
jeune paysan Hani Beni Menna (24 ans) a été tué, un autre homme a eu un œil crevé et une jambe cassée, le
maire a subi sept agressions. Les plaintes aux autorités militaires (censées protéger les populations civiles d’un
pays occupé) n’étaient pas enregistrées sous prétexte qu’ils n’avaient pas les noms de leurs agresseurs.
Les derniers mois, il ne restait plus que six familles dans le village mais le 17 octobre, craignant pour la sécurité
de leurs enfants, elles sont parties se réfugier dans la ville voisine d’Aqraba. Des internationaux sont venus à
Yanun, en particulier une jeune femme qui est restée jusqu’à maintenant et a assuré l’accueil des différents
groupes qui s’y sont succédés. Elle a fait un travail admirable. Six familles sont revenues grâce à la présence
des internationaux. Au début, certains enfants, encore terrorisés, pleuraient lorsqu’ils apercevaient un « blanc »
mais maintenant, ils ont l’air d’avoir repris confiance et l’école a réouvert. La nuit, des rondes et des tours de
garde sont assurés par les internationaux. La journée, ils sont répartis entre les familles pour les protéger
pendant la récolte des olives.
Il faut signaler aussi la solidarité d’organisations israéliennes, Gush Shalom (Bloc de la paix) et surtout Ta’ayush
(Vivre ensemble), une organisation de juifs et Arabes israéliens.
Le 27 octobre, suite à un attentat dans la colonie d’Ariel, une douzaine de colons armés ont attaqué les
volontaires internationaux qui protégeaient la récolte. Ils les ont frappés à coups de pied, de poings, avec des
pierres et les crosses de leurs fusils. Les plus violents étaient des adolescents. L’argent et les passeports ont été
volés. Quatre personnes ont été sévèrement blessées et amenées à l’hôpital d’Aqraba :
- James Deleplain : 78 ans, citoyen américain,
- May Hugues-Thompson : 68 ans, anglo-américaine,
- Robbie Kelly : 33 ans, irlandais,
- Omer Allon : 24 ans, israélien (particulièrement agressé).
Dimanche 10 novembre : Yanun
Cette nuit, tour de garde de 2 à 3 h du matin avec deux Américaines. Nous avons retrouvé le mélange de
nationalités. Faisant notre ronde autour du village, nous fouillons la nuit avec nos lampes torches, guettant le
moindre bruit. On essaie de ne pas éclairer les fenêtres des maisons pour ne pas effrayer les habitants dans leur
sommeil. De temps en temps, de gros projecteurs surmontant les miradors de la colonie balaient le versant
opposé au village. Disproportion de moyens. Que ferions-nous, petits « soldats de la paix » autoproclamés, en
cas d’intervention des colons ? Se défendre face à des gens haineux et armés ? Difficile, d’autant plus que notre
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intervention est pacifique et que le moindre incident peut remettre en cause les missions civiles. Curieusement,
les consignes sont de prévenir tout de suite la police militaire israélienne. C’est un comble ! Ils interviennent en
général une ou deux heures après l’appel. La nuit précédente, une voiture est venue en pleine nuit jusqu’en bas
du village. Certains ont entendu des bruits au dessus du village. Les colons ne se sont pas aventurés plus loin.
D’après les récits des villageois les agressions ont souvent eu lieu le samedi dans la nuit. Sans doute est-ce la
manière de marquer la fin du shabbat en venant faire la « fête » au village. Ils emmènent même leurs enfants
participer aux réjouissances. Une amie juive me disait que sa grand-mère russe lui racontait les pogroms du
dimanche soir lorsque les cosaques avinés envahissaient le village.
Après 3 heures supplémentaires de sommeil, nous sommes répartis entre plusieurs familles pour les aider à la
cueillette des olives. Aujourd’hui, nous sommes nombreux. Un groupe doit réparer une piste coupée au bulldozer
par les colons, un autre doit assurer la sécurité au village. Cinq personnes dont je suis rejoignent la famille A.
dans les oliviers.
Le père et la mère nous accueillent. Ils sont en habits traditionnels palestiniens ainsi que leurs deux filles mais
pas les trois fils plus âgés. Les enfants plus jeunes sont là aussi. Il y a en tout seize enfants dans la famille mais
tous ne sont pas là. Tout en travaillant, les discussions vont bon train. Une jeune française d’origine marocaine
assure la traduction. Des bâches sont étalées sous les oliviers, un des fils taille les vieilles branches pour faciliter
la récolte et la repousse future. Nous frappons les branches avec un bâton, une pluie de grêlons noirs remplit les
bâches. Grimpant dans le feuillage, nous dépouillons l’olivier de ses derniers fruits. Puis on s’attaque à un autre
arbre pendant que les femmes trient les olives et glanent celles tombées à terre, en dehors de la bâche. Derrière
nous, les moutons broutent les branches coupées. Un enfant transporte les sacs d’olives sur son âne jusqu’au
village. Il fait chaud.
Nous arrêtons à 13h à cause du ramadan mais nous avons fait une bonne journée de travail, épuisante mais
chaleureuse. Dès qu’on partage le travail, comme partout, des liens étroits se nouent. Pour nous remercier, la
famille nous invite au repas de rupture du jeûne à cinq heures. Pendant ce temps, l’autre groupe a réparé la
piste menant aux oliviers.
L’après-midi, vers 15h, une réunion rassemble les villageois. Il y a là une trentaine d’hommes, les enfants jouent
autour, nous assistons sans intervenir car ils doivent discuter de ce qu’ils vont faire pour la suite. Beaucoup
d’internationaux partent demain, il y aura du monde jusqu’à la fin de la semaine mais, après, la présence n’est
pas garantie. La discussion est animée mais ils décident de rester à Yanun malgré tout et après, Inch’Allah …
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A 17h, nous allons retrouver la famille A. qui nous invite à dormir chez eux car ils savent que les vingt trois
internationaux ne pourront tous tenir dans la maison commune. Trois d’entre nous resteront. Le repas de rupture
du jeûne à la palestinienne est copieux, la famille est pourtant pauvre. Leurs oliviers et un petit troupeau de
moutons sont leurs seules richesses. Avant, les jeunes adultes partaient gagner un maigre salaire en Israël mais
c’est devenu impossible depuis la seconde Intifada.
Les discussions portent évidemment sur leur histoire et leurs problèmes. Les premiers colons rencontrés dans
les champs, invités par le père à prendre le thé et refusant de boire avec des Arabes, la mère menacée sur le
seuil de sa maison, la maison construite à côté par un fils pour sa famille et démolie par l’armée, l’exil de la
femme de celui-ci en Jordanie où il ne peut aller les voir. Après de multiples thés et cafés à la lueur de la seule
lampe à pétrole, nous sommes invités à nous reposer et les matelas sont dépliés.
Lundi 11 novembre : Yanun
Cette nuit, nous avons échappé aux rondes de nuit, la maison étant éloignée du village. Bien dormi à part les
aboiements des chiens sauvages et quelques cauchemars.
7h, nous partons pour la cueillette avec le père, la mère, deux fils et un plus jeune qui mène les moutons.
L’oliveraie est dans un autre vallon à un quart d’heure de marche. On a le temps de finir la cueillette autour de
quelques oliviers lorsque je vois l’un des fils répondre au téléphone, il me fait comprendre qu’il y a eu un attentat
en Israël. Très vite, je sens la tension monter et les regards se tourner vers la colonie pour surveiller une
éventuelle descente des colons. On remballe vite fait.
Sur le chemin du retour, on retrouve les autres groupes qui ont fait de même. Récolte terminée pour la journée !
Nous apprendrons plus tard qu’il s’agissait de l’attaque, par un seul homme, du kibboutz Metzer situé en Israël,
près de la ligne verte, au nord de Tulkarem. Cinq civils ont été tués dont une mère et ses deux jeunes enfants.
Ce kibboutz entretient pourtant de très bonnes relations avec les villages arabes voisins et même avec le village
palestinien de Kaplan en Cisjordanie. Les habitants du kibboutz sont très engagés en faveur de la paix. Ils ont
même essayé de convaincre les autorités de construire le mur sur la ligne verte pour que leurs voisins
palestiniens ne perdent pas leurs terres. En vain.
Le lendemain de l’attaque, un journal israélien, Ma’ariv, titrait sur une déclaration courageuse d’un représentant
du kibboutz : « L’occupation est la cause du terrorisme ».
Sale histoire !
Ce matin, certains internationaux sont partis. Notre groupe de Français devait partir après la récolte (du groupe,
je suis le seul à rester à Yanun, mon avion n’étant prévu que pour le 15). Un minibus vient les chercher en fin de
matinée et, avec ceux qui restent et quelques villageois, nous les regardons s’éloigner sur la piste poussiéreuse.
De vingt trois hier, on se retrouve à huit. Nous partageons la crainte des villageois de voir se réduire nos
troupes. D’autres prendront-ils le relais ?
Après midi, nettoyage de la maison commune et écriture.
Le soir, deux familles nous invitent à partager leur repas. Une seule personne reste dans la maison. Alors que le
repas est à peine terminé, les enfants nous signalent une jeep de l’armée fonçant vers le village. On reste à
deux avec la famille. Les autres retournent au village pour éviter qu’il n’y ait qu’une personne face aux soldats.
Ils bloquent la jeep juste avant qu’elle n’atteigne le village. D’habitude, les soldats viennent le matin mais là, ils
ont dû observer les différents départs de la journée et ils viennent repérer l’état de nos troupes. Leur seule
question est : « Jusqu’à quand restez-vous ? ». Se contentant d’une vague réponse, ils font demi tour.
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Mardi 12 novembre : Yanun
Cette nuit, tour de garde de 1 à 2 h avec M., Américaine du Vermont. Certains, un peu avant, ont entendu une
explosion vers Naplouse et des tirs d’armes automatiques. Il fait très froid et le brasero devant la maison
commune est bienvenu.
J’ai aperçu la famille A. partir vers les oliviers. Très tôt, je vais les rejoindre mais arrivé à leurs oliviers, je ne
trouve personne. Je reviens et les retrouve au petit Yanun, les quatre maisons à l’entrée des deux vallons, celui
qui mène à Yanun et l’autre vers les oliviers. Ils ont l’air soucieux. Certains habitants ont aperçu, hier soir, une
dizaine de colons dans les oliviers et ce n’est pas bon signe. Nous retournons tristement à Yanun. On apprend
que c’est le jour des funérailles des victimes de l’attentat du kibboutz. Craignant des représailles, on décide ne
pas récolter aujourd’hui non plus.
Vers 9h, un petit camion peine à monter vers le village. Il livre des citernes offertes par une organisation
chrétienne. Il fera trois voyages. Ces citernes individuelles remplaceront celles situées au dessus du village, qui
ont été crevées par les colons. A la fin de la semaine, devraient arriver des vitres pour remplacer celles qui ont
été brisées. L’hiver approche et cette aide est bienvenue. Ta’ayush a apporté une aide alimentaire, les
municipalités d’Aqraba et de Naplouse aussi. Une aide financière a été promise au niveau officiel palestinien
pour que les familles puissent se maintenir à Yanun mais celle-ci tarde à venir. Il faut dire que l’acharnement des
Israéliens contre l’autorité palestinienne et la destruction des infrastructures du pays semblent porter ses fruits.
Séquence touristique : j’ai aperçu quatre gazelles au dessous du village. Elles ne m’ont pas attendu. D’habitude,
j’aime bien me balader dans la montagne et j’aimerais bien le faire aujourd’hui puisqu’on est condamnés à
l’inactivité mais c’est impossible ici car tout déplacement est dangereux.
L’après midi, repos, lessive et écriture. Une femme nous apporte des plats pour que nous puissions rester dans
la maison commune et surveiller. Nous mangeons de la gazelle et c’est très bon.
Mercredi 13 novembre : Yanun
Tour de garde de trois à quatre heures, en solitaire car nos troupes se réduisent. RAS à Yanun mais au nord,
vers Naplouse, des hélicoptères ne cessent pas de tourner. L’armée doit être en train d’envahir la ville.
Je rejoins la famille A. vers sept heures et demie. Cette nuit, ou la précédente, ils se sont fait voler leurs deux
scies, une hache et quatre bâches. Comme le village est assez loin à pied, ils cachaient tout ça sous des
branches. Cela a sans doute à voir avec les colons aperçus dans l’oliveraie il y a deux nuits. C’est plus dur de
ramasser les olives sans tailler auparavant. On bosse bien mais l’ambiance n’est pas vraiment détendue.
Pendant un long moment, des avions chasseurs, les bombes sous leurs ailes, passent très bas au dessus de
nous. Encore pour Naplouse ?
L’après midi, on va à Aqraba acheter des scies et une hache pour les offrir à la famille. Trois Suédois arrivent
dans l’après midi. Un autre était arrivé hier. Certains sont partis, d’autres prendront-ils le relais la semaine
prochaine ?
Avec Tim, un jeune Américain, on est encore invité dans la famille pour le repas. On se demande comment on
va communiquer, il n’y a qu’une des filles qui parle anglais et les femmes n’ont pas toujours mangé avec nous.
Elles viennent plutôt à la fin du repas au moment du thé et des bavardages. Mais dès que nous sommes assis,
le vieux père tente de nous inculquer des notions d’arabe et nous fait répéter sans arrêt quelques mots. On
s’amuse beaucoup.
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Jeudi 14 novembre : Yanun-Al Qods
Nuit calme. Tour de garde de trois à quatre heures. Réveil à sept puis je pars dans les champs retrouver la
famille A.. C’est mon dernier jour à Yanun, je dois partir cet après midi pour Jérusalem pour être sûr d’arriver à
temps car mon avion part demain. Il n’y a que 50 kms mais rien ne garantit de ne pas être bloqué (couvre-feu,
check-point, etc…).
Aujourd’hui, c’est plus facile de faire la cueillette grâce aux nouvelles scies qui permettent d’éclaircir les arbres.
Comme d’habitude, il y a les parents, deux fils et un plus jeune qui garde les moutons autour. Les deux filles
arrivent un peu plus tard, j’imagine qu’elles doivent s’occuper du ménage et du repas du soir. Une belle-fille et
son bébé les accompagnent ainsi que les plus jeunes enfants. Il ne doit pas y avoir école aujourd’hui. Il fait
chaud, l’ambiance est détendue. Tout en triant les olives, les filles papotent avec une jeune Suédoise arrivée
hier. Les enfants jouent un peu plus loin. Un vieux berger passe sur la piste avec son troupeau. Ils échangent
des blagues. On en oublierait presque la colonie au dessus de nous. On dépouille les oliviers les uns après les
autres. J’ai l’impression de me retrouver pendant les vendanges chez mes grands-parents lorsque les blagues
fusaient d’un rang à l’autre pendant qu’on coupait le raisin. Vers treize heures, on arrête, on a fait une bonne
journée et il ne leur reste plus qu’une journée de récolte à faire. Sur le chemin du retour, nous retrouvons Tim et
le père recommence la leçon d’arabe. Ils s’amusent bien tous les deux.
Juste avant de partir, un Suédois me dit qu’une autre famille a encore dix jours de récolte. Un des fils de la
famille A. à qui j’en parle, m’explique que ce n’est pas l’usage de s’entraider entre familles. Il y a sûrement du
travail à faire dans le sens d’une plus grande solidarité pour la récolte ainsi que pour la vente des produits
agricoles, peut-être un système de coopératives. Mais il faut partir : je dois atteindre le check point de Qalandia
avant seize heures trente à cause du ramadan. J’aurais du mal à trouver un taxi après car toute activité s’arrête
pour le repas.
Les adieux avec la famille sont émouvants. Avec le père, nous tombons dans les bras l’un de l’autre. J’ai la
gorge serrée. Un des fils me conduit jusqu’à Aqraba, arrête un taxi et discute avec le chauffeur. Au revoir Yanun
!
J’espère que lorsque je reviendrai, les familles seront toujours là…
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Sur les pistes, nous roulons vers le sud, nous faisons des détours en voyant un barrage en dessous d’une
colonie. A l’est, s’étalent la vallée du Jourdain et les montagnes de Jordanie. Le paysage est pelé, la seule
verdure que j’ai vue est à l’ouest, dans la zone qui va être annexée par la construction du mur. Puis, pour la
première fois, nous rejoignons une bonne route et filons plein sud. Toujours des colonies disséminées sur les
sommets. Je suis seul dans le taxi, ce qui est inhabituel mais je ne fais pas trop la causette avec le chauffeur car
je suis triste de partir. Il ne peut m’amener plus loin que le check point et ne veut pas que je le paie, le fils lui
ayant dit que j’étais un ami de la Palestine. Voilà pourquoi j’étais seul dans le taxi. Il a quand même fait une
quarantaine de kilomètres pour me déposer, aussi je tiens à le payer car un autre chauffeur nous avait demandé
assez cher pour nous sortir de Naplouse.
Arrivé à l’hôtel, j’ai le plaisir de retrouver des amis et surtout un petit groupe de Français qui vont à Yanun. La
relève pour une semaine. On craignait qu’il n’y ait plus personne la semaine prochaine et, du coup, des
représailles immédiates. D’autres prendront-ils la relève après eux ?
Vendredi 15novembre : Al Qods (la Sainte), Jérusalem, Yerushalayim
Depuis plusieurs heures, un flot ininterrompu de musulmans (femmes, hommes, pas les jeunes qui sont interdits
d’accès) descend la rue menant à la Porte de Jaffa et à l’Esplanade des Mosquées. Il doit en être de même
depuis la Porte de Damas (au nord, dans le quartier musulman). Les ruelles latérales du souk sont plutôt
désertes. Dans le bas de la ville, à côté des quelques accès à l’Esplanade, des groupes importants de soldats et
de policiers surarmés ont pris position dans les ruelles autour et sur les toits. Aujourd’hui, c’est vendredi, jour de
prière à la mosquée.
Cette nuit, bien lavé, je me suis écroulé mais réveillé à trois heures alors que je n’avais plus de tour de garde.
Impossible de me rendormir : trop de questions me tournaient dans la tête après ces deux semaines.
Quatre heures et demie : appel du muezzin. Après la prière, les familles musulmanes doivent prendre le repas,
avant le lever du jour.
A sept heures, c’est au tour des cloches du quartier chrétien : une symphonie assez gaie.
A huit heures, je suis sur la terrasse d’un hôtel d’où je peux admirer la Vieille Ville. Le Dôme du Rocher brille de
tout son or au soleil levant.
A 14h, à la porte de Jaffa, je prends un taxi pour l’aéroport. A l’aller, je suis arrivé en pleine nuit et je n’ai rien vu
d’Israël. A peine sortis de la Vieille Ville, nous pénétrons un monde radicalement différent. Hier, j’étais encore à
Yanun un village très misérable, les rares voitures des villageois étaient prêtes à rendre l’âme, le père portait des
chaussures en plastique dont l’une était complètement fendue, toutes les routes que les Palestiniens ont le droit
d’utiliser sont défoncées, leur pays en ruine, la Vieille Ville de Jérusalem est à peine mieux lotie.
En cinq minutes, j’ai l’impression d’être à des milliers de kilomètres dans les quartiers riches de Nice ou de
Cannes. Ici c’est l’opulence, le luxe, les 4x4 rutilants dans les embouteillages d’avant le Shabbat. En sortant de
Jérusalem tout n’est que verdure, jardins fleuris, des milliers de pins ont été plantés sur les collines, six voies
d’autoroutes…
Est-ce que les Israéliens se rendent compte de l’état de misère dans lequel leur armée et les colons ont réduit la
Palestine à quelques kilomètres de chez eux ?
Depuis deux semaines, je n’ai vu qu’une petite partie de la Palestine : une zone aisée et prospère, près de la
ligne verte qui va leur être confisquée par la construction du mur, et le pauvre village de Yanun. Je n’ai eu qu’un
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Pour la protection du Peuple Palestinien - Compte-rendu de la 35e mission - http://www.protection-palestine.org - novembre 2002
bref aperçu des villes. Et encore, je n’ai vu ni les camps de réfugiés ni Gaza. Ici, en cinq minutes, j’ai subi un
gros choc car le contraste est terrible. Je suis hébété dans le taxi jusqu’à l’aéroport.
Et là, cerise sur le gâteau, je subis une heure et demie d’interrogatoire et de fouilles. Entre la file d’attente et le
comptoir d’embarquement, une gamine plus jeune que ma fille me demande ce que je suis venu faire ici,
pourquoi en ce moment, si je connais des gens en Israël, où je suis allé pendant mon séjour, des questions sur
mes bagages, quel travail je fais, etc… Certains passent ce premier contrôle, moi, je suis mis à l’écart. Et là, elle
recommence les mêmes questions dans un ordre différent. J’ai choisi de répondre dans mon mauvais anglais
pour avoir le temps de réfléchir. Après, elle s’entretient en hébreu avec un homme plus âgé, en civil lui aussi, qui
prend le relais très brusque et très agressif. J’arrive à garder mon calme mais difficilement car il commence à me
porter sur le système. Ensuite, passage de mon bagage aux rayons puis fouille complète, du linge sale à la
trousse de toilette, des chaussures à l’appareil photo. Ils passent partout un appareil pour faire des
prélèvements, analysés ensuite pour trouver des traces d’explosifs. Puis cabine pour fouille corporelle, j’échappe
au déshabillage. Eprouvant mais je n’étais pas inquiet, le matin, j’avais posté mon journal et mes pellicules
photos pour ne pas me les faire confisquer à l’aéroport. Je ne suis pas le seul à subir cela.
Puis ils m’annoncent qu’ils m’ont changé d’avion, il n’y a rien à dire, même les compagnies aériennes doivent
leur obéir. J’exige quand même de pouvoir téléphoner.
Ensuite, je m’écroule dans l’avion et quitte l’état le plus démocratique du Moyen Orient !
Samedi 16 novembre : Paname
Retour au bercail, assez déboussolé. Réveillé tôt, j’en profite pour coucher sur le papier ma journée d’hier, tout
en écoutant les nouvelles à la radio. France Inter donne la nouvelle d’un attentat à Hébron, douze morts et des
titres choc : « Le massacre du Shabbat », « Une embuscade prenant pour cible des fidèles rentrant d’une
cérémonie au Tombeau des Patriarches ». Présenté comme cela, ça fait très mal mais c’est révélateur de la
façon dont les médias rendent compte de la situation là-bas : trop d’informations manquent.
Hébron est la grande ville palestinienne du sud de la Cisjordanie. Un groupe de 400 fanatiques juifs s’est installé
en plein cœur de la ville, prenant en otage les 150.000 habitants de la ville. Leur protection est assurée par
l’armée qui a barré les voies d’accès, multiplié les barrages et fermé les commerces autour. Ces colons
d’extrême-droite, membres du parti Kach, multiplient les provocations. C’est une menace permanente pour la
paix civile. Le 24 février 1994, cinq mois après la poignée de main historique Arafat-Begin, un membre de cette
colonie, Baruch Goldstein, ouvre le feu sur les musulmans rassemblés au Tombeau des Patriarches et tue vingt
neuf personnes, déclenchant des violences dans tous les territoires occupés et la suspension des négociations
de paix. Le parti Kach fut interdit en Israël. Il y a aussi une énorme colonie à l’est de la ville : Kyriat Arba.
Ceci n’est pas pour dire : « Un partout » mais pour montrer que les colons ne sont pas des « civils désarmés ».
De plus, par la suite, on a appris que sur les douze « fidèles » tués, la plupart étaient des soldats, dont un
colonel de l’armée et des membres de la milice des colons. Dans nos pays, la presse ne parle que des
évènements chocs, le terrorisme, les attentats contre des civils, l’invasion de Jénine, le blocage de Naplouse,
etc… Mais que savons-nous de la terreur quotidienne que subit la population palestinienne, le vol de leurs
terres, les humiliations des check-points, la destruction de toutes les infrastructures économiques et politiques et
celle des maisons, le morcellement du pays par les colonies et les routes d’accès pour les colons et l’armée ? En
terme d’image, ce n’est pas valable pour les journaux télévisés.
A Falamya, pendant la destruction des oliviers, j’ai vu un cameraman d’une chaîne de télévision (il était arrivé en
retard, après les jets de grenade). Voyant des enfants arriver après l’école, il a retourné sa caméra à toute allure.
Il devait espérer qu’ils lancent des pierres et ainsi, avoir « son » image. Les rédactions en sont avides.
Moi-même, quelques jours après, je regarde les photos que j’ai prises. A part les photos des oliviers coupés ou
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des check points, ce sont des photos paisibles de champs à l’abandon, de commerces fermés et surtout de la
récolte des olives dans les moments les plus chaleureux. Je n’ai pas rapporté de photo choc et j’en suis bien
content. Je n’aurais pas aimé appuyer sur le déclencheur en contemplant un drame. Mais des drames, j’en ai
vus et ils sont, dans le fond, bien plus violents. Je n’ai pas rencontré de kamikazes mais des agriculteurs qui
cherchent à survivre. Peut-être pourraient-ils le devenir, poussés par le désespoir. C’est la raison pour laquelle
nous devons les soutenir : pour apporter un peu d’espoir.
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