9 Investissement et intérêt

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9 Investissement et intérêt
9 Investissement et intérêt
Jean Magnan de Bornier
Table des matières
1
La rentabilité des investissements
1.1 Actualisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.2 Valeur Actuelle Nette . . . . . . . . . . . . . . .
1.3 Le taux de rendement interne d’un investissement
1.4 Taux d’intérêt nominal et taux d’intérêt réel . . .
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2
2
3
6
7
2
Investissement et contrainte de débouchés
8
3
Investissement et contraintes financières
10
4
Conclusion
12
Introduction
Qu’est-ce-que l’investissement ? Au delà des définitions de la Comptabilité
Nationale, un acte d’investissement est celui par lequel un agent économique utilise aujourd’hui des ressources (renonce à les consommer) en vue d’en produire
d’autres dans le futur (qu’il pourra consommer) ; ces ressources (qui peuvent être
monétaires ou réelles) constituent le capital investi.
Apologue du pêcheur : un homme, seul sur une île déserte, pêche avec sa ligne
2 Kg de poisson en une journée de travail, qui lui permettent de survivre ; il sait
que s’il consacre une demi journée par jour, pendant une semaine, à construire un
filet, il pourra par la suite pêcher ses 2 Kg de poisson en deux heures seulement.
La construction du filet est un investissement : les ressources utilisées par l’investissement sont les sept demi-journées de travail (on peut formuler la même idée en
évoquant la renonciation à un Kg de poisson pendant chaque jour de la semaine,
cette renonciation est l’épargne) ; la production permise par l’investissement est
dans cet exemple le temps de loisir supplémentaire dont disposera le pêcheur ou,
éventuellement, la quantité supplémentaire de poisson qu’il pourra attraper. Rien
ne nous dit dans cet apologue que le pêcheur va effectivement décider cet investissement : il décidera en fonction de l’évaluation subjective qu’il fait de la valeur
relative du sacrifice immédiat (l’épargne) et du gain futur de l’investissement (le
loisir supplémentaire).
1
INVESTISSEMENT ET INTÉRÊT
2
Qu’est-ce-qui détermine les décisions d’investissement ? Selon Edmond Malinvaud, "Il y a quatre facteurs déterminants de l’investissement : les perspectives
de débouchés, les coûts relatifs du travail et du capital, la profitabilité des opérations productives, l’aisance du financement". On regroupera les motifs deux et
trois sous le terme général de rentabilité, et son analyse fera l’objet du 1 ; le 2 est
consacré au problème des débouchés (ou de la capacité) ; et le 3 aux contraintes de
financement.
1
La rentabilité des investissements
1.1
Actualisation
La mesure de la rentabilité d’un investissement est difficile car les coûts et les
bénéfices
1. ne sont pas toujours mesurés dans la même unité, et
2. n’interviennent pas simultanément : les bénéfices arrivent toujours après.
Dans une économie monétaire, le premier problème est résolu puisque tout est
mesuré en monnaie. Le second problème, qui est celui des choix intertemporels,
trouve une solution grâce au taux d’actualisation.
Le taux d’actualisation d’un agent exprime la dépréciation que subit un euro
de revenu quand il se réalise dans une période future plutôt qu’aujourd’hui ; en effet chacun préfère recevoir un euro aujourd’hui plutôt que dans un an ; pour dire
autrement, un agent économique peut tre indifférent entre 100 euros aujourd’hui
et 100 + x euros dans un an. Soit a le pourcentage, exprimé sur une base annuelle, qui exprime cette équivalence : un euro disponible dans un an a, aujourd’hui, une valeur "actuelle" de 1/(1 + a), c’est-à-dire dans l’exemple ci-dessus :
(100 + x)/(1 + a) = 100, ou encore a = x% L’opération d’actualisation consiste à
déterminer la valeur (subjective) que l’on attribue aujourd’hui à une somme qui ne
sera disponible que dans le futur. Le taux d’actualisation a normalement une valeur
positive, ce qui signifie que l’euro disponible dans le futur a, une fois actualisé, une
valeur inférieure à un euro : cela est dû au fait qu’on préfère disposer immédiatement de cet euro (même si on n’en a pas l’usage immédiat) : c’est la théorie de la
préférence pour le temps.
Si on peut considérer que chaque agent ressent de manière propre (subjective)
la préférence pour le temps, toutes ces préférences peuvent néanmoins être uniformisées par l’existence d’un marché. C’est le marché financier qui assure cette fonction, en confrontant les offres et demandes de fonds prêtables : un offreur dispose
de sommes de monnaie qu’il peut prêter, mais le fait de se priver temporairement
de son avoir est pour lui un sacrifice qu’il n’acceptera de faire qu’en échange d’une
rémunération au moins égale à la dépréciation due à la préférence pour le temps.
Quant à l’emprunteur, il acceptera de payer cette rémunération justement parce que
disposer d’une somme plus tôt que prvu lui est utile. Le taux d’intérêt du marché, i,
3
INVESTISSEMENT ET INTÉRÊT
spécifie comment une somme prêtée aujourd’hui sera remboursée un an plus tard :
S0 (1 + i) = S1 .
Quand le marché financier est en équilibre, chaque agent peut prêter ou emprunter sans limite au taux d’intérêt courant, ce qui implique, par un raisonnement microéconomique habituel, que ce taux sert de taux d’actualisation à chaque
agent. Le taux d’actualisation ou d’intérêt permet non seulement de transformer
une somme d’argent de t = 1 à t = 0, mais permet cette transformation entre
n’importe quel couple de dates ; une somme Sn disponible en t = n vaut aujourSn
d’hui, par actualisation : S0 =
(il suffit pour s’en convaincre de calculer
(1 + i)n
en transéfrant la somme de n à n − 1, puis de n − 1 à n − 2, etc ;, jusqu’à t = 0).
1.2
Valeur Actuelle Nette
La méthode d’actualisation nous permet aussi de calculer la valeur actuelle de
plusieurs sommes d’argent disponibles à des dates différentes, par exemple Sn et
Sp . Cette valeur actuelle n’est rien d’autre que la somme des valeurs actuelles des
deux sommes :
Sp
Sn
S0 =
+
n
(1 + i)
(1 + i)p
Ces brèves données de calcul d’actualisation permettent de formuler une première définition de la rentabilité : un investissement se définit par une (ou plusieurs)
dépense(s) initiale(s), suivie(s) par des recettes échelonnées dans une période N
plus ou moins longue ; si D0 est la dépense initiale (en euros), et R1 , R2 , ...Rj , ..RN ,
sont les recettes nettes attendues, et i le taux d’intérêt utilisé dans le calcul d’actualisation, la valeur actuelle nette de l’investissement (V AN ) est :
V AN = −D0 + R1 (1 + i)−1 + R − 2(1 + i)−2 + ...Rj (1 + i)−j + ...RN (1 + i)−N
V AN = −D0 +
N
X
Rj (1 + i)−j
j=1
Quand les dépenses d’investissement s’étalent sur plusieurs périodes (0 à T
avec T < N ), la formule devient :
V AN = −
T
X
−j
Dj (1 + i)
j=1
V AN =
+
N
X
Rj (1 + i)−j
ou encore :
j=1
N
X
(Rj − Dj )(1 + i)−j
j=1
Si la V AN est positive, cela signifie que la somme actualisée des revenus est
plus grande que la somme actualisée des dépenses, et l’investissement est rentable ;
4
INVESTISSEMENT ET INTÉRÊT
si la V AN est négative, l’investissement n’est pas rentable. Ce qu’on vient de voir
correspond à la rentabilité absolue.
Mais le caractère positif de la V AN n’est pas suffisant pour décider qu’un
investissement sera effectivement entrepris : si une entreprise veut lancer un projet
d’investissement parmi plusieurs options, elle choisira le plus rentable, celui dont la
V AN est la plus grande, même s’il y en a plusieurs qui sont absolument rentables :
c’est la rentabilité relative.
La V AN d’un projet d’investissement dépend du taux d’intérêt avec lequel
l’actualisation est réalisée ; illustrons la relation taux d’intérêt-V AN par un exemple
numérique.
Supposons trois projets d’investissement, dont la dépense initiale D0 est identique (D0 = 1000), et dont la somme des revenus attendus est égale dans les trois
cas à 2000 ; ces projets ne se différencient que par la répartition dans le temps des
revenus attendus. Ces caractéristiques sont indiquées dans le tableau 1
Année 1
Année 2
Année 3
Année 4
Année 5
Année 6
Année 7
Année 8
Année 9
Année 10
Projet A
200
200
200
200
200
200
200
200
200
200
Projet B
400
400
300
200
200
100
100
100
100
100
Projet C
100
100
100
100
200
200
200
300
400
400
TAB . 1 – Revenus attendus des trois projets d’investissement
Les valeurs actualisées des trois projets A, B et C, en fonction du taux d’actualisation, sont présentées dans le graphique 1, sous les appellations respectives
A(x), B(x), et C(x).
On voit que la V AN est d’autant plus faible que le taux d’intérêt est élevé, et inversement. Une augmentation du taux d’intérêt peut rendre négative la V AN d’un
projet d’investissement qui était rentable précédemment, de même qu’une diminution du taux d’intérêt fait entrer dans la zone de rentabilité des projets jusqu’alors
non rentables. Ainsi, le projet C est rentable à condition que le taux d’intérêt ne
dépasse pas 11%, le projet A l’est pour un taux allant jusqu’à 15, 5%, et B jusqu’à
23% (ces valeurs ne sont pas les valeurs exactes, ce sont celles que l’on peut lire
approximativement sur le graphique 1).
Si l’entreprise qui envisage ces trois projets a décidé de les entreprendre à
condition qu’ils soient absolument rentables, on voit que sa décision d’investissement, c’est-à-dire la dépense d’investissement, sera conditionnée par le taux d’in-
INVESTISSEMENT ET INTÉRÊT
F IG . 1 – Les valeurs ajoutées des projets A, B, C
5
6
INVESTISSEMENT ET INTÉRÊT
térêt
Taux d’intérêt i
i ≤ 11%
11% < i ≤ 15, 5%
15, 5% < i ≤ 23%
i > 23%
Investissement
3000
2000
1000
0
TAB . 2 – Investissement et taux d’intérêt
Le cas ci-dessus illustre une propriété très générale : selon le taux d’intérêt du
marché, un nombre plus ou moins grand des projets d’une firme seront effectivement entrepris : plus le taux est grand et moins le montant total des investissements
sera élevé : la dépense d’investissement de chaque entreprise est une fonction décroissante du taux d’intérêt.
La fonction nationale d’investissement sera elle-même une fonction décroissante du taux d’intérêt, puisqu’on l’obtient par addition des courbes individuelles.
1.3
Le taux de rendement interne d’un investissement
Le taux de rendement interne d’un investissement est un autre indice de rentabilité, qui est très significatif mais ne peut pas remplacer celui de la V AN . Il se
définit comme le taux d’actualisation ρ qui rend nulle la V AN d’un projet d’investissement : c’est donc la racine de l’équation :
0 = −D0 +
N
X
Rj (1 + ρ)−j
1
ou encore, dans le cas o il y a plusieurs dépenses successives d’investissement :
0=
N
X
(Rj − Dj )(1 + ρ)−j
j=1
Cette racine est rarement facile à calculer ; on ne peut généralement le faire que
par approximation. Quoiqu’étant racine d’un pôlynome de degré N , elle est normalement unique (c’est-à-dire qu’il y a une seule racine réelle positive) du fait de
la structure de la suite des termes (Rj − Dj ). Une autre propriété mathématique,
liée au fait que la V AN est fonction décroissante du taux d’actualisation a, est la
relation suivante entre V AN et taux de rendement interne : Si la V AN est positive
(respectivement négative), le taux de rendement interne ρ est supérieur (respectivement inférieur) au taux d’actualisation a. La rentabilité absolue peut donc être
appréciée indifféremment par la V AN ou par la différence ρ − a. Si l’un de ces
indices est positif, l’autre l’est aussi et l’investissement est rentable. Mais quand
il s’agit de comparer la rentabilité de deux projets -rentabilité relative- les deux
INVESTISSEMENT ET INTÉRÊT
7
indices peuvent fournir des indications divergentes, comme le montre l’exemple
suivant : Projet A : investir 10 euros et en retirer 15 euros dans un an Projet B :
investir 100 euros et en retirer 120 euros dans un an Taux d’actualisation : a = 10%
V AN (A) = 15/(1, 10) − 10 = 3, 636 euros ρA = 50%
V AN (B) = 120/(1, 10) − 100 = 9, 091 euros ρB = 20%
On a donc la fois V AN (A) < V AN (B) etρA > ρB ; or, il est évident que le
meilleur projet, du point de vue de l’investisseur, est celui qui permet de gagner le
plus d’argent, et non celui qui offre le meilleur taux : le projet B. On peut montrer
qu’il en est ainsi dans tous les cas où les deux critères sont en conflit : c’est donc
le critère de la VAN qui s’impose comme le seul critère correct de choix entre des
investissements absolument rentables .
1.4
Taux d’intérêt nominal et taux d’intérêt réel
Il est important de distinguer les taux réels des taux monétaires ; ces derniers ne sont
pas significatifs si la valeur de la monnaie n’est pas stable ; en effet on peut considérer que
les prêts/emprunts d’argent sont en fait des contrats portant sur des biens réels.
Supposons qu’un prêt de 1000 euros a été consenti à un taux de 8% : dans un an le
prêteur recevra donc 1080 euros. Mais si entretemps la valeur de la monnaie a diminué de
3% (taux d’inflation), le pouvoir d’achat du prêteur aura augmenté de moins de 8% ; cette
augmentation représente l’intérêt réel (calcul en quantité de biens).
Soit r le taux d’intérêt réel à déterminer. L’augmentation apparente de pouvoir d’achat
des 1000 euros prêtés est de 80 euros ; mais les 1080 euros disponibles au bout d’un an ne
permettent alors d’acheter que l’équivalent de 1080(1/1, 03) euros. L’augmentation réelle
1 + 8%
= 48, 5 euros.
du capital du prêteur est de 1080(1/1, 03) − 1000 = 1000
1 + 3%
On peut donc évaluer le taux réel d’intérêt à 4,85%.
En généralisant ce raisonnement, on trouve que le taux d’intérêt réel est égal à r =
1+i
, i tant le taux d’intérêt nominal et p le taux d’inflation ; en développant, on obtient
1+p
i−p
r=
, expression qu’on peut approcher quand p est petit par : r = (i − p)
1+p
Quand on évoque le taux d’intérêt réel à propos du choix des investissements, le problème est de l’évaluer : si le taux nominal des contrats de prêt qu’on peut conclure aujourd’hui est connu (c’est le taux du marche), le taux d’inflation en revanche ne peut être
qu’anticipé (le taux réel pour un prêt d’un an, par exemple, ne sera connu que lorsqu’on
connaîtra le taux d’inflation de l’année, donc une fois le contrat terminé et le prêt remboursé) ; le taux d’inflation p dont on tient compte est alors un taux anticipé d’inflation,
et cette anticipation (ou prévision) est propre à chaque agent : dans le cas d’un prêt d’une
somme de 1000 euros pour un an au taux nominal de 8%, le prêteur peut anticiper une inflation de 3% et considérer que son intérêt réel est de l’ordre de 5%, alors que l’emprunteur
anticipe une inflation de 7% et croit qu’il emprunte de l’argent à seulement 1% ! Quoiqu’il
en soit, les anticipations d’inflation jouent un rôle décisif sur la fixation des taux nominaux,
dans la mesure où les décisions de prêt et d’emprunt (ou plus généralement les fonctions
d’offre et de demande de fonds sur les marchés financiers) dépendent des taux réels qui
sont les "vrais" taux.
INVESTISSEMENT ET INTÉRÊT
2
8
Investissement et contrainte de débouchés
La seconde approche explicative de l’investissement repose sur l’idée d’un
stock de capital désiré (noté K∗), qui est déterminé par les prévisions de vente
du producteur : les débouchés de la firme sont limités ; on ne pourra vendre qu’une
quantité limitée.
On peut considérer les débouchés comme une contrainte supplémentaire pesant
sur l’entreprise.
Si la nouvelle contrainte est active, elle influence le niveau du capital désiré et
prend éventuellement le pas sur les conditions de rentabilité : les investissements
choisis devront être rentables, mais tous les investissements rentables ne seront pas
entrepris. Cette approche a été particulirement illustrée dans le cas où les facteurs
de production sont complémentaires et les rendements constants : -en supposant
une stricte complmentarité entre travail et capital, on obtient que la production,
et donc le revenu national Y , dépendent du montant total de l’un des facteurs (p.
ex. le capital) : Y = Y (K) : fonction globale de production -si d’autre part les
rendements sont constants, cela signifie que le revenu national est proportionnel
au capital : Y = αK le coefficient α étant fixe ; son inverse, k = 1/α, est le
coefficient de capital. La théorie de l’accélérateur (proposée en 1917 par le français
Albert AFTALION puis par l’américain John Maurice CLARK) repose sur cette
proportionnalité constante : elle explique le capital national désiré par le revenu
national attendu YA : K∗ = kYA , et l’investissement par la diffrence entre le capital
constaté K et le capital désiré :
I = K ∗ −K
Dans la théorie de l’accélérateur, l’investissement a un rôle passif mais peut
être un facteur d’instabilité, dans la mesure où les fluctuations de la demande finale
Y sont amplifiées dans le secteur des biens d’investissement, qui apparaît alors
comme très instable ; c’est ce que montre le tableau suivant. Soit k = 3 et d (le
coefficient de dépréciation du capital) = 10% par an. La première colonne indique
la demande finale Yt , la seconde le capital en début d’anne Kt , la troisième la
dépréciation Dt dans l’année (soit dKt−1 ). La quatrième colonne indique le capital
désiré à l’année t, K∗t , et la cinquième l’investissement It , soit K ∗t −Kt . La
dernière colonne indique l’investissement net, It −Dt . On voit en lisant les colonnes
du tableau que les taux de croissance de l’investissement (à calculer) sont beaucoup
plus fluctuants que ceux de la demande finale.
Ce modèle simple a pu sembler trop mécanique, de plus il ne représente pas
bien la réalité, et on peut le critiquer à bien des égards :
– il suppose que les investissements peuvent intervenir sans délai (adaptation
immédiate de K∗), ce qui est en fait impossible : les biens d’investissement
ne peuvent pas être produits sans délai ;
– il suppose aussi qu’il n’y a pas de capital inutilisé, mais en ce cas on ne voit
pas comment une expansion de la production de capital peut intervenir ;
– le capital désiré ne prend en compte que les besoins de production immédiats, ce qui suppose que les investisseurs négligent le moyen et le long terme
9
INVESTISSEMENT ET INTÉRÊT
t
1
2
3
4
5
6
Yt
1000
1100
1200
1200
1100
1100
Kt
2700
2700
2970
3240
3240
2970
Dt
300
300
330
360
360
330
K∗t
3000
3300
3600
3600
3300
3300
It
300
600
630
360
60
330
INt
0
300
300
0
-300
0
TAB . 3 – L’accélérateur d’investissement
(ils sont myopes dans leur comportement économique) ;
– enfin la fixité du coefficient de capital k est une hypothèse trop forte.
L’accélérateur flexible Divers auteurs ont tenté d’assouplir le modèle de l’accélérateur simple pour le rendre plus réaliste : c’est l’accélérateur flexible. On suppose dans ce
modèle que les prvisions (ou anticipations) de demande (YA ) finale des producteurs guident
leur capital désiré :
K∗t = k.YA,t
On a une hypothèse d’anticipations "adaptatives" :
YA,t − YA,t−1 = β(Yt−1 − YA,t−1 )
d’où :
YA,t = βYt−1 + (1 − β)YA,t−1
β désigne ici un coefficient d’adaptation des prévisions, compris entre 1 et 0. En utilisant le fait que :
K∗t = k[βYt−1 + (1 − β)YA,t−1 ]
et que
K∗t−1 = kYA,t−1
l’investissement net désiré en t, I∗t (soit K ∗t −K∗t−1 ) peut s’exprimer :
I∗t = kβY t − βK∗t−1
Cependant, une telle formulation est difficile à utiliser dans les analyses statistiques,
parce que le capital n’est pas directement mesurable. Aussi, on peut exprimer l’investissement d’une autre manière :
I∗t = K ∗t −K ∗t−1
= k[βYt−1 + (1 − β)YA,t−1 ] − k[βYt−2 + (1 − β)YA,t−2 ]
= kβ[Yt−1 − Yt−2 ] + k(1 − β)[YA,t−1 − YA,t−2 ]
= kβ[Yt−1 − Yt−2 ] + (1 − β)I ∗t−1
formule qui ne contient que des variables observables. Le rôle du coefficient β dans
cette approche est d’amortir les chocs. La théorie de l’accélérateur flexible a donné lieu à
INVESTISSEMENT ET INTÉRÊT
10
des analyses statistiques un peu plus satisfaisantes que l’accélérateur simple. L’accélérateur
d’investissement constitue sans conteste une théorie naïve de l’investissement, mais qui
contient une part d’exactitude et est très suggestive. Elle a été combinée par Samuelson
au multiplicateur keynsien pour former un modèle de cycles économiques, le modèle de
l’oscillateur.
3
Investissement et contraintes financières
Les moyens par lesquels on finance un investissement constituent aussi des
éléments déterminants de la décision d’investir.
Les sources de financement sont, pour une société par actions, de trois ordres :
l’entreprise peut réinvestir ses profits : autofinancement ; elle peut augmenter son
capital en émettant de nouvelles actions (à la bourse) ; elle peut emprunter, aux
banques ou sur le marché financier, en émettant des obligations par exemple. En
principe, si les marchés financiers fonctionnent "bien", ces trois solutions ont le
même coût (théorème de Modigliani-Miller).
Supposons un entrepreneur qui veut financer un investissement de 1 million
d’euros. Il dispose de cette somme du fait des profits qu’il a réalisés dans l’année
précédente, et il sait que son banquier peut lui prêter cette somme avec un intérêt
de 4%, ce qui est le taux du marché -c’est-à-dire un prix. Contrairement à l’intuition, les deux solutions sont équivalentes, car si l’entrepreneur décide d’utiliser son
épargne, il doit renoncer aux intérêts que lui rapporterait son million s’il le plaçait
sur le marché, au taux de 4%, et ceci est exactement ce que lui coûte aussi l’emprunt. Le coût de l’investissement ne dépend donc pas de la manière dont il sera
financé.
Mais ce raisonnement dépend d’une hypothèse selon laquelle chacun sur le
marché a accès aux mêmes prix, et peut prêter ou emprunter au même taux : hypothèse de marché parfait. Or, il y a de nombreuses sources d’imperfection des
marchés financiers :
– il y a des coûts de transaction qu’on peut éviter par l’autofinancement ;
– les banquiers peuvent estimer la profitabilité du projet de manière plus pessimiste que l’entrepreneur, et élever l’intérêt demandé pour intégrer le risque
qu’ils perçoivent.
– les banques et autres prêteurs tiennent compte aussi du risque d’insolvabilité ; plus les emprunteurs sont déjà endettés et plus la probabilité de ne pas
être remboursé est forte pour le prêteur : d’où des taux plus élevés, qu’on
peut éviter en s’autofinançant. Le ratio Dettes / Fonds propres (D/F ) est un
bon indice de ce risque d’insolvabilité. Le coût des fonds empruntés serait
alors croissant avec le ratio D/F
– la fiscalité n’est pas neutre relativement au coût du financement (cela dépend de la structure fiscale de chaque pays) ; les frais financiers peuvent par
exemple être intégrés ou non dans les frais généraux, ou ne l’être qu’à certaines conditions. S’ils ne le sont pas, et s’il existe une taxation des intérêts,
11
INVESTISSEMENT ET INTÉRÊT
il peut être plus avantageux d’utiliser l’autofinancement ;
– le recours des sources extrieures de financement (nouveau capital ou emprunts) peut enfin impliquer une perte du pouvoir de dcision pour les dirigeants actuels de l’entreprise, et cela rend préférable l’autofinancement.
Tous ces éléments ont amené certains auteurs à proposer l’idée que le coût du
capital est faible avec l’autofinancement, un peu plus élevé et croissant par l’emprunt, plus élevé encore par l’émission de nouveaux titres de propriété, comme sur
le graphique suivant (on a fait figurer aussi la demande d’investissement afin de
matérialiser l’équilibre quand le coût du financement est croissant).
Demande d’investissement
Côut du capital
I(i)
Autofinancement
Emprunts
Emissions nouvelles
Quantité investie
F IG . 2 – Coût du capital et investissement
En se plaçant d’un point de vue un peu différent, on peut faire apparaître l’ effet
de levier de l’emprunt, qui indique l’avantage de cette technique de financement
quand l’objectif n’est plus de minimiser le coût du financement, mais de maximiser
la valeur de la firme. Quand on emprunte au taux i pour réaliser un investissement
dont le taux de rendement est plus élevé que i, il en résulte un gain en capital (i.e.
une V AN positive) qui accroît la valeur des fonds propres et profite aux propriétaires (actionnaires) de l’entreprise : c’est l’effet de levier. Il serait donc rentable
de ce point de vue d’emprunter, même si le coût est élevé.
Soit KE le capital de l’entreprise, composé de fonds propres P et de dettes E ;
on a donc KE = P + E.
Les profits de l’entreprise sont Π, et le ratio Π/KE mesure la rentabilité éco-
12
INVESTISSEMENT ET INTÉRÊT
nomique rE de la firme.
le profit net ΠN est la part du profit qui reste pour les actionnaires ; c’est le
profit total moins les intérêts à payer sur la dette iE :
ΠN = Π − iE
Remplaçons dans cette expression le profit total par son expression en termes de
rentabilité économique :
ΠN = rE (P + E) − iE
= rE P + (rE − i)E
et en définissant la rentabilité financière rF comme la rentabilité des capitaux
propres P :
rF
rF
=
ΠN
P
=
= rE + (rE − i)
E
P
rE + (rE − i)L
Le ratio d’endettement L est le "levier". On voit immédiatement que si la rentabilité économique des investissements de l’entreprise est supérieure au taux d’intérêt,
la rentabilité financière est d’autant plus grande que L est grand ! Il faut donc s’endetter pour augmenter la rentabilité financière.
Ce point de vue qui a été largement appliqué dans les annes 60 et 70 a amené
ce qu’on a appelé l’économie d’endettement : les entreprises ont fait appel de
plus en plus largement aux banques pour se financer, et les charges financières
ont fini par constituer une partie trop importante de leurs charges. Au delà d’un
certain seuil d’endettement l’investissement n’est plus possible, d’où un ralentissement de la croissance et la nécessité d’un assainissement de la structure financière
des entreprises (moins de dettes) ; l’économie d’endettement est non seulement
une économie qui mine sa croissance à moyen terme mais aussi une économie
inflationniste, puisque les banques sont les principaux fournisseurs de fonds . L’inflation permet d’ailleurs de créer l’illusion de la rentabilité des investissements, en
abaissant le taux réel d’intérêt, au moins pendant une première période. L’économie des annes 80, par contraste, marque le déclin de l’endettement et de l’inflation ;
mais l’assainissement des structures financières déprime l’investissement (le taux
investissement/PIB passe au dessous de 20% en 1987-88), et freine la croissance
en aggravant le chômage.
4
Conclusion
L’investissement obéit donc à divers motifs et contraintes ; il est l’objet d’une
demande de la part des entreprises, des ménages (inv. immobilier par exemple),
des administrations ; de même il y a l’offre de fonds, qui provient des épargnants
INVESTISSEMENT ET INTÉRÊT
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acceptant de mettre leur épargne à la disposition d’autres agents moyennant un
intérêt. Le langage courant appelle les demandeurs comme les offreurs de capital
des investisseurs, ce qui est paradoxal ; les premiers sont des investisseurs "réels",
et les seconds des investisseurs "financiers". La confrontation de cette offre et de
cette demande aboutit, sur divers marchés, à la fixation du prix du capital, le taux
d’intérêt. C’est la une version classique, c’est-à-dire pré-keynesienne, de la fixation
du taux d’intérêt ; Keynes y ajoutera des facteurs monétaires. Si l’on veut tenir
compte des différents facteurs de l’investissement qui ont été examinés dans ce
chapitre - ces facteurs peuvent jouer simultanément au niveau agrégé -, la fonction
d’investissement pourrait être de la forme suivante :
It = I(it , ∆Y − t − 1, I∗t−1 , Πt−1 , Lt )
Πt−1 désigne les profits réalisés par les entreprises à la période précdente, profits qui permettront l’autofinancement ; Lt désigne le ratio d’endettement, qui peut
décourager l’entreprise de continuer à s’endetter s’il est déjà fort. Les variables
jouent dans les sens suivants :
– L’investissement varie en sens contraire du taux d’intérêt ;
– L’investissement varie dans le même sens que le revenu ;
– L’investissement varie dans le même sens que l’investissement désiré ;
– L’investissement varie dans le même sens que les profits réalisés précédemment ;
– L’investissement varie en sens contraire du ratio d’endettement.