Spéciation de l`arsenic dans le poisson et d`autres denrées
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Spéciation de l`arsenic dans le poisson et d`autres denrées
Spéciation de l’arsenic dans le poisson et d’autres denrées alimentaires Dans le cadre du projet SPECAS (RF6205) mené par la Recherche contractuelle du SPF Santé publique, Environnement et Sécurité de la Chaîne alimentaire, la détermination de différentes formes d’arsenic a été réalisée dans divers produits alimentaires. L’arsenic (As) est un contaminant qui se retrouve dans notre environnement tant au départ de sources naturelles que de sources humaines, et peut ainsi donner lieu à des concentrations accrues dans l’alimentation. La recherche scientifique a mis en avant le fait que les effets toxiques de l’arsenic ne sont pas déterminés par la concentration totale de l’élément mais qu’ils dépendent fortement de la forme chimique ou de l’espèce d’arsenic présente. Dans les poissons et les crustacés par exemple, on constate des concentrations totales très élevées en arsenic, mais presque uniquement sous forme d’arsénobétaïne, qui est non toxique. Dans les échantillons terrestres par contre, les concentrations totales en arsenic sont beaucoup moins élevées mais l’arsenic y est souvent présent sous des formes anorganiques, beaucoup plus toxiques (AsIII et AsV). Des études épidémiologiques ont démontré que l’exposition à de l’arsenic anorganique peut entraîner des cancers de la peau, de la vessie et des poumons. Dans le contexte mentionné plus haut, le projet SPECAS avait pour but de permettre, par l’analyse d’une vaste série de produits alimentaires, un calcul détaillé de l’exposition de la population belge à l’arsenic anorganique. Le projet était surtout ciblé sur les espèces anorganiques AsIII et AsV, et sur les espèces organiques MMA (acide monométhylarsinique), DMA (acide diméthylarsinique) et AsB (arsénobétaïne). Les formes d’arsenic organique sont tout de même absorbées mais sont très peu métabolisées et rapidement excrétées. Elles sont en tant que telles peu importantes du point de vue de leurs effets potentiels. Cela ne signifie pas qu’une détermination de celles-ci soit superflue. Certaines substances alimentaires contiennent en effet encore d’autres formes d’arsenic, telles que des arsénoglucides et arsénolipides, et la différence entre la somme des espèces et l’arsenic extractible total peut fournir une première indication de l’existence de ces composés d’arsenic. On suppose en particulier des arsénoglucides qu’ils peuvent avoir une certaine toxicité mais leur détermination n’était pas prévue dans le projet SPECAS. Un total de 350 échantillons ont été utilisés, appartenant à différents groupes alimentaires (comme prévu dans l’étude sur la consommation alimentaire en Belgique) et tirés de produits achetés dans des commerces locaux, des supermarchés et dans des marchés. Les échantillons ont été nettoyés suivant les pratiques normales de cuisine et ensuite broyés. Pour pouvoir déterminer les cinq espèces séparément avec le moins possible de modifications, une extraction à l’eau a été appliquée dans un four à micro-ondes. Une méthode qui s’est avérée bonne notamment pour le poisson, les fruits de mer, les produits céréaliers et le riz. Mais il s’est avéré dans le courant de l’étude que l’efficacité de l’extraction était insuffisante pour les matrices végétales. Une extraction au moyen de HNO3 (0,07M) et H2O2 (30%) semblait convenir beaucoup mieux mais une telle extraction provoquait l’oxydation de AsIII et AsV. Ce n’est pas spécifiquement considéré comme problématique vu que des oxydations et réductions sont possibles lors de la préparation des aliments et lors de la digestion et que le rapport entre les deux formes peut de toute façon changer. Il faut d’ailleurs également s’attendre à ce que la future législation soit basée sur l’arsenic total et l’arsenic anorganique total, sans distinction des espèces. Les concentrations totales en arsenic dans les échantillons homogénéisés ont été déterminées au moyen de la technique ICP-MS (VARIAN 820), après minéralisation avec HNO3. La séparation chromatographique et la quantification des 5 espèces ont été réalisées par HPLC-ICP-MS, via l’utilisation d’une colonne échangeuse d’anions (Hamilton PRP-X100). La phase mobile se composait d’un gradient de carbonate d’ammonium et de H2O. 19 La concentration totale en arsenic dans le poisson de mer analysé varie de 630 µg kg-1 (dans le saumon) à 25095 µg kg-1 (plie), et dans les fruits de mer de 104 µg kg-1 (scampis) à 16908 µg kg-1 (crabe). Les poissons d’eau douce contiennent beaucoup moins d’arsenic total : les teneurs varient de 30 µg kg-1 (anguille) à 1702 µg kg-1 (truite). Pour les écrevisses, les teneurs varient entre 126 et 171 µg kg-1. La teneur en arsenic anorganique dans le poisson de mer est généralement inférieure à 1% et la majeure partie de l’arsenic y est présent sous forme d’arsénobétaïne (AsB). La teneur en AsB au sein d’une même espèce varie du double au vingtuple et, entre les espèces, un écart d’un facteur 500 est possible. Les fruits de mer présentent néanmoins de l’arsenic anorganique, mais en faible concentration, même si des teneurs allant jusqu’à 21 µg kg-1 ont été retrouvées dans des crevettes et, exceptionnellement, une concentration d’arsenic anorganique allant jusqu’à 98 µg kg-1 a été constatée dans des moules. Les algues marines, qui forment la base de la chaîne alimentaire marine, constituent probablement la principale origine d’arsenic dans les organismes marins. Plusieurs échantillons d’algues marines destinées à la consommation ont été analysés : leur teneur moyenne en arsenic était de 23000 µg kg-1 (matière sèche), dont environ 135 µg kg-1 (DS) était anorganique. C’est donc très probablement pour cette raison que le poisson de rivière contient assez peu d’arsenic et que les espèces d’élevage telles le saumon, la truite et le scampi divergent des autres espèces, tant dans le sens positif que négatif. C’est probablement en grande partie dû à l’alimentation des animaux. La teneur en arsenic anorganique dans les échantillons d’algues marines analysés ne peut pas particulièrement être qualifiée d’élevée vu que les résultats sont exprimés sur matière sèche. L’analyse des risques n’a néanmoins pas pris en considération les algues marines puisqu’il n’y a pas de chiffres de consommation disponibles. Il est supposé que les algues marines contiennent également une teneur assez grande en arsénoglucides, qui contribuent aussi possiblement à la toxicité. Les algues marines peuvent comporter un certain risque mais cela nécessite encore des recherches supplémentaires. La viande et les produits à base de viande contiennent relativement peu d’arsenic total. Il est peu probable qu’il s’agisse essentiellement d’arsenic anorganique. En raison des faibles teneurs totales, aucune analyse de spéciation n’a été menée. Par rapport au poisson, les céréales et les produits céréaliers contiennent relativement peu d’arsenic total mais il y est présent principalement sous forme anorganique et, vu la part importante que représentent les céréales dans notre régime alimentaire, elles constituent la source principale d’arsenic anorganique dans notre alimentation. Les teneurs totales varient de 17 µg kg-1 (riz Basmati) à 363 µg kg-1 dans du riz complet. La plupart des végétaux absorbent relativement peu l’arsenic mais le riz constitue ici une exception. Les racines absorbent principalement du AsIII, une forme réduite qui est relativement peu disponible dans les terres arables. Dans les rizières qui se trouvent sous eau, on peut supposer des conditions réductrices dans le sol et donc une absorption plus grande. L’eau d’irrigation joue également un rôle important. Dans de nombreuses régions où est cultivé du riz, les eaux souterraines sont assez riches en arsenic anorganique. Ceci explique probablement pourquoi le riz Basmati, qui est cultivé dans les montagnes et reçoit dès lors de l’eau très pure, présente des concentrations en arsenic significativement plus basses. 20 Fig. 1: Des concentrations moyennes d’espèces d’arsénic dans les types de riz différents et céréales de petit déjeuner avec du riz Fig. 2: Des concentrations moyennes d’espèces d’arsénic dans le pain et des produits céréaliers différents L’eau potable constitue dans de nombreuses régions du monde une source très importante d’arsenic anorganique. En ce qui concerne notre eau potable, il n’y a pas de problème car les teneurs en arsenic sont très faibles, tant dans l’eau de distribution que dans les eaux minérales. Il est possible que certaines eaux de puits soient enrichies naturellement en arsenic anorganique. Si ces eaux sont utilisées pour préparer des boissons, cela pourrait alors causer des problèmes. Mais cela n’a pas été constaté. Dans les boissons rafraîchissantes, la bière et les boissons lactées, des concentrations totales peu élevées en arsenic ont été observées et aucune spéciation n’a été réalisée. Il est cependant à noter que le vin est susceptible de contenir une concentration assez élevée en arsenic. Des teneurs totales allant jusqu’à environ 25 µg L-1 ont été détectées dans des vins d’origine spécifique, dont 75% était anorganique. L’origine de cet arsenic n’a pas pu être identifiée clairement. Dans les raisins de table, aucune teneur accrue en arsenic n’a été constatée. Quasiment tous les légumes contiennent peu, voire très peu, d’arsenic total (pomme de terre, tomate, endive) et la moitié environ de cet arsenic est anorganique. Il est probable qu’un certain nombre de légumes contiennent également des arsénoglucides, chose qui nécessite encore des recherches supplémentaires. Les champignons constituent ici une exception car ils contiennent bien plus d’arsenic total. Il s’agit toutefois surtout d’arsenic organique (à 90%), ce qui limite fortement le risque. Très peu d’arsenic a également été retrouvé dans différentes espèces de fruits. Les pommes et les poires contiennent peu d’arsenic anorganique et les agrumes en contiennent très peu. Dans le groupe des compléments alimentaires, ce sont surtout ceux préparés à base d’algues marines qui sont susceptibles d’être problématiques. Il n’y a pas de chiffres de consommation disponibles pour ces compléments alimentaires, raison pour laquelle ils n’ont pas été repris dans l’analyse des risques. Il existe néanmoins une réglementation pour ces compléments alimentaires, qui est basée sur les concentrations totales. La majorité de l’arsenic présent dans les compléments alimentaires l’est généralement sous forme anorganique. L’ingestion journalière moyenne d’arsenic total en Belgique, pour une personne de 70 kg, a été calculée à 1,04 µg kg-1poids corporel d-1 sur base des données obtenues. Cette valeur est conforme aux estimations de l’EFSA. La majorité de cette ingestion est due à l’ingestion d’arsénobétaïne. L’ingestion journalière moyenne d’arsenic anorganique s’élève à 0,11 µg kg-1poids corporel d-1. La principale contribution à l’arsenic anorganique provient de la consommation de riz et de vin. Les grands consommateurs de ces produits alimentaires présentent une ingestion additionnelle d’arsenic anorganique de 0,06 µg kg-1poids corporel d-1. Les personnes dont le régime alimentaire est essentiellement basé sur le riz présentent une ingestion moyenne d’Asi de 0,22 µg kg-1poids corporel d-1. Comme scénario de base dans l’évaluation du risque, l’ingestion estimée d’arsenic anorganique (Asi) a été comparée avec la PTWI antérieure de 15 µg kg-1poids corporel (i.e. 2.1 µg kg-1poids corporel d-1), qui était valable jusqu’en février 2010. De plus, les valeurs BMDL01 (Benchmark Dose Limit) de l’EFSA (0,3-8 µg kg-1poids corporel d-1) et la valeur BMDL05 du JECFA (3 µg kg-1poids corporel d-1) ont été utilisées comme fil conducteur. La marge d’exposition (‘Margin of exposure’, MOE) a été calculée par rapport à chacune de ces valeurs de référence. En comparaison avec la limite inférieure des valeurs BMDL01, la marge d’exposition est très étroite (1.4-2.7), tant pour les consommateurs moyens que pour les grands et très grands consommateurs de riz. Pour les autres scénarios, la marge d’exposition varie entre un facteur 9.7 et un facteur 72.7. Au niveau de l’évaluation des risques, on ne sait actuellement pas encore clairement quelles valeurs doivent être prises en considération pour une “marge d’exposition sûre”. Ludwig De Temmerman, Ann Ruttens, Nadia Waegeneers [email protected] 22